— C’est quand même bien reculé la ville de Moroa…, dit Tyesphaine.
Autour de nous, c’était la montagne. Nous y marchions depuis le matin et l’après-midi était bien avancée.
Malgré ma vue, je n’avais encore aperçu aucun village ; il y avait bien trop de dénivelés qui me coupaient le champ de vue.
Nous avions trouvé néanmoins quelques carcasses d’animaux qui attestaient d’une présence animale, sûrement. La nature c’était vraiment pas notre fort, mais rien n’indiquait en tout cas un village proche ; il n’y avait ni routes, ni rien du genre.
D’ailleurs, nous avions quitté le sentier que nous suivions depuis un moment pour entrer en pleine nature.
— Je vous dis qu’on est perdues. La route s’est arrêté soudain, comme si personne ne l’avait plus entretenue.
— Et donc, tu penses à quoi, Fiali ? demanda Mysty.
— Je pense qu’à l’époque il devait y avoir une activité ici mais ce n’est plus le cas. Nous devrions rebrousser chemin, peut-être qu’il y a un autre sentier que nous n’avons pas vu et qui permettrait d’aller ailleurs dans ces montagnes.
— Oui, ça me paraît une bonne idée…, dit timidement Tyesphaine.
— Perso, j’pense qu’on devrait monter sur le pic là-bas pour y voir plus clair. S’y a un monastère dans le coin, on va sûrement le voir depuis la plus haute montagne, non ?
Toutes les quatre nous tournions dans la direction indiquée par Mysty pour y découvrir à quelques dizaines de kilomètres (enfin sûrement) un haut pic enneigé. Je n’étais franchement pas sûre qu’on soit capable de grimper ça, c’était de l’alpinisme à ce stade.
— Tu plaisantes ?
— Ch’suis sérieuse. À moins que tu sais voler dans les airs ? Avec toi, on sait jamais… Haha !
Je secouais la tête pour répondre par la négative. Le vol ne faisait pas partie des sortilèges que je connaissais, mais cela aurait été bien pratique, en effet.
— Tssss ! Tu sers vraiment à rien comme elfe…
— Merci du compliment, Naeviah. Mais au fait, ton aimable déesse ne te permettrait pas de le faire ?
— Tsss ! Quelle remarque stupide et impertinente ! La Déesse de la mort ne donne pas de telles capacités. Tu as du vide dans la tête, ma chère elfette ?
Naeviah me tapota le front de son doigt. Je savais que c’était sa manière de cacher ses sentiments, mais c’était parfois un peu dur d’encaisser ses critiques répétées.
Je me contentais de lui tirer la langue.
— Et tu continues dans l’impertinence ! Je devrais te l’arracher…
— Je veux bien voir ça.
Avec mon aura dakimakura aucune chance qu’elle le fasse réellement.
Et comme je l’avais supposé : elle soupira et reprit la marche en m’ignorant.
Tyesphaine n’avait dit mot, mais me jetait de longs regards. Je me demandais ce qui lui passait par l’esprit à cet instant.
— Il va quand même falloir décider quoi faire, dis-je. Je propose une petite pause pour discuter de tout ça.
— Ouais pourquoi pas.
— Je commence à… avoir mal aux jambes, dit Tyesphaine.
— C’est vrai que tu es en armure, dit Naeviah. Heureusement, le sol est rocailleux. J’imagine que ça aurait été bien plus pénible encore de marcher dans la boue après la tempête d’hier.
— Oui…
— N’empêche, j’ai quand même le bas de ma robe sale. La prochaine fois, prenons des chevaux.
— Tu sais monter à cheval ? demanda à ma place Mysty.
— Oui, j’ai appris ça enfant… mais je ne suis pas très à l’aise dessus quand même.
J’observais Naeviah en silence.
Mes doutes commençaient à prendre forme. Tout dans son éducation me laissait à penser qu’elle avait été élevée dans la noblesse. L’équitation faisait partie de ces éléments. Si ce monde correspondait aux connaissances historiques de mon précédent, les gens du peuple montaient surtout des ânes, au prix bien plus raisonnables ; et encore, « monter » était un bien grand mot, puisqu’en général les ânes et mulets étaient chargés de marchandises et leurs propriétaires marchaient à leurs côtés.
L’équitation était une compétence surtout enseignée dans la noblesse.
— Moi j’sais pas monter de chevaux.
— Pareil. C’est aussi mon cas, dis-je.
— Et dire que ça se prétend une elfe, mpfff ! En principe, vous êtes pas des créatures proches de la nature et tout ça ?
— Faut pas croire tout ce qu’on dit. Haha !
Mysty m’accompagna dans mon rire, mais Naeviah ne semblait pas satisfaite de ma réponse. Elle s’inclina en avant et me dévisagea en rapprochant son visage. Je me sentis gênée par toute cette soudaine attention…
— T’es sûre de ne pas être une demi-elfe ? Il paraît que ça existait à une époque.
— Non, je n’en suis pas une.
— D’une certaine manière, même si tu es une elfe, tu dégages quelque chose de très humain…
Si tu savais à quel point tu avais raison, Naeviah. J’étais une humaine dans la peau d’une elfe, ton impression était plutôt pertinente en soi.
Néanmoins, je me devais de rectifier quelque chose. Mais alors que j’allais m’y atteler, Tyesphaine prit la parole :
— Demi-elfe ? Un métissage ? C’est possible ?
— Je ne sais pas. Mon mentor ne m’en a jamais parlé et je n’ai jamais connu d’autres elfes.
— Un jour on saura peut-être, dit Naeviah en levant les sourcils de manière taquin.
— Un jour ? Fi… Fi… Fiali… un enfant…
Tyesphaine rougit jusqu’aux oreilles et baissa le visage.
— J’ai pas dit qu’elle allait avoir le tien non plus. Tu réagis parfois de manière si étrange, répliqua Naeviah en mettant ses mains sur les hanches.
C’était les paroles de trop, des larmes apparurent dans les yeux de la paladine qui se cacha le visage.
