Chapitre III – Le kekkai du triangle et de la semaine dores

Incantation I

Les vacances de la Golden Week arrivaient enfin.

Après notre excursion en montagne, les trois sorcières s’étaient mises à étudier mon cas et la manière de me transformer en fille définitivement, mais les résultats tâtonnaient et elles n’arrivaient à rien.

C’est alors que la sonnerie de fin de journée sonna et annonça à tous le début de ces vacances, — pour la plus grande joie des élèves.

Depuis que j’avais rejoint le club de magie, tous les jours étaient remplis d’agitation, de situations perverses, mon corps était à bout.

C’est pourquoi, j’étais impatient d’être en vacances pour bien trop de raisons, dont le fait d’être dispenser de voir ces filles ; certains clubs continuent leurs activités, mais aucune des trois n’avait évoqué ce fait, j’étais donc rassuré au plus haut point.

Le premier jour de cette période de repos, il ne se passa rien de spécial, j’ai simplement passé la journée enfermé chez moi, c’était reposant tout comme je l’avais prévu.

Mais, lorsque le lendemain je me suis rendu à Shibuya pour faire des courses, — j’avais besoin de nouveaux vêtements de tous les jours, — les choses se sont compliquées.

A l’extérieur de cet immense building rempli de magasins, un endroit prisé et célèbre du quartier, j’ai remarqué quelqu’un qui changea le cours de cette journée qui aurait dû être paisible. Évidemment, dans ce quartier toujours très bondé, remarquer une connaissance n’est pas toujours simple, je dirais même que, sans se donner rendez-vous, il est particulièrement difficile de tomber par hasard sur quelqu’un, mais si j’ai vu cette personne au sein de la foule, c’était pour diverses raisons.

Cette personne portait un large chapeau duquel dépassaient de longs cheveux roux qui brillaient à la lumière du jour tel des flammes.

Ce genre de couleur est inhabituelle même dans ce quartier où pourtant des look fantasques sont visibles (moins qu’à Harajuku cela dit) ; ce n’était pas un simple roux, — non pas une de ces teintures qui donne une teinte artificielle,— il y avait un quelque chose de surnaturel qui ne pouvait qu’attirer les regards.

Bien sûr, je savais à qui appartenaient cette chevelure, une fille tout aussi flamboyante que celle-ci : Selena.

Outre ce chapeau de pailles qui couvrait son visage, elle portait une chemise blanche avec une petite cravate, une jupe rouge, un léger manteau noir et des chaussettes montantes de couleur noire. Même pour moi qui ne suis pas un expert en mode, je trouvais que cet énorme chapeau n’allait pas avec l’ensemble ; un chapeau plus chic et plus petit surtout aurait pu convenir, mais celui-là…

— Selena ? Tu es venue faire des courses ?

A peine entendit-elle ma voix qu’elle sembla paniquée et se mit à bouger de manière désordonnée. Je me tins devant elle attendant sa réponse, j’eus soudain un léger doute : « s’agissait-il bien d’elle au moins ? ».

Même si cette couleur était rare, était-il impossible que d’autres étrangères possèdent la même ?

— Vous… vous avez sûrement fait erreur, je ne suis pas Selena…

Même si elle affirmait que j’avais fait erreur, sa voix était bien la même et en m’approchant pour regarder sous le chapeau, perplexe de mon erreur, je reconnus de suite son visage.

C’était les traits d’une étrangère à la peau si blanche qu’on aurait dit de la neige, ses lèvres dessinaient le même genre de moue qu’elle avait habituellement ; il n’y avait pas d’erreur possible.

— Eh, Selena ! Raconte pas n’importe quoi ! Pourquoi tu caches ton visage ?

Mais, au lieu d’une réponse, elle prit la fuite.

Sans prendre le temps de réfléchir à la situation, je la poursuivis jusqu’à la gare où elle sauta dans un wagon ; je fis de même, sans même prendre le temps d’écouter l’annonce ou de voir de quel train il s’agissait, j’étais décidé à éclaircir cet étrange mystère.

Pourquoi se cachait-elle ? Avait-elle remarqué la présence d’inquisiteurs et l’aurais-je dérangé pendant qu’elle les prenait en filature ?

Cela dit, dans ce dernier cas de figure, on ne pouvait dire que son déguisement était vraiment efficace, puisque nombre de personnes n’avaient pu s’empêcher de l’observer et je l’avais repérée d’un simple coup d’oeil.

A cause de ma course, ma respiration s’affolait un peu, je pris quelques secondes pour reprendre mon souffle.

Puisqu’il y avait d’autres usagers dans le train entre sa position et la mienne, et que nous étions montés vraiment in extremis, Selena avait relâché sa garde pensant sûrement m’avoir semé. C’est alors que je me rapprochai d’elle et lui demandai :

— Bon tu vas arrêter de fuir et me dire ce qu’il se passe, Selena ?

Assise sur une banquette, elle sursauta en entendant ma voix.

D’une voix tremblante, elle me répondit :

— Je… ne… suis pas… Selena… je ne… vois pas… de qui… vous parlez… désolée…

— Ça te ressemble bien d’être aussi nulle en mensonge.

Brusquement, je lui retirai le chapeau et pus confirmer qu’il s’agissait bel et bien d’elle.

Cette fois elle n’avait pas ses habituelles couettes, ses cheveux étaient détachés et s’éparpillaient sur ses épaules et son dos. Pour moi, qui ne suis pas expert en la matière, je n’avais jamais estimé à quel point ils pouvaient être longs une fois détachés, à cause des couettes ils paraissaient bien plus courts.

— Idiot !! Sale brute ! Pervers !!!

Selena commença à s’énerver, son visage devint rouge.

— Hey ! Arrête Selena, nous sommes en lieu public. Tiens, je te le rends ton précieux chapeau.

Dans ses yeux je pus voir des larmes se créer, c’était très inattendu et exagéré comme réaction à mon sens.

A peine le prit-elle entre ses doigts qu’elle le remit avec vigueur sur sa tête ; je m’assis à ses côtés, en attente d’explications.

— Pourquoi ce déguisement ? Tu cherches à te cacher de qui ? Serait-ce… l’Inquisition ?Finis-je par lui chuchoter à l’oreille en couvrant ma bouche pour qu’on ne puisse lire mes lèvres.

A vrai dire, il y avait peu d’usagers dans le wagon et personne ne nous regardait, tous étaient occupés sur leurs mobiles.

— Ne dis pas n’importe quoi !

— Ah bon ? Me serais-je trompé ? Dans ce cas, explique-moi…

— Pas envie. Disparaît ! Meurs ! Crepa !

Venant de Selena, un tel langage était malgré tout assez inhabituel. Même si elle me dénigrait, me rejetait et me disait des choses dures par moment, elle n’était jamais aussi franche et utilisait un langage plutôt doux et scolaire. Elle n’utilisait presque jamais le japonais courant, elle utilisait toujours les particules de politesse, sûrement parce que c’était ainsi qu’on lui l’avait appris.

Pour quelle raison était-elle si énervée au point de modifier son langage ?

— OK, OK… J’ai pigé, Selena. Détends-toi, je ne te poserai plus de question à ce sujet… Par contre, on est en train d’aller où là ?

C’était une question légitime. Il était possible qu’elle ait sauté dans le premier train disponible, mais ce n’était pas l’impression qu’elle m’avait donné pendant sa poursuite.

La lycéenne aux cheveux de feu baissa le regard et répondit d’une voix à peine audible :

— Akiba…

— Qu’est-ce que tu as dit ? Tu peux répéter plus fort ?

Même si je donne l’impression de l’avoir fait exprès pour l’embêter, ce n’était pas le cas. A cet instant, j’avais juste entendu « Kiba », or nous n’étions pas du tout dans le bon train pour nous y rendre… ou alors elle voulait utiliser une correspondance, mais bon puisqu’elle avait grommelé ces mots, c’était difficile à savoir.

— Akiba… Enfin, Akihabara…

Elle cacha plus encore son visage, non seulement elle regardait le sol du wagon, mais en plus elle baissait son chapeau pour que je ne puisse le voir.

— Ah OK ! Nous allons donc à Akihabara…, déclarai-je rassuré. Tu aimes les anime ?

Ma question la fit sursauter un bref instant, elle me parut encore plus gênée qu’auparavant. Il semblait que j’avais touché une corde sensible.

Elle acquiesça de manière timide, je vis surtout son chapeau bouger pour me dire « oui ».

— Bah, c’est cool ça. Je suis plutôt content que tu aimes notre pays et sa culture…

— Vraiment ? Tu ne trouve pas que les anime sont… dégoûtants ? Demanda-t-elle d’une voix embarrassée.

— Bien sûr que non. Les anime font partie de la culture moderne du Japon, je ne trouve pas que ce soit une mauvaise chose qu’une étrangère s’y intéresse. Au contraire, tu aimes notre pays même dans sa culture marginale, je trouve ça plutôt cool. Un instant…

Pendant que je parlais, une vérité venait de se révéler dans mon esprit, un petit détail qu’il me fallait confirmer…

— Est-ce que, par hasard, la raison pour laquelle tu te caches ça ne serait pas celle-là ?

— Je ne vois pas de quoi tu parles ! Répondit-elle immédiatement.

Son refus catégorique et sans hésitation était un signe de confirmation pour moi, je ne pus m’empêcher de sourire.

— C’était donc ça… Haha ! Tu es drôle, Selena ! Je peux venir avec toi, à Akiba ? Je ne suis pas un otaku, mais j’aime les anime et les manga aussi, tu sais ?

— Tu les aimes aussi, Ren-san ?

— Puisque je te le dis. De nos jours, ça ne pose pas de problème d’avoir des goûts d’otaku, pas besoin de te cacher comme ça.

En plus, elle paraissait bien plus suspecte ce faisant…

— C’est vrai ? Ça ne pose pas de problèmes ?

— Bien sûr que non. Disons qu’il est préférable de ne pas le crier sur tous les toits, certains n’aiment pas, mais personne ne t’en voudras pour ça, t’inquiètes. A l’étranger c’est mal vu ?

— C’est pas spécialement mal vu, mais on te prend pour un enfant. Certains se moquent de toi aussi. J’ai vu dans les anime que c’était encore pire au Japon…

— Faut pas croire tout ce que tu vois dans les anime, tu sais ? Dis-je en me grattant l’arrière de la tête.

Il était vrai que dans certains anime il était question des discriminations concernant les otaku, on ne peut pas dire qu’elles aient disparues, mais ce n’était pas non plus une « chasse à la sorcière » ; de plus en plus de personnes le déclarent ouvertement et tout se passe bien.

Je pense que nombre des auteurs des œuvres où sont présentes ces discriminations horribles sont plus âgés que moi, à leur époque c’était sûrement une vérité, mais les temps ont changés, non ?

— D’ailleurs, tu regardais déjà des anime en Italie ? Lui demandai-je ingénument, ignorant finalement les us et coutumes hors du Japon.

— Bien sûr ! Quelques-uns sont diffusés à la télévision, même si ceux-là ne m’intéressent pas trop… Par contre, sur internet, il y a des sites spécialisés dans leur diffusion et qui sortent presque en même temps qu’ici. Par rapport à autrefois, c’est devenu bien plus facile. Par contre, les mentalités n’ont pas trop changées, beaucoup les voient comme des dessins animés pour enfant…

— Tu m’apprends quelque chose… Mais maintenant que tu vis ici et que tu comprends le japonais, ça doit être bien plus facile, non ?

Les lèvres de Selena dessinèrent une bien étrange moue, elle me parut légèrement contrariée.

— Pour les anime, ça va, mais je ne suis pas douée avec les kanji… J’arrive à peine à lire des mangas simples…

— Ah ? C’est vrai que c’est encore plus difficile pour vous que pour nous… A l’école tu sembles bien t’en sortir pourtant… Comment tu fais pour lire les devoirs ?

— J’utilise un dictionnaire…et les contrôles c’est toujours le même genre d’énoncés, mais il m’arrive de me tromper à cause de ça. C’est un enfer votre système d’écriture…

Je ne pus m’empêcher de rire, ce qui l’étonna, sûrement pensait-elle que je me moquais, mais ce n’était pas le cas. Aussi je dissipai rapidement le doute en lui expliquant :

— C’est un enfer pour nous autres japonais aussi, je te rassure. En tout cas, accroche-toi et si tu as besoin d’aide n’hésite pas.

— Euh… merci… Ren-san, déclara-t-elle en évitant mon regard.

— Au fait, tu aimes quoi comme type d’anime ? Lui demandai-je dans la foulée.

Cette question était un peu comme ouvrir la boîte de Pandore, elle s’est mise à m’expliquer un tas de choses sur des anime, des manga et leurs genres et tout ça, — elle s’y connaît bien plus que moi, à tel point que j’ai fini par décrocher en cours de route, — je serais incapable de retranscrire toutes ses paroles, mais en gros elle aime pas mal de genres différents, mais surtout des anime de romance, comédie et tranche de vie.

Finalement, à la fin de son discours passionné, nous arrivions à destination, à Akiba.

Elle paraissait bien plus décontractée qu’au début, j’irais même jusqu’à dire qu’elle était souriante.

— Ah ? Nous voilà arrivés. Descendons, Selena.

Je me levai et, le plus naturellement du monde, j’attrapai sa main ; elle était perdue dans son discours à tel point que je voyais bien le train repartir avant qu’elle ne réagisse, aussi je l’entraînais vers la sortie du wagon.

Et tout aussi désinvoltement, je lui demandai une fois sur les quais :

— Bon, eh bien, on va où ? En tant qu’otaku, c’est ton territoire, je me confie à toi.

Mais elle ne répondit pas, et détourna le regard, tandis que je vis son visage devenir rouge. C’est là que je pris conscience que je tenais encore sa main et qu’elle était embarrassée à ce propos. Je la relâchai de suite et m’éloignai d’elle de quelques pas.

— Ah, désolé… je ne voulais pas, mais on allait rater la sortie.

— Mon… mon chapeau ! Il est resté dans le train !

En effet, elle n’avait plus son chapeau sur la tête et elle avait des larmes aux yeux.

— Ren-san t’as été trop brutal ! Prends tes responsabilités, espèce d’idiot séquestreur de filles !

A quel moment j’en étais venu au juste à l’avoir séquestré ? Elle semblait en pleine panique et ses paroles ambiguës attiraient l’attention sur nous. Elle était au bord des larmes, ce qui m’amena à me demander en quoi ce chapeau était si important…

C’est alors que j’entendis quelques rumeurs autour de nous :

« C’est un séquestreur ? Quel culot de faire ça en plein jour… »

« Serait-ce une dispute de couple ? »

« Cette étrangère est super mimi ! Je veux trop qu’elle sorte avec moi! »

« Responsabilités ? Elle est déjà enceinte à cet âge ? La jeunesse moderne… »

C’est pourquoi je m’approchai de son oreille et lui chuchotai :

— Eh, Selena ! Tu ne veux pas qu’on discute de tout ça ailleurs ? Tout le monde est en train de se faire des films là…

Elle ne répondit rien, mais elle finit par me suivre.

Nous nous dirigeâmes tous les deux vers la sortie de la gare, puis traversâmes les guichets de contrôle des billets. Il y avait beaucoup de gens dans cette gare, sa réputation de quartier bondé n’était pas volée.

Soudain, à peine avions-nous mis le pied sur cette place, qui se trouve à côté de la sortie de la gare, que Selena me dit :

— Ici ça devrait être bon. Ren-san, tu as perdu mon chapeau ! Et tu m’as pris la main… Je ne te le pardonnerais jamais !

— En effet, c’est de ma faute d’avoir perdu ton chapeau, mais tu es bien plus mignonne sans, tu sais ? Puis, si nous allons à l’office de police, ils le retrouveront vite, j’en suis sûr.

— Mi…mignonne… tu as dit ?

Son visage redevint rouge, de ses oreilles semblaient sortir de la vapeur. J’avais parlé un peu hâtivement pour tenter de la rassurer, je venais enfin de réaliser la teneur de mes propos et je rougis à mon tour.

Dire à une fille qu’elle est mignonne… c’est admettre qu’elle nous plaît, non ? Si elle l’avait interprété comme une sorte de déclaration, les choses deviendraient bien plus complexes entre nous…enfin encore plus qu’elles ne l’étaient déjà.

Je me demande si cela arrive à tous les hommes de dire ce genre de choses sans réellement réfléchir ?

En soi, cela dit, je n’avais pas menti, elle était réellement plus mignonne sans son chapeau qui lui cachait son beau visage.

— Comme je te l’ai dit… Tu n’as pas besoin de te cacher. Tu peux avoir ce genre d’hobbies, ce n’est pas un problème. Puis… ton visage est bien plus… beau comme ça… Enfin, tout ça pour dire que, je suis vraiment désolé !

Pourquoi ma langue proférait de telles paroles ? Elle était déjà gênée de ma précédente remarque et j’en rajoutais ? J’avais envie de mourir tellement je ressentais de honte en cet instant.

