Isekai Dakimakura – Arc 2 – Épilogue

Sur le chemin du retour…

Sans rien dire à Naeviah, qui se serait probablement fâchée, j’avais pris la tête du groupe. Il n’était plus question de se perdre et de s’enfoncer plus profondément dans ces froides montagnes, j’avais décidé de simplement rebrousser chemin. En théorie, je n’aurais pas dû me tromper, il ne s’agissait plus d’orientation mais de mémoire… enfin, je l’espérais.

Car, qu’est-ce qui ressemble plus à paysage sauvage qu’un autre paysage sauvage ?

Quelques heures s’étaient écoulées depuis notre combat, nous n’étions pas encore au top de notre forme. Les blessures étaient pour la plupart refermées grâce à la magie curative de Naeviah, mais la fatigue par contre ne cessait de s’accroître. Et l’état de Mysty était encore déplorable, même si elle se forçait à faire comme si tout allait bien.

— Essayons de sortir des montagnes avant la nuit, dis-je.

— C’est vrai que ça risque d’être pénible de dormir sur un terrain irrégulier comme celui-là, commenta Mysty. C’est une descente, un peu de nerf et nous y arriverons à temps !

Certes, descendre était plus facile, mais considérant notre état… puis, nous étions un peu plus encombrées qu’à l’aller.

Elles n’avaient pas réussi à me retrouver une arme, aussi Mysty avait proposé de simplement me prêter une de ses dagues. Elle s’était montrée très efficace pendant le combat. Cependant…

— Une combattante à deux armes doit avoir deux armes. Je vais pas t’en séparer, Mysty. J’ai déjà une dague, ça ira !

— Quelle excuse pitoyable…

— Fialiiiii !!

Contrairement à Naeviah, Mysty avait parfaitement reçu mon argument et c’est les larmes aux yeux qu’elle me remercia en me prenant dans ses bras.

— Encore en train de flirter… Tssss !

Tyesphaine me jeta des œillades à la fois embarrassées et fatiguées. J’avais l’impression qu’elle allait s’écrouler d’un instant à l’autre.

— Et sinon, vous avez pris quoi ? demandai-je.

— C’est vrai ça ! Vos sacs semblent pleins, j’espère que vous avez pas pris de la camelote…

Nous n’avions pas pris le temps de faire le point à ce sujet, Naeviah et moi leur avions simplement fait confiance.

— Bah, il avait pas mal de trucs sympa, mais genre c’était trop gros. Les livres valaient chers, mais j’ai préféré prendre cette statue !

Elle ouvrit son sac et nous montra une statue dorée représentant un château. C’était un bel ouvrage, mais qui semblait peser une tonne. La statue avait la taille des maquettes que j’avais vu dans ma précédente vie, mais tout en métal.

— C’est du vrai or ?

— Yep ! Ch’sais pas ce qu’il foutait avec ça, il y avait des tas de parchemins en-dessous.

— Un presse-papier ? Naeviah, tu penses ce que je pense ?

— Tssss ! J’en ai assez de vous ! Pourquoi tu n’as pas dit qu’il avait des notes de recherches et des correspondances ?

— Hein ? Vous parlez des papiers qui étaient en-dessous ? Y avaient pleins de gribouillis chelous, je les ai jeté dans la corbeille à côté. Y avaient de la valeur ?

Cette fois Naeviah se mit à pleurer en posant sa tête sur mon épaule. La fatigue et le désespoir lui avaient perdre sa réticence habituelle de m’approcher. Malgré la sueur du combat, je sentais sur elle une flagrance d’orchidée. C’est une plaisanterie, j’étais incapable de reconnaître les fleurs…

Ce n’était pas du parfum de rose, seule chose que je pouvais dire avec certitude (odeur avec laquelle j’étais quand même plus familière), mais elle sentait bon.

— Mysty, c’était peut-être des informations importantes, lui expliquai-je.

— Ah bon ? Faut qu’on y retourne ?

Toutes les quatre nous retournâmes et fîmes face au chemin rocailleux qui remontait dans les sommets de la montagne. Nous restâmes là, silencieuses, immobiles, quelques minutes durant.

Le ciel se colorait des lueurs du crépuscule.

Puis, sans mot dire, plus ou moins en même temps, tacitement, nous nous retournâmes vers la pente descendante et reprîmes la marche.

Personne n’avait envie d’y retourner, nous étions presque arrivées à sortir de la montagne en plus.

