File 002 – Red Rust/Last

Année 2065, fin novembre, base Bishamon IV, Mons Arsia, Mars.

Takanashi Mia, 24 ans, était une employée du géant japonais spécialisé dans l’exploration spatial : Cosmos Tanken. Elle était la plus jeune recrue de l’équipe, considérée par tous comme un petit génie ; elle avait, en effet, sauté des classes, mais elle ne se considérait pas différente de tous ces spécialistes qui l’entouraient.

Avec ses cheveux et ses yeux noirs, Mia était considérée comme parfaitement « normale », ce qui signifiait, autrement dit, que son apparence était pas remarquable.

Elle portait généralement sa combinaison de scientifiques, une tenue en matériaux polymères résistants et thermiques offerte par l’entreprise le jour de son embauche. Lorsqu’elle n’était pas en service, rien ne l’obligeait à la porter mais elle aimait cette tenue noire et rouge qu’elle avait longtemps désiré porter ; elle lui rappelait le rêve qu’elle avait poursuivi depuis l’enfance.

Mia n’avait toujours eu qu’un seul but à l’esprit : l’espace. Cette pensée était devenue rapidement une obsession. Son rêve s’était enfin exaucé lorsqu’elle avait réussi les concours d’admission de la compagnie Cosmos Tanken, crée en 2040 lorsque les premières missions martiennes atterrirent sur la Planète rouge.

Après la fusion avec Robotic Japan, Cosmos Tanken avait rapidement établi sa place sur le sol martien par le biais d’accords commerciaux avec le gouvernement. Son secteur robotique des plus compétents au monde lui avait permis de rattraper l’avance prise par ses concurrents du secteur privé.

D’ailleurs, une partie de son programme d’exploration, Bishamonten, était en partenariat avec la JAXA. La première base martienne de l’entreprise avait été désassemblée alors que Mia était encore enfant. L’actuelle base Bishamon portait le chiffre IV puisqu’elle était la quatrième. L’instabilité des premières installations avait conduit au déménagement plusieurs fois.

Cosmos Tanken avait une politique visant à l’adaptation de ses astronautes. Puisqu’elle n’avait les moyens des autres géants du secteurs comme Space EM ou encore Blue Walkyrie, des géants américains dont la place économique sur Terre était bien établie, elle voulait compenser par l’ancienneté de ses explorateurs.

Lorsqu’elle parlait d’adaptation, certains se moquaient en parlant d’ancienneté. Habituellement, les astronautes n’exerçaient le métier que quelques années seulement avant de rentrer sur Terre ; les conditions de la vie martienne étant difficiles, peu tenaient physiquement et psychologiquement sur une longue durée. Mais, parmi les employés de Cosmos Tanken, certains avaient plus de quinze ans d’expérience martienne.

Comme d’autres, Cosmos Tanken avait pour objectif de développer des bases durables permettant l’installation permanente sur le planète, mais également le tourisme. Ce dernier existait déjà, mais réservé à une élite, en raison du prix et des risques encourus. Si Space EM et Blue Walkyrie le proposait, ce n’était pas encore le cas de Cosmos Tanken qui préférait améliorer la sécurité et proposer un service optimal.

Mia rêvait de devenir une des légendes martiennes telle que le professeur Murasaki. Cela ne faisait que dix mois qu’elle avait posé le pied sur Mars, elle n’avait cessé d’être fascinée tous les jours. Elle faisait partie de la dernière vague d’arrivants, depuis lors personne ne les avait rejoint.

Même si on parlait du sol martien, Mia n’y avait marché que quelques fois seulement.

En effet, les bases martiennes occupaient des tunnels naturels et n’étaient jamais établies à la surface. Il aurait été difficile d’y construire considérant l’atmosphère quasi-inexistante de la planète, les pluies de météorites et les radiations aurait été des défis à relever bien trop périlleux.

Comme les autres bases, Bishamon IV était donc troglodyte, elle se trouvait dans l’immense cratère du mont Arsia et plus précisément dans le secteur américain avec qui les japonais collaboraient.

Dans un des rares moments de temps libre, Mia observait la carte martienne affichée dans un des couloirs de la base.

— Je me demande à quoi ressemblent les autres bases… J’aimerais tellement aller les voir, mais je suis trop novice pour en faire la demande, pensa-t-elle avant de s’étirer.

Le cratère était divisé en quatre secteurs, quatre territoires nationaux : USA, Chine, Empire russe et Inde. Bishamon IV se trouvait dans le plus grand des quatre, l’américain, et plus précisément dans la concession accordée au Japon. Il en avait également une accordée à l’Europe. L’un et l’autre avaient travaillé depuis le début avec les États-Unis dans leurs programmes d’installation martienne, il en était ressorti qu’une fois Mars conquise, ils avaient dû se contenter de partager le même territoire au lieu de revendiquer le leur.

La Russie avait fait de même avec la Chine. Mais lors de la prise de pouvoir du Tsar, elle avait négocié pour disposer de son propre territoire national.

Dans la partie américaine il y avait pas moins de sept bases dont Bishamon IV. Au total, le cratère du mont Arsia accueillait quinze bases, mais il n’était pas le seul endroit où la présence humaine existait sur la planète : un plus grand nombre de bases se trouvaient dans le cratère du mont Olympus et il y en avait même dans la Valles Marineris et à divers autres endroits.

Même si ce n’était pas bien connu du public, la conquête de la Planète rouge n’était pas pacifique : les quatre blocs étaient dans une constante guerre froide donnant lieu parfois à des escarmouches et des conflits armés. Ainsi, les missions martiennes employaient également des soldats.

Pour sa part, Mia était une scientifique spécialisée en géologie et disposant de solides compétences en informatique. Hors des domaines scientifiques, son passe-temps était la photographie : elle avait déjà stocké des dizaine de milliers de clichés depuis son arrivée sur Mars.

— Yo ! Tu étais donc ici, Mia ? l’interpela soudain une voix féminine derrière.

Elle sursauta alors qu’une main se posa sur son épaule. Elle ne tarda à reconnaître Samantha.

En se tournant, elle fit face non pas à une mais à deux personnes : Samantha Smith et Rylee Bradford. Cette dernière, de manière plus paisible, la salua de la main.

Samantha était plutôt haute, mesurant plus d’un mètre soixante-dix. Elle avait un phénotype caucasien et de longs cheveux blonds qu’elle gardait attachés en queue de cheval. Son corps était mince et athlétique, elle était une soldate augmentée. Elle ne portait pas son uniforme puisqu’elle était de repos mais un simple baggies et un débardeur.

Cela faisait quelques décennies déjà que les militaires des différents pays avaient accès à des améliorations corporelles génétiques ou cybernétiques. Ces technologies étaient chères et réglementées, aussi il était rare d’en trouver parmi les citoyens ordinaires.

Généralement, c’était le gouvernement et les multinationales qui en payaient à certains de leurs employés. Bien sûr, en dehors des augmentiques, soit l’ensemble des modifications dont le but visait l’amélioration du corps humains, tout le monde avait accès dans le cadre médical à des membres artificiels de remplacement ou autres. La médecine avait fait d’énormes progrès.

Pour sa part, Samantha était du côté génétique des augmentiques : lorsqu’on observait de près sa peau, on pouvait remarquer que sa texture n’était pas normale et, pour cause, elle bénéficiait d’une des dernières modifications d’épiderme réactif Anti-Rad III. Grâce à cette amélioration, elle était capable de résister davantage aux expositions radioactives, un des nombreux périls de l’exploration spatiale.

Samantha ne se cachait pas de disposer également d’une glande synaptique Brain OV lui permettant d’améliorer ses réflexes, d’yeux synthétiques lui conférant une meilleure vision nocturne et d’améliorations pulmonaires lui permettant une apnée prolongée.

Puisque Cosmos Tanken visait l’implantation à long terme de ses employés, une majorité avaient reçu des augmentiques. Même Mia qui était une scientifique avait des glandes d’élimination de radiations type SAG, ainsi que des améliorations de l’hypothalamus et de la moelle osseuse (l’un permettant de mieux réguler la température du corps, tandis que l’autre, entre autres, d’augmenter la production des leucocytes).

Pour sa part, Rylee était une technicienne spécialisée en robotique. Elle était compétente dans la maintenance et la réparation de l’ensemble des machines du complexe. En tant qu’américaine, elle ne faisait pas partie des anciens employés de Robotic Japan, mais d’une affectation ultérieure.

Elle était plus petite que Samantha mais un peu plus haute que Mia. Sa peau était noire d’ébène et ses cheveux longs détachés. Elle avait en tenue décontractée également.

Mia ne connaissait pas ses augmentiques, mais il était fort probable qu’elle en ait considérant son affection pour la technologie.

— Vous m’avez fait peur !

— Haha ! Je ne m’attendais pas à ce que tu réagisses comme ça !

Même s’il s’agissait d’une entreprise japonaise à la base, il y avait une part minoritaire d’employés américains qui provenait d’une des branches de l’entreprise établie en Californie. Les deux en faisaient partie. La discussion se faisait naturellement en anglais, Mia était très compétente dans cette langue.

— Je t’avais dit d’être moins brusque…, la gourmanda Rylee.

— J’ai rien fait de mal ! Je l’ai juste saluée, j’y peux rien.

— Je sais que tu as fait tes classes avec des mecs, mais utilise un peu ta délicatesse de femme.

Rylee lui tapota le torse là où se trouvait le cœur.

Leur relation était spéciale. Aux yeux de la plupart des employés masculins de la base, à tort ou raison, elles étaient vu comme un couple homosexuel. Elles n’avaient jamais confirmé ou nié la rumeur, aussi Mia préférait laisser la question en suspens.

— Non, c’est bon… J’étais perdue dans mes pensées, c’est tout.

— Tu t’inquiètes à cause de ces « événements étranges » ? demanda Samantha en mimant des guillemets avec ses doigts.

— Euh… oui, j’étais en train d’y penser justement, avoua Mia.

— En même temps, ça n’a rien d’un sujet à plaisanterie, Samantha. Je confirme que nous n’avons plus de nouvelles de la Terre depuis une semaine.

— Peut-être à cause des interférences provoquées par la tempête solaire d’il y a quelques jours, tenta de rationaliser Samantha.

— Le silence avait commencé avant la tempête, fit remarquer Mia. Puis, nos relais sont équipés pour y faire face en principe.

Rylee approuva en sa qualité de technicienne.

— Vous exagérez toutes les deux, qu’est-ce que vous voulez qu’il se passe au juste ? Vous ne croyez quand même pas ces histoires de montres, si ?

En septembre de cette même année d’étranges rumeurs concernant l’apparition de monstres avaient fait leur apparition sur les différents réseaux. Bien sûr, à des millions de kilomètres de leur pays d’origine, les chercheurs martiens n’étaient pas au courant des détails. Les opérateurs de communication avaient transmis les informations trouvées sur les réseaux sociaux : le Japon était attaqué par des monstres, les morts se comptaient en dizaine de milliers, on parlait d’exode et de guerres.

Cependant, malgré les nouvelles de ces désastres qui les avaient tous effrayés, leur quotidien n’avait pas bougé d’un pouce et les communications avec les bases terriennes de la compagnie étaient restées à l’identique. La seule chose qui avait changé était le report de l’envoi de la nouvelle équipe de recherche prévue à la base en octobre, mais repoussé à l’année suivante.

— Soyons honnêtes, Samantha : il se passe quelque chose sur Terre et on cherche à nous tenir à l’écart.

— Ils ont dit que c’était juste des fausses rumeurs alarmistes. Un virus a engendré des mutations, ce n’était pas des monstres…

C’était la version officielle qu’on leur avait servi après la panique initiale. L’hypothèse d’un virus était plus crédible que celles de monstres sortis de nulle part, tout le monde l’avait acceptée avec confiance.

Mais…

— Et si… Et si on nous avait menti ? demanda Mia en se tenant le bras et en baissant le regard.

— Raconte pas n’importe quoi, Mia ! Les monstres n’existent pas ! C’est juste une méchante pandémie, c’est normal d’avoir paniqué considérant les millions de morts que ça a causé.

— Une pandémie n’a rien de normal, tu sais ?

Une fois de plus, Rylee reprochait les paroles de Samantha, elle se tenait devant elle en croisant les bras.

Mia soupira et leva les épaules :

— Cette discussion ne mène à rien. Il faudra attendre les informations officielles du directeur de mission pour en savoir plus. Ça vous dit un ramen ?

Les deux filles s’observèrent puis acceptèrent.

La base n’était pas équipée de restaurants, mais d’un mess où il était possible de faire des demandes particulières en fonction des stocks de nourritures disponibles. Ces derniers provenaient non seulement des rations amenées depuis la Terre à l’aide des énormes fusées de la compagnie, mais aussi des cultures autonomes sur place.

— En tout cas, je m’inquiète vraiment, dit Rylee en suivant Mia. C’est vraiment une situation préoccupante.

— Bah, on est sur Mars ! Quoi qu’il se passe sur Terre, ça n’arrivera pas jusqu’à chez nous. Il suffit d’attendre que la situation se calme, c’est tout…

Personne ne commenta les paroles optimistes de Samantha, elles continuèrent en direction du mess.

***

Mais quelques heures plus tard…

Dans la grande salle de réunion était réunie la centaine de personnes composant les effectifs de la base. Médecins, ingénieurs, scientifiques, soldats, agriculteurs, informaticiens, tous les corps de métier disponibles étaient présents.

Le directeur de la mission, Hiroi Akihito, cet homme sévère qui avoisinait la cinquantaine, tenait un discours. Après une introduction de convenance, il dit dans un japonais des plus diplomatiques :

— Je ne vous cacherai pas le fait qu’il y a une anomalie dans la situation actuelle. Nos communications avec la Terre ont subitement été interrompues il y a une semaine de cela. Mais, pire encore, depuis quelques jours nous sommes sans nouvelles des autres bases du secteur. La base Gyouten a cessé de donner des nouvelles hier dans la journée, la base Novalia le jour précédent et Wingston III il y a deux jours…

Cette nouvelle choqua tous les locuteurs japonais, les quelques américains se regardaient en attendant la traduction que ne tarda pas à faire une assistante.

— Ne cédons pas à la panique, nous ignorons tout de la situation. Notre antenne a été testée et est parfaitement opérationnelle. Néanmoins, il se peut que les dernières tempêtes aient crées des champs magnétiques interférant avec nos communicateurs. C’est pourquoi, j’ai le désir d’envoyer une équipe pour mener une enquête à la base Gyouten…

Mia faisait partie des ceux qui avaient été désignées par le directeur Hiroi.

« Pourquoi moi ? », s’était-elle demandée.

Malheureusement la réponse attendrait plus tard, le directeur ne la lui donna pas. Elle aurait pu refuser, mais ses meilleures amies dans la base, Samantha et Rylee, s’étaient tout de suite portées volontaires, aussi, elle les avait suivies.

Deux soldats se joindraient également à l’équipée de six personnes : Keida Sora et Ewan Hart.

Le premier, un japonais de 27 ans à l’air toujours taciturne avec ses cheveux un peu trop longs et son regard fuyant, était connu pour être un cyber-soldat. Bien que d’une taille seulement d’un mètre soixante-quinze, il ne fallait pas s’y fier : Sora était une machine à tuer… selon ce que racontait les rumeurs. Depuis son arrivée sur Mars, Mia ne l’avait jamais vu combattre. Il était solitaire et se comportait toujours humblement.

La réputation paraissait exagérée, ses implants étaient là pour donner du grain à moudre : bras et yeux cybernétiques dernière génération, tissage musculaire renforcé et une armure sous-dermique, pour les plus visibles. En mission, comme lors du départ pour Gyouten, il portait une armure de combat noire de type Oni capable d’encaisser des munitions de calibres 50 et de réduire les radiations.

Il était armé d’un fusil d’assaut Howa type 20, d’un pistolet Sig Sauer P220, d’un katana et de deux couteaux.

L’autre soldat était Ewan Hart, dans un autre sens tout aussi impressionnant.

Cette armoire à glace de deux mètres approchait la quarantaine et était tout en muscles. Ses cheveux blonds étaient coupés courts, son visage avait quelques balafres obtenues on ne savait où. Il fumait régulièrement des cigares et était un bon vivant.

Contrairement à nombre d’américains de la base —malgré ce que son apparence de brute sans cervelle laissait à suggérer—, il faisait partie des rares étrangers à parler un bon japonais. Il avait servi presque toute sa vie à Okinawa et s’était donné la peine d’apprendre la langue. La rumeur interne à la base voulait qu’il l’avait apprise pour séduire les jolies Japonaises.

Contrairement à Sora et aux autres soldats de la base, il n’avait absolument aucune augmentique. Ewan était vieux jeu, pouvait-on dire. Il avait exprimé de nombreuses fois le fait qu’il ne « voulait pas devenir un cyborg ». Équipé d’une armure assistée plus impressionnante encore que celle de Sora, un exosquelette élaboré par le secteur robotique de la société, il portait sur son épaule une impressionnante mitrailleuse lourde M2 Browning, normalement désignée pour être montée sur des véhicules ; grâce à son armure, il était capable de porter les 38 kilogrammes de l’arme sans problème et d’en encaisser le recul.

