Isekai Dakimakura – Arc 1 – Épilogue

Je me réveillai quelques minutes plus tard… enfin probablement.

J’étais à l’extérieur du repaire des bandits, entourée de mes camarades.

— Aidez-moi à les déshabiller, dit Naeviah.

— Je… je ne peux vraiment pas !! protesta Tyesphaine en rougissant jusqu’aux oreilles et en se couvrant de ses mains.

— T’es sûr que ça va l’aider ? demanda Mysty.

Je n’avais plus de forces. Mon corps était froid comme jamais. Même avec la mort du nécromant, les énergies entropiques en moi n’étaient pas disparues. En fait, mon état empirait même.

Mais à cet instant, j’avais d’autres préoccupations.

— Qu’est… ce que vous faites ?

— Aaaaaaahhhh ! s’écria Tyesphaine.

— Oh ? T’es réveillée ?

— Tssss ! Vous me faites perdre du temps ! Bon, laissez tomber pour les vêtements, Mysty aide-moi à la porter.

— Me… porter ?

Ma voix était faible. Je commençais à avoir du mal à respirer.

— Tais-toi idiote ! C’est pas possible d’être aussi fragile. Mpffff !

Mysty me portait comme une princesse dans ses bras. Pendant quelques instants j’en fus troublée. Quelle était cette étrange sensation d’être impuissante entre des bras protecteurs ?

Rapidement, toutefois, on me jeta dans un tonneau d’eau froide.

— Aaaahhh ! Kof kof !

Naeviah s’approcha de moi et me releva. J’étais tellement impuissante que je m’enfonçais dans l’eau pour m’y noyer.

— C’est bon, je m’occupe du reste.

— T’es sûre que t’as pas besoin d’aide ?

— C’est déjà assez gênant comme ça. Éloignez-vous toutes les deux ! Zouh zouh !

Naeviah les chassa de la main. Dans mon faible état, je vis malgré tout Tyesphaine qui observait à travers ses doigts timidement.

— Allez, Tyes, on va tenter de récupérer un peu de brouzouf dans les ruines…

— Boufouf ?

Mysty lui passa le bras autour de l’épaule de manière virile et l’entraîna hors de champ de vision dans la forêt.

— Pendant… combien de temps j’ai… dormi… ? demandai-je péniblement.

Mais à ce moment-là, j’entendis des froissements de vêtements derrière moi. Je pendais péniblement sur les bords du tonneau, je n’avais pas la force de me retourner.

— Tu…

— Te retourne pas, elfe perverse !

Intérieurement, je pensais que la plus perverse des deux dans la situation était elle : elle avait parlé de me déshabiller et, à présent, elle retirait ses vêtements.

J’avais envie de lui faire confiance. L’aura dakimakura me protégerait de toute manière d’une interaction sociale violente, mais je me mis à douter d’elle lorsqu’elle noua autour de mes yeux un bandeau.

— Je… je… Interdiction ABSOLUE de regarder ! Déjà que tu m’obliges à faire ce genre de choses !!

Le pire devait encore arriver. Elle profita de mon incapacité pour finir le travail : elle déboutonna ma tunique et retira ma jupe.

— Tu… Naev…

— Te fais pas de fausses idées !! Je n’ai aucune intérêt, mais vraiment aucun du tout pour ton corps de gamine tout moche ! Je préfère des humaines et des filles qui sont un peu plus consistante que toi ! Mpffff !

— Mais…

— C’est pour te sauver la vie !

Sur ces mots, je sentis sa main sur mes cuisses, elle me retira ce qu’il me restait de vêtement. Ma sensibilité était bien moindre ; en temps normal, il y aurait eu une étrange chimie dans mon corps qui se serait produite mais je ressentais de moins en moins mon environnement. Mon sens du toucher était très peu sensible. Même cette eau froide, je la sentais à peine.

— Ne bouge pas !

Dans mon état, je ne risquais pas de le faire.