— Du coup, si c’est de l’or…

— Ouais, ça vaut pépettes. Héhé ! Avec ça, on va pouvoir être tranquilles un moment.

— J’ai trouvé quelques pierres précieuses…, dit Tyesphaine en se retenant de bâiller et en montrant dans son sac des pots avec des pierres.

Je les scrutais en marchant. C’était des composants magiques.

— Plus encore que des pierres précieuses, ce sont des composants de rituels, lui expliquai-je.

— C’est moins bien ?

— Au contraire. Ils sont sélectionnés et taillés pour être optimum dans l’utilisation de la magie rituelle. Je ne connais pas les prix, puisque j’ai grandi dans la Grande Forêt, mais en principe ça doit valoir autant qu’un bijou manufacturé.

— Eh ben ! Classe ! Et tu peux pas les utiliser, Fiali ?

— En principe, je sais le faire, mais…

— … Mais mon mentor ne m’a jamais appris à le faire, c’était lui qui le faisait, m’imita Naeviah.

Je grimaçai face à cette imitation grotesque, puis l’ignorais.

— Je n’en ai pas besoin. Je connais quelques rituels, mais rien qui me suis utile pour le moment. Ma magie est principalement orientée vers l’attaque.

— Oh ? J’vois. Bah, du coup c’est mieux comme ça, on peut tout vendre.

— Oui, en effet. Et bien joué, Tyesphaine. C’est une bonne trouvaille.

Cette dernière sourit timidement, gênée de recevoir des compliments.

— N’empêche… Moi qui te pensais si forte, tu t’es fait battre par ce géant. Si Tyesphaine n’avait pas été là, tu serais une elfe en morceaux, me fit remarquer Naeviah.

Je sursautai alors que des gouttes de sueurs apparurent sur mon visage. Plus encore que la peur de mourir, j’avais perdu la face. Moi qui espérais devenir leur référence en terme de magie…

En plus, j’étais une haut-elfe. La magie était notre spécialité en principe. D’ailleurs, mis à part la magie, en quoi étais-je réellement utile au groupe ?

— Désolée… dire que je suis une haut-elfe…

Mes épaules tombèrent et mes oreilles se baissèrent comme un chien battu. Du moins, je pense que c’était ce à quoi je devais ressembler à cet instant.

— C’est… pas ta faute, Fiali. Tu… tu as dit qu’il était un géant ancestral, c’était pas un ennemi commun… je pense…

Le raisonnement était juste. C’était une créature antique et qui avait bien plus d’expérience et de savoir que moi.

Tyesphaine était gentille comme toujours. Mais mon orgueil d’elfe avait quand même pris un coup.

— Mais ouais ! Pis, on s’en fiche, c’est toi la plus mignonne de toutes les magiciennes. Notre adorable Fiali~ !

Je ne savais pas si être contente ou non de ces compliments. En gros, j’étais une mascotte qui faisait du feu et de l’obscurité…

Nos regards se tournèrent vers Naeviah, comme si nous attendions qu’elle ajoute son petit mot, mais, elle grimaça et détourna le regard.

— Tu es inutile et dépravée, en ça ce géant ne t’égalait pas… Mpff !

Je ne devais pas m’attendre à plus de sa part.

Je ravalais ma fierté et amenai un autre sujet important sur le tapis.

— J’aimerais qu’on tente de trouver des sacs magiques avec l’argent qu’on récoltera du butin. Pour mon épée, n’importe quelle épée longue ou courte me suffira.

— Sac magique ? répéta Tyesphaine.

— Oui. Un sac qui permet de stocker plus de choses que ses dimensions mais qui reste léger. Un sac magique, en gros. Mon mentor en avait un, il était très pratique.

— Ah, tu parlais de ces sacs-là… j’en ai déjà vus…

— Ils sont courants dans la noblesse, expliqua Naeviah. Ce genre d’objet magique est décliné en coffre, armoire et autres. Mais malheureusement, elfe ignorante du monde des humains, ce genre d’article ne s’achète pas dans les boutiques.

— Ah bon ?

— Ouais, en plus ça vaut la peau de fesses. On aura jamais assez avec ça… Mais pour une arme magique faible, peut’et que c’est bon, ajouta Mysty.

— Ça monte à combien ?

Je m’attendais à quelques milliers de pièces d’or.

À bien y penser, si j’avais pu tirer facilement cent pièces de la revente de pierres précieuses, mille pièces d’or devait être un prix exagéré.

