Isekai Dakimakura – Arc 1 – Chapitre 1

Ferditoris, capitale du royaume occidental de Hotzwald.

Depuis ma renaissance dans ce monde, c’était sans aucun doute possible la première fois que je mettais les pieds dans une ville humaine. J’aurais pu dire comme mes contemporains que c’était immense et splendide, mais si la seconde affirmation me semblait exagérée, la première l’était sûrement davantage.

En soi, une ville de ce monde était inférieure en population à un simple arrondissement de Tokyo. En une heure ou deux de marche, il était possible de traverser entièrement Ferditoris, qui était pourtant la capitale.

Selon une estimation personnelle, puisque le recensement n’était pas pratiqué ici, elle devrait atteindre plus ou moins une centaine de milliers d’habitants, peut-être le double, même si j’en doutais.

L’architecture était très belle, toutefois. Pour une elfe à l’âme citadine comme moi revoir quelque chose qui ressemblait à de la civilisation me faisait chaud au cœur. Les rues étaient majoritairement pavées, il y avait des réverbères, des échoppes, des enseignes et une activité comme je n’en avais jamais vu dans ce monde. Tout cela me remplit immédiatement de joie.

Enfin une ville !

J’en avais plus qu’assez de marcher à même le sol tantôt boueux, tantôt rocailleux, plein d’aspérités et jamais vraiment plat. L’asphalte n’existait évidemment pas, mais même le sol un peu bosselé de cette ville était bien au-dessus de la forêt.

Les rues avait un agencement chaotique, partant de-ci de-là. Un château fort se trouvait tout au fond de la cité, au bout de la rue principale, sur une colline.

L’air ne sentait pas l’herbe et l’odeur des écorces d’arbres…

Que demander de plus ?

En passant, j’entendais les vendeurs à l’étalage hurler et tenter d’attirer la clientèle par d’alléchantes propositions, tandis que des charrettes circulaient dans la large rue principale emportant des marchandises à l’extérieur de la cité.

Évidemment, les remparts de la ville étaient dignes de ce nom. J’ignorais si c’était la norme dans ce monde, mais je m’étonnais de leur impressionnante hauteur.

Il était possible qu’il s’agît d’une mesure préventive contre les monstres, renforcée par le fait que la ville se trouvait au cœur d’une plaine, avec pour seul relief la petite colline où siégeait le château. Une position plus haute aurait sûrement été plus profitable pour la défense de la cité.

— Au fond, me disais-je, puisque dans ce monde il y a des monstres qui peuvent atteindre au moins dix mètres de haut, ce n’est pas si étonnant que les remparts soient aussi colossaux.

Sans le moindre sous en poche, les différents étalages de nourriture diffusant leurs odeurs envoûtantes étaient une torture sans nom.

J’avais bien compris au village où j’avais fait halte que ma principale source de revenu était actuellement les petites pierres que j’avais au fond de ma bourse. Avec ma magie, je les avais raffinées pour en faire des pierres précieuses dignes de ce nom.

C’était une idée à laquelle j’avais pensé quelques heures avant mon arrivée. J’avais détourné un peu l’utilisation de mon sort de « Toilettage » pour les « nettoyer », ce qui revenait à les raffiner dans le cas de pierre. Puisque la valeur d’une pierre précieuse raffinée était supérieure à celle brute, j’avais pensé gagner plus par ce biais. Le résultat était saisissant, elles brillaient de mille feux.

Mais il m’avait fallu quelques heures pour chacune, le sort n’était pas prévu pour cette utilisation. Cette subtile manœuvre avait retardé mon arrivée à la capitale d’une journée. Un abri abandonné m’avait servi à y passer la nuit.

J’avais eu le temps de me rendre compte d’une chose : je serais une elfe dans un monde d’humains.

J’ignorais quelle était la politique du royaume de Hotzwald à l’égard des non-humains, mais par prudence j’avais bricolé une cape à capuche pour cacher mes oreilles.

Mais, à peine étais-je arrivée au poste de garde de la ville qu’on m’avait demandé de me découvrir. Ne pas baisser la capuche aurait sûrement été pris pour un écart, j’avais préféré exécuter leurs ordres et accepter ce qu’il adviendrait. Les gardes m’avaient longuement regardé, j’avais senti le stress monter en moi, puis ils m’avaient simplement souri en me disant que j’étais mignonne.

Je m’étais sûrement inquiétée pour rien ; mon aura dakimakura était une aubaine même dans ce genre de situation. On ne me mènerait pas à l’échafaud ou en prison pour si peu.

Pendant un temps, j’avais abandonné l’idée de cacher mes nobles oreilles pointues. Mais ma noble prestance et mes traits plus fins, symétriques et délicats que les humains bourrus du coin avaient bien trop attiré l’attention des vendeurs qui voyaient là passer une noble dame aux bourses présumées fort remplies.

Après moult refus, j’avais remis ma capuche et m’était dirigé vers mon objectif : une banque ou un bijoutier où je pourrais revendre mes pierres précieuses.

Avoir une langue universelle à tous les royaumes humains était certainement pratique. Sans aucun mal, je parvins à me faire comprendre et on m’indiqua un bijoutier bien réputé en ville.

Malheureusement, c’était sans compter mon problème d’orientation.

— Droite, puis gauche, puis gauche de nouveau. Au fond de la ruelle, la boutique avec un lézard sur l’enseigne : « Chez Marick ».

Je me répétais ces paroles comme une invocation nécessaire pour ouvrir le passage dans ce dédale de ruelles, mais ce qui devait arriver arriva.

Il y a un problème que les personnes ayant un sens de l’orientation normal ne comprendront jamais, ni dans ce monde, ni dans mon précédent : c’est que gauche ou droite, voire est ou ouest, ça veut rien dire pour moi !!

Sur une carte, il est facile de comprendre gauche ou droite, mais dans un monde en trois dimension, il vaut mieux donner des repères : « quand tu es face à la boutique avec le sapin dessiné sur la façade, prends à droite ». Voilà une indication plus claire pour moi !

Je supposais que la ruelle qui semblait revenir sur mes pas, mais qui allait vaguement à gauche était peut-être celle que j’aurais dû suivre à la base, mais celle à côté m’avait paru bien plus à gauche à vrai dire. C’était bien plus tard que je m’étais rendue compte du moment où je m’étais sûrement trompée.

— Maudite orientation ! Je suis à nouveau perdue !

J’avais pourtant eu l’impression d’être sur le bon chemin. Mais, je ne trouvais pas la boutique avec le lézard dont on m’avait parlé. L’endroit semblait de plus en plus mal famé, en plus.

Les visages des personnes que je croisais étaient patibulaires. Heureusement, il y avait peu de monde.

Lorsque mon regard s’arrêta sur l’enseigne d’une boutique, « Les nichons de Sara » puis sur une autre « Exotisme érotique », je compris dans quel genre de quartier j’étais involontairement tombée.

Un sourire ironique s’esquissa de lui-même sur mon visage alors que je fis immédiatement volte-face. Dans ce genre d’endroit, c’était normal de ne croiser personne le matin.

Même sans orientation, j’avais suffisamment de mémoire pour revenir sur mes pas, heureusement.

Sur le chemin du retour, je remarquai toutefois une boutique qui m’avait échappée à l’aller et qui venait d’ouvrir : une bijouterie.

— Quelle aubaine ! pensai-je.

Je supposais que la proximité avec le quartier des maisons de tolérance était propice à ce marché. Les prix devaient être inférieurs à ceux de la boutique célèbre qu’on m’avait conseillé mais, lasse de m’être perdue, je décidai d’y entrer, ne serait-ce que pour y voir les prix.

Je me rendis compte à peine avais-je passé la porte d’entrée, qu’il aurait été bien plus logique de m’informer sur les prix des objets courants préalablement. J’avais plus ou moins vu en passant que les brochettes de bœuf étaient vendues deux pièces cuivres l’unité, et que la bière était vendu une cuivre la pinte, mais quel était le prix du pain ou des loyers ?

