Quatrième jour dans la forêt.
Je commençais sérieusement à en avoir assez. Cette fois, nous n’avions pas de cartes, Tyesphaine et moi n’en avions pas pris, considérant l’échec de la fois précédente.
Nous avions des indications de route sur un carnet, mais rien ne semblait coller.
Nos interlocuteurs —comme toujours— nous avaient assurés que « c’est facile ! », mais ça ne l’était pas !
« Prenez le chemin vers le sud. Il entre dans les bois et bifurque au niveau du grand chêne avec la marque 5 dessus. Il faut prendre à gauche et poursuivre jusqu’à la sortie des bois… »
C’était ce que le carnet nous indiquait et pourtant…
L’arbre marqué du chiffre 5, nous l’avions trouvé et avions tourné à gauche, mais la route semblait interminable. On aurait pu nous dire qu’il fallait presque une semaine pour sortir de cette foutue forêt !
— Elle est immense cette forêt, dis-je aux filles sans cacher ma démotivation.
— C’est clair !
— Toutes les forêts me le semble, dit Naeviah. Et dire que c’est une elfe qui s’en plaint… Pfff !
— Je t’ai déjà dit que je suis une haut-elfe, je suis une citadine comme vous.
— Je suis une désertine, perso.
Naeviah et moi tournions notre regard vers Mysty et son néologisme plus que douteux, nous restâmes sans commentaires. Ce n’était pas spécialement drôle.
Cependant, un petit rire timide se fit entendre en provenance de Tyesphaine qui ajouta au ridicule :
— En tant que paladine, je serais donc une résidente du « pal » ou alors du « palais » ? Hihi !
Je grimaçais à moitié amusée en jetant un regard à Naeviah qui se prit le visage dans la main.
— Haha ! J’savais pas que tu faisais des vannes, Tyes ! C’est cool ! Faut que tu te détendes plus !
— Je pense plutôt que c’est les arbres qui commencent à lui taper sur le système…, marmonna Naeviah.
— À moins que les arbres ou les champignons ne relâchent du pollen ou des spores hallucinants, dis-je.
Je venais de lancer cette idée en guise de blague, mais aussitôt Naeviah et moi nous fixâmes avec horreur. Nous pensions la même chose, très clairement :
— Et si… ?
— Ce serait l’explication…
Si nous étions actuellement sous l’influence de tels hallucinogènes, cela expliquait que nous ne sortions pas des bois qui n’étaient pas censés être aussi grands. Il n’y avait pas d’émission magique, je pouvais le certifier, mais je n’avais aucune certitude quant aux pollens ou aux spores.
Les champignons en particulier étaient des formes de vie capables de pas mal de choses aussi impressionnantes qu’étranges. Je m’imaginais aisément, —d’autant plus en considérant la réaction brusque de ma camarade— que ceux de ce monde de fantasy étaient encore plus incroyables encore.
— Je fais tout brûler ?
— T’es folle ! Tu vas nous asphyxier !
— En plus, ce ne serait pas terrible pour les pauvres animaux. D’ailleurs, nous en avons croisé ?
À force de marcher encore et encore dans cette environnement vert entêtant, j’en avais fini par ne plus considérer la faune et la flore locale.
Mysty me pointa du doigt un écureuil sur une branche.
— À moins que ça ne soit aussi une hallucination, ça prouverait qu’il n’y a pas d’hallucinogènes, non ?
— Il faudrait l’attraper pour être sûr qu’il existe réellement, me répondit Naeviah en se grattant le menton. En plus, c’est pas dit que les écureuils puissent halluciner comme nous.
— Pas faux. Et si on montait dans les branches pour avoir une vue dégagée, cela nous permettrait de voir où nous nous situons.
— Tu te sens de monter dans les branches ?
Je considérais les arbres aux alentours, il y en avait des assez hauts. Sûrement des chênes… enfin, c’était le seul nom d’arbre qui me passait par la tête à ce moment-là, à part faire la distinction entre des conifères et des arbres à feuilles, mes connaissances s’arrêtaient là.
— Je peux le faire. Je suis une elfe, non ?
— Quand ça t’arrange, tu deviens une forestière ?
Naeviah plissa les yeux et me fixa les mains sur ses hanches. Je répondis par un sourire gêné en me grattant l’arrière de la tête. En effet, j’abusais de cette excuse, tout comme celle d’être une magicienne.
Je devrais me montrer plus prudente à l’avenir en les invoquant, à force de leur coller des éléments dessus, je finirais pas me contredire.
— Quoi qu’il en soit, Mysty et moi sommes plus agiles, sans offense envers vous deux, dis-je en joignant les mains. Vu que je n’ai pas d’armure et que je suis plus légère, je propose d’y grimper. Cela évitera que Mysty n’ait à se dévêtir de son armure. Puis, en cas de chute, vous pourrez facilement me rattraper.
— Oui, il vaut mieux que l’autre exhibitionniste garde son armure… Mpfff !
Tyesphaine approuva en hochant la tête. Mysty semblait ne pas comprendre le problème.
— OK, on te rattrape, Fiali. Monte sur mes épaules pour prendre de la hauteur déjà !
C’était une bonne idée. Pour atteindre les premières branches, je pouvais monter sur le dos de Mysty, ce serait plus simple.
Cependant…
— Je préfère monter sur Tyesphaine, elle est plus haute. Sans offense, Mysty.
— Pouah ! Ch’suis si petite ?
Elle ne l’était pas, enfin pas selon mes critères. Tout ce qui était plus haut que moi était « grand », une vision binaire des tailles. Néanmoins, Tyesphaine était la plus haute du groupe.
— Monter… ?
Elle était déjà rouge. L’idée que je lui grimpe dessus, ce que nous avions déjà fait dans les montagnes, la gênait à ce point ?
— Enfin, si tu veux bien…
— Je… d’accord…
Nous nous organisâmes rapidement. La cible était la cime d’un arbre plus haut que les autres. Tyesphaine devait me permettre d’atteindre la première branche puis je ferais l’ascension seule. Pour sa part, elle se retirerait. Son armure à pointes m’inquiétait, si je tombais et m’empalais dessus ce serait sûrement pire que percuter simplement le sol.
Mysty resterait sous l’arbre pour me réceptionner dans le pire des cas. Et Naeviah garderait mes affaires et préparerait un sort de soin au cas où je m’écraserais. Tout était parfaitement défini.
Mais Tyesphaine tremblait alors que je m’approchais d’elle. Je crus comprendre son inquiétude aussi je lui chuchotai.
— Ne t’inquiète pas si tu la vois, je ne vais pas me vexer.
Je lui fis un clin d’œil qui la fit reculer d’un pas alors qu’elle croisa ses mains sur sa poitrine en rougissant de plus belle.
La dernière fois, elle n’avait pas pu s’empêcher de voir ma culotte. Puisque je monterais sur ses épaules à nouveau, inévitablement, elle aurait une vue dessus. Je la connaissais assez pour me dire qu’elle serait embarrassée et qu’elle s’en voudrait de me reluquer. Et à vrai dire, je n’en avais cure. Les culottes servaient à éviter qu’on voit ce qu’il y avait dessous, en faire l’objet d’un tel tabou m’avait toujours paru étrange.
Les culottes, au fond, avaient vocation à être regardée. Elles protégeaient l’intimité et n’étaient en aucun cas l’intimité elle-même.
Puis, ce n’était pas comme si Tyesphaine et les filles ne m’avaient pas déjà vue nue. Si on se basait sur cette considération, une telle pudeur devenait déplacée.
— D’ac… d’accord…
Seule Tyesphaine pouvait encore se montrer aussi prude pour une telle chose après tout ce que nous avions vécu. Mais, c’était ce qui la rendait si charmante et craquante, je n’essayais même pas de la raisonner.
— Je vais y aller. Essaye de ne pas bouger et fais-moi confiance. Ce serait risqué si tu gigotes trop.
— O-OK…
Elle était stressée, bien trop pour quelque chose d’aussi trivial.
Sans mal, je parvins à me tenir debout sans mal sur les grosses pointes de ses spalières et, d’un bond, j’atteignis la plus haute branche à ma portée.
Même si je n’étais pas une elfe des bois avec un sixième sens sylvestre, mon agilité compensait amplement : c’est sans difficultés que la cime se rapprocha de moi. Avec mon poids plume, même les branches les plus hautes ne se brisaient pas.
Je passais ma tête au-dessus de la frondaison des arbres et un océan vert s’offrit à mes yeux. Depuis cette position, les arbres avaient l’air de nuages. Cela aurait été tellement plus simple de pouvoir marcher dessus…
Apparemment, nous étions en plein cœur de la forêt, elle s’étendait d’un côté au-delà de mon champ de vue, mais de l’autre côté la sortie semblait à moins d’une dizaine de kilomètres. Néanmoins, j’avais des doutes quant à savoir s’il s’agissait de la bonne direction… En effet, je voyais des montagnes qui n’étaient pas sans me rappeler celles que nous avions quittées.
— C’est bien beau d’avoir une vue dégagée, mais quand on y connaît rien à la nature et on a pas d’orientation… Pffff !
Jamais on ne se serait perdus avec mon mentor.
Je soupirais longuement et m’apprêtai à descendre lorsque je me dis qu’il serait judicieux de marquer la direction pour sortir du côté des montagnes. Le souci étant qu’en descendant les branches, je n’étais pas sûre de pouvoir la pointer à mon arrivée.
Aussi, j’eus une bonne idée : tirer une simple flèches d’ombre au pied de l’arbre, dans la bonne direction. Le feu était hors de question, trop de risques d’incendie.
Je pointais donc ma main vers une zone visible non loin du pied de l’arbre lorsqu’un déplacement attira mon attention. Mes yeux perçants d’elfe ne manquèrent pas de rapidement déceler plusieurs silhouettes à quelques centaines de mètres de l’arbre sur lequel je me tenais.
Des gobelins. Je les distinguais distinctement.
