La pluie ne s’arrêta pas avant l’aube.
De toute manière, mon idée d’y aller la nuit n’aurait pas pu se faire. Je m’étais souvenue que les géants étaient également capables de voir dans l’obscurité, contrairement à mes camarades humaines.
Néanmoins, s’ils avaient un rythme de vie plus nocturne, cela signifiait qu’au matin ils étaient normalement endormis.
Aux premières lueurs de l’aube, nous avions quitté notre abri de fortune. C’est là que nous rendîmes compte à quel point il était branlant. Il s’agissait bien d’une tour de garde et comme je l’avais deviné le toit s’était effondré.
Y passer une nouvelle nuit aurait sûrement été une mauvaise idée, l’endroit avait été abandonné depuis si longtemps et, en raison de la pluie et le vent qui semblaient toujours souffler sur ces montagnes, l’érosion de la pierre était très avancée.
Le village avait sûrement été abandonné depuis des années, voire des décennies. Nous en ignorions la cause, mais il était fort probable qu’elle soit liée à la présence de géants.
Leurs traces étaient encore visibles dans la boue. Contrairement à nos poids plumes de quelques cinquante kilogrammes, même pas(en tout cas dans mon cas), ils pesaient quelques tonnes, la pluie avait rempli leurs empreintes mais ne les avait pas effacées complètement.
Ce fut sans mal, malgré l’absence de personne vraiment compétente dans le domaine, que nous parvînmes à les pister. Cette fois, nous quittions les sentiers rocailleux pour la terre battue, boueuse. La route s’éloigna de nous et j’espérais que nous la retrouverions au retour.
Après peu, nous finîmes par arriver en vue d’un étrange village. Nos pas nous avaient amenés au sommet d’une carrière. Le trou s’enfonçait à près d’une cinquantaine de mètres et au fond se trouvaient des constructions, des maisons et des hangars.
Afin de ne pas nous faire repérer, nous engageâmes sur les sentiers qui faisaient le tour. C’était donc depuis les hauteurs, cachées derrière des fourrées que nous nous mîmes à observer ce qui se passait en contrebas.
— Un village de géant dans une carrière ? Je m’y attendais pas…, dit Naeviah.
— Les géants sont très souvent claniques, lui expliquai-je. Ceux qu’on voit isolés, sont souvent les bannis. Il semblerait que malgré leur brutalité ils ne pratiquent pas trop les peines de morts envers ceux de leur espèce et encore moins envers ceux de la tribu.
— Tu… tu es bien renseignée…, dit Tyesphaine.
— Normal, je suis une magicienne.
— Tu me donnes envie de te cogner quand tu dis ça…
Je me contentais de tirer la langue à Naeviah, une fois de plus, elle essaya de l’attraper.
— Prochaine fois, je te l’arrache.
Je manquai de réitérer en guise de provocation, mais je m’abstins. Cela n’aurait pas été juste à cause de mon aura.
— Y sont nombreux à vot’avis ?
— C’est vrai qu’à cette heure-ci il n’y a personne dehors.
— C’est normal pour eux de s’installer ici ? demanda Tyesphaine.
— Plutôt normal, répondis-je.
— Puisque les humains ont envahi le continent, expliqua Naeviah, ils ont été repoussés dans les endroits les plus confinés. Pas mal se sont installés dans les montagnes au nord, les Pics des Dragons.
— Dragon ? répéta Tyesphaine sans cacher son inquiétude.
— Ce n’est qu’un nom, la rassura Naeviah. Aucun dragon n’a été vu sur le continent depuis des siècles.
Cette discussion était l’occasion pour moi de confronter les connaissances communes sur les monstres des humains avec les miennes. Mais, à la réflexion, ces deux-là n’étaient pas un si bon échantillonnage, étant issues de la noblesse…
— Les dragons, paraît qu’ils sont vraiment dangereux…, dit Mysty.
Ce qui voulait donc dire que tout le monde connaissait la légende des dragons. Non pas que je prenais Mysty pour une idiote, loin de là, mais son niveau de connaissance était plus proche du peuple.
Naeviah la dénigra comme si elle venait de dire une évidence, je pris la parole à sa place.
— Oui, ils le sont. Mmm… Rencontrer des clans de géants dans les montagnes, ou même dans la Grande Forêt n’est pas si improbable, mais c’est rarement une bonne nouvelle de les avoir pour voisins. Ils sont violents et peu respectueux des autres espèces. En général, ils sont plutôt du genre à piller qu’à faire des excavations, c’est ce qui m’intrigue dans le cas présent.
— Ils doivent bien récupérer leur minerai pour forger leurs armes à quelque part, me dit Naeviah.
— En effet. Les humains n’en forgent pas à leur taille, c’est un fait. Tu as raison…
— Évidemment que j’ai raison, tu me prends pour qui au juste ? J’ai même idée qu’il s’agirait en fait d’un clan de géants marchands.
— Mmmmm… Sûrement… Bien vu, Naeviah !
Elle me jeta un regard fier et hautain.
— Les géants des glaces sont les plus sociables des géants. Et s’ils ont accès à une mine ici, ça veut dire que le bâtiment là-bas pourrait être une forge, dis-je en pointant un hangar troglodyte, dont une petite partie dépassait de la montagne.
C’était la cheminée qui m’avait fait élaborer cette théorie.
— Ou alors ils vendent juste le minerai aux autres clans. Regarde, il n’y a pas de fumée qui en sort. Les feux des forges sont rarement éteints, vu la température qu’ils doivent garder.
