Isekai Dakimakura – Arc 3 – Chapitre 3

Le matin au petit-déjeuner.

— Il y a des grumeaux dans les crêpes…, se plaignit Mysty. Le dosage de sucre n’est pas bon non plus. Pour du sucré c’est pas assez sucré et pour du salé… bah il valait mieux utiliser du sarrasin… Faudrait que je leur apprenne à cuisiner à ces filles.

— Haha ! Tout le monde n’est pas un cordon bleu comme toi, Mysty, dis-je en plaisantant.

C’était rare qu’elles se plaignit d’une situation, même critique, mais j’avais déjà remarqué qu’elle était un peu pointilleuse sur la cuisine. Elle mangeait tout, mais lorsqu’elle ne trouvait pas un plat à son goût on pouvait le lire sur son visage.

Je supposais que si nous n’avions mangé qu’une seule fois au monastère elle n’aurait jamais fait la remarque, mais puisque c’était déjà le troisième jour…

— T’es de mauvais poil ? demanda abruptement Naeviah.

— Un peu… j’ai l’impression d’avoir oublier un truc… ou plutôt, comme si on m’avait promis un truc mais j’ai zappé ce que c’était…

C’était une attitude assez étrange de sa part. Je me demandais quelle était cette chose importante qu’elle avait oubliée ou plutôt que quelqu’un avait oublié de lui donner.

Je pris une bouchée de ma crêpe, j’étais plutôt contente de pouvoir en manger. En plus, nous avions droit à du miel et même une sorte de sucre aromatisés aux fruits. Même à la capitale, les plats sucrés ne se trouvaient que rarement dans les menus des auberges et tavernes (par contre, le choix de bières était souvent conséquent).

Mais je comprenais ce que Mysty reprochait à ces crêpes : le goût était un peu fade et je croquais parfois des zones mal cuites qui avaient formé des grumeaux.

Tyesphaine et Naeviah ne disaient rien mais elles devaient sûrement prendre sur elles.

— Bah, si tu as oublié, c’est sûrement pas si important, dis-je à Mysty.

— J’ai quand même l’impression de m’être fait arnaquée sur le coup… Vous m’auriez pas promis un truc que vous m’avez pas donné, par exemple ?

— Pfff ! Jamais ça n’arriverait, j’honore toujours mes promesses.

— Moi aussi ! dis-je.

Les regards se tournèrent vers Tyesphaine qui ne répondait pas. Elle semblait perdue dans ses pensées lorsqu’elle finit par demander :

— Ce ne serait pas… le massage de Fiali ?

— Je n’ai rien promis de la sorte.

— Ah oui ! C’est ça !! J’me suis écroulée comme une bûche, mais j’veux un massage aussi !

— Hein〜 ? Pourquoi ?

— Bah, parce que c’est bon. Ça me paraît logique…

Naeviah posa bruyamment sa tasse et en plissant les yeux.

— Interdiction de massage. Justement, ils sont peut-être un peu trop bons.

Elle accentua les derniers mots avec insistance.

— Mais euh ! Y a que Tyes qui y a eu droit ! Moi aussi, je les veux !! J’veux les mains de notre mignonne Fiali sur moi !!

Elle se mit à dodeliner de gauche à droite un peu comme une enfant gâtée. Je remarquai des regards tournés dans notre direction.

Je ne pus m’empêcher de rougir et je n’étais pas la seule, Tyesphaine était paralysée, elle était devenue une statue depuis que Mysty avait parlé d’elle et des massages.

— Je… je n’ai plus envie…

— Maiiiis ! Allez, Fiali ! Dis oui !!

Elle insistait. Après ce qui était arrivé la veille avec Tyesphaine, j’étais peu motivée à accepter sa demande. Mais voyant de plus en plus de regards tournés vers nous, j’ouvris ma bouche lorsque…

— C’est un refus catégorique. Si tu veux je le ferais à sa place, dit Naeviah fermement.

Cette fois, elle me sauvait.

— Pffff ! Radines ! Bah, on verra plus tard…

Mysty fit semblant d’être mécontente. Toutefois, en croquant sa crêpe, son mécontentement me parut devenir réel.

Avait-elle un attachement particulier à cette recette ?

Elle avait dit préférer la viande grillée, pas les crêpes. D’ailleurs, ses goûts étaient plus orientés sur le salé que le sucré.

— Bon, désolée les filles, mais j’en ai marre. J’vais leur donner des conseils en cuisine. Tout ce qu’on a mangé jusqu’à maintenant n’était pas top. J’suis contente qu’on nous nourrisse, mais quitte à cuisiner autant le faire bien.

— Notre cuisine n’est pas bonne ?

Deux sœurs s’arrêtèrent à côté de notre table. Elles venaient nous apporter du thé et du café lorsqu’elles entendirent les propos de Mysty.

J’étais un peu gênée, c’était des paroles qu’elles n’auraient normalement pas dû entendre. En plus, elles semblaient être de gentilles filles, leurs visages étaient plus découragés que fâchés.

— Moi… je trouve ça pas mal…, dis-je timidement.

— Honnêtement, je ne vais pas vous mentir : il y a mieux, dit franchement Naeviah.

Elle se retenait donc depuis le début.

Bien sûr, le visage des deux sœurs, qui semblaient avoir notre âge plus ou moins, s’attrista ; elles baissèrent la tête.

— C’est notre premier service aujourd’hui… Snifff…

— On a fait de notre mieux… Snifff…

Mysty se leva et posa une main sur l’épaule de chacune.

— Déprimez pas, j’vais vous apprendre quelques tuyaux ! J’voulais pas être méchante avec vous, mais en cuisine faut de la technique et beaucoup d’amour. Je sens que vos cœurs sont pleins de bontés, vous pouvez devenir des bonnes cuistots, parole de Mysty !

Ces mots pénétrèrent leurs cœurs. Elles étaient au bord des larmes à tel point furent elles émues. Je supposais qu’elles faisaient justement le service pour s’enquérir des retours, une attitude plutôt saine pour qui veut apprendre réellement.

— Je… Nous…

— C’est gratos, vous inquiétez pas. Bientôt, vous serez les meilleures du monastère, promis.

Mysty était vraiment motivée et sérieuse quand il s’agissait de cuisine.

— Désolée les filles, vous pouvez me laisser un peu de temps pour leur apprendre ?

— Tu n’es pas prisonnière, tu peux faire ce que tu veux, Mysty.

Mes paroles lui firent plaisir, elle me sauta au cou avec joie et me caressa la tête.

— Perverses…, marmonna Naeviah avec mécontentement.

— Bien sûr… tu peux faire ce que tu veux… Mysty.

— Mpffff ! Je vois même pas lieu de nous le demander. Nous n’avons rien de prévu et, de toute manière, il faut attendre les informations sur le livre, dit Naeviah sur un ton hautain.

— C’est vrai ça… Bah, on se retrouve à midi pour bouffer ensemble, OK ?

Je levai le pouce en direction de Mysty pour conclure notre accord. Elle attrapa la crêpe qu’elle n’avait pas eu le temps de finir, la dévora en quelques bouchées puis suivit les deux sœurs, non sans nous avoir salué de la main. Chemin faisant, je les entendis la remercier maintes fois.

— Et toi, Tyesphaine ? Tu es occupé avec les enluminures ? lui demandai-je.

Elle acquiesça.

— Ce sera donc que nous deux aujourd’hui, dis-je à Naeviah.

Ses yeux s’écarquillèrent avec horreur.

— Quoi ?! Juste nous deux ? C’est dangereux ça, surtout si on passe à côté d’un tonneau.

— Rhooo ! Arrête d’exagérer, je ne t’ai jamais rien faire de mal.

Son yeux plissés et ses mains sur les hanches m’indiquaient qu’elle n’était pas réellement d’accord avec mon assertion. Tyesphaine nous regarda avec une point de jalousie.

— J’aurais… bien aimé… aussi…

— Tu peux toujours. Au pire, on parle avec Claryss et on lui dit que tu n’as plus envie.

— Plus envie ? C’est quoi cette excuse puérile ? me réprimanda Naeviah. C’est normal de continuer jusqu’au bout puisqu’elle s’est engagée. N’écoute pas cette elfe bizarre, Tyesphaine. Je te soutiens à distance.

