De retour à l’auberge.
J’avais l’étrange sensation que nous n’allions plus la quitter à force. Il aurait peut-être était bon d’en faire notre quartier général. C’était sûrement un désir d’enfant, mais j’avais toujours rêvé d’en avoir un.
Nous avions installé la nécromancienne sur une chaise. À ma demande, elle n’avait pas été attachée par Mysty, mais nous lui avions retiré sa cape à capuche, ses armes et ses éventuels composants magiques.
C’était une belle fille, aux joues rondes et aux traits plutôt gentils, en vrai. Ses cheveux étaient ondulés et blonds comme l’or, elle les attachait en une tresse qu’elle enroulait autour de sa tête pour ne laisser dépasser que le bout sur le côté, formant ainsi une petite queue de cheval. Sa chevelure était magnifique. Je me demandais quelle pouvait en être leur réelle longueur ; peut-être même étaient-ils plus longs que les miens.
Mais ce qui attirait le plus l’attention dans son apparence étaient sans nul doute ses yeux. Ils était dorés. Lorsque je disais que ses cheveux avaient la couleur de l’or, ce n’était qu’une image. Ses yeux au contraire avaient une couleur surprenante, surtout pour une humaine. L’iris était plus petite que la normale et la pupille était dorée. Les motifs à l’intérieur de celle-ci étaient également irréguliers.
Outre sa robe de style gothique que j’avais réussi à précédemment observer, elle avait nombre de bagues, de pendentifs et autres breloques inquiétantes, souvent en forme de tête de mort ou marqués de symboles magiques que je reconnus sans problème.
En face d’elle, assise à une table, Tyesphaine reprenait de ses blessures. La pauvre, elle n’avait pas été épargnée depuis notre rencontre.
Malgré ce qui s’était passé, elle ne s’était pas montrée belliqueuse lorsque Mysty et moi lui avions demandé ses armes. Elle s’était montrée coopérative et nous avait suivi dans l’auberge pour parler.
Je posai devant elle un bock de lait chaud que j’avais fini de préparer en utilisant les stocks de l’auberge.
— Tiens. Ça ne soignera pas tes blessures, mais ça devrait te faire du bien.
— Merci, Fiali…, répondit-elle en baissant le regard, honteuse.
Je refusais de croire qu’elle puisse être une mauvaise personne, malgré ce qui s’était passé avec le sort de magie sacrée de la nécromancienne.
Je me dirigeai ensuite vers notre inconnue qui était surveillée de prêt par Mysty qui se tenait debout derrière elle.
Je lui tendis un bock avec le même breuvage, puis fit de même avec Mysty.
— J’ai l’impression qu’il y a ici un gros malentendu, dis-je en croisant les bras. J’aimerais qu’on le dissipe de manière pacifique.
— Dit celle qui m’a chargée d’entrée…, grommela la nécromancienne.
J’aurais dû me sentir coupable, mais ce n’était pas le cas. Malgré tout, je fis comme si je l’étais, ce serait sûrement mieux pour les discussions diplomatiques.
— Désolée pour ça. Mais bon, on a vraiment cru que tu étais une nécromancienne.
— J’en suis une, répondit-elle.
A cet instant, je vis Mysty se crisper et raffermir la prise sur le pommeau de son arme.
— Tu es une nécromancienne donc… mais tu acceptes de nous parler, comme ça ?
— Pourquoi une nécromancienne ne pourrait-elle pas parler ? Tu serais pas un peu idiote ?
Je reconnus que ma formulation était un peu stupide. Je trouvais surtout bizarre que le big boss de cette quête ait pris le partie de se rendre plutôt que de se battre jusqu’au bout, mais je supposais que c’était encore une différence entre les fictions et la réalité.
Je haussais les épaules.
— Ouais, je le suis sûrement un peu. Enfin bref, commençons par le début. Quel est ton nom ?
— C’est impoli de demander celui des autres avant de se présenter soi-même.
D’une certaine manière, je sentais que cette fille n’allait pas être aussi simple que mes deux camarades.
J’allais m’exprimer lorsque Mysty me prit de court.
— Eh oh ! C’est toi la prisonnière, c’est pas un salon de thé, mais un interrogatoire je te rappelle.
— Un interrogatoire ? Tu plaisantes j’espère ! Je ne parle que parce que je le veux, j’ai envie de comprendre ce que font des brigands comme vous ici. Ce, ce n’est pas du tout parce que vous m’avez vaincue ou un quelque chose du genre ! J’aurais pu vous éliminer toutes les deux si je l’avais voulu. Mpfff !
Ah ! Je commençais à comprendre. Je connaissais bien ce « type de personnage ». Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire en coin, puis je fis une révérence exagérée et lui dis :
— Mes excuses. Je me nomme Lunaphula Fiali. Je suis une aventurière venue de Ferditoris avec pour mission d’éradiquer la menace des brigands qui sévissent dans le bosquet.
Autant être claire dès le début. Elle pensait manifestement que nous faisions partie de leur organisation, ce qui était faux. Et ce qui m’indiquait également qu’elle n’en faisait partie non plus.
De toute évidence, elle n’était pas la même personne qui avait mis ces interdictions magiques sur les brigands, quand bien même était-elle une nécromancienne.
— Voici mes compagnonnes d’aventure, Tyesphaine et Mysty.
— C’est bien prudent de lui dire tout ça ? me demanda cette dernière.
— Je pense qu’elle n’est pas l’ennemi que nous traquons. Elle pense que nous sommes des brigands, ça prouve qu’elle ne fait partie elle-même de l’organisation.
— En effet…
Mais l’inconnue soupira à nouveau :
— Rien ne me prouve que tu dises la vérité. Tu pourrais te faire passer pour une aventurière pour me tromper et m’emprisonner, voire me revendre comme esclave sexuelle.
J’entendis Tyesphaine s’écrier derrière moi. Elle n’avait pas encore digérée ce que je lui avais appris.
— Si tel était le cas, pourquoi ne le ferions-nous pas déjà ? Tu n’as plus d’armes, Mysty est prête à t’égorger d’un instant à l’autre, si notre but était de t’emprisonner, rien ne nous empêcherait de le faire.
Elle grimaça alors qu’une goutte de sueur apparut sur sa joue. Elle niait les faits, mais n’était pas stupide au point de les ignorer.
— Admettons. Mais vous m’avez attaquée…
— Parce que nous pensions que tu étais le nécromant à la tête de l’organisation des brigands.
— Tssss ! Quelle stupidité ! Comme si j’allais diriger une bande de minables sans morale !
J’observai Mysty et essayai de lui faire comprendre à travers mon regard que c’était bon, elle pouvait se relaxer. D’une certaine manière, elle me comprit, elle remit son kama à la ceinture et me rejoignit devant l’inconnue.
— Tu ne t’es toujours pas présentée, lui fis-je remarquer. Tu as exigé que nous le fassions, c’est encore bien plus impoli de ne pas le faire à ton tour, non ?
Elle me jeta un regard noir.
— Je m’appelle Naeviah. Je suis une nécromancienne du culte d’Uradan.
— Uradan ?
