Isekai Dakimakura – Arc 1 – Chapitre 5

Le bâtiment en ruine ressemblait à un énorme crâne fait de torchis et de branches, à peine plus gros qu’une cabane.

Mon intuition m’avait fait immédiatement soupçonner que soit le clan de brigands avait été un pur mensonge, soit il y avait eu un téléporteur qui menait ailleurs, soit…

— Des souterrains ? dit Mysty en faisant face à un escalier.

L’intérieur du bâtiment où nous étions entrées était rudimentaire, il n’y avait rien d’autre que des crânes et ossements.

— N’empêche la décoration…, dit Tyesphaine peu rassurée.

— C’est juste de la décoration, dit Naeviah. N’y fais pas attention. Cinquante pourcent de la puissance des nécromants repose sur l’intimidation.

— Je suis d’accord, dis-je, mais puisqu’ils sont capables d’animer les squelettes, c’est un peu comme si nous étions dans sa réserve.

— Tssss ! C’est plus compliqué que ça…

— Euh… non.

— Encore à me contredire ?

— J’y suis bien forcée, puisque ce que tu dis est faux. Avec la nécromancie profane, on peut facilement utiliser tout ça pour lever une armée de squelettes.

— Oui mais les simples squelettes disparates comme ça sont tout nuls !

— Les filles… arrêtez… Nous allons nous faire repérer.

— Trop tard, Tyesphaine, dit Mysty. J’entends du bruit qui vient d’en bas.

De toute manière, je n’avais pas l’intention de faire de l’infiltration. L’ennemi avait en sens choisi pour nous.

— OK, il est temps de passer aux choses sérieuses.

— Tu m’ôtes les mots de la bouche !

Je dégainai mon épée et lançai rapidement mon armure magique défensive. Puis, sans attendre je m’engouffrai dans les escaliers.

Plus ou moins en même temps, Naeviah lança un sort pour créer une petite boule de lumière volante et me suivit. Je connaissais ce sort de base, c’était une simple source d’éclairage. A l’intérieur d’un souterrain où aucune lumière n’entrait, même mes yeux étaient incapable d’y voir quoi que ce fût, mais je me targuais bien de remercier Naeviah avec qui j’étais désormais en concurrence magique.

— Eh oh ! C’est à moi d’ouvrir la marche…, dit la voix timide de Tyesphaine derrière nous.

Mais même si j’avais voulu lui laisser la place, c’était trop tard : il n’y avait pas de quoi être deux personnes côte à côte dans cet escalier.

Je déboulai au premier sous-sol où nous attendaient des squelettes et des zombies.

— Du menu fretin, dis-je.

Considérant le regroupement que je voyais dans un coin de la pièce, devant une porte en bois grossière, je décidai d’employer un sortilège de zone.

Contrairement aux fantômes, les zombies craignaient le feu comme un humain normal. Et les squelettes y étaient simplement plus résistants.

Aussi…

« Cendres aux cendres. Que la Parole s’envole et ouvre les fourneaux du cœur du monde ! Embrasez le ciel, embrasez mon ennemi ! Fire ball !! »

De ma main gauche jaillit une boule de flammes qui partit droit sur les morts-vivants. Elle explosa avec une telle violence qu’une quinzaine d’entre eux furent touchés. La porte en bois vola en éclats, les chairs mortes des zombies tombèrent en cendres et les os des squelettes furent éparpillés et fondus.

A l’épicentre, la roche était devenue rouge et tout autour il y avait des marques noires.

Je tournai mon regard vers Naeviah qui me répondit en plissant les yeux, puis détournait le regard.

Il restait une demi-douzaine de squelettes qui avaient échappés à mon attaque, je fonçais vers eux et rapidement en décapitai un. Inutile d’employer de la magie pour ceux qui restaient.

Naeviah parut du même avis, elle utilisa sa faux pour en éliminer un à son tour ; Tyesphaine et Mysty arrivèrent tout de suite après. C’était des morts-vivants de base, je savais que dans l’arsenal des nécromants ils ne représentaient rien, c’était la masse de ces créatures qui pouvait s’avérer dangereuse.

Néanmoins, je supposais qu’à l’échelle d’un simple villageois, un zombie restait un adversaire coriace.

— Ils étaient combien au juste, Naeviah ? lui demandai-je sur un ton un peu provocateur.

Elle grimaça et détourna le regard.

— Une quinzaine, je crois bien.

Elle ne mentait pas. J’en fus agréablement étonnée. En même temps, si notre rivalité était basée sur des mensonges, elle n’aurait pas eu de sens.

Mais à cet instant, chose à laquelle je ne m’attendais encore moins : Tyesphaine me fit face. Elle avait une expression de colère que je ne lui connaissais pas.

Elle me saisit le poignet.

— Fi… Fiali ! A… arrête de prendre des risques toute seule ! Je… J’ai un bouclier, c’est mon rôle d’ouvrir le chemin !

Je n’étais assurément pas aussi fragile qu’elle le pensait, mais je me rendis compte qu’elle avait raison : notre rivalité était stupide. Surtout dans cette situation.

Nous étions dans l’antre d’un nécromancien vénérable, un utilisateur de magie interdite, il fallait rester vigilantes.

Je grimaçais et me sentis coupable.

Non pas d’avoir risqué ma vie, car, au fond, si après toutes mes années d’entraînement je venais à mourir face à de simples zombies et squelettes, je l’aurais bien mérité.

Non, la raison était différente. Bien plus complexe et confuse.

Bien sûr, je n’étais pas fière d’avoir mis en colère Tyesphaine qui était un ange incarné, mais ce qui me faisait encore plus mal était le fait qu’elle ne pouvait même pas l’exprimer pleinement.

Normalement, on m’aurait crié dessus, on m’aurait giflé, mais Tyesphaine avait sûrement dû rassembler toutes ses forces simplement pour me regarder droit dans les yeux.

Soyons clairs, je n’aurais pas aimé qu’elle le fasse, au contraire j’ai toujours détesté ce genre de rapports violents, même dans les œuvres de fiction.

Mais, à cet instant, je me sentis frustrée de ne pas ressenti la douleur d’une claque sur ma joue et coupable de provoquer un tel émoi dans le cœur de ma compagnonne d’aventure.

Je baissai les yeux et m’excusai.

— Désolée, Tyesphaine. Je me suis laissée emporter…

— Fiali…

— Désolée aussi. Elle n’est pas la seule fautive. Nous aurons d’autres occasions de compter les points.

Je tournais mon regard vers Naeviah. Elle avait un air fier et distant, mais les gouttes de sueur sur son visage me faisaient comprendre qu’elle avait réellement fait un effort aussi. Elle n’était sûrement pas habituée à s’excuser.

Je décidais d’enterrer la hache de guerre. Je n’avais pas besoin de prouver quoi que ce fût, ma magie était extraordinaire, c’était celle que j’aimais et avais toujours désiré.

— Tu sais quoi, Naeviah. Je t’offre la victoire. Ta magie est meilleure que la mienne.