Je n’allais pas me baser uniquement sur le prix de la bière et des brochettes à l’étalage, non ?

Le temps que la vendeuse vienne au comptoir, attirée par la sonnette à l’entrée, je furetais du regard pour avoir une estimation des prix. Mais, contrairement aux œuvres de fantasy que je connaissais, le magasin était tout simplement vide. C’était une petite pièce avec un comptoir et aucun article exposé.

Je supposais que s’il y avait un accès aux articles si facile, le magasin subirait des vols tous les jours. Tout devait être fait sur demande.

Je soupirai et me rappelai que même dans l’autre monde le commerce n’avait jamais été mon fort. Je me souvenais de mes premières expériences sur les jeux en ligne. Les négociations et moi avaient toujours fait deux.

C’est avec une attitude de perdante que je me résignais une fois de plus à gagner moins d’argent que la valeur de ma marchandise.

La vendeuse était une belle jeune femme avec des bagues à chaque doigts et plusieurs colliers. Soit elle était inconsciente du danger, soit elle était protégée par des personnes que je ne voyais pas, soit elle était plus puissante qu’elle ne le laissait paraître. Ce manque de protection était étonnant mais de toute manière, je n’avais pas l’intention de la détrousser. L’argent n’avait jamais été mon point faible.

En fait, je dirais même que je l’avais toujours détesté. Combien vendaient leur dignité et leur âme pour accumuler toujours plus d’argent ? Combien étaient obnubilés par engrosser cette richesse qui n’avait d’autre sens qu’elle-même, étant incapables de la dépenser ?

Quel était l’intérêt d’avoir plus d’argent que nécessaire ?

Vivre n’a sûrement aucun autre sens que divertir les dieux qui ont défini les règles de nos mondes. Tous ceux comme moi qui meurent et se souviennent de l’après pourront le confirmer.

L’argent n’avais jamais eu valeur d’objectif pour moi, c’était juste une contrainte du monde. Je n’avais pas cette ferveur des marchands à en vouloir toujours plus, je désirais seulement recevoir assez.

C’est pourquoi, fort de toutes ces considérations, je partais défaitiste quant à ces négociations qui allaient commencer.

— Bien le bonjour, chère cliente… Oh ! Que vous êtes mignonne ! Vous travaillez dans quel établissement ?

Je ne pus m’empêcher de grimacer. Voilà qu’on me prenait pour une prostituée… Je n’avais rien contre cette profession, mais pour quelqu’un qui était vierge sur deux vies au moins, c’était un peu ironique, non ?

— Je… Bonjour.

— Laissez-moi deviner… « Le Moineau pourpre » ? Non, non, « la Soie divine » ? Allez, dites-moi que j’ai raison.

Je secouais la tête avec un air désolé.

— Arg ! Un établissement que je ne connaîtrais pas ? Mmm…, si vous me le dites, je viendrais vous y voir, promis, me dit-elle avec un clin d’œil.

C’était des avances, manifestement.

Je restais calme malgré le fait que je n’étais pas habituée à en recevoir. Au fond, ce n’était que des paroles à ce stade. Puis…

Aucun doute, il s’agissait encore une fois de l’effet de l’aura dakimakura. J’avais ma cape et ma capuche, sur quoi pouvait-elle se baser pour me trouver séduisante ?

— Désolée, je ne travaille pas ici, lui dis-je. Je suis une voyageuse qui vient d’arriver.

— Oh ? Quel dommage…

A force cela devenait même un peu gênant. Cette femme avait un aspect très agréable, bien que trop maquillée à mon goût, mais je commençais à me sentir mal à l’aise face à son regard. L’expression :« être déshabillée du regard » ne m’apparut jamais aussi claire.

C’est pourquoi, sans tarder, je posai sur le comptoir la vingtaine de pierres précieuses que j’avais récoltées et polies.

Ses yeux s’écarquillèrent. Ce que je lui présentais avait manifestement de la valeur.

— Mmm, de bien jolies pierres… bien que moins belles que vos yeux.

Est-ce qu’elle draguait tous ses clients ou alors j’étais un cas particulier ?

Au passage, mes yeux étaient violets, une couleur qu’on ne voyait pas chez les humains, mais bon ils n’avaient rien à voir avec la couleur des saphirs. C’était juste de la séduction de bas étage.

Je m’étonnais malgré tout de tomber si rapidement sur une femme attirée par les femmes. Je n’avais jamais eu de problème avec ce genre de choses, même dans mon ancienne vie, mais disons que c’était un drôle de hasard que la première commerçante avec qui je parlasse soit aussi… ouverte d’esprit, dirons-nous.

Cela dit, peut-être que c’était lié à sa clientèle aussi.

— Merci…

— Vous venez de loin ?

— La Grande Forêt, dis-je sans réfléchir.

J’étais rarement aussi spontanée, j’étais probablement plus perturbée que voulu par ses compliments. C’était pour ça que je détestais les vendeurs : leur capacité à manipuler les clients.

Me rendant compte de ce que je venais de dire, je n’avais plus qu’une seule envie : lui vendre les pierres et repartir aussitôt, peu importait le prix désormais.

Elle sourit et ne commenta pas ma réponse.

Étonnant. Sachant qu’il n’était censé y avoir que des monstres dans la Grande Forêt, je m’attendais à ce qu’elle me traitât de menteuse ou autre.

— En tout cas, je suis très intéressée par ce que je vois. Je parle des pierres mais de vous également.

Je souris bêtement en réponse. Elle n’était pas obligé de le signaler, j’avais compris le double sens.

— Je vous offre 5 pièces d’or par pierre. Et mille pour vous.

— D’accord pour les pierres, mais désolée je tiens à ma liberté.

— Dix pièces pour vos lèvres ?

Elle posa son index sous mon menton et se rapprocha de moi. Je n’avais pas dit oui, eh oh !

Je sentis des gouttes de sueur dans mon dos : mon premier baiser risquait de m’être dérobé de la sorte… ? Pour de l’argent ?

Mais une cliente entra dans la boutique.

— Marianne ! Bonjour ! Oh la ? Qui est cette belle petite ?

La voie enjouée de cette jeune femme à la longue chevelure noire détourna l’attention de la vendeuse, ce qui me laissa le loisir de me défiler.

Elle remarqua mon intention et finalement de manière très professionnelle me dit :

— Je vais m’occuper un instant de Sarya, je reviens à vous avec votre argent.

— Mer… ci…

Les deux filles commencèrent à discuter de choses et d’autres et rapidement je devins le sujet de conversation. Impossible de ne pas rougir, elles échangeaient à mon propos des insanités à basse voix, mais mes oreilles surhumaines entendaient tout.

Je n’oserais retranscrire ce qu’elles m’auraient fait si j’avais été d’accord, mon récit passerait immédiatement dans la pornographie…

J’ignorais si le prix que m’avait fait Marianne était honnête ou non, mais après ce que j’avais entendu, il n’était pas question de rester plus longtemps dans sa boutique.

C’est fort décontenancée que je la quittai au plus vite sans même vérifier le contenu de la bourse que Marianne m’avait donnée.

— Je déteste les vendeurs ! me dis-je en essayant de retrouver la rue principale.

***

Même si le prix des gemmes m’avait rapporté finalement trois quatre fois moins que ce que j’aurais pu tirer chez un autre bijoutier, cent pièces d’or était une belle somme pour commencer mon aventure.

Dans le système monétaire du royaume : dix pièces de cuivres, également appelé « aigles » ou « Hotz mineurs » à cause de l’oiseau sculpté dessus (aucune idée si c’en est effectivement un, la sculpture était trop grossière), équivalaient à une pièce d’argent, appelée « salamandres » ou « Hotz ». La pièce d’or était la plus haute monnaie et valait pas moins de cent pièces d’argent. On l’appelait aussi « lion » ou « Hotz majeur ».