— C’est vrai. Mais, les géants ne forgent que le fer en principe, la température est moins haute que l’acier…
Je me rendis compte seulement à cet instant que Tyesphaine et Mysty nous dévisageaient comme si nous étions des formes de vie étrangères. Dans mon cas, c’était un peu le cas mais Naeviah était normale… enfin, en principe.
— Vous aimez bien ces trucs-là toutes les deux…, dit Mysty dans ce moment de pause.
— Oui… on dirait bien…, ajouta Tyesphaine.
— Tsss ! Et alors ? C’est mal d’être instruite ? Vous devriez plutôt vous étonner que cette tête de linotte d’elfe lubrique en sache si long sur les autres peuples alors qu’elle sait même pas où est le sien.
Je ne pus répondre que par un sourire un peu bête. En effet, elle frappait là où ça faisait mal : je connaissais mieux les autres espèces que la mienne.
— En tout cas, nous sommes à peu près sûres qu’il s’agit bien de géants des glaces. Ce sont ceux qui vivent en général dans les montagnes, dit Naeviah en arrêtant de me fixer.
— Oui, puis leur style vestimentaire est différent des géants des forêts. Je les connais un peu mieux ceux-là, il y en a pas mal dans la Grande Forêt. Au passage, s’il s’agit de géants des glaces, il faudra faire attention aux femmes : parfois elles ont de la magie de glace.
Naeviah plissa les yeux et grimaça.
— Et tu sais ça comment… ?
— Mon…
— … mentor me l’a expliqué. J’ai compris ! Désolé d’avoir posé la question. Dommage qu’il ne soit pas là, il a l’air plus instruit que toi, au final.
Cette fois, c’est moi qui grimaçait.
Mais Tyesphaine me posa la main sur la tête et chuchota tout bas, pour que moi seule l’entende :
— Je suis contente que tu sois parmi nous.
J’avais eu l’air si déprimée par la remarque de Naeviah ?
Je lui répondis par un sourire chaleureux, il n’y avait qu’elle pour s’inquiéter pour si peu. Puis je repris l’observation.
— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Mysty. C’est pas que j’veux pas les combattre, mais juste qu’ils font leur vie et vu qu’y a pas l’air d’avoir d’humains dans le coin, au pire on est pas obligé de les tuer, si ?
— Si nous sommes dans les Pics des Dragons, dis-je, en principe il ne devrait pas y avoir de communautés humaines, c’est un fait.
— C’est trop escarpé. Il n’y a pas assez de terres cultivables et trop de monstres, expliqua Naeviah. Personne ne vit ici à part quelques ermites et des aventuriers.
— Nous sommes donc au nord… et pas au sud… En fait, nous avons pris la direction opposée…
— Oui, Tyesphaine ! Je me disais la même chose ! Ouinnn ! Avec ce groupe, on arrivera jamais à la bonne destination !!
— Arrête de te plaindre, tu vas réveiller les géants, me dit Naeviah en enfonçant son doigt dans ma joue. Je vais pas me répéter mais grâce à la Déesse qui a guidé nos pas, nous avons fait une trouvaille intéressante, Estimez-vous heureuses, espèce d’amoureuses des cartes !
Je regardais Tyesphaine qui me sourit avec gentillesse en m’invitant à ne pas m’engager dans une dispute.
— En plus, on en a même pas… des cartes, grommelai-je en soupirant.
— Plaît-il ?
— Je disais que nous devrions rester là pour les observer quelques heures. Cette maison plus petite que les autres m’intrigue.
Je pointais une sorte de maison qui aurait pu être la niche d’un chien de géant, si un tel monstre existait. Elle était encore plus simple que les autres constructions pourtant rudimentaires. C’était la seule à avoir un toit en bois, composé de troncs attachés les uns aux autres.
Je crus y entendre des voix mais ne distinguais aucun mot précis. Quelqu’un venait de s’y réveiller et ce n’était pas un géant.
Puis, à l’extérieur, pile devant, il y avait un étrange piquet en métal avec des chaînes accrochées dessus. J’ignorais si c’était un outil d’excavation mais j’avais surtout l’impression qu’il s’agissait de…
— Je pense qu’ils ont des esclaves dans cette maison. Regardez le piquet.
Je décidai d’en faire part à mes compagnonnes. À cette distance, elles pouvaient en principe le voir, même si elles ne distingueraient pas les chaînes.
— S’ils en ont, il faudrait les délivrer.
— Vérifions d’abord, proposa Naeviah. Restons cachées ici jusqu’au zénith et nous aviserons ensuite.
Je levai les yeux vers le ciel, il y avait des nuages ce matin-là. Peut-être qu’il allait de nouveau pleuvoir dans la journée.
Difficile de savoir quand serait le zénith. En tout cas, je pris ma couverture et la posai sur moi alors que je me couchais au sol.
— Ce sera plus discret pour l’observation. Essayez de cacher les objets métalliques qui peuvent faire des reflets.
L’expérience des vitres des building. Lorsque les nuages laissent passer le soleil, il y a parfois des reflets.
Mysty afficha une expression surprise, mais rapidement leva le pouce dans ma direction. Elle approuvait mes conseils, elle qui était la seule furtive du groupe. Tyesphaine et Naeviah suivirent le mouvement et nous imitèrent.
Il ne fallut pas longtemps pour confirmer mes soupçons : il s’agissait bien d’humains enchaînés, qui servaient les géants.
Nous prîmes la décision de passer à l’action, mais il nous fallait d’abord un plan.
C’est en grignotant des provisions que nous en discutions en chuchotant depuis notre position.
***
Les prisonniers étaient au nombre d’une dizaine, tous humains.
Certains étaient plus maigres que les autres. C’était sans aucun doute un indicateur de leur durée de détention.