Si mes yeux ne me permettaient pas de voir la sortie de la forêt d’un côté, limités qu’ils étaient par la courbure de l’horizon, je distinguais clairement les détails au sol.
Je repérais aussitôt une vingtaine de ces monstres abjects. Ils nous entouraient et refermaient le piège sur nous.
Les gobelins. Ils n’étaient pas si différents de ceux des fictions de mon ancien monde : petits, verts, nez crochus, verrues, crocs acérés et griffes, bien qu’ils utilisaient des gourdins en guise d’arme. Ceux-là portaient en plus des armures de peaux, ce qui témoignait d’une expérience guerrière supérieure aux hordes déchaînées qu’il était parfois possible de croiser dans la Grande Forêt.
Créatures à l’espérance de vie particulièrement courte, aussi bien à cause de leur nature biologique que de leur habituelle stupidité qui les poussait à vivre dangereusement (et entrer en conflit constant avec toutes les autres créatures vivantes), ils jouissaient d’un rythme de reproduction très rapide.
Pour information, même s’ils étaient tristement célèbres pour les humiliations et agressions envers les aventurières —telles que nous— ils pondaient des œufs dans la terre ou la boue, ce qui expliquait leur rythme de propagation. Bien sûr, leur mode de reproduction était sexué, même si les métissages étaient à ma connaissance impossibles.
Si j’appuie sur ce détail, c’est parce qu’il s’agissait de la raison principale de mon inimitié envers cette espèce. Je déteste les gobelins !
Immondices parmi les immondices, si j’avais pu les voir tous morts, cela aurait été avec grand plaisir !
L’antipathie entre elfes et gobelins remontait à des temps immémoriaux, d’après ce que m’avait expliqué mon mentor. Contrairement à moi, ce dernier les percevait juste comme de simples créatures agressives et stupides.
S’ils étaient presque tous violents (je n’avais connaissance d’aucun gobelin pacifique), tous n’étaient pas idiots. Et même si dans les RPG et autres fictions, ils étaient le « monstre de base », il y en avait de terriblement costauds. Combattre un groupe de gobelins —car ils étaient rarement seuls—était comme jouer à la roulette russe. Il y avait une chance sur six de tomber sur un individu qui soit réellement compétent, tandis que les autres étaient plus ou moins aussi forts qu’un aventurier débutant.
Au passage, il y avait différentes variantes dans leur espèce : gobelins des marais, gobelins des forêts, gobelins des montagnes et hobgobelins.
Les standards étaient ceux des forêts, ceux qui nous encerclaient. À l’instar des humains, la différence majeure entre les espèces de gobelins se situait dans la pigmentation de leurs peaux. Seuls les hobgobelins étaient vraiment à part : plus grands que les autres, ils étaient également plus charismatique et intelligents, ce qui leur octroyait habituellement le rôle de chef de hordes.
Bien sûr, ce groupe en dénombrait un, je le repérai un peu en retrait.
Tuer le chef était une stratégie qui marchait dans les fictions et les armées régulières disciplinées, mais je savais au moment même où je l’aperçus que sa mort ne changerait nullement le déroulement du combat : dans le chaos ambiant, les gobelins se battraient jusqu’à se voir en sous-nombre puis chercheraient à s’enfuir. Aucun d’eux n’écouterait ma voix du chef une fois la bataille débutée.
De toute manière, elle ne serait achevée à mes yeux que lorsque le dernier de ces mécréants joncherait le sol dans une mare de son propre sang.
Je m’empressai de redescendre de quelques branches avant de dire, sans trop élever ma voix :
— Mysty, tiens-toi prête à me rattraper.
— OK〜 !
Elle frotta ses mains l’une contre l’autre avant de les écarter et estimer l’endroit où j’allais atterrir.
— Trois… deux… un…
Prenant mon courage à deux mains et motivée par un coup d’adrénaline engendré par ma haine viscérale des gobelins, je sautais sur mon amie.
C’était une belle chute. Il y avait au moins une trentaine de mètres… enfin, à vue de nez. À peine mes pieds ne touchèrent plus le sol que je regrettai ma bravoure : l’accélération et la peur du vide me fit contracter les muscles, ainsi que ma vessie.
Mais il me fallait rapidement descendre pour avertir mes amies de l’attaque-surprise : je n’avais pas eu d’autres choix.
Je comptais autant sur Mysty que sur les soins de Naeviah, je ne pensais vraiment pas me sortir indemne d’une telle chute.
À ma grande surprise, la réception ne fut pas si violente. L’anatomie elfique me laissait parfois perplexe, j’avais souvent l’impression de découvrir des capacités inconnues.
Bien sûr, c’était grâce à Mysty que ma chute fut à ce point amortie, mais je découvris que mes articulations répondaient vraiment bien à leur retour sur terre ferme. Au fond, ce n’était pas très étonnant : en combat, j’arrivais à effectuer des bonds de trois mètres de haut et retomber sans aucune difficulté.
Nous nous écrasâmes malgré tout à terre, ma tête sur ses doux coussins… ou plutôt l’épais cuir de son armure (et accessoirement ses rivets).
— J’ai attrapé une Fiali ! J’vais la garder pour moi cette fois ! Hihihi !
Puisqu’elle plaisantait, j’estimais que Mysty devait aller bien. Elle se mit à me caresser la tête en riant.
Mais je n’avais pas le cœur à cela à cet instant.
— Désolée, Mysty.
Je m’extirpai de ses bras et tendit la main vers Naeviah.
— Des gobelins ! Nous sommes encerclées. Mon épée, s’il te plaît !
Les filles réagirent immédiatement.
La légèreté s’évanouit alors que leurs visages devinrent graves. Je me demandais si en tant qu’aventurières, elles avaient la même antipathie que moi envers ces monstres.
— Tyesphaine, protège Naeviah s’il te plaît. On sera rapidement débordées. Mysty et moi, on s’occupe de les charger pour ouvrir leur encerclement.
Mysty fit tourner dans ses mains ses kama en guise de réponse. Je fermai les yeux un bref instant et fit apparaître ma barrière magique défensive.
Naeviah soupira longuement et prit dans notre sac magique sa faux. Sage décision, en cas de combat rapproché elle pourrait s’en servir.
Généralement, dans un combat contre les gobelins, c’était le surnombre le pire ennemi.
Contre un encerclement, la stratégie de base était de percer et de passer à travers. C’était exactement ce que je venais de proposer.
Me fiant plus à ma colère que mon sens de l’orientation, je pris la tête de l’assaut, visant la direction du chef avant que ce dernier ne pût nous attaquer sournoisement.
Mysty courut à mes côtés, elle aurait pu me dépasser mais elle préféra rester à mon niveau.
J’entendis les tintements métalliques de Tyesphaine derrière nous, Naeviah devait être à ses côtés, en principe.
Nous dépassâmes quelques arbres, j’entendis les voix stridentes des gobelins communiquer. Ils avaient compris que leur embuscade avait été déjouée. Ils utilisaient leur propre langue, impossible de savoir ce qu’ils disaient.
Je vis la première leurs petites silhouettes disgracieuses. Il y en avait trois devant nous à moitié dissimulés par les fourrés.
Sans incantation, je tendis ma main gauche dans leur direction et, tout en courant, je tirais des flèches de ténèbres. Elles foncèrent rapidement sur les ennemis. Je ne pris pas le temps de savoir si elles avaient touché ou non, considérant l’impact de mon déplacement sur ma visée je doutais que les dix aient atteint leurs cibles. Je me poursuivre et de dégainer mon épée.
Deux autres gobelins sortirent de leur cachette derrière un tronc d’arbre : cette fois lancer un sort serait inutile, ils étaient trop proches.
J’engageais le combat contre l’un d’eux. J’esquivai sans mal son gourdin avant de lui projeter mon pied dans la gorge. Je le vis tomber à la renverse, il n’était probablement pas mort.
Lorsque je voulus m’occuper du second qui allait m’attaquer, je vis Mysty accélérer et fondre sur lui. Ses deux kama de feux tracèrent d’élégantes lignes courbes qui convergèrent sur notre ennemi. Son sang, rouge comme celui des humains, gicla abondamment alors que deux entailles profondes, cautérisées, s’ouvrirent dans son torse.
Faisant confiance aux talents meurtriers de mon amie, je plantais mon épée dans le gobelin au sol, l’enfonçant dans son poitrail, avant de reprendre la course.
Les trois que j’avais visé de mes flèches magiques n’étaient plus très loin, j’ignorais combien étaient encore en vie, mais nous n’allions pas tarder à le découvrir.
Un seul.
Un seul malheureux était encore debout brandissant une épée rouillée et tordue, sûrement enduire de poison considérant les traces noires dessus. Il semblait terrorisé en nous voyant débouler sur lui.
J’aurais presque pu avoir pitié de lui, mais…
Mon épée lui trancha la tête avant qu’un tel écart de conduite ne put entrer dans mon esprit.
Aucune pitié pour ces immondes créatures ! Ce sera la vengeance pour toutes les aventurières que vous avez maltraitées ! pensai-je à répétition dans mon esprit.
Notre avancée fut rapide, les gobelins qui se trouvaient sur le flanc n’avaient pas encore commencé à bouger. J’entendais à une centaine de mètres plus loin une voix un peu plus rauque que les autres, j’étais convaincue qu’il s’agissait du chef. C’était lui ma cible.
Une fois arrivées à son niveau, nous serions sorties du cercle qu’ils avaient formé autour de nous. Il ne resterait plus qu’à se retourner et les affronter en face à face… en principe.
Puis, si une fois la mêlée commencée, la perte de leur chef ne changerait rien, sa disparition avant le début des hostilités jouerait en notre faveur. Lorsqu’ils verraient son cadavre, leur moral tomberait aussitôt.
— Par ici ! dis-je en jetant un regard derrière moi.