En général, tout ce qui était produit alimentaire ou produit de survie utilisait des pièces de cuivre ; les produits de luxe ou culturels des pièces d’argent. L’or était utilisée pour l’achat d’immobilier, par exemple.

Les paysans ne voyaient pratiquement jamais de leur vie de pièces d’or, leurs salaires étaient composés uniquement de cuivres et d’argents. Cent pièces d’or, j’avais un petit pactole sans être réellement riche non plus.

C’est grâce à cet argent facilement gagné que je pus avoir accès à la bibliothèque privée d’un noble.

Une fois encore, je pense que sans mon aura dakimakura on ne m’aurait jamais prise au sérieux.

J’avais passé deux jours à m’informer sur les bibliothèques de la ville. Comme je m’y attendais, il n’y en avait pas réellement.

Comme au Moyen-Age en Europe, la plupart des personnes ne savaient pas lire ici et l’intérêt d’une collection publique était de fait très limité. Certains royaumes avaient malgré tout adopté un concept de bibliothèque public mais pas le royaume d’Hotzwald.

Les seuls à disposer de livres étaient les nobles et certaines églises.

Jugeant que les textes des religieux seraient bien trop orientés pour servir leur propre dogme, j’avais écarté cet axe de recherche. J’avais pensé plutôt demander au Baron Utherwiller d’accéder à la sienne. Pour ce faire, j’avais dépensé quelques pièces pour avoir une belle robe. Il avait fallu une bonne semaine pour me la faire confectionner.

Pendant cette période, j’avais simplement flâné en ville et avais logé à l’auberge. Afin d’éviter qu’on ne me harcèle de propositions commerciales, j’avais commencé à éviter l’axe principal aux heures d’affluence.

Les humains de ce monde n’avaient pas l’air réellement différents de ceux de ma précédente vie. Ils passaient le plus clair de leur temps à travailler et lorsqu’ils avaient du temps libre ils allaient à l’auberge ou à la taverne s’enivrer.

La plupart étaient mal instruits, n’avaient pas de bonnes manières et étaient bruyants. L’exact profil que je détestais, jadis également.

Heureusement, mon aura ne les attirait pas vers moi. Cela aurait été tellement horrible si les gens me guettaient à chaque coin de rue pour me séquestrer. BRRRRR !

L’un des avantages de mon aura dont je fis la découverte était que même lorsque je passais à côté de criminels, ils n’attaquaient pas. Ils se contentaient de m’ignorer et de poursuivre leurs activités.

Je veux dire par là que même lorsque j’étais passée à côté de deux voleurs cherchant à entrer par effraction dans une maison, ils m’avaient juste jeté un coup d’œil et avaient poursuivi leur activité. De même, lorsque j’avais découvert le commerce illicite d’un marchand.

Dans les deux cas, j’aurais pu intervenir mais j’avais décidé de ne pas jouer les héroïnes. Déjà, car je ne tenais pas à mourir avant d’atteindre mon but.

Mourir en soi ne faisait pas peur. Je l’avais déjà vécu une fois. Mais savoir que je risquerais d’être réincarnée, encore, et sans mes souvenirs m’avait dissuadé de prendre des risques inutiles.

Je ne souhaitais pas tant préserver des souvenirs agréables que simplement ne pas perdre l’avantage que j’avais gagné en confirmant l’existence d’un au-delà.

Car si les gens autour de moi vivaient en priant des dieux muets, moi je savais qu’ils existaient réellement, qu’ils nous regardaient et s’amusaient du théâtre de nos petites vies insignifiantes.

J’ignorais ce qu’ils trouvaient de si amusant dans les pantins que nous étions. Il faut sûrement être un dieu pour le comprendre.

Je reconnais, néanmoins, que si les crimes m’avaient parus plus grave, je n’aurais probablement pas laissé passer de la sorte. Étant une étrangère sur ces terres, j’avais une sorte de distance, certes, mais pas au point de regarder des humains souffrir sous mes yeux.

Quoi qu’il en fût, plus d’une semaine s’était écoulée avant que je ne pris la décision d’aller toquer à la demeure du Baron Utherwiller.

— Que puis-je pour vous ? me demanda poliment sa domestique.

C’était une authentique soubrette, rien à voir avec les maid que j’avais rencontrées à Akihabara, sans jugement aucun pour ces dernières que je respectais et adorais.

Elle ne semblait pas du tout le genre de personne avec qui on avait envie de rire. Elle était aussi polie que placide.

— J’aimerais m’entretenir avec Monsieur le Baron pour négocier l’accès à sa bibliothèque, lui dis-je franchement.

— Veuillez entrer, je vais m’informer auprès de Monsieur.

Toute roturière que j’étais, la porte me fut grande ouverte.

Son hôtel particulier était comme je n’en avais vu qu’en photo : magnifique. La différence des classes sociales était réellement très marquée dans ce monde.

Dans les pièces que je traversais, le sol était couvert de tapis hors de prix, les murs étaient décorés de tableaux et de statues, tandis qu’au plafond pendaient des lustres majestueux.

Rapidement, je me rendis compte également que la noblesse humaine de ce monde était équipée d’objets magiques.

La domestique m’invita à prendre place dans un petit salon particulièrement coquet et prépara du thé sans avoir recours à du feu. Après son départ, je me permis de lancer un sortilège d’analyse magique pour recueillir plus d’informations : cette théière magique permettait simplement de produire du thé chaud, sans aucun poison.

Ce n’était pas le seul objet magique de cet endroit, d’ailleurs. Un tableau et une des armures décoratives l’étaient également. Plus qu’envieuse, j’étais surprise d’en trouver si ouvertement affichés. C’était sûrement une marque de prestige parmi les nobles, supposais-je.

Je n’étais pas encore habituée à la robe que je portais. Elle était lourde et encombrante. Les différents jupons et les baleines du corset étaient faites sur mesure, aussi elle ne gênait pas tant que cela mes mouvements, mais il me serait difficile de me battre si les négociations se passaient mal. C’était ce que je réalisais à cet instant.

D’autant plus que je n’avais pas emporté mon arme pensant que ce serait déplacé de la part d’une roturière.

Le baron se déplaça en personne pour venir me voir. C’était un homme ayant la vingtaine, on aurait pu le prendre pour mon grand-frère si je n’avais pas été une elfe.

Il était aussi courtois qu’aimable. Il me fit réellement bonne impression mais j’avais peur qu’il finisse par me demander en mariage si je m’éternisais. Avec mon aura, quelque chose de louche finirait sûrement par se produire tôt ou tard.

Finalement, ce n’est pas l’ennemi qu’on observe de l’autre côté du champ de bataille qui est le plus dangereux tantôt, mais l’allié qu’on oublie d’observer à ses côtés.

Après avoir passé trois jours à faire le tour de sa bibliothèque, — fort intéressante au passage— , à la recherche du moindre indice sur la civilisation elfe, ma vigilance s’était un peu relâchée. L’heure était avancée et je finis par m’écrouler en pleine lecture, dans la bibliothèque.

A mon réveil, je vis deux yeux bleus qui me fixaient à la lueur d’une lampe. Je reculais un peu effrayée pour me rendre compte qu’il s’agissait de la soubrette.

— Vous n’allumez jamais de bougie pour lire le soir ?

Zut ! J’avais été démasquée !

Les bougies étaient inutiles lorsqu’on y voyait parfaitement. Pour ne pas occasionner plus de dérangement au baron, je n’avais pas jugé bon en demander.

— Euh…

— Vous êtes une personne bizarre. Les écritures de ce livre ne sont pas traduites, il s’agit d’une langue ancienne.

En effet, une partie du livre que je lisais était en draconis, la langue des dragons ; c’était les récits d’un vieux mage pédant. Mon mentor m’avait appris ce langage, un peu l’équivalent du latin auprès des magiciens de ce monde. Pour des questions d’élitisme et de prestige, une grande partie de leurs textes étaient rédigés uniquement en draconis.