Il y eu un moment de silence soudain, comme si je venais de dire quelque chose d’inconcevable. Les filles m’observaient.
Finalement, ce fut Tyesphaine qui prit la parole en se rapprochant de nous.
— Je… je peux le confirmer, c’est bien le symbole de la déesse de la mort, Uradan qu’elle portait autour du cou.
— D’ailleurs…, rends-le moi ! me dit Naeviah en me tendant la main avec une moue mécontente.
— Ah bon, OK, j’avais pas reconnu le symbole…, dis-je un peu gênée.
Merci Tyesphaine, j’avais mal joué mon coup. Cela m’avait échappé.
Précédemment, lors de la crémation des cadavres, toutes les deux avaient fait une prière que j’avais distraitement écoutée. Le nom de cette déesse était ressorti à cet instant.
Je résolu à cet instant que pour affiner mon déguisement il me faudrait plus m’informer sur les dieux humains.
— Tu n’avais pas reconnu ? Tu viens de quel coin perdue au juste ?
Je lui rendis le symbole divin. En vrai, elle avait raison, je venais sûrement du coin le plus reculé de tout le continent et je n’étais même pas humaine. Je n’avais donc pas de réelle raison de me sentir vexée par sa remarque.
— Elle n’est donc pas une ennemie, Tyesphaine ?
— Probablement pas… C’est peu connu, mais il existe au sein du culte deux branches.
Je vis Naeviah grimacer en entendant ces mots. Elle fit semblant de nous ignorer et de réajuster son pendentif en argent en forme de crâne autour de son cou.
— La Déesse Uradan, qu’on appelle aussi la Fossoyeuse, est ambiguë…
— Hein ? Raconte pas n’importe quoi, fausse paladine d’Epherbia ! Notre Déesse, dans son infinité générosité envers les trépassés accepte deux courants opposés, l’interrompit Naeviah. Le premier dont je fais partie cherche à faire trouver le repos éternel aux morts.
— Je suppose donc que c’est ce culte qui s’occupe des cimetières et des rites funéraires.
— Tu viens d’où au juste pour demander ce genre de choses ?! Tssss ! C’est pas possible d’avoir bâclé l’éducation d’une gamine comme ça…
— En fait, moi non plus je ne connaissais pas ce truc des deux courants au sein des adeptes de la Fossoyeuse, avoua Mysty en passant ses bras derrière la tête et en me jetant un regard en coin. Pour des aventurières, il n’y a pas besoin de connaître tous ces trucs sur les dieux, non plus.
Elle essayait de prendre ma défense. Je fus touchée par cette intention, d’autant plus que nous ne nous connaissions que depuis la veille. Certes, il s’était passé pas mal de chose au cours de la nuit, mais me voyait-elle déjà comme une amie ?
Et sans mon aura, aurait-elle prit ma défense ?
Au passage, j’avais cerné la personnalité de Naeviah. Dans mon ancien monde, on appelait ce genre de personne des tsundere.
Au début de l’interrogatoire, j’avais pensé que le malentendu de notre situation avait atténué les effets de mon aura dakimakura, mais son attitude hostile n’avait pourtant pas changé au fur et à mesure de notre discussion. Cela signifiait que soit elle n’était pas affectée, — ce qui me semblait improbable—, soit elle jouait la comédie.
Dans les fictions de mon ancien monde, c’était un type de personnage courant : des filles qui cachaient leur sentiments et se montraient faussement dures. En résumé, même si elle était désagréable et hautaine, je présumais que mon aura faisait effet sur elle et qu’elle ne nous attaquerait plus.
— Comment vous faites pour vivre dans un monde dont vous ignorez les fondements ? Ça n’a pas de sens ! Cela m’échappera toujours…, reprit Naeviah en prenant un air hautain.
Je me sentis un peu vexée, j’avais étudié pas mal de choses mais pas ce sujet-là. Et pour cause : je détestais les dieux.
— Continue ton explication, s’il te plaît.
— Oui, oui, j’y viens… Le second courant est composé des prêtres qui pensent que la déesse favorise le retour à la vie, l’immortalité du corps et la résurrection sous forme de mort-vivant. Dans la plupart des royaumes, ce courant n’est pas autorisé, souvent même il est chassé.
— C’est bien opposé comme mode de pensée.
— La Déesse est généreuse, elle accepte les enfants égarés. Cela dit, même s’ils relèvent les morts et mènent des expériences sur l’immortalité, ils restent des adeptes de la Déesse et c’est elle qui leur fournit leur magie. Mais il existe des nécromants bien pire encore…
— Les nécromants d’origine magique, les profanes, expliquai-je à sa place. C’est une forme de magie interdite. On l’appelle aussi la « Vraie Nécromancie » ou encore « EX-Nécromancie ».
Naeviah plissa les yeux et me fixa.
— Tu es drôlement bien informée, toi ! D’où tires-tu ces connaissances ?
— C’est… c’est une magicienne, dit Tyesphaine à ma place.
Une fois encore, elle cherchait à me protéger. Cette fille était un ange !
— Oh ? Voyez-vous ça ! Vraiment ?
En guise de réponse, je fis simplement apparaître quelques petites sphères de lumière dans la main, une capacité de trois fois rien pour une elfe.
— Je suis une guerrière-mage, lui avouai-je. J’ai longtemps étudié la magie, je connais pas mal de choses.
— Comme la magie interdite…
Décidément, elle était très soupçonneuse cette fille.
— Non, je ne connais pas la magie interdite, je connais simplement les concepts de base de la magie.
— Aucune guilde de magie ne donne de connaissances sur la nécromancie profane, d’après ce que j’en sais.
— Vraiment ? Ils ne l’apprennent pas ?
Naeviah sourit, puis croisa ses jambes.
— J’en sais rien, je n’ai jamais suivi un cursus de magie. Je voulais juste te tester. J’en étais sûre, tu n’es pas quelqu’un de normal. Avoue tout !
— Eeeeeh ! Depuis quand c’est moi qui me retrouve à être interrogée ?
— Avoue, je t’ai dit !
Elle me pointa de l’index qu’elle rapprocha jusqu’à appuyer mon nez.
— Whaaah ! Pour moi qui connaît rien à la magie, j’ai du mal à tout piger. C’est si mal que ça connaître des trucs sur la magie interdite ? Fiali a dit qu’elle n’en fait pas, du coup ça passe pas ?
— Bien sûr que non ! Connaître des choses sur la magie interdite est déjà louche en soi ! C’est comme votre amie paladine qui est blessée par mon sortilège !
Tyesphaine baissa le regard tandis que Mysty nous dévisagea un instant.
— Mmmm, c’est peut-être bien le cas, mais au final je m’en fous. Fiali et Tys sont des filles cool, y a aucun risque avec elles.
— Hein ?! Elles sont suspectes toutes les deux, oui ! Puis pourquoi cacher son visage sous cette capuche ?
— Au fait, Naeviah, dit Mysty en croisant les bras. Tu ne serais pas louche aussi ? Tu cachais aussi ton visage et tu connais les mêmes choses que Fiali sur la magie interdite. Moi, je dis que je vais recommencer à me méfier de toi.