— Merci…

Normalement, j’aurais été du même avis qu’elles, mais une partie de moi était déçue de voir Tyesphaine se forcer. D’ailleurs, dans sa situation, j’aurais sûrement réagi comme elle. Je n’avais jamais été du genre à abandonner quelqu’un qui comptait sur moi.

— Ne t’inquiète pas, Fiali… J’aime peindre… et j’ai du bon matériel, c’est rare… Mais j’aurais aimé… m’amuser avec vous aussi…

Elle baissa la tête en soupirant.

Je comprenais le dilemme. Aussi, je fis une proposition :

— Dans ce cas, Naeviah et moi on va tenter de faire des trucs simples et peu amusants. On va garder le plat principal, si je puis dire, pour le moment où on sera toutes les quatre.

— Merci, Fiali. C’est gentil…

Tyesphaine me regarda dans les yeux avec tendresse. Elle m’embarrassa quelque peu : elle paraissait si contente de mon attention.

— Kof kof… Vous avez fini de flirter en public toutes les deux ? Je vous signale que je suis là.

La voix de Naeviah fit sursauter Tyesphaine qui, paniquée, fit tomber sa fourchette.

— Désolée…

Elle se mit à la chercher sous la table, tandis que je soupirai longuement.

— Tu es obligée de faire ce genre de remarques ? Tyesphaine est une fille sensible…

— Contrairement à moi, c’est ça ?

— C’est pas ce que j’ai dit.

— Mais tu l’as pensé…

— Non.

— Menteuse.

— Tu vas continuer comme ça longtemps ? Arrête juste de blaguer sur le sujet, tu vois bien qu’elle est embarrassée à chaque fois. Elle hésite même à retourner à sa place, là.

Elle prenait en effet un peu trop de temps pour simplement chercher une fourchette.

— Je… je l’ai trouvée…, dit-elle en m’entendant.

— Tu vois ?

— Qu’est-ce que j’y peux ? On dirait un vieux couple, toutes les deux. Arrêtez, et j’arrête aussi. Promis.

Nous entendîmes un choc sourd sous la table, puis un tintement métallique.

— Désolée…, dit Tyesphaine qui venait de se cogner la tête.

Je mis mon index devant ma bouche pour signifier le silence à Naeviah qui leva les épaules d’un air dédaigneux.

***

— Je ne sais pas si c’est bien prudent de sortir juste toutes les deux, dis-je.

— Pourquoi, tu as peur ? Je te rappelle que nous étions toutes des aventurières solitaires il y a quelques semaines de cela encore.

C’était l’après-midi, Naeviah et moi étions sur la route pour rejoindre Moroa. Nous avions finalement passé la matinée à lire, cela avait été fort intéressant, mais en début après-midi, j’avais été prise d’une soudaine tristesse.

Lorsque j’en avais parlé à Naeviah qui m’avait dit :

— C’est la mélancolie du changement. On s’est trop habituées à de l’activité, c’est difficile de rester enfermées d’un seul coup.

Cela m’avait paru plutôt logique. Puisque nous avions fini nos livres respectifs, nous avions décidé de faire un tour en ville sans but précis.

Lorsque Naeviah l’avait évoqué, j’avais réalisé qu’en effet cela ne faisait que quelques semaines que nous nous connaissions. J’avais pourtant l’impression d’être avec elles depuis des années…

— Disons surtout que notre dernier combat a été compliqué. Si nous tombons sur un monstre du genre, à deux, ça va vraiment être difficile, répondis-je.

— Abuse pas, il n’y a pas de tels monstres sur cette route. Imagine les pauvres sœurs et les paysans sinon…

— J’espère que tu as raison.

— En vrai, je suis la seule qui devrait avoir peur. Seule avec toi, au milieu de nulle part, qui sait ce que tu pourrais vouloir me faire ?

Je grimaçai. Elle continuait de me dire ce genre de choses… Il était temps d’avoir une petit explication puisque nous étions seules.

— Tu es consciente que je ne suis pas une perverse en vérité ?

— Que tu dis ! Seule une perverse se défendrait de la sorte.

— Tu le penses réellement ?

— Qui sait ?

Je m’arrêtai et me mit à la fixer.

— J’aimerais savoir : si tu plaisantes, ça me va. Mais si tu penses réellement que je vais te faire du mal… ça m’attristerait.

Elle s’arrêta à son tour mais continua de me tourner le dos.

— Rhooo ! Je pensais que tu aurais compris.

C’était l’instant « dere » ? Oh oui ! L’instant tant désiré ! Je voulais voir Naeviah les joues rouges me dire avec honte qu’en fait elle ne le pensait pas et qu’elle m’aimait bien.

Impatiente, j’affichais un sourire en attendant la suite.

— Comment dire ça… En fait, je sais que tu es une perverse aux tonneaux, tant qu’il n’y en a pas, tout va bien.

Je gonflai les joues mécontente.

— Hier, tu étais quand même inquiète quand je t’ai attrapée.

— Normal, on ne sait jamais ! Mais tu ne m’as rien fait. Eh oui ! J’ai pas peur de toi quand il n’y a pas de tonneau ! Déçue ?

Elle se tourna et me toucha le bout du nez pour me provoquer. Je fis une grimace puis, pour la contredire, je lui attrapai les poignées en approchant mes lèvres des siennes.

— Et là ? Tu es toujours aussi persuadée que je suis inoffensive ?

J’ai honte ! Je ne sais pas ce qui m’est passé par l’esprit à cet instant.

Elle venait à sa manière de me dire qu’elle ne me pensait pas dangereuse et moi je m’en vexais ?

Qu’est-ce qui n’allait pas dans mon sens de la fierté au juste ?

Ne pas faire peur et paraître faible était pire que passer pour une détraquée sexuelle ?

— Tu ne le feras pas, dit Naeviah d’un air de défi qui me fit encore plus bouillonner. Tu veux juste me faire peur. Tu n’oseras pas…

— Tu en es sûre ?

— Certaine même.

— Tu as tort.

— Pas tant que ça, j’arrête pas de dire que tu es une elfe délurée et tu me le montres bien.

— Non, je parlais pas de ça, mais du fait que je ne ferais rien.

— Donc tu es bien une perverse, c’est ça ?

— Aaaaahhh ! Tu commences à m’énerver à me faire tourner en bourrique, Naeviah ! Tu peux pas juste dire les choses honnêtement ?

Elle me fixa avec des yeux victorieux. En effet, elle m’avait vaincue. Je soupirai en baissant la tête, sans lui relâcher les poignées.

Cette fois c’est elle qui s’approcha de moi.

— J’ai gagné, on dirait… Tu seras à présent la poule mouillée perverse. Qu’est-ce que tu en dis ?

— Que tu ne devrais pas dire ce genre de choses. C’est lâche !

Elle était si proche de moi à cet instant que son souffle me touchait le visage.

— Kot kot !

Le sang monta à mon cerveau une fois de plus. Avant même que je m’en rende compte, je lui fis un bisou sur les lèvres.

En fait, c’était ce qui aurait dû se passer, mais j’avais un peu dévié à cause de la hâte et mes lèvres touchèrent majoritairement son menton et à peine un peu de la lèvre inférieure.

Nous restâmes paralysées quelques instants qui parurent une éternité. C’est le bruit d’un poisson qui sautait dans la rivière à côté de nous qui nous ramena à la raison et que nous nous éloignâmes aussitôt.

— Tu… tu es folle ! Han… han…

— C’est ta faute de m’avoir provoquée ! Mysty t’aurait sûrement fait pire… Han… han…

Nous reprenions notre souffle comme après un long baiser, sauf que ce n’était pas le cas. J’avais à peine senti la chaleur et douceur de ses lèvres.

— Tu… tu as sûrement raison. Je suis allée trop loin…

Cette fois, Naeviah était rouge de honte et n’osait plus me regarder.

— Faisons comme si de rien n’était. Je m’excuse de ce que j’ai fait, je n’aurais pas dû répondre à ta provocation.

— Ouais, faisons ça. Dé… dé… dé…

Naeviah n’était pas le genre de personne à s’excuser. En ça, elle était sûrement plus aristocratique que Tyesphaine qui était d’une délicatesse et d’une politesse indicible. Mais je crus entendre sortir de ses lèvres la fin du mot tel un murmure dans le vent.

— Pas un mot de tout ça ! Si tu l’ouvres devant les autres, je te tue, je te ressuscite en mort-vivant puis je te tue encore ! Tu m’entends !!