— Iiiiiiii… IDIOT ! Idiot ! Idiot ! Qu’est-ce que tu racontes au juste ?! Tu te sens coupable et du coup tu dis des choses gentilles ? Tu te moques de moi ?!

Elle se tut et se retourna pour éviter de me montrer son visage. Puis elle poursuivit en italien cette fois.

— Se mi dici questo genere di cose… Cosa ti devo rispondere ? Scemo…

Impossible de savoir ce qu’elle avait pu me dire, mais sa voix me paraissait douce, j’estimais qu’il ne s’agissait pas d’insultes, mais peut-être était-ce une mauvais interprétation provoquée par le timbre qu’elle adoptait en parlant cette langue.

Soudain, ses épaules se levèrent et elle se retourna avec un éclat de joie dans les yeux :

— Je viens d’avoir une bonne idée ! Pour te faire excuser, tu vas devenir mon esclave pour la journée ! C’est pour assumer tes responsabilités dans cette affaire…

— Hein ? Esclave ? Est-ce par hasard, tu n’aurais pas des passes-temps un peu trop pervers, Selena ?

— Je ne parlais pas de ce genre d’esclave, espèce de vicieux !! Répondit-elle en commençant sérieusement à s’énerver, ce qui m’incita à aller dans son sens.

— OK, OK ! J’ai pas tout pigé, mais je vais suivre tes ordres juste pour aujourd’hui. Ça marche ! Mais d’abord, allons à l’officine de police.

Sans lui laisser le temps de répondre, je lui pris la main pour l’entraîner vers l’officine qui se trouvait dans l’enceinte de la gare, mais elle refusa de me suivre, aussi je me retournai.

— Pas besoin…, m’expliqua-t-elle en baissant le visage.

— Mais, ton chapeau ?

— Je t’ai dit que j’en ai pas besoin ! Je vais nouer mes couettes, du coup j’ai pas besoin de chapeau. En rentrant, nous irons voir le service des objets trouvés.

L’humeur de Selena avait changé apparemment, c’était sûrement pour le mieux je pensais en cet instant.

Je lui lâchai donc la main et l’interrogeai sur sa coiffure de prédilection :

— Tu les aimes vraiment, les couettes, non ?

— C’est évident ! Pourquoi en porterais-je sinon ?

— Pourquoi tu les aimes tant ? En général, en grandissant, les filles pensent que les couettes « font trop gamine » et même les collégiennes et lycéennes qui veulent paraître plus adultes n’en portent plus. D’ailleurs, il ne me semble pas avoir vu beaucoup d’étrangères en porter en fait…

— Vraiment ? C’est vrai qu’en Europe c’est vraiment pas à la mode, même les fillettes n’en portent que rarement. Je pensais que c’était fréquent au Japon pourtant… Je vois, je vois…

Elle prit son menton dans sa main et arbora un regard absent comme si elle réfléchissait à des choses vraiment importantes.

Tout en me parlant, elle continua d’une main habile et experte de se nouer les cheveux ; elle n’avait même pas besoin de miroir ou de quoi que ce soit.

— Tu m’as demandé pourquoi j’en portais… Je pense que c’est parce que les twintail sont très puissantes, c’est le meilleur attribut comme le dit cet anime que j’adore. A peine nouées, tu peux sentir ton pouvoir doubler et l’énergie affluer dans son corps. Ren-san, est-ce par hasard tu les détesterais ?

Hein ? Pouvoir doublé ? C’était quoi cette explication d’otaku ? Peut-être que d’une manière ou d’une autre, elle voulait dire que sa confiance en elle-même était renforcée lorsqu’elle nouait ses cheveux de la sorte, non ?

— Sérieux, cette explication… Ce n’est pas ce que j’ai dis ! J’avoue que j’ai jamais vraiment réfléchi à ça, mais je dirais que j’aime plutôt bien. En tout cas, sur toi ça le fait bien.

Mais bon sang ! Pourquoi en cette journée je me permettais de dire de telles choses ?

C’était sûrement la première fois que j’étais seul à seul avec elle et je sortais des répliques digne d’un dragueur de bas étage. Ahhhh ! Rien que d’y penser j’ai envie d’exploser tellement j’ai honte.

Selena commença à paniquer, son visage devenu rouge manifestait sa colère.

— Pervers ! Qu’est-ce que tu racontes ? C’est super gênant !

En effet, même pour moi qui l’avait dit, ça l’était. Contrairement à mes attentes, elle évita mon regard et cacha son visage derrière ses mains, je m’attendais à une réaction plus violente.

Les passants devaient croire que j’avais fait ma déclaration ou un truc du genre, considérant sa réaction gênée et mignonne.

Pour s’échapper sûrement, elle me dit :

— Je… je dois me rendre aux toilettes. Ren-san ne t’enfuis pas, attends-moi ici, d’accord ?

Cette courte pause me fit du bien, après l’avoir ainsi félicitée, l’ambiance était devenue particulièrement lourde, je devais refroidir ma tête. Etre un lycéen en bonne forme ne suffisait pas à justifier cette attitude entreprenante… enfin, à mes yeux ce n’était pas une excuse suffisante.

Lorsqu’elle revint, elle avait complètement fini de nouer ses couettes, elle avait rajouté par-dessus les élastiques des rubans un peu différents de ceux qu’elle portait habituellement. Elle paraissait bien plus heureuse également.

— Désolée de l’attente ! Allons faire les courses.

— OK, allons-y…

Avec une réponse aussi résignée, je me faisais effectivement l’effet d’être devenu son esclave, mais d’un autre côté je n’avais pas envie de refaire le même genre de bourdes que précédemment, donc il valait mieux que je m’empêche de trop parler.

C’est ainsi que nous nous éloignâmes de la gare.

***

Les courses commencèrent donc dans ce labyrinthe de magasins et de haut bâtiments qu’est Akiba. Personnellement, je ne connaissais rien du quartier et je ne reconnaissais que parfois des séries ou des personnages, mais Selena était vraiment super passionnée, elle connaissait tellement de choses et paraissait si heureuse.

Même si couramment le bon sens veut que les connaissances otaku ne sont pas censée être des choses si impressionnantes, moi je étais sincèrement admiratif. Elle se souvenait de tellement de titres, elle pouvait faire la biographie de centaines de personnages et expliquer tant de scénarios que je ne pouvais m’empêcher de trouver ça admirable.

Même si c’était un domaine de connaissance non-scolaire, était-ce une raison pour qu’il soit moins impressionnant ?

Je ne pense pas qu’il faille juger les choses ainsi, tout le monde n’aime pas et n’est pas fait pour le même genre de choses, mais face à une personne qui s’investit à fond, — même si ce n’est pas un domaine qu’on estime des plus utiles, — il est naturel de se sentir dépassé et admiratif.

Je ne sais pas si les autres sont comme moi, mais j’ai toujours trouvé ce genre de personnes réellement épatantes, quoi qu’étranges de temps en temps. Depuis tout petit, je n’ai jamais aimé quelque chose au point d’en être enflammé comme ça, j’aime des choses mais je ne suis passionné par rien.

En tout cas, aucun doute possible, Selena est bel et bien une otaku et c’était la première dont je faisais connaissance. Dans mes précédentes classes, il y en avait deux, mais nous n’avons jamais parlé, ils passaient leurs temps ensemble sans réellement se mêler au reste de la classe.

Selena était la première que je connaissais si bien et que je pouvais qualifier d’amie… Cela dit, je me demandais : depuis quand l’une de mes tortionnaires était devenue mon amie au juste ?

Il fallait bien affirmé que des trois sorcières, c’était sûrement la plus gentille avec moi, malgré ses phases colériques, mais si j’avais été embarqué dans toutes ces folles histoires de sorcellerie, c’était aussi à cause d’elle.

L’une des choses qui me perturbaient, néanmoins, c’était le fait que notre séance de shopping entre camarade de classe ressemblait, vu de l’extérieur, carrément à un rendez-vous amoureux.

Surtout lorsque nous avons acheté des crêpes, cela donnait vraiment l’air d’un couple de lycéens. J’en ai rougi, mais je n’ai rien dit à Selena, la connaissant elle aurait fait une crise en pleine rue et j’aurais été encore plus gêné. Au passage, elle était tellement dans son élément qu’elle ne l’a sûrement pas remarqué, ce simple détail.

Malgré mon embarras, j’avoue que j’ai passé un moment agréable, surtout parce que Selena était vraiment une autre fille : joyeuse, dynamique, elle était bien loin des discussions plus sombres sur la magie et l’Inquisition, c’était une fille ordinaire, profitant d’un jour de repos.

J’avoue que lorsque je m’en suis rendu compte, dans un magasin bondé de figurines, j’ai dû faire des efforts pour cacher mon expression faciale. Selena commençait à me plaire, c’était ce dont je me rendais compte en réalité.

Cet aspect plus simple et passionné m’attendrissait et m’attirait au plus haut point. Si c’était la vraie Selena, alors elle était quelqu’un d’admirable et de vraiment magnifique, c’était ce que je pensais.

Je ne parlerais pas de tous les magasins que nous avons visité ensemble, de toute manière j’étais perdu aussi bien géographiquement, que dans ma tête et mon cœur après cette étonnante découverte.

Qu’est-ce que je ressentais au juste pour elle ? Qu’est-ce que je pensais d’elle ? Et que pensait-elle de moi ?

C’est fort de toutes ces interrogations que nous sommes allés dans un game center et que nous nous sommes affrontés sur divers jeux. Il va sans dire que, malgré mon humeur étrange, j’ai donné le meilleur de moi-même, mais, comme attendu de la part d’une experte, elle était trop forte pour moi.

Au final, la journée passa très rapidement et la nuit ne tarda pas à arriver.

— C’était vraiment cool, Selena. Je me suis bien amusé. Merci à toi ! La remerciai-je avec sincérité.

Même si j’étais bien plus fatigué que je ne l’avais cru au départ, la journée avait été réellement plaisante. Il faut dire qu’en plus de la fatigue d’avoir marché longtemps s’additionnait celle des paquets que Selena me faisait porter ; c’était mon devoir d’esclave après tout.

— Attends un peu… Ce n’est pas encore fini ! Tu es mon esclave jusqu’à demain, tu n’as pas oublié notre accord ?

— Je sais, mais cette histoire d’esclave, ça me semblait surtout être une blague de mauvais goût, non ?

— Ce n’est pas du tout une blague ! Prends tes responsabilités, Ren-san ! En tant qu’esclave, ton devoir est de nourrir ton maître, je te signale ! Expliqua-t-elle fièrement en mettant ses mains sur les hanches.

Je suppose que c’était une manière de demander que je lui paye à manger. Pourquoi ne pouvait-elle pas rester la même Selena que l’après-midi, cela aurait été bien plus simple…

— OK, j’ai pigé, va pour le dîner… Par contre, après manger je rentre, qu’on soit clair. Du coup, on va où ?

— Euh… euh… m… maid…, marmonna-t-elle en détournant le regard et en rougissant.

— Maid ? Tu veux dire quoi par là ?

Apparemment, c’était quelque chose de suffisamment embarrassant pour l’avoir fait passer de son attitude de maîtresse à une attitude timide.

— Maid café ! Allons dans un maid café ! Finit-elle par avouer les larmes aux yeux.

— Euh… C’est pas une blague, pas vrai ?

Elle fit une moue gênée et adorable tout en retenant ses larmes, et nia de la tête.

— C’est la vérité… l’ordre de ta maîtresse. Je… je ne suis jamais… allée dans un maid café.

C’était donc ça, elle voulait faire l’expérience de ces si fameux café à thème d’Akiba. Toute la journée durant nous étions passés à côté de nombre de maids qui distribuaient des flyers pour leur locaux, cela avait dû lui donner des idées.

Personnellement, je trouvais ça un peu bizarre ce genre d’endroits, mais pas de quoi être embarrassé comme elle l’était en cet instant. Était-elle au courant de quelque chose que j’ignorais à leur propos ?

— Même toi tu trouves ça gênant, pas vrai ?

Elle ne répondit rien, mais sa réaction en disait long. Malgré tout, elle voulait quand même y aller, n’est-ce pas ?

Je suppose que, puisqu’elle cachait ses goûts d’otaku, elle n’avait trouvé personne pour l’accompagner et, même si elle le voulait, elle n’avait jamais osé s’y rendre seule.

— Bah, si c’est un ordre je n’ai pas le choix, je suppose… Allons-y…

— Oui, c’est bien ça ! C’est un ordre de ta maîtresse et ils sont absolus, pas vrai ? Mais finalement, j’ai changé d’idée, puisque tu ne veux pas y aller, en guise de punition tu vas me préparer à manger !

— Héééé ! Mais, je suis nul en cuisine, tu sais ?

— Ce n’est pas un problème, tu feras de ton mieux pour satisfaire ta maîtresse. Puis, je te rappelle que mes ordres sont absolus !

Même si ça m’arrangeait plus en un sens, ce n’était pas forcément mieux. Au final, peut-être que le maid café aurait été mieux, j’aurais dû me taire.

Du coup, puisqu’il était malvenu et dangereux pour une fille de se rendre dans la chambre d’un garçon, nous avons décidé d’aller chez elle. Personnellement, je trouvais ça tout aussi risqué, mais bon la bienséance et les on-dit faisaient que c’était mieux ainsi.

Chemin faisant, j’ai bien tenté de l’inviter à manger dans un restaurant, montant toujours un peu plus la qualité, mais Selena se révéla être une fille plutôt têtue et capricieuse. Finalement, j’ai cédé et l’ai suivi sans faire plus d’histoires.

En tant qu’étudiant étrangère, elle vivait seule dans un studio, ce n’était évidemment pas très grand.

— Désolé pour l’intrusion, m’excusai-je poliment en retirant mes chaussures à l’entrée.

— Bienvenue chez moi, Ren-san ! Je sais que c’est petit, mais j’espère que tu t’y plairas.

C’était effectivement petit, mais c’était plutôt un bel endroit, simple et bien rangé. Néanmoins, on reconnaissait de suite ses goûts d’otaku en y entrant, puisqu’il y avait sur les étagères des figurines, aux murs il y avait quelques posters et des tapisseries et, dans le meuble, c’était pleins de consoles, de jeux et de manga.

— Whaaa ! T’as une collection impressionnante ! C’est vraiment une chambre d’otaku !

— Chut !!Moins fort ! Les voisins vont entendre !

— Je t’ai dit qu’on s’en fiche pas mal qu’ils connaissent tes goûts, pas la peine de te cacher.

— Mais…, rétorqua-t-elle en baissant le regard. Quoi qu’il en soit, ce sont toutes des choses que j’aime et que je ne peux m’empêcher d’acheter. C’est pathétique, n’est-ce pas ? Devoir dépenser autant pour des jouets…

— Chacun ses goûts, tu te prends trop la tête, Selena, lui expliquai-je à nouveau.

Je vis dans ses yeux verts comme un reflet l’espace d’un instant, elle détourna aussitôt son visage de sorte que je ne puisse l’observer.

— Au fait, tu ne vis pas avec ta famille ?

Elle tourna à nouveau sa tête vers moi, j’y vis une certaine tristesse. Est-ce que j’avais ravivé de douloureux souvenirs ?

Pensant que c’était le cas, je m’excusai de suite :

— Désolé. Vraiment désolé. Si tu ne veux pas en parler, ce n’est pas grave…

— Je pense qu’il serait bon au contraire que je t’en parle… Pose les sachets ici, s’il te plaît.

Elle s’assit à la table basse en attendant que j’y prenne place à mon tour.

— Tu veux du cola ? Tu préfères peut-être du jus de fruit ?

— N’importe lequel m’ira. Tu veux vraiment te confier à moi ?

— Justement parce que c’est toi, je pense que ça ira. Tu es gentil et tu es devenu une personne spéciale au fur et à mesure… Enfin, euh.. je veux dire… te fait pas de mauvaises idées, je ne voulais pas dire « spéciale » dans ce sens-là, bien sûr ! Tu es aussi une sorcière, c’est avant tout pour ça…

Son explication me sembla suspicieuse, mais je préférais ne pas la commenter.

Aussi, après m’être assis, Selena commença à me parler de son passé.

— En tant que sorcière, l’éveil de la magie est toujours violent, surtout si on n’a pas de mentor pour superviser tout ça. En vrai, au début, nous sommes très dangereuses pour notre entourage. Autrefois lorsque la magie était plus abondante et qu’il y avait moins de répression, les magiciens cherchaient parmi les enfants ceux qui avaient un don latent et lorsque le moment était approprié, ils utilisaient un rituel pour provoquer et diriger l’éveil magique. C’était un moyen bien plus sûr.

Elle marqua une pause pendant laquelle je vis son regard se perdre au loin.

— Lorsqu’ils sont enfants, les magiciens sont identiques à des enfants normaux, mais en réalité ils ne le sont pas. Mana-san est née dans une famille de magiciens, elle a sûrement eu la chance d’être éveillée par rituel… tout comme toi. Mais, dans une famille de personnes normales, qu’est-ce qui se passe à ton avis ?