— Hein ? Tu te fiches de moi ? Je veux pas d’une victoire du genre ! Je te prouverai que je suis la meilleure… mais pas de manière imprudente, d’accord ?

Je ne pus m’empêcher d’esquisser un petit sourire. Impossible de faire plus tsundere.

J’étais sortie de mon personnage, j’avais laissé déborder les sentiments et cela avait provoqué tout ces troubles au sein de notre groupe. Cela ne se reproduirait pas, je me le jurais.

Rester calme et affronter les dangers tête froide était plus mon genre, de toute manière.

— Tyesphaine, nous te suivons.

— Je ferme la marche au fait, dit Mysty en écartant du pied un rocher. Oh, une petite pièce d’argent ! Je m’en doutais.

Elle ramassa la pièce au sol et d’une main agile la fit disparaître.

— Je compte sur toi pour protéger le dos de Naeviah. Je protège celui de Tyesphaine.

— Me… me protéger…, répéta cette dernière d’une petite voix à peine audible pour mes oreilles.

Elle baissa le regard et rougit légèrement.

Parfois, je me demandais bien ce qui lui passait par l’esprit.

Nous reprîmes notre progression. Le donjon, car j’aimais à l’appeler ainsi, avait quatre étages.

Le premier sous-sol que j’avais en partie nettoyé à la boule de feu nous offrit encore quelques salles. Mis à part des morts-vivants de base, il n’y avait rien d’intéressant.

Cette fois, nous les combattîmes à quatre. Aucune de nous ne fut blessée grâce à notre travail d’équipe.

Au second sous-sol se trouvaient les brigands.

Ils étaient prêts à nous recevoir. A peine Tyesphaine débarqua de l’escalier qu’une volée de carreaux d’arbalètes la prit pour cible.

Grâce à son écu, derrière lequel elle marchait, elle ne subit aucune blessure ce qui prit de court les bandits qui comptaient sur cette offensive. Mais après ce qu’ils venaient de faire à mon amie, je me montrai impitoyable.

Enfin presque… ils étaient une quarantaine, majoritairement des hommes, mais un quart se rendit en voyant les autres tomber comme des mouches. Ils étaient sûrement forts pour des brigands de grand chemin, mais ils ne faisaient pas le poids face à notre quatuor d’aventurières.

Jusque-là, l’aventure avait réellement l’air d’une quête de jeu vidéo comme j’en avais joué des dizaines dans ma précédente vie.

Nous nous empressâmes de ligoter ceux qui se rendirent et reprîmes notre progression.

Le camp des brigands, à cet étage, se trouvait dans une grande grotte naturelle dans laquelle ils avaient planté des tentes ou construit quelques cabanes en bois. Il y avait un côté assez rustique à l’endroit, bien qu’un peu inquiétant aussi. En effet, ils exposaient un peu partout des squelettes et des cadavres, sûrement à le demande de leur maître.

En passant par la zone de vie, à côté d’un feu de camp qu’ils utilisaient pour la cuisine, un des cadavres de brigands fraîchement tué se releva soudain et prit la parole :

— C’est donc vous les intrus ?

Sa voix était outre-tombale, elle était rauque et surnaturelle. Ses yeux étaient d’un vert luisant qui me fit rapidement conclure…

— C’est donc toi le nécromant de ce lieu ? Nous avons reçu tes précédents messages et avons décidé de venir en parler en personne.

— Quelle familiarité, je ne me souviens pas vous y avoir autorisées.

— En même temps, tu ne t’es pas présenté que je sache. Et je ne vois pas pourquoi je ferais des courbettes devant un utilisateur de magie interdite qui sacrifie ses hommes à la moindre occasion. Ils ont tous un sort d’interdiction ou quelque chose du genre qui les empêche de parler de toi, pas vrai ?

Le cadavre resta sans voix, sûrement parce que j’avais raison.

— Hexith. C’est le dernier nom que vous entendrez, elfe impertinente. Votre cadavre servira mes objectifs.

Sur ces mots, avant que je ne puisse répondre quoi que ce soit, les autres cadavres se relevèrent.

Nous nous mîmes en garde prêtes à combattre, mais ils s’immobilisèrent et se mirent à crier.

Leurs voix étaient si aiguës que j’avais l’impression qu’ils allaient me briser les tympans. Pas seulement les miens d’ailleurs, mes camarades se bouchèrent également les oreilles.

Ce n’était qu’une diversion. La réelle attaque allait prendre place.

Les cadavres à quelques mètres de nous explosèrent tout à coup.

Non pas des explosions de flammes, mais du sang, des os et de l’énergie nécromantique.

J’eus beau interposer mon bouclier magique à peine sentis-je les énergies magiques s’affoler, je fus malgré tout blessée.

Les débris d’os ne causèrent des entailles qu’à Naeviah qui était sans armure. Ma barrière de protection me protégea au moins contre ça.

Par contre, le sang qui nous toucha était très fortement acide. Aucun moyen de s’en prémunir dans l’immédiat. Il brûla nos chairs et une partie de nos vêtements.

Mais le pire était sans aucun doute les explosions d’énergie nécromantique. C’était en soi la même source de magie que les attaques des spectres, mais ses effets étaient différents.

Si les spectres affaiblissaient le corps et l’esprit en provoquant des idées de mort, ces décharges étaient bien plus concentrées et ne visaient que le corps. En surchargeant les tissus organiques d’énergie de la mort, cette magie tuait, tout simplement.

Le principe était similaire aux spectres mais à un niveau bien supérieur.

À ma connaissance aucun sort profane normal ne permettait de créer des bombes entropiques du genre. C’était bel et bien un sort de magie interdite que nous venions de subir.

Mysty et moi posions genoux au sol. Je sentais les brûlures de l’acide mais surtout mon corps s’éteindre petit à petit. J’avais froid à l’intérieur. Ce n’était pas sans me rappeler ma précédente mort.

Aussitôt, j’entendis la voix de Naeviah qui pria :

« Ô Reine de l’au-delà, entends ma prière ! Que l’impur quitte nos corps ! Que votre souffle purificateur chasse les pensées obscures et allège nos âmes pécheresses ! Thoesdol ! »

Une lumière chaude irradia d’elle et nous engloba.

Mon corps se réchauffa.

Elle enchaîna avec une seconde prière :

« Déesse adorée, préservez votre fidèle et ses ouailles d’un voyage éternel dans les limbes infinies. Car les voix de ces mannes résonnent dans la nef sacrée et leurs yeux implorants fixent la vérité. Uvio ! »

Cette fois, ce furent des paillettes qui jaillirent de ses mains tendues et qui vinrent se coller sur nous. Nos plaies se refermèrent, nos brûlures disparurent. Seuls les trous dans nos vêtements attestaient de ce que nous avions subi.

— Ohh ! Tu es un ange, Naeviah !

Mysty sauta aussitôt dans les bras de notre prêtresse avec entrain. Manifestement, elle allait mieux elle aussi.

— Que… Tu… tu m’étouffes ! Dégage !