— Ouais, ouais… Tu peux vraiment faire ça ?

— Juste pour toi, la Déesse m’excusera, j’en suis sûre !

— Hahaha !

Je me mis à rire de manière forcée et nous reprîmes la route faisant semblant de rien. Néanmoins, je constatais que cette mésaventure lui avait servi de leçon, elle modéra un peu ses propos tout au long de l’après-midi où nous serions seules.

***

C’est en nous perdant une fois de plus que nous arrivâmes dans un coin de la ville que nous n’avions pas encore visité.

Les boutiques étaient plus petites, avec des devantures moins tape-à-l’œil, comme s’il s’agissait de commerces destinés à des initiés que même les habitants de la ville ignoraient. Toutes ces échoppes étaient disposées autour d’une petite place cachée entre un ensemble de bâtiments ; elle avait pour seule décoration une fontaine dont la statue semblait très ancienne.

— Tu vois que j’ai raison ! C’est en se perdant qu’on vit les meilleurs aventures !

Cette fois, je ne pouvais contredire Naeviah.

Même si cela nous paraissait sensationnel par son caractère rare, Moroa était une petite ville : il n’y avait guère qu’une demi-douzaine d’échoppes autour de cette place et absolument personne.

— Oui. Faisons le tour, je suis curieuse.

Et inquiète. Comment allions-nous retrouver notre chemin ?

Mais chaque chose en son temps, pour l’heure ce n’était pas important.

La première boutique dans laquelle nous entrions était déjà fort curieuse. Il y avait des objets peu communs que j’identifiais rapidement à des jeux. Non pas des jouets pour enfants, mais des jeux pour adultes.

— Bienvenue… Oh ? Des clientes ! s’écria le vendeur, un homme à moitié endormi.

Je souris amicalement, mais Naeviah ne lui prêta pas la moindre attention.

— Tu connais ces jeux ? demandai-je à ma camarade.

— Bien sûr ! Tu me prends pour qui ?

Je lui désignai du doigt un plateau de jeu qui me rappelait les échecs par son côté case en damier. Néanmoins, il était plus grand.

— C’est un jeu de draconier.

— Draconier ?

— Oui, le principe du jeu est de parvenir à terrasser le maître dragon du camp opposé. Divers pions servent à le défendre et attaquer le camp adverse.

Un peu comme les échecs.

— Oh ? Mam’zelle est une connaisseuse.

Naeviah tourna à peine la tête et continua de l’ignorer. Par politesse, je demandai au vendeur :

— C’est un jeu célèbre ?

— Malheureusement non. Seuls des connaisseurs et des nobles y jouent. Il est plutôt technique, les gens du cru lui préfèrent le « Valet ».

Qui se révélait, après explications, être une sorte de jeu de dames.

— Oh ! Intéressant.

Je me penchai en avant et dévisageais Naeviah qui observait d’autres jeux. Elle fit semblant de m’ignorer à mon tour.

— Combien il coûte ?

— Une pièce d’or.

Je compris soudain pourquoi il n’était joué que par les nobles et les experts.

— Les pièces sont fournies ?

— Bien sûr ! J’ai simplement oublié de les disposer sur le plateau, ma petite dame.

Le vendeur voyant une possibilité de vente quitta le comptoir et vint les disposer sur le plateau pour m’attirer. Cela dit, en fait, j’avais déjà décidé : je voulais l’acheter.

Dans ce monde, il y n’avait que peu d’occupations. Il n’était pas comparable à mon ancien monde avec ses innombrables loisirs. Un boutique pleine de jeux était une aubaine pour moi, je n’avais même pas pensé cela possible.

Même si le prix était exorbitant, j’avais les moyens. Puis, les pions étaient réellement jolis.

Ils étaient sculptés dans du bois laqué et vernis, et étaient finement ciselés au point de pouvoir distinguer les expressions des visages.

— C’est plutôt joli. J’aime beaucoup ! On dirait de la bonne qualité…

— C’est un article bas de gamme pourtant, dit Naeviah.

La remarque me sembla offensante envers le vendeur, qui pourtant ne le prit pas réellement comme tel.

— Tout à fait. C’est un modeste Draconier, ma petite dame. Certains nobles ont des plateaux en granit avec des pions en or et argent. Celui-là est une version de base accessible pour ceux qui économisent.

— Il me plaît bien quand même. Je vais vous le prendre. Naeviah, tu m’expliqueras les règles ?

— Pfff ! Si l’envie m’en prend.

Je ne savais pas pourquoi elle avait l’air si agacée, mais je pris cela pour un « oui ».

— Vous avez d’autres jeux amusants ? Moins chers, par contre… Haha !

Je me mis à rire nerveusement. Je n’avais pas envie de dilapider ma fortune en jeu, mais j’étais réellement intéressée. Puis ma curiosité était piquée, il y en avait un tas d’autres que je ne connaissais pas.

— Ah oui, bien sûr ! Attendez, je vais vous montrer…

Je supposais que le vendeur n’avait que peu de clients considérant la population de cette petite ville. Une touriste intéressée devait être son attraction de la semaine.

Mais avant qu’il n’ait pu faire sa présentation, Naeviah répondit à sa place.

— Pour toi qui a une certaine instruction, je te conseille « les cents pas » et « l’irrégulier ». Ils sont encore plus stratégiques que le « draconier ».

Elle les montra sur les étagères. L’un était un jeu de carte et l’autre un jeu de plateau mais sans pions. Ce dernier m’intrigua car en fait les cases du plateau pouvaient tourner, chaque face ayant une couleur différente.

Le vendeur afficha un sourire gêné avant de confirmer les conseils de Naeviah.

— Ils sont à combien ?

— Vingt pièces d’argent chacun.

— Je les prends aussi.

— Oh ! C’est généreux de votre part.

Naeviah croisait les bras et continuait d’inspecter les rayonnages. Je me dirigeais vers le comptoir pour régler lorsque je vis une petite figurine représentant une jeune noble.

— C’est un jeu aussi ?

— Non, ma petite dame. C’est une figurine à collectionner. Elle est aussi bas de gamme, c’est juste du bois…

Il affichait un sourire gêné comme s’il me prenait pour une noble excentrique qui se cachait sous une capuche.

Je pris la figurine entre les doigts. Elle était mignonne ! J’ignorais qui elle était censé représenter, mais je la trouvais encore plus finement ciselée que les pièces du draconier. Elle mesurait une dizaine de centimètres seulement mais on distinguait bien les détails.

— Je vais la prendre aussi. Combien ?

Le vendeur me regarda un peu étonné. Je ne compris pas réellement pourquoi.

— C’est… cinq pièces d’argent… enfin, si ça vous va…

Je hochai de la tête. Je ne comprenais pas ce soudain embarras.

— Je vous offre une boîte pour transporter tout ça.

— Merci.

Il ne s’agissait pas d’une boîte en carton, bien sûr, mais d’une boîte en bois.

C’est en ressortant que Naeviah m’expliqua :

— La figurine est celle de Marissa la Maudite.

— Hein ?

— C’était une reine sombre connue pour sa magie ténébreuse. Il me semble qu’elle régnait dans le coin justement, il y a des siècles de cela.

— Intéressant. Du coup, je suppose qu’elle n’a pas bonne réputation, c’est pour ça qu’il était surpris ?

— Mis à part une elfe bizarre comme toi, personne ne lui l’aurait prise à ce prix. Il a dû être content de sa journée.

Je ris poliment. En gros, elle me disait que j’étais un pigeon. Mais je la trouvais vraiment belle, je pensais même qu’il était possible de la peindre si je trouvais du matériel.

— C’est sûrement la plus belle représentation que j’ai vu d’elle, néanmoins. Puis, vous partagez le même genre de magie, cela ne m’étonne pas que tu l’aies choisie.

— Ah oui, c’est vrai.

Je souris, on aurait dit une rencontre du destin. Deux ténébromanciennes réunies… je n’étais pas sûre que tous pouvaient comprendre la poésie de cette rencontre, toutefois.

— Tu as sûrement bien fait de la prendre, tu n’en trouveras plus de semblables. L’artiste qui l’a sculptée doit avoir du talent.

Naeviah me semblait avoir un air grave et mélancolique. J’hésitais à lui en demander la raison.

Mais estimant que ce n’était pas mes affaires, je me contentais de faire semblant de n’avoir rien remarqué.

