Isekai Dakimakura – Arc 2 – Chapitre 1

Quelques jours s’étaient écoulés.

À l’horizon se profilaient de hautes montagnes escarpés avec peu de végétation, tandis que dans le ciel des nuages épars me laissaient à penser qu’on aurait de la pluie dans les prochains temps.

Si mon mentor avait été de la partie, il aurait sûrement pu le confirmer… et m’aurait réprimandé de ne pas être capable de comprendre les avertissements de la nature toute seule.

— La route pour Moroa est encore loin ? demandai-je.

— C’est dans les montagnes, non ? me répondit Mysty.

— En ville, on nous a dit que c’était perché à flanc de montagne, la corrigea Tyesphaine.

— Bah, on doit être dans la bonne direction alors…

— Je ne vois pas de village sur ce flanc de la montagne, dis-je en plissant les yeux et en cherchant attentivement.

Les filles tentèrent de faire de même, mais aucun doute qu’elles ne pussent voir les mêmes détails que moi. J’avais vécu en tant qu’être humain, je connaissais les limites de leur sens.

— Du coup, c’est pas bon ? demanda Mysty.

— Qu’en sais-je ? Je disais juste que je ne vois pas de ville ou village sur ce flanc.

— Il pourrait en avoir derrière ce pic, par exemple, dit Tyesphaine en désignant une zone du doigt. Même ta vue ne verrait pas à travers, non ?

— Bien sûr que non.

— Je vois même pas pourquoi vous vous posez ces questions au juste, intervint Naeviah. L’aventure c’est d’aller au hasard et trouver les bonnes choses.

— Enfin là, on cherche quelque chose de spécifique, lui fis-je remarquer. Ce n’est pas comme si on partait à l’aventure réellement.

— Tu ne comprends pas la poésie de l’aventure, Fiali. Pfff !

Je préférais ne pas répondre à cette déclaration.

— N’empêche, nous aurions pu demander notre route au précédent village, fit remarquer Tyesphaine.

Involontairement, nous nous retournâmes en direction du village que nous avions quitté quelques heures auparavant.

— C’est vrai…

— Bah, on va pas y retourner, si ? demanda Mysty.

— Tsss ! Racontez pas des choses absurdes ! Qui s’abaisserait à demander son chemin au juste ?

Je ne comprenais toujours pas d’où lui venait cette fierté envers son manque d’orientation. Je me hasardais à lui demander une fois de plus :

— Tu aimes tellement que ça te perdre ?

— Je te l’ai déjà expliqué, Fiali. Le manque d’orientation c’est du prestige ! Je ne suis pas un chien de chasse ou un de ces barbu de druides. Le monde n’indique pas le chemin sur des panneaux. C’est la volonté des dieux que nous l’explorions à notre rythme. Se perdre est un concept désuet, il faut juste accepter l’endroit où on arrive.

Je ne savais si être impressionnée ou scandalisée par cette explication. Dans le doute, je me contentais de la scruter pour déterminer sa sincérité. Elle l’était assurément.

— J’ai toujours vécu ça à l’inverse. J’arrête pas de me perdre et d’arriver en retard…

— Tu ne vivais pas dans une forêt avec ton mentor ? C’était si important que ça être à l’heure ?

J’avais fait une erreur. En effet, dans cette vie, je n’avais jamais eu de tels impératifs, c’était dans mon ancienne vie où j’avais raté des occasions en arrivant trop tard, faute de trouver mon chemin.

Il me fallait inventer un truc…

— Ne pas arriver où on souhaite est désagréable, dit Tyesphaine. Je comprends Fiali, tu es sûrement la seule à pouvoir pensée ainsi, dame Naeviah.

— Dame Naeviah ?

— Euh… excusez… excuse-moi…

Tyesphaine afficha une expression gênée et baissa le regard. Je n’avais pas bien compris ce qui venait de se passer, mais cela m’arrangeait bien. Elle avait fait diversion, Naeviah n’était plus tout concentrée sur le précédent sujet.