— Sans toi, je pense que je serais morte ! MERCIIIIIII !!

— Je te dis de…

Mais Mysty ne l’écoutait pas, elle frottait sa joue contre la sienne et manifestait sa joie de vivre à sa manière.

Je pouvais la comprendre, j’avais vraiment cru mourir. Mais, contrairement à elles, j’avais déjà expérimenté la mort une fois et j’avais la certitude d’un au-delà.

Je tournai mon regard vers Tyesphaine qui se tenait le bras. Elle avait laissé tomber ses armes sous l’effet de la surprise, un peu comme nous toutes en fait. Seul son écu était encore fixé par des lanières.

Elle fixait le sol.

— Tu n’as pas à te sentir coupable, lui dis-je. Nous sommes un groupe. Les erreurs sont notre responsabilité à toutes.

Sur ces mots, je lui pris la main.

Elle sursauta, mon contact la ramena à elle.

— Je… je…

— Personne ne pouvait savoir. A la limite, j’aurais pu m’en douter plus que vous, étant une pratiquante de la magie profane mais…

— C’est une magie interdite.

— En effet. Elle est redoutable, ce n’est vraiment pas que du bluff. Rien à voir avec les spectres, pourtant si dangereux.

Tyesphaine était rouge, elle ne devait pas être habituée aux contacts physiques. Mais lorsque je voulu retirer ma main, c’est elle qui la retint.

— J’ai cru que tu allais mourir…

— Vous avez subi la même chose que moi, j’ai cru la même chose. Je m’inquiétais pour vous.

— Quand vous aurez fini avec vos messes basses et vos amourettes…

Tyesphaine prit peur en entendant la voix de Naeviah. Elle me lâcha soudain et s’inclina légèrement.

— Merci, Naeviah. Ta magie nous a sauvées !

— Toi, pas vraiment, mais ces deux-là…

J’étais un peu étonnée de la remarque mais j’en compris rapidement le sens : les deux étaient liés à des divinités. Contrairement à ce que j’avais pensé la fois précédente, Tyesphaine était plus résistante que moi contre les énergies entropiques. Puis, son armure y était sûrement pour quelque chose aussi.

Toutefois, contre les spectres elle m’avait parue si désemparée. Peut-être parce que son esprit avait cédé à leur toucher, là où le mien y avait résisté.

Quoi qu’il en fût, Naeviah expliqua :

— Son armure. Elle a bloqué une partie de l’énergie. Tyesphaine était à peine livide mais Mysty et toi l’avait échappée belle.

— Merci du fond du cœur !!

— Ah non, tu vas pas recommencer !

Naeviah esquiva Mysty, m’attrapa par la main et me jeta dans ses bras.

Mysty ne parut pas contrariée par cet échange, elle me serra dans ses bras et me câlina comme si j’étais une peluche. Contrairement à Naeviah, j’étais habituée à ce qu’on me traite de la sorte, j’abandonnai même l’idée de m’enfuir.

Mais soudain, je vis que Naeviah et Tyesphaine rougirent en me regardant.

— Ta tenue…

— Eh oh ! Couvre-toi un peu ! Ta tunique est en lambeaux !

La sienne aussi en vérité. C’est en baissant le regard que je compris : on pouvait apercevoir une partie de ma poitrine à travers les trous. Je portais une tunique d’aventure elfique, rien à voir avec la robe à multiples couches de notre prêtresse.

Tyesphaine se couvrit le visage de ses mains.

— T… toi ! Ne me dis pas que tu ne portes rien en-dessous ?

— Juste une culotte. Pourquoi ?

— Gnnnn gnnnn !

Naeviah serra son poing et s’apprêtait à me frapper.

— Je t’apprendrai plus tard l’usage des sous-vêtements, espèce d’elfe exhibitionniste !

Je me targuais de lui répondre que mon mentor ne m’avait jamais expliqué l’utilisation d’un soutien-gorge et que j’ignorais même que dans ce monde ils en existaient avant de les rencontrer. De toute manière, en avais-je réellement besoin ?

— Héhé ! Moi non plus j’en porte pas, me dit à l’oreille Mysty. On est pareille !

Son rire était innocent, je me retins de lui répondre que « non, nous ne sommes vraiment pas pareilles à ce niveau-là ».

Quelques sorts plus tard, je remis ma tenue en état ainsi que celles de mes camarades.

— Il est temps d’apprendre à ce nécromant de quel bois nous nous chauffons ! dis-je une fois prêtes à reprendre la progression.

— Ouais, allons tuer Nestor !

— Mysty, je crois qu’il a dit s’appeler Jester.

— Tssss ! Bande de sottes ! Il s’appelle Sethyr. Apprenez à retenir un nom !

Je ne pus m’empêcher de rire intérieurement alors que nous reprenions la marche.

Sur quatre personnes, j’étais la seule à me rappeler (peut-être) de son prénom. Il avait fait tous ces efforts pour le cacher et finalement…

***

Comme si toutes les forces de notre ennemi avaient convergé au quatrième et dernier étage, le troisième était vide pour sa part. Il servait de prison, de réserve et de laboratoire magique. Sûrement que les brigands n’étaient pas habilités à y descendre.

Mais, en le traversant, nous trouvions malgré tout la salle aux trésors.

— Whooo ! Y a combien dans ce pactole ? s’écria Mysty.

— Nous verrons ça au retour, inutile de nous en encombrer de suite, dit Naeviah avec désinvolture.

Je ressentais là une sorte de clivage au sein du groupe. Ni Tyesphaine, ni Naeviah ne semblaient impressionnées par la montagne de pièces d’or, d’argent et de cuivre, ainsi que les nombreux bijoux et autres œuvres d’art volées aux marchands de passage.

Pour sa part, Mysty avait les yeux pétillants comme une enfant devant un cadeau de noël.

Quant à moi… l’argent n’avait pas beaucoup d’emprise sur moi. C’était surtout la vue d’une montagne de pièces qui me surprit. Je n’avais vu cela que dans les fictions de mon ancien monde et j’avais toujours trouvé ça ridicule.

Pourquoi entreposer son argent comme ça, pêle-mêle ?

La réponse m’apparaissait plus claire dans ce monde-ci : il n’y avait pas de banques et les coffres coûtaient assez chers. Tout comme les tonneaux, les bons coffres demandaient des cerclages et des traitements spéciaux, il ne s’agissait pas seulement de prendre trois planches de bois et de les clouer les unes aux autres ; bien qu’une telle qualité existait sûrement pour les plus démunis.

De toute manière, les brigands n’en avaient cure. La demi-douzaine de coffres présents accueillaient à la place des robes et des costumes de luxe. L’or avait été délibérément entassé pour créer cet impressionnant tas scintillant.

A transporter, cela s’avérerait sûrement pénible, j’appréhendais déjà notre retour.

Bien qu’un peu déçue, Mysty se remit à nous suivre. Tyesphaine trouva les bonnes paroles pour l’encourager :

— Si… si nous parvenons à vaincre le nécromant, tout sera à nous. Après l’effort, le réconfort, n’est-ce pas ?

