Isekai Dakimakura – Arc 1 – Prologue

J’entrai dans ce petit village de quelques chaumières alors que le soleil se couchait. Le ciel au-dessus de ma tête était rosâtre.

Le village au nom inconnu était la définition-même de la simplicité. Je supposais que le monde des humains regorgeait de lieux du genre.

Personne n’avait pensé à mettre un panneau à l’entrée avec le nom, devais-je supposer que personne ne savait lire ?

Dans la rue principale… disons plutôt l’unique rue, je pouvais voir une dizaine de chaumières en bois et torchis. Malgré les années passées dans la forêt, l’idée de dormir dans l’une de ces maisons ne me motivait guère.

Il fallait dire qu’autrefois j’avais vécu sur Terre au XXIe siècle ; j’étais encore habituée à son confort. Il n’y avait rien de tout cela ici. S’il n’y avait pas eu de magie pour compenser la technologie, j’aurais vraiment eu du mal à trouver mes marques.

Car même si j’avais vécu plus de vingt ans sur Sikaris, — que les humains appelaient Varyavis—, j’avais toujours l’impression d’être une étrangère dans ce monde.

L’elfe que j’étais devenue devait avoir l’air d’une personne coquette aux yeux de tous ces humains bouseux.

On me regardait avec de grands yeux éberlués tandis que je me dirigeais vers la plus grande des maisons, la seule à avoir une palissade.

— Roaaaaa !

Mon ventre se mit à gargouiller alors que mes pieds foulaient les quelques dalles composant cette rue.

Je me demandais à cet instant s’il y avait eu un équivalent des vias romanae dans ce monde. Mon mentor, que je recherchais ne m’avait pas beaucoup parlé du monde des humains ; il s’était contenté de m’élever et de m’apprendre à me battre.

Je lui en étais très reconnaissante, mais il aurait pu m’apprendre des choses élémentaires tels que les us et coutumes des royaumes humains.

Car oui, les elfes avaient presque tous disparu de ce monde. Même mon mentor n’en connaissait pas les raisons. D’ailleurs lui aussi avait soudainement disparu, du jour au lendemain, sans rien me dire. Il n’avait eu de cesse de me répéter qu’une fois ma formation achevée, je devrais partir pour voler de mes ailes, mais c’était finalement lui qui s’en était allé.

Pourquoi s’était-il enfui ? Et où avait-il bien pu aller ?

Au seins de ces questions, je commençais à me demander si les elfes ne disparaissent pas naturellement avec l’âge. Imaginons une malédiction qui à l’âge de 666 ans, par exemple, — je n’ai aucune raison particulière de choisir ce nombre, évidemment—, les fait disparaître comme ça, « pouf ! ».

Ou alors était-ce lié à notre manière de mourir, tout simplement ?

Dans ce cas, pourquoi ne m’avait-il rien dit ? C’était stupide de sa part.

Quoi qu’il en fut, c’était en partie pour le retrouver que j’avais décidé de quitter la maisonnette de forêt où j’avais grandi et que j’arpentais à présent les routes.

C’était ainsi que je m’étais retrouvée dans ce village moisi, à être dévisagée par tous ces humains sales aux yeux bêtes.

J’avais des soupçons quant à ma sécurité : si je n’avais pas été armée, n’auraient-ils pas déjà essayé de me tuer ?

Impossible ! Pas avec ma malédiction !

Car oui, moi, Fiali Lunaphula, elfe de vingt-cinq ans…

Au fait, même si nous vivons très longtemps, du moins je le suppose, nous ne passons pas cinquante ans dans les couches de nos mères. Nous grandissons aussi vite que des humains mais notre croissance s’arrête plus tard. Mon maître qui était âgé de quelques siècles n’avait pas une seule ride, il était aussi pimpant qu’un jeune de vingt ans.

Bref, disais-je… Moi, Fiali Lunaphula je suis affligée de trois malédictions : la première, ma longévité. On a voulu me faire renaître sous les traits d’une elfe, ce n’est pas pour rien, ils sont réputés pour être presque immortels.

La seconde est la mémoire de mon ancienne vie. Cela aurait été plus simple de tout reprendre à zéro, mais… bah non ! Même joueur, joue encore ! Comme qui dirait.

Et la troisième est une sorte de charisme étrange que je dégage depuis que je suis née. J’ai une aura apaisante qui fait que globalement, il est difficile de m’en vouloir. Si un ennemi m’attaque, il me laissera sûrement pour morte, mais ne pensera pas à m’achever. Si j’adresse la parole à quelqu’un, en principe il sera bien attentionnée, au pire ronchon mais il est improbable qu’il soit juste agressif.