Elle commença à prier. Ce n’était pas une prière formalisée et stricte comme celles qu’elle utilisait en combat pour lancer ses sorts, elle s’adressait de manière respectueuse à la déesse en mortuaris.

À cet instant, je laissais tomber mes doutes et me rendit compte qu’elle était réellement préoccupée par mon état. Cela avait l’air particulièrement urgent.

Après peu, je commençais à ressentir peu à peu le froid, non pas à l’intérieur de moi mais autour de moi. L’eau, elle devenait si froide, elle était gelée ! C’était ce que je pensais en cet instant avant de me rendre compte qu’en réalité c’était simplement mon corps qui recouvrait peu à peu ses moyens.

— De l’eau bénite ?

— Bien vu. Considérant la quantité d’énergie entropique que tu avais accumulée un flacon n’aurait servi à rien. En plus, il semblerait que le mal qui t’affecte fonctionne un peu comme un poison nécromantique : s’il n’est pas éliminé correctement il continuera de répandre son influence en toi.

— La magie interdite… ça rigole vraiment pas…

— Oh, que non ! Heureusement que la Déesse a consenti à ce que je bénisse une telle quantité d’eau. Par contre, c’est un peu moins efficace que les flacons normaux, il va falloir rester une bonne heure là-dedans.

Sans difficulté je compris le procédé et surtout la nécessité qu’elle avait d’être avec moi dans ce tonneau : elle utilisait son corps comme vaisseau divin pour irradier de l’énergie sacrée qui se diffusait à travers l’eau. C’était la raison pour laquelle le procédé était si lent. Mais il permettait d’appliquer l’énergie à la totalité de mon corps et non à une seule zone à la fois.

Il y avait une autre raison simple à cette méthode : l’eau était un des éléments naturels les plus à même de transmettre les énergies sacrées. C’est pourquoi elle était impliquée dans la plupart des procédés curatifs. En un certain sens, l’eau et le sang ont des propriétés magiques assez proches, les deux représentent la vie (bien que le sang ait des propriétés nécromantiques également).

— Mer… Merci, Naeviah…

— De quoi ? Qu’est-ce que tu marmonnes, stupide elfe ?

— Je te remerciais, c’est tout.

— Tssss ! Tu crois vraiment que ce genre de paroles me touchent ? Je n’en ai pas besoin !

Si elle était aussi tsundere que je le pensais, elle était sûrement contente de mes remerciements, mais je n’insistais pas plus.

— Mes autres blessures…

— Toutes soignées, bien sûr. Tu es restée inconsciente au moins une vingtaine de minutes. Nous avons dû te transporter alors que tout s’effondrait. J’avais dit que ce lieu ne méritait pas mieux que ça, mais je ne pensais pas que tu y serais aller aussi fort.

— Héhé ! Tu as vu, la magie des ténèbres ça déchire.

— Tssss ! C’est juste ridiculement destructeur. Tu aurais fait quoi si nous n’avions pas été là, hein ?

Elle marquait un point. Je me serais retrouvée ensevelie et j’aurais dû recommencer une nouvelle vie ailleurs. Bien sûr, je m’abstins de lui dire le fond de ma pensée, je gardais le silence tout simplement.

— Nous en avons donc fini avec cette mission… ?

— Pas tant que nous n’aurons pas ramené la confirmation à notre employeur et que nous n’aurons pas récupéré la prime.

— Tu veux la prime aussi ? Bah, faut dire que le trésor du troisième est sous les tas de gravas…

En tout cas, c’était ce que j’imaginais.

— Et tu en es fière ? La prime m’importe peu, mais j’aime faire les choses jusqu’au bout. Vous m’avez intégrée au groupe, je viens à la Capitale avec vous.

— Avec plaisir !

À mesure que l’énergie sacrée entrait en moi et chassait celle entropique, je commençais à ressentir l’inconfort de ma position. Je ne pus m’empêcher de bouger ma jambe pliée qui me faisait mal.