Dans le hangar, devant leur Mars Cruiser de la firme Toyota, Mia observait les deux soldats et avait l’impression de partir pour une bataille bien plus que une simple mission d’enquête. À vrai dire, il n’était pas à exclure que les bases du secteur n’aient été attaquées par des rivaux.

Même si on évitait de répandre l’information devant les médias, il était arrivé par le passé de nombreuses fois des fusillades pour s’approprier de points stratégiques. Lorsqu’on parlait de conquête de Mars, l’ennemi n’était pas les natifs martiens, mais les autres conquérants.

Considérant les tensions politiques sur Terre, Mia envisageait facilement une attaque de la part des Russes ou des Chinois. Le Japon entretenait depuis longtemps des relations diplomatiques difficiles avec les deux pays et, depuis que la Russie était redevenue un empire, elles n’étaient pas allées en s’améliorant.

Même si Mia n’était pas à l’aise avec toutes ces armes, il valait mieux être prudents.

Samantha, la troisième soldate, revêtait le même genre d’armure que Sora, bien qu’un modèle plus léger. En effet, il s’agissait d’une armure à camouflage optique équipée de diffuseurs d’images capables de la rendre presque invisible. Un système de dissipation thermique couvrait sa propre chaleur pour la dissimuler des senseurs de ce type. Son arme de prédilection était le très célèbre fusil sniper Barrett M82, mais elle était également équipée de pistolets et d’un bullpup.

— Tiens, grosse brute, n’oublie pas de prendre tes cachets.

Un homme, d’un mètre soixante-dix à l’apparence androgyne et aux cheveux longs, tendit à Ewan une petite boîte contenant des comprimés d’iode. C’était une manière vieillotte de lutter contre les radiations, malheureusement trop peu efficace, mais en l’absence d’augmentique c’était encore ce qui était utilisé.

— Ah, merci Doc’, j’allais zapper ! Haha !

Ewan qui faisait quelques têtes de plus que Kusumei Kenji, le médecin de l’équipée, prit la boîte plastique qui avait l’air d’un seul coup bien petite entre ses doigts.

Le docteur Kusumei, malgré son apparence, était sûrement la personne la plus surprenante de toute la base. Mia l’estimait beaucoup, même si elle n’avait eu que peu d’occasions de lui parler.

Sous ses airs de rockers lorsqu’il se trouvait à l’intérieur de la base (actuellement, il portait la même combinaison d’explorateur que Mia, désignée pour réduire les radiations et tenir chaud) se cachait un génie reconnu à plus de 150 de coefficient intellectuel.

Son passé était mystérieux, autant que ses pensées étaient hermétiques. Il ne semblait pas aimer les feux des projecteurs c’était pourquoi il s’était engagé pour cette mission martienne plutôt que récolter les lauriers sur Terre.

Après le directeur, il était sans aucun doute la voix la plus écoutée de la base : peu de décisions se prenaient sans qu’on lui ait demandé son opinion.

— Professeur ? Vous vous joigniez à nous ? demanda Mia en s’approchant de lui.

Elle avait du mal à cacher son enthousiasme et son admiration.

— Mia, c’est ta présence dans l’équipage qui me surprend. Pourquoi enverrait-on une géologue de talent dans une simple mission d’enquête ?

Elle aurait pu prendre mal le fait qu’il semblait dénigrer sa présence, insignifiante pour une sommité comme lui, mais elle savait que, malgré son génie, Kusumei était peu doué avec les émotions humaines. C’était une chose étonnante pour une personne diplômée notamment en psychologie mais ne disait-on pas que les psychologue étaient eux-mêmes leurs propres patients ?

— Je ne suis certes pas une éminence comme vous, professeur Kusumei, mais je peux sûrement apporter quelque chose à cette mission. Puis, si un génie comme vous n’en sait rien, pourquoi une simple géologue comme moi le saurait ?

Elle avait ponctué sa profession d’un maniérisme ironique ; elle voulait juger la réaction de son interlocuteur. Mais ce dernier ne cligna même pas des yeux, il parut ignorer le sarcasme de son interlocutrice.

— Tu peux m’appeler Kenji, tu le sais bien. Ne déconsidère pas ta profession, vous autres géologues êtes les maillons les plus importants de cette base.

Manifestement, c’était tout le contraire de l’effet escompté : il l’avait prise au sérieux.

— Ne pourriez-vous pas occuper ce poste vous-mêmes ?

— Si besoin en est, je le pourrais certainement. Malheureusement, ce corps de chair ne me permet pas d’opérer à deux endroits à la fois. Puis j’ai déjà fort à faire : l’analyse des micro-organismes martiens est fascinante. Si ça t’intéresse, je pourrais t’en parler pendant le trajet.

— Volontiers.

Le professeur prit une profonde inspiration, puis posa sa main sur l’épaule de Mia.

— Fais attention à toi. J’ignore ce que l’on trouvera sur place mais nous ne sommes pas des agents de terrain. Malgré la fougue de ta jeunesse, ne joue pas les héroïnes. Ton absence me chagrinerait réellement.

Plus encore que l’annonce qu’avait fait le directeur, c’était ces paroles qui firent frémir Mia.

Si un génie comme le professeur Kusumei exprimait de telles inquiétudes, n’y avait-il pas quelque chose de vraiment terrible derrière cette mission ?

— Euh… merci…

Son visage était difficile à déchiffrer, malgré ses paroles chaleureuse on ne pouvait lire aucun crainte et aucune sympathie. En un sens, il semblait préoccupé, mais pas concernant Mia.

— Allez, montons à bord. Tu n’as pas souvent eu l’occasion d’aller à la surface, non ?

— En fait, je crois que j’y suis allée plus que vous, prof… Kenji.

— Bien vu, Mia. Il est vrai que ce sont tes petites mains qui récoltent la matière de mes analyses.

Mia ne pouvait que le trouver étrange, mais elle appréciait cette étrangeté.

Néanmoins, alors qu’ils enfilèrent tous les deux les casques de leur combinaison, elle ne pouvait s’empêcher de se demander : pourquoi elle ?

Si on admettait une attaque ennemie, il aurait été plus logique de joindre un soldat supplémentaire à sa place. La présence de Kusumei se justifiait en sa qualité de docteur ; s’il y avait un problème, il pouvait immédiatement traité les blessés. Peut-être que le directeur avait également pensé à une fuite d’agents bactériologiques, auquel cas il fallait un connaisseur pour éviter de les ramener à la base.

Rylee était bonne pilote et une mécanicienne talentueuse. Le Mars Cruiser ne pouvait pas quitter le hangar sans qu’elle ne l’accompagnât. Puis, en cas de pannes, elle était indispensable. En outre, elle savait calibrer les appareillages de communications et les armures de combat des soldats.

Seul le rôle de Mia demeurait flou, son apport au groupe était mal défini.

Alors qu’elle s’assit sur la banquette la plus à l’arrière avec le professeur, ce dernier lui dit :

— N’en veux pas au directeur, il t’aime bien en réalité.

— Hein ?

— Tu es en train de penser qu’il te sacrifie en t’envoyant dans une mission dangereuse, n’est-ce pas ?

En réalité l’idée ne l’avait même pas effleurée.

— Mais, à l’inverse, n’est-il pas juste de penser qu’il souhaite te préserver d’un risque qui pourrait frapper la base en notre absence ?

Une fois de plus, elle sentit des sueurs froides perler dans son dos. Le professeur envisageait donc que l’ennemi attaquât la base Bishamon en leur absence ?

Cette théorie expliquait au moins pourquoi avoir envoyer un génie irremplaçable comme lui dans cette mission aux risques inconnus.

Elle allait lui en demander plus à ce sujet lorsque la voix enjouée de Samantha s’éleva dans l’habitacle du véhicule.

— Messieurs Dames, bienvenue à bord du vol MA-761 ! Notre capitaine de bord sera la brillante Rylee Bradford !

Elle applaudit mais personne ne l’accompagna. La désignée se sentit embarrassée et rougit en détournant son regard.

— Notre destination est la base Gyouten située à 30 kilomètres. L’heure d’arrivée est établie à…

— C’est bon, on a compris, Samantha ! l’interrompit Rylee.

— Hahaha ! Vous êtes vraiment potes toutes les deux ! dit Ewan, avant de marmonner : On dirait presque un vieux couple…

— Eh toi ! Les messes basses sont interdites !

— C’est bon, du calme Sam ! J’y peux rien si vous donnez cette…

Samantha le pointa du doigt et interrompit sa phrase.

À côté du géant, Sora marmonna à son tour :

— Nani mo wakannai… Omoshiroi koto itta ?

Il ne parlait pas anglais et n’avait donc rien compris.

Dans l’équipe, lorsqu’on parlait anglais, c’était Sora qui était dans l’incapacité de comprendre. Et si on optait pour le japonais, c’était Rylee et Samantha qui ne comprenait plus. Des oreillettes de traduction dernier cri n’auraient pas été un luxe, mais personne n’en avait à la base Bishamon.

Mia soupira…

Malgré la gravité de la situation, ses compagnons de voyage paraissaient plutôt décontractés. Une fois de plus, elle se sentait un peu à part.

C’est à quinze heures que le Mars Cruiser quitta le hangar en direction de la base Gyouten.

***

Trente kilomètres n’était pas une grande distance à parcourir lorsque le terrain était plat, mais la caldeira d’Arsia était particulièrement accidentée. Il fallut pas loin d’une heure de route pour atteindre la base Kyouten.

Le Mars Cruiser était un solide véhicule capable de transporter tous les outils d’exploration et permettant à une équipe de tenir à l’extérieur plusieurs jours. La base Bishamon IV avait seulement trois de ces véhicules particulièrement coûteux, des merveilles technologiques.

Le Mars Cruiser était conçu pour filtrer les radiations à la surface, plus élevées que celle terrestres, et avait de surcroît une réserve d’oxygène pour tenir une longue période en extérieur.

De plus, son système de climatisation était particulièrement efficace, capable de porter l’habitacle à une température supportable pour des êtres humains (la nuit, la température sur Mars pouvait descendre sous les -100 degré Celsius).

En plus de l’équipage, on trouvait dans le véhicule du matériel d’excavation, d’extraction, d’analyse et bien sûr des robots. L’exploration martienne aurait été impossible sans eux, surtout à ses débuts. En 2065, les bases étaient bien établies, nombreuses choses étaient fonctionnelles même sans les robots pour s’en occuper, mais cela n’avait pas été toujours le cas.

La base Gyouten se trouvait, comme toutes les autres, dans un réseau de tunnels naturels, seule une partie avait été creusée artificiellement par la main de l’homme. Il s’agissait d’une base nationale japonaise, contrairement à Bishamon IV qui appartenait à la société privée Cosmos Tanken.

Avant même d’arriver à la grotte, des panneaux indiquaient : « Vous entrez en territoire national japonais. Toute personne non autorisée est priée de revenir sur ses pas. »

De chaque côté de l’entrée flottait un drapeau japonais et un de la JAXA. Sur un plaque au-dessus, on pouvait lire le nom de la base en kanji ainsi qu’en alphabet latin.

— Enfin arrivés ! dit Ewan en se dégourdissant les jambes.

Le voyage n’avait pas été si long, Mia estimait sa réaction exagérée. Probablement parce que ses pensées lui avaient parues évidentes, Ewan se tourna vers elle et l’informa :

— J’ai toujours eu le mal des transports.

— Et vous êtes dans l’armée ? Pire encore, dans l’espace ?

— Hahaha ! On ne choisit pas toujours ce qu’on veut devenir dans la vie. Mais heureusement qu’il y a les caissons de stase pour le voyage sur Mars, c’est clair !

Plus encore que les radiations sur place, l’un des problèmes majeurs de la conquête spatiale était les radiations du vide cosmique. Il avait fallu du temps avant que les humains parvinssent à trouver un moyen de s’en protéger ; encore à ce jour, ce n’était pas encore parfait.

Ewan était un « naturel », un humain sans implants, c’était ainsi qu’on les surnommait dans le jargon des pionniers spatiaux. Si une personne comme Mia avait eu la possibilité d’alterner entre des périodes de stase, qui correspondait à une sorte d’hibernation dans un caisson hautement protégé des radiations, et des périodes d’éveil, Ewan n’avait pas eu le choix.

Le voyage depuis la Terre prenait encore quelques mois, s’il avait été éveillé tout le long du trajet, son taux de radiation à l’arrivée aurait été bien trop élevé. Il aurait survécu au voyage, mais serait certainement mort de cancer dans les années suivantes. Cosmos Tanken n’envoyait pas des employés jetables, l’entreprise favorisait l’expérience des pionniers et n’aurait jamais permis un tel sacrifice.

— C’est dommage quand même… Le paysage spatial est vraiment prenant, dit Mia innocemment.

— Haha ! Pour une fada de scientifique, j’imagine ! Pour un bidasse comme moi, c’est juste flippant.

Mia leva les épaules et cessa d’argumenter sur le sujet. Lorsqu’il était question de goûts et d’opinions, parler ne servait souvent à rien.

Bien sûr, la réelle question qu’elle se posait était de savoir pourquoi Ewan était si fermement opposé aux implants : religion, convictions personnelles, technophobie, il y avait nombreuses raisons de les refuser, mais en général ceux qui les refusaient ne s’engageaient pas dans des métiers où ils étaient indispensables.

— Ça me paraît bien abandonné dans le coin…, dit Samantha en les rejoignant. Qu’es-ce qu’on fait ? On toque ?

La question semblait absurde mais, dans les faits, ne l’était pas. Il n’y avait bien sûr pas de sonnettes à l’entrée de la grotte. En principe, des gardes auraient dû être là, prêts à les accueillir. Les radars, dont on voyait les antennes, et les caméras permettaient de détecter facilement les mouvements suspects dans cette immense terrain dégagé.

En fait, Mia ne savait que répondre ; d’ailleurs, la question ne lui était pas réellement destinée.

Cependant, elle se tourna vers le professeur qui venait de sortir du véhicule et déclara en anglais :

— Prof… Kenji, vous devriez être le chef de l’expédition. Je… Je sais que je suis la plus jeune et que ce n’est pas à moi de faire ce genre de proposition, mais…

Le professeur leva la main pour l’interrompre :

— Tu sais bien que je n’aime pas les convenances sociales, inutile de te rabaisser.

Il fit quelques pas en avant, observa le ciel d’un bleu un peu pâle en cette journée, puis continua :

— La hiérarchie est un reste de notre animalité primitive, l’humain n’en a pas réellement besoin. Si chacun apprend à cultiver son indépendance et en assumer les conséquences, il n’y a nul besoin de chef ou de subordonnées.

Il remarqua les regards tournés dans sa direction, ils semblaient s’interroger sur le sens de ce qui venait d’être dit. Le professeur soupira avant de déclarer :

— Vous avez gagné : je vais assumer ce rôle. Ma première décision sera d’attribuer le commandement des troupes à Ewan. Tu parles aussi bien japonais qu’anglais et tu as une grande expérience du terrain, tu serviras de relais entre Sora et Samantha.

Ewan sourit à travers la visière de son casque et salua à la manière militaire.

— Équipons-nous comme en territoire hostile, mais ne dégainez pas avant que je n’en donne l’ordre.

— Roger !

Les trois soldats qui n’attendaient que ce moment s’en allèrent prendre leurs armes dans le Mars Cruiser, tandis que Rylee, le professeur et Mia s’approchèrent du compartiment où se trouvaient les robots. Il n’y avait pas besoin de ceux d’excavation et de recherche, ils s’intéressèrent davantage aux deux qui n’étaient que rarement utilisé : les androïdes d’escorte.

Déjà à la fin du 20e siècle, les japonais s’étaient intéressé aux robots anthropomorphiques, là où les autres pays préconisaient une approche plus arachnomorphique (ou de manière plus vaste, visant à reproduire les qualités des animaux).

Bien sûr, ils n’en avaient pas l’exclusivité, mais en 2065 ce pays disposait encore d’une longueur d’avance en la matière. Même si la juridiction ne le permettait pas encore, on parlait de remplacer certains postes dans la défense par des androïdes de combat. C’était déjà le cas dans de nombreux autres secteurs.

Cosmos Tanken avait racheté un des leaders de la robotique, Robotics Japan, c’est pourquoi les équipes disposaient des androïdes les plus performants, équipés d’Intelligences Artificielles complexes leur permettant d’évoluer indépendamment dans les missions.

Sur Terre, nombre de pays étaient encore opposés à la militarisation des androïdes, mais l’espace ne répondait pas aux lois terrestres, aussi Cosmos Tanken n’avait eu aucun scrupule à mettre en avant cet avantage qu’il avait sur ses concurrents.