— De quelques centaines à quelques milliers de pièces d’or. Les sacs magiques sont parmi les plus chers, car très pratique. J’avais fait des recherches à l’époque puisque cette faux est un peu lourde…

En effet, elle la portait toujours avec elle, c’était le genre d’arme qui ne pouvait être rangée dans le dos.

— Tu devrais surtout l’abandonner, tu l’utilises pas en réalité, dis-je.

— Quoi ?! Tu plaisantes ? C’est l’arme de ma Déesse adorée ! Hors de question que je m’en sépare ! Puis, elle est très utile.

Je plissais les yeux.

— Tu sais au moins t’en servir.

— Tu es bien impertinente pour une sale perverse… Bien sûr que je sais me battre avec, j’ai appris au temple.

— Ah bon ? Pourtant en combat, la première chose que tu fais c’est la poser au sol. Un jour, j’ai bien envie de voir comment tu l’utilises.

— Tu… tu ne me crois pas ?

Naeviah grinçait des dents.

Honnêtement, non, je ne pensais pas qu’elle lui était utile. La faux est une arme complexe à utiliser, ses mouvements et sa forme sont difficiles à maîtriser. Je n’étais vraiment convaincue par son efficacité.

Les armes les plus utiles en combat étaient son conteste les épées, lances, marteaux et haches. Même les fléaux et les masses étaient moins efficaces que les quatre citées.

— Je parle pour ton bien. Je suis sûr qu’elle te fait mal au bras en plus.

— Tsss ! Tu racontes n’importe qu… Ouille !

Elle grimaça alors que je lui touchais le biceps. Comme je le pensais, cette arme était trop lourde pour elle, son muscle était tendu et endolori.

A quel point pouvait-elle être fière au juste pour nier l’évidence ?

— Je ne vais pas insister, mais je pense que ta Déesse te préfère en vie et en bonne santé que te voir échouer un sort parce que ton bras te fait mal.

— Tu ne connais rien des dieux, tu es une elfe !

C’était en partie vrai. J’étais une elfe.

Par contre, les dieux… je les avais rencontrés en personne.

— J’ai dit que je n’insisterai pas, je ne voudrais pas qu’une elfe comme moi interfère dans des affaires de divinités.

— Oui, c’est mieux. Le rapport d’un prêtre à son dieu est une affaire personnelle.

Naeviah semblait peu contente. J’avais l’impression d’avoir mis le doigt sur quelque chose de délicat. J’en pris note.

Une silhouette vint s’interposer entre nous.

— Arrêtez toutes les deux !

Tyesphaine reprit son souffle, comme si crier de la sorte lui avait demandé beaucoup d’énergie.

Naeviah et moi la regardions avec des yeux ébahis.

— Fiali… s’inquiète pour toi, c’est tout. Elfe ou pas, ça n’a rien à voir !

Naeviah détourna le regard.

— Je… sais… je me suis un peu emportée…

Je souris et posais ma main sur l’épaule de Tyesphaine (en évitant les pointes).

— Ne t’inquiète pas, je ne lui en veux pas. Tu t’es fait du sang pour rien Tyesphaine. Comme je l’ai dit, je ne compte pas insister plus, j’ai dit ce que je pensais. Et Naeviah n’a pas tort, je ne prie pas de divinité, c’est gonflé de ma part de faire la morale sur ce sujet. Allez, reprenons la marche dans la paix et la bonne humeur.

Mais alors que je me remis en marche, l’air de rien, — en vrai, je n’avais jamais pensé à notre échange comme une dispute, je comprenais qu’une athée n’avait son mot à dire sur ce sujet—, quelqu’un me retint en m’attrapant par le coude.

Je me retournais pensant qu’il s’agissait de Tyesphaine, mais c’était Naeviah. Elle était rouge et baissait le visage, mais je pus voir son embarras dans ses yeux humides.

— Si… si tu veux… enfin… si tu pouvais la porter un peu… je… je t’en serais reconnaissante…

Mon cœur s’arrêta l’espace d’un instant, puis pompa si fort que je sentis le sang battre mes tympans. C’était la première fois qu’elle me demandait un service. À moi ! L’elfe lubrique ! (selon elle)

Sa timidité, son embarras étaient craquants ! C’était comme si elle m’invitait à la prendre dans mes bras.

Je me retins de le faire, cela dit, et, à la place, je me grattai la joue en détournant le regard.