— Kyaaaa ! Où est-ce que tu me touches, elfe lubrique ?!

La coordination de mes membres laissait encore à désirer et je ne voyais rien. Cela dit, je sentais bien que mon pied touchait quelque chose.

— Je ne suis pas lubrique. C’est toi qui m’a jeté dans ce tonneau, je te signale.

— J’étais obligée ! Je peux sortir et te laisser mourir, tu sais ?

— Non merci. Mais je ne vois rien, comment tu veux que je sache ce que je touche…

— Ne bouge pas alors !

— Oui, mais j’ai les jambes engourdies. À moins que tu ne veuilles me les bouger…

— Idiote !

Je tentai de me retourner, mais ce faisant ma position devint encore plus étrange et inconfortable. Naeviah essaya de m’esquiver mais elle ne fit qu’empirer les choses.

Finalement, j’avais une jambe entre les siennes et elle avait un pied sur mon ventre.

— Tu vas me faire mal à la longue, lui dis-je.

— Et toi aussi… Si je me laisse tomber tu… tu…

— On est entre filles, tu sais ?

J’essayais de la rassurer, mais j’étais consciente que ce n’était pas une excuse valable pour toucher ces endroits-là.

Eh ! C’était pas de ma faute ! J’avais les yeux bandés et tout !

— Tu… tu es une créature pleine d’impudeur et de perversion ! Déesse adorée, protégez-moi de cette succube elfique en chaleur !

— Tu y vas un peu fort… Si c’est comme ça, je vais pas me priver.

Je tentai d’améliorer notre position en retirant ma jambe, mais du coup c’est son pied qui se retrouva au mauvais endroit.

— Kyaaaaa ! Qu’est-ce que tu fais ?

— C’est plutôt à moi de dire ça ! Tu… tu… Han~ !

Au début, la sensation était étrange mais rapidement je…

— ELFE DÉLURÉE !!!

Elle s’agita à nouveau et alla même jusqu’à me gifler. Ce faisant, elle défit le bandeau qu’elle avait noué à la hâte et je pus la voir apparaître devant moi dans toute sa nudité.

Sa peau était blanche comme la craie, elle était même plus pâle que moi. Elle n’avait presque pas de poils et ses formes était minces. Elle se moquait de mon allure, mais mis à part ses dix centimètres de plus, elle était tout aussi peu épaisse que je ne l’étais. À la différence que mon ossature elfique était prévue pour être plus légère que celle des humains, j’avais donc sûrement l’air moins mince qu’elle ne le paraissait.

Sa poitrine… sans être volumineuse, elle l’était un peu plus que la mienne. On jouait malgré tout dans la même catégorie même si notre profondeur différait légèrement.

Elle avait la chair de poule et était un peu bleu par endroit.

— Qu’est… Qu’est-ce que tu regardes ?

Les larmes aux yeux elle me fixait avec un regard meurtrier en cachant les zones intimes.

— Tu me reluques depuis avant, c’est un retour de bâton.

— Qui… qui te reluque au juste ?!!

— C’était un accident, tu m’as retiré toi-même le bandeau. Cela dit, à bien y penser, c’est injuste que tu puisses me voir et pas moi.

— C’est… c’est pas pareil !

— C’est bon~ ! On est entre filles. Tout le monde est nu dans les termes.

— C’est pas une excuse !

Je me rendis compte à cet instant que cela me semblait sûrement normal parce que j’avais vécu au Japon et étais souvent allée dans des onsen. Même si j’avais changé de vie et de monde, ce principe culturel se trouvait toujours quelque part dans ma tête.

— OK, OK, je me retourne…, dis-je avant de me raviser. En fait, non ! Désolé pour ce que je vais faire mais…

Je me collais à elle.

Il faisait trop froid, je n’en pouvais plus !