— Heeeeeeeeeeeinnn ? C’est pas la même chose, je te dis !! Tu m’écoutes au juste ?
Malgré les tensions, j’éclatai de rire.
Les filles me regardaient comme si j’avais perdu la raison, mais je continuais.
— Désolée, désolée ! C’est juste que vous m’avez fait réalisé un truc…
Sur ces mots, j’abaissai ma capuche et révélais mes oreilles pointues.
— Une elfe ?!
— Tout à fait ! Je suis une haut elfe. Si j’ignore beaucoup de choses sur votre société c’est parce que j’ai grandi dans la Grande Forêt. Tyesphaine, Mysty, je suis désolée de vous l’avoir caché.
Je m’inclinai pour leur demander pardon. J’aurais dû être honnête avec elles, au moins avec Tyesphaine que je connaissais depuis… peu en fait.
A cet instant, je ressentis une seconde fois le ridicule de ma personne. J’avais pensé que me cacher me rendrait moins louche, mais au final plus encore que mes oreilles c’était ma manière d’être qui me trahissait. Et, à présent, je me sentais désolée envers ces deux filles que j’avais rencontré moins de quarante-huit heures auparavant.
Dans mon précédent monde, on ne considérait pas qu’une personne était de confiance en si peu de temps. Qu’est-ce qui avait changé en moi au juste ? Était-ce à cause de la solitude provoquée par la disparition de mon mentor ?
— Non, non… c’est bon…, dit Tyesphaine. Tu… tu étais donc une elfe. C’est bien… j’ai toujours voulu en rencontrer une.
— Une elfe ? Perso, je connais pas trop… On m’a juste dit que c’était autrefois les habitants de la Grande Forêt. Mais du coup, vous n’êtes pas si disparus.
Je secouais la tête.
— Les elfes sont très rares, je n’ai rencontré qu’un seul elfe dans toute ma vie et c’était mon mentor. Notre civilisation a bel et bien disparu depuis fort longtemps.
— C’est triste…
— Tssss ! Tu étais donc une elfe. Qui aurait cru que j’en rencontrerais une avant de mourir, dit Naeviah. Ceci étant dit, je comprends mieux pourquoi tu connais des choses rares.
— Oui. Je sais des choses sur la magie interdite et j’ignore tout des cultes humains.
— Vous n’avez pas de dieux chez les elfes ?
— Non, Mysty. Peut-être qu’il y en avait autrefois mais même mon mentor ne connaissait aucun panthéon elfique.
— Même pas Epherbia ?
Je croyais comprendre ce que sous-entendait Tyesphaine.
— Désolé, Tyesphaine, mais je n’ai aucune preuve que nous autres elfes soyons des créatures féeriques. Mais c’est vrai que les fées ne me fuient pas, c’est pourquoi j’étais confiante avec ta licorne.
— Je vois…
Comme je l’avais deviné, elle avait un lien avec la féerie.
Naeviah prit un air hautain et dit :
— Nous n’avons pas fini avec la question de la nécromancie ! Explique-nous ce que tu sais sur la magie interdite.
— Une autre fois… peut-être…
Elle me jeta un regard noir. Pourquoi voulait-elle savoir des choses à ce sujet ?
— Au temple, on ne nous dit jamais rien à ce propos. On nous raconte simplement que les nécromanciens qui n’implorent pas la grâce divine sont des dangers publics et qu’ils sont vraiment dangereux.
C’était donc une curieuse qui profitait de la situation. Je commençais vraiment à la cerner de mieux en mieux.
Je soupirai.
— Ils le sont, je le confirme. Pour faire simple, il existe en magie noire huit branches de magie profane…
— Jusque là je suis déjà au courant.
— La magie blanche qui vous est donnée par les dieux n’appartient à aucune de ces branches, continuais-je en l’ignorant. En gros, vous recevez votre magie d’un réservoir externe.
— Réservoir externe ?
— C’est la manière la plus simple de visualiser ça… Il faut s’imaginer qu’un mage est quelqu’un qui naît avec une disposition, dans son corps converge le mana qui est présent en toutes choses. Chez nous autres elfes, tout le monde possède cette capacité, nous avons en nous une sorte de réservoir à magie dans lequel nous puisons pour utiliser des sortilèges. Tant que le mana ne passe pas par un sortilège, qu’il soit vocale ou simplement mental, c’est une énergie invisible, intangible et sans forme. En théorie, car les pratiquants de la magie sont capables de la ressentir à l’intérieur des objets et des individus.
— Attends, je suis complètement larguée là !
— Désolée Mysty, c’est compliqué…
Mais Naeviah, contrairement à mon amie non pratiquante des arcanes, était vraiment intéressée. Elle était pendue à mes lèvres et semblait concentrée.
— Continue.
— OK, OK. Donc je disais que les mages profanes disposent en eux du mana suffisant pour leur magie, tandis que, d’après mon mentor et mes observations, vous qui pratiquez la magie divine, vous demandez à des entités extérieures de vous accordez leur magie. Vos sortilèges prennent donc la forme de prières, ce sont des sortes de demandes d’aide. A l’opposé, nos sortilèges profanes ressemblent plus à des ordres que nous donnons à l’ordre naturel du monde.
Je marquai une courte pause, puis levant les épaules, je conclus par :
— Par contre, ce qui détermine la capacité de recevoir ou non la magie divine, je l’ignore complètement…
— C’est une question de foi, dit simplement Naeviah. Il faut avoir un réel engagement envers la divinité à qui on adresse nos prières. Mais poursuis donc…
J’étais en un sens rassurée : elle était curieuse mais elle partageait malgré tout son savoir, même avec une inconnue comme moi.
J’esquissai un sourire, puis je repris comme elle me le demandait.
— D’après ce que je sais, la forme que prennent les sorts divins peut être assez similaire à celle des mages. Vos sorts font également appel à une des huit branches, mais ils ont aussi la capacité d’être « bruts » ou « purs ». C’est-à-dire, qu’au lieu de manifester une énergie élémentaire, ils peuvent déployer des décharges d’énergie sacrée ou maudite.
— C’était le cas de mon sort avant.
J’acquiesçai et me tournai vers Mysty.
— En résumé, les prêtres ne peuvent faire que ce que leur consent leur dieu. Un prêtre de la mort ne peut relever les morts que si Uradan le lui permet. Le sort qu’a lancé Naeviah tout à l’heure relevait de l’énergie sacrée.
— Énergie sacré ?
— Pour faire simple, c’est l’équivalent d’énergie brute que le dieu donne à ses adeptes. Cette énergie ne blessera que ceux que le dieu estime opposé à ses principes. Il y en a deux types : sacré et impie, le Bien ou Mal, en gros.
— Ma colonne de lumière ne blesse que les morts-vivants, les démons et les personnes au cœur profondément corrompu.
— Hein ? Tys n’est pas corrompue ! Regarde-la !
— Justement ! Pourquoi vous voyagez avec un anti-paladine ? C’est une suppôt des démons !
Les regards se tournèrent vers Tyesphaine qui fixait le sol. Je m’approchai d’elle.
— Désolée de devoir t’imposer ça. Si tu ne veux pas tout dire, tu peux juste révéler l’essentiel ? J’ai confiance en toi, je sais qu’il doit y avoir un malentendu.