— Bravo, tu as encore cassé Tyesphaine…
— Haha ! Tyes est trop marrante !! En plus, vous êtes deux filles, vous pourrez jamais tester ça.
— Sauf avec la magie…, dis-je avant de regretter mes propres mots.
En fait, je n’en savais rien. Faire un enfant était sûrement la dernière de mes préoccupations. En vrai, j’avais toujours détesté l’idée d’en avoir. Donner la vie à un être à qui on ne peut demander l’avis, quel acte cruel !
Ces paroles étaient sorties toutes seules. J’aimais la magie et avais foi en elle. Lorsqu’on me disait que quelque chose était impossible, j’objectais généralement, presque mécaniquement, que rien ne l’était pour la magie.
Mon mentor avait souvent ri en m’entendant lui le rappeler : « tu n’es vraiment pas une elfe de la forêt, toi ! Haha ! ». C’était la remarque que je recevais en général.
Concernant l’enfantement entre deux individus de sexe identique, je n’avais bien sûr aucune piste de formule pour ce faire, ma spécialité était la destruction en plus, la création je n’y connaissais rien. Mais s’il y avait une chose que je savais, c’est que rien n’était inaccessible à la magie.
Je m’approchai de Tyesphaine pour la rassurer, me disant que ma remarque l’aurait troublée. Mais à peine ma main toucha son épaulette qu’elle sursauta et s’éloigna d’un bond. On aurait dit un animal sauvage qui fuyait la présence humaine.
— Bravo, tu lui as fait encore plus peur, me reprocha Naeviah avec un sourire provocateur. Normal ! Qui lui dit que tu n’as pas imprégné ta main d’une étrange magie elfique pour la faire tomber enceinte ? Fufufu !
— Tu rigoles j’espère ?!
Je me retournai vers Naeviah qui commençait à m’énerver avec ses insinuations. Délaissant Tyesphaine, je courus vers la prêtresse et lui posai ma main sur l’épaule.
— Si c’est le cas, voilà c’est fait ! Tu vas l’appeler comment ?
Je lui rendais la monnaie de sa pièce, mais jamais je ne me serais pas attendu à sa réaction.
Elle rougit en un instant, ses lèvres tremblèrent puis elle se mit à pleurer :
— Tu es vraiment une elfe perverse ! Ouinnn !
— Hein ? Mais j’ai rien fait ! C’était une blague !
Sérieux ? Elle pensait vraiment que je pouvais faire quelque chose comme ça ?!
— Tu… tu… avec Naeviah… ? Je… je…
L’état de Tyesphaine ne s’améliora pas, elle s’éloignait de moi avec un visage emplit d’embarras et de terreur.
— Vous plaisantez j’espère ? Eh oh ! Je ne suis pas capable de faire un truc aussi horrible ! Juste comme ça, en vous touchant l’épaule ?
— Ouais, faudrait au moins qu’elle vous touche la *biiiiip *
Je censure ce mot, car Mysty m’a outré en le disant à haute voix. J’ai rougi sûrement aussi, mais mes deux autres camarades par contre ont blêmi en un instant. On aurait dit qu’elle leur avait porté le coup de grâce.
— Tu… tu… tu… m’approches plus jamais !! Et toi non plus !!
Naeviah s’éloigna et s’en alla trouver refuge à côté de Tyesphaine qui tremblait.
— Hahaha ! Vous êtes toutes trop marrantes ! Faut faire confiance à Fiali, elle va pas vous faire de bébé comme ça. Regardez !
Mysty me prit la main et la posa sur son épaule puis son visage. L’instant d’après, elle m’avait enlacé par derrière en me posant le menton sur l’épaule. J’étais passé au stade de peluche géante qu’on prend dans ses bras.
Toutefois, ce qu’elle avait dit était plutôt logique, en fait. S’il existait une magie pour faire ce genre de choses, c’était sûrement la manière de procéder. Mais… mais… avait-elle besoin de le dire aussi crûment ?
Parfois, Mysty me faisait un peu peur. Dans ses bras, je me sentis un peu comme une souris dans les mâchoires d’un chat. Je ne bougeais plus, espérant que rien de mal ne m’arrivât.
Mais Mysty se fichait de tout, elle continuait de rire joyeusement en observant nos réactions.
***
Lorsque le calme revint.
— J’entends la pluie au loin, dis-je. Peut-être même de l’orage…
— Hein ? Tu ne te tromperais pas ? Nous avons eu une tempête hier soir.
— Je ne suis pas sûre, la nature c’est pas mon rayon, mais il y a de fortes chances… C’est au-delà de ces montagnes, indiquais-je. Ça se rapproche de nous.
Mysty monta sur u rocher et regarda dans la direction que j’avais indiqué. C’était difficile de me croire, il n’y avait pas l’ombre d’un nuage et le soleil brillait de plus bel, mais j’avais bel et bien entendu quelque chose comme du tonnerre.
— C’est… peut-être autre chose, non ? demanda Tyesphaine.
— Possible.
— Comment tu peux être aussi nulle au juste ? J’étais sérieuse avant… pas sur les enfants, bien sûr, précisa Naeviah en plissant les yeux. Vous autres elfes n’avez pas des affinités avec la nature ?
J’avais complètement oublié le point de départ de notre gênante discussion. Je comptais justement clarifier ce sujet.
— Je ne sais pas si les livres parlent de ce que je vais vous dire, mais il existe différentes variations d’espèce chez les elfes.
— Tu veux dire quoi par là, Fiali ? me demanda Mysty.
— En gros, nous avions un puissant empire à une époque, on dit qu’il recouvrait tout le continent.
— Oui, c’est ce qu’on dit dans les livres spécialisés, confirma Naeviah.
— J’ignore pourquoi, mais quelque chose a causé l’effondrement de notre empire. Il m’est d’ailleurs impossible de vous dire combien il reste d’elfes à part moi.
— Jusque là, tu ne m’apprends rien.
— Je m’en doute Naeviah. Là où je voulais en venir, c’est que, peut-être de votre côté, vous nous classez tous d’elfes, tout simplement, mais il existe des différences parmi nous. Je suis une haute-elfe… du moins, c’est ce que m’a expliqué mon mentor.