— Quand tu es fatiguée, n’hésite pas à me demander. Je voyage léger…

Je pris la faux à sa place.

—  Tout est bien qui finit bien ! J’suis contente que vous vous soyez pas prises la tête plus que ça. Haha !

— Oui. Bravo… Naeviah…

— Tssss ! Arrêtez de dire n’importe quoi toutes les deux ! On s’est pas réconciliées ou un truc du genre. C’est juste que j’essaye de lui trouver une utilité pour une fois. Ma faux est un peu lourde, ça me fait mal aux épaules à force.

Je ne rebondis pas sur ses propos et nous reprîmes la route.

***

Cette nuit-là, nous endormîmes d’un coup. À peine le dîner englouti, avant même de finir de tout ranger, les premières d’entre nous sombrèrent dans les bras de Morphée ; les autres ne tardèrent pas à les suivre.

Au matin, ce fut la surprise. Surtout pour moi.

Je crus étouffer.

Ma tête était cette fois dans la poitrine de Tyesphaine, qui l’enlaçait comme un coussin. Une autre paire de seins m’écrasait le bas du dos : celle de Mysty qui avait passé ses bras autour de mon bassin.

L’un de mes bras était bloqué également, c’était Naeviah qui s’y était accroché. Elle tenait ma main dans la sienne et avait posé la tête dessus. Je sentais son souffle, ainsi que son corps tout autour de mon bras. Son pied reposait sûrement derrière ma tête.

J’avais l’impression d’être dans une position de lutte, seul mon bras gauche pouvait bouger et frapper le sol pour déclarer abandon.

La fatigue excessive avait eu raison de leurs défenses, même les plus réticentes s’étaient laissées emportées par mon aura dakimakura.

Mes cheveux étaient ébouriffés, j’avais mal pour mes couettes que je n’avais pas eu le temps de défaire. Mes vêtements étaient ouverts et je ressentais des courants d’air frais à divers endroits de mon anatomie.

— Les filles… je…

Ma voix était un peu étouffée, la poitrine de Tyesphaine, plus imposante encore que ce que je pensais, l’amortissait.

— J’aimerais que vous me laissiez…

Mon souffle réveilla Tyesphaine d’une certaine manière. Contrairement à Mysty, elle était habillée, je sentais même les baleines de son soutien-gorge à travers sa chemise.

Je tentai de bouger ma main, mais sentit immédiatement que je touchais quelque endroit qu’il m’aurait été normalement interdit.

Je bougeai ma jambe et sentit la bouche de Mysty essayer de me manger le dos, ce qui me chatouilla.

— Hahaha !

Finalement, Mysty m’obligea à me débattre, ses lèvres me provoquaient des frissons, je ne parvenais plus à me contrôler, tellement elle me faisait rire.

Oubliant tout ce que je touchais involontairement, je m’agitais jusqu’à ce qu’elles furent toutes réveillées.

Mon allure. Leurs regards. Tout s’entremêla et provoqua un état de profonde confusion.

Tyesphaine et Naeviah, d’un commun accord, se turent et s’éloignèrent pour retourner se coucher. Je ne pouvais que deviner le profond embarras qui les agitait.

— C’est pas encore le matin…, marmonna Mysty. Fais un peu frisquet…

Normal, si tu ne portes rien, Mysty !

Et sans aucune gêne, elle vint s’enrouler autour de moi en jetant une couverture sur nous.

Je capitulais…

***

Quelques heures après notre réveil, nous fûmes témoins d’une petite surprise. Une sorte de « retour de karma », pour utiliser une expression de mon ancienne vie.

Tout d’abord, nous rencontrâmes sur la route les quatre prisonniers qui s’étaient enfuis, ceux qui étaient malingres et faisaient partie des plus anciens.

Rapidement, ils implorèrent notre aide.

Lorsque les traîtres aventuriers étaient sortis des tunnels, les quatre les avaient suivis, comprenant vaguement ce qui s’était passé. Mais, à la tombée de la nuit, alors que les aventuriers montaient leurs camps, ils les chassèrent.

Ils n’avaient pas envie de partager leur couche et leur nourriture.

Les quatre avaient apporté néanmoins leurs propres vivres, pris dans les réserves des géants. Ils n’insistèrent pas et, même s’ils étaient désireux d’avoir une escorte jusqu’au prochain lieu de civilisation, ils estimèrent que les aventuriers étaient dangereux pour leur sécurité et s’en séparèrent sans faire d’histoire.