Pour des raisons d’économie d’énergie, ces robots étaient généralement inactifs. Seuls les ingénieurs comme Rylee savaient les activer et les commander. Par défaut, l’IA ne répondait qu’aux ingénieurs et au directeur qui avaient les accréditations, mais elle était capable de reconnaître le personnel de l’entreprise et était capable d’entreprendre des actions de protection indépendante des ordres (même si ces derniers prévalaient toujours sur leur propre volonté).

Les androïdes R1 et R2, de leurs noms, étaient vêtus d’une armure de combat similaires à celles de Sora mais dans une couleur brune. Ils étaient couverts d’une peau artificielle qui de loin pouvait les faire passer pour des humains ; ce n’était pas dans un désir cosmétique, cette peau faites de matériaux synthétiques avancés permettait de filtrer les radiations et de protéger les circuits internes.

Dans un souci de confort psychologique humain, par contre, la peau était de couleur chair et les globes oculaires accueillaient des yeux synthétiques proches de ceux humains, même si leur expression faciale figée et l’absence de pupilles les en distinguait.

<< Unité R1… opérationnelle. En attente de consignes. >>

<< Unité R2… opérationnelle. En attente de consignes. >>

Sur un ton et timbre identique, les deux androïdes prirent la parole en anglais. Ils étaient capables de passer en japonais également et dans une dizaine d’autres langues, ils adaptaient leur conversation à la langue qu’ils entendaient. Par défaut, ils étaient en japonais mais puisque les trois humains autour d’eux parlaient anglais, ils en avaient changé.

— Si ça te va, Kenji, je vais m’occuper de ces deux-là. Ils nous serviront d’arrière-garde.

— Je ne vois pas lieu de m’y opposer. Néanmoins, ne présumons pas d’entrée une présence ennemie à l’intérieur.

— C’est vrai.., dit Mia en prenant conscience que rien n’indiquait qu’il y en avait une.

— Néanmoins, il se passe quelque chose d’étrange pour sûr. Attendez-vous à trouver des cadavres.

Cette remarque, par contre, ne rassura pas du tout les deux femmes qui blêmirent sous leurs casques.

Quelques instants après, Rylee toussota, puis ordonna aux deux androïdes de s’équiper. Cependant, elle ne déverrouilla pas la sécurité de leurs armes (un code à reconnaissance vocale) pour le moment.

Les trois soldats revinrent chargé d’armes, ils attendaient les ordres de leur chef d’équipe, le professeur.

Ce dernier se tapota la jambe plusieurs fois, puis finit par dire d’une voix blasée :

— Canal 7. Utilisez le cryptage ORKIS 5. Distance maximale de dix mètres.

— Roger !

Les trois soldats se mirent en déplacement. Conformément aux ordres, leurs armes étaient baissées ou dans leurs holsters en attente de confirmation de présence hostile.

Mia était une fois de plus impressionnée par Kenji : il était biologiste, pas militaire et pourtant il savait donner des ordres que ces derniers comprenaient parfaitement. D’où tenait-il une telle compétence ?

Rylee revint avec les deux androïdes, qui la suivaient de près, et tendit un pistolet à Mia et Kenji.

— Euh… je ne sais pas tirer…

— C’est facile, Mia, dit le professeur. Il suffit d’engager la balle dans la chambre en tirant la culasse en arrière, puis de presser la détente jusqu’au bout. Le problème n’est pas de savoir s’en servir, mais de toucher sa cible.

— Il n’y a pas de sécurité ? demanda Mia.

Elle n’avait jamais utilisé d’armes à feu, ses connaissances se basaient sur les films qu’elle avait vu.

— Eh doc ! Tu t’y connais en flingue aussi ? demanda Rylee à la place de Mia.

— Évidemment. Un homme de science se doit de tout savoir. La sécurité est sur la gâchette, il faut impérativement la presser jusqu’au bout… Je suppose que ce bouton est celui du smart firing…

— C’est quoi ? demanda Mia.

Rylee sourit et lui prit le pistolet des mains en appuyant le bouton.

— Une fonction qui te sera utile…

Elle pointa l’arme vers son propre pied et pressa la détente. Mia sursauta et cria, paniquée, mais aucun tir ne détona.

— Haha ! Cette réaction était mignonne ! Le smart firing est un système qui reconnaît les alliés. Il y a un système d’identification RFID dans nos combinaisons et nos armures. Par contre, si l’un de nous la retire, il faudra faire bien attention.

Mia reprit son calme et se rendit compte en effet que cette fonction était pratique, d’autant plus pour une novice comme elle. Au moins, elle ne risquerait pas de tirer sur ses alliés par mégarde.

Cependant, en rangeant l’arme dans le holster à sa ceinture, elle se dit que le mieux serait de ne pas avoir besoin de s’en servir du tout.

Le professeur rangea l’arme également et se tapota à nouveau la cuisse, puis il dit à travers son communicateur :

— Début de l’opération 16h08. Terminé.

Les soldats répondirent en chœur une fois de plus, puis entrèrent dans la grotte suivit par les scientifiques et les deux androïdes à quelques mètres derrière.

***

— Chef ! La porte est verrouillée. Personne ne répond, dit Ewan.

Puisqu’ils n’étaient qu’à quelques mètres derrière eux, les trois scientifiques pouvaient aisément voir que les soldats appuyaient vainement sur le bouton d’ouverture du sas. Toutes les bases en étaient équipé, c’était une mesure sanitaire et sécuritaire indispensable.

Entre les deux portes se trouvaient normalement les douches désinfectantes et tout de suite après le vestiaire pour abandonner sa combinaison.

— Mmm… Essayez le code d’ouverture d’urgence, ordonna Kenji.

— J’sais pas si c’est le même que chez nous, mais nous avons déjà essayé : ça marche pas.

— Je… je devrais pouvoir faire quelque chose, dit Mia. Mais… Allons-nous vraiment forcer les portes d’une base de l’armée ?

Violer l’espace diplomatique du gouvernement japonais n’était pas un acte à prendre à la légère. En tant que chercheurs alliés, ils avaient parfaitement le droit de leur rendre visite, mais pas de s’inviter à l’intérieur.

Rylee et Mia observèrent longuement le professeur, qui soupira.

— Va-y, Mia. J’en assumerai les conséquences.

— Vraiment ?

— Nous ignorons la nature du problème mais il ne fait plus aucun doute qu’il y en ait un.

— Ils pourraient volontairement vouloir nous isoler dehors, fit remarquer Rylee.

— C’est peu probable. Il n’y aucune raison justifiant cet acte. Les caméras sont en marche, dit-il en fixant les deux au-dessus de la porte métallique d’entrée, mais ils ne s’adressent pas à nous. S’ils ne voulaient pas de nous, il leur suffirait de nous le dire, voire de faire feu.

Son regard passa des caméras à la mitrailleuse située à peine au-dessus dans une meurtrière. Il s’agissait d’un arme contrôlée depuis le poste de sécurité, une gatling gun aux canons de 20mm suffisants pour détruire un véhicule très faiblement blindé comme le Mars Cruiser.

— Nous devrions peut-être demander l’autorisation au directeur…, proposa Mia.

— Cela me semble inutile. Il n’a aucun moyen de contacter l’intérieur et il ordonnera la même chose que moi. Si vous m’avez fait chef de l’équipe, ne mettez pas en doute mes décisions.

C’était sans colère qu’il prononça ces paroles. Kenji ne semblait pas être quelqu’un capable de perdre son calme, il était tout simplement trop analytique et logique. Et de fait, ce qu’il venait de souligner l’était également.

Mia se tut et s’avança en direction de la porte. Elle fut accueillie par les soldats qui lui laissèrent le champ libre.

— Demande autorisation de dégainer nos armes, dit Ewan.

— Accordée.

Ewan transmis aux deux autres qui prirent leurs fusils d’assaut et se mirent en position pour couvrir Mia. De son côté, Rylee déverrouilla les armes et les fonctions de combat des deux androïdes ; leurs yeux devinrent rouges brillants. C’était une mesure qui n’avait aucune utilité fonctionnelle, elle permettait simplement aux humains qui les croisait de savoir qu’ils étaient en mode hostile.

Mia déglutit, puis prit à sa ceinture son ordinateur portable. C’était un modèle conçu pour l’exploration : entouré d’un cadre en métal, il était plus épais qu’un ordinateur domestique et avec un écran bien plus résistant. Il était petit et lourd, mais ses capacités de stockage et de calcul étaient optimales.

Avant de le brancher au cadran à côté de la porte, elle essaya un nouvelle fois la combinaison de déverrouillage d’urgence mais comme l’avait rapporté Ewan, aucune réaction de la part de la porte.

Elle prit un petit tournevis dans ses affaires et démonta le boîtier du cadran. Ce qui se trouvait derrière était identique au matériel de Cosmos Tanken, ce n’était guère étonnant puisque les deux bases venaient du même pays. Elle identifia les prises qui l’intéressaient et brancha son ordinateur dessus ; il s’agissait de celles utilisées par l’équipe de maintenance, tout simplement.

Ce n’était pas une manipulation compliquée pour elle, elle avait été formée. En plus, ses logiciels de sécurité informatique faisaient une partie du travail à sa place. Elle repéra très rapidement le réseau et se rendit compte que le boîtier était bel et bien connecté.

Tout ce qui lui restait à faire était d’utiliser les accès de la maintenance pour ouvrir le sas et entrer. Cela dit, c’était un peu étrange que le code d’ouverture qu’ils avaient utilisé n’avait pas fonctionné. Puisque le clavier ne fonctionnait pas, peut-être y avait-il un dysfonctionnement au niveau du clavier du boîtier, pensait-elle.

Néanmoins, ce qu’elle découvrit à cet instant lui glaça le sang : tout comme il existait un code de maintenance pour forcer l’ouverture d’urgence des portes, il semblait en exister un pour bloquer toutes les interactions avec le boîtier, aussi bien extérieures qu’intérieures. Cette mesure prévalait sur toutes les commandes du boîtier et était la raison de l’échec de leur tentative.

— Hein ? Comment… ?

— Qu’est-ce qu’il se passe, Mia-kun ? demanda Kenji en japonais, faisant suite aux paroles qui lui étaient spontanément sorties des lèvres dans sa langue maternelle.

— Le code d’ouverture d’urgence est bon, c’est le même que notre base, mais…

— Quelqu’un a désactivé le boîtier de l’intérieur ?

— Non, c’est un peu différent…

Mia réalisait que même les génies ne pouvaient pas tirer des conclusions de nulle part, sans une piste pour lancer la réflexion ils ne pouvaient pas sauter à la conclusion.

— Un code de verrouillage d’urgence.

Par contre, il était arrivé à la bonne réponse avant même que Mia n’eut le temps de la formuler.

— Oui. Il y a un code d’urgence pour verrouiller les boîtiers internes et externes. Son niveau d’accréditation est inférieur à celui du poste de sécurité, mais…

— Il permet d’enfermer les occupants de la base en cas de problème majeur tel qu’une contamination virale.

— Je… je suppose…

— C’est horrible ! ne put s’empêcher de s’exclamer Samantha après que le logiciel de traduction des casques ait fini de traduire la conversation.

Il fallait en général quelques secondes à ce dernier pour effectuer une traduction orale, c’est pourquoi en cas d’urgence, il valait mieux un réel interprète (d’où le choix d’avoir mis Ewan en tant que chef du groupe d’intervention). Puis, la fiabilité n’était pas absolue, surtout lorsqu’il s’agissait de traduire une langue pleine de nuances comme le japonais.

— En gros, ça revient à condamner tout le monde en les enfermant à l’intérieur. C’est ignoble ! poursuivit-elle.

— Ah ouais ! C’est grave flippant, dit Ewan. On a ça chez nous aussi ?

— Pas à ma connaissance, dit Mia en transpirant dans son casque.

D’autres réactions du genre sortirent des bouches des quatre membres de l’équipée. Les natifs américains, surtout, semblaient trouver de telles procédés abjectes, Mia était également choquée. Seuls Sora et Kenji ne disaient mots.

Lorsque les voix se furent calmées, ce dernier prit d’ailleurs la parole :

— Ne vous y trompez pas, les missions qu’elles soient nationales ou privées ne sont pas philanthropiques. Seuls les scientifiques ont un réel amour de la Science, pour les dirigeants elle n’est qu’un outil pour asseoir et étendre leur pouvoir. S’ils jugent nécessaires de nous sacrifier, ils le feront sans sourciller. Les yeux des terriens ont beau être rivés sur Mars, n’espérez pas récolter les lauriers de nos découvertes.

Ces paroles en anglais laissèrent sans voix les quatre membres de l’équipe ; malheureusement, elles étaient plus que crédibles, elles étaient sûrement la vérité.

Kenji soupira longuement et finit par ordonner :

— Mia, pirate la porte, je te prie.

— Euh… oui…

Mis à part la pirater, il n’y avait malheureusement plus réellement d’autres alternatives.

À présent que la commande d’urgence avait été activée, seul le poste de sécurité intérieur ou un code de désactivation —seulement du directeur de la base, très certainement— inséré directement sur le boîtier extérieur pouvait l’ouvrir. Cette dernière mesure devait sûrement permettre à une éventuelle équipe extérieure de venir récupérer les cadavres en cas de propagation virale ou autre problème majeur.

Mia n’avait pas le temps de s’interroger plus sur tout cela, elle exécuta le logiciel de hacking et parvint à isoler le code en à peine quelques minutes ; il n’était pas si bien protégé, mais il fallait absolument saisir le code sur le boîtier externe, ce qu’une personne piégée à l’intérieur ne pouvait plus faire.

Mia entra le code et déverrouilla la porte avant de reculer et de laisser la place aux soldats.

Une main se posa sur son épaule :

— Bien joué, Mia-kun, dit le professeur en japonais. Nous risquons de trouver des choses pires à l’intérieur, soyez prête au pire.

La jeune femme n’était pas du tout rassurée, mais elle hocha la tête et déglutit.

Directement après la porte se trouvait le sas. De chaque côté de celui-ci deux vitres-miroirs blindées permettaient aux agents de sécurité de voir ceux qui entraient depuis les petites salles construites derrière. Il y avait une mitrailleuse plus légère qu’à l’entrée dans le sas.

Toutes ces procédures n’existaient pas dans la base de Cosmos Tenkan.

— La différence entre le privé et l’armée, pensa Mia non sans frémir.

Les soldats qui s’étaient engagés les premiers ne tardèrent pas à passer la seconde porte ; aucune douche désinfectante ne s’activa, elle devait certainement être activée manuellement, ce qui indiquait qu’il n’y avait plus personne derrière les vitres-miroirs.

— Il y a des traces de sang de ce côté-ci, indiqua Sora d’une voix impassible.

— Jesus ! s’écria Ewan.

— Geuh ! Fuck !

Les réactions étaient en faveur de la surprise et du dégoût.

— Présence hostile ? demanda le professeur avec sang-froid.

— Pas la moindre, dit Sora. Nous prenons place dans le couloir et vous laissons observer ça de plus près.

— Faites.

Mia commençait à comprendre pourquoi le directeur avait affecté un génie comme Kenji à cette mission : ce n’était pas seulement pour sa capacité à comprendre, mais également pour son calme.

Accompagnés des androïdes, les trois scientifiques entrèrent dans le sas et passèrent la seconde porte où ils comprirent bien vite ce qui avait choqué les soldats, en position un peu plus loin : du sang et des morceaux de cadavres dans tout le couloir.

Rylee recula aussitôt en se mettant à trembler. Mia, de même, sentit une franche envie de vomir. Les combinaisons avaient beau les isoler des odeurs, il n’en demeurait pas moins que ce spectacle était troublant et saisissant.

Mia manqua de défaillir alors qu’un morceau d’intestin tomba sur son épaule.

Les deux femmes retournèrent à l’intérieur du sas, tandis que le professeur se tenait debout au milieu du cadre de la porte.

Devant lui, Sora était plaqué à un mur à côté d’une porte ; Ewan faisait de même avec une autre porte. Quant à Samantha, elle avait activé son camouflage optique et nul ne la distinguait plus.

Le professeur soupira longuement, puis :

— À toute l’équipe, retournons au véhicule pour faire un rapport au directeur.

L’ordre fut accueilli avec enthousiasme, personne ne le contesta. L’équipe quitta la base, Sora qui fermait la marche referma les portes et tous revinrent au Mars Cruiser pour y prendre leur calme.

Le ciel était orange ocre, de fins nuages à haute altitude circulaient comme s’ils désiraient simplement marquer de tâches la voûte céleste.

Mais ce n’était que le début d’un cauchemar, le sarcophage qui venait d’être ouvert n’était pas appelé à être refermé de sitôt.

***

— J’ai bien conscience de votre désarroi, mais s’il s’est passé quelque chose d’aussi grave, il me semble impératif que vous poussiez l’enquête plus avant.