Je n’avais pas baissé mon regard sur mon propre corps, mais je supposais que comme elle j’avais la chair de poule et certaines muqueuses avaient raidies.

Ce contact me réchauffa un peu même si c’était particulièrement gênant.

— Tu… tu… tu…

Naeviah était rouge comme une tomate, son corps était crispé tandis que je l’enlaçais.

— Tu as froid aussi, non ? Tu penses qu’on va survivre une heure dans ces conditions ? On risque de faire de l’hypothermie avant.

Elle ne me répondit pas mais ne chercha pas à me repousser non plus. Même une forte tête ne pouvait rien faire contre cette fichue aura, quelle tristesse !

— Tu as un peu plus chaud ? lui demandai-je après quelques minutes.

— Que… ne raconte pas n’importe quoi ! Je n’avais pas froid…, répondit-elle sur un ton larmoyant.

— Ton corps ne semble pas être de ton avis. Tu pointes, tu sais ?

— Aaaaaaaahhh ! Tu racontes n’importe quoi ! Perverse ! Vicieuse ! Elfe lascive ! Licencieuse !

Son petit cri avait été terriblement mignon. C’était le charme d’une tsundere. Elle avait beau joué sa dure, elle avait un fond doux, je le savais.

— Je suis si impure que ça ? Ce n’est pas comme si j’avais fait ça…

Je lui posai la main sur le ventre et fit semblant de la remonter vers sa poitrine. En même temps, je mis mon genou entre ses cuisses.

Je m’attendais à une certaine résistance, mais les larmes aux yeux elle me dit d’une petite voix :

— Au moins… soit douce… pour ma première fois…

HEIN ?! Elle… elle cédait aussi facilement ?!

À cet instant, j’avais l’impression d’avoir été prise à mon propre jeu. Je m’éloignai aussitôt.

Même pour l’aura dakimakura, ce changement était trop brutal. En principe, elle aurait dû me crier dessus et me dire qu’elle ne voulait pas, puis accepter quand même.

— C’était une blague, Naeviah…

— Euh, moi aussi ! Bien sûr que je plaisantais ! Tu n’avais quand même pas pensé que j’étais sérieuse, non ?

Sa voix m’avait paru tout sauf une blague. Malgré le froid, elle était rouge comme jamais.

Je l’observais quelques instants, puis, finalement, je lui proposais de se mettre dos à dos et de supporter cette peine jusqu’au bout. J’eus beau proposer de chauffer l’eau avec un peu de magie de feu, elle refusa catégoriquement :

— L’eau bénite c’est de l’eau froide ! Ce serait une hérésie autrement ! Interdiction de la réchauffer !

J’ignorais s’il s’agissait de son opinion personnelle ou alors d’une réellement nécessité de sa magie, mais lorsqu’un religieux parlait d’hérésie, il valait mieux ne pas prendre cela à la légère.

***

De retour à Ferditoris, le lendemain de notre combat.

Nous étions retournées toutes les quatre à l’auberge où la demi-orque Dura nous accueillit :

— Bienvenue ! Vous êtes quatre maintenant ? Vous avez recruté en cours de route ?

— Bonjour, Dura.

— Salut ! Ouais, on a rejoint Tyes et Fiali en cours de mission, dit Mysty avec entrain. On vient chercher la récompense de quête !

— Tout s’est bien passé, dis-je. Les brigands ne poseront plus de problème.

— Mais à cause de certaines, nous avons perdu le butin…

Naeviah me jeta un regard en coin, je levai les épaules et détournai le regard.

— Je crois que je ne comprends pas tout, confessa Dura. En tout cas, vous semblez bien vous entendre. Je vais contacter le client, vous pourrez lui expliquer les détails…

L’auberge ne gérait donc pas réellement les quêtes, elle ne faisait que mettre en contact, je l’ignorais. Cela dit, c’était la première mission que j’accomplissais dans ce monde, donc c’était normal.