— Euh… Je dirais que les parents sont terrifiés et qu’ils contactent l’Inquisition et l’enfant est tué par ces derniers… quelque chose comme ça, non ?

— La Vraie Inquisition est une organisation secrète, tu sais ? Les gens normaux ne sont pas au courant de son existence et les livres d’histoire disent qu’elle n’existe plus vraiment. Même les prêtres ne sont pas au courant en fait… Probablement que le pape et les cardinaux le sont, mais je ne suis même pas sûre en réalité. Quoi qu’il en soit, c’est pas quelque chose que peut faire un parent ordinaire.

— Vu comme ça…

Selena ferma les yeux comme pour enfouir des pensées douloureuses, puis m’expliqua :

— Dans une famille normale, c’est particulièrement difficile. Je me suis éveillée à l’âge de 10 ans, j’étais revenue de l’école… Alors que je jouais comme tous les autres soirs, ma magie a jailli d’un coup. Tout ce qui m’entourait a brûlé, la maison a pris feu… Les personnes aussi… Celle qui a tué ses parents, c’était moi… C’est pathétique, n’est-ce pas ?

Elle voulait sûrement retenir ses larmes, mais n’y parvenait plus, elles s’écoulaient de ses yeux clos alors que sa bouche s’arquait de telle sorte à dévoiler sa souffrance.

Même si ce n’était pas sa faute, —c’était un accident, certes de nature magique, mais un accident tout de même, — elle avait commis l’irréparable.

A ses yeux, elle était devenue un monstre, c’était évident puisque c’est ce que j’aurais sûrement ressenti à sa place. Quelle destinée cruelle ! Avoir imposé une telle chose à une fille de dix ans, c’était réellement d’une cruauté sans nom…

Néanmoins, une chose me perturbait : lors du campement en montagne, elle avait dit du bien de la magie alors qu’elle était clairement responsable de ce drame. Pourquoi donc ?

Haïr sa nature de sorcière en de telles circonstances aurait été tout ce qu’il y a de plus naturel pourtant.

— Après ça, j’ai rencontré Lucia, continua-t-elle son récit avec difficulté. C’est une sorcière italienne très puissante qui est devenue mon mentor. Je n’avais pas eu de chance à cette époque, elle avait détecté trop tard mon pouvoir latent, elle n’avait pas pu intervenir avant que le drame n’advienne…quelques jours de plus auraient suffi à éviter tout ça… peut-être… En effet, même pour des sorcières remarquer les pouvoirs latents demande du temps, c’est vraiment difficile.

Devant mes yeux, elle était devenue si fragile et pitoyable que j’eus réellement envie de la prendre dans mes bras. D’ailleurs, soudain, avant que je ne le réalise, c’était effectivement ce que je fis.

Elle fut tellement surprise qu’elle ne dit mot et ne résista pas. A dire vrai, la surprise était partagée, je ne pensais pas que j’aurais osé agir de la sorte ; normalement je n’aurais pas eu le courage de passer à l’action, quand bien même un tel désir se serait fait sentir en moi. Sûrement que sa triste histoire avait ouvert les vannes de mon propre sentimentalisme, que sais-je ?

Je souffrais en observant cette Selena tellement différente de celle habituelle, cette Selena pleine de tristesse et de remords alors même qu’elle n’avait pas commis de fautes.

Elle jouait toujours un rôle de fille sérieuse et forte, il était l’heure de l’aider à mon tour pour lui rendre sa gentillesse. Sa douleur était mienne à présent, il était trop tard pour que j’oublie ce funeste récit.

— Selena, crois-moi, c’était un accident. Tu n’es pas fautive, crois-moi ! C’est pourquoi, arrête de t’en vouloir, s’il te plaît.

— Merci, Ren-san. Mais… mais… je vais bien… maintenant…

Elle avait beau nier avec de tels mots, cela ne l’empêchait pas de pleurer à grosses gouttes. Sûrement qu’elle ne le voulait pas, mais elle n’était plus maîtresse de ses émotions à cet instant, pas plus que je ne l’avais été en la prenant dans mes bras.

C’était étrange, mais cette Selena si faible et si fine entre mes bras, elle était si attirante ; j’étais triste de la voir dans cet état, mais mon cœur battait si vite, sa douce chaleur était si agréable et son parfum si enivrant…

Était-ce normal d’être autant attiré par elle alors qu’elle souffrait ? Avais-je un déséquilibre mental ?

Il lui fallut quelques minutes de larmes sur mon épaule pour se calmer. Sans se séparer de moi, posant sa tête sur ma poitrine, elle continua de narrer son histoire d’une voix altérée par son état.

— Lucia m’a protégée, elle m’a appris à maîtriser ma magie, elle m’a élevée comme une grande sœur l’aurait fait. C’est grâce à ses compétences magiques que j’ai pu m’inscrire à l’école et il y a deux ans elle m’a laissé venir ici. Grâce à une bourse d’étude et grâce à Lucia, j’ai pu accomplir mon rêve et ma Destinée de venir à Tokyo…

L’histoire semblait à présent finie. Je ne connaissais bien sûr pas tous les détails de son passé comme elle ne connaissait pas le mien, mais j’étais réellement content qu’elle se soit confiée à moi à ce sujet.

— C’est une très bonne chose que tu sois là, je pense. Puis tu aimes cet endroit, c’est plutôt positif, non ?

— Oui ! J’aime vraiment Tokyo. J’aime les camarades de classes, nos professeurs, notre club, j’aime tant de choses ici et je m’y suis faite tellement d’amis. Puis… puis, je t’ai rencontré aussi. Grâce à Lucia, je vais pouvoir accomplir ma Destinée, même si elle me manque parfois, je sais que je vais la revoir un jour… C’est une personne pleine de surprise, tu sais ?

— J’imagine ! Ta Destinée ?

Depuis que Selena s’était mise à parler, mon visage était devenu écarlate, je ne cessais de sentir son souffle caresser ma poitrine, c’était… agréable, mais terriblement embarrassant.

— Oui, nous portons toutes la marque du Destin, le pentagramme, pas vrai ? Tu ne l’as peut-être pas sous ta forme masculine, mais ton toi féminin doit le porter aussi.

— Le pentagramme ? C’est quoi cette histoire ?

— C’est le symbole qui identifie les sorcières légendaires. Tu ne savais vraiment pas ?

— Bien sûr que non. Je suis pas une sorcière, je te signale ! Montre-moi voir à quoi ça ressemble au juste…

Héééé ?! C’est pas possible, c’est trop embarrassant ! Pas à cet endroit !

En parlant de choses embarrassantes, elle se trouvait encore et toujours dans mes bras, je sentais parfaitement les lignes de son corps contre le mien, c’était trop pour moi à vrai dire. Si la situation n’avait pas été si triste, je l’aurais repoussée immédiatement, du moins, j’aurais essayé…

Euh… si tu vas mieux, Selena, peut-être que tu pourrais t’éloigner un peu de moi…, expliquai-je timidement en rougissant. Je sais que techniquement c’est ma faute, mais…

Ah ? Désolée !!!

Sur ces mots, Selena se dégagea de moi à la vitesse de l’éclair, tandis qu’elle s’excusa plusieurs fois en s’inclinant. Puisque j’étais aussi responsable, ces excuses étaient plutôt gênantes en fait, aussi je tentais de remettre une ambiance plus « normale » entre nous.

Au fait, Selena j’ai une petite question à te poser. Parle moi un peu plus de ta bourse d’étude, s’il te plaît.

Ma bourse ? Je ne comprends pas trop ta question, mais bon… C’est une association qui la finance. Elle n’est pas si élevée, mais elle suffit pour se faire plaisir. Tu penses à quoi précisément, Ren-san ?

Rien du tout, rassure-toi. Je suis juste un peu curieux. Allez ! Allons cuisiner !

Elle accepta ma réponse sans poser plus de questions, elle essuya ses yeux de ses manches et nous nous rendîmes ensemble en cuisine.

Ce soir, puisque ta maîtresse est gentille, affirma-t-elle d’une voix enjouée et prétentieuse, nous allons cuisiner ensemble. Sois reconnaissant envers moi, OK ?

Lorsque son visage était souriant comme il l’était à nouveau, elle était réellement mignonne à croquer. Cela restait perturbant néanmoins de voir ces deux côtés de sa personnalité.

Que dirais-tu de pâtes ? Demanda-t-elle. J’aimerais te faire goûter un peu de ma cuisine italienne. Ça te dit ?

Bien sûr ! Manger des pâtes cuisinées par une italienne, bien sûr que je veux !

En échange… Tu vas me cuisiner un plat typiquement japonais, ça te va comme marché ?

OK, marché conclu !

Sur ces mots, nous nous serrâmes la main pour sceller notre accord.

La soirée fut agréable, vraiment plaisante même, j’en garde d’excellents souvenirs.

Selena avait une personnalité complètement différente de celle de l’école, bien plus gentille et délicate. Je commençais à être de plus en plus persuadé qu’il s’agissait de sa réelle personnalité en fait.

Au passage, elle était effectivement très douée en cuisine, ses pâtes étaient délicieuses et n’avaient rien à voir avec ce que je connaissais.

Nous nous sommes tellement amusés à cuisiner ensemble et surtout à bavarder de tout et de rien que l’heure a tourné et j’ai raté le dernier train.

En fait, il me fila sous le nez, lorsque j’arrivai sur le quai il partit sous mes yeux larmoyants.

Ne sachant que faire, je revins sur mes pas et je me décidais à chercher un cybercafé pour y passer la nuit : la solution la moins chère et la plus accessible pour un étudiant. C’est à ce moment-là que mon téléphone sonna et que Selena s’informa de ma situation.

Ayant vu l’heure, elle avait sûrement deviné qu’il y avait un tel risque, aussi lorsqu’elle appris que j’étais dehors, — se sentant sûrement responsable de la situation, — elle m’invita à dormir chez elle.

Qu’on soit bien clairs, c’est juste dormir, OK ? Te fais d’illusions et ne tente rien pendant que je dors, sinon je te réduis en cendres.

Pour moi c’était évident, mais elle l’avait quand même précisé.

Je refusais plusieurs fois son invitation, mais finalement devant son insistance, et la menace qu’elle vienne me chercher de force, je finis par accepter.

Elle était déjà en pyjama à mon retour, son visage était rouge et honteux, ce qui contamina le mien.

Même si elle me proposa son lit, je refusais et je préférais dormir au sol.

Comme tu veux, mais te glisse pas dans mon lit parce que tu as mal au dos ou quoi que ce soit du genre, tu m’entends ?!

C’était la Selena de l’école, celle qui était toujours en colère.

Personnellement, je n’avais pas l’intention de tenter ce genre de choses ; non seulement, je tenais à ma vie, mais j’avais du respect pour les autres de manière générale. Puis, notre relation deviendrait très bizarre si quelque chose du genre se passait durant la nuit, non ?

Je ne parvenais pas à dormir, n’étant pas chez moi c’était déjà un peu plus difficile en soi de trouver le sommeil, mais en plus il y avait une fille à quelques mètres seulement de moi…

Finalement, j’abandonnai tout espoir de repos lorsque je sentis Selena s’infiltrer dans mon futon.

Que… que… ?

Tais-toi et dors ! M’intima-t-elle.

Elle portait certes un pyjama, mais moi je ne portais presque rien, un simple t-shirt qu’elle m’avait prêté, un t-shirt d’otaku bien sûr. De fait, je sentais clairement sa chaleur et son contact, le futon n’était pas prévu pour deux personnes…Mon cœur commençait à s’emballer, mon corps se réchauffait

Mais… Soudain, l’ambiance changea du tout au tout. Elle se blottit contre mon dos et je l’entendis sangloter avant de sentir l’humidité de ses larmes traversant le tissu du t-shirt et atteignant ma peau.

Je ne pouvais que deviner la douleur que l’on pouvait ressentir à perdre des êtres chers et il m’était inconcevable d’imaginer que cette perte pouvait être issue de mes propres mains. C’était pourtant ce que cette fillette âgée de dix ans avait vécu. Même si elle avait grandi, son cœur porterait à jamais ces cicatrices.

Lorsqu’elle avait accepté de m’ouvrir les portes de son âme, elle avait perdu la possibilité de les fermer convenablement, avec vigueur, son masque de force s’était brisé.

C’est pourquoi, en cette nuit, je la laissais se blottir contre moi et verser sa tristesse en moi, j’acceptais comme mienne pour l’en soulager.

A l’aube, toutefois…

Pervers déluré ! Prédateur sexuel ! Espèce de bête dévergondée ! Qu’est-ce que tu as fait ?! Je vais te transformer en cendres !!!

Selena était rouge comme une tomate, elle était énervée au point que des flammèches sortent de son corps.

Attendez ! Pourquoi c’est moi le fautif alors que c’est elle qui s’est glissé dans ma couche ?

Mais elle n’écoutait pas mes justifications, elle avait les larmes aux yeux.

Brucia in ifernooooooooooo !!!

Attends, je te dis ! Te méprends pas ! C’est toi qui est venue me voir, c’est ta faute en fait. Puis, je comprends pas l’italien, parle en japonais.

Même si ce n’était pas ma faute, j’ai subi malgré tout la colère de la sorcière des flammes…

Incantation II

Deux jours plus tard, le matin.

— Yo, Ren-kun ! T’as bien pioncé ?

— Euh…Bonjour, Eri. Ouais ça va. Mais… au fait… tu viens faire quoi chez moi ?!

D’un seul coup, j’émergeai de mon sommeil, en pyjama, décoiffé et je réalisai en criant qu’Eri était dans mon futon.

D’une part, je ne me souvenais pas lui avoir donné mon adresse ; cela dit, pour une sorcière, je suppose que c’est un détail.

Puis, c’est Eri, quoi !! Il n’y a mot qui ne soit pas obscène qui ne sort de sa bouche ; rien qui ne soit perversion qui ne traverse cet esprit. Si tôt le matin… dans mon lit ! Qu’a-t-elle fait au juste ? Ou plutôt que m’a-t-elle fait au juste ?!

Calmons-nous, il se peut que ce ne soit qu’un rêve, ce genre de chose peut arriver parfois.  Surtout le matin, les rêves érotiques sont naturels, paraît-il.

Il est parfois si difficile de distinguer rêve et réalité, ce n’était pas une supposition si stupide au fond.

— Calme-toi, mon chéri. J’suis pas un rêve et j’suis pas une succube venue dérobée ta semence. Je n’ai encore rien fait, sauf te mater dormir… tu es si mignon~ !

Elle se rapprocha de moi à tel point que je pus sentir sa respiration sur mon visage.

En fait, pour être précis, depuis mon réveil elle se trouvait à quatre pattes au-dessus de moi, — habituellement, je dors sur le dos,— c’est pourquoi avec cet inclinaison je pouvais voir dans son décolleté et surtout je pouvais sentir, à présent qu’elle s’était rapprochée, ses seins s’appuyer contre ma poitrine. Mon cœur battait à tout rompre, c’était une situation bien trop risquée !!

— Ce n’est donc pas un mensonge, le matin les garçons sont vraiment excités, pas vrai, Ren-chéri ? Et si on en profitait pour le faire ?

— Mais tu vas arrêter, oui ?! T’es vraiment pas possible, toi !

Malgré mes protestations, son visage ne paraissait pas du tout embarrassé et elle ne semblait pas du tout disposée à m’écouter. Elle finit par complètement s’allonger sur moi.

Inutile de dire qu’elle retenait mes poignets et que, comme je l’avais déjà constaté lors du campement, elle a bien plus de force que moi.

Mis à part avec les mots, je n’avais aucun moyen de lui échapper.

— J’te laisserais pas fuir, cette fois, mon chéri. Moi aussi j’veux des câlins de mon chéri d’amour…

— Bon sang, Eri ! Laisse-moi !

— C’est inutile~. Tu peux pas t’échapper.

Effectivement, une nouvelle tentative me permit de confirmer ce que je savais déjà : mes efforts seraient tous vains. Je suppose que c’est lié à sa magie de sorcière, mais elle est bien plus forte qu’un homme, je vous l’assure.

— Comment ça se fait que tu es aussi forte ? T’es pas censée être une sorcière ?

Pour le moment, l’important était de la faire parler, chaque seconde importait… Disons que c’était une course contre la montre jusqu’à ce que… comment dire ? Jusqu’à ce que mon corps à peine réveillé se calme.

Vu l’épaisseur de nos vêtements, tout comme je ressentais son corps contre le mien, l’inverse était également vrai.

— C’est normal, mon amour, me répondit-elle en me regardant fièrement dans les yeux. J’ai accru ma force par magie pour l’occasion. Ch’suis impressionnante, pas vrai ?

— Plus qu’impressionnante, tu es folle !