— Je suis magicienne…, lui avouai-je en me disant que ce serait bien plus crédible que n’importe quel mensonge.

— Je vois. Ceci explique votre étiquette respectueuse mais inconnue.

J’avais donc attiré l’attention. Et malgré tout, on m’autorisait à mener mes études ? J’étais particulièrement reconnaissante envers le baron, un homme de bien.

— Quelles études menez-vous au juste ? Je connais fort bien la bibliothèque, je pourrais vous aider.

Elle se rapprocha de moi et, se penchant sur mon épaule, elle ouvrit le livre devant moi.

Je ne pus m’empêcher de sentir son odeur parfumée.

Était-ce normale qu’une soubrette sache lire et sente aussi bon ?

C’était peut-être simplement mon à priori, si j’avais été noble j’aurais sûrement aussi préféré des soubrettes instruites et propres.

— Je pense avoir trouvé, lui dis-je. Ce livre décelait des informations précieuses. L’heure est tardive, je vais rentrer. Je viendrais déposer un cadeau pour Monsieur le Baron, demain dans la journée.

— Vous ne reviendrez plus ?

— Je ne pense pas. J’ai trouvé ce qu’il me fallait grâce à vous.

— Louez soient les dieux.

— Oui, sûrement…

Je grinçai des dents. Je ne tenais pas les dieux en affection, pas du tout même.

La soubrette me laissa partir, elle me raccompagna jusqu’à la sortie et me salua respectueusement de la main.

Néanmoins, j’avais bien vu au fond de ses yeux naître la curiosité à mon égard. Encore un coup de l’aura !

Quelques jours à peine et elle commençait à faire tomber son masque de femme froide. Contrairement à Marianne, son attrait n’était pas sexuel, je pense qu’elle voulait juste une bonne amie. Si je me mettais à sa place, avoir une amie roturière et instruite qui n’avait pas de préjugés à son égard, cela devait être plutôt appréciable.

Je me disais tout cela couchée dans mon lit à l’auberge. J’avais pris la chambre la plus luxueuse, ce qui équivalait à un lit plutôt correct dans mon ancien monde, rien de plus.

Je décidais de ne pas couper les liens cette fois : si elle voulait juste une amie, je ne pouvais pas me montrer méchante avec elle. Néanmoins, était-ce juste de ma part ?

Je risquais de partir dans les prochains temps, notre séparation ne serait qu’un retour plus difficile à la solitude.

Dans le dernier livre que j’avais lu, écrit par le mage Jyelh, il parlait d’un autre ouvrage en elfique dans la bibliothèque du monastère dédié à la déesse de la lune dans la ville de Moroa. C’était ma prochaine destination.

Toutefois, il me fallait encore me renseigner quant à la localisation de cette ville.

C’était là que je me rendis compte d’une chose : je ne pouvais pas continuer à voyager seule.

Outre les monstres qui étaient un réel danger, je n’avais aucune orientation.

Mourir de faim et me réincarner en cafard ne m’aiderait pas à atteindre mon but.

En fermant les yeux, je pris ma résolution : il me fallait des compagnons de route.

Mais comment faire ?

Le lendemain, sans aucune piste pour en trouver, je retournais chez le baron, mais cette fois pour m’entretenir avec Lucilis, la soubrette.

La jeune femme fut agréablement surprise, elle m’accueillit chaleureusement et écouta mes problèmes. Elle ne tarda pas à me dire :

— Vous devriez commencer par conclure un partenariat avec des aventuriers de la ville.

— Il y a des aventuriers en ville ? demandai-je surprise.

Tout m’avait l’air très médiéval, je ne m’attendais pas à un élément plus proche des jeux vidéos que de la réalité historique. Car oui, les mercenaires de l’histoire médiévale n’avaient rien à voir avec ceux des jeux, c’était des guerriers prenant part à des guerres et non à la chasse aux monstres ou aux dératisations.

— Bien sûr. Ils aident les autorités de la ville pour le maintien de l’ordre et surtout la chasse aux monstres. En général, ils se réunissent à l’auberge de la Perdrix où la milice placarde des contrats. Une magicienne, aussi talentueuse, y sera sûrement la bienvenue.

— Je n’ai jamais dit être talentueuse, fis-je remarquer.

— Mais j’en suis pourtant persuadée.

Son sourire honnête finit de faire tomber mes réticences à son égard. Je soupirai et la remerciai de son aide. Puis je lui promis de revenir la voir aussi souvent que possible au cours de mes séjours en ville.

Le soir, j’allai me coucher résolue à me rendre à l’auberge de la Perdrix le lendemain matin à la recherche d’un groupe d’aventurier.

***

Je n’avais pas bien dormi cette nuit-là.

Le stress était déjà un problème que j’avais du mal à gérer dans ma précédente vie. Plus encore que l’excitation de faire quelque chose de nouveau, c’était des milliers de doutes qui me tourmentèrent.

Conclusion : j’étais fatiguée et ne cessais de bâiller ce matin-là.

L’auberge de Perdrix.

Je m’attendais à quelque chose de plus sensationnel, à vrai dire. Elle était tout ce qu’il y a de plus banal. La façade en torchis était d’un blanc défraîchi et il y avait des lézardes un peu partout. Un vieil édifice qui avait fait son temps.

C’était vraiment bien en-dessous de mon imagination et en-dessous même de l’auberge où je logeais. Nous étions dans la capitale du royaume et il s’agissait de la seule guilde d’aventuriers, il y avait de quoi être déçue.

— Je devrais sûrement abandonner mes références fantasy de mon autre vie, pensais-je en me dirigeant vers la porte. La réalité est toujours plus décevante que l’imaginaire.

Je descendis la volée de marche qui mentaient à la lourde porte en bois d’entrée. Elle semblait un peu plus neuve que le reste du bâtiment comme si on avait dû la changer récemment.

C’est sans mal que j’imaginais une bagarre d’auberge qui avait mis fin à l’existence de la précédente porte. Paix à son âme !

Alors que j’allais appuyer sur la poignet, la porte s’ouvrit.

Devant moi apparurent trois armoires à glace en armure de mailles. Bon, il est vrai que je ne mesurais qu’un peu plus d’un mètre cinquante, mais eux ils devaient presque atteindre les deux mètres.

— Oh ? J’ai failli ne pas t’voir, ma p’tite dame.

— C’est qu’elle est mignonne, la p’tite.

— Vous foutez quoi vous deux, on a du pain sur la planche. Fichez-lui la paix.

Le troisième type leur donna une tape sur l’épaule en les poussant dans la rue. Ils me passèrent à côté non sans me scruter encore un peu.

Je commençais à y être habituée. Malgré la nouvelle cape à capuche que j’avais finalement acheté durant mon séjour (la précédente avait été cousue par mes mains et n’était pas réellement belle), et malgré mes formes assez peu « féminines » (je ne suis pas partisane de penser que les seins et les hanches soient de réels critères de féminité, mais bon admettons), on me regardait souvent.

Si encore on pouvait voir mes magnifiques couettes, je comprendrais mais là… La seule explication rationnelle, est encore une fois mon aura dakimakura.

Je soupirai et je rentrai en fermant la porte derrière moi.

L’endroit était sombre, c’est la première chose qui me frappait.

On aurait réellement dit un bouge de brigands et de coupe-jarrets. Toute la salle se trouvait sous le niveau de la rue, les quelques vasistas ne laissaient passer que peu de lumière et je me rendais compte rapidement qu’en après-midi, lorsque le soleil passerait de l’autre côté de la bâtisse, la salle serait encore plus sombre.

Avec mes yeux elfiques, cela ne me dérangerait pas, bien sûr, mais j’eus peur que mes yeux se mirent à briller comme ceux des chats, aussi je pris soin de baisser encore un peu la capuche.