— Bah pour le coup, t’as dit que c’était pas pressé, Fiali, donc je rejoins Nae. Allons voir dans les montagnes et si on s’est plantée on fera demi-tour. C’est pas compliqué.

Naeviah ne dit mot mais la désigna de la main comme pour nous dire d’écouter sagement Mysty.

— Quoi qu’il en soit, trouvons un endroit pour faire une pause et manger et nous verrons ce que ces montagnes nous réservent demain.

Considérant la distance et le temps à notre disposition avant le coucher du soleil, en effet, je ne pensais pas que nous puissions y arriver dans la journée.

Aucune n’objecta ma proposition. Nous continuâmes quelques heures encore jusqu’à trouver les ruines d’une maison ou d’une tour. Il ne restait que deux murs formant un angle et des tas de pierres recouvertes par la végétation.

Le vent s’était levé et les nuages avaient commencé à se faire plus nombreux. À quelque part, mon âme japonaise rapprochait ce ciel de celui qui précédant les typhons et il s’avéra que j’avais raison.

À peine fini de manger l’étrange mais délicieuse bouillasse de Mysty, qui était devenu notre plat adoré du moment, — nous l’avions sollicitée à nous préparer la même chose depuis quelques jours— , les premières gouttes de pluie commencèrent à tomber.

— Ah zut ! On a pas de tentes pour s’abriter, dit Mysty.

— Nous… nous sommes à découvert dans cette plaine…, ajouta Tyesphaine qui cherchait un abri.

Autour de nous, il faisait sombre. La pluie commençait à peine, juste quelques gouttes, mais cela ressemblait au début d’un orage.

C’était une plaine d’herbe éparse, il n’y avait pas de dense végétation et le sol était caillouteux.

Je me demandais si, comme dans les fictions que je regardais, l’une de mes collègues était du genre à avoir peu de la foudre, lorsque je sentis les mains de Naeviah m’attraper sous les aisselles et me positionner de force devant les deux autres filles.

Elle avait déjà peur ?

— Mesdames, je vous présente notre tente ! dit Naeviah sur le ton de la plaisanterie. C’est un modèle particulier à oreilles pointues. Qu’en dites-vous ? Vous voulez l’acheter ?

— Eh oh ! Je ne suis pas à vendre !

— Tais-toi, tente elfique avec option perversion.

— Tu devrais arrêter avec ça. Tu vas finir par le penser vraiment…

— Et j’aurais raison de le penser après ce qui est arrivé.

Je soupirai. C’était encore trop tôt pour la raisonner que je n’avais rien fait de mal. Au fond, j’aurais pu dire la même chose qu’elle : c’était elle qui m’avait obligé à plonger dans le tonneau alors que j’étais paralysée.

Mais au fond, cela ne me dérangeait pas qu’elle m’appelât de la sorte. C’était sûrement à cause de mon ancienne culture otaku, je n’arrivais pas à associer ce mot à quelque chose de si insultant… surtout lorsque c’était une tsundere qui l’utilisait.

Au fond, n’était-ce pas comme si elle avait dit « mon amie » dans son langage ?

« Ce n’est pas comme si je t’aimais ou quoi que ce soit ! Mpfff ! », voulait dire en vrai : « je t’aime ». Donc suivant la même logique, « perverse » voulait dire « ma pote ». C’était une traduction logique.

— En tout cas, c’est pas très sympa de m’associer à un objet. Je ne suis pas une tente.

— Non, tu es mieux que ça. Tu es multifonction. Tu peux faire du nettoyage, servir de tente, dire des choses idiotes et même faire de la magie pour brûler les tas de feuilles au fond du jardin.

Je me retournais en plissant les yeux. Cela devenait de plus en plus insultant. J’étais quoi à ses yeux au juste ?

Ce faisant, je me rendis compte que nous étions vraiment très proches. Elle rougit et recula de quelques pas.

— Haha ! Moi j’veux bien l’acheter ! En plus, elle tient chaud la nuit. Quel prix ?

Mysty entra dans la plaisanterie, bien sûr.