La seconde boutique était une épicerie. L’odeur des différentes herbes entra immédiatement dans nos narines. Il y en avait tellement qu’il était difficile de toutes les reconnaître.

Après peu, je finis même par trouver l’odeur désagréable tellement elle était forte et complexe. Naeviah ne semblait pas vraiment s’en préoccuper, c’était peut-être un problème lié à mes sens elfiques.

La boutique était vraiment petite : sur deux murs étaient présentés des pots en verre avec des épices tantôt entières, tantôt en poudre. Le petit comptoir débordait d’affaires également… et c’était tout.

Deux personnes s’entretenaient au moment où nous entrâmes : un homme et une femme. Tous deux étaient d’âge mur.

Ils ne firent même pas immédiatement attention à nous, tant ils étaient engagés dans leur conversation.

— Les étoiles poivrées ne suffiront pas pour la commande, tu le sais bien !

— Je ne peux pas te laisser y aller. C’est trop dangereux avec ces horreurs qui rôdent !

— Ne t’inquiète pas, je l’ai fait des centaines de fois. En plus, c’est à l’orée, pas en plein cœur de la forêt.

— Mais récemment les monstres s’approchent plus près de la ville. C’est même toi qui me l’a dit. Tu as bien failli y passer la dernière fois, bon sang !

— Oui, je sais chéri, mais nous ne pouvons nous permettre de perdre cette cliente, tu sais bien que…

Ils s’interrompirent en se rendant compte que nous étions entrées et que nous les écoutions.

— Déso… désolée, chères clientes.

C’était la femme qui nous adressa la parole la première. C’était elle qui voulait aller en forêt cueillir des étoiles poivrées, une épice que je ne connaissais pas.

— Des problèmes de monstres ? demanda Naeviah.

— Euh… oui… enfin non, rien de grave, ma sœur.

Naeviah, suite à la mission de la veille, avait décidé de porter sa robe cléricale plutôt que sa nouvelle robe. Mais pour ne pas attirer l’attention outre-mesure, elle n’avait pas emporter sa faux mais une dague à la place.

— Vous cachez un truc…

— Vous pouvez nous en parler, dis-je en essayant de me montrer persuasive. Nous sommes des aventurières de passage, nous pourrions même vous aider en réalité.

La femme regarda son mari qui leva les épaules.

— Ma femme voudrait aller cueillir des étoiles épicées en forêt mais récemment, il y a de plus en plus de monstres qui s’approchent de la ville.

Jusque là, c’était ce que nous avions entendu.

— Tu exagères. C’est toujours arrivé qu’ils approchent…

— Allons, Harla, tu sais bien qu’ils sont différents. Et la semaine dernière, même Shirvek a dû fuir. En plus, tu en as croisé un aussi y a peu de temps.

Nous échangeâmes des regards avec Naeviah que je sentais un peu impatiente.

— Quel genre de monstres ? Expliquez-vous.

— En général, il y n’a que des Pousses-branches.

Je ne connaissais pas ce monstre, Naeviah leva les épaules pour me dire qu’elle non plus.

— C’est des petits arbustes haut comme ça, nous montra la femme. Ils sont lents, donc on leur échappe facilement. Puis, ils ont peur du feu, ils s’approchent pas de la ville.

— Mais Harla et Shirvek parlent d’un autre monstre vraiment bizarre…

L’homme s’interrompit et pointa sa main en direction de sa femme pour lui laisser expliquer la suite. Cette dernière grimaça et finit par expliquer :

— Il est grand comme un gros loup, mais il y a des… sortes de branches sur le dos, comme des pattes. Deux gueules… une de reptile. Enfin, c’est ce que j’ai vu vite fait… je me suis cachée dans les buissons, il ne m’a pas trouvée.

— Je n’ai jamais entendu parler de ce monstre, dis-je.

— Pareil.

Sans avoir réellement besoin de nous consulter, nous prîmes la décision.

— Nous allons vous escorter, dis-je.

— Mais… mais nous…

— Nous n’avons pas d’argent, dit sèchement la femme en interrompant son mari. Désolée, mes chères aventurières.

Naeviah soupira et croisa les bras.

— Personne n’a parlé d’argent.

— Oui, nous avons un peu de temps libre, c’est mieux que nous venions avec vous. Ce serait embêtant que vous soyez attaquées.

— Comme le dit cette el… mon amie.

Je rêvais où elle venait de m’appeler « son amie » ? Bon, elle avait quand même commencé par dire « elfe perverse » mais s’était reprise.

Je ne pus m’empêcher de lui jeter un regard mielleux, elle y répondit par un regard si froid que je crus geler sur place.

Naeviah n’était vraiment pas dans son assiette, elle n’aurait jamais fait une telle « erreur » en temps normal. Elle aurait pris un air hautain et aurait dit : « mon idiote de collègue » ou quelque chose du genre.

Je ne comprenais pas ce qui l’avait perturbée à ce point dans la précédente boutique, mais c’était assurément là que son humeur avait changé.

Le couple se consultèrent silencieusement, simplement s’observant l’un l’autre. Finalement, l’homme prit la parole :

— Ce serait vraiment abusé de votre gentillesse… mais, en tant que mari, je ne peux que vous remercier infiniment.

Il baissa la tête respectueusement.

— Tsss ! C’est rien du tout. En plus, nous ne sommes pas sûres d’être attaquées, dit Naeviah. Remerciez-nous à notre retour. Harla, si vous n’y voyez pas d’inconvénients, partons tout de suite. Ce sera plus simple tant qu’il y a encore la lumière du jour.

— Oui, merci beaucoup… toutes les deux.

Harla saisit une besace, une paire de gants en cuir, un masque en tissus et une paire de ciseaux, puis nous quittâmes toutes les trois la boutique.

Chemin faisant, je me permis de l’interroger un peu.

— Pourquoi tout cet attirail ? C’est une plante dangereuse ?

— Vous ne connaissez pas les étoiles épicées ?

— Je ne crois pas.

— Il y en avait dans la nourriture de l’autre jour, expliqua Naeviah. Mais tu n’en as sûrement jamais vu à l’état sauvage…

En réalité, il était possible que je sois passée à côté sans m’en rendre compte. La Grande Forêt était l’écosystème le plus généreux du continent, il n’y avait sûrement rien qui n’y poussât pas.

— C’est une plante en forme d’étoile, d’où son nom, expliqua Harla. Elle a des piquants qui provoquent des démangeaisons et lorsqu’on la coupe elle dégage une odeur forte qui pique le nez. Elle n’a rien de dangereux, juste qu’elle a son caractère la petite.

— Je vois…

— Les cueilleurs n’ont jamais d’escorte ? demanda Naeviah.

— En principe, les troupes du baron sécurisent l’orée de la forêt, dit Harla en faisant la moue. Mais récemment…

— Il y a plus de monstres, c’est ça ? l’interrompis-je.

— Ouais… j’en parle pas à mon mari pour ne pas l’inquiéter, mais il y en a vraiment beaucoup plus. Zistrey a aussi été attaquée la semaine dernière, on l’a sauvée de peu.

— Le monstre bizarre ?

— Non, un Pousse-branche. Je sais pas comment elle a fait pour se faire avoir, c’est une habituée de la cueillette pourtant…

Réflexion classique. Souvent les personnes avec de l’expérience dans un métier se pensent infaillibles et s’étonnent des moindres erreurs. Dans la plupart d’entre eux, les erreurs inattendues n’ont pas une grande incidence, mais lorsqu’il s’agit d’aventuriers cela peut être fatal.

Mon mentor m’avait bien mise en garde : « Aucun monstre n’est que du menu fretin dont tu ne dois pas t’inquiéter. Chaque combat est dangereux et peut mener à ta mort. C’est en te souvenant de cet adage que tu retarderas le jour de ton trépas. »

J’étais malgré tout étonnée que de simples femmes prennent tant de risques pour juste cueillir des plantes, mais la nécessité d’argent poussait les gens à bien des choses…

— En général, nous partons en groupe pour réduire les risques, mais une cliente importante m’a demandé une grande quantité d’épices.

— Si vous n’aviez pas le stock, il valait mieux refuser que risquer sa vie, dit Naeviah.

— Nous pensions avoir le stock mais il nous en manquait. Nous avons engagé notre parole et cette cliente est vraiment importante.