Malgré l’heure matinale, il y avait trois tables pleines où des aventuriers, moins patibulaires que ce que j’aurais pu m’imaginer, jouaient aux dés et aux cartes. A vrai dire, il y avait même des beaux gosses dans le lot, des personnes que je n’aurais jamais vu embrasser unetelle carrière.

— Décidément, je dois revoir mes connaissances sur les aventuriers…

Je cherchais du regard le panneau d’affichage des quêtes. Peut-être n’existait-il même pas au fond, considérant la tournure que prenaient les choses, mais Lucilis avait bien utilisé la parole « placardé » aussi je présumais une sorte de tableau.

Il se trouvait sur le mur à ma gauche, à l’autre extrémité des tables de joueurs.

— Peut-être que ce sont des clients réguliers et non pas des aventuriers, me dis-je.

Les annonces d’aventuriers ne devaient sûrement rien rapporter aux gérants de l’auberge qui devait avoir une activité plus normale. J’imaginais mal des aventuriers à une table si tôt le matin, mais peut-être était encore un de mes préjugés.

Si on admettait un groupe d’aventuriers venus de loin, il leur faudrait un logement. Et si l’établissement qui leur proposait du travail les logeait de surcroît, ils n’auraient pas besoin d’arpenter les rues et de se perdre à la recherche d’un auberge (bon, OK, je suis la seule pour qui cet argument est valide mais bon…).

On pouvait même aller plus loin. Admettons non pas un groupe formé, mais simplement des aventuriers solitaires comme moi. Arrivés en ville, ils trouvent des quêtes intéressantes mais, seuls, elles sont inaccessibles.

Quel autre choix auraient ces aventuriers que de rester à l’auberge et d’attendre d’autres aventuriers pour se lier à eux ?

Si on prenait tout cela en compte, contrairement à ce que j’avais présumé, il était fort possible qu’il s’agisse d’aventuriers. La suite me le confirma d’ailleurs.

Perdue dans mes pensées, je finis par heurter quelqu’un. Une des serveuses.

* Boing *

Au lieu d’un *bam* sec indiquant que je cognais quelque chose de solide, c’était un son exprimant la mollesse qui se fit entendre. Je fus aussitôt repoussée en arrière par le choc, mais la serveuse me retint.

Il s’agissait d’une demi-orque… du moins, c’était ma déduction. Sa peau était olivâtre et elle était grande. Mon mentor m’avait déjà parlé des orques, en bien.

Contrairement à l’image de créatures violentes et hostiles, surtout envers les elfes, que je me faisais, il m’avait assuré que la plupart étaient pacifiques et sages, vivant dans des coins sauvages et priant les esprits.

C’était la première fois que j’en croisais une. Même en ville, je n’en avais aucune autre. Ses traits étaient certes un peu grossiers comparés aux miens, mais elle était suffisamment belle pour être considérée comme attirante.

Elle n’avait pas la mâchoire proéminente que je m’attendais à voir d’une demi-orque, mais ses canines inférieures étaient effectivement très longues. Cela lui donnait un petit charme intéressant.

Cela étant dit, elle était un peu mon opposé. Grande, forte poitrine, ses hanches étaient larges… Je devais avoir l’air d’un cure-dent à ses côtés.

— Vous… vous allez bien ? Oh !

Je n’avais pas de suite compris son étonnement. Elle me retenait d’un bras tandis que de l’autre elle tenait un plateau avec des bocks vides. Elle avait des bras solides, en ça elle répondait au stéréotype de la demi-orque de l’imaginaire de mon ancien monde.

Ses yeux étaient verts et sa chevelure très longue était attachée en une sorte de chignon dans lequel étaient plantés des tiges. Ce n’était pas un chignon comme celui des offices ladies de mon ancien monde, il n’avait rien de strict et de rigide. Des mèches rebelles en partaient de-ci de-là. Cela lui donnait un petit air de sauvageonne plutôt agréable.

— Je vais bien.

— Vous… quelles oreilles amusantes. Je serais à votre place, j’y mettrais un ou deux piercing.

J’observais ses oreilles, elle avait nombre de piercing. Je n’étais pas réellement attirée par cette idée d’avoir des trous dans mon corps aussi je répondis par un sourire gêné.

— Euh… merci de m’avoir rattrapée, dis-je en me redressant et en rabattant ma capuche.

A peine arrivée que j’étais déjà grillée. Moi qui voulais cacher le fait d’être une elfe !

— Je vous sers quelque chose ? me demanda la serveuse avec entrain.

— Euh… je voulais d’abord voir le panneau d’affichage.

— C’est la première fois, n’est-ce pas ?

J’acquiesçai.

— Dans ce cas, la première consommation est offerte par la maison.

— Vous offrez ça à tous ceux qui viennent ici ?

— Seulement aux aventuriers. Et juste la première fois.

— Comment pouvez-vous savoir si c’est de vrais aventuriers ? Et vous retenez vraiment le visage de tout le monde ?

Elle se mit à rire et me tapota la tête amicalement.

— Je me souviendrais si je t’avais déjà vu dans le coin.

Puis, elle se pencha vers moi et me dit à voix basse :

— On ne voit pas souvent des elfes.

Je l’observais un long moment, puis je tournais mon regard vers les tables de joueurs qui n’avaient pas interrompu ses activités.

Elle secoua la tête pour me signifier qu’ils ne s’en étaient pas rendus compte.

Même si j’étais rassurée, je ne le laissais pas paraître.

— Je m’appelle Dura. Ne t’inquiète pas, je garderai ton secret, me dit-elle avec un clin d’œil. Par contre…

Je m’y attendais. L’argent. Le véritable Dieu de tous les mondes existants.

— Par contre… je vais demander une petite compensation en nature.

ENCORE ?!

Maudite aura dakimakura ! Je ne peux vraiment pas avoir d’interaction normale avec les gens ?

Non pas que lui donner une telle compensation me semblât une idée détestable, mais à force… si je ne pouvais parler avec aucune personne sans me faire harceler…

— Hahaha ! Je plaisante ! Je ne suis pas comme ça ! Mais ta tête à l’instant était réellement drôle, j’adore !

Je ne pus m’empêcher de grimacer en la fixant.

C’était réellement une blague ?

De toute manière, je n’avais pas envie de m’étendre sur le sujet, le plus sage était d’esquiver la question.

— Je prendrais bien un thé blanc.

— Oh ? Des goûts de luxe ?

C’était un produit de luxe ici ? C’est pourtant le thé qui demande le moins de transformation, je pensais qu’il était le moins cher.

Mais effectivement si les feuilles sont rares, comme elle l’était dans mon ancien monde, ce n’était pas si surprenant.

— Dans ce cas, peut-être…

Elle me posa le doigt sur les lèvres, — une autre habitude qu’ont les vendeuses d’ici, manifestement— et me dit :

— Non, non, c’est la règle. Va donc consulter le panneau d’affichage, je te l’amène à la table juste à côté.

Elle retourna derrière le comptoir s’occuper de ma commande.

Je soupirai légèrement et me sentie rassurée en un sens.

On semblait bien m’apprécier dans ce monde, peut-être même un peu trop par moment, au point qu’on finissait même par me tutoyer et me faire du rentre-dedans, mais au moins on ne m’était pas hostile et désagréable.

Personne n’aime avoir un interlocuteur méprisable, mais déjà avant j’étais particulièrement indisposée face aux individus sévères et remplis de jugements.

Depuis mon arrivée, je n’avais eu d’interlocuteurs du genre, c’était plutôt positif.

Je finis par atteindre le panneau en bois où étaient placardés les annonces. C’était la partie la plus proche de mes attentes, à l’exception que ce n’était pas des parchemins rugueux ou du papier jauni (probablement qu’il n’y avait pas encore d’imprimerie dans ce monde et donc pas de papier non plus), mais des morceaux de papyrus ou quelque chose du genre.