J’appelle ce pouvoir : « l’aura dakimakura ». La suite de mon récit saura expliquer l’origine de cette appellation.

Deux enfants prenant peur en entendant mon ventre gargouiller se cachèrent derrière leurs mères. Malgré la faim, je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire.

Mon maître m’avait bien appris à trouver des baies et des choses consommables en forêt mais… eh ! j’avais pas envie de perdre mon temps avec ça. La magie c’était quand même bien plus cool. Sauf que ça remplissait pas le ventre… enfin si, mais encore aurait-il fallu connaître des sorts particuliers tels ceux des adeptes du dieu de l’agriculture. Mais moi, je ne connaissais que la magie noire.

De toute manière, je ne savais même pas s’il existait un panthéon elfique, ou encore si les dieux humains accepteraient d’écouter mes éventuelles prières. Quoi qu’il en fut, je n’étais pas prête de les prier.

Autant dire, qu’il ne me restait que l’espoir de trouver à manger.

— Man…ger…

— Hein ?

L’homme devant moi fut plus surpris qu’apeuré lorsqu’il entendit ma voix fragile sortir de mes lèvres craquelées. Si j’avais été un orque, probablement qu’il aurait pensé que j’allais le dévorer vivant.

— A… manger… s’il… vous… plaît…

Dire que les premières paroles que j’échangeais avec des humains de ce monde étaient celles-là. Bien sûr, mon mentor m’avait appris la langue des royaumes humains, car ils avaient au moins cela de pratique ici : une langue pour tous les royaumes et quelques patois. Une chose impensable dans mon ancien monde. En dehors de mes leçons, je ne l’avais jamais pratiquée.

— Oh ? Tu sembles bien faible, ma petite. Viens, viens, je vais te remplir le ventre.

L’homme qui devait avoir la quarantaine m’invita à entrer. Il m’avait l’air un peu moins bourru que les autres paysans dans la rue, sûrement le chef du village.

De toute manière, je supposais que les humains de ce monde, comme les gens du Moyen-Age dans mon précédent monde, devaient être rares à vivre vieux. A la quarantaine, il avait déjà une certaine maturité.

Sans m’inquiéter, je le suivis à l’intérieur de la maison.

Une belle elfette comme moi aurait dû avoir toutes les peurs du monde, mais…

Aura de dakimakura !

Aussitôt à la porte refermée, l’homme se montra encore plus chaleureux. Il s’empressa de me donner à boire, de mettre à disposition du jambon fumé et du pain. Ce n’était pas le grand luxe, mais je n’allais pas faire la fine bouche.

— Mange autant que tu le voudras, jeune fille ! Ne te prive pas !

Considérant la décoration de la maison, je me rendais compte qu’il ne vivait pas quand même dans l’opulence, tout chef de village qu’il fût. C’était la fin de l’hiver, ce que je mangeais était sûrement ce qui restait des réserves.

Je décidai donc de ne pas abuser. Avec mon aura, il aurait sans nul doute accepté de tout me donner, mais bon ce n’était pas mon genre.

— Quelle tenue et quelle coiffure étonnante. Tu viens d’où ?

Suffisamment requinquée, j’acceptai de m’installer avec lui devant le feu de cheminée et de pris une tasse de thé.

Le thé japonais me manquait tellement !

Cette infusion n’avait réellement rien à voir ! Mais une fois de plus je me sentais débitrice, je n’allais pas faire de caprice non plus.

— Euh… je viens de la Grande Forêt.

— La Forêt des Maléfices ?

C’était ainsi que les humains l’appelaient ?

Après enquête, il s’avéra que tous les villages autour de la forêt l’appelaient par des noms du même style.

— Euh… oui…

— Ça a dû être difficile ! Il y a des monstres partout. Et il y a même des vieilles sorcières qui enlèvent des enfants, tu sais ?

— Euh, j’ai 25 ans.

Je supposais que l’homme n’était pas habitué à la physionomie des elfes, il devait me voir comme une fillette. D’autant plus que mes couettes me rajeunissaient.

Déjà dans ma précédente vie, j’en étais fan. Ma belle chevelure soyeuse et longue était si belle que je refusais tout autre coiffure. Détail amusant : même avant le retour de mes précédents souvenirs, je portais déjà des couettes. C’était mon mentor qui me les avait faites un jour et j’avais refusé de les quitter.

Le destin me guidait vers les couettes, j’en étais convaincue !