— Eh bien, en tout cas, vous avez eu de la chance, dis-je. Nous avons découvert votre boutique par pur hasard.

— Non, c’était la destinée, me reprit Naeviah. C’est les dieux qui guident nos pas.

Cette fois, c’était moi qui commençait à m’assombrir. Les dieux… il valait mieux que je ne repensasse pas à ces derniers.

Nous finîmes assez rapidement par quitter la ville et arriver à l’orée de la forêt où nous étions déjà passées la veille. C’était celle se trouvait au sud-ouest de Moroa, il y en avait une autre encore bien plus grande de l’autre côté de la rivière, à l’est.

— Vous n’allez jamais dans la forêt à l’est ? demandai-je intriguée.

— Ça nous arrive. Mais les étoiles épicées poussent de ce côté-ci.

— Et elle est aussi dangereuse ?

— Moins, je dirais. Mais elle est moins riche en denrées également.

Moins de risques, moins de gains.

C’était malgré tout une information intéressante à avoir. Je commençais à me demander si la rumeur d’une ruine oubliée n’était pas liée à cette quantité de monstres anormale. Je réfléchissais peut-être trop loin, mais dans mon esprit une grande forêt était plus dangereuse car plus difficile à pacifier.

La forêt à l’ouest était certes grande mais si des générations de soldats aux ordres du baron y patrouillaient et affrontaient les créatures qui s’y trouvaient, elle aurait malgré tout dû être plus sûre que l’autre. Or c’était l’inverse.

Les recrudescences de monstres n’étaient que rarement sans raison. Il y avait toujours une explication. Si je me basais sur les connaissances des fictions de mon ancien monde et les récits d’aventuriers de mon mentor, la plupart du temps c’était l’apparition d’une menace qui poussait les monstres à changer de zone d’activité.

En cela, ils n’étaient pas si différents des animaux. C’était à se demander si quelqu’un n’avait pas trouvé ces fameuses ruines légendaires et n’avait pas ramené quelque chose de dangereux en ville, ce qui attirait les monstres.

Je me résolus à cet instant à mener des recherches en bibliothèque concernant ces ruines.

— Trouvées ! Elles sont là les étoiles !

Harna pointa du doigt un arbuste où se trouvaient des sortes de fleurs couleur ambre en forme d’étoiles. Elles avaient effectivement quelques piquants très fins sur leurs pétales, qui semblaient durs et rigides.

— Nous vous protégeons, dit Naeviah. Fiali, place-toi de l’autre côté.

— Oui, chef !

— Je ne suis pas ta chef ! En général, c’est même plutôt toi qui donne les ordres.

— Oui, mais actuellement c’est toi qui donnes les ordres, donc tu es ma chef.

— Ne donne pas à Harla une mauvaise image de moi, per… idiote !

Une fois encore elle s’était reprise et avait évité de me qualifier de perverse. Si cela continuait, je risquais d’être en manque…

Je ne détectais aucune menace dans les environs, mais je suivis son plan. Je me plaçai de l’autre côté de cette barrière d’arbustes et dégainai mon épée.

De mon côté, il y avait plus de végétation que celui de Naeviah et il y faisait plus sombre. que du côté de Naeviah avait-elle choisi nos positions en prenant en compte nos capacités visuelles respectives ?

J’observais les environs malgré tout… et me rendit rapidement compte que nous n’étions effectivement pas seules.

Des faux arbres. Une demi-douzaine. Ils étaient parfaitement immobiles mais nous observaient.

Je pouvais distinguer leurs petits yeux ronds dans les troncs de certains arbustes. Ils devaient mesurer un mètre à peine et leurs branches me parurent à même de leur servir d’armes.

— Naeviah, y a six créatures de ce côté-là. Sûrement les fameux Pousses-branches.

— Hein ?! s’exclama Harla en interrompant son travail. Six ? Il n’y en a jamais eu autant si près de la ville !

— Tssss ! Je savais bien que quelque chose ne tournait pas rond depuis l’attaque d’hier… Ils craignent le feu, je te laisse t’en occuper, Fiali. Je m’occupe de vous protéger, Harla. Continuez votre travail.

Sur ces mots, Naeviah s’approcha de la cueilleuse et se mit à prier :

« Puisse l’Impur craindre votre blâme, Ô Reine de l’au-delà, et ses griffes, et ses crocs, et toute sa malveillance se détourner des âmes innocentes baignées de votre providence ! Hak’Luyn ! »

Une lumière magique bleutée jaillit de ses mains et forma un dôme autour d’elles, une barrière de protection.

— Pratique. J’ignorais que tu savais faire ça.

— Je dois en maintenir le contrôle. Avec trois brutes qui se font toujours blesser, je dois donner la priorité aux soins.

— Haha ! Oui, c’est vrai…

Je ne pouvais le nier.

Les six arbres se mirent bouger, ils avaient probablement compris que nous les avions remarquer ; l’attaque-surprise n’était plus envisageable.

— Évite de mettre le feu à la forêt, par contre. Je connais ta capacité à causer des désastres.

— Eh oh ! C’est pas vrai !

— Tu veux qu’on reparle des deux fois où tu as failli nous ensevelir vivantes ?

— Arg !

Je ne pouvais une fois de plus rien rétorquer. J’avais effectivement l’habitude de détruire les donjons depuis que j’étais avec elles. Néanmoins, c’était lorsque j’utilisais mes sorts de ténèbres, pas ceux de feu.

«  Venus des enfers obscurs, torrents de flammes abyssales, réduisez le monde en cendres ! Ver’vyal (Fire Destruction) ! »

J’injectais mon sort dans la lame de mon épée longue qui se mit à flamber ardemment.

— Avec ça, pas de dégâts collatéraux… ou presque.

— Presque… ?

Je ne répondis pas à l’interrogation de Naeviah et chargeai à la place le monstre le plus proche. Mis à part ses branches aiguisées, les Pousses-branches ne semblaient pas avoir d’autres modes d’attaques. J’esquivais sans mal ses coups, certes nombreuses, mais prévisibles et lents, et finit par arriver au contact.

Un coup horizontal sur le tronc laissa une large entaille. Un cri de douleur qui ne ressemblait à aucun animal sortit d’une gueule qui s’ouvrit soudain. Je découvris à cet instant qu’ils cachaient en effet des bouches garnies de crocs acérées.

Ces monstres étaient donc des prédateurs, s’alimentant des animaux qu’ils parvenaient à attraper. Les humains étaient à leurs yeux de la nourriture comme une autre.

Ayant déchargé mes flammes au cours de mon attaque, l’arbuste monstrueux commença à embraser. J’avais été peut-être un peu hâtive à penser que je ne pouvais pas démarrer d’incendie, ils étaient inflammables au final.

Mais je n’eus pas le temps de m’en préoccuper, les cinq autres projetèrent leurs branches dans ma direction, tous en même temps. Je bondis dans les airs d’un mouvement élégant et les esquivait toutes.

Ce n’était certainement pas des créatures brillantes : les branches s’emmêlèrent les unes aux autres et ils devinrent incapables de se défendre.

Dans un combat, il y a la stratégie et la tactique. Si la première consistait à créer d’avance des situations à exploiter, la seconde consistait à diriger ses troupes et utiliser les failles de l’ennemi à l’instant présent.

Je n’avais pas prévu un tel dénouement, mais l’occasion était simplement trop bonne pour ne pas la saisir.

Sans utiliser d’incantation, je tendis la main :

« Syelboer (Fire Ball) ! »

Une boule de feu partit de ma main et explosa au centre du cercle formé par mes ennemis. Les branches furent immédiatement incinérées, et le feu lécha les corps des monstres qui commencèrent à brûler.

Je retombai au sol et profitant de ma vitesse, je me dirigeai vers le plus proche.

J’injectai ma magie de feu dans mon épée mais ne déchargeait pas mon sort cette fois. Ma force aurait été sûrement insuffisante pour trancher le corps fait de bois de ces monstres, mais grâce à ma canalisation ma lame les trancha assez facilement.

J’enchaînai les cinq sans qu’ils aient eu le temps de réagir.

— Bravo, voilà qu’il y a du feu partout !

— T’inquiè… Il y a des ennemis de ton côté aussi ?! m’écrai-je.

— Comme tu le vois.

— J’arrive !

— Éteins d’abord l’incendie, je peux gérer pour le moment !