— Hein ? Vous n’y pensez…

Le professeur fit un geste de la main et invita Rylee à se taire. La communication était ouverte, tous ceux à bord du véhicule pouvaient l’entendre et y prendre part.

— Je comprends, Monsieur le Directeur. Néanmoins, même si nous sommes en été, je ne consacrerai pas plus de deux heures à l’enquête. Nous rentrerons tout de suite après.

— Entendu. Je te fais confiance, Kenji.

La communication fut coupée sans plus tarder.

Le volcan éteint Mons Arsia dans laquelle se trouvaient les bases était situé dans l’hémisphère sud. Actuellement, ils se trouvaient en plein été martien.

Néanmoins, contrairement à celui terrien, la température n’était pas si élevée. La nuit, elle chutait drastiquement, il aurait été dangereux de se trouver en extérieur à ce moment-là.

Même avec les combinaisons, il était improbable de survivre à une nuit à l’extérieur, tous le savaient bien. Il restait encore de nombreuses heures cependant, même en comptant le trajet de retour.

— Vous m’avez entendu ? dit le professeur. Accomplissons notre travail.

— En fait, je ne vois pas ce que ça nous amènera, contesta franchement Samantha. On sait déjà qu’ils sont morts, à part prendre des risques inutiles…

— Et s’il y avait des survivants ? Et si le même danger menaçait Bishamon IV ? Tu y as pensé, Samantha ?

La soldate fit claquer sa langue mais ne répondit pas de suite. En effet, rien n’indiquait que ce qui avait frapper Gyouten allait y rester.

Au contraire, le silence des autres bases n’était-il pas à mettre en relation avec ce qui s’était passé ici ?

— En tout cas, ceux qui ont fait ça sont de sacrés tarés, dit Ewan. J’en ai vu des massacres, mais là… on distinguait à peine le sol.

Mia faillit vomir en repensant à l’intestin qui lui était tombé dessus.

— Ils ont cherché à fuir et se sont tous amassés devant l’entrée, dit froidement Kenji. À ce stade, nous ne pouvons pas savoir s’ils ont été démembrés avant ou après leur mort. Ne vous laissez pas submerger par vos émotions et ne tirez pas de conclusions hâtives. Ce n’est pas une attitude digne d’un scientifique.

Les paroles de Kenji firent mal à Mia, elle se considérait comme telle mais se rendait compte qu’elle était encore loin de correspondre à l’idéal qu’incarnait le professeur. Un scientifique se doit de mener des analyses pour comprendre, il ne doit pas tirer appuyer de théories sans preuves. Cette démarche devait s’appliquer même aux pires situations comme celle dont ils avaient été témoins.

— C’est… vrai…, confessa Mia. Je… Désolée, Professeur.

— Tsss ! C’est naturel de paniquer…, marmonna Samantha. Même moi qui a déjà tué des gens ça m’a chamboulé.

— D’ailleurs, elles étaient où les douilles et les trous de balles ? demanda Ewan. C’était une base de bidasses, ils se sont fait avoir sans se défendre ?

La porte du Mars Cruiser s’ouvrit alors que Sora mit le pied à l’extérieur.

— Avoir reçu ordres… Ikanainara, wakaru koto dekinai.

Il avait fait l’effort de dire le début dans un anglais imprécis, mais presque adorable.

— Ouais, ouais… Vous aut’ les japonais vous pouvez être si bornés quand il s’agit d’ordres, dit Ewan en japonais à son tour.

L’équipe ressortit du Mars Cruiser. Samantha attrapa la main de Rylee et lui dit :

— Si tu ne le sens pas, tu peux nous attendre dans la voiture. Le professeur ne t’obligera sûrement pas.

— Je… Non, c’est bon, je dois diriger les androïdes.

— Il doit pouvoir s’en charger lui-même, tu sais ?

Elles étaient un peu à l’écart, près du véhicule, elles passaient par un canal de discussion isolé. Les autres étaient en train de se rééquiper.

— Je sais… Mais j’ai lu une sale histoire d’un soldat resté dans le véhicule pendant que ses compagnons allaient voir ce qui se passait dans les couloirs de leur complexe sur Phobos… Il s’est retrouvé tout seul à combattre les démons, au final. Je n’ai pas envie de devenir ce soldat.

— C’est pas un jeu vidéo, tu le sais bien, Rylee.

— Je sais… Mais je ne supporterai pas de me retrouver seul… sans toi.

Samantha appuya son casque contre celui de Rylee et lui serra la main avec vigueur.

— Fais bien attention dans ce cas.

— Oui.

***

Le groupe retourna à l’intérieur de la base, refermant uniquement la porte extérieur du sas pour éviter la perdition d’air ; le système de ventilation paraissait fonctionner, malgré tout personne ne parut vouloir retirer son casque.

— Je vais faire un petit relevé. Soldats, protégez-moi.

— Roger !

Les trois soldats se placèrent devant le professeur Kenjii, accroupis, en braquant leurs fusils d’assaut vers le fond du couloir au silence inquiétant. La vision de ce massacre restait toujours aussi horrible, il n’y avait que peu d’endroit épargnés par les traces de sang, mais la surprise passée Mia et Rylee parvinrent à surmonter le sentiment de dégoût.

Les deux androïdes brandissaient leurs fusils d’assaut et, à la manière des trois soldats, mettaient en joue le fond du couloir.

Il fallut quelques minutes au professeur pour récupérer les échantillons de sang, de peau et d’organes.

— C’est bon, avançons. D’abord le hangar à gauche. Rylee, envoie les androïdes.

— Euh… Oui, bien reçu.

Les deux premières portes dans le couloir étaient celles des vestiaires et du hangar numéro 1. L’éclairage s’activa à peine le groupe mit-il les pieds dans la zone de détection des senseurs, ce qui indiquait bien l’absence d’occupants à l’intérieur.

Il y avait quelques traces de combat et de sang plus éparse qu’à l’entrée du couloir principal de la base. En avançant dans ce dernier, le groupe d’exploration s’était bien rendu compte que la majorité des meurtre avaient eu lieu en essayant de quitter la base, devant la porte du sas ; il y avait moins de traces en poursuivant vers l’intérieur.

Contrairement au couloir, dans les deux salles se trouvaient des douilles et des impacts de munitions.

— Je vais faire des prélèvements. Rylee, Mia, consulter les registres des ordinateurs pour trouver des indices.

— Oui…

Aucune des deux n’avait envisagé de ce faire, l’angoisse leur avait fait perdre leurs moyens.

Les ordinateurs présents dans le hangar n’étaient pas particulièrement sécurisés, ils étaient à usage des mécaniciens et ne contenaient pas de données confidentielles. C’est ainsi que les deux femmes purent apprendre qu’un seul véhicule, un Mars Cruiser, manquait dans la base. Elles disposaient également de l’information quant à son heure de sortie.

— En effet, on dirait bien qu’il y avait ici un véhicule à cet endroit-là.

Rylee montra au sol des traces confirmant les données de l’ordinateur et prouvant qu’à cet emplacement vide il y avait eu un véhicule.

— Une information intéressante, Rylee. De mon côté, j’ai fini également, dit le professeur. Allons inspecter les vestiaires.

Ces derniers se trouvaient en face, une pièce bien plus modeste en taille. Tout était en désordre et couvert de sang et de morceaux de cadavres qui dissuadèrent Mia et Kenji, les deux scientifiques, d’y entrer.

Faisant suite à cette salle, un petit couloir partait à droite et menait au second hangar. Tout comme le premier des traces attestaient des combats qui y avaient eu lieu. Les sorties de la base avaient été verrouillées.

Le seul élément qui différait du précédent hangar visité était un cadavre caché derrière un ensemble de caisses.

— Un suicide…, dit Kenji calmement.

Il referma les yeux du cadavre au visage ravagé par la terreur. Mia derrière lui ne put s’empêcher d’éprouver une profonde tristesse, ainsi qu’une angoisse de plus en plus forte.

— C’est étonnant qu’ils n’aient pas disparu comme les autres… Quelle peut en être la raison ?

— Qu’est-ce qu’ils ont bien pu vivre ici… ? se demanda Mia avec une voix affectée.

— Nous ne tarderons pas à le découvrir, j’en ai bien peur…

De retour dans le couloir, le groupe poursuivit et arriva à une intersection. Plusieurs choix s’offraient à eux : en face les dortoirs, à gauche la cafétéria et la salle d’entraînement et à droite les laboratoires et l’usine d’assemblage robotique.

— Allons dans les laboratoires. Je doute que nous trouvions quoi que ce soit de plus concluant dans les espaces de vie, dit le professeur.

Personne ne semblait motivé par poursuivre l’exploration, mais plus personne n’avait envie de contredire ses ordres. Sans opposition, le groupe suivit ses directives.

— Si… si nous trouvions le poste de sécurité, je pourrais accéder aux caméras de surveillance, dit Mia.

— En effet… Se séparer permettrait d’accélérer les recherches, mais serait une idée malvenue, considérant que nous ignorons tout de la menace qui a causé ce carnage. Samantha, tu ne pourrais pas faire de la reconnaissance avec ton camouflage optique ?

Cette dernière ne parut pas vraiment enchantée par l’idée mais acquiesça.

Elle disparut sous les yeux ébahis de ses compagnons, cette technologie était rare et incroyable même pour ceux qui en connaissaient le fonctionnement.

Elle se dirigea vers les laboratoires. Il y en avait quatre. Le quatrième, au fond du couloir, était l’endroit le plus éloigné du complexe.

Samantha ne s’y rendit pas de suite, elle préféra suivre le chemin qui se séparait et partait vers la gauche. Ce dernier passa derrière les laboratoires 1 à 3, des vitres permettaient d’en voir l’intérieur : de nouvelles scènes de massacres. Cette fois, tous les cadavres n’avaient pas disparus.

Elle fit immédiatement son rapport à travers le communicateur de sa combinaison :

— Le couloir se poursuit jusqu’à une zone en travaux. Je vois une porte au bout.

— Merci, Samantha. Peux-tu aller jeter un œil ?

— Oui !

Sur la pointe des pieds, peu rassurée, elle s’approcha de la porte où une plaquette indiquait : « poste de sécurité ».

— Trouvé !

C’était un coup de chance, elle n’avait croisé aucun ennemi et avait trouvé ce que le groupe cherchait. Ses membres ne tardèrent pas à la rejoindre.

— On dirait que les ennemis se sont fait la malle, dit Ewan.

— C’est peu probable, les portes étaient verrouillées à notre arrivée. Quoi qu’ils soient, ils sont toujours là.

Mia releva que le professeur Kenji n’avait pas dit « qui que ce soit », mais elle ne chercha pas à s’enquérir sur la raison à ce moment-là. À la place, elle s’empressa de s’asseoir et de se mettre à pianoter pour tenter d’accéder aux caméras de surveillance.

Malheureusement, même si elle s’y connaissait en informatique, elle était avant tout une experte en géologie.

— Les caméras sont toujours actives. Hacker le système pour m’octroyer les droits de consulter les enregistrements serait long, mais je peux au moins accéder aux enregistrements en cours.

À ce moment-là, Kenji jeta devant Mia une carte de sécurité couverte de sang.

— Essaye avec les identifiants qui figurent dessus.

— Ou… ?

— C’était celle du suicidé. Vous avez tous préféré détourner les yeux…

Mia ne put s’empêcher de ressentir une pointe de reproche dans ces propos, bien que le ton de voix du professeur paraissait identique à son habitude.

— Regarde d’abord la caméra du couloir d’entrée.

— Euh… oui…

Mia n’eut aucun mal à retrouver le moment où tout s’était déroulé, la veille en après-midi. Le massacre avait duré quelques minutes seulement, mais la couleur du couloir avait subitement changée ce qui était particulièrement visible sur le petit écran où se rejouait la scène.

Par un mélange de devoir et de curiosité morbide, elle se rapprocha de l’écran et le fixa. Ses yeux s’écarquillèrent en observant la scène.

Elle resta en silence quelques instants, vissée à sa chaise. Le professeur remarquant son attitude étrange s’approcha et, sans demander son assistance, il fit revenir la scène en arrière pour l’observer lui-même.

— Ce… C’est quoi… ça… ?

— C’est bien ce que nous cherchons à savoir, Mia-kun.

— Était-ce… humain ?

Puisqu’ils parlaient en japonais, Samantha et Rylee, qui se trouvaient dans la salle également, ne comprenaient rien. Pour leur part, Ewan et Sora étaient restés en surveillance dans le couloir.

— C’est ce que nous voulons déterminer, Mia-kun, répéta-t-il. Il se peut que nous soyons en présence de la forme de vie complexe extraterrestre découverte par l’humanité.

— Mais… Mais…

Elle ne manqua pas de ressentir une sorte d’excitation dans la voix du génie qu’elle ne la partageait pas vraiment : bien sûr, c’était l’événement tant attendu par la communauté scientifique mais ce first contact s’était terminé dans un bain de sang malgré tout.

Sur la vidéo, on pouvait parfaitement distinguer des créatures humanoïdes de petites tailles. On ne distinguait pas les détails de leur physionomie, mais ils avaient une paire d’ailes d’insecte dans le dos et des griffes au bout des doigts. Certains projetaient leurs langues pour tuer les scientifiques qui s’étaient agglutinés devant l’entrée, cherchant à fuir.

— Mia-kun poussons l’enquête plus loin. Il me faut voir les enregistrements de la journée.

— Il faut surtout que nous prenions la fuite et scellions cet endroit à jamais !

Elle comprenait mieux pourquoi tout avait été fermé.

— Ne raconte pas n’importe quoi. Regardons cela de plus près. Quel scientifique refuserait cette chance inouïe d’en apprendre plus ?

Mia réalisa quelque chose à cet instant : il y avait sûrement un rapport avec les rumeurs concernant les monstres apparus sur Terre en fin d’été.

— Vous… Vous étiez au courant ?

— Au début, j’ai refusé cette théorie comme la plupart des membres de notre communauté, mais rapidement elle me devint une évidence.

Mia n’eut pas le temps de l’interroger plus à ce sujet que Rylee dit :

— Les androïdes détectent des présences en approche depuis le laboratoire 4.

Lorsqu’ils étaient entrés dans le poste de sécurité, Rylee les avait envoyé sécuriser la dernière intersection qui leur était connue.

— Que disent leurs senseurs ? demanda immédiatement Kenji.

— Que… ? C’est quoi ces machins ?

Rylee observait sur l’écran d’un ordinateur similaire à celui de Mia les données des caméras des androïdes.

— Feuuuu !! Ordonne-leur de faire feu ! cria Mia qui savait à quoi s’en tenir.

— Nooooonnn ! Ne faites pas ça ! Il faut établir un contact !

— FEUUUUU !! cria Mia encore plus fort.

Kenji, dans un sursaut d’emportement, asséna à cette dernière un coup du revers de la main pour la faire taire, mais aussitôt il s’écroula inconscient au sol. Derrière lui se tenait Samantha, elle venait de lui donner un coup de crosse à l’arrière de la tête.

— Je ne comprends pas la situation, mais filons d’ici ! dit-elle.

Mia ne pouvait qu’être d’accord, elle se leva et essuya sa joue ; elle avait mal mais Kenji n’avait pas frappé assez fort pour lui arracher une dent ou lui déboîter la machoîre. Les coups de feu commencèrent à retentir dans les couloirs. Ewan et Sora se tenaient à l’entrée de la salle.

— Qu’est-ce qu’il se passe bordel ?! demanda Ewan en remarquant le professeur allongé au sol.

— Il faut partir d’ici ! Et vite ! cria Mia. Que quelqu’un le prenne sur l’épaule !

Remarquant que les coups de feu venaient de cesser et que l’image sur l’ordinateur de Rylee était pleine de bruit numérique, Mia ravisa ses ordres :

— Rylee, aide-moi ! Vous trois défendez-nous !

Elle ignorait d’où elle tirait cette force soudaine qui la rendait capable de telles initiatives, mais il fallait que quelqu’un donnât des ordres dans une telle situation. Probablement était-ce l’instinct de survie et la peur qui l’animait.

Elle attrapa le professeur par l’avant et laissa les pieds à Rylee.

— Kuso… kuso… Merde !! s’écria Mia en proie à l’urgence.

Rylee pleurait dans son casque. À travers les caméras des droïdes, elle avait également vu les horreurs qui grouillaient dans le complexe et qui provenaient du laboratoire 4. Si Samantha n’avait pas eu l’idée d’explorer le couloir de gauche, leur groupe serait tombés sur eux à l’heure qu’il était et qui sait quelle aurait été la conclusion.

Les trois soldats avaient quitté le poste de sécurité, ils s’étaient positionnés dans le couloir et, sans même savoir qui était leur ennemi, ils avaient ouvert le feu. La M2 Browning d’Ewan était assourdissante, provoquant un tintamarre infernal dans cet espace confiné.