Tyesphaine et Naeviah nous suivaient à leur vitesse, elles étaient à quelques trois quatre mètres derrière nous. Je craignais qu’à cause de toute la végétation elles nous perdissent de vue si nous accélérions encore ; ma voix suffirait à les guider dans le pire des cas.
Au cours de notre approche, le chef des gobelins donna des ordres. Je distinguai difficilement trois silhouettes en plus de la sienne à travers les fourrées. Il avait compris être notre cible, mais c’était trop tard pour changer de stratégie, nous poursuivions.
— Mysty, je m’occupe du chef, tu peux prendre les autres ?
— Pas de souci !
Elle accéléra et engagea le combat quelques instants avant moi. J’eus le temps de canaliser ma magie de ténèbres dans ma lame avant d’arriver au niveau de la garde de l’hobgobelin, bien occupée avec Mysty.
J’aurais pu tenter de passer à côté, mais à la place je pris appui sur un tronc d’arbre voisin et m’élançait dans les airs.
Mon saut était suffisamment haut pour passer au-dessus des trois. Je surpris d’ailleurs le chef ennemi qui ne s’attendait pas à une manœuvre aérienne.
Tendant ma main, sans réellement viser, je fis partir à nouveau une dizaine de flèches de ténèbres.
* Cling !*
Nos épées s’entrechoquèrent à peine mes pieds touchèrent le sol. Deux flèches s’étaient enfoncées dans l’armure de l’hobgobelin et avaient pénétré son ventre : rien de mortel, malheureusement.
— Prends ça !
Je me mis à enchaîner des attaques rapides. Grâce à la magie que j’y avais canalisé et l’enchantement inhérent à l’épée de Rorvark, même avec peu de force, je pouvais l’entailler profondément.
Mais mon ennemi m’opposa sa targe en bois et en cuir ainsi que son épée ; il bloquait coup sur coup. Il avait une défense précise et habile.
Comme je l’avais deviné, il n’était vraiment pas un débutant, il avait une maîtrise de l’épée équivalente à la mienne, dans un style un peu différent.
Les échanges durent quelques instants. Au début, c’était moi qui menait la danse : je le harcelais de tellement d’attaques qu’il n’arrivait pas à trouver d’ouvertures pour contre-attaquer. Néanmoins, j’étais limitée par ma propre endurance et ses capacités d’analyse. Une fois habitué à mon rythme, il commença à m’attaquer à son tour.
Il n’était pas le seul à avoir un bouclier, mon sort apparut pour intercepter son épée ; il fut surpris.
Sans l’usage de magie, le combat aurait pu s’éterniser, nos compétences d’escrimeur étaient vraiment très proches. La victoire se jouerait sur l’endurance et l’inattention de celui qui produirait la moindre erreur.
La réelle menace était les voix qui convergeaient vers nous. Si ses subalternes les gobelins venaient se mêler au combat, ils auraient l’avantage du nombre.
Mais j’avais encore quelques sortilèges dans mon sac. Si nos capacités de bretteurs ne nous partageaient pas, la magie ferait la différence. J’étais une Ker’Lyath après tout !
Puisque je n’avais aucun allié devant moi, c’était l’occasion rêvée pour lancer ma vague de ténèbres. Tout habile qu’il fût, il n’arriverait pas à s’en défendre facilement et m’offrirait une occasion à saisir.
Au moment où je tendis ma main, une douleur se fit ressentir dans mon bras. La vague de magie partit un instant trop tard. L’hobgobelin, ayant deviné mes intentions, bondit sur le côté et vit la vague d’énergie délétère le frôler.
Il marmonna quelque chose dans sa langue et je compris, à cet instant, qu’il avait un allié caché dans les environs.
— À quoi je m’attendais de la part d’un peau verte ? dis-je sans cacher un certain fiel.
Dans mon bras se trouvait une fléchette empoisonnée. Un gobelin l’avait tirée à la sarbacane, très certainement. Le poison ne tarderait sûrement pas à faire effet. Je devais m’empresser d’en finir !
Mon ennemi prit confiance et passa à l’offensive. Malheureusement pour lui, je ne sentais pas encore les effets de son vil stratagème : je le parai et l’esquivai sans aucune difficulté.
Ce qui me préoccupait était surtout ce tireur embusqué : je n’arrivais pas à le localiser, concentrée que j’étais sur le combat.
Mysty n’avait pas encore fini avec ses adversaires ? S’il avait des alliés, je ne voyais pas pour quelle raison je ne ferais pas appel aux miennes.
Je tendis l’oreille brièvement, juste pour prendre conscience de la configuration du combat : je grimaçai.
J’avais pris trop de temps. Les gobelins étaient engagées en combat contre Mysty et Naeviah. Nous étions passées à travers l’encerclement, mais les gobelins avaient eu le temps d’affluer sur elles malgré tout.
On me laissait donc le soin de m’occuper du chef puisque j’avais foncé dessus.
— C’était ce que tu voulais, Fiali, tu ne vas pas t’en plaindre…, pensais-je en souriant.
Il n’y avait pas de renforts à espérer, il fallait que je m’en sorte par mes propres soins.
En me concentrant davantage et en passant dans un style encore plus agressif, comptant davantage sur mon bouclier magique que mon esquive, je parvins à entailler quelques fois mon adversaire. Je repris l’avantage, il ne parvint pas à me blesser.
Néanmoins, je sentais à chaque passe d’arme mon corps plus lourd et maladroit.
— Il faut que je sois plus brutale ! Comme cette fois-là dans le temple des démons.
C’était une solution. Sacrifier totalement ma défense et compter uniquement sur une offensive implacable.
Je n’avais plus le choix. Avant de tomber, j’emporterai les deux dans ma tombe !
Mais à peine tendis-je la main qu’une nouvelle fléchette de sarbacane vint se planter dans mon torse cette fois.
— Enflure !
Cette fois, je parvins à le repérer. Bloquant péniblement l’attaque de l’hobgobelin de mon épée, je tournais ma main vers le buisson où se cachait mon second ennemi et fit feu.
Une vague de ténèbres, Azaltys Eskyl, jaillit de mes doigts et ravagea la végétation sur une trentaine de mètres. Le tireur embusqué vit son bras emporté dans la décharge d’énergie ainsi que son précieux couvert.
— À présent… tu…
Je tombai à genoux, à bout de force. Une douleur dans ma poitrine me lancinait. Je n’arrivais plus à respirer. C’était un poison plus violent que ce j’avais pensé, il entraînait une paralysie respiratoire, un peu comme de la grande ciguë.
Alors que l’hobgobelin afficha un sourire satisfait et allait abattre son épée sur moi, décidé à me tuer au lieu de me torturer (merci l’aura dakimakura ! Si tant est qu’on puisse remercier pour cela…), une silhouette lui tomba sur le dos.
C’était un… dinosaure ! Précisément un raptor… enfin non, un deinonychus.
Je le reconnus immédiatement, ce dinosaure avait particulièrement marqué l’esprit de mon ancien monde.
J’aurais pu être étonnée d’en voir un, mais mon mentor m’avait parlé des grands reptiles qui vivaient parfois dans la Grande Forêt. En principe, cela dit, il n’y avait plus que dans cette forêt-là où on pouvait en trouver, celles des territoires humains n’étaient pas assez chaudes ou pas assez grandes.
Mon mentor pensait qu’il devait en rester dans des îles au large du continent, mais cela restait à prouver.
Quoi qu’il en fût, le dinosaure qui ne faisait qu’un mètre de haut s’était accroché à son dos avec ses pattes arrière et ses pattes avant. L’hobgobelin avait été surpris, il s’agitait pour faire tomber l’ennemi, et appela à l’aide.
Je me rendis compte à cet instant d’ailleurs qu’il n’y avait pas qu’un tireur embusqué : deux autres gobelins sortirent des buissons pour attaquer le deinonychus. Toute la fourberie des peaux-vertes !
Le dinosaure porta un coup de queue au chef avant de se détacher et bondir. Il atterrit à mes côtés.
« Ô Ilbertus le bienveillant frère, que l’être que je place sous ma protection soit purgé du mal qui le ronge ! Yal’fha ! »
Mes yeux s’écarquillèrent un instant alors que j’entendis cet animal parler d’une voix féminine. Il lançait un sortilège, ou plutôt une prière, pour me délivrer du poison. Il parlait dans la langue continentale des humains affectée par un petit dialecte local auquel je m’étais habituée.
Une lumière verte s’enroula autour de moi, entra en moi et fit disparaître le corps hostile étranger qui m’assaillait.
— Kof ! Kof ! Mer… ci… han… han…
Je repris mon souffle. Même si cela avait duré que très peu, ma poitrine continuait à me faire mal.
— De rien. Trois… Ils sont forts… On ne sera pas trop de deux.
Dans un effort de volonté guidé par ma colère d’avoir été humiliée, je repris mon épée à mes pieds et me relevai fièrement.
— Bien sûr, nous allons les affronter à deux ! Aucun d’entre eux n’en réchappera, je t’en fais la promesse, druidesse !
Elle avait révélé son identité à l’aide de son sort, c’était une prêtresse d’Ilbertus, le dieu des animaux. Naeviah m’avait donné quelques rapides cours sur les dieux principaux, j’étais à présent au courant qu’on les surnommait « druides ». De tous les prêtres, ils étaient les moins prosélytes et les moins attachés au concept « d’église » ; il n’avaient pas une institution rigide, chacun vivait en solitaire et respectait leur dieu à sa propre manière.
Le dinosaure tourna sa tête vers moi avec une expression difficile à sonder, de par sa nature animale.
— Erythrina… ou Tina…
Ce qui était perturbant était de voir qu’avec les cordes vocales d’un animal, elle parvenait à avoir un élocution humaine limpide. Sa voix semblait assez lasse, cela dit, comme si elle venait de se réveiller.
— D’accord, Tina. Mon nom est Fiali.
— Fiali… OK…
— Je m’occupe du chef. Tu peux t’occuper des deux autres.