Il y avait deux autres Pousses-branches qui frappaient la barrière magique sans relâche. Je ne les avais pas entendus, j’avais été trop prise par mon propre combat. Naeviah paraissait capable de supporter leurs assauts pour le moment.

Honnêtement, je m’inquiétais plus pour ma camarade et la marchande que pour la forêt, mais j’avais confiance en Naeviah et en ses capacités.

Je courus vers un tronc, prit appui dessus et l’utilisai comme tremplin pour bondir au-dessus de la zone où l’incendie commençait à se déclarer.

« Azaltys Eskyl (Dark Wave) ! »

Une onde de ténèbres partit de ma main et recouvrit toute la zone enflammée au sol. Le but de mon saut était d’arriver à dessiner un cercle au sol, évitant ainsi de détruire les arbres et autres végétaux qui auraient été touché si je l’avais tiré depuis terre.

C’était une utilisation un peu détournée et inédite de mon sortilgèe, mais en détruisant les flammes je les empêchais de se propager.

Lorsque j’atterris, tout avait été désintégré, il ne restait plus qu’un cercle parfait sans aucune végétation au sol. C’était le prix à payer pour mon intervention, la verdure repousserait rapidement, j’en étais sûre.

Je m’empressai d’aller aider Naeviah et me débarrassai des deux derniers avec la même facilité. Évidemment, les combats duraient moins lorsque nous affrontions des ennemis vulnérables à ma magie.

Harla resta bouche bée un instant.

— Reprenez la cueillette avant que d’autres n’arrivent.

— Euh… oui…

— Héhé ! T’as vu ça, Naeviah ?

— Oui, je vois ça…

Elle désigna le cercle en plein cœur de la forêt où tout avait été désintégré.

— Bah, c’était tout ce que j’avais à ma disposition. Si tu avais un sort pour soigner la nature ou bien éteindre les feux, ça aurait pu être plus propre.

— Tu me prends pour quoi au juste, hein ? J’ai une tête de druidesse ?

Elle posa ses mains sur ses hanches en me faisant face.

— Vu ton sens de l’orientation, clairement pas ! Haha !

— Tu peux parler toi !! T’es aussi nulle que moi !

— Ouais, c’est pas faux…

La marchande ne put s’empêcher de se mettre à rire sous son masque. Bientôt nous finîmes notre escapade en forêt.

Sur le chemin de retour, je m’informais s’il était normal que les Pousses-branches attaquassent en groupe comme ils l’avaient fait.

J’avais le pressentiment que non. Si cela était le cas, je ne comprenais pas comment les citadins parvenaient à survivre. Pour des aventurières de notre trempe, ce genre de combat était aisé, mais même des aventuriers débutants auraient eu du mal. De fait, des non-combattants…

— En général, non. C’est la première fois que j’en vois autant d’un coup…

Elle confirmait ce que j’avais pensé : il y avait bien quelque chose d’inhabituel dans le comportement des monstres du coin.

Cela faisait deux fois que nous mettions les pieds dans la forêt et nous étions tombées sur des monstres à chaque fois. Certes, la veille, nous nous étions enfoncés bien plus loin, mais cette fois le combat avait eu lieu à l’orée.

Nous voulûmes nous séparer de Harla à peine arrivées en ville, en effet le ciel était déjà crépusculaire, il était temps de rentrer, mais cette dernière insista pour nous récompenser.

Elle avait été si impressionnée par notre combat qu’elle insista au point que nous cédâmes et finîmes par accepter. J’avais eu un peu peur qu’elle ne se décidât à nous amener en personne la récompense au monastère, je préférais autant qu’elles ne le fasse pas. Il valait mieux accepter.

De retour à la boutique, elle nous proposa en récompense un assortiment d’épices dans des petites pochettes en feuilles tressées. Nous étions sûres de faire le bonheur de Mysty avec ça.

— Par contre… si vous pouviez éviter les épices piquantes…, dis-je timidement en me grattant la joue.

Le couple sourit, je pus lire aisément dans leurs visages le fait qu’ils considéraient mes goûts d’infantiles. Naeviah me prit de haut, alors qu’elle avait plus ou moins les mêmes.

Fort de notre bonne action, nous prîmes la direction du monastère. Chemin faisant, je partageais mes théories avec Naeviah. Elle ne parut pas si surprise :

— J’ai pensé plus ou moins la même chose que toi. Je pense que nous devrions demander à la grande prêtresse Claryss de nous en dire plus pour que nous enquêtions là-dessus. Ce n’est certes pas le travail d’un aventurier de sauver gratuitement les gens, mais…

— On ne peut pas détourner le regard lorsqu’on aperçoit un problème, pas vrai ?

Elle acquiesça et je souris. Je n’en attendais pas moins de la part d’une prêtresse, en fait.

De plus, je trouvais la région charmante. Je ne savais pas si je serais amenée dans un futur à y retourner, mais si tel était le cas, je préférerais trouver une ville florissante qu’une ruine dévastée par les monstres.

De même, pour que ma religion des twintails se propage un jour, il me fallait des humains pour les nouer.

J’avais déjà placé un pion de premier choix dans la région, il fallait que Moroa se développât et les twintails avec elle. Avec la fille du baron, future autorité du coin, qui avait adhéré à ma cause, je pouvais espérer qu’une mode voit le jour dans le fief.

Avec un peu de chance, me prenant comme modèle, elle ne voudrait plus se séparer de ses twintails même devenue adulte. Imitant la baronne, les filles de Moroa se mettraient à se coiffer de la sorte et la mode se répandrait à travers tout l’Hotzwald !

Oui ! C’était le plan parfait ! Mouhahahaha !

***

À notre retour, le dîner était déjà fini.

J’aurais pu aller plus vite, mais Naeviah ne voyait pas dans le noir et refusait de prendre la main. Elle avait bien crée une boule de lumière pour s’éclairer mais le rythme d’avancée était malgré tout ralenti par l’obscurité.

En rentrant, la chance mit devant nous la grande prêtresse Claryss. Probablement qu’en vertu de la rigueur cléricale du lieu elle n’allait pas tarder à se coucher.

— Ce n’est pas prudent de veiller tard le soir, nous dit-elle.

Je m’abstins de lui expliquer que tous les êtres vivants n’étaient pas diurnes comme les humains et, à la place, je préférais lui demander :

— Désolée d’être insistante, mais auriez-vous du nouveau concernant le livre ?

— Malheureusement, je n’en ai pas encore trouvé la trace. J’ai néanmoins retrouvé un vieux registre recensant les livres non traduits de notre bibliothèque depuis ses origines à mon prédécesseur. Depuis que je suis à la tête, nous n’avons pas fait l’acquisition de tels ouvrages. Cet index ne m’avait jamais servi.

— Merci à vous de nous accorder de votre précieux temps, dit Naeviah en inclinant la tête.

Je l’imitais.

— Merci beaucoup.

— Oh ! Je vous en prie. Si vous n’avez pas encore dîner, allez faire un tour en cuisine, il paraît qu’il y a beaucoup de restes aujourd’hui.

Je ne manquais pas de faire la relation avec l’entraînement aux fourneaux prodigué par Mysty.

Nous la remerciâmes une fois de plus et sans tarder nous nous séparâmes d’elle.

À la cuisine, il restait effectivement pas mal de choses, nous trouvâmes rapidement de quoi nous substanter.

Suite à quoi, nous retournâmes dans nos chambres.

— Whooo ! Vous semblez mortes toutes les deux ! dit Naeviah en découvrant nos camarades.

Elles bâillaient et étaient déjà à moitié endormies. Probablement nous attendaient-elles.

— Donner des cours de cuisine est plus crevant que combattre au final. Haaaaaan ! J’vais pas tarder…

— Vous… vous devriez aller vous baigner… tant qu’il n’est pas trop tard…

Le conseil de Tyesphaine était avisé, nous prîmes nos pyjamas et nous dirigeâmes vers les bains du monastère. Puisque cet endroit était peuplé que de femmes, un soin particulier avait été apporté à la salle de bain.

On aurait dit des termes. Un objet magique produisait toute la journée de l’eau chaude sous la forme d’une fontaine et les nombreux bassins étaient alimentés par cette dernière. Il y avait de quoi accueillir au moins une dizaine de personnes en même temps.