Et confirmé par mes connaissances des fiction de type fantasy. On nous appelait également « elfes de lumière », « elfes nobles » ou encore « elfes blancs ».
— Mon mentor était un « elfe des forêts » qu’on appelle aussi « elfes verts ».
Lorsque je lui avais posé la question, il m’avait toujours répondu par un « pfff ». Je n’avais donc jamais réellement eu de confirmation à ce sujet, mais ses traits étaient différents des miens, plus droits, plus bourrus, et sa peau plus foncée.
— Selon les théories, les hauts-elfes étaient les habitants des cités de l’époque. Nous avons une plus forte affinité magique que les elfes des forêts qui sont plus à l’aise avec la nature.
— Je ne savais pas tout ça…, dit Naeviah un peu perplexe.
— C’est… fascinant. Se pourrait-il que les hauts-elfes aient… aient un lien avec la féerie ?
Je ne pus m’empêcher de sourire. Depuis que nous nous connaissions, elle avait longuement insisté sur cette question. À ma connaissance, non, nous n’en avions pas, mais à cet instant je me disais qu’il valait mieux aller dans son sens.
— C’est possible. L’empire elfe est si ancien que je ne peux prétendre le contraire.
Ses yeux s’illuminèrent un instant, elle essaya de le cacher, néanmoins. À quel point était-elle obsédée par ce sujet au juste ?
Elle avait fait ses vœux devant Epherbia, la déesse des fées, un choix des plus improbable pour une humaine, je supposais que c’était une preuve tangible de sa passion. Probablement qu’elle aimait les fées autant que j’aimais les twintails.
— D’après ce qu’on m’a expliqué, avec la chute des cités, la population s’est éparpillée à travers le continent, trouvant refuge dans différents coins isolés. Et toujours en théorie, c’est ce qui aurait donné naissance à nos variations physiques.
Naeviah était pendue à mes lèvres et ne disait plus un mot. Par contre, je sentais que je perdais un peu Mysty qui reluquait mes oreilles avec une curiosité presque féline.
— Pour faire court, ceux que je connais de nom seulement : hauts-elfes, elfes des forêts, elfes noirs, elfes des glaces et… c’est tout en fait.
J’avais failli en dire trop.
Parmi les elfes, il en existait qui était un secret même parmi les nôtres.
Le jour où mon mentor m’en avait parlé il m’avait dit :
— Il existe une variété très rare. Dangereux même pour les autres elfes. Leurs esprits sont déments et leurs corps morts-vivants. On les surnomme les elfes liches. Si tu en rencontres, fuis ! Ils sont aussi anciens que les statues des empires humains et disposent de capacités magiques hors normes. Ils maîtrisent même la magie interdite.
Si j’annonçais à Naeviah qu’il existait des elfes morts-vivants, j’étais assurée qu’elle voudrait partir à leur recherche pour les purifier ; cela m’arrangerait, j’étais sûre qu’elle resterait à mes côtés, mais s’ils étaient aussi dangereux que ce que m’avait dit mon mentor, je préférerais les étudier plutôt que de les affronter.
— Fort intéressant…
— Et les elfes noirs ? demanda Mysty. Y ont la peau noire vraiment ?
— Je n’en ai jamais rencontré, lui répondis-je, mais il s’agit d’elfes qui ont migré sous terre pour y développer leur civilisation. Soit ils sont plus clairs encore que moi, soit au contraire pour s’adapter à l’obscurité ils sont devenus plus sombres aussi.
— Et vos capacités ?
— Elles changent d’une espèce à l’autre. Si chez vous les humains, seules des éléments mineurs changent comme la couleur de votre peau ou la forme de vos visages, chez nous c’est bien plus marqué à cause de notre affinité magique. Par exemple, les hauts-elfes…
— Vous êtes bons en magie des ténèbres ? demanda Naeviah en ne dissimulant pas une pointe d’ironie.
— Euh, oui et non. En fait, nous serions les meilleurs magiciens parmi les elfes et nous aurions une affinité avec les huit éléments à la fois. Les elfes des forêts seraient plus doués en magie d’eau et de vent. Les elfes noirs dans celle des ténèbres et de la terre, etc etc.
— Et… et physiquement ? Quelles sont vos différences ?
Encore une fois, mis à part mon mentor, je n’avais jamais rencontré d’autres elfes.
— Si je me base sur les différences entre mon mentor et moi… La couleur de peau change. Nos traits faciaux aussi. Notre taille, la couleur de nos cheveux et la forme de nos oreilles. Mon mentor avait une peau plus foncée, des traits plus durs et sa taille était plus haute. Ses cheveux châtains et ses oreilles bien plus courtes que les miennes.
— Ton mentor avait l’air silencieux, me dit Mysty.
— Haha ! Oui, c’était un forestier, il détestait parler pour ne rien dire. Il fallait comprendre ses réactions et ses expressions, puisqu’il parlait très peu.
— Tu as grandi dans le silence, donc…, me demanda Tyesphaine en me prenant la main.
D’un coup, j’avais l’impression d’avoir un peu trop d’attention. J’étais passé d’un cour magistral sur les elfes à une séance de psychothérapie.
— Euh… on en parlera une autre fois. Croyez-moi, il y a du mauvais grain par là-bas.
Naeviah qui était restée silencieuse se leva.
— C’était très instructif tout ça. Je trouve malgré tout que c’est injuste qu’une personne comme toi hérite d’un tel potentiel pour finalement ne développer que le feu et les ténèbres (elle grimaça en prononçant ce mot), mais bon…
— Tu fais aussi de la magie des ténèbres, dis-je d’une petite voix, tout en me dégageant de la main de Tyesphaine.
— Quoi ?
— J’ai rien dit… Trouvons un abri !
Je me mis à chercher dans les alentours : mis à part des rochers, des arbustes et des fourrées, il n’y avait rien. Les filles se mirent à chercher également, mais j’avais peu d’espoir qu’elles trouvassent quelque chose que je n’aurais pas vu.