— Tu vas pas t’y mettre aussi, Mysty…

Je détournai les yeux de Naeviah et observait celle qui venait de proposer mon achat et qui m’avait relégué au rang de couverture (dakimakura). Elle afficha un large sourire avant de me toucher le bout du nez de son doigt.

— En plus, tu es trop chou. Hiiii !

Mais, un peu plus loin, quelqu’un avait pris cette plaisanterie un peu trop au sérieux :

— Ache…ter… Fiali ? Oh la ! Qu’est-ce que j’imagine ? C’est… Aaaahhhh !

Tyesphaine chuchota ces paroles que moi seule put entendre.

Elle partait encore dans son monde. Elle se mit les mains sur ses joues et rougit comme si quelque chose de scandaleux se produisait sous ses yeux.

Finalement, lorsque elle reprit son calme :

— C’est… cruel de vouloir la vendre… Fiali est un être vivant… pas un esclave…

— À la bonne heure !

— Haha ! Qui a parlé d’esclave ?

Mysty me serra dans ses bras comme une peluche, ce qui fit brièvement sursauter Tyesphaine.

— T’es toujours du côté de l’autre perverse…, fit remarquer Naeviah en plissant les yeux et en dévisageant Tyesphaine. Je commence à me demander si t’en es pas une aussi, en vrai. Qui se ressemble s’assemble, non ?

— S’assemb… Kyaaaaa !

Tyesphaine rougit de plus belle et poussa même un petit cri adorable avant de s’accroupir et de se cacher le visage.

— C’était une plaisanterie, mais vu la manière dont tu le prends, c’est suspect, dit Naeviah les mains sur les hanches. Et toi, l’elfe tente-couverture ! Tu vas nous laisser sous la pluie longtemps ? Tu vas le lancer ton sort d’Abri magique ?

Je soupirai et lançai mon sort.

Rapidement le dôme magique apparut autour de nous et la pluie qui s’intensifiait vint s’écraser dessus.

— En tout cas, je remarque que tu connais bien mes pouvoirs…

— Bien sûr, tu me prends pour qui ? J’ai bien observé ce que tu faisais.

— Oh ? Je pensais que j’étais une perverse et pourtant tu me reluques comme une stalkeuse ? dis-je en plissant les yeux pour me montrer provocante.

Néanmoins…

— Stockeuse ? C’est quoi ce mot ? Encore un terme elfique ?

— Euh oui, c’est de l’elfique. Oublie ça, je voulais dire que t’es une sorte d’espionne. Haha !

Je me rendis compte à cet instant que c’était le deuxième fois que je faisais une erreur. Je me relâchais beaucoup trop.

Elles savaient que j’étais une elfe mais mon véritable secret résidait encore bien plus loin.

Bien sûr, depuis que nous voyagions ensemble j’avais pensé quelques fois à l’éventualité de leur révéler que je venais d’un autre monde… enfin, que je m’étais réincarnée avec la mémoire de ma précédente vie, mais, outre le fait que je me doutais qu’elles ne me croiraient pas, j’avais un problème éthique à le leur révéler.

Un être vivant ne doit pas savoir ce qu’il y a après la mort. Cette connaissance m’avait traumatisée, je ne voulais pas que d’autres le soient également. Savoir que la mort n’est pas une fin change notre perception de la vie, d’une manière ou d’une autre.

J’étais donc décidée à ne jamais leur révéler cet horrible secret, jamais leur révéler que les dieux jouaient littéralement avec nos existences.

— T’espionner ? Tu fais tout devant mon regard, il suffit d’avoir un peu de mémoire.

— En tout cas, c’est super pratique, dit Mysty. Regardez, dehors c’est l’averse et ici on pourrait être nue qu’on sentirait pas une seule goutte ! La magie c’est vraiment classe en fait ! J’aimerais trop en avoir aussi.

— J’espère que ce n’était qu’une image et que tu vas garder tes vêtements, espèce d’exhibitionniste.

— Hahaha ! C’était une façon de dire, Nae ! T’es trop à cran tout le temps !

Tyesphaine se laissa tomber à terre. C’était sûrement trop de paroles suggestives pour ses chastes oreilles…

— Oui, c’est compliqué au début, mais c’est très pratique, dis-je.