— Vraiment ?

— Bien sûr ! répondit à sa place Naeviah. C’est le fameux droit de pillage des aventuriers.

— Ah oui ! Trop la classe ! J’adore ce droit-là !

Sans même demander, j’avais plus ou moins une vague idée de quoi il pouvait s’agir.

Dans les fictions de mon précédent monde, c’était un lieu commun. En somme, tout ce que les aventuriers trouvaient sur les monstres ou à l’intérieur des donjons était à eux. Assez souvent, le butin était plus important que la prime proposée pour la quête. D’ailleurs, certains employeurs ne proposaient qu’une somme symbolique sachant que les aventuriers se rempliraient les poches par ce biais.

J’avais un peu de mal à penser que nous allions garder toute cette somme, mais à cet instant mes pensées étaient surtout focalisées sur le nécromant.

Comment avait-il fait pour accéder à la magie interdite ? Si ce genre de choses s’obtenait facilement, tout le monde en aurait.

Soit quelqu’un lui l’avait apprise, soit il avait récupéré un vieux grimoire.

Quoi qu’il en fût, bien plus que l’or, ce savoir m’intriguait.

Dans le reste de l’étage, sur une note bien moins réjouissante, nous passâmes par quelques salles pour le moins malsaines.

C’était attendu. Qui dit nécromancie, dit recherches sur la mort.

Selon mon mentor m’expliqua jadis qu’il y avait une sorte de réaction bilatérale entre un nécromancien et sa magie. Je m’explique. Selon nombre de théoriciens, l’utilisation de la magie est fortement liées aux sentiments et à la volonté de l’individu.

Jusque là, je peux le confirmer. Dans le cas de la magie profane, c’est parfaitement vrai.

Mais ce qu’il est plus intéressant à se demander, c’est si le magicien qui choisit sa magie ou alors si c’est elle qui le choisit. Un tas de théories affirment qu’en réalité, le pratiquant de magie pense avoir fait le bon choix simplement parce que la magie le modifie pour lui correspondre.

Par exemple, mon penchant pour la destruction se justifierait par le fait que j’utilise fréquemment la magie des ténèbres et de feu qui ont altérés toutes deux mon esprit.

Selon mon opinion, la vérité est situé dans l’entre deux. Un mage choisit sa magie en fonction de son caractère qui se renforcera en se sentant plus confiant.

Quoi qu’il en fût, dans le cas des nécromanciens, c’était particulièrement vrai : la vaste majorité d’entre eux étaient totalement obsédé par la mort et ses secrets. Aussi, ils avaient très souvent des laboratoires de recherche morbides ou traînaient dans les lieux en rapport à la mort.

Dans ce troisième étage, si la première partie était globalement composée de salles d’entrepôt d’armes, armures, ainsi que d’une salle d’entraînement, la seconde partie était un grand laboratoire. Il y avait des prisons qui n’accueillaient plus personne au moment de notre passage, mais le sang frais que je pouvais aisément humer grâce à mon odorat surdéveloppé, confirmait qu’il y avait eu encore récemment des occupants.

Il y avait également deux salles qui ressemblaient plus à des chambres de torture. Une supposition dont je m’empressais de partager avec notre camarade prêtresse vint poindre dans mon esprit :

— Les spectres de la forêt ne serait-il pas l’œuvre de ce mage fou ?

Tyesphaine était profondément troublée. Une gentille fille comme elle devant un tel spectacle d’horreur, je ne pouvais qu’imaginer l’émoi en elle.

Pour ma part, passé la première surprise et le premier dégoût, j’étais devenue parfaitement calme.

Je reconnais que s’il y avait eu des cadavres encore accrochés, cela aurait été plus difficile à supporter mais là il n’y avait que du sang caillé et une odeur désagréable à laquelle je m’étais vite habituée en traversant les diverses pièces du laboratoire.

— Je le pense aussi, répondit Naeviah en grimaçant. Ce timbré… ! Il torture les gens pour en faire des âmes en peine pleine de désespoir et de haine !

— C’est… ignoble…, dit péniblement Tyesphaine.

— J’ai peur de pas tout pigé, dit Mysty qui jouait avec ses dagues par tique nerveux. En gros, il torture des gens pour en faire des fantômes ?

— Les spectres sont des humains qui n’ont pas trouvé le repos à leur mort, lui expliquai-je. Même pour un nécromancien normal créer intentionnellement des spectres est difficile. Généralement, c’est un procédé naturel qui les transforme et les nécromanciens ne font que les capturer pour en faire leurs serviteurs.

— Néanmoins, grâce à sa magie interdit et le recours à la torture, ce fêlé arrive à créer des spectres à sa guise. Tsssss ! Je crois que nous faisons face à un sacré ennemi.

— J’en suis même convaincue.

— Whaaaaa ! C’est ultra flippant ce que vous dites ! Euh…, j’ai un service à vous demander les filles…

— Oui, Mysty ?

En me tournant vers elle, elle me parut un peu livide. Difficile d’en être sûr, son teint était plus hâlé que le mien ou celui de mes deux autres compagnonnes blanches comme des linges.

— Si… je dis bien si… Si je viens à être emprisonnée, vous pourriez me tuer ? J’ai pas vraiment envie d’être torturée et devenir ça…

Je n’avais pas pensé à une telle chose. Étonnant, dans mon ancienne vie j’envisageais la défaite avant même d’agir. J’avais une telle confiance dans ma magie ?

— Raconte pas n’importe quoi, idiote ! Nous allons gagner et lui faire avaler son grimoire ! Tu as ma parole de prêtresse d’Uradan !

Je n’aurais pas trouvé meilleurs mots. En fait, j’aurais sûrement répondu de manière plus réaliste, ce qui n’aurait pas vraiment rassuré Mysty.

« Je peux te le promettre pour te rassurer, mais je ne suis pas sûre de pouvoir la tenir. Si je viens à perdre mes membres, je serais incapable de l’honorer. Ou bien si je meurs tout simplement dans le combat. Je pense que tout ce qu’on peut faire à ce stade c’est se battre à fond : vaincre ou l’obliger à nous tuer au pire des cas ».

C’est sûrement quelque chose du genre que je lui aurais répondu.

Je me tus et laissais à la place agir les paroles de Mysty.

— Ouais, tu as raison. Partir sur l’idée d’une défaite est mauvais.

Elle rangea ses dagues et se gifla les joues.

— Désolée de vous avoir montré un moment de faiblesse. Nous allons le battre, remplir nos poches puis nous irons toutes bouffer dans un super restaurant et pourquoi pas prendre quelques vacances bien méritées.

— Haha ! Bonne idée. Il faut toujours garder des idées réconfortantes avant un gros combat… Mais interdit de parler de mariage ou gros projets qui nous tiennent à cœur ! Ça porte malheur !

Encourager la pensée positive, voilà encore quelque chose qui ne me ressemblait pas. A quoi ça servait de se faire de faux espoirs ? Il valait mieux évaluer de manière juste et véridique la situation. Prétendre pouvoir remporter la victoire alors que toutes les probabilités étaient contre, c’était juste aller au devant d’un douloureux échec.