— Comme c’est vilain de dire ça à ta femme bien-aimée. J’ai un cœur de pucelle, tu sais ?

Son sourire malicieux était significatif du fait qu’elle me taquinait à nouveau. Je ne comprenais rien à ce qui passait par la tête de cette perverse, pas plus que je ne la connaissais vraiment. J’avais toujours eu l’impression qu’elle cachait des choses sous le couvert de cette insouciante lubricité. A quoi ressemble la véritable Eri, au final ?

— Ça te va vraiment de le faire comme ça, avec quelqu’un qui n’est pas consentant ?

— Pour quelqu’un qui ne veut pas, je trouve ton corps bien expressif. Ho ho ho !

Je ne pus m’empêcher de détourner le regard et de rougir. C’est pas de ma faute si la nature est ainsi faite ?

Bon, d’un autre côté, on ne peut dire qu’elle avait complètement tort. Même si je ne voulais pas dans ces circonstances, je ne pouvais pas dire non plus qu’Eri me laissait indifférent. Si elle n’avait pas eu cette attitude agressive et nymphomane, — comme dirait Selena,— je pense que je l’aurais bien appréciée, voire qu’elle aurait eu des chances de me séduire.

— Allez, laisse-moi partir…, lui dis-je d’un ton implorant.

J’essayais une nouvelle stratégie, on peut obtenir des choses par la pitié aussi.

— Non, je veux pas !

— Je te préviens, Eri… Si tu continues, je hurle.

Elle se mit à rire, sa poitrine et son corps entier se frottait au mien, c’était encore plus perturbant qu’auparavant.

— Que c’est viril ! Conduis-toi en mec, mon chéri !

En effet, je n’étais pas bien fier d’avoir utiliser une telle menace, mon orgueil était blessé.

N’y avait-il donc rien à faire contre cette force herculéenne ?

— En plus, même si c’est tes voisins, y a pas moyen qu’ils te croient. Ch’suis douée pour mentir, t’sais ?

Ah ! Quelle plaie ! Elle avait raison et je le savais…

Eri n’était pas seulement une nympho, mais une fourbe de la pire espèce, capable d’embobiner n’importe qui.

— C’est bon, j’ai compris… Tu as gagné, Eri. Que veux-tu de moi, précisément ? A part quelque chose de sexuel, bien entendu.

— Euh… Un baiser pour commencer ? Un baiser sur les lèvres… de ma bouche.

— Pourquoi cette précision ? Enfin, non, je veux dire : Héééééé ?

— Y’a pas de « héééé » qui tiennent. Puisque tu as embrassé cette manipulatrice de Selena, j’en veux un aussi. Bien sûr, tu peux aller plus loin si tu…

— C’était un accident ! L’interrompis-je paniqué par cette proposition.

— Tu mens ! J’ai tout vu !

— Mais je peux pas ! Dans ces conditions je peux pas !

Elle ferma les yeux et se mit à réfléchir.

— Je vois, au final, mon chéri préfère qu’on le force un peu… Au secours ! Que quelqu’un m’aide ! Un pervers ! Il tente de me…

Soudain, Eri se mit à crier.

Bon sang, qu’est-ce que tu fous, Eri ?! Tu crois que c’est pas déjà assez embarrassant comme ça ?

Ça craint ! Ça craint vraiment !!

Je rassemblai mon courage et je mis fin à ce stratagème vil en collant mes lèvres sur les siennes comme elle l’avait souhaité, conformément à son plan d’action.

Avec ça, c’était mon deuxième baiser.

Je ne sais pas si habituellement on tient le compte après le premier, mais dans mon cas c’était deux baisers avec deux filles différentes… Mon Dieu, je suis vraiment un type horrible ! C’est quoi cette inconstance au juste ?

Cela dit, c’est les circonstances qui m’ont poussé à le faire, c’est pas de ma faute !

Je suis sûr qu’à travers le monde, un tas d’hommes ont dit la même chose que moi et ils n’étaient pas si innocents que cela, non ?

Quoi qu’il en soit, difficile de comparer les deux sensations. Le baiser d’Eri était aussi agréable et tendre que celui de Selena, mais c’était malgré tout très différent. Je dirais, en un sens, qu’il était plus sauvage, mais je ne sais pas si j’ai bien choisi mes mots pour en parler.

Impossible de donner la préférence à l’un ou l’autre, les deux étaient agréables.

Même si cela n’avait duré que quelques secondes, mon cœur se mit à battre la chamade et mon cerveau s’embruma légèrement.

Puis, finalement, Eri se sépara de moi et se leva.

— Ce sera suffisant pour le moment… Maintenant que le moment est meilleur, je tiens à le redire. Bonjour, mon chéri !

Son sourire, sa position, son attitude et son tablier, elle me donna en cet instant précis l’impression d’être dans un CG de galge, qu’elle était une de ces héroïnes qui vient juste de se marier avec le protagoniste et lui souhaite le bonjour après leur nuit de noces.

Sûrement son soudain changement de langage doit avoir joué un rôle dans cette impression.

Quoi qu’il en soit, mon cœur de lycéen eut extrêmement peur en cet instant, je suppose que j’ai dû blêmir en répondant timidement :

— Bon…jour…

Eri se mit à rire de manière charmante en couvrant sa bouche, puis me demanda :

— Mon chéri, désires-tu prendre ton petit-déjeuner ? Ou alors un bain d’abord ? A moins que… tu ne me choisisses ?

— Je me contenterais du petit-déjeuner, répondis-je froidement en secouant la main devant moi.

— Mais, mon chériiiii~

Elle n’avait pas joué la comédie longtemps, elle était redevenue rapidement l’Eri que je connaissais.

— Je peux te poser une question, Eri ? Lui demandai-je sérieusement.

— Quoi donc ?

— Pourquoi tu es ici ? Comment tu es entré dans mon appartement au juste ? Puis, pourquoi tu ne portes qu’un tablier ?

En effet, jusqu’à cet instant je n’avais pas vu qu’elle ne portait qu’un simple tablier. Elle avait de suite collé son corps contre le mien, je venais à peine d’avoir une vue sur l’arrière de sa silhouette qui n’était pas couverte et… je vais me passer de commentaires, mais bref on pouvait voir des choses que le regard d’un lycéen ne devrait normalement pas voir.

Même si je posais la question, il n’y avait à ma connaissance qu’une seule personne capable de porter le « légendaire tablier » et c’était elle. Au fond, il n’y avait pas lieu d’être surpris, mais l’embarras par contre était tout aussi naturel.

Avec son physique de femme adulte, son impressionnante poitrine, et surtout son attitude dévergondée, une telle tenue lui allait bien sûr comme un gant. Même si c’était parfaitement inapproprié pour une lycéenne, je doute que quelqu’un en ce monde l’aurait mieux porté qu’elle.

Bien sûr, puisqu’on parle d’Eri, autant prévenir qu’elle n’était pas du tout gênée et le portait comme s’il s’agissait d’une robe de princesse, avec un naturel déconcertant.

— C’est-il pas mignon, mon chéri ?

— Déjà, non, c’est plutôt sexy que mignon, mais… Tu ne te sens pas un peu embarrassée ?

— Je vois, je vois, tu es parfois pointilleux. Mais bon ça reste quand c’est sexy, c’est plutôt cool…

— Sexy était peut-être un peu trop faible, dans ton cas c’est plutôt osé, voire déluré.

— Hé hé ! Que de compliments ! Tu vas me faire rougir… Pour répondre à ta question, non, je ne suis pas gênée puisqu’il s’agit de mon chéri d’amour. Alors, tu te sens excité ? Tu as envie de me toucher tout partout ? De me lécher de tout partout ?

C’était une Eri joyeuse qui tirait la langue et prenait une pose suggestive de pin-up alors que j’essayais d’éviter de la regarder trouvant sa tenue vraiment inappropriée… et trop excitante. Personne n’aurait pu être indifférent à ce physique, ne me jugez pas !

— J’ai compris que tu es définitivement une cause perdue, mais va t’habiller, s’il te plaît.

Je finis par m’engouffrer plus profondément dans le futon, tandis qu’elle se mit à rire.

— Seulement aujourd’hui, j’accepte de lâcher le morceau. J’ai eu une bonne compensation, j’vais t’obéir. Tu peux regarder pendant que j’m’habille si tu veux…

Bien sûr, je ne l’ai pas épiée, mais elle a fait exprès de se rhabiller non loin de mon futon et de prendre son temps pour ce faire ; sans compter les bruits qu’elle exagérait pour que je puisse les entendre. Satanée Eri !!

Dire qu’un garçon moins scrupuleux serait sûrement content d’avoir une fille si peu farouche et si belle juste pour lui, je me sentais parfois un peu ridicule de réagir de la sorte, mais je ne pouvais m’empêcher de me sentir honteux et de penser que c’est mal de la traiter ainsi, même si elle me demande bien plus encore.

J’attendis qu’elle finisse de se changer, puis je m’installai avec elle à la table basse pour y déjeuner.

Les vêtements que portait en cette journée Eri étaient composés d’une robe légère de couleur rose avec quelques dentelles et froufrous. Etonnamment, c’était une robe plus mignonne que sexy, c’était plutôt inattendu de sa part. De plus, elle portait dans ses cheveux un ruban rouge qui accentuait ce côté « kawaii » qu’elle ne mettait pas du tout en avant en temps normal.

Quelle était cette nouvelle farce ? Venant de sa part, nul doute qu’il s’agissait d’une nouvelle stratégie de drague ou d’une idée saugrenue qui avait vu le jour dans son cerveau.

Etrangement, pendant toute la durée de notre repas, elle ne tint aucun propos salaces, contrairement à son habitude. Non, en fait, cela allait bien au-delà, même sa manière de manger, son attitude, tout paraissait différent, plus modéré et raffiné. J’avais l’impression de voir une imitation de femme de haute société.

Résolument, c’était étrange… il y avait un piège la derrière, c’était certain !

Je faisais attention à ses moindres faits et gestes, justement pour tenter d’esquiver cette possibilité, mais rien, elle semblait réellement avoir abandonné pour cette journée-là.

— Cela dit, il est trop tôt pour crier victoire, pensais-je en l’observant manger calmement.

Elle me sourit sans arrière-pensées apparentes, comme une lycéenne normale. C’était perturbant considérant ce que je savais d’elle.

Le repas arriva à son terme, elle n’avait rien tenté.

— Au fait, Eri, comment as-tu fait pour entrer ?

Ce n’était pas la première fois que je lui posais la question, mais elle n’avait toujours pas répondu aussi je retentais ma chance.

— Par magie, bien sûr ! Expliqua-t-elle en prenant un air satisfait et en levant son doigt comme si elle venait de donner une explication fondamentale. En fait, j’ai demandé de l’aide à ce petit, juste-là, continua-t-elle d’expliquer en pointant du doigt une plante que j’avais dans ma chambre.

Dans le vase, il y avait une plante verte tout ce qu’il y avait de plus normal, si ce n’était le fait qu’il ne s’agissait pas d’une de mes affaires.

— Ça vient d’où ça ? Ne pus-je m’empêcher de m’interroger à haute voix.

— D’une certaine manière, on peut dire que c’est mon familier. Elle ressemble à une plante normale, pas vrai ?

Ce qui voulait dire qu’elle ne l’était pas ? Me demandai-je en cet instant.

— Un familier ? C’est comme dans les anime ?

— Pas exactement la même chose, mais puisque cette petite a été enchantée par ma magie, on peut dire qu’il s’agit de mon familier, non ?

— Un familier n’est pas censé être un être conscient ? Demandai-je sur la base de mes connaissances basées sur ma culture anime/manga.

— Evidemment ! Puisque c’est une plante, ce n’est pas un vrai familier, mais ce n’est pas bien important au final. Elle est mignonne, pas vrai ?

— Ouais… t’es surtout en train de me mener en bateau, annonçai-je en soupirant. Selena et Mana ont aussi des familiers ?

Si le sien était une plante, je me demandais vraiment quels pouvaient être celui des deux autres sorcières : une boule de feu et un fémur ?

— Selena n’a jamais eu de familier à ma connaissance, je ne sais pas pourquoi. Quant à Mana, elle n’en a pas non plus, elle est trop égocentrique pour ça…

— Oui, ça ressemble malheureusement bien à Mana, je dirais… Et donc, cette plante a ouvert la porte ? Vraiment ?

Elle prit une pose fière et au lieu de répondre à ma question par des paroles, elle me fit une démonstration.

Lorsqu’Eri la pointa du doigt, la petite plante, tout ce qu’il y avait de plus normale, se mit à pousser à vue d’œil, étendant des branches tel des tentacules.

— Ouvre la porte, lui intima Eri.

Et sur ces mots, les tentacules s’enroulèrent autour de la poignée de la porte afin de l’ouvrir.

— C’est bon, ça suffit. Merci beaucoup.

La plante cessa de s’agiter et revint soudain à sa forme et taille normale. C’était très impressionnant, c’était comme si soudain elle était devenue un petit monstre domestique ; je restais bouche bée, même si ce n’était pas vraiment pas la première manifestation de magie à laquelle j’assistais.

 — C’est incroyable ! Je comprends mieux maintenant. Par contre… pourquoi tu es venue au juste ?

— C’est pourtant évident. Je suis là pour te séduire.

Ce genre de réponse était bien digne d’elle, elle n’exprima aucune hésitation sur son visage, nul doute qu’elle disait la vérité. Eri avait une personnalité particulièrement franche et directe, à tel point qu’elle était généralement déstabilisante.

— Est-ce que par hasard… tu aurais… ?

— Non, après m’être infiltrée ici, il restait peu de temps pour ça. J’y ai pensé, mais je voulais que tu puisses te réveiller en ayant un repas déjà tout prêt.

Ouf ! Heureusement, elle n’avait rien fait pendant mon sommeil, connaissant son attitude habituelle, cela n’aurait pas été surprenant… Euh, cela dit, n’avait-elle pas à quelque part avouer qu’elle aurait voulu le faire ?

Cette Eri ! Même si d’un seul coup, elle s’est mise à parler plus poliment et plus délicatement, le contenu de ses paroles restait outrageux !

— Je vois, je vois, déclarai-je avec quelques gouttes de sueur sur le visage en croisant les bras.

Elle me renvoya un sourire innocent qui ne pouvait néanmoins me faire oublier ce qu’elle venait de confesser et la menace à laquelle j’avais échappé par chance.

Je me grattai la joue en évitant son regard, cherchant quelque chose à lui dire pour changer de sujet.

— Ah oui… En effet, tes pouvoirs sont sûrement les plus pratiques d’entre vous trois. Tu peux faire pas mal de choses avec eux, au final.

— N’est-ce pas ? Je peux même les utiliser pour des choses plus… personnelles, dirons-nous. Ho ho ho ho ho !

Elle se mit à rire en couvrant sa bouche, c’était si exagéré qu’elle paraissait jouer la comédie, sûrement imitait-elle les grandes dames élégantes.

En tout cas, j’avais peur de comprendre à quels genres d’utilisations elle pouvait se référer…

Alors que je l’observais sans mot dire, elle frappa ses mains l’une contre l’autre et annonça :

— Si tu as fini mon chéri d’amour, je te propose que tu te prépares à sortir. Aujourd’hui, nous allons sortir un peu tous les deux.

— Sortir ? Tu veux dire…

— Oui, un rendez-vous galant. Y aurait-il un problème, mon amour ?

Elle me porta à nouveau un regard innocent auquel je ne pouvais croire. Ses yeux marron étaient si profonds et semblaient si inoffensifs.

Comment un fauve comme elle pouvait dissimuler si facilement ses intentions ?

Cette fille était réellement incroyable. Même si je n’avais pas envie d’accepter, pour diverses raisons, dont le fait qu’elle puisse me forcer à le faire, j’ai fini par céder à sa demande.

— Non, pas de problèmes… Par contre, j’ai une condition. Pendant toute la durée, arrête les harcèlements sexuels, OK ?

— Ah ? C’est l’image que tu as donc de moi ? C’est un peu triste…

Tu étais réellement surprise de cette image, après tout ce que tu dis et fais ?

Elle prit quelques secondes de réflexion, puis m’annonça :

— J’ai bien compris. Aujourd’hui, je vais être ta petite amie idéale. Demain, tu seras tellement fan de moi que tu me feras ta déclaration de mariage, tu verras.

Sur ces mots, elle commença de suite à se comporter de manière « non perverse » et m’incita à aller me changer dans la salle de bain.

Suite à quoi, nous quittions l’appartement.

***

La première destination fut l’aquarium.

Bien sûr, il s’agissait du souhait d’Eri, je ne voulais pas me rendre dans un terrain consacré aux couples, mais je n’eus pas le choix, j’avais promis.

Puisqu’elle n’avait pas rompu sa propre promesse, je ne pouvais pas refuser sa proposition, c’était aussi simple que cela.

Au lieu de se conduire comme l’habituelle lycéenne perverse, elle avait adopté une attitude de lycéenne amoureuse. Elle tenait certes ma main, mais elle ne tentait rien de plus (en général, j’ose à peine imaginer où elle aurait posé ma main ou la sienne).