— Ça fait quoi de lancer un sort ? Tu ressens des « gzzgzzt » ou alors « pchaachaa » ?

— C’est quoi cette question bizarre ? T’as pas de meilleurs mots pour demander ça ?

— Désolée, Nae.

En soi, cette question me faisait rire. En effet, pour les gens normaux la magie était encore plus mystérieuse que mon espèce.

Avant de venir à Varyavis j’aurais été incapable d’expliquer ce que cela faisait.

— C’est indescriptible… une sensation à part…, expliquai-je comme si je parlais à mon ancienne moi. C’est un peu comme exprimer le monde par des mots et à la fois ressentir chaque engrenage de toutes choses.

— J’ai rien pigé…

— Ah ? Encore un mot elfique ? « Crénage » ?

— Désolée, c’est pas très clair. Disons, pour faire simple, que c’est euphorique. On sent la puissance monter en soi. On pourrait s’y perdre parfois, au point de laisser notre esprit nous échapper. En tout cas, je le vis comme ça.

— Un peu comme le sexe ?

Tyesphaine agonisait au sol. J’avais pitié d’elle.

— C’est… sûrement différent. Je ne peux pas répondre… Et si on dégageait toutes ces pierres pour avoir un terrain plus plat où dormir ?

Mes deux interlocutrices me jetèrent des regards interrogateurs étranges. Je ne comprenais pas sur le coup, mais Naeviah marmonna dans sa barbe :

— Vierge… ?

Bien sûr que je l’étais !

Qu’est-ce qu’elle imaginait de moi, au juste ?!

J’étais choquée, je pensais qu’elle plaisantait en me traitant de « perverse » mais peut-être que j’avais eu tort de la laisser faire !

Tyesphaine se calma un peu et se releva comme si de rien n’était.

— Je… je peux comprendre, c’est… un peu pareil avec la magie des dieux. On les sent à côté de nous, il nous caressent le visage et nous offrent leur force.

— Non, perverse numéro 2, c’est pas vraiment pareil que ce qu’elle vient d’expliquer. Nous recevons cette puissance d’ailleurs, elle c’est comme si elle la faisait sortir d’elle-même et se complaisait de sa propre puissance. Pas du tout pareil, tu sais ?

— Perverse 2 ?

Une fois encore, je m’étonnais des capacités d’analyse de Naeviah. Elle comprenait rapidement et allait parfois au-delà de mes explications. J’étais aussi contente qu’infortunée de l’avoir à mes côtés ; ce serait difficile de garder des secrets si elle observait le moindre de mes faits et gestes.

— C’est pas tout ça, mais au travail les filles ! La nuit commence à tomber !

Mysty nous rappela à l’ordre et nous passâmes une bonne heure à déblayer les cailloux pour les mettre à la périphérie du dôme. C’était une idée de Mysty qui avait dit que ce serait drôle, ça ferait un genre de cercle autour de nous.

Naeviah avait contesté mais puisque nous étions trois contre une, elle se rallia à la majorité.

Autour de nous, c’était la tempête. J’avais vu juste, c’était bel et bien un typhon qui déferlait sur nous. Le vent soufflait si fort et la pluie tombait si drue mais sous le dôme, on ne sentait que le froid.

Grelottant et sentant le bout de mes oreilles gelées, je proposais :

— Vous voulez un feu de camp pour vous réchauffer ?

— La fumée risque pas de s’accumuler à l’intérieur ? demanda Naeviah.

— Non, t’inquiète c’est un feu sans fumée.

— Vraiment ?

— Comme celui de l’autre jour ? me demanda Mysty.

— Tu avais donc remarqué ?

Mysty me répondit par un large sourire.

En effet, le feu qu’elle avait utilisé pour faire à manger était celui que j’avais crée. Je l’avais paramétré pour être de simples braises au lieu d’un feu ardent, afin de ne pas attirer l’attention des monstres aux alentours, j’avais cru tromper mes alliées par la même occasion mais manifestement non ; l’une d’elle n’avait pas été dupe.