Le travail de la mine était fait par les géants, les esclaves s’occupaient uniquement des basses œuvres : nettoyer, ranger, etc.
Les géants sortaient des tunnels de grands chariots de roches qu’ils raffinaient à la surface puis les stockaient à l’intérieur de la mine de nouveau. C’était ce que nous avions pu voir au cours de notre journée d’observation.
Nous avions décidé de passer à l’attaque pendant le dîner.
Il y avait plusieurs raisons à ce choix : la première était de les avoir tous au même endroit. Cela faisait plus d’ennemis à combattre, certes, mais s’ils s’enfuyaient dans les mines prévenir d’éventuels renforts ou nous tendre des pièges, ce serait encore pire. Ils connaissaient les souterrains et pas nous.
Puis, le traitement des esclaves nous avait révolté. Je supposais que les filles pensaient comme moi, même si elles n’en disaient mot. Il y avait sûrement dans notre choix un sentiment de compassion et un désir inconscient de vengeance. Il n’était pas question que les coupables s’échappent.
Une autre raison était que les géants seraient moins sur leurs gardes pendant leur repas. Notre stratégie reposait beaucoup sur l’effet de surprise, au final.
La carrière n’avait qu’une seule entrée : la route en pente qui descendait jusqu’aux mines. Les géants étaient nombreux et bien bâtis, l’unique espoir d’arriver à terrasser vingt guerriers du genre était d’avoir un minimum d’avantage stratégique.
Puis, peut-être leur viendrait-il l’idée d’utiliser les esclaves comme otage.
S’il y avait quelque chose que j’avais appris dans les fictions de mon ancien monde c’était que les prises d’otage étaient difficiles à gérer. Je m’étais posé maintes fois le cas hypothétique quant à quoi faire et, même si mes camarades m’en voudraient pour cela, j’avais décidé qu’au pire des cas je sacrifierais les otages plutôt qu’elles.
C’était pour ne pas en arriver là que le dîner était le meilleur moment : les esclaves ne faisaient pas le service pendant le repas. Si le dîner se passait comme le déjeuner, les esclaves préparaient la table, on les « dégageait » dans leur niche le temps de manger et ensuite ils s’occupaient de débarrasser.
Considérant le manque de délicatesse qu’avaient employés les géants à midi, nous avions déduits que la vue des esclaves pendant le repas les dérangeait.
Pour toutes ces raisons, nous avions décidé d’attendre le soir.
Mon unique crainte était qu’ils ne mangeassent après le coucher du soleil, à un moment où mes amies auraient des difficultés à voir. Au pire, Naeviah et moi pourrions toujours lancer quelques sphères de lumière pour éclairer.
L’attente fut longue. Plus longue que je ne le pensais.
Au fond, j’étais inquiète. C’était différent de la dernière fois avec le nécromant.
Non seulement je n’étais pas à l’aise avec l’idée de devoir entreprendre l’offensive, mais en plus je craignais pour mes camarades. Je me rendais compte déjà que ces quelques semaines ensemble avaient crée des liens qui se renforceraient encore avec le temps.
Et si les choses se passaient mal ? Et s’il y avait des champions géants parmi eux ?
Je désignais par ce terme, d’anciens seigneurs de guerre bien plus redoutables que la norme.
Lorsqu’on affrontait un monstre sauvage, on avait une estimation de sa puissance. Une araignée géante était souvent aussi forte qu’une autre araignée géante. Mais les « monstres » plus humanoïdes, capables de pensées complexes, étaient toujours imprévisibles.
Le kobold qui semblait inoffensif pouvait s’avérer être un magicien, par exemple.
Peut-être que ces géants étaient trop forts pour nous. Nul ne nous permettait de le dire avant de commencer le combat.
Leur armement était plutôt correct, mais uniquement composé de fer. L’acier leur semblait inconnu.
Leurs armures étaient toutes en cuir. Il devait y avoir un grand herbivore dans ces montagnes qui leur permettait d’avoir assez de peaux pour les fabriquer. D’ailleurs n’était-ce pas le même qui leur fournissait la viande qu’ils avaient mangé ce midi ?
Il ne faisait pas encore nuit, mais la carrière était malgré tout plongée dans l’obscurité. Les rayons n’atteignaient plus le fond du trou. Le ciel pour sa part avait une teinte orange et grise, les nombreux nuages avaient pris des reflets presque surnaturels.
Je commençais à angoisser. Le dîner était en train d’être servi. Combien de temps encore jusqu’à l’attaque ? La nuit menaçait de tomber bientôt…
Mais soudain, je soupirai de soulagement.
Les esclaves allumaient de grandes torches placées tout autour de la place où se tiendrait le dîner.
Tyesphaine et Mysty, qui devaient descendre, auraient suffisamment de lumière pour se battre. Ouf !
J’avais repéré le stock de bois, au pire je l’enflammerais pour les aider.
J’inspirais profondément en voyant les esclaves être jetés brutalement dans leur maisonnette qui servait de prison.
— Ce sera bientôt le moment, me dit Naeviah en chuchotant.
Elle était couchée à côté de moi, derrière un fourré.
— Oui, c’est à nous de donner le feu de départ.
— Je ne vois plus Mysty, elle est vraiment douée pour se cacher.
— Oui, en effet. Elle m’avait surprise aussi lors de notre première rencontre.
— Je ne veux pas savoir. Te connaissant je suis sûre que c’était quelque chose d’indécent dans un tonneau.
Même dans cette situation elle me disait des choses pareilles ?