Puisqu’il y avait un système d’évacuation de l’eau, la plupart des gens se lavaient directement dans la baignoire, contrairement aux bains japonais. J’avais entendu des histoires à me hérisser le poil : dans certains auberges bas de gamme, tous les clients utilisaient le même tonneau pour se laver, l’eau n’était pas changée de toute la journée. Ainsi, les derniers clients se lavaient littéralement dans la crasse des précédents.

Les auberges que nous avions eu jusque là avaient changé l’eau après usage à chaque fois, mais puisqu’il en fallait une bonne quantité, les bains avaient toujours été plutôt coûteux.

Dans ce monde, il y avait peu de personnes qui se lavaient tous les jours ou s’immergeaient. Sans ma magie, moi-même j’aurais eu du mal à être constamment propre. Généralement, le bas peuple faisaient leurs toilettes avec des serviettes humides tous les jours et se baignaient une fois toutes les semaines voire toutes les deux semaines, selon leur niveau de vie.

Contre toute-attente, les citadins n’étaient pas vraiment plus propres que les ruraux, ces derniers avaient souvent accès à diverses sources d’eau tel que des lacs ou des ruisseaux alors qu’en ville il fallait constamment aller puiser dans les puits.

Quoi qu’il en fût, dans ce monastère, la propreté était de mise, ce qui n’était pas pour me déplaire.

Dans le vestiaire qui précédait les bains…

— Tourne-toi !

— Hein ? Mais je t’ai déjà vu nue un tas de fois.

— Justement ! C’est ça le problème ! Depuis quand tu me reluques au juste, perverse ?!

Ah ? Elle avait recommencé. Il fallait dire que la situation et le sujet de conversation s’y prêtait bien.

— Je ne te reluque pas… enfin pas spécialement.

— Pas spécialement ?!

Je détournais le regard en me grattant la joue.

— Disons que je suis un peu curieuse… et je me demandais si les humaines avaient des différences par rapport à moi…

C’était à moitié un mensonge. Je me demandais surtout quelles étaient mes différences par rapport aux humaines de ce monde. Je connaissais l’anatomie humaine, mais je n’avais pas toujours été une elfe.

— Hein ? Tu… tu… tu nous reluques vraiment en fait !

— Comme vous le faites aussi ! rétorquai-je. Tu crois que je n’ai pas remarqué quand vous le faites ?

C’était vrai. À chaque fois que je me déshabillais leurs yeux furtifs étaient braqués sur moi. Au début, j’avais trouvé ça gênant, mais à force je m’étais persuadée que c’était parce que j’étais différente, tout simplement.

— Hors de question que je prenne mon bain avec toi ! Plus jamais !!

Elle se mit à bouder en croisant les bras et en se retournant.

— Dis pas des choses idiotes, Naeviah… Nous allons gêner ces pauvres sœurs si nous tardons trop.

Elle n’en démordait pas. Je supposais que ce qui s’était passé en journée n’était pas pour diminuer sa méfiance.

Je soupirai.

— Bon j’y vais la première alors… Dire que tu fais tout ce foin alors que tu m’as jetée dans un tonneau…

— Qu’est-ce que tu viens de dire ?! C’était toi la responsable de l’histoire du tonneau !

— J’étais inconsciente, comment pouvais-je être responsable ?

— C’est ta faute d’avoir été submergée par l’énergie nécromantique d’abord !!

Elle me pointa du doigt en criant.

— Ouais ouais… Bon, désolée, j’ai pas envie de passer toute la nuit aux vestiaires, j’y vais la première. Fais ce que tu veux…

Je commençais à me déshabiller ce qui l’obligea à se retourner.

Les bains étaient vides. Forcément, nous étions rentrées après le couvre-feu, la plupart des sœurs dormaient déjà ou étudiaient dans leurs chambres ou regardaient les étoiles.

Je pris du savon et plongeai dans le bassin le plus proche. Quelques marches y descendaient.

L’eau chaude produisit immédiatement son effet, je me sentis revigorée.

— Aaahhhh ! Ça fait du bien !

— Co… commence pas à t’exciter, elfe perverse !

Naeviah n’avait finalement pas tarder à me suivre.

Je tournais la tête dans sa direction, mais elle me jeta un savon dessus.

— Ne te retourne pas !

Elle entra précipitamment dans le même bassin que moi en cachant les parties intimes de son anatomie. De mon côté, je m’y prenais garde, je posais les coudes sur les rebords du bassin et je me décontractais entièrement. J’avais l’impression de commencer à fondre.

— Je te dis que j’ai déjà tout vu, soit pas aussi timide d’un coup.

— Je veux pas entendre ça de ta part, tu m’entends ?!

— Ouais ouais…

Je finis par reprendre un peu de force, j’attrapai mon savon et lançai mon pouvoir magique de « nettoyage » dessus. Il s’anima et se mit à me frotter le corps en produisant de la mousse.

— Tu… tu n’es pas gênée de te faire laver comme ça, perverse ?

— C’est un sort. Il n’a pas de forme ou de conscience.

— N’empêche…

Je vis que Naeviah cherchait quelque chose dans l’eau. De nuit, l’éclairage des bains était réduit à son minimum : uniquement la lumière de la lune et des étoiles qui filtrait à travers les vitres. C’était également une des raisons pour lesquels les bains étaient déserts à cette heure.

Je compris rapidement ce qu’elle cherchait : le savon qu’elle m’avait lancé.

— Plus à droite… Tu te rapproches.

— Tu pourrais pas me le donner au lieu de jouer à ce jeu-là ?

— C’est toi qui me l’a lancé. Ah ! Fais attention, là tu te rapproches de moi.

— Kyaaa !

Elle recula aussitôt effrayée.

— C’est… c’est pas juste ! Toi, tu vois tout ! Je suis sûre que tu es en train de m’observer sous toutes les coutures ! J’ai envie de te crever les yeux !

— Si tu le fais, tu seras bonne pour me lancer des sorts pour les régénérer, tu sais ?

— Tssss ! C’est tout ce que tu trouves à me rétorquer ?

Je me mis à rire, puis me retournai. Je croisais mes bras sur le rebord et posai ma tête dessus. J’exposais mon dos à Naeviah.

— Voilà, je ne verrais rien à présent. Par contre, si tu commences à me toucher à des endroits indécents, je ne manquerais pas de t’affubler aussi du surnom de perverse. « Prêtresse perverse », ça sonne plutôt bien. Haha !

J’étais d’humeur taquin. Il fallait dire que je commençais à fatiguer malgré tout. Quand j’étais fatiguée, que ce fût dans ce monde ou le précédent, j’avais tendance à rire plus, m’énerver plus, mais aussi à être plus directe. Ce qui me rendait un peu plus taquin.

Puis, cette soudaine gêne de Naeviah m’amusait.

Je savais pertinemment où se trouvait le savon, j’étais curieuse de savoir si elle allait prendre le risque de se rapprocher de mon pied ou non.

— Si tu fais ça, je te tue, je te ressuscite et je te tue à nouveau ! Mpffff ! Comme si j’avais peur de tes provocations à la manque en plus ! Je vais le trouver toute seule ce savon.

Je souris sournoisement. Je n’avais pas encore dit mon dernier mot.

Alors qu’elle le cherchait près de moi, je le fis glisser plus loin et ce qui devait arriver, arriva : elle frôla mon pied.

— Kyaaaa ! Quelque chose vient de toucher mon pied ! Oh non, une perverse m’agresse ! dis-je en surjouant.

— Je l’ai à peine touché ! Ne sois pas ridicule ! Tu crois que je sais pas ce que tu cherches à faire ?

— Hihihi !

— Je t’aime pas beaucoup ce soir… Je ferais mieux d’aller m’en prendre un autre…

Mais à cet instant-là, alors qu’elle chercha à reculer, elle glissa. Je me demandais si son pied n’avait tout simplement pas marché sur le savon qu’elle cherchait. Je ne pensais pas l’avoir envoyer dans cette direction pourtant…

Résultat : elle s’écroula sur moi. Sur mon dos.

— Aïe !! Tu m’écrases.

— Aaaaahhhh !! cria-t-elle. Qu’est-ce que tu me fais ?!!

— Mais je ne fais rien !

— Tu me touches la poitrine !!! Aaaaaaahhhhh !!

J’avais les bras sur les rebords, je ne voyais pas comment j’aurais pu faire quelque chose du genre. Au contraire, c’était elle qui l’écrasait sur mon dos. Ses mains s’étaient instinctivement enroulée autour de mon ventre et en commençant à s’agiter elles remontaient vers mes seins.