— J’ai cuisiné dessus, je l’ai trouvé bizarre mais j’ai pas posé la question.

— Toi ! Tu adores tellement que ça nous faire tourner en bourrique !

Naeviah m’attrapa pour me décoiffer, je me débattis et ce faisant sa main toucha mes oreilles.

— Kyaa !

Je poussai malgré moi un cri d’embarras.

Zut ! Je ne voulais pas que ça se sache.

— C’était quoi à l’instant ?

— Ouais, t’as lâché un cri vraiment bizarre, Fiali.

— Un gémissement… ?

— C’était rien, vraiment. Hahaha !

J’essayais de les tromper mais Naeviah m’attrapa à nouveau l’oreille. Cette fois, elle me faisait mal au contraire.

— Aïe… aïe…

— Je crois que j’ai compris.

— Non, tu n’as rien… Aïe ! Ça fait… Kyaaaaa !

À cet instant, elle caressa mon oreille délicatement.

Ce frisson ! Cette décharge électrique en moi ! Je n’étais pas préparée ! Malgré moi, un petit cri sortit de ma bouche. Je m’empressais de la couvrir et de me dégager de cette situation.

Tyesphaine et Mysty me fixaient avec incompréhension, tandis que Naeviah me pointa du doigt.

— Puisque tu fais des cachotteries, je vais te punir ! Tu es hyper sensible des oreilles !

— Chuuuut ! Pourquoi tu l’as dit, idiote ?!

Naeviah afficha un sourire vainqueur. Malheureusement, mon aura dakimakura ne me protégeait pas contre ce genre d’humiliation.

— Ça veut dire que si on te touche les oreilles, tu grimpes aux rideaux ?

— Quelle délicate façon de le dire…

— Rideaux… ? C’est… vrai ?

Tyesphaine rougit de nouveau et me fixa avec des yeux implorants. C’était difficile à supporter, lui mentir en pareille circonstance serait comme m’infliger un coup de couteau au cœur.

Je détournais le regard et me grattait la joue.

— Il se peut que je sois un peu plus délicate que vous à ce niveau-là…

— Pas qu’un peu !

Naeviah s’était rapprochée sans que je la vis venir. Elle passa son doigt humide sur mon oreille et me fit faire un bond en arrière de quelques mètres.

Bien sûr, la sensation de son doigt humidifié par sa salive, je présumais, était terrible. C’est les larmes aux yeux que je lui dis :

— Tu… tu… tu n’avais pas besoin de faire ça !

— J’ai cru que tu allais mentir à nouveau, me dit-elle en détournant le regard un peu gênée.

Elle devait ressentir l’effet de mon aura dakimakura qui lui faisait exprimer des regrets quant à ce qu’elle venait de faire.

— Oui, je l’avoue, je suis super sensible, OK ? Du coup, évitez de me les toucher, merci !

Je me montrais pour une fois boudeuse. Je gonflai les joues, croisai les bras et détournai le regard.

— Rhoo ! Je plaisantais… Je ne pensais pas que ça te ferait aussi mal que ça.

J’ignorais Naeviah. Je l’entendis se rapprocher de moi, me contourner et se placer devant moi.

— Je… Ce n’est pas comme si je me sentais vraiment désolée ou quoi que ce soit du genre, mais… mais nous partons à l’aventure ensemble et si tu m’en voulais ça pourrait nous nuire en combat, pas vrai ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse pour qu’on soit quittes ?

C’était à présent son visage qui devenait rouge. S’excuser lui demandait donc tellement d’efforts ?

Quelle horrible situation !

J’avais pensé à la base simplement la faire réagir, puisqu’elle m’avait embêté. Mais je me rendis soudain compte que j’abusais malgré moi de mon aura. En temps normal, elle m’aurait pris de haut et n’aurait jamais formulé ces excuses (dans le langage tsundere, bien sûr).

Ma maladresse provoquait mes propres regrets. Je baissai le regard et grimaçai un instant.

— Laisse tomber, je ne t’en veux pas. Puis tu ne m’as pas vraiment fait mal. C’était juste embarrassant. Désolée de ne pas vous en avoir parlé avant… comme pour le feu d’ailleurs.