— Je… je vais tout vous dire… En fait, je ne suis pas anti-paladine ! C’est mon armure… elle est maudite…
Une nouvelle fois cette révélation laissa un blanc.
Sûrement que Naeviah était comme moi en train de penser à ce que cela impliquait. J’étais un peu étonnée de ne pas m’en être rendue compte, mais tout s’expliquait soudain.
— Ça veut dire quoi ? demanda Mysty.
— Tsssss ! Pourquoi une paladine d’Epherbia porterait une telle armure au juste ? T’es pas un peu idiote pour l’avoir récupérée ?
— Un objet magique maudit… Comment t’expliquer ça, Mysty ? C’est en gros, un objet magique qui a soit un défaut de conception, soit qui a été saboté à la création intentionnellement, soit qui a été imprégné par les énergies maléfiques. Les plus fréquents sont les deux premiers, mais il arrive parfois qu’un objet ayant servi dans les mains d’un être profondément mauvais ou qui a servi à quelque chose d’impie le devienne également.
— Et comment je fais pour savoir que mes faucilles ne sont pas maudites ?
— Les mages peuvent le savoir, dit Naeviah.
— Pas forcément. Une partie des objets maudits cachent leur vraie nature même aux identifications des mages, sinon personne ne se ferait avoir. Et pour répondre à ta question, Mysty, si tes armes étaient maudites, tu te blesserais en les utilisant, ou alors elles te parleraient dans tes rêves, elles te donneraient des pulsions homicides ou bien t’affaibliraient lorsque tu les as en main. Les effets sont très variables mais il y a toujours un contrecoup négatif pour son porteur.
— Et donc l’armure de Tys ?
Les regards se tournèrent vers elle, elle était au bord des larmes.
— Je… c’était une erreur.
— C’est bon, Tyesphaine, personne ne te jugera ici, dis-je en jetant un regard noir à Naeviah. Tu peux parler à ton rythme.
Je l’incitais à s’asseoir et prit place à ses côtés.
A son tour, Mysty s’assit à califourchon.
— En fait… je viens d’une famille noble, pas très influente non plus, juste des chevaliers…, dit Tyesphaine en jouant nerveusement avec ses doigts. J’étais destinée à…
— Me marier, l’interrompit Naeviah. Je pense deviner la suite.
— Oui. Mais je ne voulais pas. Je voulais devenir artiste et voyager pour trouver des fées.
Elle tourna son regard vers moi. Désolée, Tyesphaine, je n’en suis pas une.
— A mes seize ans, quelques jours avant le mariage, je…
— Me suis enfuie, l’interrompit à nouveau Naeviah. C’est bon tu peux sauter à la partie avec l’armure. Je trouve que tu as déjà été bien docile d’attendre quelques jours avant le mariage, je me serais enfuie bien avant à ta place.
Je ne sais pas pourquoi mais j’avais l’impression que notre nouvelle alliée prenait cette histoire bien à cœur.
— D’accord… J’ai pris cette armure dans une vieille réserve du château. Mon père et mon grand-père n’étaient pas des guerriers, elle venait de mon arrière-grand-père. Je la trouvais un peu moche et agressive, mais… puisque je ne savais pas vraiment bien me battre, j’avais juste un peu appris en regardant l’entraînement de mes frères, j’ai pensé qu’elle me protégerait. Au pire, je pourrais la revendre plus tard.
— Sauf qu’elle était maudite.
Cette fois, c’était moi. Je me demandais quel genre de malédiction elle avait. Et je me demandais aussi pourquoi cette obsession pour les fées.
Toutefois, on aurait pu me poser la même question pour mon amour des couettes. Difficile de vraiment répondre quand il s’agit de goûts personnels, n’est-ce pas ?
— Oui. Quand je porte une autre armure, je me sens faible. En plus, elle boit chaque jour mon sang…
— Whaaa ! C’est dégueux ! Elle a des dents et tout ?
Tyesphaine rougit et secoua la tête suite à la remarque de Mysty.
— Et je suppose donc qu’un autre des effets de la malédiction veut que tu sois sensible aux sorts sacrés.
Elle acquiesça.
— Les morts-vivants ne m’attaquent parfois pas sauf si je les attaque la première. Et les prêtres détectent une aura maléfique en moi.
— Je confirme. Je me sens comme agressée juste en restant à côté.
— Désolée…
— Et ton épée et ton bouclier ? Ils viennent de la même réserve ?
Elle acquiesça suite à ma question qui n’avait rien à avoir avec celle de Naeviah. Je voulais savoir.
Son arrière-grand-père avait eu des liens avec les fées. Mais pourquoi ? Et dans quelles circonstances ?
Avait-il été un de ces nombreux humains qui avait chassé les fées ?
Ce n’était pas forcément le moment d’en parler, mais je me jurais de faire la lumière là-dessus.
— Bah voilà, le mystère est résolu donc ! C’est bon Naeviah, tu es rassurée ? Tu vas devenir pote avec nous ou pas ? dit Mysty.
— Je ne sais pas encore… Il se peut qu’elle soit simplement une bonne menteuse.
— Tyesphaine, une menteuse ? Haha haha !
Elle se mit à rire, je l’accompagnais. L’idée était saugrenue, Tyesphaine n’était pas une menteuse !
L’intéressée, par contre, paraissait un peu vexée et continuait de baisser le regard.
— Allons, sérieusement, tu la vois mentir ? Je m’engage à sa place. S’il s’avère qu’elle est maléfique et cruelle, ce que je ne pense pas un seul instant, dis-je. Eh bien…
Je tirai ma dague de son fourreau et je posai la pointe sur mon cœur.
— Je prendrai mes responsabilités. Tu pourras me tuer à ce moment-là, si tu veux, Naeviah.
Tyesphaine paniqua de suite et m’arracha la dague des mains, tandis que Naeviah en face de nous plissa les yeux.
— Héhé ! C’est vachement cool ce que tu viens de dire. Tu ferais pareil pour moi ? me demanda Mysty.
— Je m’engage à penser que tu es une bonne personne aussi, lui répondis-je honnêtement.
— Hahaha ! Trop cool !
— Fiali… tu ne refais jamais ça !
— C’est bon Tyesphaine, c’était rien de grave. Et puis, il ne tient qu’à toi de ne garder en vie en ne faisant rien de mal.
C’était un peu mesquin de ma part, je le reconnais. Connaissant les effets de mon aura dakimakura, je me doutais que mes deux camarades tenaient déjà à moi. Mais avais-je réellement le choix ?
Son histoire d’armure maudite tenait la route, elle était parfaitement plausible, mais le contre-argument de Naeviah était valable aussi. Au fond, c’était difficile d’avoir une confirmation pour le moment.
— Mais euh…
— C’est bon, c’est bon. Au fait, si tu le permets, j’aimerais bien procéder à une authentification magique sur ton armure, plus tard. Même si je ne me fais pas vraiment d’illusion, je me doute qu’elle me cachera sa nature.
— C’est quoi ?