— Ah bon ? On ne dirait pas… tu fais si jeune.

Je préférais ne pas répondre. A ses yeux, j’étais une enfant.

— Tu t’appelles comment ?

— Fiali Lunaphula. Je suppose que vous êtes le chef de ce village, non ?

L’homme acquiesça.

— Rassurez-vous, je ne fais qu’une halte ici. Je vais vous échanger quelques provisions et je repartirais aussitôt.

— Tu peux rester habiter ici, si tu le souhaites. Il y a une maison vide justement.

— Ah euh… merci de la proposition, mais je suis à la recherche de quelqu’un, je ne peux pas rester.

— Je comprends. Mais accepte quand même notre hospitalité et passe donc la nuit chez moi.

A cette époque, je n’avais pas encore eu assez de contact avec les autres, je ne connaissais pas les limites de mon aura de dakimakura. Je savais juste être attirante de manière magique. Aussi, passer la nuit sous son toit me fit froid dans le dos.

Je savais me défendre, mais je n’avais pas réellement envie de le tuer. Et je n’avais pas envie du reste non plus.

Quand je parlais de malédiction, en voilà une des raisons.

Est-ce que je pouvais réellement me permettre de tuer des personnes attirées par moi contre leur gré, à cause de cette fichue malédiction de naissance ?

Cela ne me semblait pas juste, ce n’était en rien de leur faute. Enfin, un peu quand même… disons que tout attirés qu’ils fussent par moi, c’était quand même à eux de maîtriser leurs pulsions, mais bon, je préférais éviter ce genre de situations, tout simplement.

Au moins avec les monstres, les choses étaient plus simples : ils grognaient, chargeaient et n’étaient pas affectés par mon charisme.

— Euh, vraiment désolée ! Je suis pressée.

L’homme parut triste, mais n’insista pas plus.

— Accepte au moins que je remplisse ta besace.

— Merci infiniment ! Dis-je en m’inclinant.

Une vieille habitude du Japon. On s’en débarrassait pas si facilement.

L’homme me sourit et s’en alla ouvrir une crédence de laquelle il sortit du pain, une gourde d’eau, du fromage et des biscuits.

— Est-ce que cette pierre précieuse vous suffira ? Lui demandai-je en lui la présentant.

D’après mes estimations, il s’agissait d’un saphir brut. Je n’étais pas sûre qu’il sache quoi en faire. Je supposais que dans un village aussi simple, ils n’avaient pas de quoi le raffiner et, quand bien même, ils n’avaient pas de bijoutier. Mais je ne possédais pas de pièces des royaumes humains.

Les yeux de l’homme s’écarquillèrent.

— Il sait de quoi il s’agit ? pensai-je.

Il reprit son calme et objecta en secouant les mains devant lui.

— Merci mais c’est bien trop. Avec ce genre de choses, vous pouvez acheter plusieurs maisons dans le village…

— Elle a donc une telle valeur…

— C’est la première fois qu’un voyageur m’en propose une, confessa-t-il. Puis-je vous demander où vous l’avez trouvée ?

Tout amical qu’il fût, il était sensible aux richesses. Pour le protéger de sa propre cupidité, je préférais mentir un peu :

— C’est un cadeau de ma mère avant mon départ.

Si je lui avais dit qu’à quelques jours de marche à peine, dans la forêt, il y avait un petit lac où on pouvait les ramasser comme ça, pour sûr y serait-il allé. Mais l’endroit était loin d’être sûr, des monstres puissants y vivaient.

— Ah je vois. Je… je ne vais pas vous prendre un cadeau de votre mère.

— Vous pouvez, elle me les a donné pour pouvoir financer mon voyage.

Encore un mensonge.

— Sur ce, je vais vous laisser, brave homme. Une longue route m’attend.

L’homme refusa plusieurs fois mon paiement, mais, à son insu, je lui laissais la pierre sur la table de la cuisine.

Ce n’était que quelques denrées alimentaires, mais il m’avait sauvé la vie malgré tout.

Une fois dans la rue, il faisait nuit. Le ciel était étoilé et la lune formait un croissant des plus beaux.

— Je ne devrais pas vous laisser partir comme ça… En pleine nuit en plus…

— Je sais me défendre, rassurez-vous, dis-je en tapotant l’épée longue à mon côté. Puis, la nuit est mon domaine.

Son manque de surprise m’indiqua qu’il avait remarqué l’éclat de mes yeux violets. En pleine nuit, à l’instar des chiens et des chats, ils devenaient brillants. Et pour cause, nous autres elfes disposions de la capacité de nyctalopie.