Notre client n’était autre que la ville. En après-midi, on nous invita à nous rendre à la caserne où une secrétaire recueillit notre témoignage. En l’absence de preuve concrète attestant du démantèlement de l’organisation, on nous demanda à rester en ville une semaine le temps qu’un groupe d’enquêteurs confirme nos dires.

Une fois ressorties de la caserne, nous nous mîmes à marcher toutes les quatre dans la rue principale de la ville, animée comme un jour normal : les coursiers couraient partout, les gardes patrouillaient, les commerçants hélaient les passants et les enfants jouaient en faisant du bruit.

Mysty nous avoua qu’il s’agissait de sa première visite en ville. Elle s’extasiait sur des petits détails.

En un sens, je trouvais son attitude bien plus normale que la mienne. Lors de ma première visite, j’étais restée plutôt de marbre alors qu’au fond, j’avais été encore plus étrangère qu’elle.

— Tu vas bien ? me demanda Tyesphaine.

— Oui, je vais bien.

— Tu es silencieuse.

— Je profitais de cet instant calme. J’ai l’impression que ça fait un mois que j’ai quitté cet endroit.

— Oui, tu as raison. La perception du temps est souvent bizarre.

Nous continuâmes en silence quelques minutes encore, tandis que Naeviah donnait des explications à Mysty sur ce qu’elle voyait.

— Je crois que c’est la première fois que je me sens si calme…

Tyesphaine se tourna vers moi en entendant ma voix. Elle n’eut pas besoin de me répondre pour me témoigner son interrogation.

— Non rien, oublie ça. C’est une belle journée.

— Oui, le soleil est agréable. Et la ville semble si paisible.

— Nous devrions choisir une auberge avant qu’il ne fasse nuit.

À cet instant, même si je pensais qu’elle ne m’écoutait pas, Naeviah se plaça devant moi et me fit face.

— Pour me remercier de t’avoir sauvée la vie… et me dédommager des lubricités que tu m’as faites subir, tu devrais me payer à manger !

Je m’arrêtai et la fixai droit dans les yeux. Elle soutenait mon regard. Ses yeux dorées étaient réellement spéciaux, même pour une elfe comme moi.

Au passage, j’ai oublié de le préciser, mais j’avais remis ma capuche pour cacher mes oreilles.

— Pourquoi pas ? Mais dis-moi, Naeviah, est-ce que par hasard tu ne serais pas à sec ?

— Heeeeeeeeinnn ?! Tu… tu plaisantes j’espère ? Je suis une prêtresse, je peux demander le gîte à l’église, si tu ne le sais pas !

Je plissais les yeux.

— Ce qui ne veut pas dire que tu as de l’argent. Puis, tu as insisté plusieurs fois sur le fait qu’à cause de moi nous avions perdu notre butin.

— Ouais, c’était un vrai coup de pas-de-bol, dit Mysty. Il avait l’air bien le trésor… Bah, tant pis, j’ai quand même pu récupérer quelques babioles, j’irais les vendre et je vous donnerai votre part plus tard.

A quel moment elle avait récupéré ces « babioles » je l’ignorais, mais je me sentais un peu coupable quand même.

— Divise en trois, Mysty. Je vous laisse ma part.

— Oh ? T’es sûre ? On a fait la mission ensemble, t’sais ?

— Ouais, c’est bon, c’est de ma faute si…

— Si tu prends pas cet argent, je m’en vais de suite ! Je ne veux pas de ton aumône, elfe stupide !

Je soupirais. Pourquoi les choses ne pouvaient jamais être simples. Tout était paisible quelques instants auparavant.

— Naeviah a raison, je préfère aussi que tu prennes ce qui t’es dû, ajouta Tyesphaine.

— D’accord, d’accord.

— Quand c’est elle qui demande, tu acceptes.

— Hein ?

— Tssss ! Tu m’énerves ! Ça aurait été plus simple avec ce trésor ! Je… je m’en vais au temple !