— C’est une série de sortilèges permettant de connaître les propriétés des objets magiques. Si vous en avez et que vous ne savez pas les avantages qu’ils vous donnent, confiez-les moi, je m’en occuperai.
Naeviah me jeta à nouveau un regard noir.
— Tu vas demander combien ?
— Pourquoi je demanderai quelque chose ? Nous formons un groupe, si je peux rendre service…
— T’es une fille bizarre.
— Je suis une elfe.
Que répondre d’autre ? Que je n’étais pas spécialement intéressée par l’argent ? J’aurais pu, mais ça ne m’aurait pas rendue moins bizarre.
— Oh, trop cool. Merci Fiali ! me dit Mysty en me tapant l’épaule. Au fait, Naeviah, tu faisais quoi ici ?
C’était une bonne question que j’avais complètement oubliée.
— Ça vous regarde pas.
— Rhoo ! Ce que t’es grognon. On est potes à présent, tu peux nous le dire, non ?
— Hein ? Depuis quand sommes-nous amies ? J’ai toujours des doutes quant à vous toutes, mais au moins je sais que vous n’êtes pas des ennemies.
— Les ennemis de mes ennemis sont mes amis, c’est pas ça la règle ? Si tu cherches à combattre les brigands, t’es donc not’pote.
— Tssss ! Quelle vision simpliste des choses. Vous me donnez toutes mal à la tête.
Naeviah soupira longuement.
Puis après quelques instants, elle dit avec résignation :
— C’est le rôle des prêtres d’Uradan que de chasser les morts-vivants, qu’ils soient d’origine magique ou naturelle. Je me rendais au bosquet pour chasser les fantômes lorsque j’ai vu une colonne de fumée et je suis venue voir.
En effet, la fumée avait dû se voir à quelques kilomètres de distance.
— Je vais vous soigner. C’est votre faute d’être aussi brutales et impulsives, mais si vous avez le même but c’est le moins que je puisse faire.
— Cool !
Mysty sauta dans les bras de Naeviah, qui rougit et s’empressa de la repousser.
— Qu’est… qu’est-ce que c’est que ça ?!
— C’est une tradition chez moi. C’est pour sceller les nouvelles alliances.
— Ah bon ? Moi, tu m’as tendu la main… après avoir craché dedans, dis-je.
— Ah ça ? C’est pour sceller les contrats. Les alliances c’est en se prenant dans les bras. D’ailleurs…
Elle me prit amicalement dans les bras en me tapotant le dos, puis fit de même, tant bien que mal, avec Tyesphaine et son armure à pointes.
— Comme ça pas de jalouses. Héhé !
Nous restions toutes à fixer Naeviah qui n’en avait que faire. Elle frappa soudain son poing dans la paume de sa main.
— J’y pense ! Puisqu’il est presque midi, je propose qu’on reste manger ici et qu’on parte après. J’vais vous préparer un petit truc rapide le temps que not’nouvelle pote vous soigne.
— Je suis pas votre nouvelle pote !
Sans attendre de réponse, ignorant les contestations de Naeviah, elle partit à la cuisine en chantonnant.
Au fond, je commençais à bien aimer Mysty, c’était une fille libre, sans embarras inutile, facile à vivre, tout le contraire de celle que j’avais été dans mon ancienne vie et continuais d’être.
— Si tu as l’intention d’aller combattre ce nécromancien, je pense qu’il serait plus prudent d’être toutes les quatre, dis-je à Naeviah. Même si ce n’est qu’une alliance temporaire. Qu’as-tu à y perdre ?
Elle grommela mais je savais déjà qu’elle accepterait. Même si les effets de ma malédiction dakimakura étaient différents sur elle, elle ne pouvait malheureusement pas y réchapper.
Un jour, peut-être, je serais contrainte de leur en parler, mais je me voyais mal leur dire : « Au fait, je viens d’un autre monde et les dieux farceurs (et cruels) m’ont donné pour la malédiction de me rendre irrésistible ! Je sais que vous m’aimez, mais c’est juste à cause du don qu’ils m’ont fait. »
Outre le fait que je remettrais en question le panthéon que prit aussi bien Tyesphaine que Naeviah, cela remettrait également en doute leur vision de la vie et de la mort. Une seule personne avec un tel fardeau suffisait.
— Je suppose que je n’ai pas vraiment le choix. Tu as raison, ce serait stupide de ma part d’affronter seul un utilisateur de magie interdite. Je vais vous suivre temporairement. Vous aurez besoin de quelqu’un qui sait gérer les morts-vivants.
Je lui souris et lui tendit la main. Sans cracher dedans.
— Marché conclu ?
— C’est bon, pas besoin de se prendre la main ! Je suis pas une enfant ! J’ai donné ma parole, c’est plus que suffisant. J’ai un profond sens de l’honneur.
Je me mis à rire, elle me rappelait un peu Tyesphaine.
— Au fait, je peux te soigner ? demanda Naeviah à cette dernière. Si tu es sensible au sacré, j’ai peur que mes soins ne te fassent du mal.
— Les miens fonctionnent.
— C’est vrai que tu sais aussi soigner.
— Juste un peu. C’est très léger, ce n’est même pas un vrai sortilège.
Un genre de pouvoir innée comme les miens.
— Au fait… désolée… pour tes blessures… Fiali.
Elle parlait de mon auto-empalement sur les pointes de son armure.
— Ne t’inquiète pas, ce n’était pas bien grave. Puis, c’est moi qui aie agi stupidement.
— Non, tu as essayé de me sauver.
— Et j’ai échoué lamentablement. Haha !
— Ce n’est pas… ta faute…
— Kof kof ! Je vous dérange ? Désolée, je n’ai pas de sort pour favoriser la fécondité et je doute que deux femmes puissent avoir un marmot.
Tyesphaine rougit jusqu’aux oreilles, elle se cacha le visage dans ses mains tout en agitant ses pieds.
Je soupirais et levais les épaules. Je n’étais qu’au début de mes peines avec cette nécromancienne.
Naeviah referma nos blessures, elle soigna même l’affliction du toucher outre-tombal qui continuait d’affaiblir notre paladine. De mon côté, je refermai les trous dans nos vêtements par magie.
C’est alors qu’une odeur agréable arriva jusqu’à nos narines. Mysty était-elle bonne cuisinière ?
— Les épices ça vous dérange au fait ? cria-t-elle.
— Ah non ! Je te vois venir, femme du désert ! N’empestes pas la nourriture avec tes épices !
Naeviah protesta de suite. Elle avait compris (sûrement au teint de sa peau) les origines de Mysty et devait savoir des choses sur sa culture que j’ignorais. Elle se leva et s’en alla prestement en cuisine.
— Pour quelqu’un qui ne veut pas s’allier à nous, je la trouve déjà bien intégrée, dis-je à Tyesphaine.
— Oui.
Elle me répondit par un petit sourire délicat. Depuis la disparition de mon mentor, c’était la première fois où je retrouvais une telle ambiance réconfortante. Malgré moi, je sentis mes muscles se relâcher et mon humeur devenir langoureuse.
Mais un jour…
Peut-être bientôt…
Il me faudrait quitter tout cela.
***
Comme la quête le conseillait, nous étions à présent quatre.