Au regard des inconnus, nul doute que nous passions pour un vrai couple. C’était aussi embarrassant au final que les choses perverses qu’elle m’avait habitué à subir, mais bien plus moral cela dit. J’aurais réellement préféré rester à la maison…

Toutefois, je reconnais que cette Eri plus normale était très séduisante. A cause de son caractère habituel, je n’avais pas remarqué à quel point son visage pouvait être beau et sa voix douce.

Difficile de croire que cette Eri que je voyais en ce jour n’était qu’un mensonge pour me faire plaisir…

Je me demandais à nouveau laquelle des deux était la vraie ?

En effet, ne se pouvait-il pas qu’elle mente au quotidien et que la vraie Eri fût celle douce et gentille que j’avais à mes côtés en ce jour ?

Pendant notre périple dans l’aquarium, elle regardait les poissons avec des yeux d’enfants, elle était émerveillée comme si elle les voyait pour la première fois.

Aussi, je ne pus m’empêcher de lui demander :

— Tu aimes à ce point les poissons ?

— J’aime tous les animaux, me répondit-elle sans hésiter.

— Impressionnant. Et les humains ?

— En général, je ne les aime pas trop. Tu sais que c’est une question plutôt étrange en plein rendez-vous amoureux ? Tu ne serais pas du genre pas doué avec les filles, mon chéri ?

— Ça m’importe peu d’être bon ou pas bon pour ce genre de domaine…, rétorquai-je en levant mes épaules et en détournant le regard.

En vrai, j’étais un peu vexé, surtout venant de sa part, elle qui me harcelait sans cesse ; le faisait-elle juste pour s’amuser, puisque j’étais aussi nul que ça avec les filles ? C’était ce que je me demandais.

— Tu es si mignon !

— Je suis pas mignon !

Elle se moquait réellement de moi, impossible d’interpréter ce comportement autrement.

Elle rit un petit instant, puis me lâcha la main et, en s’approchant d’une paroi en verre, elle m’expliqua :

— Je voulais y venir depuis enfant, c’est pour ça que je suis si excitée. Désolée, Ren-kun.

— Il n’y avait pas d’aquarium dans ta ville natale ?

— Non, il n’y en avait pas. C’est un petit village, rien de bien impressionnant. Ça te dirait qu’on s’assoit ?

La discussion se poursuivit une fois assis sur un banc voisin, en face de l’aquarium de petits poissons colorés. Autour de nous, des couples discutaient de manière plus ou moins amoureuse.

— En réalité, je n’ai déménagé à Tokyo que récemment. A peu près un an… Auparavant, je vivais avec ma famille à Hokkaido.

Je remarquais que le visage d’Eri était devenu triste, c’était bien la première fois qu’elle était comme cela.

— Euh… Eri ? Si tu ne veux pas parler du passé, pas de souci.

— C’est bon, puisqu’il s’agit de toi. Tu ne veux pas l’entendre, peut-être ?

— Non, au contraire, mais j’ai quelques petites questions avant… si tu veux bien ?

Elle acquiesça tendrement et attendit mes questions :

— Pourquoi, moi ? Dès notre première rencontre, tu as commencé à me harceler et te moquer de moi. Y a-t-il une raison particulière ?

— Faut-il une raison pour aimer ou détester quelqu’un ?

Un sourire un peu faiblard apparut sur son visage, mais sa question répondait en un sens à la mienne. Je ne comptais pas lui en demander plus, mais c’est elle qui continua de m’expliquer :

— Tu es différent des autres, tu sembles plus gentil et plus intéressant, c’est ce que j’ai immédiatement pensé quand je t’ai rencontré. C’est difficile à expliquer, je ne suis même pas sûre moi-même… Je pense qu’on pourrait dire qu’il s’agissait d’un coup de foudre, j’étais convaincue dès le début que tu étais mon genre, et je ne me suis pas trompée.

Cela ressemblait carrément à une déclaration, non ?

Enfin, je veux dire, elle avouait avoir des sentiments pour moi, donc c’en était une, forcément !

Je sais que cette sensiblerie paraît étrange après tout ce qu’elle a bien pu me dire. Est-il légitime d’être embarrassé et ému d’une déclaration venant d’une fille qui avait déjà dit vouloir avoir des enfants avec moi ? En soi, je comprends que ma réaction était stupide, mais je ne pus empêcher mon cœur de battre la chamade et mes joues de rougir.

Peut-être était-ce parce que pour la première fois je ressentais vraiment ses sentiments ?

Ou alors était-ce parce que dans ma vie, c’était sûrement la première fois qu’une fille me les transmettait de manière si franche ?

Que devais-je lui répondre au juste ?

S’il s’était agi de l’Eri habituelle j’aurais pensé à une blague et j’aurais refusé en adéquation, mais là…

Cette Eri, je n’avais pas envie de lui faire du mal, je n’avais pas envie de lui briser le cœur, surtout après cette expression triste que je lui avais vu.

— Euh…Euh…

Les mots ne voulaient pas sortir, j’aurais voulu mourir en cet instant tellement les doutes et mon incompétence m’affligeaient.

— Pas la peine de répondre, mon chéri. C’est bon, je n’ai pas besoin de réponse pour le moment. Je t’aime et ça ne changera pas. Les sorcières ont l’amour et la rancune longue, tu ne le savais pas ? Attends-toi à ce que je te suive jusqu’à la mort et au-delà.

— Eh ! Mais… mais…

— Même si tu choisis un jour une autre traînée, ce n’est pas un problème, je deviendrai ta maîtresse et resterai à tes côtés.

Elle se mit à rire comme s’il s’agissait d’une blague, néanmoins je n’arrivais pas à savoir si c’en était bel et bien une, aussi je ne pus que rire de manière crispée.

Je pense que ce sujet est vraiment glissant à bien des niveaux, quelle que soit l’Eri, elle ne changeait pas d’avis à ce sujet, elle était prête à s’imposer dans ma vie que je le veuille ou non. Au moins, on ne pouvait lui reprocher son inconstance, elle avait les idées claires quant à ce qu’elle désirait.

Je préférais néanmoins changer de sujet et passer à la question suivante :

— Selena m’a parlé d’une marque liée à la prophétie… Tu en as une aussi ?

— Ah, ça ?! Bien sûr, tu veux la voir ?

J’acquiesçai, ça m’intriguait trop. Elle sourit, puis commença à retirer le ruban qui fermait le col de sa robe.

— Arrête !! Tu avais promis que tu ne ferais rien !

— C’est vrai que j’ai promis, mais c’est toi qui as demandé à la voir. Ma marque se trouve entre mes seins, si tu souhaites la voir je suis obligé d’ouvrir un peu…

— Quoi ? A un tel endroit ? C’est bon ça ira, je reviens sur ce que j’ai dit, je n’ai plus envie de la voir.

— C’est méchant ! Comparés aux poitrines de Selena et Mana, la mienne est bien plus jolie…

— C’est pas le problème ! Tu n’as pas vu où nous nous trouvons ? Ça ne te gêne pas un peu ?

— Pas du tout ! Ce ne sont que des humains ordinaires, il n’y a pas de quoi en faire tout un foin. Mais bon, j’ai promis de rester sage aujourd’hui, si tu ne veux pas, je n’en ferais rien.

C’était moins une ! Je ne voulais pas le tester, mais probablement qu’elle aurait accepté de se mettre nue en ce lieu public, si je lui le demandais. Elle avait aussi peu de pudeur ? Ou alors… Etait-ce, comme elle venait de le signifier, sa considération des êtres humains qui était si basse qu’elle ne pouvait se sentir embarrassée ?

Dans les deux cas, j’étais passé à deux doigts d’un drame…

— Merci de ne pas rompre ta promesse et d’avoir accepté de ne pas me la montrer. Au fait, j’y pense, Selena aussi a refusé… La sienne est où ?

— Selena ?

Eri explosa de rire, elle se tordait littéralement. Je ne pouvais l’accompagner, malheureusement puisque j’en ignorais la cause.

Il me fallut attendre quelques temps avant qu’elle reprenne son sérieux et qu’elle m’explique :

— Celle de Selena se trouve sur sa fesse droite. J’imagine la tête qu’elle a dû faire lorsque tu lui as demandé de te la montrer… Avec son caractère de Sainte Nitouche, ça a dû être très drôle ! Ah, tiens ! Si tu te poses la question, celle de Mana est sur le pied.

— Ouais, ce ne fut pas facile… Merci pour l’explication, en tout cas. Cette marque, elle est liée à votre passé à toutes les trois, non ? Tu proposais de m’expliquer, est-ce que ça se dérange de reprendre ?

— Bien sûr que non, sinon je n’aurais pas proposé. Par contre, je te préviens que ce ne sera pas vraiment une histoire amusante… Ça te dirait de nous promener en même temps que je te raconte ?

— Pas de souci…

A la manière d’un couple, Eri me prit la main et se rapprocha de moi, puis nous commençâmes à nous promener.

Bien sûr, ma première réaction était orientée vers la fuite, mais puisqu’elle avait jusque lors si bien tenu promesse, je décidais de lui faire confiance. Puis, il y avait quelque chose de différent en elle, comme si elle dégageait une autre aura que celle habituelle…

— Cela ne fait que deux ans que mes pouvoirs se sont dévoilés. Au début, seuls mes parents étaient au courant, même mes frères et sœurs n’en savaient rien.

— Tu as combien de frères et sœurs, Eri ?

— J’ai une petite sœur et trois petits frères, je suis l’aînée.

— Vous êtes nombreux… Je me suis toujours demandé si ce n’est pas trop pénible d’en avoir autant ?

— C’est vrai que nous sommes nombreux en famille. Ha ha ha !

Elle se mit à rire de manière un peu crispée, je compris enfin que cette aura qu’elle dégageait et qui différait par rapport à son habitude, c’était de la tristesse, ni plus ni moins.

D’ailleurs, la suite du récit n’était pas joyeuse, je la laissais continuer sans l’interrompre.

— En vrai, à cette époque je pensais que c’était pénible, mais je pense qu’ils sont tous de gentils personne, que ce soit mes parents ou mes frères et sœurs. Je ne connais pas mes vies antérieures, mais je pense que l’origine de mon âme, ma première vie, était plutôt puissante. A mesure que j’utilisais ma magie, je me remémorais mes pouvoirs comme s’ils étaient inscrits en moi depuis toujours.

      La paix ne dura qu’un court instant au final. Un jour, pour sauver l’un de mes petits frères, j’ai utilisé mes pouvoirs de soins devant témoin. Je n’avais pas vraiment le choix, c’était un accident, il n’aurait sûrement pas tenu jusqu’à l’hôpital… J’ai donc utilisé ma magie, ses plaies se sont refermées sous le regard ébahi des villageois présents. A mon grand étonnement, ils prirent la chose plutôt bien, ils réagirent avec gentillesse. Je pensai simplement qu’ils devaient avoir compris que ce genre de magie était bénéfique pour tous. J’étais bien naïve…

      Que ce soit par peur, par haine ou jalousie, je ne connais pas la raison exacte, mais personne ne me dit rien, personne n’afficha la moindre réaction en ma présence. Mais, au final, leur attitude changea dans mon dos, ce n’était que de l’hypocrisie. Le magasin de mon père se vida soudain, plus personne ne venait acheter et les comptes devinrent rapidement inquiétants. A l’école, tout le monde m’évitait, m’ignorait ou me tourmentait. Au final, en un rien de temps, nous sommes devenus pauvres et j’ai dû arrêter d’aller à l’école.

      Mes parents étaient vraiment trop adorables, même dans une telle situation, ils ne m’ont jamais rien reproché et ne m’ont fait ressentir aucune culpabilité. A cette époque, je me détestais vraiment, moi et mes pouvoirs surnaturels. Les économies de la famille commençaient à s’approcher du zéro, mon père décida qu’il était temps pour nous de déménager…

Je ne pouvais lire sur le visage d’Eri sa peine et sa douleur, mais je sentais qu’il y avait un malaise évident, sa tristesse transparaissait dans son comportement général inhabituel. Elle marchait en regardant par terre et semblait bien trop sérieuse pour être elle.

— Mais le jour avant notre déménagement, un inquisiteur est venu au village. Est-ce qu’un villageois les aurait prévenus ou alors était-ce juste un hasard ? En tout cas, c’était une sacrée malchance.  Il m’a attrapé, mon père a essayé de me défendre, mais il a été tué. Je suis devenue folle et je l’ai dépecé avec mes pouvoirs, mais j’ai été incapable de soigner mon cher père.

— Je suis vraiment désolé de te rappeler de si mauvais souvenirs…

— Je t’ai dit que c’était bon, à toi ça ne me dérange pas d’en parler. Merci pour ton inquiétude, mon amour. Tu veux que je poursuive ?

— Bien sûr !

Tout en parlant, nous venions de quitter l’aquarium, même si nous étions au cours de la Golden Week, ce n’était pas si encombré… chose étonnante, par ailleurs.

— Suite à ces événements, nous avons déménagé de force, même s’il serait plus juste d’appeler ça une fuite. Cette fois, je me suis montrée plus prudente, j’ai bien mieux réussi à cacher mes pouvoirs. Mais, cette farce ne pouvait durer plus longtemps, pas après ce qui s’était passé. L’Inquisition était au courant de mon existence de toute manière, je n’avais aucun doute sur le fait qu’ils étaient à mes trousses. Peu importe où je me cacherais, ils finiraient par me retrouver, tôt ou tard.

      Pour éviter de perdre un membre de ma famille une fois de plus, j’ai décidé que le mieux était de m’éloigner d’eux. J’ai cherché une école à la Capitale, l’endroit où il serait finalement le plus difficile de me retrouver et j’ai fini par trouver une association qui m’a fourni une bourse d’étude pour compenser la pauvreté de ma famille et c’est comme ça que je suis arrivée ici…

— Une association ? C’est bien ce que tu as dit ?

— Ouais, c’est bien ça. Un problème ?

— Non, t’inquiète…

Ce n’était pas la première fois que j’entendais parler de cette fameuse bourse d’étude financée par une association, c’était également le cas de Selena.

— L’an dernier, j’ai rejoint le club de sorcellerie où j’ai rencontré Mana. Grâce à elle, j’ai compris ce que voulait dire cette marque imprimée sur mon corps et tout un tas de choses sur la magie. Contrairement à elle, je n’avais jamais eu accès à une vraie source d’information sur le sujet, juste les racontars de paysans.

— Et c’est ainsi qu’on en arrive à cette histoire de prophétie, pas vrai ?

— Tout à fait ! Répondit-elle avec enthousiasme.

Elle marqua une courte pause pendant laquelle elle observa devant elle la route, mais son regard cherchait quelque chose au-delà, au-delà de la matière et du temps.

Puis, elle finit par m’avouer :

— Au final, j’ai un peu peur aussi de cette prophétie…

— Ah bon ? Toi aussi ?

— Oui… Construire un nouveau monde, ça implique de détruire l’ancien, n’est-ce pas ?

— Tu le penses aussi… ? Pourquoi tu m’en parles que maintenant ?

— Parce que je ne crois pas à l’explication de Mana.

— Laquelle ?

— Je veux manger une crêpe, on va par-là ?

Je ne m’y opposais pas, encore moins après ce tragique récit, aussi nous sommes allés acheter des crêpes non loin de la place où nous nous trouvions.

Puis, nous sommes allés nous asseoir sur un banc dans le parc à proximité, nous ressemblions vraiment à un couple, j’en suis sûr. Je suppose aussi que nombre d’hommes devaient m’en vouloir et me jalouser d’avoir à mon bras une fille si belle et si douce (ils ne connaissaient pas l’Eri habituelle, cela dit, normal qu’ils puissent penser ce genre de choses).

— Délicieux !! Et la tienne, mon chéri ? Elle est comment ? Je peux ?

Je n’eus pas vraiment le temps de répondre qu’elle approcha sa bouche et prit une bouchée d’une morsure presque enfantine ; elle avait agi comme n’importe quelle petite amie normale, je suppose. Je ne pus m’empêcher de rougir, c’était gênant de partager ainsi notre nourriture, cela faisait vraiment trop couple !

— Euh…Je t’en prie… même si ma réponse est inutile au final, non ?

— Merci, mon chéri ! La tienne aussi est délicieuse, vraiment ! Aujourd’hui, je suis une fille gâtée, j’ai eu un baiser indirect et direct, quelle joie !

C’était une manière plutôt mignonne de dire les choses, même si le contenu de cette phrase me perturbait vraiment. Au final, n’avait-elle pas avancé un peu trop dans son projet de séduction ? Quelle serait l’étape suivante ? Devais-je m’attendre à pire qu’avant ?

Cela dit, en cette journée, après cette histoire, je n’avais pas le cœur à lui en vouloir de quoi que ce soit.