Sûrement pour relâcher la pression, sans trop réfléchir, je simulais un bisou que j’aurais pu lui donner. C’était juste de la provocation, mais elle frissonna en me jetant un regard plein de dégoût.
Sa réaction était tellement spontanée qu’elle me fit sourire. J’oubliais l’espace d’un instant mes tracas pour ne voir qu’elle.
— Arrête de me fixer. Je ne veux pas de ton bisou, OK ?
— Je sais, c’était juste pour t’embêter.
— Attends que je t’embête à mon tour, espèce de…
Je lui tirai la langue une fois de plus, elle me pinça le bras… enfin, je dis pincer car c’était son intention première, mais en vrai elle me l’avait juste délicatement tapoter. Si elle n’avait pas eu si mauvais caractère, elle n’aurait probablement même pas pu m’insulter comme elle le faisait si souvent.
C’était un peu masochiste de ma part mais…
— Comme ça…
Je lui pris la main et serrai ses doigts pour me pincer. Ça faisait mal, mais au moins j’avais le cœur plus serein.
Elle me regarda avec étonnement, puis retira sa main et se remit à observer les géants.
Je gardais mes yeux sur elle quelques instants, puis je l’imitais.
Les géants étaient tous à table. Le clan entier comprenait une vingtaine d’individus : dans leur société méritocratique, il n’y avait pas de place pour les « inutiles et les faibles », tout géant en âge de porter une arme était un guerrier, c’était aussi simple que cela.
Je me demandais où finissaient les géants plus âgés, mais la réponse m’apparut soudain évidente : dans une tombe. Avec leurs habitudes guerrières et leur sélection sociale, les faibles et les vieux mourraient, tout simplement.
L’aspect positif, néanmoins, était que les femmes et les hommes étaient dans une relative égalité. Les femmes qui savaient se battre avaient les mêmes droits que les hommes. Aussi, sur les vingts géants il y avait six femmes. Deux travaillaient à la cuisine avec deux hommes, tandis que les quatre autres travaillaient à la forge ou dans la mine.
Ils étaient à présent en train de manger.
Cela faisait quelques minutes que nous les entendions brailler, dévorer comme des ogres et boire comme des trous.
— Fiali ?
— OK, allons-y.
Nous nous levions presque en même temps et nous mîmes à incanter. Le signal du début des hostilités était l’explosion qui retentirait.
Naeviah et moi nous étions placées en hauteur, dans le pourtour de la carrière. Nous devions assurer l’attaque à distance.
Cela m’embêtait un peu car cela impliquait que Naeviah ne pourrait pas soigner nos deux amies avant la fin du combat. La pente était trop raide et dangereuse, peut-être pourrais-je parvenir à la descendre en vitesse, mais je doutais que Naeviah en fût capable. Elle ne paraissait pas très sportive…
« Cendres aux cendres… »
Dans ce cas, il ne me restait plus qu’à faire de mon mieux à distance pour éviter que mes camarades ne fussent blessées.
« … Que la Parole s’envole et ouvre les fourneaux du cœur du monde ! Embrasez le ciel, embrasez mon ennemi ! »
Je donnais tout ce que j’avais, la sphère de flammes crépitait plus que jamais.
« Syelboer (Fire Ball) !!! »
Au même instant, Naeviah finissait aussi son incantation :
« Astre des Dieux, entends ma prière, ô douce litanie. Que ta lumière m’imprègne, que ton châtiment s’abatte. Forgaer ! »
Un scintillement de lumière, qui ne tarda pas à attirer l’attention, se forma au niveau de sa poitrine, elle tendit ses mains d’un geste théâtrale et un rayon de lumière en jaillit.
Son attaque devança la mienne. La lumière, même lorsqu’on parlait de magie, était donc plus rapide que le feu ? Elle toucha un géant qui avait tourné la tête vers nous et nous pointait du doigt.
L’instant d’après.
* BOOOM *
L’explosion de ma boule de feu retentit, tandis que nous assistions depuis les hauteurs à sa luminescence.
À partir de cet instant, je ne pourrais plus utiliser de sorts de zone pour ne pas mettre en péril Mysty et Tyesphaine. J’espérais en avoir tué le plus grand nombre possible avec mon attaque-surprise.
Lorsque j’avais proposé de simplement nous occuper des géants en restant sur les hauteurs, en tirant des boules de feu à tout-va, hors de portée de leurs attaques, Tyesphaine avait semblé éprouver des scrupules à les tuer sans leur laisser une chance de se défendre.
Quant à Mysty, plus pragmatique, elle avait dit :
— Ça ne me dérange pas, mais… si tu commences à tout cramer, on pourra de nouveau rien récupérer. Puis, le toit de la maison des esclaves est en bois, tu risques pas d’y foutre le feu ?
— Je peux utiliser les ténèbres à la place.
Mais d’un coup, c’était Naeviah qui avait grimacé.
— Ton sort de barbare ? Si c’est pour que tout s’écroule comme l’autre fois, non merci.
J’avais pourtant prévenu lors du combat contre le nécromant, mais on m’avait dit de l’utiliser quand même…
Je n’avais pas débattu et le plan s’était construit ainsi. Je supposais que personne ne voulait paraître inutile, mais du coup c’était quand même encourir des risques.
Lorsque la fumée se dissipa, je vis que mes flammes avaient tués seulement deux géants, mais nombreux étaient ceux portant des brûlures.
— OK, on recommence Naeviah !
— Ouais !
Un scintillement attira nos regards.
Au sommet de la montée apparut la silhouette d’un cavalier. C’était Tyesphaine, elle chevauchait sa licorne. La lumière du crépuscule se reflétait sur son armure et sur son arme.