Il fut plus fasciné qu’effrayé une fois de plus.

Je le saluai de la main, puis après quelques pas je fis volte-face.

— Au fait, par quel côté se trouve la capitale, Ferditoris ?

L’homme pencha la tête de côté et répéta :

— Ferditoris ?

— Oui, la capitale du royaume occidental d’Hotzwald s’appelle bien comme ça, non ?

J’avais supposé qu’il était trop peu instruit pour en connaître le nom, mais…

— Nous sommes ici dans le royaume oriental.

— Hein ?! Je me suis encore trompée ?!

Les épaules basses, constatant que pas plus que dans mon ancienne vie je n’avais de sens de l’orientation, je repris la route qui menait à la Grande Forêt en vue de la traverser.

***

Traverser la Grande Forêt n’était pas une mince affaire. Mais pas du tout même !

Il m’avait fallu des semaines pour en sortir et finalement j’avais fait fausse route… Je me déteste parfois…

Si cette forêt avait été désigné comme « grande », ce n’était pas pour rien. Cela dit, des termes comme « interminable » ou « gigantesque » auraient été sûrement plus corrects pour rendre justice à ses dimensions folles. Je n’avais jamais vu de carte du monde, je n’étais même pas sûre qu’une telle chose existât dans ce monde-ci, mais j’estimais que c’était un peu la forêt amazonienne de ce continent. Elle avait la taille d’un royaume entier.

Mais pouvait-on se fier à l’avis de quelqu’un sans le moindre sens de l’orientation ?

Pour moi, l’orientation était encore plus difficile à l’intérieur des zones sauvages : tout s’y ressemblait ! Un arbre ressemble à un arbre, je ne voyais pas les différences. Par contre, dans les villes de mon ancien monde, il y avait des numéros et des noms de rues, cela facilitait grandement la tâche aux personnes de mon genre.

Dire que mon mentor était capable de trouver si facilement son chemin dans cette forêt. Il avait bien plus l’air que moi d’un véritable elfe.

Quoi qu’il en fût, je n’avais pas l’intention de passer des mois dans cet endroit et, par chance, je connaissais un raccourci. La Grande Forêt était pleine de « chemin de traverses », des passages magiques laissés par les fées et qui la reliaient de toute part. En principe, seules ces dernières pouvaient les emprunter, mais il s’avérait que nous autres elfes disposions des même avantages.

En trouver n’était pas chose aisée de base, mais ce qui l’était par contre davantage c’était de trouver une fée des bois telle une nymphe, une dryade ou pixies.

Contrairement aux humains qui entraient en ce lieu, ma présence n’était pas malvenue. Les fées ne me fuyaient pas.

Dans mon cas, impossible de dire si c’était en raison de mes origines elfiques ou bien de mon aura dakimakura. Au fond, j’avais toujours vécu dans ce lieu en me faisant aider, par mon mentor principalement mais à l’occasion par des créatures des bois.

Bien sûr, après toutes ces années, j’avais appris quelques astuces pour reconnaître les plantes mangeables ou toxiques, mais la nature n’était vraiment pas mon fort. Je rêvais parfois de retrouver les gratte-ciels de mon lointain Japon.

Parfois, je me demandais si mon mentor n’était pas en réalité un elfe des bois au lieu d’un haut-elfe comme moi. Sa peau était d’une teinte différente, plus tannée et plus épaisse, rien à voir avec ma blancheur d’albâtre qui permettait de distinguer mes veines.

— Petites fées ? Vous êtes là ? demandais-je en avançant dans les bois sombres.

La plupart des fées étaient des créatures nocturnes également, même à cette heure j’étais persuadée d’en trouver. Mais aucune réponse ne se fit entendre.

Étaient-elles timides ?

Le plus probable était sûrement qu’elles n’étaient pas dans ce coin trop proche de l’orée de la forêt. Ayant subi jadis la discrimination des humains, elles avaient tendance à se cacher d’eux. C’était probablement peine perdue de continuer à les appeler.

Ma bouche s’ouvrit d’elle-même et je bâillai.

La fatigue m’envahissait, mes jambes étaient lourdes et mes pas mal assurés.

— Il vaut s’arrêter là pour aujourd’hui, dis-je en inspectant les environs.

Des arbres. A perte de vue.

Ils étaient si hauts et si rapprochés qu’on ne pouvait voir le ciel. Même en journée, il faisait toujours sombre dans cette forêt. Peut-être que la capacité de vision nocturne des créatures qui l’habitaient n’est qu’une adaptation à cet environnement naturellement obscur.