— Oui. Le chef est trop…
J’attendis la fin de la phrase, mais elle n’arriva jamais. Elle l’avait interrompu en plein milieu. À la place, elle fonça sur nos ennemis. Elle me prit de court ; j’attendais qu’elle dise quelque chose mais n’en fit rien.
Tout en courant, elle utilisa une magie pour se transformer : elle prit la forme d’un autre dinosaure, une sorte de tricératops. Malheureusement je n’étais pas assez experte en la matière pour reconnaître autre chose que les plus célèbres.
Le dinosaure, sans plume cette fois, courait à quatre pattes et avait deux cornes sur une collerette osseuse ainsi qu’un bec. Il manquait une corne sur le bec pour être un tricératops, mais peut-être était-ce simplement une variation… aucune idée.
De mon côté également, je me mis à courir. Je canalisais à nouveau ma magie de ténèbres dans mon arme pour la rendre plus acérée.
La charge du dinosaure obligea le groupe à s’éclater, ils l’esquivèrent en se jetant chacun de leur côté. Ces deux gobelins semblaient plus forts que la moyenne, servir de garde au chef était certainement un privilège qu’ils avaient reçu.
Mais je n’eus pas le temps d’observer davantage le combat de Tina puisque j’avais le mien à mener.
L’épée du hobgobelin s’entrechoqua avec la mienne une fois de plus. Je n’avais pas l’intention de me faire avoir cette fois, je prêtais plus attention à mon environnement : je savais qu’il ne m’affrontait pas à la régulière, ce n’était pas un vrai duel.
D’ailleurs, rapidement, pour essayer de prendre l’avantage, il me jeta une poudre qu’il cachait derrière son bouclier. Encore une technique sournoise et vile qui faisait la réputation de son espèce !
J’ignorais quel en était l’effet puisque je parvins à l’esquiver d’une roulade latérale, suivie d’un bond en utilisant un tronc d’arbre.
En retombant sur mon ennemi, je bloquai son violent coup de targe, puis un coup d’épée.
Je tendis la main pour lui lancer un sort ; il se jeta de côté aussitôt. Il était vif et réactif, il n’y avait pas à débattre.
Mais c’était précisément ce que j’avais espéré. Après m’avoir vu utiliser deux fois ma vague de ténèbres, il s’attendait à ce que je l’utilisasse encore. Or, ce n’était pas le cas.
Je m’avançais d’un pas, puis effectuai un balayage de la jambe.
Même si j’utilisais une épée, j’avais appris à utiliser conjointement mes pieds pour attaquer. Il ne vit pas l’attaque venir, caché qu’il était derrière son bouclier. Il s’effondra et m’offrit l’occasion que j’attendais.
Ma main gauche entourée des flammes de Ver’vyal —mon sort de contact de flammes— se posa sur son torse. Aussitôt, je déchargeai ma magie, il en résulta une brève explosion et une odeur de brûlé.
— Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhh !!
Bien sûr, il hurla à la mort. Se faire brûler n’était pas agréable, j’en étais consciente. S’il avait été un adversaire moins coriace, il serait mort sur le coup, mais malgré ses chairs calcinées il s’agitait encore.
Dans une tentative désespérée, il tenta de bloquer le coup d’épée avec lequel je comptais lui asséner le coup de grâce ; il ne fit que prolonger sa douleur. Je dus lui trancher le bras droit pour empêcher que son épée ne se dirigea vers moi.
Il se débattait comme un fou furieux, il m’effraya autant qu’il ne m’impressionna. Par surprise, il me cracha du sang au visage et profita de mon inattention pour me porter un coup de bouclier qui me sonna et me fit reculer.
Mais il était déjà trop tard pour lui.
Il se releva de toutes ses forces, désireux de me voir morte, mais ses blessures eurent raison de lui. Il retomba au sol en haletant, incapable de bouger.
Je repris mon souffle et essuyai le sang qui coulait de mon nez. Ce n’était pas mon premier combat, mais celui-là avait été féroce. Comme le disait mon mentor : « Fiali, aucun combat n’est escompté. Même l’adversaire à l’allure la plus faible peut te tuer dans un moment d’inattention ».
J’avais sûrement bien fait de ne pas les considérer comme de « simples gobelins » depuis le début, même si je reconnais qu’il est difficile de chasser cette idée saugrenue de l’esprit.
Je m’approchai de lui et lui dit :
— Tu as bien combattu… Je pense que tu ne comprends pas un piètre mot de ce que je te dis, mais je voulais saluer ta force et ta bravoure. Adieu !
J’abattis mon épée et, même si c’était inutile, je déchargeais mon sort de ténèbres pour produire une explosion d’ombre qui lui désintégra une grande partie du torse et son cœur.
Autour de moi, le combat prenait fin.
Tina était revenue à sa forme de deinonychus, sûrement plus pratique pour le combat, sa gueule était pleine de sang. Un peu plus loin, Mysty, Naeviah et Tyesphaine achevaient les derniers gobelins à leurs pieds.
— Y en a qui s’enfuient, dit Mysty. On les chasse ? Whooo ! C’est ton nouveau pote ?!
Mysty fixa le dinosaure un peu inquiète. C’était sûrement sa première rencontre avec un tel animal.
— Je m’en occupe, Fiali, me dit Tina.
Elle se transforma en un autre dinosaure ressemblant plus à une sorte d’autruche reptile et se mit à courir.
— C’est une druidesse, expliquais-je aux filles qui regardaient avec de grands yeux. Elle s’appelle Tina.
— C’était quoi cet animal ?
— Je ne sais pas, Mysty… Il faudra lui demander à son retour… Les fuyards sont nombreux ?
— Deux trois. T’es toute esquintée ma pauvre…
— C’est vraiment un gobelin qui t’a fait ça ? Tu te serais pas ramollie à force de dormir dans la poitrine de Mysty ?
Naeviah, tout en se moquant, s’approcha de moi pour inspecter mes blessures. Je supposais que je ne devais pas être belle à voir après le coup de targe dans la figure.
— Aïe !!
— Ce que t’es douillette, ma pauvre perverse. Asseyons-nous, je vais te soigner tout ça sans laisser la moindre cicatrice.
— Merchi…, dis-je alors que Naeviah me tritura le visage.
Sur ce, le combat prit fin.
***
— Je m’appelle Erythrina, mais Tina ou Ery…
La dénommée leva le pouce suite à cette très brève présentation.
Erythrina venait de reprendre sa forme humaine.
Haute d’un mètre soixante, elle était une fille mignonne sans être une beauté à couper le souffle. Elle semblait avoir plus ou moins dix-huit ans. Sa chevelure châtain lui arrivait aux épaules et était coiffée sommairement.
Ses yeux étaient particuliers : ils étaient hétérochromatiques, l’un était couleur noisette tandis que l’autre était bleu clair.
Ses vêtements étaient faits de peaux et d’ossements et elle portait un collier avec des crocs d’animaux autour du cou. Elle était armée d’une serpe passé à sa ceinture, seul objet métallique sur elle.
C’est avec des yeux las qu’elle nous observa l’une après l’autre avant de faire un double signe de victoire.
Tyesphaine inclina la tête et lui dit :
— Mer… merci d’avoir sauver Fiali. Sans vous…
La pauvre Tyesphaine avait compris après combat à quel point l’ennemi que j’avais affronté s’était montré coriace. Je devais reconnaître que je n’avais pas pensé de prime abord qu’il aurait été si féroce.
Mais bon, que dire d’autre mis à part qu’il s’agit des risques du métier d’aventurier ?
— Ouais, merci, Tinaaa !
Mysty, sans aucune gêne, s’en alla l’enlacer amicalement pour la remercier.
Erythrina ne parut pas réellement indisposée ou embarrassée, elle se laissa faire et rapidement… elle posa sa tête sur la poitrine de Mysty.
— C’est confortable… ça donne envie de…
Envie de ?
Elle ne finit pas la phrase cette fois non plus.
— Tu peux te reposer autant que tu veux, Tina. Tu sens bon, t’sais ?
— Tu es une prêtresse d’Ilbertus ? Je ne vois pas ton symbole sacré.
Naeviah la dévisagea avec suspicion, tandis qu’Erythrina profitait de la douceur des coussins naturels de Mysty (arrivait-elle à les sentir à travers son armure de cuir cloutée ?).
J’ignorai quelles étaient les relations entre les différents cultes, Tyesphaine et Naeviah s’étaient rapidement acceptées, mais elle semblait un peu froide envers Erythrina. D’ailleurs, Naeviah lui parlait sans utiliser de formules de politesse.
— Je l’ai paumé〜 Je vais en fabriquer un prochainement…
— Tu l’as perdu ? Tu crois que je vais avaler cette excuse ?
— Du calme Naeviah, dis-je. Pourquoi est-ce qu’elle nous mentirait ?
— Il y a pleins de motifs pour mentir. Par exemple, attraper des elfes crédules, hein ?
Pourquoi il fallait toujours qu’elle ait quelque chose à me reprocher ? Sincèrement, être amie avec une vraie tsundere c’était autre chose qu’en regarder une à l’écran…
— Je ne suis pas crédule, mais elle m’a sauvée. Puis, regarde-la bien… Tu vois une once de méchanceté en elle ?
Nos regards fixèrent Erythrina qui était sur le point de s’endormir contre Mysty. À la voir ainsi, elle semblait plus à risque que nous.
— Mouais…
— Nous sommes quatre en plus, pourquoi elle ferait un truc aussi risqué ?
— J’en sais rien moi. Mais une prêtresse sans son symbole divin, c’est vraiment… non, ABSOLUMENT suspect !
Il est vrai que si notre aventure avait été un livre que j’aurais été en train de lire, j’aurais trouvé l’excuse fallacieuse et j’aurais suspecté le personnage immédiatement. Mais… Mais je n’arrivais pas à penser qu’une fille pareille pouvait être une traîtresse.