Néanmoins, à peine quelques dizaines de minutes plus tard, nous retrouvâmes les cinq traîtres en train de crier :

— Aidez-nous !! Pitié !!

Ils nous avaient remarqué sur la route.

Ils étaient tous suspendus aux branches d’un arbre, les ayant agrippées pour échapper à une meute de loups affamés.

Nos regards se croisèrent à distance, les loups grognaient et ne semblaient pas vouloir changer de cible ; ils nous avaient sûrement aperçus aussi.

— Ohhh ? Mais qu’entends-je ? Ne serait-ce pas la voix de la traîtrise ! dit Naeviah d’un air condescendant.

— Il me semble entendre un vague murmure aussi… Bah, rien de grave, je suppose. Continuons…

J’entrais dans le jeu de Naeviah. Nous nous remîmes à marcher toutes les deux, mais rapidement nous remarquâmes que Tyesphaine et Mysty n’avaient pas compris. De même pour les quatre anciens prisonniers qui s’interrogeaient eux aussi quant à quel groupe suivre (ils n’avaient sûrement pas l’intention de risquer leurs vies pour des traîtres).

— On ne va pas les aider ? demanda Mysty.

Le regard de Tyesphaine posait la même question.

Naeviah et moi soupirions en même temps. Bien sûr que nous allions le faire, mais nous voulions les voir nous implorer, regretter leurs actes passés.

— À choisir, je préférerai aider les loups, dis-je en plaisantant. Les pauvres, regardez-les, ils ont faim.

— Pareil en fait. Pour une fois que je suis d’accord avec l’elfe dépravée.

— Héhé ! Fais attention, la lubricité te contaminera à force.

— Beurk ! Aucune envie de te ressembler !

Le regard dégoûté de Naeviah était presque sincère. Le choc sur le visage de Tyesphaine aussi. Mysty était confuse, mais finalement leva les épaules et se remit en marche.

Je soupirai. Tyesphaine était vraiment trop gentille.

— Tyesphaine, tends-moi ton oreille, s’il te plaît.

Elle hésita un instant, puis se baissa pour se mettre à ma hauteur et je lui chuchotais mes intentions. Je la vis tressaillir quelques fois, mon souffle dans l’oreille devait la chatouiller.

Elle baissa la tête, acquiesça et se remit en marche. Les anciens prisonniers ne contestèrent pas, ils n’avaient plus l’habitude de s’opposer à des personnes plus fortes qu’eux.

— Pitié ! Aidez-nous ! Vous n’allez pas nous abandonner comme ça ?!

C’était le chef des aventuriers, il paraissait à deux doigts de se mettre à pleurer.

— JE VOUS EN PRIE !! dit une des aventurières. Je ferais ce que vous voulez, mais ne nous laissez pas mourir ainsi !!

Elle pleurait.

Avec Naeviah nous nous échangeâmes quelques regards, puis nous arrêtions.

— Je crois que le murmure devient plus fort.

— C’est le vent qui descend des montagnes, je pense. Bah, nous devrions nous dépêcher avant que la tempête n’arrive…

— Paraît en plus qu’y a des loups dans le coin…

Mysty entra dans notre jeu. Nous attendions la réplique de Tyesphaine, mais c’était sûrement trop en demander pour elle.

Les aventuriers finirent pas comprendre.

Le chef se mit à pleurer et dit franchement :

— Nous sommes désolés !! Nous n’aurions pas dû !! Vous… je suis content que vous n’ayez rien.

— Je suis désolée !

— Désoléééé !!

Je ne pus m’empêcher de sourire. C’était les excuses les plus fausses que j’avais vu de ma vie. Ils n’étaient motivés que par leur survie. Ils auraient fait n’importe quoi à cet instant.

Néanmoins, nous n’en tirerions rien de plus. Ils étaient moisis au plus profond d’eux, ce n’était pas en quelques phrases que nous allions les changer.

— OK, OK, je vais vous aider, leur dis-je.

— Ça te suffit vraiment comme excuses ? me demanda Naeviah.

— Tu crois qu’on pourrait en tirer plus ?

Naeviah leva les épaules en expirant du nez bruyamment. Elle n’y croyait pas trop non plus.

Soudain, une idée me traversa l’esprit, je venais de penser à la manière idéale pour gérer la situation.