Il y avait des dizaines d’annonces. Je me demandais en les lisant s’il y avait réellement tant d’aventuriers que cela en ville, lorsque je remarquai qu’une partie étaient de vieilles annonces que personne n’avait acceptées.

Alors que j’en cherchais une intéressante, une personne vint se placer à mes côtés pour lire les nouvelles annonces.

Je tournai mon regard vers elle et découvrit une fille plus grande que moi en armure noire. Ce qui m’interloqua rapidement ce n’était pas tant son armure que ses cheveux. Ils étaient roses et attachés en une queue de cheval latérale.

Dans ce monde, il y avait des personnes qui naissaient naturellement avec des couleurs de cheveux étranges : rouges, roses, verts, bleus, j’en avais vu passé nombre de fois dans la rue. Mais les couleurs les plus classiques restaient noirs, châtains et blonds.

Pour quelqu’un qui portait une armure aussi sinistre, avec des pointes et des motifs agressifs, sa coiffure était plutôt mignonne.

Lorsqu’elle se tourna vers moi, je pris conscience qu’il y avait réellement quelque chose qui clochait dans son apparence. Son visage était trop doux pour un tel style. Elle me sourit avec gentillesse, mais je pus distinguer une pointe de tristesse au fond de ses yeux verts.

— C’est la première fois ? Enfin, je veux dire, ici…

Pourquoi cet ajout ? Je me doutais bien de ce qu’elle voulait dire.

Sa voix était aussi douce que le reste de son apparence.

— Oui, je suis arrivée la semaine dernière, répondis-je. Mais c’est la première fois ici.

Elle rougit légèrement. Avais-je dit quelque chose d’embarrassant ?

Elle jeta un coup d’œil aux tables plus loin où les joueurs hurlaient, puis m’observa droit dans les yeux. Je détournai le regard la première. J’ai toujours détesté cela, même dans mon autre vie j’évitais de regarder les gens dans les yeux.

Je l’entendis inspiré avec soulagement.

— Je m’appelle Tyesphaine. Et toi ?

— Fi… Fiali.

— Enchantée.

Elle me tendit la main avant de la reprendre et de retirer son gantelet d’armure.

Elle avait suffisamment de coquetterie pour se vernir les ongles, je dus m’empêcher de rire. C’était vraiment une fille bizarre !

Je lui la saisis et elle afficha un sourire amical.

Elle aurait été tellement plus belle avec des couettes, c’était ce que je me disais à cet instant. Au fond, un queue de cheval latérale était un peu comme des demi-couettes. Il suffisait d’en faire deux et voilà ! On augmentait son charme.

— Tyesphaine, tu cherches aussi une quête ?

Je me permis la familiarité de la tutoyer, je savais que ça passerait avec mon aura. Je me voyais mal faire preuve de déférence avec une fille comme elle. Je ne saurais pas trop dire pourquoi.

— Oui. Cela fait quelques temps que je manque un peu d’argent. Celle-là me semble pas mal.

Elle me montra une quête que j’avais rapidement lue : une simple chasse aux brigands.

Un groupe nommé les Scorpions Bleus sévissait au sud et attaquerait les convois qui emprunteraient la route commerciale. Les rumeurs disaient que leur quartier général se trouvait dans un bosquet à une cinquantaine de kilomètres de la Capitale.

Cela semblait être une mission assez importante, en fait.

Je lus à la fin : « nombre de brigands estimés : 40. Groupe conseillés : 4 vétérans ou 10 novices. »

Quatre vétérans ? Les autorités de la ville estimaient donc que chacun pouvait combattre dix brigands à lui tout seul ? C’était le genre de détail qui me rappelaient que je n’étais pas dans une version médiévale de mon précédent monde.

— Ça semble pas mal. Puis c’est bien payé.

— Vingt pièces d’or, c’est vraiment intéressant.

Je n’allais pas lui dire que j’avais récupéré cent pièces en rapportant juste des pierres…

Parmi celles affichées c’était l’une des mieux payées, je supposais que les risques allaient de paire.

— Dites… Fiali ?

— Oui ?

— Je… je voudrais vous posez une question.

— Pas besoin de tellement de politesse avec moi, je suis qu’une modeste aventurière.

Officiellement, je n’avais pas un tel statut et j’ignorais s’il fallait le déclarer à quelque part ou non.

— Merci. On vient à peine de se rencontrer, c’est vraiment gentil.

— Il n’y a pas de quoi.

A cet instant, je pensais plutôt que si elle me demandait de lui tenir compagnie cette nuit ou encore de lui masser ses épaules endolories par son armure et ses gros seins — car oui les bosses de son armure indiquaient qu’ils étaient gros— je m’en irais voir ailleurs de suite.

Assez du harcèlement sexuel ! C’était amusant au début, mais là…

— Voudrais-tu faire équipe avec moi ?

Je restais interdite un bref instant, puis j’esquissais un léger sourire. J’étais venue à la Perdrix justement dans le but de sociabiliser avec des aventuriers et composer un groupe qui m’aiderait dans ma quête ultime de recherche des elfes. Elle avait anticipé ma demande. Elle m’épargnait des efforts.

En plus, vu son armure intimidante, elle semblait plutôt forte.

— Oui, pourquoi pas ?

— Hein ? Vous acceptez ?… Oui ! Euh… enfin, je… je suis très contente ! Merci beaucoup !

— Pas de quoi…

Son enthousiasme dissimulé me refroidit un peu. Ce n’était pas normal d’être aussi contente pour si peu. Qu’est-ce qu’elle cachait au juste ?

Me sentant observée, je me retournai pour découvrir que les aventuriers nous observaient avec attention. Leurs expressions, presque terrifiées en me fixant, me laissèrent à penser que j’avais vendu mon âme au diable.

Tyesphaine cachait-elle un si funeste visage.

— Je… je vais aller prendre ma commande, lui dis-je.

— D’accord. Je m’installe à cette table. Faisons connaissance avant de partir.

— Juste toutes les deux ?

— Oui, ça sera suffisant.

C’était une quête à quatre vétérans, nous n’étions que deux. Pourquoi abandonner l’idée de chercher deux autres personnes ?

C’était de plus en plus suspect.

Je m’approchais du comptoir avec pour excuse ma commande et je demandai à basse voix à Dura.

— J’ai fait quelque chose de mal ?

— Hein ? Non, je ne crois pas. Tiens, voici ta commande, princesse.

Elle me tendit une tasse de thé blanc qui dégageait une agréable odeur.

— Mais… tout le monde me regarde de travers.

— C’est parce que personne ne fait jamais équipe avec elle.

— Hein ? Pourquoi ?

— C’est une paladine noire. Tyesphaine a la réputation d’être maudite et de tuer tous ses coéquipiers par mégarde. Ce n’est pas une mauvaise fille pourtant.

Je déglutis. J’avais peut-être accepté trop vite.

Je pris ma tasse de thé et jetai un coup d’œil à ma nouvelle coéquipière, elle me fit signe de la main avec un grand sourire honnête.

Je n’avais aucun doute quant aux paroles de Dura, c’était sûrement une gentille fille mais…

Mon aura ne me protégerait pas contre la malchance. Imaginons que je tombe dans une fosse à pointes ou que je me fasse dévorer par un dragon à sa place.

Je ne dois pas mourir ! Pas encore ! J’ai un but à atteindre ! pensais-je à cet instant.

— Un thé blanc, ordonna Tyesphaine.

— Comme d’habitude, Tyes.

— Oui !

Même sa voix était enjouée. Depuis combien de temps attendait-elle quelqu’un pour partir à l’aventure avec elle au juste ?

En face de moi, Dura me tira de mes pensées en posant son doigt sur le bout de mon nez.

— Il va refroidir. Va donc la rejoindre, elle t’attend. Cela faisait très longtemps que je ne l’avais pas vue si joyeuse.