Je comprenais soudain ce que pouvaient ressentir certains personnages que j’avais détesté et insulté autrefois lorsqu’ils avaient été incapables de démasquer le traître qui se trouvait à leurs côtés.
— Tu… tu pourrais détecter son aura, proposa Tyesphaine. Si tu as tellement de doutes…
Ce n’était ni moi ni Naeviah qui avions eu l’idée, mais bel et bien Tyesphaine. Nos regards s’arrêtèrent sur elle tandis que nous restions silencieuses. En tant que magicienne de la destruction fureter l’esprit et les auras des gens n’étaient pas vraiment un réflexe chez moi, mais Naeviah aurait dû y penser bien.
— Vous… que…
Tyesphaine commença à être perturbée par nos regards insistants. Elle n’aimait pas être observée, même par nous.
— C’est une bonne idée, dis-je. Mais je m’étonne que celle qui me traite de naïve n’y ait pas pensé. Fufufu !
Je jetai un regard moqueur à Naeviah qui ne manqua pas de s’énerver et enfoncer son index dans ma joue.
— Toi, je veux pas t’entendre ! C’est à cause de toi que j’ai perdu l’habitude de l’utiliser, tu sais ?
— À cause de moi ? Pourquoi ce serait ma faute ?
— Parce que tu m’aurais reprochée d’être paranoïaque, de trop suspecter les autres, etc. En attendant, si je l’avais utilisé à Moroa, j’aurais pu me rendre compte que la Grande Prêtresse était charmée !
— Eh oh ! Moi j’ai rien dit, tu sais ? En plus, je suis presque sûre que ça n’aurait rien donné, la succube avait caché son aura magique à mes perceptions.
Naeviah n’avait, en effet, nullement suspecté nos interlocutrices sur la base qu’elles étaient des membres du clergé. Elle n’avait pas lancé ce sort qui permettait de détecter les auras magiques et donnait une idée de la malignité de quelqu’un.
Toutefois, comme je l’avais dit, Yvelyn avait réussi à dissimuler l’aura magique de ses sorts de charme, il était plus que probable qu’elle en cachait également leur malveillance.
— Mouais, c’est possible, mais j’aurais dû le faire…
Je commençais à comprendre. Naeviah avait vécu de manière très personnelle les événements de Moroa. Je n’avais pas pensé au fait qu’en tant que prêtresse elle s’était sentie encore plus trahie et encore plus responsable de n’avoir pas vu ce qui se tramait.
Je n’aurais peut-être pas dû me moquer d’elle…
Empreinte d’une certaine culpabilité, je me tournai vers Erythrina pour lui demander l’autorisation de lancer le sort dont nous venions de parler, mais nous la trouvâmes endormie.
Mysty mit son doigt devant la bouche pour nous intimer le silence.
— Elle se repose. Ne faites pas trop de bruit.
Elle lui caressait les cheveux à la manière d’une mère. Et après on me reprochait d’être naïve ?!
Mysty était déjà devenu la meilleure amie d’Erythrina.
Naeviah prit son visage dans sa main et soupira, épuisée mentalement.
— Vous me fatiguez toutes… On va dire qu’elle accepte puisqu’elle relâche sa garde à ce point.
— C’est pas un sournois comme manière de tirer une conclusion ?
Elle me fusilla du regard, je décidais donc de faire comme si je n’avais rien dit. Je fis volte-face en sifflotant et en observant notre paladine qui, un peu à ma manière, se tourna et mit ses mains devant son visage.
À la voir ainsi, on aurait dit que Naeviah était sur le point de commettre un crime.
Il ne fallut pas longtemps avant que cette dernière ne nous rapporte le résultat de son analyse magique :
— Il n’y a ni aura de malveillance ni aura sainte. C’est normal pour une druidesse.
J’étais rassurée de l’apprendre, même si je ne comprenais pas les éléments de cette analyse. Incapable de percevoir ce genre d’auras, il m’était difficile d’en appréhender les détails.
— Quoi qu’il en soit, tu es rassurée ?
— Bof… C’est quoi ce laisser-aller ? On a même pas fini les présentations. En plus, ça pue ici ! On ne va quand même pas camper au milieu des cadavres, si ?
Elle marquait un point. Je proposais donc d’emporter Erythrina et d’aller nous installer plus loin en attendant son réveil.
Mysty se proposa de la porter sur son dos, la druidesse ne se réveilla pas de tout le trajet.
Si elle était une traîtresse, elle était résolument la plus relax dont j’avais jamais entendu parler. Nous aurions pu l’abandonner et la dépouiller sans qu’elle n’eût pu réagir.
À une heure de notre lieu de combat, nous montâmes le camp pour faire une pause. Nous commencions à avoir faim, qui plus est.
Mysty se mit à préparer quelque plat qui serait assurément délicieux, tandis que nous allongions Erythrina sur une sac de couchage. Mais à ce moment-là…
— Oh ? Qu’est-ce… ?!
Elle m’attrapa par la tunique et m’attira à elle. Surprise, je me fis entrainée et lui tombai dessus. Elle m’entoura de ses bras et de ses jambes…
— Euh… je bien connais ça. Haha haha haha…
C’était un rire nerveux. En effet, Mysty faisait exactement de même lorsqu’elle dormait avec moi.
— TOIIII !! QU’EST-CE QUE TU FAIS ELFE PERVERSE !!
— Je n’ai rien fait ! Dis-moi que tu n’as rien vu alors que tu étais à côté… ?
Mon corps était plus ou moins immobilisé. Erythrina ne tarda pas à poser sa tête sur ma poitrine avec une expression bienheureuse. Elle sentait bon, comme l’avait dit Mysty. En fait, je connaissais cette odeur, elle ressemblait à celle de mon mentor, un mélange de fleurs et de terre.
— Fia… Fiali n’a rien fait…, me défendit Tyesphaine en rougissant. C’est… Erythrina qui l’a… attrapée…
— Attrapée ? Avoue que tu l’as forcée !
— C’est pas plutôt moi la victime ? Elle…
Sa tête se frottait à ma poitrine, j’étais gênée, je la connaissais à peine… J’espérais qu’elle s’en tiendrait là, mais, alors que Naeviah tapait le sol du pied, furieuse, et allait venir nous séparer, d’elle-même Erythrina se réveilla en bâillant.
— Bon… jour…
— Bonjour…, répondis-je décontenancée.
Elle frotta encore un peu sa tête contre mon torse, puis se sépara de moi et me jeta un long regard. Naeviah et Tyesphaine assistaient à la scène tout aussi interdite que je ne l’étais.
— Pas très confortable ce coussin… mais il… a un puissant attrait…
Hein ? Qui ça ? Moi ?
Eh oh ! C’est malpoli de critiquer ma petite mais douce poitrine !! Cela dit, je comprenais pourquoi elle parlait d’attrait à mon égard, merci l’aura dakimakura !
— Tu ne viens pas de te faire jeter à cause de ta poitrine, planche à pain ?
Je me tournais vers Naeviah qui me prenait de haut.
— Tu peux parler, toi !
— J’en ai plus que toi. Héhé !
Elle bomba fièrement le torse.
— Tsss ! Considérant la légère différence, je vois pas de quoi s’en vanter.
— Une victoire, même insignifiante, reste une victoire.
— Les filles… calmez-vous…
Tyesphaine s’interposa pour arrêter la dispute. Involontairement nos yeux s’arrêtèrent sur les courbes de son armure de plaque noire et plus précisément la courbure de ses seins. S’agissant d’une armure magique et maudite, elle avait une forme adaptée à son anatomie.
Sans mot dire, Naeviah et moi nous taisions. Tyesphaine ne jouait pas du tout dans la même catégorie, elle nous écrasait littéralement !
Indifférente, inconsciente du drame qu’elle venait de provoquer, Erythrina bâilla, s’étira, puis vint me lécher la joue.
— Tu as bon goût. On aurait bien envie de te…
Après avoir sursauté et combattu la surprise (qui, une fois de plus, fut encore bien plus marquée auprès de nos deux spectatrices), je ne pus m’empêcher de lui demander :
— De me… ?
En guise de réponse, elle me lécha à nouveau le visage puis s’en alla faire de même à Naeviah qui était comme paralysée. Mais lorsqu’elle s’approcha de Tyesphaine, cette dernière cria et s’enfuit.
— De toute façon, il y avait trop de pointes…
Je commençais à déceler le personnage, j’avais l’impression que nous avions récupéré une Mysty numéro 2.
— C’est prêt ! Oh ? Tu es réveillée, Ery ?
— Ouais〜
Elle s’en alla faire sa léchouille à Mysty également.
— Haha ! Ça chatouille ! C’est quoi ça ?
— Une salutation… chez les loups…
Bien sûr ! Elle était une druidesse, elle imitait le comportement animal, d’où ces léchouilles sorties de nulle part.
À quel moment, au juste, ce genre de raisonnement était devenu évident dans mon esprit ?
Perplexe face à moi-même, je séchais la bave qu’elle m’avait laissée en faisant face à Naeviah. J’avais l’impression qu’elle risquait soit d’exploser de colère contre Erythrina soit qu’elle allait fondre en larmes.
Je considérais Erythrina, elle avait l’air si paisible alors qu’elle venait de s’asseoir sur un tronc d’arbre en attendant le repas. On aurait dit qu’elle avait toujours fait partie du groupe.
Je soupirai en sachant les conséquences que mon action stupide allait entrainer.
Je m’approchai de l’autre joue de Naeviah et me mit à la lécher à mon tour.
— Hhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!
La réaction fut immédiate cette fois, elle se remit en activité ; des larmes apparurent au coin de ses yeux et elle se jeta sur moi en m’attrapant les poignets.
Nous tombâmes au sol ensemble, elle se retrouva au-dessus de moi.
— Tu… !! Pour… Tuuuuu !!!
Elle était trop choquée pour articuler correctement, je ne savais même pas si elle voulait me frapper, si elle voulait pleurer, tout semblait trop confus dans son attitude.