Il ne manqua pas ses cibles, rapidement une dizaine de cadavres de ces petites créatures non-identifiées jonchait le sol lorsqu’une grenade tomba à proximité, dans le couloir.

— Tous aux abris ! cria Ewan.

Un flash lumineux et un bruit assourdissant se répandirent ; c’était une grenade flashbang. Les casques des armures de combat étaient conçus pour réduire leurs effets sur les yeux et les tympans, mais pendant quelques secondes Ewan fut malgré tout sonné. Il ne remarqua pas les deux silhouettes qui tombaient sur lui.

Malgré leurs tailles, ces êtres avaient une force démentielle. Le géant de deux mètres qu’était Ewan fut incapable de tenir debout. Une vive douleur se fit ressentir à l’épaule et une autre dans le flanc : des griffes s’enfoncèrent dans son corps.

— Aaaaaaaahhhh !

Alors qu’il allait se défendre, néanmoins, il sentit ses agresseurs tomber mollement sur son large torse. Il aperçut la silhouette de Sora, un katana à la main, au-dessus de lui.

— Relève-toi, senpai. Nous n’avons pas le temps, d’autres rappliquent.

En tant que cyber-soldat, Sora avait des yeux cybernétiques qui réduisaient encore davantage les effets des flashs lumineux. Il n’avait pas du tout subi les effets de la grenade.

Ewan se releva tant bien que mal, la blessure à son flanc lui faisait mal et sa combinaison était à présent percée. Les coups de feu reprirent, il entendit le bullpup de Samantha tirer et entendit Sora porter des coups d’épée.

— Putain ! C’est vraiment pas ma journée, on dirait…

Il serra les dents pour ignorer ses blessures mais se résigna à passer à quelque chose de plus efficace. Appuyant sur un bouton de son armure, il s’injecta une dose de morphine qui fit immédiatement disparaître la douleur.

Puis, il tira un objet d’une de ses poches : une sorte de tube de colle. La description n’était pas si éloignée de la vérité, il s’agissait d’une mousse à séchage rapide qui permettait de combler les trous dans les combinaisons. Un objet indispensable dans un environnement irrespirable.

— J’en reviens pas que ces trucs ont percé mon armure… Bordel !

Il jeta un regard dégoûté aux deux créatures, à ses pieds : Sora n’avait pas réussi à entièrement les découper. L’une était d’ailleurs à l’agonie. Ewan posa son pied sur sa boîte crânienne et pressa jusqu’à l’entendre craquer.

Pendant ce temps, Rylee et Mia l’avaient rejoint en portant le professeur, elles avaient assisté à la scène. Rylee ne put empêcher un « gross ! » d’échapper de ses lèvres. L’heure n’était pas à la discussion.

Des coups de feu qui n’étaient pas ceux de l’arme de Samantha se firent entendre. Ewan attrapa sa mitrailleuse M2 au sol et reprit position en ignorant ses blessures et le sang qui continuait de couler dans son armure.

— Un des hostiles utilise nos armes ! cria Samantha dans son communicateur.

— Je vous couvre ! Escortez-les jusqu’à la sortie !

Les soldats tenaient à présent l’intersection où étaient tombé les deux androïdes. Les ennemis venaient du couloir qui menait au laboratoire 4 ; c’était probablement l’endroit où avaient été amenés tous les cadavres du complexe.

Ewan épaula son arme lourde et commença à faire feu dans le couloir, la cadence de tir de l’arme lui permettait de créer un barrage de tirs qu’il était impossible d’esquiver. Toute créature entrant dans la zone serait immédiatement touchée.

Et, effectivement, les trois monstres qui eurent l’imprudence de courir dans la direction des soldats tombèrent sous les tirs répétés.

Mia et Rylee étaient arrivée dans le couloir principale qui reliait à la sortie. Elles voyaient la couleur rouge abjecte qui le teintait et qui leur avait secoué les entrailles à leur arrivée. La situation ne leur laissait cependant pas le loisir d’hésiter et de s’apitoyer.

Derrière elles, Sora tirait avec son fusil d’assaut tenu d’une seule main ; il visait un groupe d’ennemis venus des dortoirs. De l’autre main, il brandissait son katana.

Pour sa part, Samantha avait disparu.

La silhouette d’un homme en tenue militaire de l’Armée Spatiale Japonaise fit son apparition devant Ewan. Immédiatement, la gueule rugissante de la mitrailleuse M2 s’orienta vers lui et une volée de munitions déferla dans sa direction, mais…

À la plus grande surprise d’Ewan, une sorte de champ de force apparut devant le soldat, les munitions s’écrasèrent dessus sans atteindre la cible se trouvait derrière.

— C’est… quoi ce bordel ?!

De toute son expérience de militaire, Ewan n’avait jamais entendu parler d’un champ magnétique ou de quoi que fût du genre permettant d’arrêter les balles. Il continua malgré tout de faire feu jusqu’à ce que son arme fût vide.

La mitrailleuse Browning M2 était prévue à la base pour être montée sur des véhicules, même si Ewan pouvait l’utiliser grâce à son armure assistée, il ne disposait pas d’une réserve de munition aussi conséquente qu’utilisée normalement.

Le soldat ennemi profita de l’arrêt des tirs pour tendre des mains desquels jaillirent soudain des éclairs. Sans son armure, Ewan aurait sûrement été grillé sur place.

Sora, qui se battait dos à dos avec lui, vit toute la scène incroyable. Avait-il était choqué ? Troublé par ce soldat capable de tirer des éclairs à mains nues ?

Quoi qu’il en fût, il réagit immédiatement en braquant son arme vers l’ennemi alors qu’Ewan tomba à genoux.

Sora pressa sur la détente. De la gueule de son arme sortirent des flammes.

Grâce à ses yeux cybernétiques, son taux de précision était proche des 100 %, ses balles tracèrent sans faute une trajectoire vers sa cible mais elles vinrent s’écraser elles aussi sur la barrière défensive du soldat.

De la même manière qu’il avait fait avec Ewan, ce dernier profita du temps de rechargement de Sora pour essayer de l’engager au corps-à-corps à une vitesse inhumaine.

* BAAAM *

Une détonation sourde retentit dans le dos de Sora. Il reconnut aussitôt une munition anti-matérielle, celle du fusil sniper de Samantha.

La balle cueillit le soldat en plein torse et le projeta en arrière. C’était un tir incroyable, d’une précision de maître, il aurait abattu sans difficulté un éléphant et aurait pu abattre même un tank léger, mais… l’ennemi se releva la seconde suivant le tir.

Un énorme trou ornait sa poitrine, il crachait du sang, mais une réaction biologique se produisit et une mousse apparut sur le pourtour de sa blessure. C’était incroyable : il était en train de se régénérer.

— What the hell… ? s’écria Samantha, invisible.

Le soldat à présent régénéré reprit sa charge. Sora activa l’implant cybernétique qui se trouvait collé à son cerveau : un stimulateur synaptique. Grâce à ce dernier, le monde se mit à tourner au ralenti. Il empoigna son katana à deux mains et fonça à son tour en direction de l’ennemi.

Lorsque ce dernier sauta en direction d’Ewan —sa cible depuis le début—, Sora porta un coup puissant et rapide qui le découpa dans toute sa longueur. L’action fut si rapide, brutale : le sang n’eut pas le temps de l’asperger et les organes n’eurent pas le temps de lui tomber dessus qu’il se tenait déjà derrière la créature.

Lorsque Sora se retourna, il découvrit le cadavre en deux morceaux. Cette fois, l’étrange écume rouge n’apparut pas et laissa penser que le monstre était définitivement mort.

Cependant, d’autres bruits de pas et des cris furieux s’élevèrent : d’autres créatures arrivaient.

Samantha prit Ewan sur son épaule et entra le couloir menant à la sortie. Sora ferma la marche.

Il trancha deux autres créatures, un humain sans augmentations n’aurait jamais pu y arriver. Un troisième monstre décida de ne pas venir au corps-à-corps, il projeta à la place sa langue tel un fouet.

Sora l’esquiva de justesse, même dans le monde ralentit dans lequel il évoluait. Aussitôt, il contre-attaqua en la tranchant et en se ruant sur l’ennemi dont il sépara la tête du corps.

À son tour, il abandonna sa position et se rua vers la sortie.

C’est là qu’il remarqua qu’il n’avait pas réussi à esquiver entièrement la dernière attaque : sur son armure était apparu un trou. À son travers, il put remarquer que le métal de son bras artificiel avait pris une couleur anormale.

— De l’acide… ? marmonna-t-il.

Mais quel acide pouvait-il attaquer aussi facilement une armure dernier cri et des implants ?

Il n’eut pas le temps de mener l’enquête plus loin, il rengaina son arme, s’assura qu’il n’y avait pas d’autres gouttelettes d’acide en train de ronger son corps, puis il appliqua la même mousse qu’Ewan avait précédemment utilisée pour calfeutrer son armure.

Enfin, il franchit le sas et quitta le complexe.

Le reste du groupe était déjà dans le Mars Cruiser, aussi il ferma les portes et les verrouilla pour de bon, comme elles étaient à leur arrivée.

***

L’équipe d’exploration s’éloigna seulement de quelques minutes avant d’arrêter le véhicule : ils devaient considérer leur plan d’action.

Rentrer semblait tout indiqué, néanmoins Ewan avait été gravement blessé, il avait perdu conscience en entrant dans le véhicule. Il lui fallait des soins urgents et le professeur était lui-même encore assommé.

De plus, à l’extérieur, le ciel s’était gâté…

— On dirait qu’il va y avoir une tempête, dit Mia.

— Il vaut mieux contacter la base de suite, marmonna Rylee qui tremblait encore.

Samantha, toute soldate qu’elle était n’était pas dans un meilleur état d’esprit, elle tenait fermement la main de son amie à la recherche d’un réconfort.

— C’était quoi… tout ça ?

Rylee se colla à elle, même à travers leurs combinaisons, elles se transmettaient l’une l’autre leur affection. Aux yeux de Mia, il ne faisait plus aucun doute qu’elles étaient en couple, cet échange intimide en était la preuve, il dépassait la bonne entente.

— Koko ni. Nani ga aru ka ?

Sora, qui était assurément le plus calme de tous, malgré le fait qu’il avait été le plus proche des monstres, pointa du doigt une forme noire à quelques kilomètres. Elle était difficile à distinguer.

— Tu as raison, on dirait bien qu’il y a quelque chose…, répondit Mia en japonais.

Quelques secondes plus tard, les deux anglophones reçurent la traduction à travers leurs casques.

— Vous avez raison, mais… j’ai vraiment pas envie d’aller voir ! dit Rylee.

— C’est peut-être des survivants, fit remarquer Mia.

S’ils y en avaient, elle supposait qu’il s’agissait forcément de ceux qui étaient sortis avant le massacre et qui avaient condamnés les portes. Elle avait bien vu la vidéo, personne n’avait réchappé. Si les trois soldats n’avaient pas été si efficaces et s’ils n’avaient pas été aussi prompts à agir, le sort du groupe n’aurait pas été différent à l’heure actuelle.

Qui sait combien de ces monstres le complexe accueillait-il encore ?

L’autre question que se posait Mia était de savoir d’où provenaient-ils ?

Dans le pire des scénarios, les monstres grouillaient dans les profondeurs martiennes et lors d’une excavation les soldats de la base Gyouten les avaient réveillés. Peut-être même en avaient-ils ramenés endormis à la base et avaient-ils mené des expériences dessus.

Quoi qu’il en fût, le groupe n’avait pas eu l’occasion d’examiner ce qui se passait dans le laboratoire numéro 4, aucune théorie ne pouvait être démentie, pas plus qu’elle ne pouvait être prouvée.

— J’avoue que je n’ai pas plus d’envie d’y aller, dit Samantha. Mais, je peux déjà utiliser la lunette de mon fusil pour en apprendre plus.

Un silence pesant suivit cette proposition. Une fois de plus, le seul qui ne semblait pas perturbé était Sora. Aux yeux des pro-humanité —c’était ainsi que se revendiquaient les opposants aux augmentiques—, ceux qui recevaient des implants militaires en grand nombre perdaient leurs sentiments. Que cela fût vrai ou faux, il était évident que Sora avait un sang-froid à toute épreuve.

Dans une telle situation, il valait mieux des personnes comme lui, la panique n’apporterait aucune résolution aux problèmes.

Assez naturellement, sans s’en rendre compte, Mia prit une fois de plus le commandement :

— Ne cédons pas à la panique. Nous ne savons rien quant à de ce que nous avons vu dans la base, il se peut que ce soit le résultant d’une expérience qui auraient mal tourné. Il n’y a pas lieu de penser que ces mon… choses soient dehors.

Au début, elle avait plus penché vers l’hypothèse d’une vie primitive endormie dans les entrailles de la Planète rouge, mais en y réfléchissant plus posément, il apparaissait plus probable de supposer ces monstres des expériences ratées, peut-être des micro-organismes ayant fait muté les chercheurs.

En 2065, ce genre de manipulation génétique commençaient à devenir une réalité, on utilisait déjà des retro-virus pour corriger des malformations génétiques. De même, certaines augmentiques faisaient appel à des organes améliorés par ce biais (qu’on implantait ensuite sur les sujets).

Puis, le fait que la menace était sortie des laboratoires n’était pas sans raison.

— Un retro-virus martien inconnu ne serait pas si absurde…, pensa-t-elle.

Même dans la base Bishamon, les scientifiques disposaient de spécimens de bactéries martiennes et même quelques extrêmophiles tombés sur la surface de la planète en même temps que des météorites. Il n’y avait aucun doute que Gyouten devait détenir le même genre de sujet d’expériences, peut-être que l’un d’eux avait muté au contact des organismes humains et avait engendré ces horreurs.

Cela ressemblait à un scénario de science-fiction mais n’en était pas un : les monstres qui les avaient attaqués avaient été bel et bien réels.

— J’avoue que ce qui m’inquiète le plus est l’éventualité d’une tempête, poursuivit Mia. Nous ne sommes qu’à une heure de la base, mais si elle nous tombe dessus avant…

Les tempêtes sur Mars n’étaient pas aussi violentes que sur Terre en raison de sa pression atmosphérique mais étaient plus difficiles à prédire. De plus, fréquemment elles frappaient l’ensemble de la planète. Malgré les sondes et satellites, le climat martien demeurait une énigme.

Novembre n’était pas la saison où elles se manifestaient le plus souvent, cela dit, mais les dernières semaines en avaient vu plusieurs malgré tout. Le climat paraissait anormal en cette année 2065.

— Manquerait plus que ça…, se plaignit Rylee, la moins rassurée du groupe.

— Prévenons la base, puis cherchons un abri. On en profitera pour remettre Ewan sur pied.

Les regards se tournèrent vers le géant endormi, puis sur le professeur.

— Et lui ? On en fait quoi ? demanda Samantha.

Sora ne comprenait pas ce qui était arrivé à Kenji, il n’avait pas posé de questions. Mia et Samantha s’observèrent quelques instants à travers les visières de leurs casques.

— Il risque de vouloir y retourner…

— Personne ne l’en empêchera. Mais je doute qu’il le fasse en traversant le tempête, dit Mia.

— Je ne comprends pas… Qu’est-ce qui lui est passé par l’esprit ? se demanda Rylee, se parlant à elle-même.

— Personne n’a jamais compris ce qu’il pensait de toute manière. Rylee, je compte sur toi pour paramétrer les antennes et nous ouvrir une communication avec la base tant que c’est encore possible. Samantha, essaye de déterminer ce qu’est cette silhouette. Sora-san, mimawatte kudasai.

Les ordres donnés, les deux soldats quittèrent le véhicule. Sora se tourna du côté de la base Gyouten encore à vue en tenant son fusil d’assaut prêt à tirer, tandis que Samantha épaula son sniper en direction de la silhouette noire à l’horizon.

Rylee ne tarda pas à ouvrir un canal de communication en orientant les antennes du Mars Cruiser ; la communication grésillait affreusement.

<< … reçoit très mal… que… >>

— Je vous reçois très mal également, dit Mia. Nous avons des blessés. La base Gyouten est tombée. Les ennemis sont des formes de vie inconnues. Stop.

<< … tempête… approche… refuge… ment… >>

— Nous reprendrons contact après la tempête. Terminé.

Mia coupa la communication. La tempête de poussière charriait des particules magnétiques qui perturbaient les ondes, ce n’était pas un fait si inhabituel mais sans aucun relevé, en vérité, elle ne faisait que supposer. En tout cas, la réception était vraiment mauvaise.

Samantha s’approcha d’elle :

— Il s’agit d’un Mars Cruiser à l’arrêt.

— Je parie celui qui manquait à la base Gyouten…

Mia prit un instant de réflexion, puis demanda :

— Tu as vu des grottes dans les environs ?

— Non loin de leur véhicule, il y en avait deux.

Mia hocha légèrement la tête, puis, dans les deux langues à la suite…

— Samantha, Sora, vous vous sentez d’attaque ? J’aimerais qu’on aille voir ce véhicule et qu’on s’abrite dans une de ces grottes : il y a des chances qu’elles soient occupées.