En me rapprochant d’un rocher, je dégageais le sol des nombreuses branches.

Camper à même le sol, une activité que je n’aimais guère. Ce n’était pas du tout confortable et on se réveillait avec mal au dos. Sans compter tous les insectes qui grouillaient…

Mais j’avais le sort pour la situation !

« Abri ! »

En joignant mes mains puis en les séparant lentement, une petite sphère d’énergie bleutée apparut et commença à s’étendre autour de moi pour former un dôme.

En principe, j’aurais pu construire un abri bien plus grand pour accueillir pas mal de personnes, mais je préférais en réduire le diamètre pour diverses raisons : un petit dôme attirait moins l’attention qu’une grande coupole et moins elle occupait d’espace, moins j’emprisonne d’insectes à l’intérieur.

La sphère était tangible, mais il était impossible de la traverser par autre chose que de la magie ou la force brute. Les insectes, les feuilles, la pluie ou la neige se bloquaient dessus en la heurtant. Un peu comme un mur.

Du coup, ce qui était dedans ne pouvait plus sortir. C’est pourquoi, comme toujours, j’inspectais rapidement les environs et ne trouvai aucun autre résident.

Suite à quoi, je décidai de lancer un nouveau sortilège.

« Domestique ! »

Une petite créature composée de lumière et ressemblant à un lutin apparut. Il s’agissait d’une sorte de manifestation astrale, ce n’était pas réellement un être vivant mais une représentation de la magie.

— Prépare-moi un endroit pour dormir, lui dis-je.

Immédiatement, le domestique magique se mit à passer le balais au sol pour déblayer les feuilles et les pierres, lissant le terrain pour en faire une couche parfaitement plate.

Je bâillais à répétition en attendant qu’il finît. Accroupie, je manquais de m’écrouler quelques fois.

A peine disparut-il que je me couchai au sol :

— Bonne nuit…

Une fois encore, je m’endormis en me roulant en boule. Ma dernière pensée avant de fermer les yeux alla au sac de couchage que je n’avais pas amené pour ne pas encombré mes petits bras.

— Avec un sac magique, peut-être…

***

Le lendemain matin, après m’être débarrassée de mes courbatures, je pris un rapide petit-déjeuner avec le pain reçu au village.

Pendant ce temps, mon sort de « Toilettage » faisait son travail, comme d’habitude. C’était un sort très pratique qui permettait de coiffer magiquement mes cheveux, de me nettoyer et même de recoudre des accrocs dans mes vêtements. Un indispensable pour tout mage aventurier.

Bien sûr, même s’il nettoyait le corps et les vêtements, il était recommandé de prendre des bains malgré tout, au moins pour le côté relaxant.

Mais à l’aventure, ce sort était ultime !

Le seul défaut était qu’il prenait un peu de temps. Lorsque je repartis, il n’avait pas encore fini dépoussiérer mes vêtements mais, puisqu’il ne demandait qu’une faible concentration, il m’était possible de le laisser continuer son activité tout en marchant.

Même sans technologie, la magie compensait le manque de confort d’un monde médiévalisant.

Pauvres humains qui vivaient sans magie. Seuls les nobles disposaient du potentiel magique, d’après ce que m’avait expliqué mon mentor. Les roturiers pouvaient s’adonner à la prêtrise, mais en aucun cas à la magie noire.

— Je me demande si c’est une question de gènes ou une interdiction de la part des nobles, dis-je en bâillant et en continuant ma route.

Ma réflexion ne tarda pas à être arrêtée par des bruits que j’entendis au loin.

— Trois cent mètres ? me demandai-je. Moins…

Je me décidai à utiliser la technique ancestrale de mon mentor, je posai l’oreille au sol pour entendre clairement les vibrations.

Grâce à mes sens surdéveloppés d’elfe, je me rendis rapidement compte que les ondes qui se répandaient appartenaient à une seule créature et qu’elle était imposante. Quelques centaines de kilos, sûrement.

J’avais déjà ma petite idée de ce qui s’approchait.

— Fuir ? Ou bien…

J’esquissai un bref sourire. Ce que j’avais le mieux appris de mon mentor était le combat.

Il s’agissait sûrement d’un géant bicéphale, une réelle plaie pour les créatures de la forêt. Cette variété de géant était stupide comme ses pieds, détruisait un peu tout ce qu’il trouvait et attaquait à vue.

L’éliminer rendrait service à tout le monde.