Je fis quelques pas dans leur direction :

— Je ne suis ravisée. Faites donc comme nous, sauvez-vous par vos propres moyens.

— Hein ?! Traîtresse !!

— Fourbe !!

Je repris plus fort alors qu’ils révélèrent une fois de plus leur vile nature.

— NÉANMOINS, je vais vous donner une petite astuce : jetez-leur vos sacs pleins de nourriture. S’ils sont rassasiés ils s’en iront. Les loups n’aiment pas la viande humaine, ils ont juste faim. À plus !

Si j’avais pu parler avec les loups, je leur aurais souhaité bon appétit.

Les aventuriers lancèrent immédiatement leurs sacs sans réfléchir, exactement ce que je pensais qu’ils feraient. Ils auraient pu leur lancer la nourriture peu à peu et tenter d’en économiser pour eux, mais ils leur donnèrent tout ce qu’ils avaient.

C’était mon plan. Privés de nourriture, ils seraient obligés de quémander la bienveillance du village voisin et faire montrer d’humilité. J’espérais que ce serait le début de leur reconversion.

Comme je l’avais prédit, les loups se mirent à ouvrir les sacs, sentant la nourriture à l’intérieur.

C’était un solution qui m’évitait en plus de tuer les loups, animaux que je respectais profondément.

— Bon appétit, messieurs les loups ! Au plaisir de ne plus vous revoir, messieurs les traîtres.

Nous nous remîmes en marche et expliquais les intentions derrière mon choix aux filles qui l’accueillirent avec approbation. Grâce à ce plan, ni les loups, ni les humains n’étaient tués et nous laissions à ces aventuriers peu respectueux, une seconde chance.

J’avais soudain l’impression d’être devenue une héroïne de fiction.

***

Quelques jours plus tard, nous revenions enfin à Ferditoris.

Les prisonniers nous avaient quittées au premier village, se rendant compte de notre quotidien dangereux et du fait qu’ils ne parviendraient sûrement plus facilement à s’installer dans un village qu’une grande ville. Les villageois les avaient accueillis à bras ouvert en entendant le récit que nous leur fîmes de leurs mésaventures.

Même si notre route en commun avait été brève, j’avais trouvé qu’ils reprenaient un peu de poil de la bête à nos côtés. Au fond, c’était eux qui avaient spontanément demandé à se séparer de nous. C’était rassurant, leur capacité à décider d’eux-mêmes revenait peu à peu. Après nous être bien informées de la route pour la capitale, nous avions repris notre périple presque sans nous perdre.

Nous n’avions pas été absentes si longtemps mais j’avais l’impression de revenir de loin. Nous reprîmes quelques jours de logement à la même auberge que la fois précédente. C’était un endroit auquel nous nous étions habituées.

Et finalement, les quelques jours se prolongèrent puisque Mysty avait dû négocier les ventes de notre butin. Contrairement à moi, elle avait la fibre commerciale, elle ne se contentait pas d’accepter la première offre qu’elle recevait.

C’était un talent bien utile dans notre groupe et je doutais que mes deux autres compagnonnes qui avaient grandi dans la noblesse fussent plus douées que moi à cet égard.

Pendant ce temps, avec Tyesphaine, nous cherchions en secret à obtenir une carte pour arriver au monastère de Moroa. Nous n’avions pas l’intention de nous perdre une nouvelle fois. Nous ne trouvâmes pas de boussole (non pas que cela nous aurait empêcher de nous perdre, cela dit en passant), mais à la place, nous parvînmes à recueillir des indications que nous reportions dans un journal de nous seules connus.

— Ce sera notre… secret… à toutes les deux…, m’avait dit Tyesphaine avec une large sourire.

Honnêtement, j’avais l’impression qu’elle prenait cette histoire de carnet de voyage plutôt à cœur, comme s’il avait été vraiment très important. À l’origine, c’était juste pour ne pas entendre Naeviah nous redonner ses leçons sur le vrai sens de l’aventure…

Mais quand je vis l’enthousiasme qu’elle y mettait, je fus contrainte d’entrer dans la danse.

Il fallait dire que Tyesphaine était la plus silencieuse et la plus timide d’entre nous. J’avais commencé l’aventure avec elle, mais finalement je parlais plus à Naeviah et Mysty qui étaient plus bavardes.

J’essayais de lui témoigner de l’attention malgré tout, j’avais trop connu dans ma précédente vie les conséquences d’être une personne polie qui ne s’imposait pas. Combien de fois avais-je été complètement oubliée par mon entourage ?