S’ils avaient été plus gros, aucun doute qu’il y aurait déjà eu collision.

— Kyaaaaa ! Perverse !!! Aaaaaaahhhh !!

Je compris soudain. Le savon. Le mien.

Mon sort de « nettoyage » était en train de frotter mon dos lorsqu’elle m’était tombée dessus.

— Ne me dis pas que… ?

Il était coincé entre ses seins et mon dos et continuait de s’agiter, cherchant une voie de sortie à ce piège qui l’avait emprisonné. Plus il s’agitait, plus Naeviah paniquait. Et plus elle paniquait et plus elle appuyait sa poitrine l’empêchant de sortir.

C’était un cercle vicieux.

— Je… je ne te le pardonnerais jamais… je ne vais plus pouvoir me marier… Ouinnnn !!!

— Les prêtresses se marient ?! m’étonnai-je. Plus important : c’est mon savon, mes mains sont sur le rebord. Reprends ton calme et éloigne-toi… Oh là ! Ne t’agrippe pas là, Naeviah !

Ses mains avaient encore remonté. On aurait dit quelqu’un qui avait peur de se noyer. Elle paniquait totalement en agrippait à tout ce qu’elle trouvait.

J’eus un doute soudain.

— Naeviah ? Tu sais nager ?

— C’est… pas le moment… je… ça… arrête ton sort…

— Je vais faire ça.

J’arrêtai mon sort, mais j’étais convaincue en fait qu’elle avait tout simplement paniqué par peur de se noyer. C’était un bassin pour sa laver, il n’était pas très profond mais si elle me lâchait elle coulerait au fond, à une profondeur d’un mètre environ.

Une personne normale n’aurait pas eu peur pour si peu…

Le savon qui n’était plus animé par ma magie glissa entre les seins de Naeviah et fut éjecté par-dessus ma tête. Mais Naeviah ne se calmait pas, elle commençait à me faire mal en fait à me serrer si fort.

— Dire que toute cette situation est ta faute, prêtresse parano !

Je dus lutter pour remettre du calme dans cette situation, il m’en coûta quelques griffures.

En revenant dans nos chambres plus épuisées qu’en les quittant, je grommelais.

— Ça fait mal, tu sais ? Tu as manqué de m’arracher un téton…

— N’en dis pas plus ! Je… Dès que j’irais mieux, je vais te lancer un soin magique.

— Uradan ne le prendra pas mal ?

Elle me jeta un regard noir, je décidais de me taire. D’un accord tacite, ce serait la seconde histoire à taire de la journée.

À notre retour, Mysty et Tyesphaine s’étaient endormies, nous décidâmes de les laisser tranquilles et retournâmes dans notre chambre.

Après avoir fermé la porte mitoyenne pour limiter le bruit, je tirais de mon sac le plateau de jeu de draconier.

— En guise de dédommagement, tu vas m’apprendre le draconier !

— Dédommagement ? Tout ça ne serait pas arrivé si tu n’étais pas à la base une perverse, tu sais ?

— En attendant, tu dis ça mais c’est toi à chaque fois qui me tombe dessus.

Son regard devint féroce, c’était une pente dangereuse que j’avais emprunté. Je souris bêtement et lui tendit le plateau.

— Allez, n’en parlons plus. Même mon téton te pardonne.

— La prochaine fois je t’arrache les deux ! Je te raterais pas si tu continues de l’ouvrir.

— Haha ! OK, OK !

Je commençais à disposer les pions sur le plateau.

— N’empêche, je ne pensais pas que tu aurais peur de l’eau.

— Tsssss ! Raconte pas des choses ridicules ! Je n’ai peur de rien… sauf de toi.

Je ne savais pas comment prendre cette remarque, mais je souris malgré tout. Sa phobie était évidente pourtant, j’avais réellement lutté pour nous sortir de cette situation.

— Bah, je vais t’expliquer ce jeu. Tu m’apprends l’elfique, je peux bien te rembourser.

— Tu m’apprends des choses sur les cultes aussi.

— Mouais… Au final, tu ne me demandes jamais rien et donc je ne t’apprends rien.

C’était un fait : je n’étais pas réellement intéressée par les dieux, je ne lui posais des questions que lorsque c’était nécessaire.

— Le draconier, ça me semble bien…, dis-je pour détourner la discussion.

Mais…

— Les elfes sont réellement des incroyants… Tu préfères apprendre ce jeu à la place d’apprendre de la théologie. Pfff !

Je souris aimablement. Elle avait vu juste.

Sans tarder, elle m’expliqua les règles en répétant souvent qu’elles n’étaient pas si compliquées. En réalité, elle ne me le parurent pas. C’était plus proche d’un jeu d’échec que du go. Dans mon ancienne vie, je ne m’étais intéressée que superficiellement à l’un et l’autre, cependant.

Dans le draconier, il n’y avait pas réellement de « pions » de base comme aux échecs, il était remplacé par les lanciers, les épéistes et les archers. En plus, de la tour, du cavalier et de la reine se trouvaient le magicien, le prêtre et la catapulte. De même, le fou avait un autre nom, on l’appelait « l’irrégulier ». M’interrogeant quand à cette pièce étrange, Naeviah m’expliqua :

— J’ai posé la même question à mon père autrefois. Il m’a dit que c’était un mystère du jeu. Personne ne connaît réellement son origine. Certains pensent que c’est le bouffon du roi, d’autres un traître, d’autre un hérétique et d’autres pensent même qu’il s’agirait d’un monstre dompté.

Une pièce mystérieuse, en somme.

Naeviah m’aiguilla une fois de plus quant à ses nobles origines puisqu’elle avait appris ce jeu en famille, les paysans ne jouaient pas à un jeu qui coûtait plus d’une pièce d’or.

Le plateau était plus grand que celui d’un jeu d’échec, mais les conditions de victoire étaient identiques : attraper le roi. Qui plus est, la composition de chaque armée était laissée au jugement de chaque joueur. Chacune devait avoir un certain nombre de pions de base et de spéciaux, mais il était possible par exemple de n’inclure aucun magicien et de mettre à la place des pièces de même niveau comme un cavalier.

Les trois niveaux de pièces étaient les soldats, qui incluaient les lanciers, les épéistes et les arches, les nobles, qui incluaient le cavalier, la tour et l’irrégulier, et la royauté qui correspondait au roi et à la reine.

Ces derniers étaient des pièces uniques dans chaque armée, mais il était possible d’échanger la reine par un cardinal ou un archi-mage, les deux suivants les mêmes règles que la reine toutefois ; c’était juste la représentation des pièces qui différait.

Dernière différence et, pas des moindre, était l’utilisation de la magie.

En sacrifiant deux pièces de soldats ou une de noble, il était possible de lancer un des trois sorts accessibles à chaque joueur. L’un permettait de ressusciter n’importe quelle pièce une fois par partie. Un autre de tuer une pièce située sur une de axe du lanceur de sort et qui ne se trouvait pas en seconde ligne ; ce qui voulait dire qu’en général le draconier était beaucoup joué en gardant les pièces importantes à l’arrière. Ce dernier était également utilisable qu’une seule fois par partie.

Le dernier sort permettait de téléporter une pièce voisine aux sacrifices à une distance de 5 cases dans n’importe quelle direction ou axe.

Ces ajouts compliquaient bien le jeu, il fallait le dire. Je pouvais comprendre pourquoi le bas peuple lui préférait des jeux plus simples, mais, à titre personnel, je le trouvais bien plus motivant et intéressant que les échecs.

La première partie se solda sans surprise par la victoire de Naeviah, mais je gagnais la seconde.

La nuit était bien avancée, nous plongeâmes de ce fait au fond de nos lits.

— Nous remettrons ça. Je ne veux pas m’arrêter sur une défaite.

— Volontiers ! J’aime le draconier ! Merci de me l’avoir appris.

— Mpfff ! Pas de quoi…

Toutefois, en raison de l’excitation de la découverte de ce nouveau jeu, mon cerveau était bien trop actif pour dormir. Je repensais en détail tous les coups qu’avait joué, que Naeviah m’avait opposé et, finalement, sans m’en rendre compte je m’endormis en élaborant de nouvelles stratégies pour la prochaine partie.

Lire la suite – Chapitre 4