— Eh, Fiali ?
— Oui, Mysty ?
— En toute logique, y a plus de chances de trouver une grotte par là-bas, non ?
J’observais la direction qu’elle pointait : c’était celle d’où j’entendais l’orage.
— Sauf que ça nous rapprocherait de l’averse.
— Suffit d’aller vite.
Je n’étais pas sûre de la validité de cette idée, mais en revenant sur nos pas, il n’y avait pas d’abris, c’était une certitude. Au pire, il y avait toujours ma magie…
— Il y a l’abri magique, non ? me demanda Naeviah en arrivant à ma même conclusion.
— Au pire des cas. Mais le sol est vraiment irrégulier ici, on va avoir du mal à dormir sans matériel.
— Chochotte.
— Fiali, monte sur les épaules de Tyes et tente de trouver un truc là-bas.
L’idée n’était pas mauvaise. Avec un point de vue plus élevé, je pourrais découvrir peut-être quelque chose. Je me tournai vers Tyesphaine qui rougit légèrement.
— Ne… ne te fais pas mal sur les pointes de l’armure, me dit-elle simplement.
Je lui demandai de grimper sur le rocher où était montée précédemment Mysty et de se tenir bien droite. Puis, je détachais ma ceinture, retirais mon équipement superflue et, avec toute mon agilité, je grimpai littéralement sur elle.
Il me fallut être prudente, son armure était vraiment pleine d’ergots et de pointes, un rien et je m’empalais dessus. Néanmoins, une fois sur ses épaules, les pointes s’avérèrent pratiques pour coincer mes pieds.
Tyesphaine me prit les chevilles, je l’entendis grommeler quelque chose, mais je l’ignorais.
Couvrant mes arcades de mes mains, je plissai les yeux et découvrit au flanc d’un pic des ruines anciennes.
Des maisons en pierre.
Il en restait un certain nombre et dans un état permettant de s’y réfugier. Bien sûr, à cette distance je ne distinguais aucun détail, mais j’étais sûre d’avoir vu des maisons intactes.
— C’est bon Tyesphaine, tu peux me lâcher.
Mais je n’entendis ni réponse, ni ne sentit ses mains relâcher mes chevilles.
Je me penchai en avant pour faire face au visage de Tyesphaine, à l’envers.
— Eh oh ? Il y a quelqu’un ?
Elle ouvrit soudain les yeux, paniqua et sans le vouloir me lança en avant. C’est avec une grâce et une majesté propre à mon peuple que je me réceptionnais au sol après avoir effectué en petit salto avant.
— Tadaa !
— Dé… désolée, Fiali…
— C’est bon tu n’as pas fait exprès, la rassurai-je. Droit devant ! Il y a les ruines d’un village. Par contre, c’est à au moins une dizaine de kilomètres (enfin, selon mon estimation). Il va falloir se dépêcher.
— OK ! C’est parti !
Mysty prit la tête en levant le poing et en marchant joyeusement. Cette fille était vraiment la plus simple à vivre d’entre toutes. Elle me faisait confiance, elle était toujours motivée et elle savait cuisiner… elle était bonne à marier, en résumé.
Quoi que… je n’étais pas sûre que son franc-parler et son individualisme aurait plu à tous les hommes. Par contre, son corps, son côté très tactile et son manque de pudeur aurait fait le bonheur de nombre d’entre eux (bande de pervers!).
À l’opposé, Naeviah, démotivée, soupira et se mit à la suivre.
— Oublie pas tes affaires, elfe lubrique. Je refuse de partager avec toi, il y a trop de risques avec tes histoires d’enfants et tout ça.
J’étais surprise qu’elle ose remettre ça sur le tapis, alors qu’elle s’était ridiculisée. Ce n’était pas moi qui croyait qu’on pouvait faire des enfants par simple contact sur l’épaule.
Je supposais que les nobles n’avaient une éducation sexuelle aboutie dans ce monde.
Tyesphaine attendit que je rattache mon ceinturon, ajuste mon épée et mon sac et se mit à marcher à mes côtés.
Elle était rouge… comme toujours. À force, je commençais à croire que ma seule vue l’embarrassait. Elle me sourit avec gentillesse.
— Allons-y.
— Oui…
Je l’entendis grommeler derrière moi. Elle répétait la parole « blanche » sans explication.
Je mis un certain temps à comprendre de quoi elle parlait : ma culotte, quand j’étais monté sur ses épaules.
C’était un détail que j’avais oublié. Combien de fois l’avait-on vue pendant mes combats au juste ?
Sacrée Tyesphaine, un rien ne l’embarrassait. Encore une preuve de son éducation aristocratique puritaine.
***
Même si on ne m’avait pas cru au début, à mesure que nous progressions le ciel se couvrit et c’est trempées que nous arrivâmes dans le village en ruine.
Aucune idée si ce genre de climat était normal. Probablement qu’il l’était, mais il est vrai qu’au Japon, après les typhons il y a rarement de la pluie. La force des vents exercés par la tempête doit chasser les nuages pendant quelques temps, je supposais.
Je comprenais mieux pour quelle raison la route n’avait pas été entretenue : il n’y avait plus personne pour le faire. Tout comme les restes de maison que nous avions trouvé au pied de la montagne, ce village avait été abandonné depuis fort longtemps.
Si Mysty n’avait pas proposé son idée et si je ne l’avais pas localisé en avance, je pense que nous nous l’aurions sûrement raté. Entre la pluie qui rendait la visibilité difficile et le fait que le village était hors sentier…
La plupart des maisons étaient dans un tel état qu’il ne restait que des murs branlants, mais quelques-unes avaient encore un toit. C’était dans l’une d’elle que nous nous empressâmes d’entrer.
La porte manqua de s’écrouler après notre passage. Par le biais de mon sort de « Réparation magique », je remis les gonds plus ou moins en état.
Considérant l’état des autres maisons, cette porte avait plutôt bien résisté. J’en déduisis rapidement la raison : la forme de cette bâtisse était parfaitement carrée, plus haute que les autres du village, toute en pierre robuste, c’était une ancienne tour de garde.