Je ne voulais pas que Tyesphaine ressentît la même chose, je faisais en sorte de la faire participer ou à défaut de lui sourire pour lui témoigner mon attention.

Par conséquence, ce carnet secret était devenu une sorte de prétexte pour être ensembles, juste toutes les deux.

Je fus un peu surprise lorsque je vis Tyesphaine ranger le carnet dans son soutien-gorge, mais c’était assurément le seul endroit où Naeviah ne le trouverait jamais. Puis, il y avait de la place pour un petit in-seize.

Mon autre activité principale fut de dispenser des cours d’elfiques à Naeviah.

Le lendemain de notre retour, au matin, elle était entrée dans ma chambre alors que j’étais en train de coiffer mes couettes :

— Apprends-moi l’elfique ! J’étais sérieuse !

Tout avait commencé ainsi.

Finalement, le jour-même, Tyesphaine s’était jointe à nous. Elle n’avait pas grand-chose à faire, elle avait déposé le matin même son bouclier et son arme chez le forgeron pour des réparations, et s’était spontanément empressée de lui demander une arme pour moi.

— Désolée, Fiali… il m’a dit qu’il… ne pourrait pas te forger une épée comme celle que tu utilisais…, s’était-elle excusée. La forme est complexe… il n’est pas sûr de pouvoir faire quelque chose de solide… et cela lui prendrait sûrement plusieurs mois…

Je n’avais jamais évoqué le fait de vouloir la même, je savais qu’il ne serait pas facile pour un armurier humain de reproduire une arme elfique. Je n’étais pas experte, mais la forme incurvée, sa légèreté et tout cela, me l’avait fait supposé.

— Pas grave, Tyesphaine. Tu auras au moins essayé. Je te remercie du fond du cœur pour le geste. Puis, si nous trouvons des ruines elfiques, un jour, il y aura peut-être une remplaçante.

Tyesphaine s’était forcée de sourire, j’avais bien vu qu’elle n’était pas contente de ce développement malgré tout. Elle avait voulu vraiment me faire plaisir, surtout que j’avais expliqué qu’il s’agissait d’un cadeau d’anniversaire.

Je lui avais pris la main pour la rassurer et c’était alors que Naeviah nous avait séparées.

— Désolée de vous interrompre, mais nous sommes là pour une leçon. Si vous voulez faire des choses, ce sera une autre fois.

À cause de sa remarque, j’avais perdu Tyesphaine pendant quelques dizaines de minutes. Au passage, elle nous avait montré les croquis qu’elle avait dessiné de mon épée pour le forgeron, et j’étais stupéfaite.

Tyesphaine dessinait vraiment bien et sa reproduction de l’épée était très fidèle. Même les inscriptions et les décorations étaient les mêmes !

Au final, après s’être remise, Tyesphaine se joignit à la leçon.

Je n’avais jamais été très douée pour la pédagogie, mais mes deux élèves étaient motivées et se donnaient du mal.

À ce rythme, il leur faudrait malgré tout quelques mois pour commencer à vraiment s’exprimer, mais voir leur assiduité était encourageant.

Naeviah le faisait par curiosité, Tyesphaine parce qu’elle était assurée que les elfes étaient des fées. Elle n’en démordait pas, même si je lui soulignais bien les différences entre nos langages, elle me démontrait à chaque fois qu’il y avait des ressemblances qui prouvait un fort échange entre les deux espèces.

À force, je capitulais sur ce point-là également. Tyesphaine était étonnamment têtue sur le sujet.

En échange de mon instruction, j’avais imposé deux conditions : la première était que Tyesphaine m’apprenne en retour la langue de fée (qu’elle avait appris dans les livres, mais c’était mieux que rien) et qu’elles portassent toutes les deux des couettes pendant mes cours.

Je n’avais instauré cette règle que le second jour et je crus faire une crise cardiaque. C’était encore mieux que dans mes rêves !

Tyesphaine avait choisi des couettes basses et Naeviah des couettes « régulière », qui commençaient pile au niveau des oreilles. À nous trois, nous réunissions les trois principaux styles de twintail ! J’étais aux anges ! Kyaaaaaaaaaaaa !!!

D’autant plus qu’elles paraissaient si gênées au début.

Le coup de grâce me fut dispensé un soir, alors que Mysty entra dans la chambre après ses négociations, elle nous trouva en pleine leçon.