Elle mit sa monture en marche et descendit à pleine allure la pente. Elle tendait en avant une lance de cavalerie au lieu de sa rapière habituelle. J’étais pourtant sûre de ne pas avoir vu une telle arme dans ses affaires, peut-être le même genre de sort qui avait fait apparaître une armure lors du combat nocturne dans l’auberge des bandits.
Avec la vitesse de la licorne et l’inclinaison de la pente, elle arriva en un rien de temps à portée du premier géant qu’elle perça droit au cœur. Plutôt que retirer la lance, elle l’abandonna et en fit apparaître une nouvelle dans sa main. C’était bien un sort, j’en avais confirmation.
Les géants commencèrent à réagir. Ils vociféraient des ordres dans leur langue gutturale. Mais peu importait, nous recommencions l’assaut à distance.
Naeviah utilisa le même sort, cette fois le rayon de lumière transperça deux géants qui se dirigeaient vers Tyesphaine. Affaiblis par ma magie de feu, le rayon les cueillis en pleine poitrine. Ils s’écroulèrent de leur quelques tonnes.
« Ô flammes écarlates, dansez et calcinez mes ennemis ! Shalysith (Purples flames) ! »
Un oiseau de feu jaillit de mes mains et fondit sur mes ennemis. Trois malheureux se trouvaient sur sa trajectoire s’embrasèrent pour de bon.
Tyesphaine était aux prises avec trois géants armés d’épées à deux mains à leurs dimensions. Au moment où je tournais mon regard vers elle, elle trancha la gorge de l’un d’eux à l’aide d’une hallebarde. Elle avait tout un arsenal magique à sa disposition et, avec sa licorne, elle compensait un peu la différence de taille.
Elle était excellente cavalière, je la vis esquiver un coup descendant d’un bond de sa monture. La cavalière et la licorne avaient une synchronisation parfaite dans leurs mouvements, et ce même en montant à crue. Tyesphaine guidait la licorne de ses jambes au lieu d’utiliser des rênes, elle avait donc les mains libres.
Le deuxième géant, pour sa part, lui jeta du sable au visage. Une vile stratégie à laquelle Tyesphaine n’était pas préparée. Il fonça sur elle un sourire sur le visage, son épée prête à l’estoquer, lorsqu’une forme tomba derrière lui.
Je vis des traînées de flammes dessiner des lignes et des courbes à une incroyable vitesse. Lorsque la silhouette, qui était celle de Mysty posa les pieds au sol, le dos du géant était tellement lacéré qu’il s’écroula avant de pouvoir attaquer Tyesphaine.
J’étais rassurée, j’avais eu peur un instant, mais elles protégeaient l’une l’autre.
Je retournai à mon propre combat pour remarquer qu’il y avait un problème.
Une des géantes tendait ses mains et des projectiles de glaces foncèrent droit sur Naeviah.
Je m’interposai et érigeai un bouclier magique à la hâte.
Il fut insuffisant pour me prémunir entièrement du sort : une écharde s’enfonça dans ma cuisse, une autre me lacéra le bras et une dernière entra dans mon épaule.
La douleur me tira une grimace.
Si je n’avais pas agi ainsi, cela aurait pu être pire. Naeviah n’avait pas de sorts de protection comme moi et ne portait pas d’armure.
Je tombai à genoux alors que les pics de glace disparurent et que le sang jaillit soudain.
— Idiote ! Qu’est-ce que tu as fait ?!
La voix de Naeviah derrière moi était paniquée, mais je n’avais aucun regret.
— Reste calme un instant, je…
Elle ne finit pas sa phrase et commença à incanter. C’était elle qui était paniquée, pas moi.
Le réel problème était surtout que notre ennemi commença à incanter aussi. Si je la laissais faire, le deuxième round de notre affrontement magique serait meurtrier.
La défense n’avait jamais été mon fort, j’avais toujours été partisane du dicton : « Si vis pacem parabellum ». C’était une des rares phrases que je connaissais en latin, d’ailleurs (bien que j’étais incertaine quant à sa prononciation).
Je serrais les dents. Je sentais le goût et l’odeur du sang dans ma bouche.
J’avais eu raison de m’attendre à une ou plusieurs lanceuses de sorts dans les rangs de nos ennemis. Parmi les géants, ceux de glace étaient les seuls à disposer de capacités magiques, mais uniquement les femmes qu’on appelait Walkyria.
Depuis le début du combat, je guettais cet instant. Mon inquiétude pour Tyesphaine m’avait déconcentrée et avait failli me coûter Naeviah.
Heureusement j’étais arrivée à temps, mais en pensant à quel point cela aurait pu mal tourner…
Alors que la géante s’entoura d’une aura bleu de glace tout en incantant dans sa langue, la prière de Naeviah entra distinctement dans mes oreilles. Je décidai de passer à l’attaque sans plus tarder.
Sans prendre le temps d’incanter, je concentrai ma magie et tendit mes mains : « Zard (Darkness Arrow) ! ».
Le sort serait moins efficace, moins précis, mais le but était d’interrompre avant l’incantation adverse. Je devais faire confiance à mes camarades au corps-à-corps pour s’occuper des autres géants.
Une dizaine de flèches de ténèbres partirent de mes mains, franchirent à pleine vitesse la distance me séparant de ma cible et fondirent sur la géante.
À cette distance, avec mes blessures, l’attaque fut un peu maladroite. Trois de mes flèches sifflèrent à côté de son visage et s’en allèrent s’enfoncer dans le mur derrière elle, mais les trois autres l’obligèrent à croiser les bras pour se défendre.
Avec cette puissance, les blessures n’étaient pas si grave, surtout avec son physique de géante, mais j’avais accompli mon but.