C’était un drôle de hasard, on aurait même pu parler de destin à ce compte-là.
Parties à deux, nous avions rapidement trouvé deux camarades chemin faisant. En un sens, j’avais le sentiment qu’enfin la quête pouvait commencer.
— Cette fois on est d’accord, on est parties à l’est ? dis-je peu rassurée.
— Euh… cette fois je t’ai suivie. On est partie à l’opposé du soleil…
— Et vu que c’est l’après-midi, normalement c’est la bonne direction… normalement…
— Vous êtes donc nulles en orientation ? demanda Naeviah.
— Malheureusement…, répondit Tyesphaine. Et toi ?
— Je suis zéro pointé ! Pire que moi, tu meurs sûrement !
— Je ne vois pas de quoi être fière, lui dis-je alors que mes épaules tombèrent.
Quatre personnes, et aucune pour trouver le bon chemin. Je me voyais déjà errer autour de l’auberge pendant des jours avant de trouver le bosquet. Mais pourtant, il se profila à l’horizon.
— Je crois qu’on y est cette fois. Même quatre fille sans orientation peuvent y arriver.
— Tssss ! C’est grâce à moi, dit Naeviah. Même si je suis nulle en orientation, j’ai eu l’intelligence de dessiner une carte. Regarde !
C’était donc ça qu’elle cachait depuis notre départ.
Je ne comprenais toujours pas pourquoi elle était si contente de ne pas savoir retrouver son chemin, j’avais toujours vécu cela comme un défaut plutôt qu’une qualité, mais si elle était capable de s’en sortir avec des cartes elle était sûrement meilleure que moi.
Pour ma part, je les trouvais particulièrement hermétiques. Enfin, ce n’était pas comme si j’en étais au point de ne pas les comprendre du tout, mais disons que le passage de la deux dimensions à la trois dimensions me posait problème. Les repères que je voyais sur un plan ne correspondaient généralement pas à la réalité.
Toutefois…
— C’est quoi ce truc ? demanda Mysty.
— C’est une carte ?
— C’est mignon…
— Mignon ? On dirait un gribouillage d’enfant !
— Eh oh ! Je vous entends ! cria Naeviah. Ce n’est pas un gribouillage ! Ici c’est le bosquet. Là c’est la route vers la capitale. Et là c’est l’auberge.
— C’est censé représenter une auberge, ça ?
— Mpfff ! Puisque vous le prenez comme ça, je ne vous la montrerai plus ! Ça vous apprendra !
J’affichais un petit sourire gêné et dit à basse voix :
— De toute manière, elle ne nous aidera pas des masses.
— J’ai deviné ce que tu as dit !
— Haha ! Naeviah est donc nulle en dessin, dit Mysty en marchant à reculons devant elle.
— La ferme ! Mes dessins sont très beaux ! J’ai même eu des compliments, des tas de compliments par le passé. Je veux bien voir vos dessins un jour pour comparer !
— Moi… je l’ai trouvé mignon, dit Tyesphaine.
Tu es trop gentille ma pauvre, c’est normal que tu n’aies pas d’esprit critique. Honnêtement, si elle ne m’avait pas présenté cela comme une carte, j’aurais cru à une variété de monstre inconnue que j’aurais sûrement classé parmi les chimères.
— Moi je sais pas dessiné, dit Mysty. Je l’avoue. Mais toi par contre…
— La ferme !
— Et toi, Fiali ? Tu sais dessiner ?
— Un peu. Mais je ne suis pas sûre que ça vous plairait. Héhé !
Comme un peu tout enfant, à l’époque, j’avais pratiqué le dessin de personnages de manga. Je n’avais jamais été très habile mais si je comparais à ce que venait de nous montrer Naeviah…
Je me demandais qui pouvaient être ces personnes qui l’avaient complimentée. Je suspectais qu’elle les ait intimidé ou payé…
— J’aurais bien envie de te voir dessiner. Ça… ça m’intrigue.
— Ah oui, j’oubliais que tu pries la Déesse de la Beauté. Je suppose que tu dois apprécier l’art. En plus, tu as dit que tu voulais être artiste.
— Oui, j’adore ! Epherbia veut que les paladins défendent ce qui est beau.
Comme je l’avais deviné. Dommage que ce que tu trouves beau en moi soit surtout générer par mon aura.
— J’ai aussi envie de voir tes dessins, Tyesphaine. Je suis sûre que tu dois être douée.
Je le pensais vraiment. Quelque chose en elle me le laissait penser.
— Non, pas tellement… C’est pour ça que j’ai choisi l’épée.
— Vous êtes vraiment proches toutes les deux. Vous êtes amoureuses ou quoi ? demanda Naeviah en nous interrompant.
— Eh oh ! J’vais être jalouse ! Moi aussi je veux être proche de Fiali ! Elle est tellement mimi !
Mysty ne me laissa pas le temps d’en placer une qu’elle me pinça les joues et me serra dans ses bras. Tyesphaine s’était arrêtée, recroquevillée sur elle-même et cachait son visage.
— Tu vas nous faire ça à chaque fois ? Si nos ennemis apprennent qu’il suffit de dire des choses vaguement obscènes devant toi, on sera dans de beaux draps. Tu devrais faire quelque chose pour elle, Fiali.
— Du… genre… ? demandai-je encore prisonnière des bras et de la poitrine de Mysty.
— Tu veux vraiment un dessin ?
— Oh là ! Pas les tiens ! J’imagine même pas ce dont tu es capable si tu dessines des choses cochonnes.
Ces paroles m’avaient échappées. Je ne voulais pas être méchante, d’autant que je savais que dans son mode de communication même si elle se montrait dure elle ne l’était pas réellement, mais à force d’être engagés dans des discours conflictuels j’avais fini par l’imiter.
— Tais-toi ! Tant que j’aurais pas vu tes dessins, je refuse d’accepter tes critiques ! Et pareil pour ton orientation, je suis pire que toi, OK ?
Je me dégageai de Mysty, elle s’en alla réconforter Tyesphaine qui marmonnait des paroles qui soit ne voulaient rien dire, soit étaient issues d’une langue inconnue.
— Pourquoi tu es si fière de pas avoir d’orientation ? demandai-je à Naeviah pendant ce temps.
Elle croisa les bras et prit un air hautain.
— Tu n’es vraiment pas si maligne. Ne pas avoir d’orientation, c’est du statut !
— Du statut ?
— Oui. C’est une touche charmante à notre personnalité. Puis, mis à part les paysans et les va-nue-pieds, qui se préoccupe de connaître les routes ?
Son discours ressemblait à celui qu’aurait pu avoir un otaku. Du statut ? Un trait charmant de personnalité ?
— Euh… en fait, tout un tas de gens s’en préoccupent.
— Foutaises ! La vraie aventure, c’est lorsqu’on prend un chemin sans savoir où il mène, dit-elle en passant fièrement la main dans ses cheveux.
— Mmmmmm~…
Je l’observai incrédule. Cette fille était sûrement aussi idiote que perspicace. Elle n’avait pas encore dit grand-chose sur elle, mais je comptais bien en savoir plus sur son étrange éducation.
— Quoi, tu ne me crois pas ?