— C’est une réunion avec la coiffure de Fiali ? Bah, j’vais m’joindre à vous !

Contrairement aux deux autres, elle ne se fit pas prier un instant, elle noua ses cheveux et vint s’asseoir derrière moi en me prenant dans ses bras.

— Ch’suis crevée, si ça te dérange pas, j’aimerais rester un peu comme ça…

Mon rêve était devenu réalité ! J’étais entouré de couettes !

Je pouvais mourir en paix !!

Impossible de poursuivre la leçon après tant d’émotions !

***

Avant le départ, Mysty avait réussi à tout vendre. Les filles avaient insisté pour qu’une partie de l’argent serve à m’acheter une épée longue de bonne qualité.

Elle n’était certes pas magique et son poids et son équilibrage étaient différents de ma précédente arme, mais je m’y habituerais.

Nous avions décidé d’un commun accord d’économiser pour acheter un sac magique dans le futur, aussi nous avions acheté juste le nécessaire pour ne pas mourir de faim et de soif pendant notre voyage avant de partir.

La logistique finie, nous quittâmes Ferditoris pour la seconde fois, avec une sorte de conviction d’y revenir un jour. Au fond, cette ville nous plaisait à toutes les quatre.

Au début seules, nous rencontrâmes un convoi marchand à une bifurcation, moins d’une heure après notre départ. Tyesphaine prit les devants et alla leur parler. Cela m’avait surprise un peu, elle qui était si timide.

Elle revint en nous disant :

— Le convoi de marchands… va à Segorim. C’est la ville juste après Moroa… Si ça vous va, nous pourrions voyager avec eux… pour les protéger.

Et ne pas nous perdre. Je lus sans problème ses pensées. Elle m’avait devancé. Je comprenais mieux son enthousiasme à aller leur parler.

Bien joué, Tyesphaine !

J’acceptais en lui faisant plus plus radieux sourire. Elle y répondit timidement.

— Bah, pourquoi pas ? En plus, s’ils ont des charrettes, nous pourrions nous asseoir.

Naeviah mordit à l’hameçon.

— Et ça rend service. Les marchands sont souvent victimes des monstres. J’y avais pas pensé avant mais t’es un génie, Tyes !

— Merci… même si c’est un peu fort…

Nous nous empressâmes de les rejoindre.

C’était un convoi de trois chariots bâchés tractés par des mulets. Il y avait une dizaine d’hommes et demi-douzaine de femmes et même quelques jeunes enfants.

On nous remercia maintes fois d’avoir accepter, d’autant que Tyesphaine leur avait proposé notre garde gratuitement, en échange simplement des repas ; ils ne roulaient pas sur l’or et ne pouvaient pas engager de vrais gardes ou des aventuriers.

C’est assise à l’arrière d’un chariot à côté de Naeviah et Tyesphaine que j’observais la route derrière nous, les arbres et le ciel.

Pour sa part, Mysty discutait avec les commerçants tout en marchant à leur côté, à l’avant du convoi. Ils avaient l’air de se plaindre des prix dans les différentes villes, ainsi que des taxes et du cours des marchandises. Classique pour des commerçants.

Mysty s’intégrait facilement à la discussion. Peut-être était-elle bien une fille de marchand, pensais-je.

Le ciel était bleu au-dessus de nos têtes, il n’y avait même pas un nuage. Tout paraissait si paisible certains jours.

— Je me demande ce que nous trouverons à Moroa.

— Tu es angoissée ? me demanda Tyesphaine.

— Peut-être un peu. J’ignore ce qui est arrivé aux elfes, mais après ce que le géant nous a dit, je doute que découvrir la vérité me fasse plaisir.

— La fuir ne t’apportera rien non plus, dit Naeviah. Bon, ne perdons pas notre temps. Continue tes leçons pendant le voyage. En cas de problème, nous serons d’attaque de toute manière !

Sans que je lui le demande, elle commença à nouer ses cheveux en couettes. Elle était franchement déterminée à apprendre ma langue, cela me faisait tellement plaisir que je ressentais une certaine fierté et une sincère joie dans la poitrine.

Tyesphaine me sourit, acquiesça et imita Naeviah.

C’est le récit d’une elfe à la recherche de son peuple et accompagnée de gentilles humaines qui souhaitent mieux la connaître.

Telle est mon histoire.

FIN ARC 2 – En route vers Moroa (mais perdues en chemin)