— D’accord…

J’étais d’un seul coup moins rassurée de mon alliance. Je vins m’asseoir à la table de Tyesphaine dans le plus grand silence.

Elle croisait les mains devant elle et dardait un sourire innocent, presque enfantin.

— Tu as pris du thé blanc ? Nous sommes assorties.

— Euh oui…

Elle secouait sa tête de droite à gauche sans cacher réellement son entrain. On aurait dit une petite fille recevant un cadeau.

C’était moi le cadeau ?

Je le sentais très mal ce coup-là.

— On ne cherche pas d’autres membres ?

— Inutile. Tu as l’air forte.

Vraiment ? Tu peux le dire juste en me regardant comme ça ?

— En plus, personne n’acceptera…, dit-elle à basse voix.

Un humain ne l’aurait pas entendue, mais je n’en étais pas une.

C’était donc la vraie raison ?

Que faire ? Me rétracter ?

Son sourire naïf et gentil me fit tomber les épaules. Je ne pourrais jamais faire ça !

Résignée, je sirotai mon thé et je lui demandai :

— Et sinon, tu aimes bien les couettes ?

***

Après avoir convenu de notre alliance, nous partîmes sans tarder. Tyesphaine avait insisté pour prendre la route au plus tôt et, même si je n’étais pas encore rassurée de m’être associée à une porte-poisse, je préférais ne pas retarder l’inévitable.

C’est une habitude de mon ancienne vie : lorsqu’on est dos au mur, autant en finir au plus vite et passer à autre chose. Inutile de repousser, c’est une perte de temps déplaisante au final.

J’avais donc accepté la situation et c’était ainsi que je m’étais laissée entraînée à sa suite. Dura nous avait salué de la main en sortant, elle m’avait semblé un peu trop heureuse pour une histoire qui ne la concernait même pas.

Tyesphaine ne s’était pas fait priée pour me prendre par la main. J’avais feins de ne pas y accorder d’importance, mais ce rapprochement si facile n’inquiétait quelque peu.

J’avais envie de dire comme dans les mangas que je lisais : « sa main est douce, je sens mon cœur battre à mille à l’heure », mais en vrai sa main était dans un gant de cuir sur lequel se trouvait son gantelet d’armure. Vraiment rien d’excitant, à moins d’avoir un fantasme sur le cuir…

Sortir de la ville s’avéra bien plus rapide et facile qu’y entrer. Aucun contrôle, juste deux gardes à côté de la porte qui nous saluèrent de la main.

Peut-être connaissaient-ils Tyesphaine, j’avais cru voir sur leurs visages des petits sourires en coin.

A peine éloignées de quelques centaines de mètres, Tyesphaine se retourna vers moi et me dit :

— Allons-y à cheval !

— A cheval ? répétai-je en cherchant une monture dans les environs.

— Je… j’ai le pouvoir d’en invoquer une.

Exactement ce que j’attendais d’une anti-paladine, en fait. Je l’observais sans étonnement.

Elle prit entre ses doigts le pendentif qui pendait à son cou, un symbole divin présumai-je en ne sachant pas à qui il était consacré.

— Juste une question, toutefois. C’est… un peu gênant…

Elle fixait ses pieds et rougissait.

— Oui ?

— Est-ce que… tu… tu aurais déjà…

La rougeur montait au fur et à mesure, le bout de ses oreilles était écarlate. De plus, elle jouait nerveusement du pied avec un caillou. C’était quelques chose de très embarrassant ce qu’elle voulait me demander.

— Oui ? Quelle est la question ?

— C’est gênant… Je… je ne peux pas demander ça !!

Elle finit par cacher son visage derrière ses mains.

— C’est embêtant si tu ne la poses pas, non ? Je ne suis pas si intimidante, tu peux me dire ce que tu veux, je ne le prendrais pas mal.

Je reconnais qu’à cet instant j’étais surtout curieuse. Quelle était cette chose qu’elle n’arrivait pas à formuler au juste ?

Pour la mettre en confiance, je retirai ses mains de son visage et les pris entre les miennes. Je tentais de lui darder mon regard le plus pitoyable.

Ma stratégie parut fonctionner alors qu’elle me fixa et inspira profondément :

— Fiali…

— Oui ?

— Est-ce que… tu es vierge ?

— Hein ?

Mes yeux clignèrent plusieurs fois sans que je sus si ce que je venais d’entendre était réel ou non. Je l’observais incrédule. Son visage tout entier était rouge comme une pivoine et elle avait les larmes aux yeux. Ses mains tremblaient.

— Plaît-il ?

— Je… je… je savais que ce serait terrible à demander ! Aaaaahhhh ! Qu’ai-je fait ?!

— Peux-tu répéter Tyesphaine, j’ai peut-être mal compris.

— Tu… tu… tu as sûrement bien compris ! Je… je parlais de… virginité… se…sex… tu… l’as déjà fait… ? Pourquoi est-ce que je répète ça !

Sur ces mots, elle retira ses mains, frappa le sol du pied puis se recroquevilla en se lamentant.

J’étais particulièrement confuse, tout autant par sa question que sa réaction.

— Tu… tu ne comptes me… ? demandai-je en reculant et jetant un coup d’œil derrière moi.

La porte de la ville n’était pas très loin.

— Non, non, non ! Je… je ne ferais jamais une chose pareille ! se défendit-elle en se relevant et en agitant ses mains devant elle avec vigueur.

Elle avait les larmes aux yeux.

— Je… je savais que c’était une mauvaise idée de le demander…, dit-elle à basse voix en baissant le regard. Je… je ne te veux pas de mal, Fiali…

D’une certaine manière, sa voix pleine de regret me rassura. Avec cette malédiction qu’était la mienne, rien n’était impossible. Homme ou femme, qu’importait, je courais un risque à chaque instant.

Mais, voyant les larmes couler sur son visage, quelques instants auparavant si joyeux, et considérant la tristesse que je pouvais y lire, je compris bien vite qu’elle n’avait pas d’arrière-pensées.

Il y avait sûrement une bonne raison, me dis-je.

Je me rendis que Tyesphaine était une fille particulièrement esseulée. Si tous les aventuriers du coin, même ceux hors de la Perdrix, avaient la même réaction que ceux de l’auberge, nul doute que personne d’autre ne voudrait plus faire équipe avec elle.

J’étais sûrement sa première coéquipière depuis un long moment.

Sentant mon cœur me faire mal, je pris mon courage à deux mains et je m’avançais vers elle.

— Je te fais confiance ! dis-je en écartant les bras. Tu ne me feras rien ! Explique-moi s’il te plaît cette question bizarre.

Elle leva ses yeux en pleurs vers moi, les larmes ne cessaient de couler. Elle les essuyait de ses doigts, mais elles ne s’interrompaient pas.

Je pris dans ma poche un mouchoir en soie. Mon mentor avait appris à tisser la soie et les araignées ne manquaient pas dans la Grande Forêt, certaines étaient d’ailleurs aussi grande que des chevaux.

Elle le prit et s’essuya les yeux en sanglotant encore un peu.

Puis, une fois calmée, elle m’expliqua :

— Je ne peux invoquer qu’une licorne. Elles n’acceptent que les filles qui… enfin, tu vois ?

— Ah oui ! C’était donc ça !!

Bien sûr que j’étais au courant des conditions pour chevaucher une licorne, je connaissais mes classiques de la littérature fantastique. Puis mon mentor m’en avaient parlé.

Chez les fées, il existait des chevaux très intelligents dotés d’une unique corne sur le front. Contrairement à ce que je connaissais de mon ancien monde, ce n’était pas tant leurs capacités curatives que mon mentor me vanta que leurs capacités anti-magiques.

La corne sur leur front agissait un peu comme un paratonnerre pour la magie. Elle l’attirait et la dissipait. Seuls quelques sorts indirects ou de très haut niveau avaient une chance de passer outre une si redoutable protection.