« … puissiez-vous reporter son ultime voyage. Oraya ! »
Je me forçais de sourire alors que Naeviah finit sa prière. Ses mains se posèrent sur mon dos et injectèrent en moi l’énergie sacrée. Je sentis l’espace d’un instant un toucher si doux, si tendre qu’il me fit oublier ma douleur. Naeviah m’enlaçait et caressait ma tête un peu comme une mère protectrice.
Bien sûr, ce n’était qu’une impression. L’imaginer dans ce rôle était plus terrifiant qu’autre chose en vrai.
— Merci, Naeviah !
— Tsss ! Arrête de te faire blesser, j’aime pas demander à la Déesse de retarder ton échéance.
En vérité moi non plus, mais je me dispensais de lui le dire.
— C’est le moment de contre-attaquer. Ensemble !
Naeviah se remit à incanter son sort de lumière. Je supposais qu’à cette distance c’était le seul qu’elle avait d’efficace. Sa spécialité était le combat contre les morts-vivants, une partie de son arsenal magique devenait moindre contre des créatures vivantes.
Pour ma part, je décidai de rester sur le registre des ténèbres plus adapté pour infliger des dégâts massifs à une seule cible. J’imitai Naeviah en choisissant une attaque de type rayon également.
« Portail Obscur aux mille visages grimaçants et aux infinies complaintes, que s’abatte ton courroux et se déchaînent ta noirceur. Exulte sur le monde ton sombre apocryphe. »
Au lieu de tendre mes mains, cette fois je les écartais pour former une croix. Devant moi apparut un portail de fer aux visages torturés. Différents cercles magiques se dessinèrent à mes pieds.
Naeviah me prit de vitesse, elle tira son rayon de lumière qui se heurta à la barrière magique de la géante. Cette dernière retenait son attaque. Son plan était clair : repousser Naeviah et tirer ses pics de glace avant que je n’ai fini.
Néanmoins, elle oubliait que j’avais aussi une défense magique.
Le rayon de lumière brisa la barrière de la géante et lui perfora le flanc. Elle tendit aussitôt ses mains vers nous et comme auparavant les pics de glaces déferlèrent dans notre direction.
Alors que six sphères apparurent autour de mon portail, je fis apparaître ma protection magique.
Cette fois, je m’attendais à l’attaque. J’avais laissé un peu de mon mana à disposition pour la réceptionner, justement.
Malheureusement, ce n’était pas suffisant. La géante avait une sacrée puissance offensive ! Deux échardes seulement passèrent cette fois, l’une me frôla le bras et l’autre se planta dans mon épaule à nouveau. J’avais réussi à protéger les parties les plus sensibles au moins.
Mon insuffisante défense faisait néanmoins partie de ma stratégie. Contrairement à la géante, j’avais quelqu’un pour me soigner.
« Suil’kyos ! »
Les portes s’ouvrirent. Un rayon noir en jaillit et fondit sur la géante. Il traversa l’air en émettant un grincement strident désagréable. Des motifs rouges étaient visibles à l’intérieur du rayon.
La géante tenta en vain de faire apparaître une barrière mais mon attaque était plus rapide. Ses bras furent désintégrés les premiers, puis son torse. Un trou béant s’y creusa. La structure derrière elle fut à son tour marquée par un trou parfaitement rond alors que mon attaque la traversa.
— Héhé ! Pas assez rapide ma grande.
Je grimaçais néanmoins, j’avais mal pour la seconde fois. Lorsque je me tournais vers Naeviah, elle gonfla les joues ; elle avait compris que j’avais compté sur ses capacités de soin au lieu de ma défense.
— Bonne à rien !
— Merci, Naeviah.
Pendant qu’elle me remettait sur pied, je vis la fin du combat de Tyesphaine et Mysty. Leur duo eut rapidement raison des géants déjà blessés.
Tyesphaine attirait les attaques tandis que Mysty frappait les ennemis là où ça faisait mal, traîtreusement.
La dernière géante en vie frappa Tyesphaine. Cette dernière fit apparaître un bouclier d’énergie devant elle, puis contre-attaqua en enfonçant sa lance dans le ventre de son adversaire. Aussitôt, Mysty frappa de ses kama les genoux de la géante, bondit sur son épaule et lui creva les yeux. En retombant dans son dos, elle la lacéra des coups à l’aide de ses armes enflammées.
Le combat semblait terminé.
Je levais le pouce en direction de mes amies qui étaient à peine blessées.
Malheureusement, elles ne me voyaient pas à cette distance et dans cette obscurité.
***
Nous finîmes de détruire les chaînes qui retenaient ces neufs humains.
Naeviah avait utilisé ses soins magiques pour nous remettre toutes en état. Elle n’avait fait aucun reproche à Mysty ou Tyesphaine, elle avait déjà déchargé sa colère sur moi auparavant.
Je me dirigeais vers les prisonniers.
Il y avait trois femmes et six hommes. Quatre prisonniers étaient vraiment maigres. Parmi eux, une femmes aux cheveux blonds crépus.
À peine ces quatre-là me virent-ils m’approcher, sans la capuche que j’avais oublié de remettre, qu’ils se jetèrent à genoux et m’implorèrent de pardonner leur incompétence.
— Ne craignez rien, nous sommes venues vous rendre votre liberté. Je n’ai aucune intention de vous faire du mal.
Les autres grommelèrent des paroles à peine audibles, et aucunement intelligibles. Ils ne se relevèrent pas.
Les cinq autres prisonniers, par contre, rampèrent à mes genoux :
— Merci beaucoup !
— Vous êtes notre sauveuse !