Je pris la main de Naeviah pour la retenir.

— Attends ! Je n’ai pas dit que je refusais. Je prends ma part, mais j’ai le droit de faire ce que je veux de mon argent, non ?

— Oui, c’est le tien. Quelle remarque stu…

— Je vous invite toutes à l’auberge alors ! J’en connais une qui est pas mal en plus !

Pourquoi avais-je fait une telle proposition à cet instant ?

Je n’avais jamais été proche de mon porte-monnaie, certes, mais je pense que, d’une certaine manière, je me rendais compte que je ne rencontrerais pas facilement d’autres filles comme elles. Elles m’étaient sympathiques. J’avais envie de mieux les connaître.

— Oh ? Sérieux ?

— Ouais. En fait, j’ai un peu d’argent de côté, confessai-je.

Et j’avais également un objectif.

— Tssss ! Tu penses que je vais accepter comme ça ?

— Je louerais quatre chambres quand même, si tu ne viens pas elle restera vide. Ce serait un tel gaspillage…

— Toi !! Bon, d’accord, puisque tu insistes à ce point, je ne peux pas laisser une chambre inoccupée. Ce serait irrespectueux envers l’aubergiste et les autres clients ! Mpfffff !

— Merci beaucoup, Fiali, dit Tyesphaine avec un regard tendre.

Je ne pus m’empêcher de penser à cet instant qu’elle avait eu la même idée que moi : rester encore un peu ensemble. Tyesphaine était une fille si sensible et son besoin d’amitié était normal après ce qu’elle avait toujours subi.

— T’es la meilleure ! Je t’aime, ma pote !

Mysty me prit dans ses bras sans aucun scrupule. Même si nous étions en pleine rue, elle se fichait des regards des passants.

C’est ainsi que nous nous dirigeâmes vers l’auberge où j’avais résidé la fois précédente… sauf que je ne parvins pas à la retrouver. J’avais vaguement la façade à l’esprit, mais j’avais oublié le nom et, finalement harassée par notre aventure, nous en choisîmes une plus modeste qui convenait à tout le groupe.

En plus, puisqu’elle était moins onéreuse, elles se sentiraient moins redevables à mon égard.

Je payais sans sourciller la semaine pour toutes les quatre et le temps s’écoula plus rapidement que voulu.

Au retour de notre entrevue avec la garde de la vile, les autorités confirmèrent notre rapport et on nous donnèrent même un extra pour l’annihilation du nécromant.

En revenant à l’auberge pour reprendre nos affaires, le moment des séparations n’allait pas tarder. Je l’avais appréhender depuis le début de la semaine. Mais, malgré moi, j’avais fini par oublier cette angoisse en me laissant entraîner de-ci de-là dans la cité.

Nous nous retrouvions dans la salle commune nos sacs et nos armes sur nous.

C’est alors que j’inspirai profondément et pris mon courage à deux mains :

— Dites, ça ne vous dirait pas de continuer toutes ensemble ? Je ne sais pas pour vous, mais je nous ai trouvées plutôt efficaces.

— J’accepte, dit sans tarder Tyesphaine. En fait… je voulais aussi le demander, mais… je ne savais pas si vous alliez accepter.

Elle me sourit, je lui renvoyai la pareille. J’avais donc eu raison.

— Attendez les filles ! Vous pensiez qu’on allait se séparer ? demanda Mysty.

— Bah, personne n’avait vraiment confirmé qu’on continuerait ensemble, lui répondis-je.

— Je pensais que c’était une affaire décidée. Je continue avec vous ! Enfin, jusqu’à ce que je trouve ce que je cherche, là on verra…

— À ce propos, j’ai moi aussi une quête.

Les trois filles me dévisagèrent avec curiosité. Je me demandais ce que j’avais dit de si étrange.