— Alors, de quelle explication tu parlais, Eri ? Lui demandai-je pour reprendre la discussion là où nous l’avions laissée.

Tout en mangeant, elle répondit à ma curiosité.

— C’est assez simple. Selon Mana, nous pourrions arriver à révolutionner le monde sans avoir à détruire quoi que ce soit. Je confesse qu’au fond, je me préoccupe surtout et exclusivement de ma famille dans cette histoire, les autres je m’en fiche pas mal.

— Réellement ?

— Désolé de le dire franchement, mais oui.

En silence, elle continua de manger sa crêpe.

C’était sûrement le moment parfait pour lui poser des questions auxquelles je voulais une réponse, puisque nous étions tous les deux uniquement, mais j’avoue qu’après tout ce qu’elle m’avait raconté, je n’avais plus le cœur à ce faire.

— Il commence à se faire tard, mon chéri. Pour aujourd’hui, ça me suffira. Un grand merci, c’était très amusant.

Elle se leva et tourna vers moi un visage adorable.

— Attends un peu, Eri. J’ai juste une dernière question…

— Oui ? Me demanda-t-elle en penchant sa tête de côté et en inclinant son corps en avant.

— Laquelle des deux Eri est la vraie ?

J’avoue que je m’étonne un peu d’avoir trouvé le courage de la questionner aussi franchement, mais cette interrogation me tourmentait depuis un long moment ; je voulais vraiment savoir.

Elle leva les yeux comme si elle réfléchissait à sa réponse, puis soudain elle afficha un sourire radieux.

— A ton avis, mon chéri ?

— Ne réponds pas à une question par une question !

Elle se mit à rire, puis elle me répondit une seconde fois la même chose :

— A ton avis, c’est laquelle ?

— Celle d’aujourd’hui, celle qui ne passe pas son temps à dire des choses perverses et qui est adorable, je suppose. Pourquoi tu joues toujours ce mauvais rôle ? Pourquoi tu dis toujours des choses insensées alors que ce n’est pas toi ? Celle que tu es réellement est bien plus merveilleuse, je le pense vraiment.

— C’est ce que tu penses alors…? S’interrogea-t-elle à haute voix perplexe. Je vais rentrer. A bientôt, mon chéri.

Elle me salua de la main et s’en alla. Elle ressemblait en tout point à une lycéenne normale. Je restais sur le banc pour réfléchir à ce que je venais d’apprendre.

Elle ne voulait vraiment pas répondre à ma question concernant sa personnalité… J’avais essayé de l’encourager en la félicitant, mais je me demandais soudain si j’avais fait la bonne chose.

J’avais supposé cette Eri être la vraie, mais si ce n’était pas le cas, j’avais été bien rude entre l’autre, non ?

Je secouais la tête en proie à de cruels doutes, puis soupirais fatigué de me torturer.

En tout cas, la véritable Eri était une fille bien, intéressante et attirante. Pourquoi jouer ce rôle détestable ?

C’est en me posant cette question en boucle et en cherchant des réponses logiques conformément à ce qu’elle m’avait expliqué de son passé que je finis par rentrer chez moi.

En rentrant, mes yeux se portèrent sur la plante-familier d’Eri qu’elle avait laissé à l’appartement.

— C’est un piège, c’est ça ? Tu as laissé volontairement ton familier ici pour faire irruption cette nuit, avoue ! M’écriai-je tout seul, la suspectant en un sens de pouvoir m’entendre à travers elle.

Mais, cette nuit-là, elle ne revint pas…

Incantation III

Le lendemain soir, pendant mon dîner, soudain, deux personnes en costume noir entrèrent en fracassant ma porte d’entrée.

J’étais si surpris que je ne pus réagir. Qui s’attend à se faire agresser chez lui, un jour comme tant d’autres, alors qu’il mange paisiblement devant la télévision ?

En tout cas, je n’étais pas assez paranoïaque pour adopter ce mode de pensée.

Ils me saisirent sans rien expliquer, sans mot dire, et me jetèrent dans une grosse voiture étrangère. En fait, j’ai commencé à me débattre lorsqu’ils m’ont sorti de l’appartement, je me souviens que j’avais encore mes baguettes en main et j’ai essayé de hurler, mais l’un des deux m’a mis quelque chose en bouche pour m’en empêcher.

En arrivant dans la voiture, ils me ligotèrent pendant que nous faisions route vers un endroit qui m’était inconnu. L’un de mes deux tortionnaires était un homme de grande taille, l’autre une femme aux cheveux attachés en queue de cheval. Les deux portaient des lunettes et semblaient tout droit sortis d’un film de conspiration.

Lorsque la voiture s’arrêta, ils me saisirent à nouveau et m’amenèrent dans ce qui me parut être un château, tant cette maison était gigantesque. C’était une architecture ancienne, occidentale, une énorme bâtisse faite de pierres taillées et entourée d’un immense jardin.

Après un dédale de pièces et de couloirs, ils me posèrent au sol et défirent mes liens.

— Eh ! Qu’est-ce qui se passe ici ? Vous me voulez quoi au juste ? Répondez ! Demandai-je avec colère et mépris.

Étonnamment, je me surpris d’avoir le courage de m’opposer à eux. Sûrement qu’après avoir été ligoté tellement de fois par les filles je commençais à ne plus me sentir autant menacer qu’auparavant et, même si c’était infondé, je ne pensais pas qu’ils m’auraient simplement tuer ou ruer de coups.

De toute manière, quel intérêt de tuer quelqu’un qu’on a pris le temps d’enlever ? Par contre, il est vrai que l’éventualité d’une torture était envisageable, sauf qu’ils venaient de me libérer, ce qui voulait dire que ce n’était pas leur intention non plus.

Au lieu de me répondre, ils quittèrent la pièce, — aussi grande que mon appartement tout entier,— et laissèrent place à une tierce personne.

— Vous auriez préféré que je vous fasse retirer également vos vêtements, peut-être ? Cependant, cette fois Kanai-san n’est guère présente, vous n’y verriez probablement nul intérêt à vous dévêtir, n’est-il point ?

— Laisse mes vêtements tranquilles, Mana !

Même si la pièce était obscure, cette voix ne pouvait me tromper : monocorde, comme morte en son for intérieur, c’était bien Mana.

Lorsqu’elle entra dans la lumière, je vis ses yeux, impassibles comme le marbre, me dévisager. Elle portait cette fois encore des vêtements gothiques, une longue robe noire avec des froufrous, des bottes en cuir montantes, quelques bagues et pendentifs. Ses cheveux étaient noués en une queue de cheval, comme d’habitude.

Puisqu’il s’agissait d’une maison à l’occidentale, il n’était pas choquant de lui voir porter d’imposantes bottes en intérieur ; il n’y avait que moi qui était déchaussé, ayant été arraché de mon domicile. Ce qui était plus perturbant, c’était de la voir maquillée plus qu’à l’école. Outre son eyeliner qui rendait son regard plus profond et ténébreux, elle avait un rouge à lèvre noir.

Tout le monde l’aurait prise pour une gothique dans la rue, mais en réalité elle était au-delà de cela ; elle aurait pu être considérée comme une sainte ou une déesse au sein de cette culture puisqu’elle était une puissante nécromancienne. Elle correspondait bien à l’image qu’on se faisait de ce genre de « profession », en tout cas.

L’intérieur de cette pièce que j’ai déjà décrite comme vraiment grande n’était pas sans rappeler un château occidental, tout était en pierre de couleur gris clair. Il y avait un lustre qui pendait du plafond,  les vitres ressemblaient davantage à des vitraux et, tout le long des murs, il y avait des portraits et des statues.

C’était résolument un endroit de grand luxe et de grande richesse. J’étais prévenu que Mana était riche, mais c’était la première fois que j’entrai dans un tel faste.

— On est où au fait, Mana ?

— Chez moi, répondit-elle froidement.

Je connaissais déjà la réponse, je ne sais même pas pourquoi j’avais posé une telle question, à vrai dire. Souvent lorsque j’avais vu des personnages de films ou manga agir comme je venais de le faire, je m’étais moqué d’eux, mais finalement, après avoir été enlevé à l’improviste, je faisais comme eux… D’autant que là, la réponse était évidente. Suis-je plus stupide que ce que je pensais, au final ?

— Comme l’a dit Eri, t’es vraiment une riche…

Apparemment, le sens de l’urgence et du danger avait disparu en moi. Au lieu de lui demander « pourquoi ? », je me contentais de faire cette réflexion en admirant la salle ; quant à elle, elle me fixait de son regard impassible. Lorsque je m’en rendis compte, je ne pus m’empêcher de me sentir mal à l’aise.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi ce regard ?

— Il s’agit de ma façon habituelle de vous regarder, non ?

— Ouais, je sais, mais pourquoi tu me dévisages, c’est assez gênant en fait… Ah ! J’oubliais l’essentiel ! Pourquoi suis-je ici ?

Enfin la question, qui aurait dû être la première, quitta ma gorge et jaillit de mes lèvres. Néanmoins…

— Parce que j’ai demandé à ce qu’on vous y amène.

La réponse était logique et ne répondais pas réellement à mes attentes, mais j’aurais dû m’y attendre venant de Mana.

— Je veux dire, pourquoi tu m’as fait amener ici ? Tu me veux quoi ?

Je la fixais dans les yeux pour appuyer ma demande, je voulais vraiment une réponse. Néanmoins, à sa vue, les événements survenus dans ma tente cette nuit-là me revinrent à l’esprit. Elle paraissait si différente de celle que j’avais devant moi… plus douce, plus accessible, plus affectueuse en un sens. Mon visage rougit malgré moi.

— Puisque nous sommes encore en période de vacances scolaires, j’ai souhaité vous enseigner quelques éléments concernant le monde de la magie.

— Quel genre ? Et surtout pourquoi tu ne m’as pas envoyé une simple invitation, comme une personne civilisée ?

— En effet, une telle possibilité existait, vous m’envoyez navrée de ne point y avoir penser. L’ordre qui fut mien était : « Ramenez-moi Ren-san, je vous prie », ce sont mes subordonnés qui ont décidé quant à la méthode à appliquer.

Je soupirais longuement. Le curieux monde dans lequel j’étais tombé malgré moi n’avait décidément plus aucune logique, ce constat était mien en cet instant.

— Bah, ce qui est fait est fait, n’y pensons plus…

J’abandonnais bien vite. Plus j’y pense, plus je me dis que mon esprit acceptait de plus en plus facilement le déroulement bizarre qu’avait pris ma vie.

En soupirant et en me levant, je lui dis :

— Bon, j’écoute tes explications.

A ses yeux, je n’étais sûrement qu’une roturier sans importance et signification, je ne m’attendais pas à ce qu’elle me dise en cet instant :

— Je vous prie d’accepter mes excuses quant à votre traitement et je ne parle pas que de celui que vous avez subi aujourd’hui.

Quoi ?! Je recevais des excuses de l’incompréhensible et indomptable reine Mana ?! Incroyable ! J’en restait bouché bée, je n’arrive plus à bouger, c’était comme si on m’avait foudroyé sur place.

Bien sûr, même si c’était des paroles d’excuses, son visage ne changea pas du tout, aucune expression ne pouvait s’y lire.

Ça ne ressemblait pas du tout à Mana de prononcer ce genre de paroles, ce fut un véritable choc.

Se pouvait-il qu’elle n’était pas aussi dénuée de sentiments qu’elle semblait l’être ? Qu’il y avait en vrai une fille sensible derrière cette expression imperturbable de poupée ?

— C’est bon, c’est  bon, pas la peine de t’excuser… c’est plus gênant qu’autre chose…

Elle m’observa en penchant sa tête de côté, puis finit par s’approcher.

— Concernant les explications, veuillez me suivre je vous prie. Vous pouvez porter les chaussures qui se trouvent à l’entrée de la pièce et même les garder.

Sans attendre de réponse de ma part, elle fit volte-face et s’en alla vers la sortie. Ce faisant, elle avait fait voler de ses cheveux une flagrance qui ne put que m’enivrer. On aurait eu tort de penser qu’une fille vêtue de noire ne dégage pas de puissants charmes, qu’elle n’affiche que tristesse et désespoir, c’était bien l’inverse.

Dès qu’il s’agit de femme, le genre masculin est vraiment faible, il est capable d’aimer presque tout, c’est ce que je pense. De prime abord, elle n’aurait jamais correspondu à mes goûts, mais difficile de ne pas être attiré par elle, malgré tout.

Sans faire d’histoires, je la suivi et enfilai les chaussures que les domestiques avaient laissé à l’entrée, une paire de chaussures de ville que je reconnus de suite comme étant d’une marque assez chère. Je me sentis de suite embarrassé.

— Tu veux vraiment que je porte ça ? C’est des ******, c’est super cher !

— Je n’en ai cure. Elles ont été amenées par mes domestiques, c’est du matériel consommable. Si elles vous plaisent, emportez-les avec vous, ce sera un petit dédommagement pour excuser la brusquerie de mes hommes. Suivez-moi, je vous prie.

Tout en croisant les bras, elle se remit en route dans le couloir d’un pas lent comme pour m’attendre. J’avais encore des appréhensions, ce n’était pas parce qu’elle était riche que je pouvais profiter de sa générosité ainsi, — même s’il fallait bien l’admettre j’aimais ce modèle que j’aurais voulu acheter mais que ma faible bourse de lycéen ne pouvait se permettre.

Finalement, me rendant compte qu’elle paraissait se lasser de son attente, je les mis au pied sans faire plus d’histoire et je la suivis.

 ***

— Qu’est-ce que c’est ? San…Sanctum ? Demandai-je en arrivant devant une épaisse porte en bois où étaient gravés ces mots en alphabet romain.

— Il s’agit d’un terme latin signifiant « sanctuaire », mais qui est également utilisé par les magiciens pour désigner leurs ateliers magiques.

— Ah bon ? Sanctuaire ? C’est comme une église où les magiciens prient le dieu de la magie ?

Mana tourna son visage vers moi, son expression était toujours aussi imperturbable, mais à force de la fréquenter, je crus y déceler comme un soupçon de reproche.

— Vous m’envoyez navrée de vous signaler qu’il n’existe guère un tel dieu. Par définition, la magie est une forme de transgression du pouvoir divin, l’hubris des mortels de modifier la création des dieux. Sanctum se réfère simplement au lieu de réunion des magiciens, mais surtout des lignes telluriques, également appelée « fey line » ou encore « node ». J’ai employé un terme qui vous a induit en erreur, veuillez m’en excuser je vous prie.

J’étais totalement perdu, il y avait trop de termes inconnus en langue étrangère pour un néophyte de mon acabit, ce genre de discussions étaient hors d’atteinte.

Sûrement s’en rendit-elle compte puisqu’elle précisa sans que je lui le demande :

—  Pour résumer, ce mot se réfère dans le cas actuel à un lieu de pouvoir. La magie y est plus forte qu’ailleurs.

— Ah ! d’accord ! Merci de me l’apprendre…

— Il est logique que vous ne disposiez de telles connaissances, votre éveil magique n’a eu lieu que récemment.

— Oui, c’est bien vrai ! commentai-je en me grattant l’arrière de la tête avec embarras. Mais bon, grâce à vous toutes, je commence à en savoir plus… Au début, c’était vraiment pénible, je t’assure.

Encore une fois, je m’inquiétais intérieurement d’accepter finalement si bien ma situation. Non, ce n’était pas pénible, c’était l’enfer ! Et non ! Je ne voulais pas en savoir plus sur la magie, je voulais qu’on me fiche la paix !

Mana me dévisagea à nouveau, un peu comme si elle avait lu mes pensées. Elle me demanda :

— Vous commencez enfin à nous faire confiance ?

— Ce n’est pas ce que je dirais…, répondis-je en détournant le regard et en rougissant. Mais… bon… plus que confiance… enfin… disons que j’ai pas trop le choix, pas vrai ? Que j’aime ou pas ma situation, la magie est réelle, pas vrai ? J’ai vu des incantations, des rituels, tout un tas de choses…

En effet, à ce stade difficile de nier l’existence de l’occulte. Même mon appartenance à ce monde, revendiquée et forcée par ces filles, ne me semblait plus si improbable.

— Je vois… Veuillez me suivre, je vous prie.

Cette maison était réellement digne d’un château, il y avait des couloirs partout, des pièces… j’en avais perdu le compte rapidement à mesure que nous nous perdions dans ce labyrinthe. Tout était en pierre, les décorations et le mobilier, tout cela donnait un air ancien, un manoir digne d’un film d’horreur ou d’une famille aristocrate des anciens temps.

Nul doute que tout seul, je me serais perdu maintes et maintes fois avant d’arriver devant cette porte.

En parlant de celle-ci, il s’agissait d’une imposante porte en bois massif, ferrée, ornée de nombre de reliefs et surtout marquée de symboles magiques. Si j’avais été dans un RPG, cette porte aurait été l’entrée de l’antre du grand méchant, c’était évident. En un sens, ce n’était pas si différent dans le cas présent, puisque Mana m’avait expliqué que derrière celle-ci se trouvait une puissante magie.