— Que les dieux vous bénissent !
Mon apparence ne les gênait pas. Je supposais que l’aura dakimakura jouait son rôle.
— Yo ! Vous êtes tous libres ! Et j’veux pas entendre de merci ou quoi que ce soit du genre, dit Mysty en arrivant à côté de moi. Si vous ressentez une telle gratitude, eh bien, sauvez vous aussi des esclaves la prochaine fois.
C’était une noble manière de penser, je ne pus m’empêcher de porter un regard chaleureux sur ma collègue. Néanmoins…
— Enfin, elle veut dire qu’il faut aider à votre tour votre prochain. Si vous ne savez pas vous battre, ne vous lancez pas non plus dans une mission suicide, mais il y a souvent des moyens de triompher sans utiliser les muscles, dis-je en finissant par un clin d’œil.
Oui, en utilisant la magie. Hahaha !
En vérité, je n’étais pas partisane de ces paroles. La force brute ou magique était ce qui permettait de vaincre au final. Par contre, ils n’étaient pas obligés de combattre, appeler à l’aide était une solution aussi.
— Oui, bien sûr, nobles aventurières !
— On peut compter sur les elfes pour nous sauver ! C’est la Providence !
Les cinq qui étaient moins malingres, sûrement capturés plus récemment, étaient aussi les plus bavards. Les quatre autres se taisaient, restaient en retrait et n’osaient pas lever les yeux sur nous.
— Euh… c’est normal qu’on me reconnaisse comme elfe ? demandai-je à Mysty.
— Si tu ne caches pas tes oreilles, forcément qu’il y a des gens qui te reconnaissent. Haha !
Naeviah et Tyesphaine arrivèrent à cet instant.
La réponse de Mysty m’avait donné pour indication qu’il y avait « des gens » uniquement qui étaient susceptibles d’identifier ma nature, ce qui signifiait que ce n’était pas le cas de tous.
Les paysans devaient sûrement connaître les elfes que de noms, des sortes de croquemitaines, inclus dans leurs comptines et légendes, mais de là à savoir qu’un humanoïde au corps svelte et aux oreilles pointues en étaient un…
— D’où venez-vous ? Enfin, où alliez-vous avant qu’on ne vous capture ? demandai-je abruptement.
Ces cinq-là n’étaient pas normaux. Leur réponse me le confirma.
Ils se jetèrent des regards pleins de sous-entendus, s’interrogeant l’un l’autre si nous dire ou non la vérité, et finalement l’un d’eux prit la parole.
Il s’agissait d’un homme barbu, trapu, aux cheveux mi-longs. Il allait sans dire qu’il n’était pas très propre et qu’il portait les mêmes guenilles que les autres.
— Je m’appelle Hudwyn, je suis le chef d’une compagnie d’aventuriers du nom de Cristal. Unsi, Urti, Idri et Ushé font tous partie de mon groupe. Nous… nous étions ici pour une mission de chasse au monstre et avons été battus et capturés.
— Oui, c’était il y a une semaine, dit une des filles qui devait être Idri.
Unsi et Urti semblaient frères. Leurs traits étaient vraiment similaires. Ils étaient grands et blonds, avec de puissants pectoraux.
Je me retins de grimacer en voyant leurs musculatures proéminentes : je détestais les muscles. C’est juste un avis personnel, simplement mes goûts, mais les corps musclés ne m’attiraient pas, ni dans cette vie ni dans la précédente.
Idra avait des cheveux roux, tandis que Ushé avait des cheveux courts coupés à la garçonne et une peau foncée.
— Vous êtes des aventuriers, dit Naeviah. Ça arrive parfois d’être vaincus. C’est pas de chance.
J’avais l’impression qu’elle essayait d’être polie, mais à ses yeux ils n’étaient aucunement dignes d’intérêt. En plus, je lui supposais un peu de la suffisance aristocratique face à des roturiers.
— Quoi qu’il en soit… vous êtes libres…, dit Tyesphaine qui ne semblait pas à l’aise non plus.
— Oui. Prenez ce dont vous avez besoin sur les cadavres et dans les maisons, ajoutai-je.
— Dites ?
— Oui ? demanda Mysty.
— Pourrions-nous faire le chemin de retour ensemble ? demanda Hudwyn.
— Ouais, pas de souci. Par contre, on va où les filles ?
Naeviah soupira.
— Demande-le à l’elfe perverse.
— Eh oh ! M’appelle pas comme ça… en plus devant des inconnus.
Mais Naeviah ne parut pas du tout regretter ses paroles, au contraire elle me jeta un regard remplit de défi.
C’est une tsundere ! C’est une tsundere ! me répétai-je pour lui trouver une justification alors qu’elle commençait un peu à m’énerver.
Les aventuriers ne relevèrent même pas. Ils parurent contents de notre réponse et aussitôt s’en allèrent dans les maisons pour récupérer quelques biens.
— Les aventuriers et le pillage…, dis-je.
— Oui, c’est une longue relation. Haha !
— Parlez pour vous, dit Naeviah. J’aime pas piller des cadavres. Non mais !
— Moi non plus…
— Bien des nobles ça…, marmonnai-je.
— Tu as dit ?
— Non rien…
Je me mis à siffler et m’approchais des quatre autres prisonniers.
— Vous venez d’où ?
Malgré la douceur de mon ton de voix, il nous fallut pas mal de temps pour les mettre suffisamment en confiance pour leur soutirer des paroles.
Comme je l’avais supposé, ils étaient là depuis plus longtemps, un peu plus d’une année. Ils étaient tous traumatisés. Ils venaient des villages les plus proches des montagnes.