En réalité, le toit au-dessus de nos têtes n’était pas le vrai toit, mais juste le plafond reliant à l’étage supérieur. Les étages au-dessus s’étaient effondrés depuis belles lurettes, je supposais. Impossible d’avoir réellement confiance en la solidité de cette structure, mais elle ferait l’affaire pour nous abriter de nos principaux ennemis du moment : le froid et l’humidité.
— Atchoum !
Naeviah éternua, puis renifla.
— Nous devrions sécher nos vêtements, proposai-je. Nous allons attraper froid avec ça sur nous.
— Ouais, t’as raison, Fiali.
Mysty s’approcha de la table qui se trouvait là, passa sa main dessus pour la dépoussiérer et commença à défaire les sangles de son armure de cuir cloutée. Si l’armure avait été bien imperméabilisée, probablement qu’elle n’aurait même pas été trempée en-dessous, le cuir ne laissant pas passer l’eau, mais aussitôt la retira-t-elle que je vis son pantalon et sa chemise à lacets gorgées d’eau.
— Euh… nous devrions peut-être faire pareil, proposai-je à mes deux autres compagnonnes qui avaient les yeux rivés sur Mysty.
Je me mis à la place de cette dernière : cela devait être gênant d’avoir trois paires d’yeux qui la fixaient en train de se déshabiller.
Je tentais de montrer l’exemple en me défaisant de mes bottes. C’était néanmoins la seule partie à peu près sèche. Si l’eau n’avait pas coulé sur mes jambes et n’était pas entrée par ce biais à l’intérieur, mes pieds auraient été parfaitement préservés.
Mes chaussettes étaient trempées, bien sûr. Je les retirai et les posai sur la table à côté de l’armure de Mysty.
Entre temps, cette dernière avait fini de délasser sa chemise, dévoilant le spectacle de ses armes de destruction massive.
Comment faisait-elle pour combattre avec ça accroché sur la poitrine ?
Elle avait un style de combat léger, agile et rapide, assez proche du mien par certains aspects, mais je n’avais pas ces quelques kilos gênants.
Comme je l’avais déjà compris, et l’avait-elle déjà plus ou moins avoué, elle ne portait pas de sous-vêtements.
Elle dévoila sa nudité complète sans aucune pudeur. La seule chose qui devait la couvrir était l’obscurité, qui ne gênait aucunement ma vue. Je pus distinguer, au passage, qu’elle avait une sorte de tatouage sur le ventre qui représentait un scorpion.
— Whooo !
Ne pus-je m’empêcher de m’écrier. Mais Mysty n’y prêta nulle attention, elle se mit à chercher sa couverture dans son sac pour y enrouler ce corps voluptueux.
Elle avait néanmoins fait des ravages. Tyesphaine était tombée à genoux et semblait à l’agonie, tandis que Naeviah s’était plaquée contre le mur voisin qu’elle cherchait à franchir.
— N… Nu… nue ?
— Qu’est-ce que vous fichez ! Vous allez chopper la crève, dépêchez-vous !
— Tu ne portes jamais de sous-vêtements ? lui demandai-je.
— J’ai tenté, mais c’est gênant. J’ai l’impression d’être encore plus prisonnière. Toi t’en as ?
— Bien sûr.
Commençant à sentir froid, je défis ma tunique puis ma jupe, dévoilant mes sous-vêtements blancs. En haut, je portais une brassière à dentelle et en bas une culotte à dentelles également.
— Oohh ! Je vois ! Ça te ressemble bien comme sous-vêtements. C’est tout mignon !
— C’est sympa, mais c’est un peu gênant si tu me regardes comme ça…
Mysty me répondit par un simple sourire. Voulait-elle me dire que c’était une sorte de vengeance pour avoir reluquer son corps nu à l’instant ?
Je pris aussi ma couverture pour éponger l’eau et me réchauffer. Il me faudrait retirer mes sous-vêtements également, heureusement j’avais quelques paires de rechange.
D’ailleurs…
— Si tu veux, Mysty, je peux t’en prêter. J’en ai de rechange. Même si tu n’en portes pas en général, si tu attrapes froid…
— Haha ! Merci de proposer, mais ça ira. Puis, j’suis pas sûre de rentrer dedans, je voudrais pas te les détruire.
En effet, aussi bien au niveau du volume de son torse que de ses hanches, nous n’étions en rien comparables. Notre taille n’était pas si éloignée, Mysty était plus petites que Naeviah et Tyesphaine, mais ses formes étaient plus… humaines, dirons-nous.
Laissant tomber ma proposition, je m’enroulai plus étroitement dans ma couverture. Je tendis juste une main hors de cette chaleureuse enceinte pour fouiller dans mon sac à la recherche de mes autres sous-vêtements.
Ils étaient secs, heureusement ! Merci le revêtement en cuir imperméabilisé que j’avais fait mettre à la Capitale.
Néanmoins, avant de me changer, je me tournais ensuite vers mes camarades.
— Arrêtez de me reluquer et enlevez vos vêtements. Je vais les sécher avec ma magie de feu.
Je plissai les yeux dans leur direction. Nos deux nobles compagnonnes (assumons qu’elles l’étaient) étaient comme pétrifiées. Naeviah reprit ses esprits la première sous l’effet de mon regard insistant.
— Pas… pas moyen que je me déshabille devant une perverse exhibitionniste et une elfe délurée !
— Allez ! C’est pas si grave, nous sommes entre filles, dit Mysty.
Elle ne se défendit même pas contre les accusations. En fait… je ne le fis pas non plus.
— C’est toi qui vois, mais tu vas avoir du mal à nous suivre avec de la fièvre et de la toux.
Sur ces mots, je tirais la table pour m’en servir d’abri supplémentaire et me changeais sous la couverture, tant bien que mal.
Intérieurement, je remerciais mon mentor de me les avoir offerts.