Naeviah me fixa un instant. Elle voulait dire quelque chose, mais laissa tomber.

Finalement, elle croisa les bras et soupira :

— Bah, si tu as compris, alors tout va bien. Allez, montre-moi comment tu fais ton feu magique et allons nous coucher.

Je préférai l’ambiance habituelle. J’avais réagi trop brutalement pour une affaire de peu. Je ne voulais pas de cette atmosphère pesante.

Tyesphaine me regardait avec des yeux inquiets, tandis que Mysty avec un regard maternel.

Je concentrai ma magie et prononçai simplement les paroles :

« Feu faerique »

C’était le nom du sort comme on me l’avait enseigné. La légende voulait que ce sort ait été transmis aux elfes par des dryades afin de pouvoir se chauffer sans brûler les arbres de la forêt. J’avais posé un jour la question à mon mentor.

Le feu apparut au sol où il n’y avait aucun combustible et se mit à brûler en produisant une lumière diffuse orangée. En vrai, je pouvais choisir presque tous les paramètres du sort : couleur, taille, type de couleur de lumière et même la température qu’il diffuserait autour de lui.

J’avais choisi ceux standard cette fois, c’était un feu normal.

— Oohh ! C’est classe ! Fiali t’es la meilleure !

Mysty vint m’attraper et m’installa entre Naeviah et Tyesphaine. Les yeux de cette dernière étaient étincelants.

— Un feu… féerique… ? Whaaaa !

Je souris en la regardant si joyeuse pour quelque chose de si peu. On aurait un peu dit une enfant. Elle était adorable.

Par contre, pour dissiper ses doutes quant à mes origines féeriques, ce serait encore plus difficile. Nous en avions déjà parlé, mais j’étais sûre qu’au fond d’elle, elle pensait toujours que j’avais du sang de fée dans mes veines.

Mysty passa ses bras autour de nous trois, obligeant nos têtes à se rapprocher.

— Qu’est-ce que tu fiches ?

— Je… je…

— Mysty ?

— Devant un tel feu, il faut chanter un truc toutes les quatre.

— Je ne sais pas chanter, dis-je. Ma voix fera sûrement tomber la pluie.

Je compris le ridicule de mes paroles en entendant le cliquetis des gouttes sur ma barrière magique.

— C’est pour ça qu’il faut en profiter ! Là, tu peux pas faire pire. Haha !

C’était un peu vexant, elle aurait pu dire que ce n’était pas vrai à la place.

— Je refuse de chanter, dit Naeviah. Même à l’église j’ai toujours refusé. Ma voix est celle de la Déesse, elle ne sert qu’à prier.

— Et me martyriser…

— Tu le mérites.

— Haha ! Vous êtes marrantes toutes les deux. Tyes, on chante à deux du coup.

Mais la paladine ne répondit pas. Ses yeux décrivaient des spirales, elle restait sans réponse.

— Eh oh ! Tyes ?

— Tu lui as cogné la tête comme une brute, je parie…

— Je peux assurer que ce n’est pas le cas…

Je m’en serais rendue compte puisqu’elle s’était cognée contre la mienne. Elle était simplement dans son monde, comme d’habitude.

— Bon bah, tant pis, je vais chanter seule.

Mysty nous relâcha, s’assit en face de nous et se mit à chanter. Je ne m’étais jamais considérée comme bon juge pour ce qui était de la musique ou du chant, mais je trouvais la voix de Mystr très apaisante.

Son chant était clair et plus délicat que ce que ses manières laissaient supposer.

Avant de m’en rendre compte, je m’endormis sur l’épaule de Naeviah qui fit de même en posant sa tête contre la mienne.

***

Lorsque je me réveillai en pleine nuit, j’étais allongée.

Mysty s’était sûrement occupée de nous.

J’avais une couverture sur moi, à mes côtés se trouvait Naeviah, de l’autre se trouvait Mysty. Cette dernière était collée contre moi à nouveau et sous les couvertures elle était à moitié nue.