— Euh… c’est quoi tous ces symboles ? Me hasardai-je à demander.

—  Il s’agit d’une zone de confinement et de sceaux magiques de protection.

Comme toujours avec Mana, des explications précises.

— Euh… tu veux dire que derrière cette porte se trouve un monde parallèle ? C’est comme dans les mangas et les light novels ? Ou bien un puissant monstre qui risque de détruire le monde si on le sort de sa prison ?

Une fois de plus, son regard impassible m’évoqua le reproche, je ne sais si c’est une impression propre me rendant compte des idioties que j’avais déblatérées en cet instant ou si c’était réellement le cas.

Je m’étais certes emporté, mais la situation m’évoquait vraiment une œuvre de fiction. Depuis que je les connaissais, c’était sûrement la première fois que je me sentais dans un monde si différent, mais probablement était-ce provoqué par le manoir qui était un édifice d’un autre temps… et d’une autre condition sociale que la mienne.

— Il ne s’agit certes pas d’un monde parallèle à proprement parler, mais derrière cette porte se trouve la survivance de la magie de l’ancien temps. Je voulais vous montrer ce que nous autres sorcières et magiciens avons perdu. Ces sceaux protègent cet endroit des influences néfastes du rationalisme moderne.

— Le rationalisme moderne?

— Dans le monde moderne, les roturiers ne croient plus à la magie, c’est pourquoi sa puissance s’est peu à peu amoindrie en puissance et en présence. Cela est induit par la prolifération des idéaux scientifiques qui ont détruit les croyances surnaturelles d’antan. Ainsi, alors qu’autrefois lorsque le commun des mortels croyaient en l’existence de dragons, de vampires, de démons et de fées, ces dernières partageaient le même monde, à cause de la Science ils ont lentement disparus.

— Donc si la magie disparaît les êtres surnaturels aussi ? J’ai bien compris ? Demandai-je.

En effet, c’était un peu bizarre comme relation de cause-effet mais les filles l’avaient plus ou moins sous-entendu par le passé. Si on pouvait faire disparaître quelqu’un simplement en le désirant, c’était tout de même effroyable, non ? Qui n’a jamais attiré l’inimitié et la rancœur ?

D’ailleurs, pourquoi cela ne marchait que dans un sens ? Si les fées s’étaient mises à espérer la disparition de l’Humanité, cette dernière n’aurait-elle pas dû disparaître ?

C’était des interrogations soudaines qui s’imposèrent à mon esprit.

— La magie est la volonté du monde, les êtres vivants sa conscience. Tout est défini par la volonté, ni plus ni moins. Les créatures dotées de pouvoirs sont simplement des existences supérieures qui arrivent à imposer leur vouloir sur les règles communément admises, mais si le commun des mortels se met à croire en une chose qui va à l’encontre des lois établies, les lois changent elle-même pour devenir la normalité. Dans les lois admises par la science, la magie et l’occulte n’avaient plus leur place, ainsi les créatures surnaturelles ont péri peu à peu.

Un silence qui parut interminable s’instaura à ce moment-là de la discussion, je ne savais pas que lui répondre, cette théorie qu’elle avançait était pour le moins surprenante.

— C’est assez perturbant ce que tu me dis là… j’ai peur de comprendre… Tu insinues que les lois de la physique sont fausses ?

En effet, c’était ce que j’avais déduit de son explication.

En principe, la Science explique les lois du monde. Si Mna affirmait que ces lois n’étaient pas des révélations, mais une réécriture de celles existantes, cela signifiait donc qu’il n’y avait pas de vérité, que même ces choses admises comme certaines ne l’étaient finalement pas.

— C’est bel et bien ce que j’ai expliqué, Mizuno-san. Vous vous dites sûrement que je mens ou fabule, que, par exemple, la loi de la gravité est certaine, puisqu’il s’agit de l’attraction exercée par la matière et tout cela, mais la vérité est bien différente. La gravité a été une des premières lois universellement admises par les êtres vivants pour la simple et bonne raison qu’ils ne souhaitaient pas s’éloigner de la terre qui les avait vu naître. C’est leur peur inconsciente d’un ailleurs inconnu qui a crée cette règle. Les oiseaux pour leur part sont issus de créatures qui avaient éprouvé le désir de fuir et elles développèrent une manière pour se lever dans les airs sans aller à l’encontre des règles définies par l’ensemble.

— Ça s’applique même aux animaux ?!

— Bien sûr, n’ai-je pas mentionné « êtres vivants » ? Cependant, les animaux sont des existences disposant d’une volonté moins forte, ils ne vont jamais brutalement à l’encontre des règles du monde, puisqu’ils n’en ont pas la capacité. C’est ce que la Science a nommé l’Évolution, la volonté des espèces animales de s’imposer sur le monde.  Elle se fait par petits pas, progressivement et lentement, mais elle est bien présente.

— J’ai encore beaucoup de mal à croire à tout ça, c’est…

— … différent de ce que vos parents vous ont appris, n’est-il pas ? Les humains ne sont pas très différents des animaux en ce sens, la grande majorité n’a pas la volonté de s’opposer à l’ordre établi, elle suit les directives et l’exemple des puissants, c’est tout. Dans la guerre pour les croyances, les scientifiques ont réussi à exploiter la faiblesse du cœur humain pour redéfinir le monde selon leur vouloir.

Face à tout ce qu’elle m’expliquait, je n’avais plus de mots, j’avais l’impression de me réveiller d’un long rêve et de me rendre compte que rien de ce que j’avais cru réel n’avait jamais existé. Bien plus que surprenant, cette vision des choses était effrayante, je trouvais.

Une part de moi avait envie de la rejeter sous prétexte de saphisme, mais une autre part ne la remettait pas en doute comme si tout ce savoir faisait déjà partie de moi. Cette impression était au moins aussi effrayante, comme s’il y avait deux êtres opposés se définissant comme « moi ».

Elle poursuivit son explication de sa voix monocorde et tournant son visage de poupée immuable vers moi :

— Comme je l’expliquais, même si tous ont le potentiel de magie, tous n’ont pas la force suffisante pour aller au-delà de ce torrent de désir issu de la masse appelé souvent « bon sens ». Même nous autres sorcières ou magiciennes, nous avons besoin de longs entraînements ou de nombreuses réincarnations pour affiner notre force d’esprit jusqu’à développer de la magie. Pour « les jeunes âmes », ce potentiel inexpliqué et au-delà de toute espérance était terrifiant, ils vivaient dans un monde en perpétuel modification avec des êtres qui leur étaient supérieurs. Aussi lorsque la Science leur offrit le moyen de fermer les yeux et d’ignorer ce qui les dérangeait, ils cédèrent facilement et à leur insu ils détruisirent le monde dans lequel ils vivaient.

Je l’observais sans mot dire, je voulais m’exprimer, mais toute cette métaphysique m’échappait. Je n’étais pas un grand philosophe, je ne me posais pas habituellement ce genre de questions. En cet instant, j’avais l’impression qu’un gouffre nous séparait.

— Je suppose que mes propos vous ont importuné, Mizuno-san. Veuillez m’en excuser. L’âme de sorcière en vous saura les comprendre le moment venu. En attendant, pourrions-nous vous demander de nous suivre, je vous prie ?

Après avoir acquiescé, elle ouvrit la porte, un effet magique émit une sorte d’onde qui se répandit à travers le mur, puis je la suivis à l’intérieur.

L’intérieur ressemblait cette fois à une bibliothèque mystique issues d’un light novel ou d’un jeu : il y avait des étagères partout avec que de vieux livres reliés en cuir et tout ça, ainsi que des cristaux qui volaient de-ci de-là et diffusaient une lumière de couleur différente à chaque fois ; de plus, un sorte de filtre semblait filtrer ces mêmes couleurs donnant un air irréel.

Dans un film, cela n’aurait pas été dérangeant, mais mon cerveau éprouvait quelques difficultés à comprendre cette nouvelle palette.

La porte se referma derrière moi, Mana s’approcha :

— Bienvenue dans le Sanctum de ma famille. Mizuno-san. Parvenez-vous à ressentir le flux de magie ?

— Je ressens un étrange picotement dans le cou et une sensation dans le ventre… c’est ça ?

— Ce genre de sensation mal définie sont souvent liées à une forte présence de magie en un lieu ou à une présence surnaturelle puissante. Les humains ne sont pas capables de les expliquer, mais elles sont transmises par leurs perceptions inconscientes. Les animaux seraient incapables de rentrer dans ce Sanctum, leur instinct les met naturellement en garde.

— Les sorcières ne sont pas à l’aise avec les animaux ?

— Il faudrait davantage dire qu’ils ne sont pas à l’aise avec nous. A part les familiers qui sont des animaux dominés par l’esprit de la sorcière, ces derniers ne se laissent pas approcher facilement par nous autres, porteuses de magie. Plus nous sommes puissantes et plus cette règle s’applique.

— Eh !! J’en savais rien…

D’un autre côté, j’en savais si peu concernant les sorcières que ma remarque, sortie de ma gorge plus par réflexe que par conviction, me parut immédiatement ridicule.

Mana m’observa un instant, ce qui ne fit que croître mon embarras.

— Voudriez-vous en savoir plus sur le monde d’autrefois ?

Elle ne jugeait donc pas ma stupide réflexion, mais pensait déjà à autre chose. C’est rassuré que j’acquiesçais.

Elle se dirigea vers une étagère et saisit un livre qu’elle me tendit.

A peine posai-je le doigt dessus qu’il s’envola, ses pages se détachèrent et mirent à voler autour de nous. En un instant, notre environnement se modifia ; sûrement était-ce une illusion ou un souvenir directement envoyé dans mon esprit.

Au lieu de cette bibliothèque magique située dans un manoir au 21ème siècle, le décor était celui d’une ville médiévale européenne. Je ne suis pas très expert en la matière, impossible pour moi de réellement la situer, mais ce n’était assurément pas le Japon de jadis. C’était assez similaire à certains films que j’avais vu.

Quel que fut la magie mise en œuvre pour m’amener en cet endroit, elle était très réaliste, il ne s’agissait pas seulement du sens de la vue, tous mes sens étaient affectés : je sentais l’odeur nauséabonde de cette rue où se trouvaient des déchets alimentaires, mais aussi le sol boueux sous mes chaussures.

Au final, pour la première fois de ma vie, je me rendais compte que ce que nous considérons comme vrai ne tient qu’à peu, cette magie avait redéfini en quelques instants mon univers et il m’était impossible de le tenir pour autre chose que réel.

— C’est… incroyable… La magie permet de reproduire des scènes comme ça… ?

— Il ne s’agit pas que d’une illusion, le pouvoir de ce livre est le « changement de réalité ». Une fois une scène inscrite dans ses pages, il est capable de la rendre réelle, telle est son pouvoir.

— En tout cas, c’est incroyable…

Contrairement à moi qui avait sûrement des étoiles dans les yeux et qui était très enthousiaste, Mana était toujours aussi froide comme le marbre. Pas de changement de son côté. Sûrement était-elle habituée à ce genre de choses, ou alors c’était juste son naturel incapable de tout étonnement et démonstration de sentiments.

Elle me laissa le temps de m’extasier sur ce décor si vivant où se promenaient des gens, où je pouvais toucher des choses, mais pas interagir avec elles. En soi, c’était une expérience très proche d’un casque de réalité virtuelle, mais en plus immersif, mais avec moins d’interactions.

Finalement, après avoir un peu explorer les alentours, Mana m’annonça :

— Le nom de cet endroit a disparu avec les âges, le livre n’en donne aucune mentio. Néanmoins, l’époque devrait se situer aux alentours du 6ème siècle. Nous sommes dans le dit « âge sombre » de l’histoire de l’Europe, l’époque qui a succédé la chute de l’Empire Romain. Il y a très peu d’informations sur cette époque puisqu’il y avait un manque d’écrits suite à la chute de l’Empire, l’Europe a connu une régression à cette époque. Je vous donne des informations sommaires, vous êtes priés d’aller consulter les livres d’histoire pour en savoir plus.

Comme toujours avec Mana, les explications étaient précises, mais froidement logiques. En un sens, j’avais l’impression parfois d’écouter parler un robot ou un androïde de film de science-fiction.

— Cependant ce que vous ne trouverez guère dans ces ouvrages de références, c’est le fait qu’il existait en cette époque une menace qui avait envahi l’Europe : les fées des ténèbres. En réalité, l’Empire Romain n’est pas tombé uniquement suite aux invasions humains, mais il a surtout perdu contre cet ennemi-là. L’Humanité a depuis lors oublié leur présence, elle s’est contentée une fois de plus d’oublier plutôt que d’apprendre.

En effet, je n’avais jamais lu ce genre d’informations où que ce soit. Je suis presque sûr qu’aucun site conspirationniste ne fait référence à des fées ténébreuses.

— Pourquoi les livres n’en parlent pas ? Enfin, je veux dire, pourquoi l’avoir oublié ?

— Comme je vous le disais précédemment, les personnes dénuées de pouvoirs les craignent et ne veulent pas les accepter, c’est une réaction de défense psychologique basique, je suppose. Comparer à la grandeur de la magie, les êtres humains sont finalement bien peu de choses.

Mana passa une de ses mèches rebelles derrière son oreille et tout aussi froidement continua d’expliquer :

— Même la religion chrétienne admet « qu’au commencement était le Verbe,  et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Tout par lui a été fait, et sans lui n’a été fait rien de ce qui existe. ». Ce qu’elle appelle le verbe est la Magie des Noms, la Volonté Originelle qui nomma les choses et les créa.

Donc les sorcières connaissaient également les textes sacrés et étaient capables de les citer par cœur ? En soi, ce n’était sûrement pas très impressionnant considérant le fait qu’elles étaient ennemis de l’Inquisition depuis des siècles, mais je n’avais jamais parlé avec quelqu’un capable de les citer de la sorte.

Mon intuition me disait que ce n’était pas le cas de tous les magiciens, sûrement qu’Eli et Selena en auraient été incapables.

— Tu es capable de les citer comme ça… c’est surprenant.

— Sun Tzu disait « d’apprendre à connaître son ennemi », c’est un credo partagé dans ma famille qui me fit étudier fort jeune ce genre les Saintes Ecritures. Si vous souhaitez connaître l’étendue de la haine que les catholiques portent envers nous, je vous conseille de lire le Malleus Maleficarum, il s’agit du texte qui a servi de référence à l’Inquisition humaine pendant des siècles durant.

— Je vais m’abstenir… en plus, je me souviens déjà plus du titre, rétorquai-je embarrassé par mon manque de connaissances et ma stupidité.

Elle ne prit pas acte de ma remarque, elle se déplaça de quelques pas pour dégourdir ses jambes, — ce qui me confirma qu’elle n’était donc pas un robot, — puis elle poursuivit son explication :

— Après la chute de l’Empire Romain, les magiciens d’Europe se réunirent dans l’ombre dans une grande assemblée où ils devaient discuter et décider de ces envahisseurs récemment arrivé dans l’échiquier du pouvoir. Étaient-ils une menace qu’il fallait éliminer ? Majoritairement, les magiciens votèrent pour le sauvetage des humains, mais parmi eux seules quatre personnes s’y opposèrent. Il s’agissait de quatre femmes dont les noms sont perdus à présent. Nous sommes les réincarnations de ces dernières.

— Attends un instant… Tu veux dire que je suis la réincarnation d’une dangereux magicienne qui ne voulait pas sauver les humains ?

— Il est effectivement envisageable de voir les faits à travers ce prisme, mais les valeurs de Bien et de Mal auxquels vous faites référence sont uniquement définies par l’éthique humaine. Dans nos vies antérieures, pour des raisons diverses, nous avions décidé de ne pas croire en l’Humanité et du point de vue de la magie probablement nous n’avions sûrement pas tort.

Je me demandais bien quel genre de personne j’étais autrefois. En tout cas, ce que venait de m’apprendre Mana était plutôt inquiétant.

— La guerre contre les fées des ténèbres dura approximativement dix siècles. Au fur et à mesure, leurs stratagèmes furent compris et les magiciens triomphèrent. Quelques créatures surnaturelles passèrent même des alliances avec ces derniers en vue de mettre fin à cet envahisseur gênant. Nombre de mages se sacrifièrent dans cette guerre qui se déroulait à l’insu des humains, ils essayèrent au mieux de la dissimuler à leurs yeux. Les fées ténébreuses faisaient généralement de même. Au lieu d’être reconnaissants, les humains, sous l’influence de l’Église, lancèrent la Chasse aux Sorcières dès la fin de la guerre. Nul doute que cette dernière attendait le moment où nous étions le plus affaiblis pour nous éradiquer complètement.

— Je peux comprendre leur point de vue, me permis-je de lui dire. Ils ne connaissaient pas la menace, puisque tout se passait dans l’ombre, non ? Ils n’étaient pas conscients de leurs sauveurs, c’est logique.