La défaite était plus facile à digérer lorsqu’on s’y attendait. C’était ce que j’avais toujours pensé.

Néanmoins, j’étais aussi consciente que cette méthode marchait pour les personnes défaitistes comme moi. Mysty était une fille plus simple et joyeuse, si elle encombrait son esprit d’idées négatives… réalistes plutôt, elle risquait de faire des erreurs. C’était préférable qu’elle se batte l’esprit léger.

Tyesphaine se mit à rire délicatement :

— Oui, il ne faut jamais parler de mariage ou de vouloir rentrer dans son village. Tous les aventuriers le savent.

— Tssss ! C’est que des superstitions tout ça, dit Naeviah d’un air hautain. Nous allons le vaincre, simplement parce que nous sommes plus fortes que lui. Son piège moisi a échoué. Il a rapatrié toutes ses troupes parce qu’il a peur de nous et il a bien raison ! Je vais lui apprendre à jouer avec des énergies qui ne sont pas faites pour les mortels.

Même si l’ambiance ne s’y prêtait pas, Mysty nous demanda de nous rapprocher, ce que nous fîmes. Puis, elle nous enlaça toutes les trois en même temps de manière amicale.

— Ouais, on va lui faire la fête ! J’sais qu’ensemble nous sommes les meilleures ! Héhé !

— Tu… tu vas arrêter de tout le temps me faire ça, espèce de sauvage ! Je n’aime pas les contacts physiques avec des inconnues !

— Allons, allons, Nae, on est potes à présent ! Soit pas si froide !

— Depuis quand sommes nous devenues amies au juste ?

Tyesphaine rougissait, ses yeux étaient humides et elle souriait sans résister. Je supposais que cet élan d’amitié devait profondément la toucher, elle qui avait toujours été rejetée.

Je ne résistai pas non plus. Tout le monde avait besoin d’un peu de bonne humeur dans cette ambiance sinistre, je n’allais pas jouer les troubles-fêtes.

C’est rassurée que nous reprîmes notre route.

Mais arrivées devant une lourde porte qui me parut en tout point l’entrée de l’étage du boss, Mysty nous dit :

— Tyes, stop ! Ne touche pas la porte !

La paladine arrêta sa main juste à temps et se retourna pour faire face à Mysty.

— Elle est piégée. J’en suis sûre. Attends, une seconde.

Elle avait donc ce genre de compétences ? me demandais-je intérieurement.

Mysty se mit à quatre pattes et inspecta d’abord le sol, puis la porte en elle-même. Finalement, elle nous demanda de reculer et jeta un caillou dessus de toutes ses forces.

Aussitôt qu’il la cogna, une décharge de magie noire se répandit de la porte.

— Je n’ai rien senti du tout…, avouai-je.

— Normal, Fiali, les pièges ont souvent des dispositifs pour cacher leur magie.

— Ah bon ? Comment ça marche ?

— Je t’expliquerai une autre fois. Je pense avoir trouvé le moyen de le saboter, mais c’est un peu risqué. Nae, tu peux te tenir prête avec tes soins ?

— Eh oh ! Tu me prends pour qui ? Je suis toujours prête !

Mysty sourit, fit tourner une de ses dagues entre ses doigts puis la lança dans un coin de la porte. Une nouvelle décharge magique en jaillit.

— Avec ça, je devrais bloquer le mécanisme le temps de finir le taff…

Elle tira d’une poche de son armure une pochette en cuir qu’elle ouvrit et s’approcha de la serrure. Je ne ratai pas un seul de ses gestes, j’étais intriguée par ce qu’elle faisait. Vraiment !

Une guerrière sans magie était capable de comprendre et saboter un mécanisme que j’avais été incapable de ressentir ; il avait de quoi être curieuse, non ?

Elle commença par déverrouiller la serrure à l’aide de quelques crochets, puis elle toucha diverses zones sur la surface de la porte. En enfonçant des aiguilles, elle fit apparaître un tracé magique composé de runes visibles par nous toutes.

Grâce à mes connaissances et ma vision magique, je compris rapidement que le circuit magique reliait les différentes runes entre elles. La dague de Mysty s’était enfoncée au cœur d’une d’entre elles, d’après mon analyse, celle qui servait de déclencheur.

Comment avait-elle fait pour savoir que c’était l’endroit où elle devait frapper ?

Ma surprise ne s’arrêta pas là. Elle sectionna plusieurs lignes magiques à l’aide d’une grosse aiguille qui s’enfonça facilement dans le bois. Puis, elle s’attaqua à deux runes spécifiques et fit disparaître l’ensemble du tracé.

— Voilà, c’est désactivé. Désolée, ça prend un peu de temps.

— Ouais, c’était un peu long. Mais je suppose que nous n’avions pas le choix, dit Naeviah en soupirant.

— C’était impressionnant…, dit Tyesphaine.

Je restais sans voix quelques instants.

— Tu es capable de voir la magie, Mysty ?

— Hein ? Bah, comme tout le monde, ouais.

— Non, je veux dire, tu voyais les circuits magiques ?

Elle me jeta un regard interrogateur.

— Les quoi ?

— Laisse tomber… Continuons, plutôt. En tout cas, tu es impressionnante.

— Haha ! Merci, c’est trop les filles !

Elle se gratta l’arrière de la tête en affichant un sourire béat.

Elle ne mentait pas, elle ne voyait pas la magie et n’y connaissait rien. La seule explication possible était qu’elle l’avait fait à l’instinct. Mais une telle chose était réellement possible ?

Cela me dépassait, mais je n’avais pas le temps de m’en occuper.

A peine la porte ouverte, des cris effroyables montèrent jusqu’à nos oreilles.

— Gloups… Finalement, on aurait dû la laisser fermée…

— Tssss ! Allons libérer ces pauvres malheureux de leur servitude outre-tombale. Si vous vous dégonflez, je vais vraiment me fâcher.

Naeviah nous poussa avec entrain. Je ne pouvais que supposer qu’elle avait peur elle-même mais prenait sur elle.

— Tu as raison. Nous le faisons aussi pour eux. Pour ces malheureuses victimes. Débarrassons la région de ce fléau.

Tyesphaine acquiesça et prit courageusement la tête. Nous allions pénétrer dans les appartements privés du maître du donjon.

***

L’escalier nous amena dans une vaste grotte naturelle. C’était là que le nécromant avait élu domicile.

L’endroit n’était pas éclairé, mais à peine notre faisceau de lumière entra dans la grotte que d’innombrables lumières s’allumèrent de-ci de-là. C’était des petites pierres magiques placées au plafond.

— Ce serait dommage de ne pas bien recevoir nos chères invitées.

Une voix masculin résonna dans la grotte, c’était celle de notre ennemi.

Et il n’était pas seul.

A l’intérieur, outres les meubles que nous pouvions voir, il y avait un petit lac naturel au fond. C’était là que se trouvait Hexyth.