— Je… je me suis dit qu’on pouvait essayer de se saluer comme les loups aussi de temps en temps, dis-je en détournant le regard avec honte.
En réalité, je l’avais simplement fait en sorte qu’elle ne s’en prenne pas à Erythrina. Je savais que je deviendrais sa cible principale, elle adorait me crier dessus.
— Tu… Tu te prends soudain pour une elfe des bois ?! Espèce de perverse ! Lubrique ! Délurée ! Nymphomaneeee !
Elle continua ainsi pendant quelques minutes. Je me mis à l’ignorer et à « savourer » ces douces insultes. Cette fois je l’avais bien mérité, même si je n’avais pas été l’instigatrice initiale de toute cette situation.
***
— Pas de souci, je vais vous guider〜, dit Erythrina d’une voix chantante.
Après nous être présentées et avoir manger, nous nous étions remises en route. En fait, nous nous étions mises à suivre Tina sans réellement y réfléchir. Aucune n’avait pensé à lui dire où nous allions, je lui avais juste dit que nous étions perdues.
— C’est gentil ! dis-je. Cette forêt est immense, seule je crains que nous n’en sortions jamais… Au fait, nous nous rendons à Segorim, tu connais ?
— Une forêt ? C’est un bosquet celui-là…
Un bosquet était plus petit qu’une forêt, en principe. Je l’avais vue depuis les hauteurs et je n’étais pas parvenue à en voir le bout. Un simple bosquet pouvait être si grand ?
— Bosquet ? répéta Naeviah. Tu te fiches de nous ?
Manifestement, je n’étais pas la seule à avoir du mal à avaler la pilule.
— Mmm… Bah, je me suis rendu compte en vous observant que vous n’êtes vraiment pas douées. Vous n’arrêtez pas de tourner en rond. J’ai même cru que c’était fait exprès pour…
Pour ?
Cela ne faisait qu’une heure tout au plus que nous en avions fait sa rencontre, mais j’avais commencé à comprendre que Tina était simplement trop perdue dans son esprit (ou trop paresseuse) pour finir ses phrases.
— Se perdre c’est l’aventure, dit fièrement Naeviah.
Tyesphaine et moi grimacions.
— Oui, enfin, si nous étions tombées à court de nourriture, notre aventure aurait été bien courte… On aurait fait quoi si c’était arrivé ?
L’éternel discours de Naeviah qui ne voulait pas reconnaître notre manque d’orientation comme un handicap. Je n’avais pas pu m’empêcher de rétorquer en l’entendant faire la fière.
— On aurait cueilli des trucs… ces champignons, là.
Elle pointa du doigt des champignons rouges aux points blancs qui poussaient au pied d’un arbre. J’ouvris la bouche pour lui dire que…
— Ils sont venimeux.
Mais c’est la voix lasse de Erythrina qui me devança.
Naeviah rougit et gonfla les joues frustrées, elle ne fit pas d’autres commentaires.
Cela dit, même si elle avait échoué à reconnaître les bons des mauvais champignons, en réalité avec sa magie cléricale elle pouvait les purifier et les rendre comestibles malgré tout. En soi, elle n’avait pas vraiment eu tort mais je me dispensais de le lui dire.
— En tout cas, ça me fait plaisir de vous rencontrer. Ce n’est pas tous les jours que…
Je savais que j’aurais du mal avec cette habitude. D’un naturel curieux, je me sentais déjà bien frustrée de ne pas connaître la fin de ses phrases.
— Que ?
— Ah oui… Je ne rencontre pas souvent des filles de mon âge en forêt.
Ah ! C’était donc ce qu’elle voulait dire. Elle nous prenait pour des randonneuses ou quoi ?
— Ouais, bah, nous on rencontre pas souvent des druidesses cool comme toi !
Mysty lui fit un clin d’œil en levant le pouce, Erythrina lui répondit simplement en levant le sien. Une sorte d’amitié sincère semblait s’être créée entre les deux.
J’ignorais ce qu’en pensaient Tyesphaine et Naeviah, mais je me sentais un peu lésée, malgré tout. J’avais pensé être spéciale en ayant gagner l’amitié de Mysty si vite, mais elle agissait de même avec Erythrina. Au final, Mysty était simplement une fille sociable.
Je grimaçai et lorsque mon regard croisa celui gêné de Tyesphaine, je me rassurais en me rendant compte que j’avais au moins réussi à conquérir cette dernière ; ce ne serait pas demain la veille qu’elle serait aussi à l’aise avec Erythrina qu’elle ne l’était avec moi.
Quant à Naeviah… elle n’insultait pas la druidesse mais paraissait un peu éreintée par ses propos, en langage tsundere je supposais que cela signifiait qu’elle me préférait.
Je soupirais longuement en me rendant compte de la teneur de mes pensées. C’était au contraire une très bonne chose que les amies parvinssent à sociabiliser avec des personnes extérieures au groupe. Je n’avais pas de raison d’être jalouse ou possessive et, en plus, je ne désirais vraiment pas qu’elles se liassent à moi de manière si forte. Avec mon aura, j’avais toujours peur que les personnes proches ne finissent par devenir dépendantes.
Les dieux ne m’avaient vraiment pas simplifiée la vie. Pfffff !!!
C’est avec une voix plus douce et positive que je me mis à dialoguer avec notre guide :
— Cela nous fait plaisir aussi de faire ta connaissance. Et ton aide nous est réellement précieux, crois-moi. Nous sommes réellement pas douées pour nous repérer. Rien de tout cela n’était fait exprès.
Je souris nerveusement, c’était clairement un sourire forcé. Je n’étais pas fière de nous.
— Hmm, j’ai vu ça. Au début, je pensais que vous cherchiez les gobelins.
— Tu savais qu’ils traînaient dans le coin.
Elle acquiesça.
Naeviah tira la même conclusion que moi puisqu’elle lui demanda :
— Et je parie que tu nous suivais parce que ça fait un moment que tu les traques, n’est-ce pas ?
Aucune d’entre nous ne l’avait repérée pendant ces trois jours, si Erythrina nous avait réellement suivie elle était douée pour faire disparaître sa présence.
À peine mes yeux se tournèrent vers elle pour saisir son expression lors de sa réponse que…
— Elle est forcément douée pour faire disparaître sa présence !!
Avec son attitude naturellement calme et lente, elle pouvait sûrement se fondre dans la nature comme un prédateur.
— Oui. Cela fait un moment que je les chasse. Ils attaquent et pillent les villages des alentours. J’ai essayé de les affronter, mais leur chef m’a blessée.
Elle ne mentait pas, je doutais même qu’elle en eut la capacité.
— C’est vrai qu’il était costaud…, dis-je en me grattant la joue un peu gênée.
Naeviah ne manqua pas de me faire sentir ses reproches silencieux : elle n’avait manifestement pas apprécié que j’avais engagé seule l’hobgobelin.
— Je suis contente qu’ils soient vaincus. C’est grâce à vous. C’est en remerciement que je…
Qu’elle nous accompagne jusqu’à la sortie de la forêt ? Cette fois, la déduction était facile.
— Ça reste gentil de ta part. Merci beaucoup !
Elle secoua la tête.
— C’est normal. C’est notre devoir à nous autres prêtres d’Ilbertus. Il faut aider les animaux et ceux qui respectent la nature.
— Nous respectons la nature ? m’exclamai-je étonnée. Ou alors sommes-nous des animaux ?
D’après ce que je déduisis de ses propos, le simple fait d’avoir éradiquer les gobelins ne suffisait pas à gagner ses faveurs. Cependant, cette affirmation m’interpellait un peu puisque je n’avais jamais eu l’impression que nous avions fait le moindre efforts à l’égard de la forêt. Je ne pouvais m’empêcher de penser que l’aura dakimakura y était pour quelque chose.
— Raconte pas n’importe quoi : nous ne sommes pas des animaux. Quoi que, dans ton cas et ta perversité…
En réalité, biologiquement les humains et les elfes étaient des animaux aussi, mais manifestement ce concept n’était pas au goût du jour dans ce monde-ci. Je préférais ignorer Naeviah et attendre la réponse de notre guide.
— Oui, vous respectez la nature. Vous n’avez chassé aucun animal. Vous n’avez pas brûlé d’arbres non plus. Et vous n’avez pas laissé de déchets qui auraient gêné les habitants de la forêt.
En effet, nous réunissions les trois critères même si ce n’était pas pour des raisons aussi louables qu’elle le pensait. Nous étions tellement nulles qu’aucune de nous n’avait les capacités de chasser. Nous apercevions bien des petits animaux comme des écureuils, des lièvres, mais nous préférions les laisser tranquilles.
Nous avions nos provisions dans nos sacs, il ne nous était pas utile de chasser. Puis… les petits animaux étaient trop mignons, ils venaient même me saluer de temps en temps. Mon aura dakimakura me faisait passer pour une créature peu dangereuse à leurs yeux.
Quant à chasser le gros gibier, il y avait plus de risques que nous nous perdions en ce faisant que de chances d’en trouver.
Concernant les arbres brûlés, en effet, nous avions pris l’habitude d’utiliser mon feu féerique, cela évitait les risques d’incendie. Et les déchets, nous en avions très peu, juste de l’eau sale pour laver les couverts, assiettes et ustensiles de cuisines.
J’imaginais que de son point de vue, nous étions un groupe particulièrement écolo, en effet.
— Ah oui…
— Je vous aime bien, dit soudain Erythrina. J’aimerais qu’on soit amies.
— T’es déjà ma pote ! dit Mysty en la prenant dans ses bras.
Erythrina n’était pas farouche, elle se laissa faire. J’avais surtout crainte qu’elle s’endormît : je voyais ses yeux se fermer au contact de la poitrine de Mysty.
— Euh… J’aimerais aussi qu’on le devienne, dis-je en les séparant.
— Mpfff ! Je te le déconseille : cette elfe est totalement perverse ! À moins que tu ne veuilles qu’elle te trousse derrière un buisson contre ta volonté, je te déconseille de te lier d’amitié avec elle.