Posant ma main sur poitrine, je concentrai les énergies magiques pour établir une protection magique. Une aura magique se mit à briller autour de moi, elle détournerait un peu les coups.

Puis, je tirai mon épée longue elfique de son fourreau avant de me mettre en position.

Il ne me fallut pas attendre longtemps pour voir surgir un géant d’environ cinq mètres de haut, avec deux têtes. Il était presque nu, portant un simple pagne et traînant derrière lui tronc d’arbre.

Les géants bicéphales avaient l’air dangereux mais en vrai… Ouais, OK, ils l’était assurément, mais ce n’était pas la première fois que j’en affrontais un.

Tendant ma main gauche, je composais les gestes nécessaires à ma magie :

« Ô flammes écarlates, dansez et calcinez mon ennemi ! Shalysith – Purple flames ! »

Autour de mon bras se mit à tourner une langue de flammes rouges vives. Puis, prenant la forme d’une sorte d’oiseau, elle s’en alla frapper le géant.

L’attaque le toucha en pleine poitrine et créa une explosion qui le repoussa en arrière.

Il vacilla un bref instant. Un seul sortilège n’allait pas le tuer, évidemment. Mais je n’en avais pas encore fini.

Je me précipitais sur lui en me préparant à canaliser un sortilège dans ma lame. C’était ma spécialité.

Ce n’était apparemment pas une capacité commune dans ce monde, mais un vieux secret des elfes.

Ceux qui étaient capables d’utiliser leur arme comme vecteur pour leur sorts étaient appelés dans notre langue les « Ker’lyath », ce qui se traduirait dans celle des hommes par « Danseurs d’épée arcaniste » ou encore « lames magiques », mais je préfère le premier.

Trois, deux, un…

J’accélérai soudain en voyant la massue informe du géant tomber sur moi. Esquiver un tronc d’arbre était impossible, sauf en passant sous son bras, ce qui voulait dire aller de l’avant.

Le coup me rata, mais mon épée se teinta d’énergie noire et s’enfonça dans son tibia.

C’était la magie des ténèbres, une des deux branches de magie que je maîtrisais.

Il y avait en tout huit branches de magie noire : les quatre classiques air, feu, terre et air, plus électricité, glace, lumière et ombre.

Au sein de la branche des ombres, il existait deux sous-branches : celle de la magie offensive, les ténèbres, et celle de la magie de discrétion, les ombres. Les illusions et l’invisibilité, par exemple, révélaient de la branche de magie des ombres.

Lorsqu’on parlait de ténébromancien, on parlait de personnes maîtrisant celle des ténèbres. En général, les ténébromanciens étaient également capables d’utiliser la branche des ombres, même si ce n’était pas leur point fort.

Dans mon cas, j’avais refusé de l’apprendre, c’était une magie sans panache visant à tromper les sens de ses ennemis. Je n’étais intéressée que par une magie franche et destructive.

Aussi, ma magie offensive se divisait entre le feu, dont les effets de zone étaient dévastateurs, et les ténèbres qui avaient plus de sorts ciblés. Sans entrer dans les détails, il y avait nombre d’applications à ces types de magies.

Malgré la dureté de son os, la magie des ténèbres était des plus destructrices, elle m’avait permis d’enfoncer ma lame sans problème.

Je pris aussitôt appui sur le pommeau de mon épée et je m’élançais dans les airs en concentrant ma magie.

Je rebondis sur le genou du géant et arrivai encore plus haut.

Puis…

« Venus des enfers obscurs, torrents de flammes abyssales, réduisez le monde en cendres ! Ver’vyal – Fire Destruction ! »

La décharge de flammes que je libérai à bout portant était telle que mon ennemi fut enveloppé du torse à la tête. Les flammes disparurent quelques secondes plus tard à peine, laissant un géant à demi-carbonisé qui tomba en arrière.

Je posai le pied au sol en me rattrapant adroitement et, d’un élégant mouvement de la main, je repoussai une de mes couettes en arrière.

— La classe…, dis-je fière de moi.

J’avais veillé à ne pas utiliser de sorts de feu à effet continu afin de ne pas incendier la forêt. Contrairement aux fictions que je connaissais, le bois ne brûlait pas instantanément. Si le sort de feu était trop intense, il était carbonisé d’un coup, mais ce qui lançait les incendies étaient des coups de chaleur de longue durée.

De toute manière, ce n’était pas les arbres que je visais, mais le géant et ayant tiré à bout portant, il n’y avait que lui qui en avait été victime.

Je m’approchais pour récupérer mon épée.