C’était autrefois un humain mais il était difficile de le qualifier encore de tel. Son visage était tiré et livide comme celui d’un zombie ; il avait quatre bras, dont deux squelettiques, les deux autres étaient d’une taille disproportionnés et armés de griffes. Le bas de son corps était comme celui d’un centaure à la différence qu’il était composé d’un assemblage de dizaines de squelettes formant une sorte d’araignée multipède pour le moins étrange.

Entre Hexyth et nous se tenait une petite armée : une trentaine de squelette droit devant nous, tous armés d’épées rouillées ou de lances. Sur chaque côté, une dizaine de zombies. Ensemble ils formaient vraiment un mur infranchissable jusqu’à leur boss. Le sol n’étant pas plat, la partie où se tenait Hexyth était plus élevée ce qui lui permettait d’avoir un point de vue favorable du champ de bataille. Cela lui permettait d’avoir une ligne de vue dégagée pour lancer ses sorts (et à l’opposé nous le permettait également).

Enfin, du plafond sortirent cinq ombres : des spectres. Ils étaient un peu différents de la forêt. Leurs apparences étaient celles de squelettes fantomatiques. Nul doute qu’ils avaient le même genre de pouvoir mais, d’une certaine manière, je présageais qu’ils étaient plus puissants.

— Tsssss ! En voilà du monde…

— À qui ai-je donc affaire ? demanda le nécromant. Quatre jeunes femmes, dont une elfe qui viennent me voir, voilà un spectacle pour le moins inattendu.

— Tu essayes de parler après avoir tenté de nous tuer ?

Nul doute que c’était un des effets de mon aura. Dans le cas d’Hexyth, je me demandais où se situait la limite entre monstre et être conscient. Mon aura ne marchait pas sur les monstres sauvages, mais sur les monstres dotés d’une conscience complexe, il semblait avoir effet… fussent-ils morts, dénotais-je.

— Vous êtes entrées sans invitation, je n’allais pas vous déplier un tapis rouge… même si j’aurais dû au final. Quatre spécimens si intéressants ! Il me tarde de me pencher sur vos corps ! Hahaha !

Tyesphaine eut un mouvement de recul tandis que je vis Naeviah me lancer un furtif coup d’œil. Elle était prête à attaquer, c’était ce que je comprenais à cet instant.

Notre adversaire semblait dangereux, il valait mieux le prendre au sérieux.

Mais il me fallait encore un peu de temps. J’espérais que Mysty derrière moi comprenne mon intention ; furtivement, je lui fis un signe de la main dans mon dos.

Le plan était simple : Naeviah ouvrirait le passage et toutes les deux nous foncerions sur Hexyth. J’espérais que Tyesphaine comprendrait qu’elle devait protéger Naeviah le temps qu’elle se chargeât du menu fretin et surtout des spectres.

D’ailleurs, ces derniers, pendant la discussion s’étaient rapprochés par les airs, ils étaient à la même distance que les squelettes, ce qui était une aubaine pour notre plan.

— Si je peux me permettre… Où as-tu obtenu cette magie interdite ? Et ton corps, je suppose que tu l’as fabriqué toi-même après t’être transformée, non ?

— Oh ? Tu connais donc la magie interdite ?

— Il y en a plusieurs types, mais la Nécromancie Vénérable en fait partie.

— Je suis très impressionné. Je ferais de toi une mort-vivant supérieur, il serait dommage de te priver du don de magie une fois dans mon armée.

Comme tous les nécromanciens de ce monde, il était obsédé par avoir toujours plus d’esclaves morts-vivants. J’avais entendu par mon mentor que c’était d’ailleurs ce qui conduisait une partie d’entre eux à leur perte. Il était certes alléchant d’accroître les rangs de son armée, mais fallait-il encore la contrôler.

C’était en raison de la limite de leur commandement que nombre de nécromanciens levaient des « hordes sauvages » et les laissaient agir indépendamment. Les morts-vivants privés d’ordre désiraient juste s’en prendre à ce qui avait plus d’étincelle de vie qu’eux, aussi ils prenaient juste soin de les réveiller dans une zone où ils pourraient causer de grands désastres.

Je supposais qu’en tant qu’utilisateur de magie interdite, sa limite de contrôle devait être bien plus élevée. En plus, il avait confessé être capable de relever des morts-vivants disposant de capacités magiques, il était vraiment au-delà d’un simple nécromant.

Son regard était fou, tout autant que sa manière de bouger. Il plongea au fond le mien :

— Il existe nombre de manières d’y accéder, mais je ne vois pas pour quelle raison je le dirais à un de mes futurs sous-fifres. À moins que tu ne veuilles me rejoindre de ton plein gré ?

— Mmmm, ce serait sûrement une fin plus enviable que de devenir une elfe morte-vivante, dis-je avec calme en levant les épaules, mais j’aime pouvoir décider par moi-même de mes actes. Puis, j’ai mes propres objectifs. Et devenir la poupée d’un nécromancien capable de me tuer simplement parce que je révélerais son nom, non merci.

— Quel dommage ! Moi qui allait t’offrir en cadeau un corps aussi beau que le mien.

— Beau ? Tu es répugnant ! Disparais de ma vue et de celle d’Uradan à tout jamais, monstre !

Sur ces mots, sans tarder, Naeviah pointa ses mains devant elle. Son pendentif se mit à briller et sans vocaliser toute sa prière, préparée en silence pendant que je gagnais du temps, elle lança son puissant sortilège de colonne de lumière.

« Shi’Zar’Vorox !!! »

La majeure partie des squelettes furent pris dans sa zone d’effet et tombèrent en cendres. Même les cinq spectre furent à ce point blessés qu’ils ne parvinrent pas à nous arrêter Mysty et moi.

Cette fois, par contre, je ne me laissais pas avoir : j’avais compris que les zombies sur les flancs de la formation n’étaient en réalité que des bombes, comme celle que nous avions subi précédemment.

« Sylboer (Fire Ball) !!! »

Je lançai ma boule de feu sur les zombies à droite. J’espérais que Mysty avait bien compris que c’était par là qu’elle devait se rendre.

Quelle vitesse ! Elle était vraiment rapide !

Les flammes ne s’étaient même pas encore dissipées qu’elle passa au travers, sauta sur un stalagmite et rebondit sur notre ennemi ses kama enflammés en avant.

Je me remis à courir, profitant de l’ouverture dans les rangs adversaires.

— Hein ? Que… ?

Tyesphaine fut prise de court par notre attaque.

Désolée ! C’était malheureusement impossible de communiquer avec toi, tu étais devant nous.

J’entendis la voix de Naeviah qui lui disait de ne pas s’approcher des zombies et de gagner du temps avec les spectres, puis elle se mit à prier.

Malgré la promptitude dont nous avions fait preuve, Hethyx ne fut pas vraiment surpris. Il tendit la main dans notre direction et incanta dans une langue que je ne connaissais pas. Elle avait l’air d’une ancienne version de la langue des morts, le Mortuaris. Un peu comme si j’avais entendu une version primitive du japonais, je ne comprenais pas un mot même si je reconnaissais des sonorités similaires.