— Je suis à la recherche de mon mentor et des traces de la civilisation elfique. Ce n’est pas urgent… en plus, j’ai une longévité hors norme… mais si ça vous intéresse de m’aider, je suis sûre que ce sera intéressant… enfin peut-être…

Mysty leva le pouce.

— S’ils sont tous aussi sympa que toi, j’veux les rencontrer ! Elle me motive grave cette quête !

— Merci Mysty.

Elle sourit à pleines dents.

— Bien sûr, j’accepte aussi. Je… je suis curieuse.

— Merci à toi aussi, Tyesphaine.

Nos regards se tournèrent vers celle qui ne s’était toujours pas prononcée.

Se sentant observée, Naeviah croisa les bras et détourna le regard.

— Hein ? Pourquoi il faudrait que je vienne avec vous au juste ?

Je connaissais le langage tsundere, je souris en coin et lui donnais le prétexte qu’elle recherchait :

— Qui dit ruines anciennes d’une civilisation disparue, dit forcément morts-vivants. Sans tes capacités, il va falloir qu’on trouve une autre prêtresse…

— Ça c’est sûr…

Je rajoutais le coup de grâce.

— Après, possible que nous tombions sur quelqu’un de plus efficace que toi…

— Quoi ?! Tu plaisantes j’espère ! Tu penses pouvoir trouver dans ce pays une prêtresse d’Uradan meilleure que moi ? Puis tu penses qu’elle accepterait de vous suivre et de vous supporter ? Non, non, non ! Je ne le fais pas pour une personne impure comme toi, bien sûr. C’est juste mon devoir moral de prêtresse de vous escorter dans ces donjons pleins de morts-vivants. La Déesse m’en voudrait de ne pas leur faire trouver le repos éternel ! Et ma pauvre remplaçante, je ne veux même pas l’imaginer. Mpffff !

— Merci de ta mansuétude, Naeviah, dis-je ne m’inclinant pour la remercier.

— Même si tu es délurée, au moins tu connais ta place, c’est déjà ça… J’accepte, mais ne te fais pas de fausses idées, tu m’entends ?

— Héhé ! Je pige pas tout ce qui te passe par la tête, Nae, mais contente de t’avoir avec nous.

Mysty lui prit la main soudain, elle sursauta brièvement.

— Allez, vous aussi ! Posez vos mains sur les nôtres. C’est un truc pour sceller la formation d’un groupe par chez moi.

— Vous avez beaucoup de coutumes par chez toi.

— Ouais, tout plein !

Je mis ma main sur celle de Mysty qui retenait celle de Naeviah. Tyesphaine retira son gantelet et posa la sienne sur la mienne. Elle était douce mais crispée.

— Et ensuite ? demanda Naeviah.

— À la façon brigand, le plus haut de la pile de mains s’entaille et partage le sang avec tout le monde. Il devient du coup le boss. Mais pour cette fois, je propose une méthode plus douce. Puisque nous partons en quête pour toi, Fiali, tu vas faire un bisou sur la main de Tyesphaine. Symboliquement, tu partageras avec nous.

Tyesphaine rougit et baissa le regard.

— Quelle tradition étrange… OK, je vais le faire. Enfin, si Tyesphaine veut bien…

Elle acquiesça timidement. Je déposai un bisou sur sa main, tandis que toutes m’observaient avec attention.

— Ce sera tout !

— Ouais !

Mysty passa son bras autour de mon épaule et autour de celui de Naeviah.

— Allez, à l’aventure mes sœurs ! Toi aussi, Tyes !

Nous nous laissâmes entraîner par Mysty hors de l’auberge.

J’avais enfin trouvé mon groupe !

Mon aventure allait enfin pouvoir commencer.

Malgré la bonne humeur ambiante, un sentiment de remords s’instilla en moi à cet instant. Je m’en voulais de ne pas leur avoir tout révélé.

Comment le prendraient-elles lorsque la vérité viendrait à se savoir ?

FIN ARC 1 – OLD NECROMANCER