A peine retirée de la jambe, alors que j’allais m’empresser de lancer un sortilège de « Toilettage » pour l’essayer, je me rendis compte que mon adversaire bougeait encore.

C’était juste à temps d’ailleurs. Je fis apparaître un bouclier magique à la hâte, un autre sort de défense dans mon arsenal magique. Il bloqua son coup de poing surprise, mais je fus repoussée en arrière de quelques mètres. Je me rattrapai adroitement sans subir le moindre impact.

— T’es robuste, toi. Dans ce cas…

Rengainant mon épée, je me préparai à lancer un puissant sortilège de ténèbres plus puissant lorsqu’il s’écroula en avant.

J’attendis un instant, il ne bougeait plus cette fois. Je n’entendais plus son souffle. Sa poitrine ne bougeait pas non plus.

Dommage pour lui, j’avais essayé de rendre sa mort rapide et sans douleur, mais il s’était relevé.

Fort de ce petit échauffement matinal, je repris la route.

***

Quelques heures plus tard, à proximité d’un petit lac, je décidai de faire une pause.

Puis, qui disait lac disait…

— Oh, une nymphe !

Les nymphes étaient parmi les fées les plus humaines et les plus belles. Prenant généralement la forme d’une magnifique femme nue ou couverte de soieries fines, elle faisait perdre la raison à la plupart des hommes.

Mais une fois encore, j’étais une elfe.

— Oh là oh là ? Ne serait-ce pas une charmante elfe que voilà ?

— Bonjour, je me nomme Fiali Lunaphula. Enchantée de faire votre connaissance.

— Je me nomme Ela. Ravie de te rencontrer.

La nymphe sortit du lac et s’assit sur un rocher en bordure. Elle m’invita de la main à la rejoindre.

Dans les contes que je connaissais de mon ancienne vie, les nymphes étaient de redoutables tentatrices qui rendaient fous et noyaient les membres du sexe masculin. Elles ignoraient en général les femmes.

Parmi les fées, elles faisaient partie de celles ayant une très forte affinité avec l’élément « eau ». En principe, elles étaient mon opposé, étant donné que j’étais une « pyromancienne ».

Mais je n’avais pas peur. Elle m’avait adressé la parole au lieu de m’ignorer, c’était bon signe. Cela voulait dire que l’aura dakimakura aurait un effet sur elle. Impossible qu’elle veuille me tuer après avoir engager la conversation.

Je m’approchais plutôt confiante. J’étais sûre qu’elle devait connaître au moins un chemin de traverse dans le coin.

— Je suis à la recherche d’un…

Elle ne me laissa pas finir ma phrase. Elle m’attrapa par les poignets et m’attira à elle avec vivacité.

Sans comprendre, je me retrouvais dans ses bras.

— Quelle elfe mignonne à croquer ! Kyaaaaaaaa !

Les effets indésirables de mon aura : les voici.

J’aurais pu essayer de me dégager mais cela me paraissait inutile. Elle n’allait pas me faire de mal… quoi qu’elle aurait pu m’emporter dans le lac pour m’enlacer et ainsi me noyer involontairement… Mais il y avait moins de risques si je me laissais faire.

Puis… j’avais un peu honte mais c’était confortable. Son étreinte mettait immédiatement en confiance, je ressentais un peu la chaleur maternelle que je n’avais pas connue dans ce monde-ci.

Je n’avais pas de fétichisme sur les seins, pas même dans ma précédente vie, mais son contact était vraiment apaisant. En quelques instants, j’oubliais mes tracas et ma fatigue disparut.

Je n’opposais donc aucune résistance et la laissait m’utiliser comme une poupée. La comparaison n’était pas exagérée.

Lorsqu’elle se lassa de m’enlacer, elle m’inspecta sous toutes les coutures, passant ses mains dans mes cheveux, me caressant les joues et jetant même un coup d’œil à l’intérieur de ma tunique. C’est lorsqu’elle décida de voir ce qu’il y avait sous ma jupe que je l’arrêtai.

— Euh… je pense que vous m’avez assez inspectée, non ?

— Oh, désolée, je me suis laissée emportée. Hohoho !

Nul doute que c’était encore un effet de l’aura. Toutefois, sa personnalité de base devait être plutôt… amicale, je supposais. L’aura ne modifiait pas le caractère de ses victimes, elle les rendait simplement bien disposés.

— Je cherche un chemin de traverse, lui dis-je en évitant de regarder autre chose que ses yeux.

Elle n’était pas nue, mais la soie mouillée collée à sa peau était d’autant plus suggestive et érotique que si elle l’avait été.