Deux des prisonniers, Yrtanid et Irdra étaient mariés et étaient des marchands ambulants à la base. Leur caravane s’était faite attaquée et étaient les derniers survivants.
— Vous dites qu’ils amenaient des prisonniers au cœur des montagnes ? répéta Naeviah.
En effet, le couple venait timidement de nous apprendre qu’à leur arrivée, il y avait eu d’autres prisonniers. Mais les géants les avaient déportés peu à peu à l’intérieur de la montagne où on ne les avait plus jamais revus.
Ils ignoraient ce qui s’y passait au juste mais pour eux la montagne signifiait la mort. Seul Ertemad, le plus vieux des prisonniers, affirmait dans ses propos incohérents qu’il y avait un monstre que les géants nourrissaient.
— Bah, j’sais pas pour vous les filles, mais j’ai bien envie d’aller voir ce que c’est que ce monstre…
Mysty croisait les bras derrière la tête mettant en avant sa forte poitrine(heureusement confinée dans son armure). Naeviah grinçait des dents et évitait de tourner son regard vers elle.
Elle était si jalouse ?
C’était moi la plus « à plaindre » (même si au contraire, je m’estimais contente à ce sujet) mais pourtant c’était elle qui était la plus à cran ? Je ne pus m’empêcher de sourire en le remarquant.
— J’ai aussi envie d’aller voir. On ne sait jamais, ça pourrait être quelqu’un chose de très ancien et lié à ma quête.
— Oui, c’est vrai…
— En gros, il n’y a que moi qui ait un minimum de jugeote pour me dire que c’est une mauvaise idée ? demanda Naeviah.
Nous nous regardions toutes les trois puis répondîmes en même temps :
— Oui !
— Tsss ! Vous me donnez la migraine ! C’était quoi cette réponse parfaitement synchrone ? Vous vous la jouez les sœurs retrouvées ou quoi ?
— Il était bien ce roman…, commenta Tyesphaine avec enthousiasme avant de se faire fusiller du regard par la prêtresse.
Naeviah croisa les bras, puis soupira longuement.
— Je vais venir quand même, sans moi qui vous guérira ? Mais franchement… qui est-ce qui m’a donné un tel groupe ?
— Ta Déesse ?
Naeviah m’attrapa les joues pour les tirer… sauf qu’elle ne le fit pas. Au final, elle m’attrapa juste les joues.
— Tu n’insulterais pas ma déesse adorée par hasard ?
— Noché pasceke chevoulais dire…
Involontairement, je lui postillonnais dessus. Impossible de parler correctement dans ces circonstances. Elle afficha un regard dégoûté, puis me lâcha.
— Bref, allons-y ! Jetons un coup d’œil.
— Si vous voulez y aller, nous pourrions vous y guider, proposa Unsi.
Les cinq aventuriers étaient de retour.
Ils avaient essayé de récupérer des objets mais il y en avait sûrement peu à leur taille. Ils n’avaient finalement pris que de la nourriture, des couverts et quelques ustensiles.
Les couteaux de géants pouvaient facilement être utilisés comme des épées courtes.
— Vous connaissez les mines ? demanda Naeviah.
— Unsi et moi y sommes allés deux ou trois fois. Les géants avaient besoin d’aide pour l’extraction.
Considérant leurs carrures, c’était possible. Néanmoins, l’attitude des anciens prisonniers me parut un peu étrange à cet instant. Je ne parvenais pas à m’expliquer en quoi, toutefois.
— Cool ! Ça nous fera gagner du temps. Allons-y !
Mysty ouvrit la marche avec les deux frères, les trois autres aventuriers les suivirent de près.
Je jetai un regard entendu à Naeviah et me mis dans le groupe de tête. Naeviah et Tyesphaine fermaient la marche pour leur part.
Les quatre prisonniers plus anciens nous demandèrent le droit d’être dispensés de nous suivre. Ils n’étaient pas des aventuriers, c’était compréhensible.
— Nous reviendrons de toute manière. Promis, nous vous ramènerons chez vous, leur dis-je avant de partir.
Ils me remercièrent obséquieusement.
L’intérieur de la caverne était rempli de tunnels. C’était un vrai labyrinthe. Jusqu’où avaient bien pu creuser les géants ?
Quelque chose me disait néanmoins que ces excavations étaient plus anciennes qu’eux. L’empire des nains ?
C’était possible, mais je n’avais presque pas d’informations les concernant. Un empire aussi ancien que les elfes et à présent tout aussi oublié.
Les deux aventuriers connaissaient réellement les tunnels, ils nous guidaient presque sans faute.
Finalement, nous arrivâmes dans une grande pièce avec au centre une mosaïque. L’endroit était éclairé par des pierres magiques de couleur bleu.
En face de nous, il y avait une grande porte haute de quelques six ou sept mètres. Nous étions sûrement bien profond à présent.
— Le monstre est sûrement là derrière, dit Hudwyn.
— Nous avions repéré la salle en venant la dernière fois.
— Bien joué les gars ! dit Mysty en levant le pouce. Reculez et laissez-nous faire. Avec vot’équipement…
Les aventuriers exécutèrent son conseil et revinrent à l’entrée de la pièce.
C’est là qu’Ushé, cette fille si silencieuse, esquissa un large sourire.
Au même instant, une herse en métal tomba à l’entrée de la salle, entre nous et eux.
— Hein ? s’exclamèrent Mysty et Tyesphaine.
Naeviah et moi nous jetions un regard complice.
— Et si vous nous donniez votre or et votre équipement ? déclara Hudwyn avec une regard mauvais.
Nous étions tombées dans un piège…