Je lui avais demandé maintes fois où il les achetait, mais il n’avait jamais répondu. Dans la Grande Forêt, je ne m’étais pas attendue pas à trouver des sous-vêtements manufacturés de cette qualité. Tout en soie fine, avec des broderies remarquables. J’ignorais si dans le monde des humains il y avait pareille lingerie.
Lorsque j’étais petite, je comprenais qu’il s’en occupait à ma place, mais même devenue adulte il continuait de m’en offrir de temps en temps.
J’avais toujours trouvé ça embarrassant, mais bon…
Dans mon esprit, j’avais toujours imaginé qu’il y avait une sorte de boutique cachée dans la Grande Forêt tenue par une nymphe. Nul doute que Tyesphaine m’aurait déshabillée elle-même si je lui avais dit qu’il s’agissait sûrement de lingerie féerique.
Une fois mon corps complètement au sec, je me tournai vers Naeviah et Tyesphaine.
— Faites pas les enfants toutes les deux. Nous ne savons pas précisément où nous sommes et si vous tombez malades, cela risque d’être vraiment compliqué. Imaginez qu’il y ait des monstres là-dehors.
C’était un excellent argument, je trouvais, mais je sentis malgré tout leur réticence. Jusqu’à quel point pouvait-on avoir de la pudeur ?
— Rhooo ! On va pas y passer toute la journée, non plus…
Je sentais l’impatience de Mysty monter.
— Nous sommes entre filles, c’est pas si grave, non ?
— Tu peux parler ! Après ce que tu as fait dans le tonneau, je n’ai aucune confiance en toi !
Tyesphaine sursauta à cette évocation. Nous n’avions jamais vraiment expliqué en détail ce qui s’y était passé mais elles avaient compris qu’un « incident » s’était produit.
J’allais lui répondre que j’en étais autant la victime qu’elle, mais à la place, je soupirais.
— Je laisse tomber. Regroupons nos affaires, je vais les…
Mais je ne pus finir ma phrase. Mysty prit l’initiative : elle laissa tomber sa couverture et fonça droit sur Naeviah. Elle lui attrapa les poignets.
— Vite Fiali, viens m’aider !
— Hein ?
— Lâche-moi, c’est… c’est..
— Du harcèlement sexuel ! finis-je à la place de Naeviah.
— J’connais pas ce mot. Et je m’en fiche ! Pas envie que mes potes tombent malades et risquent de se faire tuer par des monstres !
Mon argument avait au moins atteint quelqu’un. Cela dit, je n’avais pas menti : ce risque existait bel et bien. Et avec la moitié du groupe malade, impossible de garantir notre sécurité à toutes.
Des monstres faibles passeraient encore, même à deux nous pourrions nous en occuper mais impossible de prévoir sur quoi nous pourrions tomber…
— Si… si vous faites ça, je vous maudirais ! nous menaça Naeviah.
— Allez, Fiali !
J’étais partagée. Même si, comme venait de me le rappeler Mysty, je ne craignais pas de condamnation pour harcèlement sexuel dans un tel monde, surtout entre filles, moralement j’avais du mal à m’y résoudre.
— Désolée, Naeviah… c’est pour ton propre bien. Je sais que ton éducation t’a dispensé une grande pudeur, je vais tenter de la préserver, lui dis-je pour la rassurer.
Je m’approchais avec une couverture.
— Tu… Si tu m’approches je vais te… Ahhh ! Comment tu peux être aussi forte toi ?!
Elle se débattait, mais aucune chance de s’en sortir face à Mysty.
— Écoutez, je vais très bien. Je ne vais pas attra… Atchoum !
— Argument invalide, lui dis-je. Si tu coopères, nous tiendrons la couverture autour de toi le temps que tu te changes. Ça me semble un bon compromis.
— Je n’ai pas de tenue de rechange ! Tu crois que les robes sacrées poussent sur les arbres ? Atchoum !
— Rhoo ! Tu te fais des problèmes pour rien ! Tu feras comme moi et Fiali.
— S’il te plaît, Naeviah, ne rend pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont déjà. Je te prêterais mes sous-vêtements si tu n’en as pas d’autres.
Naeviah me foudroya du regard. Au coin de ses yeux étaient apparus des larmes.
— Je n’en veux pas !
Je soupirai et m’approchai décidée à agir, lorsqu’elle dit :
— D’accord, d’accord, je vais le faire ! Je vous déteste toutes les… Atchoum !
— Tu aurais mieux fait de le faire de suite…
Avec son accord (plus ou moins forcé), je créais un périmètre d’intimité autour d’elle en tenant la couverture et en détournant le regard.
— Tu ferais mieux de te couvrir aussi, Mysty. Tu vas attraper froid.
— OK~ !
Il faisait trop sombre pour que les autres voient que Mysty avait la chair de poule et que ses muqueuses avaient changées de couleur.
Je soupirai fatiguée. Quelles attitudes extrêmes avions-nous dans ce groupe : Mysty nous dévoilait tout sans pudeur et à l’opposé Naeviah et Tyesphaine préféraient prendre le risque de mourir plutôt que se dévêtir. Pfffff !!
Le second problème devait encore arriver, d’ailleurs. Je préférais ne pas y penser de suite.
— Si… si tu fais quelque chose de pervers… je te tue…
Naeviah me tendit ses sous-vêtements, le visage rouge, avant de prendre la couverture et de s’enrouler dedans.
L’air de n’y prêter aucune attention, je les portais jusqu’à la table en les tenant à bout de doigt. Néanmoins j’étais curieuse : je jetai un regard en coin pour voir ce qu’elle portait. Lors de l’affaire du tonneau je n’avais pas vraiment eu la tête à ça.
Comme je m’y attendais, elle en portait des noirs avec plus de froufrous que ce que je pensais. Je ne pus m’empêcher de sourire en coin. C’était donc ça le « dere dere » qui se cachait sous sa couche de « tsun tsun » ? De la lingerie encore plus mignonne que la mienne…
Je les posais sur la table avant d’affronter le dernier problème.
— Je… je vais le faire… seule… mais… mais…
— Mais ?