— Ah bon ? Vous ne préféreriez pas rester avec moi un peu ?

Son regard implorant aurait pu faire chavirer n’importe qui. Quelle redoutable adversaire !

— Juste un peu alors…

— Youpi !!

Et c’était ainsi que je finis par installer ma maison à côté du lac et que je vécus des jours heureux avec Ela pendant les siècles qui suivirent…

L’histoire aurait pu réellement se finir ainsi en vrai.

Le mental des haut-elfes était plus fort que les autres créatures, surtout face à la magie de charme. Cela dit, dans son cas elle n’avait nul besoin de magie pour séduire. Elle était l’incarnation de la beauté.

Une fois installée à côté d’elle, elle me demanda l’autorisation de me coiffer.

Quelle erreur ce fut de l’y autoriser !

Elle défit mes couettes et passa ses doigts dans mes cheveux.

Aaaaahh ! Des frissons parcoururent toute ma tête, j’en avais les larmes aux yeux tellement c’était bon.

Le cuir chevelu est plus sensible qu’on ne le pense, lorsqu’une main étrangère le touche, une puissante réaction se dégage. Je pense que seuls ceux n’ayant pas de longs cheveux ignorent ce dont je parle.

Une chose en entraînant une autre, elle me bascula en arrière et posa ma tête sur ses cuisses.

Son sourire apaisant, ses cuisses molletonnées et son odeur enivrante me firent bientôt plonger dans le sommeil.

Lorsque je me réveillais le soir était déjà arrivé. Elle m’avait allongée contre elle et me caressait. Rien d’obscène, j’étais réellement devenue sa poupée.

Elle ne remarqua pas de suite que mes yeux s’étaient ouverts. Elle chantait d’une voix paradisiaque.

Plus que jamais, je me demandais si je n’allais pas être prisonnière de son charme et me laisser dorloter le restant de ma vie.

Au fond, j’avais suffisamment souffert dans mon ancienne vie, à être toujours seule et pleine de doutes. La vie m’avait toujours paru chose difficile : les relations sociales étaient compliquées, trouver sa place était pénible et au final trouver le bonheur impossible.

Rester là, au bord de ce lac, à écouter les chants d’Ela et me laisser bercer par ses caresses, n’était-il pas le bonheur simple auquel j’aspirais ?

Mais mes pensées rationnelles ressurgirent soudain et me rappelèrent que rien n’était éternel.

Combien de temps est-ce que je serais satisfaite de ce mode de vie ?

Qui mourrait la première : moi ou elle ?

Que se passerait-il ensuite ?

Dans ma prochaine vie, ne me faudrait-il pas tout recommencer encore une fois ? Qu’est-ce qui m’attendrait la prochaine fois d’ailleurs ?

Ces angoisses finirent par noircir mon cœur. Une fois de plus.

Rien n’était éternel et surtout pas le bonheur, me dis-je. Ce n’était pas la solution que j’attendais mais juste une illusion fort agréable.

Je décidai de rester sa « captive » jusqu’à l’aube, puis de repartir.

Elle m’offrit du poisson pour m’alimenter et de l’eau d’une pureté et d’une fraîcheur comme je n’en avais jamais connu.

Si je n’avais pas rassemblé toute ma force de volonté, cette histoire aurait pu s’arrêter là.

Contre toute-attente, elle fut très compréhensive et accepta de me laisser partir.

Elle était curieuse et affectueuse, mais pas suffisamment possessive pour me garder accrocher à elle. Je craignais le moment où je tomberais sur ce genre de profil, néanmoins.

— Tu es sûre de vouloir partir ?

— Je le dois. Mon mentor a disparu.

— Lorsque tu l’auras retrouvé, reviens me voir. Je t’accepterai toujours à mes côtés.

Elle m’enlaça une fois de plus, puis posa un long baiser sur mon front.

Je devins rouge et j’entendis mon cœur accélérer.

C’est en titubant que je m’éloignais en direction de l’arbre qu’elle m’avait indiqué. Elle me salua de la main comme une jeune mariée ayant donné sa bénédiction à son mari et certaine de le voir revenir au soir.

Par égard pour les fées et leurs secrets, je ne parlerais pas du chemin de traverse.

Lorsque je ressortis de ce dernier, j’avais parcouru toute la forêt et bientôt je quittais la frondaison des arbres pour les vastes prairies du royaume occidental d’Hotzwald.

J’espérais ne pas m’être trompée, cette fois.

Lire la suite – Arc 1 – Chapitre 1