Des projectiles d’os apparurent et nous prirent pour cible.

J’arrêtai ma course et me protégeai à l’aide de mon bouclier magique. Ces lances d’os avaient un sacré potentiel offensif, elles s’enfonçaient dans la roche sans problème. Un débris m’effleura même le visage.

Mysty en esquiva une partie par son agilité incroyable mais subit des blessures à cause des débris qui volaient en tout sens. Il fallait arrêter l’assaut avant qu’elle ne soit gravement atteinte.

« Par le pacte ancestral des ténèbres, j’en appelle à votre pouvoir ! Que la nuit antédiluvienne me transsubstante ! Ô sceaux infernaux déversez vos flèches obscures ! Zard (Darkness Arrow) ! »

De mes mains jaillirent des dizaines de projectiles d’ombres ayant la forme de flèches. C’était un sortilège qui avait pour avantage de pouvoir cibler plusieurs cibles et d’être si rapide qu’il était difficile à contrer.

Mes flèches prirent par surprise le nécromant, son corps fut transpercer de nombreuses fois. Le sang ne jaillissait pas, c’était comme s’il n’était qu’un corps sec. Il allait se révéler difficile à tuer s’il n’avait ni organes, ni sang, ni cerveau… En gros, il allait falloir le réduire en morceaux.

C’était le genre de raison qui rendait les nécromanciens si impopulaires : ils cumulaient les avantages de la magie, plus un corps aux propriétés abusées. Il y avait bien sûr un prix à payer pour ça.

Mon attaque ne le laissa cela dit pas indifférent. En tant que mort-vivant il n’avait sûrement aucun moyen de guérir soi-même les blessures. Ce qui voulait dire que ce que nous détruisions sur son corps resterait détruit jusqu’à ce qu’il le répare.

Mysty profita de cette nouvelle ouverture pour foncer sur lui. Mais alors qu’elle n’était plus qu’à quelques mètres, deux silhouettes s’extirpèrent soudain du lac.

C’était deux serpents d’os, formés de centaines de squelettes, bien que cet animal était impropre à décrire réellement leurs apparences.

Combien d’assassinat avait donc perpétré ce fou furieux pour avoir une telle réserve de matière première ?

Mysty interrompit bien sûr sa course.

— C’est quoi ces trucs ?!

— Des morts-vivants évolués ! Soit vigilante, ils sont sûrement très forts !

Je n’avais pas menti. Dès qu’ils passèrent à l’assaut, nous pûmes nous en rendre compte.

Même s’ils étaient lents, leurs corps pesaient quelques tonnes et ils avaient une force inouïe. L’un essaya de me mordre, j’eus le temps d’esquiver mais le choc me projeta malgré tout en arrière.

Mysty s’en sortit mieux que moi. Elle esquiva par un salto, atterrit sur la tête du monstre et commença à la lacérer de ses armes. Les os volaient à chaque coup, mais elle remarqua rapidement l’erreur de sa stratégie lorsque ses jambes furent attrapées par des bras composant le corps du monstre.

Sans incantation cette fois :

« Zard (Darkness Arrow) ! »

Je tirais à nouveau des flèches obscures sur les bras pour libérer Mysty. À peine à temps ! Le serpent se releva et tenta de l’écraser au plafond.

Je me relevai pour esquiver à nouveau mon ennemi. Je pris exemple sur Mysty cette fois : je rebondis sur un stalagmite et, d’un saut élégant, j’atterris suffisamment loin pour éviter l’onde de choc.

Mais, à cet instant, je fus surprise par une nouvelle attaque.

Le nécromant projeta sur Mysty et moi une sphère rouge liquide : du sang.

Nous esquivâmes in extremis pour nous rendre compte qu’il s’agissait du même sang acide que précédemment. Giclant partout, je sentis mon dos et mes jambes brûler.

Même l’armure de Mysty avait à présent des trous. Ses jambes étaient d’ailleurs blessées, ce que je n’avais pas tout de suite remarqué. Les mains squelettiques les avaient lacérées.

Le nécromant se mit à rire tout en pointant vers moi sa main décharnée, tandis que les serpents se remirent à bouger. Cela s’annonçait mal.

Mais…

« Déesse adorée, préservez votre fidèle et ses ouailles d’un voyage éternel dans les limbes infinies. Car les voix de ces mannes résonnent dans la nef sacrée et leurs yeux implorants fixent la vérité. Uvio ! »

Des paillettes magiques s’infiltrèrent soudain dans nos corps et soignèrent nos blessures.

Sans avoir besoin de tourner la tête, je savais qu’il s’agissait de Naeviah.

Tyesphaine me passa à côté et s’interposa à cet instant entre moi et le serpent qui repassait à l’attaque. Elle fit apparaître un énorme écu d’énergie qui se superposa à son propre bouclier et bloqua totalement l’attaque.

— Merci Tyesphaine ! C’est le moment !

Je me remis à courir en direction du nécromant en canalisant ma magie des ténèbres dans mon épée. Plus précisément, il s’agissait d’un sort que je ne pouvais décharger qu’au contact, Voradys (Darkness Touch), il était puissant mais m’obligeait à arriver au corps-à-corps. Grâce à mes capacités hybrides, je pouvais le faire entrer dans ma lame et le décharger en même temps qu’un coup d’épée.

J’ignorais Mysty et espérais qu’elle allait bien.

Le nécromant n’était plus qu’à quelques mètres. Un bond suffirait, mais je savais qu’il allait passer à l’offensive.

Sans tarder, il tendit la main et tira à nouveau ses lances d’os. Il s’attendait sûrement à ce que je les esquive, mais je le pris de court en continuant de courir et en les bloquant de mon bouclier magique.

C’était une technique risquée mais je ne voulais pas lui laisser le temps de relancer sa sphère de sang. Les deux derniers pics d’os brisèrent ma barrière, l’un me frôla la jambe en emportant un morceau de chair, l’autre se ficha dans mon épaule avant de disparaître.

L’adrénaline me fit oublier la douleur. Je n’avais qu’une seule pensée à l’esprit : abattre mon épée sur mon ennemi.

Il n’eut pas le temps de réagir : je bloquai soudain ma course, fit tourner mon corps avec pour pivot mes hanches et mit toutes mes forces dans un redoutable coup ascendant. Avec la course et mon mouvement de hanche la force était encore accrue, même s’il me laissait dans une position des plus vulnérables.

Il fallait que mon coup portât, sinon ce serait la fin !

La lame brisa les os composant ses pattes, continua jusqu’à son torse et c’est là que je relâchai mon sortilège de ténèbres. Une explosion noire se produisit alors que ma lame termina sa course bien au-dessus de ma tête.

J’avais tout mis dans ce coup. J’étais sûre de détruire mon ennemi d’un seul coup : au fond, tout nécromant qu’il était il restait un lanceur de sorts, n’est-ce pas ?

Mais à ma grande surprise, une main m’attrapa au cou et me leva de terre à cet instant.