La réponse de Sora fut immédiate, sans hésitation :

— Je suis prêt. Je suivrais les ordres.

— Euh… Euh… Et merde ! J’aurais préféré rentrer mais je suppose que nous n’avons pas le choix. Ouais, c’est bon ! Peu importe de qui il s’agit, on s’en occupera même juste à nous deux.

— Moi, je tiens quand même à dire que je suis contre, dit Rylee. Ceux qui sont partis avec ce Mars Cruiser sont allés jusqu’à sacrifier toute la base, ils vont simplement nous tirer dessus à peine nous verront-ils.

— Ce n’est pas sûr. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui nous échappe…, dit Mia sur un ton un peu lointain.

— Si je meurs, je reviendrais te hanter.

— Eh oh ! Ne dis pas ce genre de choses, Rylee ! Tu vas nous porter la guigne ! la maugréa Samantha.

Mia n’était pas sûre de prendre la bonne décision, elle aurait préféré que le professeur fût réveillé pour décider à sa place… enfin, le professeur qu’elle avait connu et respecter jusque-là, pas celui qui était devenu obsédé par les monstres.

Mais au fond, n’étaient-ils pas la même personne ? Les deux faces d’un même individu ? N’avait-elle pas simplement idéalisé Kenji ?

— Allons-y. On avisera du plan ensuite.

En l’absence de mieux, le groupe suivit les idées de Mia et se dirigea vers le véhicule au loin.

***

À peine arrivés sur place, la tempête débuta.

Le Mars Cruiser de la base Gyouten avait été abandonné. Rylee, sans examen approfondi, avait déterminé que des balles avaient percé la carrosserie et surtout le bloc moteur, ce qui avait causé son arrêt.

Samantha était partie en tête, invisible, assumant son rôle d’éclaireur. Dans les communicateurs :

— Pas d’hostiles. Vous pouvez venir, dit-elle.

Sora ne tarda pas à la rejoindre, il ajouta la découverte de quatre cadavres dans l’une des grottes.

Le groupe ne tarda pas à les suivre et y trouver refuge. L’entrée fut bouchée en stationnant le Mars Cruiser juste devant.

La température à l’extérieur ne tarderait pas à baisser brutalement, la thermodynamique de Mars en faisait une planète froide. Le sol, lorsqu’il n’était pas exposé aux rayons du soleil, se refroidissait très rapidement.

Quelques minutes plus tard, le professeur Kusumei revint à lui.

Contre toute-attente, il ne posa aucune question et n’émit aucun reproche, ce qui rendit somme toute Samantha et Mia encore plus nerveuses. Ce n’était pas une réaction normale.

Dehors, la tempête se mit à souffler. Ce n’était en rien comparable à un typhon ou un cyclone sur Terre, en réalité, il aurait été même possible de rester à l’extérieur sans être emporté, néanmoins la quantité de fines poussières qui étaient levées à ce moment-là empêchaient toute visibilité ; dans le pire des cas, il était même possible qu’elles ne provoquassent quelques coupures par effet de frottement dans les combinaisons, ce qui se révélerait rapidement mortel.

Les hurlements du vent n’avaient rien de rassurant et les cadavres gonflés dans un coin de la grotte finissait d’apporter à cet endroit un air franchement lugubre. Toute soldate qu’elle était Samantha n’avait pas le sang-froid de Sora, qu’elle qualifiait intérieurement de « machine ».

Une lampe posée au centre éclairait l’espace confiné d’une quinzaine de mètres d’un bout à l’autre, laissant nombre de coins sombres. Les ombres s’étiraient et dansaient à chaque mouvement des personnes agglutinées autour.

— Mort par balle de fusil d’assaut…, ne tarda pas à confirmer Kenji à haute voix en examinant l’un des cadavres. Il s’agissait du colonel Harugawa.

Il retira la carte d’accès au défunt et la jeta sans ménagements aux pieds de Mia.

D’une manière inattendue, elle était devenue la chef du groupe, même aux yeux de celui qui avait officiellement reçu le titre. Elle remarqua une fois de plus l’intelligence hors du commun de cet homme qui avait compris la situation sans la demander et avait même déjà déterminé les changements hiérarchiques au sein du groupe.

En effet, la majorité ne lui accordait plus de confiance, seul Sora demeurait incertain mais personne d’autre que le professeur, un spécialiste de la psychologie, n’avait les capacité pour le comprendre.

— Plutôt que l’autopsie des cadavres, ne pourriez-vous pas jeter un œil aux blessures d’Ewan plutôt… et à la vôtre ?

— La mienne ne pose pas de problème. Une simple bosse. Quant à Ewan, je n’ai pas mon matériel médical à portée de main.

Sora se leva et, sans mot dire, se dirigea vers la sortie de la grotte où il entra dans le véhicule pour la récupérer. Mia lui en était reconnaissante.

— C’était quoi ces monstres ? Vous semblez en savoir plus que nous.

Les regards de Samantha et de Rylee, qui étaient en train de s’occuper d’Ewan, se tournèrent vers le professeur Kenji. Ce dernier soupira longuement.

— Oui, j’en sais plus que vous.

Sora revint avec la trousse médicale, Kenji la prit et se dirigea vers Ewan en poussant les deux femmes.

Ces derniers s’en allèrent s’asseoir contre une paroi, l’une contre l’autre, main dans la main ; elles ne prenaient plus vraiment la peine de se cacher. Tous y prêtèrent attention, mais nul ne leur fit d’observations, cependant.

Sora et Mia se rapprochèrent des deux femmes et laissèrent le professeur ausculter le blessé.

— Vous êtes tous au courant qu’il y a eu des événements survenus le 21 août sur Terre. Le directeur a cherché à minimiser et cacher l’information. Bien sûr, il était impossible de la contenir, je suis convaincu que vous avait entendu parler d’attaques de monstres, pas vrai ?

Tout en s’occupant du blessé, il débuta son explication sur un ton distant.

— Oui, nous en avons entendu parlé…

Mia se mit à parler au nom de tous, elle savait qu’il n’y avait personne dans la base qui ne fut pas réellement au courant. Les avis étaient bien sûr partagés, la plupart n’y accordaient pas crédit ; ce n’était pas très scientifique de croire aux monstres.

— Il faut croire que ces rumeurs étaient vraies. Avec le directeur, nous avons vu les vidéos des combats… Les monstres qui ont attaqué la Terre sont différents. On ignore toujours ce dont il s’agit réellement. En tout cas, à la surface, c’est la panique générale, l’ensemble du globe est touché par ces attaques de monstres.

— Cela ne vous ressemble pas de parler de choses aussi peu scientifique que des monstres, fit remarquer Mia. Êtes-vous sûr qu’il ne s’agisse pas d’un virus provoquant des modifications organiques ?

Ni Samantha ni Rylee ne paraissaient nullement enclin à parler au professeur Kusumei. Et Sora… était Sora. L’explication s’était transformée rapidement en dialogue entre Mia et Kenji que tous écoutaient attentivement.

— Le rôle d’un scientifique n’est pas d’exclure des hypothèses, Mia. Tout ce qui peut mener à la vérité doit être analysée et considéré à également mesure. Bien sûr, je n’ai pas immédiatement fait confiance aux images que nous avions sous les yeux, il y a tant de manière de les falsifier. Mais, à mesure que les rapports d’événements arrivaient dans nos terminaux, l’hypothèse d’un canular finit par disparaître.

— Admettons. De toute manière, à ce stade, je n’ai pas de meilleure manière de les désigner. Du coup, ces monstres viendraient d’où ? Et pourquoi sont-ils également dans la base Gyouten ?

Mia ne savait que penser de tout cela. En tout cas, elle n’aimait pas le terme de monstre : trop imprécis. Mais le langage reposait sur un échange, il était plus commode d’adopter un mot que tous pouvaient facilement comprendre.

Elle restait convaincue que ce qu’elle avait vu était une mutation de quelques extrêmophile ou bactérie martienne.

— Vraisemblablement d’une autre dimension… ou plutôt d’autres dimensions, nul ne sait combien il y en aurait précisément.

Mia ne put s’empêcher de grimacer douloureusement.

— Vous adhérez donc aux dimensions parallèles ? Je vous pensais plus… rationnel.

Elle n’avait jamais partagé l’opinion de tous ces scientifiques adorateurs de cette théorie.

— Rationnel est un terme qui définit les limites de la compréhension. Pour les hommes d’autrefois, voyager dans l’espace était tout aussi invraisemblable que les dimensions au jour d’aujourd’hui. Tout le monde n’adhère pas à la physique quantique mais si tu as une meilleure explication concernant ce qui se déroule en ce moment…

Il s’interrompit et pencha la tête de côté en marmonnant à lui-même :

— Je pensais ces blessures plus profondes…

Aussitôt, il poursuivit :

— Mia, tu es trop fermée d’esprit. Je te l’ai déjà dit : un scientifique remet tout en cause, il navigue constamment dans une mer de doutes. N’estime rien comme étant impossible, tout n’est que théorie à vérifier. Je reconnais avoir mis en danger le groupe par ma décision de ne pas faire feu et je ne vous en veux pas d’avoir agi à ma place, mais j’ai espoir de pouvoir analyser un spécimen de plus près.

Mia fut agréablement surprise. Elle avait perdu l’estime du professeur d’un seul coup, suite à ce qui était arrivé dans la salle de sécurité, mais ses excuses venaient de faire tourner la table une nouvelle fois. Elle était une scientifique, elle était également alimenté par la curiosité et la soif de connaissance, elle avait juste placé sa survie au-dessus lorsque le danger s’était manifesté.

Le domaine de prédilection de Mia était la lithosphère, celle du professeur les formes de vie. Si dans la base Gyouten, elle avait découvert un sédiment vieux de quelques millions d’années de la croûte martienne, elle aurait fort bien pu agir de la même manière que Kusumei.

— Vous êtes pardonné, professeur.

— Je ne cherchais pas le pardon. Quoi qu’il en soit, les blessures d’Ewan sont pansées. Il faudra que j’y jette un œil en rentrant.

Kenji se leva et s’approcha du Mars Cruiser.

— Je pense que la tempête durera encore une heure et demi. Rien de précis, cela dit. Nous aurons le temps de rentrer avant le coucher de soleil.

— Et après ? demanda Rylee. On ne va pas rester sur une planète remplie de monstres, si ?

Le professeur se tourna dans sa direction, comme toujours ses traits manquaient d’émotions.

— Ce n’est pas à moi de prendre la décision. Mais penses-tu que la situation soit meilleure sur Terre ? Ne penses-tu pas que le silence de nos bases à terre signifie que quelque chose de pire que les deux vagues déjà survenues est en train de se dérouler au Japon ?

— Deux vagues ? demanda Mia.

— Deuxième vague le 9 octobre : elle a frappé plusieurs pays dans le monde. On pourrait dire une invasion à échelle internationale.

— Internationale… ?! répéta Samantha choquée.

— Vingt-cinq octobre, Corée du nord. Vingt-sept octobre, Inde. Les invasions se rapprochent, on dirait une série de vagues de plus en plus hautes, comme si une digue était sur le point de céder.

Toutes ces informations laissèrent les femmes sans mots. C’était inquiétant et troublant. S’il avait raison, ils étaient tous condamnés à rester sur Mars.

Comme désintéressé, Sora s’approcha du professeur et lui dit en japonais :

— Un acide m’a touché à l’épaule. Je pense que ce serait intéressant de l’analyser pour améliorer les armures et s’en protéger.

Kenji afficha un large sourire : il préférait le côté fonctionnel et rationnel du soldat aux mièvres inquiétudes des jeunes femmes.

— Tu as bien fait de m’en parler, laisse-moi faire un prélèvement de suite.

Avant la fin de la tempête, Mia et le professeur s’en allèrent inspecter les quatre cadavres : l’un était celui du colonel Harugawa, comme l’avait déjà dit Kenji. Il était mort suite à des tirs qui l’avaient touché dans le ventre.

Un autre soldat avait succombé à une blessure dans le torse que le professeur identifia comme de l’acide, très certainement identique à celui de Sora. Les deux autres s’étaient suicidés au lieu de venir trouver refuge à Bishamon IV ou Wingston III.

Cela dit, c’était compréhensible : le véhicule était en panne, ils étaient à des dizaines de kilomètres de distance et surtout ils savaient des monstres rôder dehors.

Le professeur insista pour emporter les cadavres pour des analyses approfondies dès lors que la tempête s’arrêta. Ewan revint à lui mais son humeur était devenue taciturne. Après ce qu’il avait vécu, c’était une réaction normale et personne ne l’obligea à s’exprimer.

Néanmoins, Mia et les filles manquèrent de remarquer les coups d’œil furtifs que lui jetait le professeur Kusumei ; il était intrigué et le voyait comme un sujet, bien plus que comme un compagnon. De retour à la base, il ne manquerait sûrement pas de l’interroger sur ce qu’il avait vu.

La tempête cessa plus ou moins à l’heure qu’avait annoncé Kenji et, avant la tombée de la nuit, le groupe fut de retour à la base Bishamon IV.

***

Il était 22 heures, dehors c’était la nuit et les températures négatives impossibles à supporter pour un être humain.

L’équipe d’enquête dont faisait partie Mia se trouvait actuellement au sein de l’auditoire réuni devant le directeur de la base. Tout le monde était réuni au grand complet.

— L’équipe envoyée à Gyouten est arrivée précédemment, dit le directeur sur un ton grave. J’ai de nombreuses choses à vous dire…

L’inquiétude pouvait se lire sur tous les visages et encore plus sur celui de Rylee. L’expérience qu’elle avait vécue à la base l’avait bouleversée, elle semblait à deux doigts de s’effondrer ; Samantha ne la lâchait plus d’un pouce.

Le directeur semblait pour la première fois troublé, on pouvait remarquer à son expression qu’il ne savait pas par où commencer son discours.

C’est à ce moment-là que la lumière s’éteignit et que le rétroprojecteur s’alluma. Le directeur Hiroi lui-même fut surpris : quelqu’un voulait l’aider, d’une manière inattendue.

Les images qui furent projetée sur le mur étaient inédites pour tous. Sur Mars, aucun des scientifique n’avait accès aux réseaux d’informations terrestres.

La projection commença d’abord par le téléjournal daté du 21 août, un flash spécial. Le présentateur annonçait des attaques un peu partout dans le territoire japonais, l’armée était en train de s’occuper de repousser l’ennemi, mais on ignorait de qui il s’agissait.

Quelques personnes interviewée rapportaient simplement que tout allait trop vite, que les formes étaient floues ; certains parlaient toutefois de monstres noirs avec des ailes. Les titres à l’écran s’interrogeaient s’il ne s’agissait pas des nouveaux androïdes que la Chine avait annoncé deux mois auparavant et donc on ne savait que peu de choses.

La diffusion enchaîna avec les news diffusées aux États-Unis, on y voyait le même état de panique, bien que cette fois des vidéos d’amateurs présentaient ces formes noirs dans le ciel.

Puis, plusieurs vidéos datés des jours suivants, on y voyait les cadavres des assaillants qui disparaissaient : des monstres, ni plus ni moins. Totalement noirs, sans visages et armés de griffes. Les images n’étaient pas officielles, elles provenaient de journalistes qui les avaient propagés sur les réseaux, affirmant qu’aucune chaîne de télévision n’aurait accepté de les diffuser.

D’autres vidéos très courtes montraient d’autres genres de monstres. Finalement, les téléjournaux se mirent à transmettre les mêmes images de créatures étranges. À présent, les écritures à l’écran indiquaient : « Attaques de formes de vie non identifiées ! Le monde en crise ! ».

La lumière se ralluma, le directeur était en sueur, il épongeait son visage habituellement si calme et sévère.

— Les images que vous avez vues à l’instant sont toutes authentiques. Vous avez sûrement entendu les rumeurs qui parlaient de monstres… voici les preuves que nous avons. Les opérateurs à terre nous ont confirmé que tout était vrai, ils sont tenus au secret par le gouvernement.

— C’est n’importe quoi ! s’écria quelqu’un dans l’assemblée.

— Je… je voulais éviter la panique, confessa Hiroi. En réalité, je… je… Comment dire… ?

Un nouvelle fois, le professeur Kenji (qui était le responsable de la diffusion intempestive) l’interrompit.

Cette fois, il portait sa blouse blanche et ses vêtements noirs, on aurait dit qu’il sortait du laboratoire à l’instant même. Les mains dans les poches, il vint se placer aux côté d’Hiroi.

— Notre base terrestre a tenu à nous tenir à l’écart de ces informations, nous les avons reçues par la compassion de certains opérateurs, dit-il froidement. Pourquoi le gouvernement nous cache-t-il tout cela, vous demanderez-vous ? Simplement parce qu’ils ne sont pas décidés quant à nous faire revenir sur Terre ou non ?