Elle n’était pas habituée à dormir habillée, j’en étais de plus en plus convaincue.

J’avais entendu dans ma précédente vie que dans certaines cultures c’était normal de ne rien porter en dormant. Ce n’était pas mon cas, j’avais toujours dormi en pyjama et dans ce monde j’avais même appris à dormir dans mes vêtements de voyage.

Disons qu’à l’aventure c’était une question de survie. Imaginons une attaque nocturne comme l’autre fois à l’auberge avec Tyesphaine, sans vêtements ce serait le drame.

Puisque je ne portais pas d’armure, cela ne me gênait pas réellement de dormir toute habillée. Puis, avec ma magie, je pouvais avoir chaque matin un brin de toilette pour ne pas sentir la transpiration, même s’il n’y avait aucune commodité à des lieues à la ronde.

En pensant aux armures, je me demandais soudain si Tyesphaine portait la sienne pour dormir.

J’en doutais, c’était une harnois, une armure lourde. Le niveau d’inconfort aurait été maximum. Mais, puisqu’elle était maudite, peut-être qu’elle avait des propriétés particulières, pensais-je.

Je me libérais de l’étreinte de Mysty et relevai légèrement le buste à la recherche de Tyesphaine.

Elle était un peu plus loin. À l’écart du feu.

Je supposais qu’en raison de son caractère timide elle ne voulait pas rester avec nous.

Ses couvertures la couvraient entièrement, elle avait même son visage en dessous. Je cherchais son armure du regard, mais je ne la vis pas.

— Elle la porte réellement ?

Si elle n’était pas à côté d’elle, ni dans ses affaires, c’était qu’elle l’avait sur elle, non ? C’était la seule explication logique.

J’entendis à cet instant qu’elle remuait sous sa couche. Sa voix parvenait faiblement à mes oreilles.

On aurait dit qu’elle souffrait. J’entendais des gémissements étouffés.

— Tyesphaine ? Tu vas bien ?

J’essayais de ne pas parler trop fort pour ne pas réveiller mes deux autres camarades.

Mais je ne reçus pas de réponse. Au contraire, les plaintes continuèrent.

Je me levai délicatement et m’approchai de sa couche en répétant ma question.

Soudain, elle m’entendit et poussa un petit cri. Puis, d’une petite voix :

— Fia… li ?

— Tu vas bien ? Je t’entends te plaindre depuis avant. Tu as mal au ventre ou un truc du genre ?

— Non… non… ça va…

— Mmmm…

J’étais un peu perplexe. Elle se cachait toujours sous ses couvertures, elle m’empêchait de voir son expression faciale.

— Tu es sûre ?

— Oui…

— Tu peux me le dire si quelque chose ne va pas, tu sais ?

Sa réponse tarda, je l’entendis grommeler quelque chose d’inintelligible.

— C’est… bon…

Sa voix était paniquée et haletante. Je n’étais pas du tout rassurée mais je n’allais pas m’infiltrer sous ses couvertures pour en apprendre davantage non plus.

— N’hésite pas à me réveiller si tu as besoin de quoi que ce soit.

— D’accord…

— Tu ne devrais pas dormir aussi loin du feu, il fait un froid de canard.

Elle ne me répondit pas.

En bâillant, je retournais à ma place en repoussant Mysty sur sa propre couche et en la couvrant jusqu’au nez.

Je n’entendis plus Tyesphaine pendant un moment, puis elle recommença. Cela dura quelques minutes, puis elle se leva et retira son armure avant de se remettre au lit.

Elle rapprocha même sa couche du feu.

Je gardais les yeux fermés pour ne pas éveiller ses soupçons, puis je m’endormis une fois ma curiosité satisfaite.

Le lendemain, nous reprîmes la route vers les montagnes.

Il avait plu une partie de la nuit, il y avait des flaques un peu partout et la terre était boueuse, mais nous suivions un sentier rocailleux donc cela n’affecta que très peu notre vitesse de progression.

Tyesphaine me lançait parfois de timides regards en coin. Elle me cachait quelque chose quant à ce qui s’était passé cette nuit, c’était évident.

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