— J’ai un doute, mais admettons. Je propose qu’on reprenne la route, ce serait dangereux de se retrouver dans le bosquet en pleine nuit.
— Vous ne craignez rien avec moi, mais si tu as peur…
J’ignorais sa provocation et reprit la marche les mains dans le dos.
Quelques instants plus tard, je me retournai vers les filles :
— Au fait, maintenant qu’on en est là, quelqu’un aurait une bonne idée pour trouver leur quartier général ? Je suppose qu’on ne va pas tomber dessus par hasard…
— Aaaaaaaah !!
— Whoooo !
Les filles réagirent brusquement. Surtout Tyesphaine d’ailleurs.
Je tirai immédiatement mon épée de son fourreau et me retournai à la recherche de nos ennemis. Mais je ne vis personne.
Les spectres étaient intangibles, je ne pouvais certes pas compter sur mes oreilles pour les entendre, mais pour quelle raison des humaines parvenaient à voir une menace qui m’était invisible ?
Je reportai mon regard sur elles, pleine d’interrogations, lorsque Naeviah se rapprocha de moi.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Il y est où l’ennemi ?
— Chut ! Tais-toi.
Elle tendit ses mains vers moi. J’avais un fantôme dans le corps ? Comment aurais-je pu ne pas m’en rendre compte alors que la dernière fois j’avais senti l’étreinte de la mort ?
Ou bien…
Quelque chose sur mon épaule.
Je croyais avoir compris. Je commençai à trembler.
Il s’agissait probablement du pire monstre qu’ait inventé le monde : un insecte. Combien de fois même dans ma précédente vie je m’étais réveillée d’un cauchemar où une araignée me tombait dessus ? Combien de fois avais-je eu peur qu’un « K », ces immondes monstres de l’Apocalypse, me grimpe dessus pendant mon sommeil.
L’été était ma hantise.
Dans cette forêt, quelle immonde être avait osé posé ses pattes sur moi ?
Je fermais les yeux dans l’attente de ma sentence. J’espérais juste qu’il ne s’agissait pas d’une mygale ou d’un mille-pattes géant.
Mais à la place de sentir la main de Naeviah sur mon épaule, elle les posa sur mes joues.
— Ouvre les yeux, idiote. Comment tu veux que je les vois ?
— Mes yeux ?
Je rouvris aussitôt mes yeux.
Elle était si proche ! Je sentais son souffle sur moi.
— Euh… je…
À quelle moment mon aura de dakimakura l’avait fait changé de la sorte ? Je n’étais pas émotionnellement pas prête. En plus, pas avec Tyesphaine et Mysty qui nous regardaient.
Je sentis mon visage se couvrir de sueur.
— Tes yeux, ils brillent comme ceux des chats.
— Hein ?
— C’était trop bizarre ! dit Mysty. J’ai cru que t’étais possédée ou un truc du genre.
— Moi aussi…
— C’est pour ça que vous avez crié ?
— Les yeux des elfes sont donc réfléchissants ? Tu vois donc dans l’obscurité ?
— Oui. Tu pourrais me lâcher, s’il te plaît. T’es à deux doigts de…
Je retins la fin de ma phrase pour ne pas donner de mauvaises idées à Tyesphaine.
— J’étais juste intriguée, expliqua Naeviah. Et comme ça je peux sentir les énergies maléfiques en toi.
— Verdict ?
— Tu es juste une idiote d’elfe, tu n’es pas possédée… enfin probablement pas.
— Merci… enfin, sauf pour l’idiote.
Elle me lâcha et je soupirai. Le fait d’être la plus petite du groupe favorisait ces rapprochements physiques gênants, je m’en rendais compte.
— Non, je ne suis pas possédée. C’est normal pour nous autres elfes. Au fait, désolée de vous en parler que maintenant, mais tous mes sens sont plus aiguisés que ceux des humains.
— Tous tes sens ?
— Oui, je peux vous entendre de loin. Si vous voulez faire des messes basses dans mon dos, il faudra aller très loin. Et pareil pour la vue, je peux voir des détails bien plus loin que vous.
— Ah ! s’écria Mysty en tapant sa main dans sa paume. C’est pour ça que tu avais vu Naeviah tout de suite ! Je m’étais demandée comme tu avais fait. Et c’est aussi pour ça que tu étais si peu surprise de mon apparition. Je vois, je vois ! Vous êtes vraiment stupéfiants vous autres les elfes. Haha !
— Mmm, je ne sais pas si stupéfiant est le bon terme pour la désigner, dit Naeviah en croisant les bras. En tout cas, cette idiote est vraiment surprenante. Tu as encore beaucoup de choses à nous dire sur ton espèce ? Du genre, vous marchez sur l’eau ?
— Non.
— Vous pouvez respirez sous l’eau ?
— Non.
— Vous vous reproduisez de manière bizarre ?
— Comme les humains, en principe.
— C’était la dernière surprise ?
— Non. Mais je garde les autres pour plus tard, lui répondis-je en lui tirant la langue.
Je n’allais pas lui dire que nous avions des oreilles sensibles, quand même.Connaissant Naeviah, elle aurait su trouver le moyen de l’utiliser contre moi.
Nous reprîmes la route et quelques minutes plus tard j’entendis Tyesphaine marmonner quelque chose. À un moment donné ses paroles devinrent intelligibles.
— Tu es si belle.
Je me retournais instinctivement vers elle. Elle croisa mon regard et je compris : elle m’avait testé.
En sous-vocalisant, elle me dit :
— Tu arrives donc à m’entendre ?
Je ne lui répondit pas, mais son sourire indiquait qu’elle avait eu la réponse qu’elle cherchait.
C’était bien joué. Avec une telle phrase, j’étais obligé de réagir. Ainsi, elle avait une idée de la distance jusqu’à laquelle j’arrivais à l’entendre. Je supposais que pour elle qui parlait parfois si bas, cette révélation avait son importance.
Je pouvais comprendre son ressenti. Dans ma précédente vie, j’avais eu souvent l’impression de ne pas avoir été écoutée. Lorsque je tombais sur un interlocuteur plus attentif, c’était une sorte de consolation.
D’une certaine manière, je me rendais compte que j’étais devenue le centre d’attraction du groupe. Même si j’appréciais le fait de recevoir de l’attention, cela me gênait un peu. Je n’étais pas habituée à cette place.
— Elles se lasseront à un moment donné. Je suis une sorte de nouveauté, quand elles verront que je ne suis pas très différente d’elles, elles cesseront de m’observer, me dis-je pour me rassurer.
Je sentais leurs regards sur tous mes membres. Elles regardaient ma démarche, mon attitude, tout. Elles étaient à la recherche de la moindre anomalie.
Puis soudain.
— Sur vos gardes ! Je sens les énergies nécromantiques !
Naeviah avait repéré quelque chose avant moi ?
C’était sûrement les spectres.
Je tirai mon épée et aussitôt concentrai ma magie dans ma main gauche. Je fis apparaître mon aura magique de protection.
J’étais en tête du groupe. Juste derrière moi se trouvait Naeviah et fermant la marche se trouvait Tyesphaine et Mysty. La distance entre nous n’était que de quelques mètres, c’était un ordre de marche qui s’était naturellement constitué en se basant sur notre vitesse de marche respectives.