Dans ma position, je n’avais pas les moyens de l’esquiver et j’étais trop surprise pour même y penser.

Rapidement mon cerveau m’indiqua qu’il était temps de réagir : je renforçai ma prise sur mon épée et m’apprêtais à l’abattre sur lui lorsque je sentis un afflux de magie. La main squelettique et immense de mon adversaire se couvrit d’une énergie verdâtre évoquant la couleur de la maladie et de la peste. Sa magie dégénérescente entra en moi. Il s’agissait d’une décharge d’entropie pure avec une telle concentration qu’elle me fit perdre mon souffle.

Néanmoins, elle s’interrompit alors que je vis apparaître dans mon champ de vision la silhouette de Mysty. Elle était dans le dos du nécromant et plantait une dague de feu et une de glace dans son cou.

Reprenant suffisamment mes moyens, je fis entrer dans ma lame le sort de Ver’vyal (Fire Destruction) et l’abattit sur le bras qui me retenait. Une explosion de flammes se produisit cette fois. Le bras me lâcha et tomba au sol, sectionné au niveau d’un de ses nombreux coudes.

Aussitôt, Tyesphaine apparut dans mon dos et me protégea d’un des serpents.

— Vous… vous ne l’aurez pas !

Elle poussa de toutes ses forces sur son bouclier et repoussa la tête du monstre serpentin. Puis, elle fit briller sa lame et le trancha horizontalement. Son coup déjà très puissant, chargé à cet instant d’une énergie sacrée s’avéra redoutable contre ce genre d’ennemi.

Je n’eus pas le temps de me demander ce qu’était devenu l’autre serpent que je vis une colonne de lumière tomber sur le nécromant. Mysty fut également touchée mais nous savions qu’elle ne subirait aucun dégâts.

Ce sortilège était vraiment puissant et pratique. J’aurais bien aimé avoir quelque chose de similaire…

— Mysty, reviens ! cria Naeviah.

— Je m’occupe de l’autre ! dit Tyesphaine en courant derrière moi.

J’entendis les os cliqueter. Elles n’avaient pas détruit l’autre serpent squelette, apparemment.

— Eh, l’elfe stupide ! Tu te sens d’attaque ? Réduisons en cendre ce tas de chairs pourries !

Je n’étais pas au mieux de ma forme mais j’avais suffisamment de forces pour continuer à me battre.

— Ouais ! J’ai un sortilège en réserve, mais si je l’utilise le donjon risque de s’effondrer !

— Cet endroit ne mérite pas mieux ! Montre-moi ce que tu sais faire, frimeuse de magicienne !

Je ne pus m’empêcher de sourire alors que je me redressai. C’était les paroles que j’attendais.

Je fermai les yeux et m’en remettais à mes compagnonnes.

Rassemblant les énergies de la destruction en moi, j’ouvris les lèvres pour commencer mon incantation :

« Venus de par-delà les limbes et les confins du temps, Ô Chaos Primordial… »

Pendant ce temps, le nécromancien qui était en bien piteux état projetait des lances d’os dans notre direction.

— Je m’en occupe !

Mysty se plaça devant nous, arracha des mains de Naeviah sa faux et commença à dévier les tirs en les frappant aussi vite que possible. Quelques attaques la touchèrent néanmoins.

« Ô Déesse qui règne au Royaume de l’Oubli, que la voix de votre fidèle parvienne jusqu’à vous. Rappelez-vous les noms des mortels, vous qui êtes la gardienne de ceux qui ont jadis existé. Zer’Halthior ! »

Dans les mains de Naeviah apparurent deux sphères de flammes noires, assez similaires à un sort de ténèbres en fait. À cet instant, mon esprit était trop concentré par ma propre magie pour réellement pouvoir analyser, mais j’apprendrais pas la suite que seuls les prêtres d’Uradan disposaient de la capacité d’utiliser à la fois des sorts d’ombre et de lumière. C’était une de leur particularité.

Et ces ténèbres, contrairement aux miennes, étaient surtout destinées à faire disparaître ce qui troublait l’ordre de la vie et de la mort.

Lorsqu’elles touchèrent le nécromant, elles l’embrasèrent. Les flammes noires lui firent pousser un hurlement, comme si la douleur était revenue dans son corps vide de toute émotion.

De forts vents se mirent à souffler autour de moi.

« … Essence des Ténèbres Originelles, entends mon appel… »

Sur les paumes de mes mains se dessinèrent des pentagrammes alors qu’une sphère rouge apparut. Elle se mit à vibrer et provoqua des petits tremblements de terre.

« Devant moi se dresse l’infâme, que l’Innommable m’ouvre ses bras et me tende les clefs. J’en appelle aux Abysses des éons… »

Puis, un point noir se forma au centre de la sphère. Rapidement il prit la forme d’un œil reptilien. Des effluves de magie des ténèbres s’échappèrent de ce globe oculaire et des tentacules semblaient s’extirper de mon sort.

Je tendis mes mains en direction de notre ennemi. Mes bras se marquèrent de tatouages rouges luisants, tandis qu’un cercle magique apparut à mes pieds.

— Éloignez-vous, ça va partir…, dis-je en retenant les forces qui m’envahissaient.

C’était comme si j’avais ouvert à l’intérieur de mon corps un canal de magie qui débordait et pouvait échapper à mon contrôle d’un instant à l’autre.

Naeviah et Mysty suivirent mes recommandations et s’éloignèrent de moi. Mais Tyesphaine vint se placer à mes côtés. Elle tremblait.

— Je te protégerai… coûte que coûte…

Elle avait sûrement été traumatisée par la dernière utilisation que j’en avais fait dans la forêt. J’appréciai d’autant plus cette intention fort courageuse.

Sur le dos de mes mains s’inscrivit le nom de mon incantation dans la langue des elfes. Autour de moi, c’était la tempête.

« Hylfan’Lisith (Abyssal Profanation) !!! »

Un vortex de ténèbres quitta mes mains et se dirigea vers le nécromant. Les ossements qui se trouvaient au sol ; les feuilles de papier ; même l’eau du lac ; tout était emporté par les puissantes rafales de vent.

Puis, l’explosion se produisit.

Avant de tomber de fatigue, j’eus le temps de voir la silhouette de mon amie paladine devant moi, elle dressait un bouclier magique et nous protégeait toutes les quatre.

J’espérais ne pas avoir échoué dans le placement et le dosage de mon sortilège, faute de quoi nous péririons toutes les quatre.

Je m’écroulai tandis qu’autour de moi l’enfer se déchaînait sur terre.

Malgré tout, un profond sentiment de satisfaction s’empara de moi : j’avais gagné. Jamais dans mon ancienne vie je n’avais ressenti une tel sentiment de légèreté et d’accomplissement.

Celle qui avait tout détruit était Fiali Lunaphula, ténébromancienne et pyromancienne elfe ! Haha !

C’est l’esprit vide, les larmes aux yeux que je perdis connaissance.

Lire la suite  – Arc 1 – Épilogue