Naeviah n’en ratait pas une de me décrédibiliser, à la longue je pourrais même finir par lui en vouloir. Erythrina mit son index au coin de sa bouche et leva les yeux en réfléchissant.
— Ça ne me dérange pas. Ilbertus n’est pas contre ce genre de choses. Puis, j’aurais rarement l’occasion de faire ça avec une elfe…
Je ne pus m’empêcher de rougir et de déglutir. Même pour moi c’était un peu trop. J’avais l’impression que c’était elle qui allait m’entraîner derrière un buisson.
En tout cas, elle avait compris que j’étais une elfe, sûrement depuis le début, mais cela ne la dérangeait nullement… mais vraiment PAS DU TOUT ! Au contraire, ma nature était une sorte de curiosité pour elle, on aurait dit.
— C’est encore de ta faute ! Regarde ce que tu fais dire à d’innocentes jeunes filles, elfe libidineuse !!
— Mais j’y suis pour rien, moi !
Naeviah m’attrapa par le col et déchargea sa colère sur la mauvaise personne.
— Haha ! Fiali est timide, elle fera pas ça, dit Mysty.
— Dommage…
— Dommage ?!
Naeviah ne put s’empêcher de crier. Sans me lâcher, elle se tourna vers la druidesse :
— Vous n’êtes pas censé être pour la nature et tout ça ? En quoi les batifolages entre filles sont naturels ?!
— Il y a des animaux qui le font entre femelles aussi…
J’étais au courant de cette information, mais le visage choqué de Naeviah me fit dire que ce n’était pas de l’ordre de la connaissance générale ici.
J’avais lu que les lionnes ou les girafes avaient des comportements homosexuels, par exemple.
— Tu mens !
Erythrina secoua la tête.
— Les mâles aussi, ça arrive, je t’assure. Mais bon, si Fiali ne veut pas, tant pis, c’est pas grave.
Naeviah posa sa tête sur mon épaule, c’était rare qu’elle se montrât aussi proche physiquement de moi. Je l’entendis grommeler quelque chose : elle était mécontente.
— Du calme, lui chuchotais-je à l’oreille. Je ne vais rien faire.
Ses yeux qui retenaient ses larmes me fixèrent.
— Tu crois que ça me fait plaisir d’entendre ça ?!
Puis, elle se mit à me crier dessus pendant quelques minutes pour me reprocher divers choses, comme si tout ce qu’avait dit Erythrina était de ma faute.
En réalité, c’était sûrement le cas, je ne doutais pas que mon aura n’était pas étrangère à cette curiosité sexuelle.
Bien sûr, il allait sans dire que Tyesphaine fumait des oreilles depuis un moment. Elle marchait tête baissée, rouge comme une tomate, ses lèvres formant des vagues.
L’aura dakimakura était loin d’être reposante, fichue malédiction !
Lorsque le calme revint finalement, Erythrina reprit la parole :
— Vous n’êtes pas pressé, j’espère ? Je vous accompagnerai jusqu’à la sortie, mais je n’ai pas envie de me séparer de vous tout de suite.
— Nous n’avons pas réellement d’impératif de temps, répondis-je.
Néanmoins, plus vite je serais sortie de la forêt, mieux je me porterai. Je tus ces paroles.
— On veut bien rester avec toi un peu ! Héhé !
Depuis les précédents propos de la druidesse, Naeviah se tenait entre elle et moi pour former une sorte de mur défensif. Je doutais de son efficacité, cela dit.
Tyesphaine s’était aussi rapprochée de moi. Son côté paladine et défenseuse des faibles avait dû lui donner envie de me protéger.
Mysty, par contre, n’avait pas changée d’attitude du tout. Mon intuition me faisait dire qu’elle aurait été plutôt du genre à nous rejoindre derrière un buisson qu’à nous séparer…
— Dans ce cas… pourquoi ne pas aller prendre un bain ? Certaines d’entre vous…
Cette fois j’étais contente qu’elle ne finisse pas sa phrase, car j’avais malheureusement cru en deviner la chute.
Si mon pouvoir me permettait de me nettoyer magiquement (ce que je faisais discrètement pour ne pas rendre jalouses mes amies), elles n’avaient pas pu prendre de bain depuis notre départ. Se nettoyer avec une éponge n’était pas aussi efficace que s’immerger totalement.
Tyesphaine et Naeviah baissèrent le regard honteuse, tandis que Mysty commença à se renifler.
Soudain, elle vint m’attraper le bras et le leva avant de me renifler les aisselles.
— Toi tu sens le parfum… Tellement injuste la magie.
— Hein ? Je…
Son nez me chatouillait mais je me retins.
— Comment tu fais pour… Tricheuse !!! cria Naeviah.
C’était exactement la réaction que je voulais éviter.
Tyesphaine me jeta un regard triste, mais ne dit mot.
Eh oh ! J’ai rien fait de mal !!
— Calmez-vous les filles〜 ! Il y a un point d’eau un peu plus loin, je vous amène.
— Merci, Tina, t’es notre sauveuse !
Mysty s’en alla reprendre sa place à ses côtés, elle était joyeuse.
Mais j’entendis Naeviah marmonner :
— En même temps, c’est elle qui a dit qu’on puait… Tssss !
Une fois de plus, elle témoignait bien du fait qu’elle avait du mal avec Erythrina. Leurs caractères ne semblaient pas aller de paire, mais j’étais malgré tout persuadée qu’il y avait une raison ecclésiastique derrière cette mésentente.
Il me faudrait demander de plus amples explications ultérieurement.
Il ne nous fallut qu’une heure pour arriver au point d’eau dont nous parlait Erythrina. Elle n’était pas du genre très bavarde mais je remarquais, chemin faisant, ses multiples attentions.
En effet, elle faisait réellement attention à nous toutes. Elle empruntait des passages faciles d’accès, écartait les branches sur notre passage et nous signalait, en tapotant du pied dessus, les racines et autres branchages.
J’avais réellement l’impression de retrouver un peu de mon mentor en elle. C’était tout le langage muet dont les forestiers avaient le secret. Humain ou elfe, un forestier demeurait avant tout un adepte de la nature, fallait-il croire.
Être avec elle me rappelait un peu à moi-même les habitudes que j’avais à l’époque. Mes pieds retrouvaient quelques instincts oubliés.
L’étang se trouvait dans une clairière dégagée qui devait mesurer quelques centaines de mètres de diamètres. De l’autre côté du point d’eau, des biches étaient en train d’y boire.
Je me demandais si c’était parfaitement hygiénique de plonger dans un endroit où les animaux de la forêt venaient boire, mais Mysty commençait déjà à retirer ses vêtements. De toute manière, une fois de plus avec la magie, il était possible de guérir les maladies, donc peu importait au final.
— J’espère qu’elle n’est pas trop froide…
— Elle l’est sûrement, dit Naeviah. Pourquoi serait-elle chaude ?
Mais Erythrina agita le doigt en la prenant de haut.
— Elle est bonne. Le soleil tape dessus. Même si nous sommes en automne, il fait encore chaud aux endroits qu’il parvient à atteindre.
— C’est vrai en plus ! Elle est pas chaude mais elle n’est pas froide non plus !
Mysty était déjà nue et avait plongé le pied dedans. Quelle insouciance !
Naeviah grimaça et croisa les bras courroucée, mais la druidesse n’en avait cure. Elle commença à se déshabiller à son tour, l’air de rien.
Lorsque je disais qu’elle s’entendrait bien avec Mysty… elle ne portait pas de sous-vêtements non plus !! Dès qu’elle retira ses peaux et fourrures, elle dévoila intégralement sa nudité. Elle avait plus de forme que Naeviah et moi réunies. Nous ne pûmes nous empêcher de la fixer.
— C’est moi ou…
— Non c’est pas toi, Naeviah. Ses vêtements cachaient vraiment bien son jeu.
Elle était en-dessous de Mysty, mais au fond elle avait ce que la majorité des femmes désiraient avoir : un peu mais pas trop.
Elle entra dans l’eau et accompagna Mysty.
— Fais juste attention de ce côté-là, dit-elle. Les cailloux sont un peu pointus. Suis-moi…
Elle savait parfaitement où mettre les pieds pour ne pas se faire mal.
Sur la berge, Naeviah, Tyesphaine et moi nous jetâmes des coups d’œil. Je levais les épaules et laissais tomber mon sac avant de commencer à retirer mes bottes. Mais…
— Tu comptes aller où ?
— Je pense que la réponse semble évidente.
— Tu as déjà ta magie pour te laver. Tu gardes nos affaires sur la berge !
— Hein ?
— Naeviah… Fiali n’a rien fait de…
— Elle a triché ! Elle aurait dû souffrir et porter sa crasse comme nous !
— Tu sais bien que c’est un pouvoir personnel. Je ne peux pas vous nettoyer avec ça. Je m’occupe déjà de nos vêtements par magie…
Grâce au sort « Domestique », un sort basique de mon registre et non pas un pouvoir innée d’elfe, je m’occupais couramment des vêtements de chacune le soir au campement. C’est pourquoi, j’étais sûre que Naeviah en faisant trop : quatre jours sans se baigner mais avec du linge propre, elles ne pouvaient pas sentir si mauvais. Pas au point de m’en vouloir.
— Je m’en fiche ! Apprends-en un plus efficace, espèce de perverse ! Puis, j’ai pas confiance de me baigner avec toi !
— Dit celle qui me tombe dessus à chaque fois…, dis-je en détournant le regard et en me grattant la joue.
— Plaît-il ?
Elle était à quelques centimètres de mon visage, les mains sur ses hanches, furieuse.
— OK, je reste sur la berge.
— À la bonne heure ! Tourne-toi, perverse !
— C’est bon, je…
Son regard noir me fit comprendre qu’il valait mieux ne pas résister. Naeviah, je te jure !