Elle me pointa de l’index avec un regard prêt à fondre en larmes. Je baissai les yeux pour remarquer que je ne portais plus de couverture depuis un moment. Si je m’approchais de Tyesphaine dans cette tenue, j’étais sûre de la tuer.
— Bien reçu.
Je m’enroulais dans ma couverture que je nouais tant bien que mal avant de m’approcher de Tyesphaine.
— Si tu as plus confiance en Naeviah, je peux lui laisser la place.
— Hein ? Qui te donne le droit de me proposer ta place ?
— Je… non, ça ira… avec Fia…
Elle ne put terminer sa phrase tant elle était gênée.
— Tu veux de l’aide pour ton armure ?
Elle hocha péniblement de la tête. Je l’avais déjà aidé une fois à la revêtir, mais elle était clairement plus gênée de me voir lui la retirer. Je pouvais entendre ses battements de cœur si distinctement. Elle transpirait malgré le froid.
Rapidement, elle eut de la buée qui sortit de sa bouche.
J’ignorais quel était son problème mais il faudrait un jour le résoudre. Son attitude constamment embarrassée pourrait un jour lui coûter la vie. Imaginons qu’elle voit en plein combat ma culotte ou pire que ma tunique déchiré dévoilant ma poitrine… Je ne voudrais être la cause de sa distraction et de sa mort.
Une fois l’armure maudite retirée, elle s’accroupit et retira le reste. Mysty avait fait mine de vouloir s’approcher mais je l’en avais dissuadée en secouant la tête. Naeviah vint se mettre derrière moi pour servir de second mur de protection, d’ailleurs.
Du moins, le pensais-je mais…
— Si tu la regardes je te crève les yeux. Et si tu t’approches…
— Arrête de me menacer, je ne vous veux pas de mal.
— Moi, je ne suis persuadée de rien avec toi. Avec ta magie, tu peux faire un peu trop de choses indécentes.
— Mais euh… je suis une magicienne d’attaque, à part pulvériser vos vêtements, tu veux que je fasse quoi d’indécent ?
— Tu… tu… tu es la pire ! Écoute ce que tu viens de dire ! Tu veux nous déshabiller pour faire… Je ne te le permettrais pas !
— Je crois que Tyesphaine n’est pas la seule à avoir un problème !!
Naeviah profita du fait que j’avais les mains occupées pour me tirer les joues… Ou du moins, c’était son intention première mais je vis ses mains s’arrêter à mi-chemin tandis que nos yeux se rencontrèrent.
L’aura dakimakura.
Elle avait des pulsions violentes à mon égard, sûrement rien de méchant, mais juste sa manière d’exprimer son embarras, mais à cause de cette maudite aura elle n’arrivait pas à lever la main sur moi.
Une fois de plus, je ressentis une vague de tristesse m’envahir. Mes rapports à autrui ne seraient jamais normaux tant que j’aurais cette malédiction…
En plus…
EN PLUS ! Mon aura dénaturait tout le caractère noblement exquis d’une tsundere !! Je maudissais les dieux de cette horrible don empêchant un de mes types de personnages préférés de s’exprimer à sa juste mesure !
— J’ai.. fini… mais… mais…
— Ne t’inquiète pas, je ne les regarderai pas…, chuchotais-je à Tyesphaine. Mais sinon, tu peux t’en occuper toi-même si tu préfères.
Sur ces mots, je m’approchais pour l’enlacer de la couverture, ce qui provoqua un petit cri de surprise de sa part.
Ce petit instant de malentendu lui fit tomber les sous-vêtements des mains et je pus les voir l’espace d’un bref instant. Ils étaient roses avec nombre de broderies et surtout elle avait des collants de même couleur.
Je n’aurais jamais pensé que sous sa tenue d’homme elle portait quelque chose d’aussi féminin. Sous son armure, sûrement pour des raisons pratiques, elle portait une chemise, un pantalon et un gambison.
Ce dernier était une sorte de manteau rembourré afin de réduire les chocs, offrant à la fois une protection contre les coups mais également contre la froideur et la dureté de l’armure de plaques portée par-dessus. En principe, les chevaliers portaient même un manteau de mailles entre les deux mais Tyesphaine avait fait l’impasse sur cette dernière. Contrairement aux idées reçues dans mon précédent monde, les armures de mailles étaient souvent la plus lourde encore que la plaque. En effet, il s’agissait de milliers d’anneaux entremêlés qui pouvaient aisément dépasser les vingt kilogrammes pour celles ayant les tissages les plus fins et solides.
Je m’étais renseignée à l’époque et ce que j’en avais vu dans ce monde correspondait.
J’ignorais toutes les propriétés de l’armure maudite de Tyesphaine, je m’étais abstenue d’en faire l’analyse magique (ce que j’aurais pu faire), mais je me doutais que c’était ce qui expliquait qu’elle n’avait pas besoin d’armure de mailles.
À peine Tyesphaine remise, sa couverture autour d’elle, je sentis au sol des vibrations, puis un bruit lointain.
Pendant quelques instants, je ne prêtais pas attention à ce que disaient les filles, je me concentrais uniquement sur ce bruit. Ce n’était pas quelque chose d’inconnu…
Soudain, je réalisai !
— Chut ! Taisez-vous ! Un géant en approche !
Je me jetai sur Naeviah qui me criait dessus et lui mit la main sur la bouche. Elle interpréta mal mon intention, d’autant plus que ma couverture s’était défaite dans la foulée. Elle rougit, des larmes apparurent dans ses yeux et elle tenta de me donner un coup de poing, m’obligeant à l’immobiliser.
Heureusement, mes deux autres camarades eurent plus de vivacité d’esprit ; elles suivirent mes indications, se jetèrent à terre et se turent.
Naeviah cessa de résister… un peu trop vite d’ailleurs… j’avais de plus en plus l’impression d’avoir le mauvais rôle, mais je n’avais pas vraiment le choix.
Même si je pouvais me battre même nue, je craignais pour Mysty et Tyesphaine qui habituellement portaient des armures.
Une fois à terre, je ressentais les vibrations encore plus distinctement. J’étais sûre et certaine qu’il s’agissait d’un géant, je reconnaissais ce genre de pas lourds.