Il existait également les pégases qui étaient des animaux féeriques, bien plus proche d’un cheval normal en terme d’intellect et que parfois les humains apprivoisaient.

— Tu connais ?

— Oui, je suis une elf… magicienne, j’ai appris un tas de choses.

— Tu es une magicienne ?

Je souris. Elle m’avait recruté sans même me demander mes capacités. Malheureusement, cela prouvait à quel point elle cherchait désespérément quelqu’un. Certes, je ne lui avais rien demandé mais vu son armure, sa rapière et son bouclier j’avais déjà une bonne idée de ce qu’elle savait faire.

Ce que je ne m’expliquais pas encore c’était pourquoi une paladine (anti-paladine ?) avait une armure noire inquiétante, mais à l’opposé une rapière et un bouclier de facture féerique.

— Oui, je suis une guerrière-magicienne.

— Oooohh ! Tu peux faire les deux ? Tu es formidable, Fiali !

— Ce n’est rien de si spécial, je t’assure.

Enfin, pour une elfe tout du moins.

— J’ai une question à te poser.

— Oui ?

— Pourquoi tu es capable d’invoquer un être féerique ? En principe les fées ne se laissent pas approcher par les humains.

— Ah euh…, dit-elle en se mettant à jouer avec le bout de sa queue de cheval. Je…

Elle détournait à nouveau le regard et avait l’air mal à l’aise.

— D’accord, si tu ne veux pas en parler pour le moment, ce n’est pas un problème.

— Ce n’est pas que je ne veux pas mais… mais…

— Ne t’inquiète pas, nous avons tous nos secrets. Et pour répondre à ta question d’avant… je… il ne devrait pas y avoir de problèmes pour moi.

C’était une manière détournée de dire que j’étais vierge, non ? J’espérais juste qu’elle ne m’obligerait pas à me répéter. Contrairement à elle, je n’étais pas si embarrassée de le dire à haute voix mais c’était quand même le genre de chose que je préférais ne dire qu’une fois.

De toute manière, vierge ou pas, en tant qu’elfe je ne ferais pas fuir une licorne, c’était une chose assurée.

— Oh, chouette ! Moi… moi aussi, je suis comme toi…

Peu probable, mais tu as assurément quelque chose d’étrange, pensai-je.

J’ignorais comment fonctionnaient les pouvoirs des anti-paladins au juste, mais une chose me semblait certaines les humains normaux n’avaient pas la capacité d’invoquer des créatures féeriques.

— Au fait, ton symbole divin ? Je ne suis pas connaisseuse, c’est quelle divinité ?

Après coup, je me rendis compte que cette question était maladroite. Je supposais que n’importe quel paysan devait connaître les dieux majeurs, puisqu’ils étaient tous polythéistes. Mis à part chez les elfes (d’après mon mentor), l’athéisme n’existait pour ainsi dire pas dans ce monde.

— Ah oui, c’est vrai qu’il n’est pas commun…

Ouf ! pensai-je. Au moins, elle ne me suspectera pas.

— Il s’agit d’Epherbia, la Déesse de fées et des arts. C’est la déesse que j’ai choisi de vénérer.

— Je comprends mieux pour la licorne.

Elle acquiesça.

— C’est un don de la Déesse, elle me permet de la chevaucher alors que je ne suis qu’une pécheresse humaine.

— Ne sois pas si dure avec toi-même, tu me sembles plutôt gentille.

— Mais… mais…

— Bah, ne perdons pas de temps, Tyesphaine, partons. Si nous attendons encore nous arriverons à la nuit tombée.

Non pas que cela me fut d’un quelconque dérangement, mais je doutais que Tyesphaine fût nyctalope.

— Oui, tu as raison. Je… je suis vraiment heureuse d’avoir une camarade aventurière.

Une fois encore, elle afficha un sourire radieux.

Elle ne l’avait pas dit, mais cela coulait de source pour moi que la déesse des fées avait comme attribution la beauté, la créativité et sûrement aussi l’amour. C’était des concepts qui s’entrecroisaient en générale.

La vraie question à laquelle je n’avais pas encore de réponse était plutôt de savoir si elle avait été acceptée dans ce culte parce qu’elle était belle de naissance ou alors elle l’était devenue une fois devenue paladine ?

La seconde hypothèse impliquait que la magie de la déesse l’aurait transmutée pour en faire ce qu’elle est. Et connaissant les fées et leurs caprices, je doutais qu’elles acceptassent quelqu’un à l’apparence repoussante.

— Juste une question encore, lui dis-je pour confirmer mes théories. Tes cheveux sont naturellement roses ?

Ma question pouvait paraître étrange, peut-être n’existait-il même pas de colorant à cheveux magiques dans le monde des humains.

— Hein ? Euh, oui. Pourquoi ?

— Ils sont magnifiques.

— Me… Merci…, dit-elle en baissant le regard et en se mettant à jouer avec ses index l’un contre l’autre.

Elle était toute embarrassée. Cette attitude était si mignonne.

A ce stade, l’image que je me faisais de la déesse Epherbia était celle d’un être capricieux et superficiel, n’acceptant que de belles personnes autour d’elle, et de surcroît amatrice des arts.

Je décidais de ne pas m’attarder sur ces considérations, les fées étaient ainsi et c’était sûrement la raison pour laquelle elles nous appréciaient nous autres elfes.

Tyesphaine joignit ses mains autour de son pendentif, ferma les yeux et se mit à prier dans la langue des fées. Je ne la connaissais qu’un peu, puisqu’elle avait des similitudes avec l’elfique. Je supposais que la connaître devait être une obligation du culte.

Une sphère de lumière apparut devant elle et un cheval blanc à la corne unique apparut. C’était une créature magnifique, dégageant une sorte de charisme naturel.

— Bonjour. J’aimerais que vous acceptiez de nous transporter. Serait-ce possible ? L’accepteriez-vous ?

La licorne acquiesça puis tourna son regard sur moi.

— Il s’agit de mon amie (depuis quand l’étais-je devenue?), pensez-vous qu’elle puisse monter également ?

La licorne se rapprocha de moi, me renifla, puis m’observa longuement.

Clairement, ce n’était pas les yeux d’un simple cheval, il y avait une réelle lueur d’intelligence. Elle me jaugeait.

— Je me présente, je suis Fiali. Enchantée de faire votre connaissance, lui dis-je.

Elle m’observa un instant, puis elle acquiesça.

Je me demandais si elle avait découvert mon secret ? Connaissant les fées, rien n’était moins improbable. Et même si elle m’avait découvert, aucun doute qu’elle s’amuserait à garder le secret.

Les fées étaient parmi tous les êtres peuplant ce monde ceux qui aimaient le plus jouer. La plupart mentaient par jeu plus que par malignité. Garder un secret amusant pouvait faire partie de leur moralité… enfin, tant qu’elle y voyait une source d’amusement, bien sûr.

— En fait, c’est ma première fois.

— Hein ? Première fois… ? répéta Tyesphaine en rougissant.

— Je parle de monter à cheval… enfin, licorne.

— Ah ! Tu n’es jamais montée avant ? Pas même en tant que passagère ?

— Non jamais.

— Ne t’inquiète pas, je vais te montrer.

Elle me prit la main et m’expliqua toute la procédure. Sans étriers, ce n’était pas facile de monter, mais j’étais tout de même très agile.

Par contre, je découvris vite que monter sans selle faisait un peu mal… à l’entrejambe.

Lorsque je tentai de m’asseoir en amazone, Tyesphaine me dit :

— Les licornes n’apprécient pas qu’on les monte comme ça. Désolée, Fiali.

— Pas de problème.

A peine la licorne se mit en déplacement que je compris que ce voyage serait douloureux.

Note pour plus tard : m’acheter un coussin. Ou alors un cheval sellé.

Lire la suite – Arc 1 – Chapitre 2