Bien sûr, cette déclaration fut reçue avec choc : les voix s’élevèrent dans toute l’assemblée. Rylee qui était déjà blême s’enfonça dans les bras de Samantha. Mia ne l’avait pas vue venir, elle savait que la situation était critique sur Terre mais pas qu’on cherchait à les tenir éloignés.

— Les fumiers !

— On veut nous abandonner ?

— Qu’ils aillent au diable !

Le professeur vers qui était dirigée une partie de la haine du moment afficha un sourire narquois et poursuivit :

— Ils hésitent à nous confier les rênes de la future humanité, mais s’ils voyaient les réactions de notre corps de scientifiques à cet instant, sûrement nous rapatrieraient-ils de suite.

Tout le monde prit la remarque pour ce qu’elle était : un reproche. Néanmoins, Kenji venait d’attaquer la fierté des pionniers, tous avaient choisi de faire partie de ce voyage, tous avaient laissés leurs familles et leurs vies sur Terre pour embrasser le rêve d’un ailleurs.

Et pour ce faire, ils avaient tous travailler dur, ils avaient beaucoup étudié et avaient fait de nombreux efforts. Seuls les meilleurs étaient sélectionnés pour prendre part au voyage, ils étaient tous des individus aux coefficients intellectuels supérieurs à la normale. Mais face à la peur, les humains restaient des humains, peu importait leur intelligence.

— Bien sûr, il n’y a pas que cela. Le retour sur Terre a un coût élevé et la situation incertaine doit exiger des ressources. Il y a également la probabilité que nos bases terrestres aient été saccagées, voire qu’elles se trouvent aux mains de l’ennemi actuellement. Sans parler du fait que nous pourrions ramener des problèmes supplémentaires, qui sait ? Quoi qu’il en soit, on nous les a cachée ces images, tout comme Hiroi et moi-même nous vous les avons cachées jusqu’à présent.

— Pourquoi ? Nous aurions pu comprendre !

— Oh ! Mais pour sûr vous l’auriez pu, vous auriez vécu dans la peur de voir surgir ces monstres ici, dans un environnement moins clément que la Terre. Et vous savez quoi ? Eh bien…

Cette fois, c’est le directeur qui interrompit Kenji, il leva un bras devant lui, puis s’inclina :

— Je m’excuse de vous avoir dissimulé la vérité jusqu’à présent ! Je comprends votre colère mais je ne l’ai pas fait dans un mauvais but : je voulais éviter la panique. Au début, nous n’y avons pas cru non plus. Kenji a commencé à douter le premier. Je n’ai réalisé qu’il n’y avait un problème que lors du report de l’expédition qui aurait dû arriver en renfort. Détestez-moi autant que vous le voudrez, mais la réalité restera la même : les monstres sont également sur Mars !

Encore plus que la première nouvelle, celle-ci provoqua de vives réactions. Entre ceux qui n’y croyaient tout simplement pas, ceux qui paniquaient déjà, ceux qui cherchaient des solutions, l’assemblée était fort agitée.

Le directeur eut du mal à invoquer le silence, sa voix avait perdu son autorité, une majeure partie ne lui faisait plus confiance.

* BAM *

Soudain, un coup de feu retentit et assourdit l’assemblée : Sora venait de tirer au plafond en attirant toute l’attention. En japonais…

— Les monstres sont forts, mais ils peuvent être tués.

Le directeur lui fit signe de reculer, Sora obéit sagement.

— Nous ne savons rien d’eux. Nous ignorons quand ils nous attaqueront, ni même s’ils le feront. Le fait est que la base Gyouten est tombée, notre équipe a affronté les monstres qui l’infestaient. Les autres bases ne donnent pas de nouvelles, il est à présumer qu’elles aient subi le même sort.

— Ils se dirigent vers nous ! cria un scientifique.

Le professeur Kenji sourit une fois de plus.

— Nous sommes la base la plus au sud, la menace semble descendre du nord, se contenta-t-il de dire.

— Qu’allons-nous faire ? demanda une femme en tremblant.

Le directeur fit un pas en avant :

— Nous allons partir ! Pas sur Terre, puisqu’il faudrait des préparatifs bien trop longs et nous ignorons si nous n’allons pas au devant d’un péril de même nature…

La Terre ne donnait plus de nouvelles depuis de nombreux jours, si la situation était similaire à la base Gyouten, ce serait se jeter au devant de nouveaux problèmes.

— Nous allons nous rendre sur la base de Phobos. J’ai pu contacter quelqu’un sur place, la base militaire est prête à nous accueillir.

C’était la seule bonne nouvelle, tous l’accueillirent avec joie. Enfin un peu d’espoir…

— J’aimerai votre coopération. Il faut préparer la fusée aussi vite que possible. Si tout le monde travaille d’arrache-pied, nous pourrons décoller dans deux jours. En attendant, nous instaurerons des quarts pour que la base tourne en continu. Même si le départ est précipité, ne bâclons pas ce qui doit être fait. Nous prendrons l’indispensable et attribuerons le maximum de tâches aux robots. Ne perdons pas l’espoir de pouvoir revenir rapidement pour reprendre nos recherches.

— Oui !!

Cette nuit-là, la base fut agitée… plus qu’elle n’aurait dû.

***

Mia dormait dans la même chambre que Rylee et Samantha. Après les horreurs qu’elles avaient vues en journée, aucune des trois ne voulait être seule.

Même si elle avait l’impression de tenir la chandelle entre les deux, elles avaient insisté pour qu’elles restent toutes ensemble.

La fatigue et surtout le stress les avait harassées, elles s’étaient endormies habillées : Rylee dans les bras de Samantha. Dans les derniers moments de lucidité avant que ses yeux de ne se fermassent, Mia avait éprouvé un soupçon de jalousie : elle aurait également aimé avoir quelqu’un pour la réconforter.

— Je n’ai jamais eu de chance avec les hommes, avait-elle pensé en bâillant. Peut-être que je devrais tenter avec les femmes…

Son réveil fut brutal : des coups de feu et des cris se firent entendre dans les couloirs.

Samantha et Rylee se réveillèrent presque en même temps.

— Ne me dites pas que… ?

Rylee se mit de suite à trembler comme une feuille, Samantha la serra fort dans ses bras, puis s’en alla prendre ses armes laissées dans un coin de la pièce ; normalement, elle aurait dû les déposer à l’armurerie, mais la sécurité était plutôt relâchée, d’autant plus qu’une partie du personnel était de quart.

Mia n’avait pas rendu son pistolet non plus, elle l’attrapa sur la table de chevet et appuya le bouton pour activer le smart firing.

— Je vais aller voir…, dit Samantha. Restez ici toutes les deux.

— Attends, tu n’as pas ton armure ! cria Mia.

Samantha l’avait retirée lorsqu’elle avait pris sa douche avant d’aller se coucher. La jeune femme grimaça puis posa la main sur la poignée de la porte, avant d’être arrêtée par Mia.

— Je vais le faire ! Rylee compte sur toi… et toi seule.

— Mais c’est dangereux !

— Je… Personne ne me pleurera autant que toi, dit Mia avec un sourire triste sur le visage.

Elle ouvrit la porte sans laisser le temps à Samantha de contester. Lorsque Rylee et Samantha furent à nouveau seules, cette dernière se massa les tempes en grommelant :

— Parle pas de ta vie comme ça, idiote…

Puis, se tournant vers Rylee :

— Aide-moi à enfiler l’armure ! Je ne peux pas laisser cette imbécile y aller seule… Résolument pas !

Rylee acquiesça en reprenant un peu de poil de la bête. Elle ne voulait pas qu’il arrivât malheur à une fille aussi gentille que Mia.

Pendant ce temps, cette dernière courut dans le couloir. Elle croisa quelques personnes qui lui dirent :

— Le… le sergent est devenu fou !

Mia n’avait jamais prêté attention aux grades, elle se demanda de qui il pouvait s’agir. Néanmoins, le seul soldat de la base qu’elle pensait en état de perdre la raison était Sora qui était cybernétisé. Le conflit entre corps naturel et artificiel pouvait causer des troubles psychologiques sévères, c’était quelque chose de reconnu.

Mais pourquoi à ce moment-là précisément ? Il avait si bien encaissé la rencontre avec les monstres, pourtant…

— Justement ! C’est parce qu’il n’a pas assez extériorisé ses sentiments qu’il a sombré dans la folie ! pensa-t-elle.

Elle hésita un instant si poursuivre ou non. Les bruits venaient du hangar proche d’elle : des cris et des coups de feu. Même si elle y allait, que pourrait-elle faire seule avec un pistolet ? Sora était augmenté, un simple 9mm n’aurait pas d’effet sur lui.

Mais à ce moment-là, elle vit une silhouette androgyne au fond du couloir : le professeur Kenji se tenait à l’entrée du hangar d’où provenaient les coups de feu.

D’instinct, elle s’approcha en vue de l’attraper et l’entraîner dans sa fuite : elle venait de décider que ce n’était pas à elle de s’occuper du problème. Mais, lorsqu’elle posa la main sur l’épaule du professeur, elle aperçut sur son visage un large sourire :

— J’avais donc bien raison… Tu te trouvais là… Hahahaha !

Ses traits étaient déments, il n’avait même pas senti le contact avec Mia.

Que pouvait-il bien penser ? Qu’avait-il bien pu voir pour que son expression et ses paroles fussent encore plus étranges que la normale ?

Mia tourna son regard dans la même direction que lui et aperçut non pas Sora, mais Ewan brandissant un couteau de combat. Il semblait comme enragé, ses yeux étaient injectés de sang et ses veines saillantes.

Autour de lui se trouvaient les cadavres de trois scientifiques ainsi qu’un semi-automatique à la culasse tirée en arrière, attestant de l’utilisation de toutes les munitions de son chargeur. Dans une de ses grosses mains, ils tenait la tête d’un scientifique de la mission ; il était couvert d’entailles et d’hématomes.

— OUVRE CETTE FOUTUE PORTE, JE TE DIS ! cria Ewan.

— Je… je…

Le scientifique semblait lutter pour ne pas sombrer dans l’inconscience, il avait été rudement malmené.

— Il faisait donc semblant… Ils seraient donc au moins aussi intelligents que des humains…

— De quoi parlez-vous, professeur ?! Il faut aller l’aider !

Le professeur ignora à nouveau son interlocutrice, il se parlait à lui-même.

— Ses blessures superficielles étaient donc bien dues à la régénération… Une duplication d’ADN ? Mais cette vitesse…

Ce n’était pas la peur qui l’animait, mais bien une curiosité malsaine. Mia ne comprenait pas le moindre mot de ce qu’il voulait vraiment dire, elle prit une profonde inspiration et pointa son arme vers Ewan.

Avec tout le courage qu’elle n’avait jamais pu rassembler dans sa vie :

— La… Relâche-le !!

Pourquoi n’avait-elle pas pris tout simplement la fuite ? Cela aurait été plus logique dans cette situation : Mia elle-même ne se comprenait pas et regretterait amèrement son choix.

Le pauvre scientifique venait de fermer les yeux, peut-être était-il mort. Ewan n’en tirerait rien de plus.

Manifestement, il voulait ouvrir les portes du hangar, mais dans quel but ?

Mia ne tarda pas à remarquer comme des grattements et des chocs contre les lourdes portes de métal. Elle réalisa un peu tard :

— Il… y a des gens… des créatures dehors… ?

À ce même instant, la silhouette d’Ewan s’élança vers elle et lui porta un violent coup du revers du poing. Elle fut projetée dans le couloir, tandis qu’avec sa grosse main Ewan empoigna le professeur.

— OUVRE LA PORTE !!

— Hahaha ! Ewan-kun ! D’ailleurs, comment devrais-je t’appeler à présent ?

— NE ME FAIS PAS RÉPÉTER !!

Malgré le couteau sous la gorge, le professeur restait calme. Au sol, Mia, sonnée par la douleur et le choc, assistait à la scène prise d’horreur : le professeur était résolument devenu fou, il ne s’agissait plus de curiosité à ce stade, mais bien de démence.

— Bien sûr, je vais le faire. Mais d’abord, j’aimerais savoir : qu’es-tu donc ?

— LE SAVOIR NE T’APPORTERA RIEN, INSECTE TERRIEN !

— Tu n’es donc pas un terrien ?

Mais agacé par cet interrogatoire, Ewan projeta le professeur dans le hangar.

— OUVRE LES PORTES !!

Mia se releva avec peine, elle avait mal. Elle n’avait jamais subi de coups mais celui-ci était assurément douloureux.

Elle se traîna en se tenant le flanc qui avait été blessé, elle s’en alla récupérer son pistolet qui était tombée à l’entrée du hangar. Du sang coulait sur son visage, elle s’était cognée contre le mur. Elle prenait sur elle, l’adrénaline l’aidait à garder l’esprit lucide et à agir.

Ewan lui faisait dos, il venait d’entrer dans le hangar et d’attraper à nouveau le professeur qui n’avait de cesse de rire.

C’était le moment idéal ! Elle pointa son arme et pressa la gâchette jusqu’au bout comme on lui l’avait appris.

* BAAAAM *

Le coup de feu résonna. Le recul de l’arme provoqua une douleur aux poignets de Mia mais c’était surtout les vibrations qui se répercutèrent dans son flanc qui la firent grimacer.

Elle aperçut clairement le trou entre les omoplates du géant, le sang gicla et coula, mais…

— FEMELLE, TOI AVOIR COURAGE… JE M’OCCUPE DE TOI JUSTE APRÈS.

Ewan continuait de lui faire dos comme si elle ne présentait aucune menace pour lui. Elle comprit rapidement pourquoi alors qu’une écume se forma sur la plaie et la referma en un instant.

— C’est pas… vrai…

Un monstre. Elle ne pouvait l’associer à rien d’autre. Le professeur s’était rendu compte dans la grotte que les plaies d’Ewan étaient anormalement légères, qu’il y avait quelque chose d’étrange chez lui, mais il n’avait rien dit.

Ewan le souleva à nouveau et l’amena jusqu’à la console qui gérait l’ouverture des portes du hangar. Si elles s’ouvraient d’autres monstres comme lui entreraient, Mia en avait la certitude.

— Non ! Non ! Non !!

Elle devait faire quelque chose ! Elle devait l’empêcher et vite ! Elle ne pouvait abattre Ewan pour arrêter tout ça, mais que pouvait-elle donc faire ?

Un éclair lui traversa l’esprit : elle réalisa. Alors que les larmes se mirent à couler sur son visage, ses traits devinrent distants et vides.

Elle leva une nouvelle fois son arme et la pointa en direction du dos d’Ewan, puis elle leva la visée vers sa tête… avant de la décaler vers la droite et d’ouvrir le feu brusquement.

C’était le deuxième tir dans sa vie, il toucha en plein dans le mille. La balle perfora le torse du professeur qui cessa de rire et sombra dans l’inconscience.

Normalement, puisqu’elle avait activé le smart firing, elle n’aurait dû être incapable de tirer sur ses alliées, mais aucun des deux ne portait une combinaison, ils n’avaient donc pas de puces RFID indiquant à l’arme qu’ils étaient des alliés. Dans le feu de l’action, Mia ne s’en était même pas rendue compte.

Mia ne pouvait tuer Ewan, cependant seuls les techniciens disposaient des codes d’ouverture des portes du hangar. À cet instant, elle ne se questionna pas sur le fait de savoir si Kenji le connaissait ou non, elle avait déterminé qu’il savait. Comment aurait-il pu l’ignorer ?

— TOI ! JE VAIS TE TUER, FEMELLE !!!

Ewan jeta le cadavre au loin, le professeur percuta un véhicule avant de retomber au sol.

Mia n’eut pas le temps de s’apitoyer sur Kenji, elle vit Ewan, encore plus grand que d’habitude, se tourner vers elle. Elle ouvrit le feu jusqu’à vider son chargeur.

Après le sang-froid dont elle avait fait preuve —elle aurait sûrement fait la fierté de l’esprit scientifique que revendiquait tant le professeur—, elle perdit contenance et fut prise de terreur en voyant non plus un humain mais un géant se diriger vers elle. Ses tirs touchèrent tous leur cible, Ewan n’était pas difficile à toucher, mais aucune ne parvient à l’arrêter. Les jambes de Mia s’alourdirent, elle tomba en arrière sur les fesses. Elle sentit une certaine humidité le long de sa cuisse.

Ewan se tenait à présent à moins d’un mètre d’elle, il était particulièrement menaçant.

À cet instant, une silhouette apparut dans sa vision périphérique, sans comprendre elle fut poussée et tomba sur le côté. Sora en armure de combat venait de prendre sa place et bloqua le coup de couteau d’Ewan.

— Mia-chan… fuis !

Mais elle n’arrivait pas encore à se relever, ses jambes n’avaient pas repris leurs forces.

Elle assista au combat : Sora tira à bout portant avec son pistolet, Ewan fit apparaître une étrange barrière défensive qui ne pouvait être le fruit de la science.