Et malheureusement, il n’était pas seul.
L’eau et la boue amortissaient un peu les chocs distribués dans le sol, mais je les sentais distinctement.
Ils s’approchaient. Les clapotis de leurs pas devenaient de plus en plus fort malgré la pluie battante.
Trois géants.
Ils étaient à présent à quelques mètres de la maison.
Ils parlaient dans leur langue que je ne comprenais pas. J’aurais dû l’apprendre mais le draconique, l’abyssal et le mortuaris m’avaient parus plus importants.
Naeviah finit par comprendre que je ne lui avais pas sauté dessus pour des choses obscènes. Même s’il fallait bien admettre qu’au demeurant c’était sujet à méprise. Mon corps presque nu était appuyé sur le sien, dans le même genre de tenue.
Si je m’attardais sur ce détail, j’aurais pu me sentir gênée, mais j’étais surtout inquiète.
Trois géants, sûrement équipés, sous une forte pluie, sans nos vêtements, dans un espace confiné… cela faisait trop de contraintes pour espérer la victoire.
Avec ma magie, je pouvais les affronter, mais impossible d’esquiver efficacement, pieds nus, dans la boue.
Nous retenions nos respirations. Pendant quelques instants, il y eut une sorte de silence pesant.
Allaient-ils entrer et nous attaquer ?
Je sentais les battements cardiaques de Naeviah contre ma peau. Elle devait partager mes craintes.
Finalement, après quelques instants, ils se remirent à parler et s’éloignèrent.
Avaient-ils aperçu des silhouettes au loin et étaient-ils venus voir ?
Si tel était le cas, il nous fallait remercier la pluie, elle avait sûrement effacé nos éventuelles traces.
Nous attendîmes quelques minutes dans le silence et l’immobilisme.
— Il y a des géants dans le coin ? Ça craint…, chuchota Mysty.
— Ils vivent souvent dans les montagnes, lui expliquai-je. Comment tu les as reconnus ?
— Leur langue chelou. Je l’ai déjà entendue.
— Tout le monde reconnaîtrait du géant, ajouta Naeviah. Par contre… tu aurais pu me prévenir au lieu de me violenter.
— Je l’ai dit.
— Tu n’as rien dit ! Tu en as juste profité pour abuser de moi. Pfff !
Si elle le pensait vraiment, elle ne paraissait pas aussi furieuse que ce qu’on aurait pu s’attendre. Elle s’emmitoufla dans sa couverture et gonfla les joues en détournant le regard.
Elle s’emportait bien plus pour des choses plus futiles pourtant.
Tyesphaine et Mysty acquiescèrent de la tête : je l’avais bel et bien dit.
— Je vais sécher nos vêtements sans plus tarder. Ne me dérangez pas, c’est une opération un peu délicate, si je me trompe je brûle tout, y compris le plancher.
Je regroupais tout le linge dans un coin de la pièce sur le cuir d’un sac à dos. Tyesphaine rangea ses sous-vêtements mouillés dans son sac, elle préférait les cacher que de me les laisser les revoir.
Pour les sécher, j’avais deux moyens de m’y prendre : soit utiliser un feu féerique qui produisait de la chaleur mais aurait pris pas mal de temps avec le risque que les géants remarquent la luminescence. Soit y aller plus vite, plus brutalement, en utilisant la chaleur d’une boule de feu.
J’optais pour cette solution, même si les risques étaient plus élevés.
J’inspirai profondément et me concentrais. C’était une opération minutieuse, il fallait réduire la chaleur et la diffuser lentement, sans produire d’explosion.
Mais je n’étais pas une magicienne au rabais, je savais pourquoi y arriver !
Je fis apparaître une petite boule de feu de la taille bille, puis je l’agrandis lentement jusqu’à atteindre la taille d’un ballon. À partir de cette instant, plutôt qu’augmenter la taille, je maintins la réaction pour éviter qu’elle n’explose et fit exprès de laisser du mana se « perdre ». J’entends par là qu’en temps normal, le but est de garder tout le mana à l’intérieur de la sphère pour augmenter l’explosion, or là je faisais exactement ce qu’il ne fallait normalement pas faire.
La perdition de mana entraîna une augmentation de la température autour de la boule de feu, pendant quelques dizaines de secondes la pièce se teinta d’une couleur orangée que j’espérais invisible aux yeux des géants.
La vague de chaleur fut telle qu’il n’en fallut pas plus pour faire augmenter la température ambiante et sécher les vêtements.
Je n’entendis pas les géants revenir, sûrement étaient-ils eu aussi allés se mettre à l’abri.
— C’est fait.
Sans tarder, nous remîmes nos vêtements et je proposais :
— S’il y a trois géants dans le coin, il est possible qu’il y en ait d’autres. En général, soit ils vivent seuls en ermite, soit en tribu. Nous nous sommes résolument trompées de chemin, mais si ça vous dit d’enquêter sur leurs activités locales…
— Ouais, pourquoi pas ? Les géants sont des brutes, c’est peut-être eux qui ont détruit ce village.
— Je pense plutôt qu’il a été fuit, dit Naeviah. Je ne suis pas très favorable à l’extermination des géants, tout stupides et brutes qu’ils soient. Allons déjà recueillir des informations sur leurs activités, nous aviserons après.
— J’approuve…, dit Tyesphaine. Ils sont peut-être dangereux… pour les communautés humaines au pied de la montagne…
— C’est décidé alors. Reposons-nous ici et suivons leurs traces cette nuit ou demain matin.
— Ouais ! J’vais vous préparer des sandwich, y a pas besoin de feu pour ça.
Mysty s’attela immédiatement à la tâche.
Une fois de plus, j’étais contente d’avoir rencontré des compagnonnes avec le même genre d’état d’esprit que moi. D’autres auraient préféré ne pas s’intéresser plus à la présence de géants dans le coin, ce qui aurait été sage de leur part, mais j’étais intriguée et mes camarades également.
Un étrange pressentiment m’emplissait. Ces montagnes cachaient un bien étrange secret.