— Cette argument est probablement en partie vrai, mais il met bien plus en lumière l’erreur primordiale commise par les magiciens de cette époque : le silence. Tandis que nous avions sacrifié nos forces pour sauver ces ingrats, d’autres magiciens élaborèrent un plan pour prendre le pouvoir. De son côté, l’Église s’était bien implantée, elle arriva à facilement dérober les fruits de notre labeur. Je souhaiterais vous montrer quelque chose, veuillez me suivre, je vous prie.

Je n’avais aucune raison de refuser sa demande, aussi nous nous dirigeâmes vers une forêt.

Quelques temps plus tard, nous arrivions dans une clairière où se trouvait un cercle de menhirs. J’avais vu des images sur internet, mais ça n’avait rien à voir avec la réalité, je l’avoue. C’était tellement impressionnant de voir cet alignement circulaire d’énormes pierres, même si à la réflexion ce ne sont guère que des pierres géantes.

Au centre du cercle se trouvait une énorme colonne de lumière bleue qui atteignait les nuages ; des petites fées volaient autour, parlaient entre elles et jouaient. Une impression de paix et d’harmonie se dégageait de cet endroit comme il me serait impossible de vous la retranscrire par écrit ; c’était la première fois que je ressentais cela, comme si ma conscience allait fondre et sans résistance fusionner avec ce lieu.

— Cette endroit n’est pas un peu dangereux ? Je sens que cette colonne m’aspire…

— Il ne s’agit que d’une reproduction du passé, elle ne peut en aucun cas vous faire quoi que ce soit, Mizuno-san.

— C’est vrai que c’est à ce point réaliste qu’on oublie que c’est pas réel…

Mana ne dit rien, elle attendit quelques secondes que je reprenne mon calme, puis elle m’expliqua :

— Pour vaincre les fées des ténèbres, une alliance entre les magiciens et les fées de la lune a été formée, jadis.

— Les fées de la lune ?

— En effet, parmi le peuple féerique, il existe deux variétés de fées : les fées des ténèbres, qui devraient en réalité être nommée les « fées de la face cachée » et les fées de la lune, qui devraient être désignées en tant que « fées de la face éclairée ».

— Les fées viennent de la lune ?

— Vous l’ignoriez ? Plus encore que les magiciens qui sont des êtres liés à la magie, les fées sont des êtres issus de la magie elle-même, dans son état le plus brut. C’est également le cas d’autres créatures surnaturelles, mais les fées sont les seules à trouver comme origine l’astre lunaire. Sûrement sont-elles nées de ambiguïtés des sentiments humains à l’égard de cette dernière, étant à la fois fascinée par sa lumière, mais redoutant sa face cachée, ce qui explique ces deux espèces proches, mais symétriquement opposées.

Encore une révélation qu’elle me faisait en cette journée. J’avoue qu’une partie de moi voulait quitter ce lieu et retourner au lit, cela faisait trop de choses à digérer en une seule journée.

Mais Mana, au contraire, poursuivit ses explications décidées à m’initier à la véritable magie et me faire avancer d’un pas de plus sur le chemin de la sorcellerie :

— En ce lieu, les magiciens et les fées pouvaient vivre ensemble. Bien sûr, les humains y étaient conviés également, ainsi que d’autres créatures qui peuplaient la forêt autour de nous. C’était un de ces endroits où jadis existait une parfaite harmonie entre le monde des mortels et celui de la magie. Les humains d’une époque étaient conscients que le monde n’était que magie, ils respectaient plus facilement cet ordre établi et faisaient confiance aux magiciens pour leur servir de médiateur et de protecteur face aux créatures incompréhensibles qui les entouraient.

— Vraiment ?

— N’est-ce point ce que l’exemple de ce village semble signifier ? D’autres écrits magiques indiquent le même genre d’informations. Ne trouvez-vous pas triste que les humains, et plus précisément la Religion, ait condamné de tels endroits ? Qu’ils aient rendus la vérité tabou aux yeux de leurs ouailles ?

Tout en écoutant les explications et surtout les interrogations de Mana, je continuais d’observer les fées et la colonne de lumière.

Difficile de ne pas lui donner raison, mais d’un autre côté je n’avais pas envie de lui céder. En effet, elle avait certes pris la peine de me montrer et m’expliquer tout cela, mais m’avait-elle réellement dévoiler la vérité ? En tant que sorcière, elle prêchait forcément sa propre vision des choses… même si je reconnais avoir douter d’un quelconque mensonge.

N’ayant pas de réponses de ma part, toujours impassiblement, elle poursuivit ses explications :

— Puis, un jour, non content d’avoir occulté la vérité à l’Humanité, l’Église créa l’Inquisition. Avec cette dernière, elle profita de la faiblesse de tous les camps pour leur déclarer la guerre en même temps et peu à peu elle parvint à détruire ce qui restait de fantastique dans le monde.

      Le coup de grâce fut donné alors qu’ils découvrirent une méthode pour nous voler la magie. Grâce à ce procédé, à chaque fois qu’ils tuaient un magicien, une fée ou une créature magique, ils absorbaient sa magie et la faisaient disparaître.

— Hein ? C’est possible une telle chose ? Cela dit, attends une minute… Vu que tu as dit que la magie se développe par des réincarnations et tout ça, du coup, comment ont-ils pu faire disparaître la magie ?

— C’est une question pertinente de votre part. En temps normal, le cycle de réincarnation permet à l’âme d’un magicien d’accumuler les connaissances magiques et le pouvoir de volonté pour y accéder. Mais, par le biais de ce nouveau procédé, ils parvenaient sûrement à dérober les connaissances et la magie accumulée, obligeant les âmes à reprendre leur apprentissage depuis le début. A moins qu’ils n’empêchaient la réincarnation d’avoir lieu, tout simplement.

— C’est horrible en fait ! M’exclamai-je. C’est pire que tuer quelqu’un, non ?

— Pas de leur point de vue. Sûrement ne savait-ils même pas ce qu’ils faisaient, je vous rappelle que les croyances de cette religion se base sur l’ascension au Paradis et non la réincarnation.

Encore une vérité difficile à digérer. Mais il y avait quelque chose qui me tracassait et je parvins enfin à formuler la question :

— Mais dans votre cas… ?

— Vous vous rappelez des quatre sorcières dont je vous parlais ? Elles quittèrent la société des magiciens et refusèrent de les aider dans leur décision de sauver les humains. Au moment de la Chasse aux Sorcières, elles n’étaient pas connues de l’Inquisition et ainsi se protégèrent-elles de cette purge.

— Mais elles moururent bien à un moment donné, non ? Comment parvinrent-elles à échapper à cette méthode anti-réincarnation ?

— Je suis navrée de vous annoncer que je l’ignore également. Les récits parlent très peu d’elles, et les registres inquisitoriaux ne les mentionnent pas. Il y a néanmoins une dernière chose que je sais à leur propos. En 1350, elles se réunirent, nul ne mentionne pour quelle raison. Mon avis est le suivant : elles développèrent à cette période un contre-procédé pour se défendre contre l’infamie de cette technique d’absorption de magie.

En effet, à entendre son explication, je me rendais bien compte que cette guerre entre mages et Inquisition n’était pas récente, j’avais mis les pieds dans une guerre séculaire.

Je ressentais une profonde tristesse. Après tout ce temps, cette hostilité existait toujours et des lycéennes étaient contraintes de défendre leurs vies et continuaient d’alimenter cette haine perpétuelle.

— Hormis nous, il existe encore des magiciens dans l’époque actuelle, non ?

— En effet, c’est le cas de mes parents, par exemple. Leur magie n’est en rien comparable aux nôtres, cela dit. On sent assez aisément le fait qu’ils n’ont pas encore eux le temps d’accumuler l’expérience magique suffisante. N’oubliez pas que nous sommes sûrement les plus puissants êtres magiques encore en activité.

Pendant un bon moment, nous sommes restés silencieux, les idées remuaient dans ma tête. J’avais vraiment besoin d’une aspirine.

Sûrement comprit-elle ma souffrance, puisqu’elle proposa soudain :

— Devrions-nous revenir dans le manoir ? Je crains vous avoir trop révélé d’un coup, mais il me semblait nécessaire de ce faire.

— Je ne serais pas contre arrêter pour aujourd’hui…, lui répondis-je en me grattant l’arrière de la tête.

— Fort bien… Suivez-moi.

Chemin faisant, toutefois, une dernière question me vint à l’esprit, je l’avais posée à Selena et Eri également :

— Au fait, Mana, je peux demander de voir ta marque de prophétie ? Selena et Eri m’en ont parlé…

Mana s’arrêta, elle m’observa un instant, puis sans rien dire elle leva sa jupe et révéla à mes yeux sa culotte noire particulièrement sexy.

— Aaaaahhh !! Qu’est-ce que tu fous au juste ?!!

Elle s’arrêta, mais ne baissa pas sa jupe, à la place elle me regardant droit dans les yeux :

— Vous avez formulé votre désir de l’inspecter, n’est-il pas ?

— Oui, mais, elle est sur le pied, non ? C’est ce que m’a dit Eri !

J’étais sûrement rouge comme une pivoine, même en fermant les yeux je ne pouvais oublier l’image qui s’était imprimé dans mes rétines. Une lycéenne ne devrait pas porter ce genre de sous-vêtements, c’est bien trop… bien trop ! Voilà tout !!

— Ma marque est située sur ma cuisse, il m’est impossible de…

— Tu m’as menti, satanée Eri !! L’interrompis-je en criant et en me cachant les yeux.

— Votre réaction me semble incompréhensible. Pour quelle raison réagissez-vous de la sorte ?

— N’est-ce pas évident ? C’est… c’est…

— En tant que femme éprouvez-vous réellement un tel embarras face à un simple morceau de tissu ?

— Je… Je ne suis pas une femme !

— Votre âme de sorcière nous indique pourtant le contraire. Vous ne devriez pas ressentir tant d’embarras à mon égard, les désirs charnels font partie d’un registre éloignés du mien. Je ne suis une nécromancienne, rappelez-vous, je vous prie.

— Je m’en fiche de tout ça ! Descend ta jupe !

— Vous ne désirez plus voir la marque ? Si la culotte vous gêne, je peux la retirer…

— NONNN !!

— A votre guise.

Entendant les froufrous de sa jupe, je pensai qu’elle avait remis de l’ordre dans sa tenue. Sérieusement, cette fille ! Montrer ainsi ses sous-vêtements à la première personne qui lui le demande, n’a-t-elle pas plus de pudeur qu’Eri ?

Sa dernière proposition… Ne venait-elle pas de me harceler comme le ferait Eri, au fait ? C’était étonnant venant de sa part…

En grommelant, je la suivis et nous revînmes dans le monde normal, ressortant même de la bibliothèque magique.

De mauvaise humeur, choqué, je la suivis dans ce dédale de couloir jusqu’à atteindre un grand et luxueux salon. Pour quelqu’un issu de la classe moyenne comme moi, cet endroit transpirait le luxe, je ne saurais même pas par où commencer à le décrire.

Comme le reste, c’était un style ancien et européen, le genre de choses difficiles à trouver dans notre Japon moderne.

Pour couronner le tout, à peine arrivés, un couple de maid super mignonnes se présenta à nous. Elles n’étaient pas que mignonnes, elles avaient des manières très délicates, des mouvements précis et destinées à répondre au moindre désir de leur maître, elles aussi paraissaient issues d’une autre époque.

La nourriture qu’elles amenèrent à cette table, ou une trentaine de personnes auraient aisément pu manger, était exquise. Avant que je ne le remarque je me retrouvais invité à manger avec Mana, puis, subrepticement au cours du dîner, je me retrouvais convier à passer la nuit dans ce château. Je n’osais même pas imaginer le prix d’un tel séjour si j’avais dû le payer…

Malgré mon refus initial, le regard sans vie de Mana finit par me mettre mal à l’aise, puis les deux maids m’observaient l’air de me dire que je serais la pire personne au monde de refuser de faire plaisir à leur maîtresse. Je finis par accepter malgré moi.

Quel homme aurait pu combattre de front ces trois paires d’yeux ? Pas moi en tout cas…

On m’installa dans une immense chambre d’ami avec un lit à rideau, — je ne savais pas le nom d’un tel lit à l’époque, — c’est dire à quel point ce monde me parut tellement différent de celui que je connaissais.

Mais, cette fois encore…

En pleine nuit, alors que je trouvais difficilement le sommeil, intimidé par cet endroit, mais aussi à cause des vérités choquantes que m’avait transmises Mana, quelque chose leva légèrement mon drap et, dans la pénombre ambiante, s’infiltra dans mon lit.

Je ne tardais pas à découvrir qu’il s’agissait de Mana, comme lors de la nuit au campement.

— Euh… Mana ? Qu’est-ce que… ?

Mais alors que je parvins à trouver l’interrupteur de la lumière, je me retrouvais avec ses bras autour de mon torse et son visage sur ma poitrine ; elle était tombée endormie si rapidement.

Je la secouais un peu, mais elle ne se réveilla pas. Faisait-elle semblant ?

Son visage d’ange semblait me dire le contraire, néanmoins.

Au moins, elle n’était pas nue, dans les light novel, en général, les filles sont nues dans ce genre de scènes, je n’avais pas à affronter cet embarras au moins.

Quelle étrange fille, pensais-je. Pourquoi venait-elle dans mon lit comme ça ?

Comme elle le prétendait, n’avait-elle réellement aucun désir charnel ? Pourtant lors du campement…

Je secouai la tête, décidé à me sortir de cette étreinte, mais finalement son visage m’empêcha de ce faire. Elle était tellement belle !

Je me demandais si toutes les sorcières étaient somnambules, Selena avait fait de même…

Avant que je ne m’en rende compte, je finis par sombrer dans les bras de Morphée, oubliant la présence qui pourtant m’embarassait.

Au matin, j’étais toujours le « dakimakura » de Mana, elle ne m’avait pas lâché d’un pouce toute la nuit durant. A mon réveil, la situation ne devint que plus embarrassante.

Lorsqu’elle ouvrit ses yeux inexpressifs, elle me demanda calmement :

— Pourquoi êtes-vous venus dans mon lit, Mizuno-san ? Vous avez donc décidé de vous servir de moi en tant que jouet sexuel, n’est-il pas ? Si tel est le cas, je vous prierais de prendre vos responsabilités.

Sur ces mots, elle s’inclina respectueusement, tandis que je blêmis et me sentir défaillir.

— Arrête de te foutre de moi !!!

— Vous souhaitez donc fuir la réalité de vos actions ? Je suis un peu déçue par votre attitude.

Elle saisit une petite clochette sur la table de chevet, j’ignorais qu’un tel objet s’y trouvait. Elle tinta qu’une seule fois avant qu’une maid n’ouvrit la porte, comme si elle s’était tenue prête tout ce temps.

— Mademoiselle, bien le bonjour. J’ai cru comprendre que notre invité refusait de montrer son obligeance envers vous, j’ai pris la liberté de vous apporter ceci.

Elle présenta devant nous un ensemble de feuilles qui n’étaient autre qu’un contrat de mariage.

— Mais arrêtez !!!!! Hurlai-je en cet instant sentant que je m’étais mis dans une bien périlleuse situation.

— C’était une blague, m’informa froidement Mana en m’observant.

Difficile de dire si c’en était une, son visage inexpressif me faisait surtout l’effet d’être parfaitement sérieuse.

— Vraiment ? Lui demandai-je perplexe et vraiment pas amusé par la situation.

Contre toute attente, la blague s’arrêta-là, elle me laissa partir.

Une fois habillé, elle demanda à ses domestiques de me raccompagner chez moi et me remercia d’être venu. C’était sûrement la seule partie qui me parut normale de tout ce séjour.

Avant de monter en voiture, cependant, je me permis de m’informer d’une dernière chose :

— Au fait, Mana, je me demandais depuis quelque temps… Ta famille n’aurait pas une association ?

Elle acquiesça. Évidemment, pour une famille riche disposer d’une telle chose était sûrement normal, ma question était peut-être dénuée de sens à ses yeux.

— Est-ce que, par hasard, ce ne serait pas ta famille qui donne sa bourse à Selena et Eri ?

— C’est ce que tu penses ?

— Je trouve la coïncidence de votre rencontre trop pratique, c’est tout. Considérant les moyens dont dispose ta famille, je me suis rapidement dit que ce n’était pas si difficile de réunir à leur insu tous les porteurs de la marque, pas vrai ?

— Je ne suis pas au courant de toutes les affaires de ma famille, je suis navrée. Nous nous reverrons en classe demain matin.

Sur ces mots, elle fit signe au chauffeur de se mettre en route et ne me laissa pas approfondir la question. Toutefois, à mes yeux, elle y avait largement répondu.

Ainsi s’achevèrent mes vacances et la Golden Week la plus mouvementée que j’avais jamais vécue.

Lire la suite – Chapitre 4 (en cours).