Sora profita du fait qu’Ewan se fût mis en défense pour dégainer son katana et, avec des mouvements plus rapides que n’importe quel humain, il asséna une série de coups. L’un des bras d’Ewan se détacha, puis une jambe. Il tomba au sol, incapable de tenir debout.

Sora se tint devant lui avec un air majestueux : Mia se rendait compte seulement à présent à quel point son visage était beau malgré son expression glaciale.

— Ewan-san, reprends tes esprits.

Mais ce dernier se mit à ricaner, Mia vit que l’écume commençait à se former sur les moignons ; elle craignait le pire.

— Ce n’est plus Ewan ! cria-t-elle. Il va se régénérer !!

Sora tourna légèrement la tête vers elle, c’est alors qu’Ewan pointa sa main valide vers lui ; des grésillements électriques apparurent entre les doigts, il allait projeter le même genre d’éclairs que l’un des monstres de la base Gyouten.

Mais avant de pouvoir utiliser son étrange pouvoir, le bras d’Ewan se détacha de son tronc. Presque simultanément, ce fut au tour de sa tête. La vitesse de Sora était tout simplement inhumaine.

Mia allait soupirer de soulagement lorsqu’elle aperçut une légère luminescence dans le dos du cadavre d’Ewan qui venait de s’effondrer. Au même moment, Sora tomba à genoux en se tordant de douleur.

— Aaaaaaaaaaaaahhhhh !!

Mia commençait à comprendre : elle avait peur du résultat de la théorie de son propre cerveau. Elle se releva tant bien que mal, l’adrénaline lui donna le coup de fouet pour supporter cette horrible situation.

— Sora-san… ?

Le guerrier cessa de s’agiter, il se releva lentement. La lumière artificielle éclaira les traits de son visage.

Son expression était pleine de sadisme.

Ses traits étaient difformes et son rictus formait un arc de cercle.

Sora n’avait jamais eu un visage aussi expressif.

Ce n’était pas lui !

— Tu… Tu parasites les corps… ?

— JE ME DEMANDAIS, FEMELLE… TU NE CONNAÎTRAIS PAS LE CODE PAR HASARD ?

Cette manière de parler, ce n’était assurément pas Sora : elle était identique à celle d’Ewan quelques instants auparavant. C’était la même chose qui avait occupé son corps.

— MES AMIS VEULENT ENTRER, VOUS N’AVEZ PAS UN CONCEPT D’HOSPITALITÉ PAR CHEZ VOUS ?

Mia essaya de s’enfuir, mais elle vit immédiatement un éclair lui passer à côté du visage.

— JE T’AI POSÉ UNE QUESTION !

La jeune femme se remit à trembler, cette fois de tous ses muscles. Les larmes coulaient sur son visage tandis que ses yeux s’écarquillèrent.

— Je… je…

Sora récupéra son arme au sol, puis s’approcha d’elle. Lorsque…

— Aaaaaaaaaahhhh !! FOUTU CORPS DE MÉTAL !!

Il se mit à convulser en se tenant la tête.

— …Fuis… Mia-chan !!!

Cette fois, c’était bien la voix de Sora, il luttait pour reprendre le contrôle de son corps. Même si tout cela était incroyable, tenant plus de la science-fiction que de la réalité, Mia n’avait plus aucune doute.

Elle se mit à courir en direction du couloir, il fallait qu’elle s’éloignât. Sora était le meilleur combattant de la base, c’était une machine à tuer, avec un monstre dans son corps de surcroît personne ne pourrait plus l’arrêter.

La base Bishamon était fichue, ils avaient emporté eux-mêmes le parasite ennemi. Ces murs seraient leur tombeau !

Mais comment auraient-ils pu savoir ? Personne n’aurait pu deviner !

En fait, à cet instant, elle se rendit compte qu’une personne aurait pu arrêter tout cela : le professeur. Il avait été au courant pour les monstres, il avait deviné que quelque chose clochait avec les blessures d’Ewan, s’il n’avait pas été obnubilé par son désir de connaissance, il aurait pu tout arrêter !

Mais, Mia n’avait pas le temps de se plaindre plus longtemps, elle entendit des pas derrière elle dans le couloir : Sora la poursuivait. Elle luttait contre sa propre peur, tout devint confus autour d’elle.

Un flash lumineux. Puis une détonation.

— Viens, Mia ! cria Samantha.

Son fusil sniper fumait encore, elle tendit la main à Mia pour l’aider. Cette dernière ne réfléchit pas, elle la saisit. Dans la panique, elle remarqua à peine la présence de Rylee.

Samantha la confia à cette dernière puis tira une nouvelle fois. La détonation de l’arme anti-matérielle détona lourdement dans le couloir. Rylee et Mia en tête, les trois s’enfuirent à toutes jambes.

Lorsque Mia récupérera un peu de conscience de son environnement, elles étaient dans le laboratoire du professeur Kenji. Plus précisément, elles étaient dans une des quelques salles classée « biohazard ».

Même si depuis leur arrivée sur Mars, les scientifiques n’avaient trouvé aucun agent pathogène réellement dangereux, en prévision, le complexe disposait de salles isolées et sécurisées. La lourde porte métallique était au moins aussi épaisse que celle des hangars, elle pouvait supporter des balles et même des grenades en principe.

Dehors, elles entendaient des cris. Ils se rapprochaient de plus en plus de leur position.

Pourquoi l’ennemi les cherchait-elles spécifiquement ?

Le dernier hurlement provenait du couloir voisin.

— J’ai une idée, dit Samantha qui avait plus de sang-froid que les deux autres. Entrez dans le conduit d’aération et restez cachées.

— Et toi ? Sam… ?

Samantha colla ses lèvres à celle de Rylee, elles échangèrent un long baiser.

— Je ne rentrerai pas là-dedans, c’est pas possible avec ma taille. Je vais activer mon camouflage optique, rassure-toi. Allez, nous n’avons que peu de temps !

Elle arracha la grille de l’aération et fit monter Mia la première. C’était étroit, elle eut du mal à y progresser.

Puis, ce fut au tour de Rylee. Mais à cet instant, on frappa violemment contre la porte.

— C’EST ICI QUE VOUS VOUS CACHEZ ? HIHIHIHI !!

Samantha prit son arme et la pointa en direction de la voix, elle était à seulement quelques mètres de distance.

Rylee s’immobilisa sous l’effet de la surprise et de la peur, elle resta debout devant le conduit d’aération où Mia continuait de ramper.

— JE VAIS CHANGER DE CORPS… CETTE BOITE DE CONSERVE… EST UNE PLAIE…

De l’autre côté de la porte, on entendit un tintement métallique.

— Sam… qu’est-ce qui se passe ?

— Je… J’en sais foutrement…

Samantha ne finit pas sa phrase, elle afficha un sourire malsain et sadique. Sans crier gare, elle attrapa Rylee par la gorge.

— J’AVAIS SIMPLEMENT DEMANDER UNE INVITATION, MAIS FINALEMENT JE VAIS JUSTE M’OCCUPER DES VERMINES TOUT SEUL. VOUS ÊTES SI PITOYABLEMENT FRAGILES, TERRIENS ! HAHA HAHA !

Soudain, Samantha relâcha Rylee qui tomba à genoux et essaya de reprendre son souffle.

— Rylee… ma… chérie… je… je…

La voix et la manière de parler était redevenue normale, mais Rylee ne comprenait pas ce qui se passait.

Pourquoi celle qui l’aimait agissait de la sorte ?

— TSSS ! CELLE-LÀ AUSSI A DES CHOSES DÉGOÛTANTES EN ELLE. VOUS AVEZ TELLEMENT PEU DE RESPECT DE VOS CORPS…

Samantha essayait de sauver son amoureuse, elle luttait à l’intérieur de son propre corps. Mais la force psychique du monstre était telle qu’il reprit rapidement le dessus.

Il tira le pistolet automatique que Samantha avait dans son holster à la ceinture et le pointa sur Rylee.

— Non… je… ne… te… lais… serai…

Rylee se rendait compte enfin qu’elle n’était pas en face de Samantha, elle ne trouvait plus cette gentillesse qui la caractérisait au fond de ses yeux. Parfois seulement, voyait-elle son amour apparaître devant elle.

Son instinct de survie lui criait de fuir, mais elle ne pouvait pas. Les larmes s’écoulèrent de ses yeux :

— Si tu ne peux pas le repousser, au moins nous partirons toutes les deux, bras dans les bras.

Un coup de feu résonna et lui brûla la cervelle. Rylee inanimée s’effondra le long du mur où elle laissa une traînée de sang.

— AAAHHHH !! CA BRÛLE !! JE… JE VAIS DEVOIR ENCORE EN CHANGER !!

Un nouveau coup de feu retentit et cette fois c’est Samantha qui s’écroula. Elle tomba sur Rylee dans une ultime étreinte, elles étaient collées l’une à l’autre dans le un long sommeil duquel elle ne sortirait plus jamais.

Mia n’avait pas assisté à la scène, elle ne l’avait fait qu’entendue en retenant son souffle. Alors que le silence succéda ce drame, elle reprit sa progression et arriva à une bifurcation dans le système d’aération qui lui laissait un peu plus d’espace.

Son corps s’arrêta soudain, elle était à bout, elle avait dépassé ses limites. Ses yeux se mirent à déverser larmes sur larmes.

À l’endroit où elle se trouvait, elle pouvait entendre les bruits de tout un ensemble de pièces. Incapable de se mouvoir, de penser clairement, de ressentir autre chose que l’horreur et le désespoir, elle s’abreuva pendant qui sait combien de temps des cris d’agonie et des prières de ses collègues.

Lorsque le dernier trouva la mort, c’était une autre symphonie qui prit sa place : celle du festin que s’offraient ces monstres. Ils avaient envahi le complexe, personne n’avait fermé les portes cette fois.

Les mains sur les oreilles, grimaçant et pleurant de douleur, Mia resta immobile.

Elle finit par s’endormir.

Elle n’était plus consciente du temps qui s’écoulait. Elle aurait pu regarder sa montre, mais au fond, était-ce réellement important dans cette situation ?

Soudain, elle remarqua qu’elle n’entendait plus rien. Elle attendit un peu et confirma qu’il n’y avait plus de bruit dans la base.

Le silence.

Elle ne l’avait jamais autant dégusté.

Il lui fallut un peu de temps encore pour rassembler ses forces et ramper hors du conduit d’aération. Elle arriva dans le laboratoire voisin à celui où se trouvaient les cadavres de Samantha et de Rylee ; à travers la vitre-miroir, elle pouvait les observer. Leurs cadavres n’avaient pas été dévorés, elles étaient enfermées dans un tombeau aux portes blindées que même ces créatures n’avaient pas forcé.

Les pensées de Mia avaient du mal à se reformer, elle était à demi-consciente.

Elle avait faim et soif.

Elle était sale et avait de l’urticaire à cause de la crasse.

Ses membres étaient engourdis.

Malgré tout, elle remarqua la lumière rouge dans le couloir : elle indiquait que l’atmosphère n’y était pas respirable.

— Bien sûr, ils n’allaient pas refermer les portes, dit-elle à voix basse.

Sa propre voix l’étonna comme si cela faisant une éternité qu’elle ne l’avait pas entendue.

Autour d’elle, des cadavres : des personnes qu’elle avait connues. Ses yeux n’avaient plus la force de pleurer.

Le laboratoire était équipé d’un système de fermeture des portes automatiques, c’était pour cette raison que l’air y était encore respirable. Et la ventilation fonctionnait encore, Mia y avait eu assez d’air.

Elle finit par retourner dans les conduits d’aération à partir desquels elle pouvait atteindre sa chambre.

Personne n’était manifestement entré dans celle-ci, elle se demanda un instant si c’était bien la sienne. Elle se déshabilla et entra dans la douche.

L’eau chaude fit partir en un instant la crasse qu’elle avait sur le corps. Elle sentait les démangeaisons diminuer.

Mais le soulagement qu’elle gagna physiquement, elle le perdit mentalement.

Elle réalisa soudain être seule. Toute seule.

Loin de la Terre. Loin des autres humains. Piégée parmi les monstres et l’infinité froide de l’espace.

Pourquoi avait-elle jusqu’à présent nourri le rêve de Mars ?

Pourquoi avoir quitter les siens pour rejoindre ces étendues solitaires ?

— Quitte à mourir, j’aurais pu le faire sur Terre…, se dit-elle en tombant à genoux sous la douche.

L’eau ruisselait sur son corps, mais les larmes ne coulaient plus. Elle se sentait si seule pourtant et son corps la faisait atrocement souffrir.

Elle finit par se ressaisir :

— Il reste encore d’autres bases, se dit-elle. Si je devance les monstres, nous pourrons fuir sur Phobos.

Elle se raccrocha à ce dernier espoir.

Elle s’empressa de s’habiller. C’était à présent une course contre la montre.

Dans sa cabine, elle n’avait pas de combinaison d’exploration extérieur, mais elle avait par contre un respirateur. Elle pouvait sûrement supporter le froid jusqu’à atteindre le vestiaire. Comme d’autres scientifiques martiens, elle avait des augmentiques destinées à mieux résister aux basses températures de la Planète Rouge.

Elle brava le vent glacial qui circulait dans les couloirs du complexe et courut en direction du vestiaire, enjambant des morceaux de cadavres et des flaques de sang coagulées.

Elle se rendit compte après quelques instants que le courant d’air n’était pas si froid, dehors il devait faire jour.

Elle arriva à l’endroit désiré et retrouva sa combinaison : il y avait son nom et son matricule dessus. Plus rapidement que jamais, elle l’enfila et décida de courir à l’armurerie pour prendre de quoi se défendre. C’était un soutien psychologique plus qu’autre chose, elle savait qu’elle ne réussirait pas là où des guerriers comme Sora ou Samantha avaient échoué.

L’armurerie était attenante au hangar où tout avait commencé. Le vestiaire y était également relié, permettant aux équipes de retour de l’extérieur de se dévêtir.

— Ça tombe bien, il me faut un Mars Cruiser, se dit-elle.

Comme elle l’avait pensé, les portes du hangar étaient à présent grandes ouvertes. Les monstres avaient attaqué en pleine nuit, une période de temps où toute la base était verrouillée pour éviter les attaques éventuelles des autres secteurs. Finalement quelqu’un avait céder aux menaces du monstre et avait dû saisir le code d’ouverture.

— Cela m’arrange au fond…

Mia ne le connaissait pas, elle se serait retrouvée enfermée si les choses eussent été autrement.

Elle s’équipa d’un Howa 20, puis entra dans un des Mars Cruiser. Elle alluma l’ordinateur de bord et afficha la carte du cratère.

Même si c’était dangereux, elle décida se rendre dans la partie indienne. Entre les trois autres factions, c’était la plus proche et la moins hostile envers le Japon.

Elle n’avait jamais conduit ce véhicule, mais elle avait vu Rylee le faire. Elle pouvait certainement y arriver aussi.

Elle allait le démarrer lorsqu’une notification apparut sur l’écran de bord : quelqu’un diffusait un message sur les ondes, la machine lui demandait si l’écouter ou non.

Mia appuya sur l’écran pour approuver la demande.

<< … forces de Phobos USA Alliance. La base est attaquée. Je répète la base est attaquée ! Il est demandé aux réfugiés de Bishamon IV de ne pas s’approcher. >>

Le message était diffusé en boucle. Inconsciemment, Mia l’écouta une demi-douzaine de fois avant de réaliser réellement le sens des mots. Sa bouche ouverte, elle s’immobilisa un long moment.

Puis, sans mot dire, sans afficher la moindre expression de frustration, de désespoir ou de colère, elle ouvrit la portière et quitta le véhicule.

Elle se dirigea vers la porte du hangar et fit quelques pas à l’extérieur. Le soleil luisait au-dessus de sa tête, elle se couvrit les yeux de sa main, posée sur son casque.

Lorsque sa vue s’habitua à cette forte luminosité, elle aperçut deux formes noires dans le ciel.

Ce n’était pas des nuages. Ni des astéroïdes.

Elles ressemblaient à d’énormes structures de métal noir.

Des vaisseaux spatiaux d’une technologie supérieure à celle humaine.

Mia s’avança en tendant la main vers le ciel comme si elle désirait saisir ces vaisseaux pourtant si lointains.

Elle se mit soudain à s’esclaffer comme jamais, son rire semblait ne jamais pouvoir s’arrêter. Elle riait face à l’ironie du destin, se moquait des blagues du dieu farceur qui tirait toutes les ficelles de l’univers.

Ce jour-là, Mia cessa d’être Mia.

Elle était seule à présent. Désespérément seule.

Novembre 2065, à des millions de kilomètres de la guerre qui débutait sur Terre suite à l’arrivée des Anciens, oubliée de tous, abandonnées de tous, rescapée de l’horreur, Mia devient la dernière survivante de la Planète Rouge.

FIN