Mysty tira ses kama qui s’enflammèrent immédiatement. Aucun doute possible, il ne s’agissait pas d’un pouvoir magique mais des propriétés magiques de ses armes.
Tyesphaine apprêta son bouclier et dégaina son épée.
— Économisez votre magie, dit rapidement Naeviah en fixant un point entre les branches d’arbres. Cette fois, je suis là. Peu importe ce dont il s’agit, je vais le renvoyer dans l’au-delà.
— Quatre spectres, dis-je calmement. Je les vois s’approcher en volant.
— Gnyaaaa ! Cria instinctivement Tyesphaine.
— C’est la première fois que j’affronte ce genre d’ennemis. Je vais faire de mon mieux, dit Mysty.
Malheureusement, elle était tout aussi démunie que Tyesphaine.
À cette vitesse, quelques dizaines de secondes seraient suffisantes pour qu’ils déboulent sur nous.
— Je compte sur toi, Naeviah.
Je fis un bond en arrière et me plaçais entre elle et notre arrière-garde. Je commençais à concentrer ma magie dans ma main gauche à nouveau. Si la première ligne échouerait, je les réceptionnerais avec ma magie des ténèbres.
Naeviah fit claquer sa langue :
— Sérieux, tu me prends pour qui ? Je vais vous montrer de quoi sont capables les prêtresses de la Fossoyeuse !
Elle frappa le sol de la hampe de sa faux qu’elle lâcha. Elle se mit à flotter devant elle en brillant d’une lueur blanche vive.
« Ô Déesse chthonienne qui siège sur le Saint Trône des Sépulcres. Entends ma prière ! Que les âmes prisonnières de chairs putrescentes, ressentent ta caresse évanescente. Que sonne la cloche du jugement ! Que s’ouvrent les portes d’outre-tombe ! »
Toute sa prière était en mortuaris, une fois de plus.
Au fur et à mesure de ses paroles sa faux se mit à émettre plus de lumière. Pour moi qui était sensible à la magie, je ressentais parfaitement la nature sacrée de celle-ci.
Les ennemis n’étaient plus qu’à une dizaine de mètres. Mon sortilège était prête à l’usage.
C’est alors que Naeviah saisit son arme, la fit tourner entre ses mains tel une majorette, puis cria en la pointant vers l’ennemi :
« Jyr’zar’Shir !!! »
Immédiatement, la magie de lumière se propagea devant elle. Elle forma un cône de plus de vingt mètres de long avec une ouverture à 120 degrés.
Les spectres qui avançaient en formation rapprochée furent tous englobés. Je crus un instant les entendre hurler alors que la lumière radieuse détruisit la moindre parcelle de leur essence intangible.
D’ailleurs, l’attaque ne fit que les détruire eux. Aucun arbre ne fut brûler ou désintégré.
J’étais un peu jalouse. Lorsque j’utilisais ma magie des ténèbres, il me fallait faire bien attention. Elle n’était pas du genre à faire dans la dentelle.
L’attaque finie, je pus constater la première que Naeviah avait suffit à détruire nos quatre adversaires.
— Cette fois, ils sont passés de l’autre côté.
Naeviah fit à nouveau tourner sa faux avec style et l’accrocha à son dos.
— Tu en doutais ? me dit-elle avec un regard plein de défi.
— Un peu.
— Vraiment ? Comment oses-tu ?
— C’est la première fois que je te vois en combat, je n’allais pas te croire sur parole non plus. Mais à présent je sais que tu es impressionnante.
— Ouais, c’était fou ! dit Mysty. En plus, avec tes moulinets à la faux, la classe !
Mais Naeviah ne fit que croiser les bras et lâcher un « mpfff » avant de se remettre en marche.
— Je suis bien contente qu’on me reconnaisse enfin à ma juste valeur. Soyez reconnaissantes que j’ai décidé de vous aider.
Je souris, je connaissais bien ce genre de répliques. Je rengainai mon arme et reprit ma position en tête.
Contre toute-attente, j’avais réellement réussi à vexer Naeviah. Elle me jetait des regards en coin et lorsque je les lui rendais, elle détournait les yeux en lâchant des « tssss ! ».
— Rhoo ! Tu ne vas pas m’en vouloir pour ça. J’ai dit que tu étais impressionnante, c’est bon.
Il valait mieux en parler de suite que la laisser ruminer sa rancune.
— Mais tu n’as pas cru en moi.
— Je ne te connais que depuis quelques heures.
— Oui, mais qui m’a dit : « je compte sur toi », hein ?
C’était qu’une manière de parler, bon sang ! Toutes les personnes qui m’ont dit ça dans mon ancienne vie, j’ai jamais cru un instant qu’elles comptaient vraiment sur moi.
Était-ce encore un effet de mon aura ?
— Je m’excuse. Mais cela dit, j’ai cru en toi, je t’ai laissé t’en occuper toute seule. Et j’avoue que ta magie marche vraiment bien.
— Sûrement mieux que la tienne, j’en suis sûre. Mpfff !
— Attends, deux minutes ! Qu’est-ce que tu en sais de ma magie ?
— C’est de la magie profane, non ? Donc je sais ce que tu sais faire plus ou moins.
— Ah ouais ? Tu crois peut-être que ta magie de lumière est plus puissante que ma magie des ténèbres ?
Naeviah se mit à rire de manière hautaine.
— Assurément !
— Ah ouais ?
Sans m’en rendre compte, nous étions à présent à moins d’un mètre l’une de l’autre en train de nous jeter des regards de défi. Qu’est-ce qu’elle voulait au juste ?
Elle croyait vraiment qu’une magie incapable de faire du mal à un arbre allait m’impressionner ? A moi, une pratiquante de la plus redoutable des magies de destruction ?
Non mais !
Tyesphaine s’interposa et nous sépara.
— Allons, ce n’est pas si important.
— Bien sûr que ça l’est ! Ma magie est la plus efficace !
— La mienne est la plus redoutable !
— Mais elle ne peut pas renvoyer dans l’au-delà des spectres. Elle ne sert donc à rien.
— Oooh là ! Tu es sûre de ce que tu racontes ? La prochaine fois je m’en fais dix d’un coup !
— Eh bien moi, ça sera vingt dans ce cas. Et ils ne reviendront pas contrairement aux tiens !
Sur ces mots, elle se mit à dodeliner comme si elle voulait danser. Elle se moquait de moi.
Je n’étais pas du genre susceptible, on pouvait me dire des choses méchantes sur mon physique, mon caractère, mais si on attaquait ma magie…
Tyesphaine nous posa à toutes les deux une main sur le visage et dit d’une voix plus forte que celle qu’elle utilisait d’habitude :
— Arrêtez ! Ou… ou je m’énerve ! … Nous sommes arrivées…
Naeviah et moi restions quelques instants sans réaction, puis nous tournions nos regards vers la direction que pointait Mysty en souriant de manière gênée. Nous vîmes se profiler devant nos yeux, à travers la frondaison des arbres, un bâtiment en ruine à l’allure inquiétante.