En me tournant je tombai sur le visage amusé de Tyesphaine, cela me détendit un peu.
Elle sous-vocalisa quelques paroles que je fus seule à comprendre :
— Attends qu’elle soit dans l’eau et viens aussi.
C’était une paladine qui m’encourageait à ne pas respecter ma parole ?
Cela dit, en effet, je n’avais rien promis donc je ne romprais techniquement aucune parole.
Naeviah entra dans l’eau non sans se plaindre à nouveau sur le fait qu’elle était plus froide que ce qu’on lui avait dit. Cela ne l’empêcha pas d’y plonger jusqu’au cou.
— Tu n’y vas pas ? demandai-je à Tyesphaine.
— Si… mais cela prend un peu de temps…
Son armure était pleine de sangles et de boucles, c’était autre chose que retirer des peaux et des fourrures.
— Tu veux de l’aide ?
Elle rougit et baissa le regard. Je pris cela pour un « oui » timide.
Je m’approchais de son dos et l’aidais à retirer morceau par morceau. Chaque soir c’était son armure qui me prenait le plus de temps à laver, je commençais à bien la connaître. Cela dit, c’était plus mon sortilège qui s’en occupait, je ne faisais que tout réunir à un même endroit pour qu’il fasse son travail.
— Tu vas venir aussi… Fiali ?
— Tu as entendu Naeviah, non ?
— Mais moi, je veux que… tu viennes…
Quand elle agissait un peu comme une enfant capricieuse, elle était tellement craquante. Je ne pus m’empêcher de la fixer, ses yeux verts étaient comme hypnotiques. Elle avait donc été sérieuse lorsqu’elle avait proposé de tricher…
— On va dire que tu m’as forcée, dis-je en levant les épaules.
— Si tu veux. Mais… elle va quand même te crier dessus.
— Quoi que je fasse, elle me crie dessus.
— C’est vrai. Haha !
Son petite rire était si étouffé qu’il en était adorable. Elle était l’opposé de Naeviah qui tout le temps si bruyante.
Lorsque je pris la plaque arrière de son plastron pour la poser au sol, je fus prise de curiosité. L’occasion était trop tentante. Elle avait les bras levés et retenait la partie avant. J’approchais discrètement mon nez pour sentir son odeur… Elle était loin de puer, au contraire, elle dégageait une odeur de fleurs.
Comment faisait-elle alors qu’elle portait une armure lourde et qu’elle devait sans aucun doute plus transpirer que nous toutes ?
Nos regards se croisèrent. J’étais tellement étonnée que j’avais échoué à me reculer à temps.
Elle rougit et commença à balbutier. Je ne savais pas quoi dire pour la rassurer, aussi c’était la vérité qui sortit de ma bouche honteuse.
— Je… j’étais curieuse de savoir… connaître ton odeur…
Elle ne répondit que par un « Gniii ». Elle baissa la tête et, après quelques secondes, me demanda à basse voix :
— Et… ?
— Naeviah exagère. Vous ne sentez pas mauvais. Tu sens même les fleurs…
Je posai l’armure au sol et tendit mes mains pour récupérer la partie avant.
Elle défit les lacets de sa chemise, je lui faisais encore dos. Elle retira quelque chose qu’elle me montra : un genre de sachet de thé.
— Ne… le renifle pas… j’ai honte…
Je n’en fis rien, mais c’était déjà trop tard. À cette distance, mon odorat surdéveloppé sentait le mélange de fleurs et de transpiration. C’était ce qu’elle portait sur son corps pour parfumer, c’était plutôt astucieux. Elle était sûrement plus maligne que moi, je ne faisais qu’utiliser un simple pouvoir magique.
— D’accord, je ne dirais rien à Naeviah.
— Merci…
En fait, je constatai à cet instant que je n’avais jamais réellement étudié mon odorat d’elfe. Puisqu’il était plus aiguisé que celui des humains, on aurait pu penser que les odeurs fortes m’eussent indisposé plus que ces derniers, mais en réalité ce n’était pas si juste.
L’odorat humain est un sens fainéant, celui des elfes l’est encore davantage. Envahi par encore plus d’informations que ce dernier en raison de sa qualité, en réalité je ne prêtais plus attention à nos odeurs.
Son fonctionnement ne différait pas tellement de celui que j’avais dans mon ancienne vie si ce n’était que le champ d’action de mon nez et sa précision étaient supérieures. Je n’étais pas un chien mais mon odorat portait quelques dizaines de mètres plus loin que celui des humains et était capable d’une analyse plus fine.
Mais, à l’instar des humains, mon cerveau gérait naturellement tout cet afflux d’informations recueillies dans l’air et les sélectionnait. Ainsi, si une odeur particulièrement désagréable ou impromptue venait à surgir à portée, j’étais susceptible de me rendre compte que quelque chose sortait de l’ordinaire.
Mais leur transpiration était constamment à mes côtés, au point que je ne la sentais plus. Aussi, en réalité, les sachets de Tyesphaine n’arrivaient pas à me dégoûter autant qu’ils l’auraient dû. Ma moi de l’époque aurait sûrement désiré s’en tenir éloignée, mais je me rendais compte que mon nez elfique était vraiment amorphe ce coup-là.
Pendant que je rêvassais en considérant ce genre de choses, Tyesphaine entra dans l’eau.
— Whooo ! Ils sont plus gros que ceux de Mysty. Je veux les toucher〜
— Kyaaaaaaaa !
Tyesphaine fit demi-tour et vint se cacher, nue, derrière moi. Mes vêtements n’étaient pas suffisants pour m’empêcher de sentir son corps appuyé contre le mien.
— Tyesphaine ! Pas de mouvements brusques ! ordonna Naeviah en se levant. Éloigne-toi d’elle… doucement… doucement…
— Arrête avec ça, tu veux ?
— Tssss ! Tais-toi perverse ! Tu crois que je ne vois pas ton visage ?
— Hein ?
Je me touchais le visage troublée. J’avais réellement une expression lubrique ?
Tyesphaine tremblait derrière moi, elle était plus apeurée par Erythrina qu’elle ne connaissait pas que par les insinuations de Naeviah.
Je soupirai longuement et retirai mes vêtements.
— Interdiction de toucher ceux de Tyesphaine, dis-je à Erythrina. Elle est timide et ne veut pas être pelotée.
— Dommage〜
Elle prit ce « non » pour ce qu’il était et n’insista pas.
Finalement, j’accompagnais Tyesphaine par la main jusque dans l’eau. Naeviah ne dit mot, elle se rassit dans en gonflant les joues.
— Y en a toujours que pour elle. Mpffff !!
Elle l’avait dit très bas, mais je l’avais entendu quand même. Elle était parfois incompréhensible, elle aussi.
— J’avoue que je préfère l’eau plus chaude, dis-je. Si les animaux n’y buvaient pas, je la réchaufferai par magie.
— C’est pratique la magie, dit Erythrina.
Elle s’approcha de Mysty et, sans réellement lui demander, s’assit entre ses jambes et reposa sa tête sur ses seins.
— Oh là ! Tu les aimes à ce point ? Hahaha !
Bien sûr, Mysty n’avait aucune pudeur ou gêne.
— Ouais… Ils sont tout doux… et j’aime quand ils sont gros.
Perverse, me dis-je intérieurement. Pour détourner le sujet, je tentai quelque chose :
— Ta magie de transformation est impressionnante. Je ne m’attendais pas à ce que tu te transformes en dinosaure.
— Tu les connais ? me demanda Erythrina sur un ton qui se voulait probablement impressionné (mais qui m’apparut plutôt amorphe).
Les trois autres filles me fixaient également. Les dinosaures n’étaient pas connu de tous ?
— Je suis une magicienne elfe, j’en…
— … ai entendu parler par mon mentor, dirent en chœur mes trois amies.
Je parlais résolument bien trop de lui, on dirait.
— C’est des animaux très rares. Mais tu viens sûrement de la Grande Forêt, tu dois…
Je dois les connaître ?
Je partie de la supposition que c’était ce qu’elle avait voulu dire.
— Je ne suis pas experte, mais oui j’en avais déjà vu avant.
Mensonge. C’était la première fois. Les films et les documentaires à la télévision ne comptaient pas comme réellement en avoir vus.
— N’y fais pas attention, cette perverse connaît des tas de choses qu’elle ne devrait pas connaître, dit Naeviah.
— Perverse ? Elle l’est vraiment ?
— Oh oui !! Plus qu’elle n’y paraît !
— Eh oh ! Naeviah ! Arrête de plaisanter avec ça ! Tina va se faire une mauvaise image de moi.
Naeviah me jeta un regard noir.
— Car elle est fausse peut-être ?
— Nous n’allons pas en débattre à nouveau, si ?
— Les perverses ne me dérangent pas, dit Erythrina sur un ton las. Sinon, pour commenter ce que tu disais avant… Fiali… Haaaaan
Elle se mit à bâiller. J’avais l’impression qu’elle se détendait bien trop lorsqu’elle posait sa tête sur les seins de Mysty, un peu comme précédemment lorsqu’elle s’était endormie.
— … ma magie n’est pas impressionnante… je suis nulle en magie.
— Tu n’es pas une prêtresse ?
— Oui, mais… ça marche pas trop bien avec moi. À part quelques soins, je ne peux que me transformer et parler aux animaux de la forêt. Les animaux aquatiques ou autres…
Ça ne fonctionnait pas ? C’était cela la fin de sa phrase ?
En tout cas, c’était là une bien étrange affinité qui me fit lui poser la question :
— Et tu peux te transformer en d’autres animaux que les dinosaures ?
Elle secoua la tête pour répondre par la négative, ce qui chatouilla Mysty qui se mit à rire.
Ses capacités magiques étaient très particulières. Une drôle de carence aux origines obscures.
— En tout cas, tu sais quand même t’en sortir on dirait.
— Oui… Au fait… je me pose la question depuis le début mais… pourquoi vous avez une paladine noire avec vous ? En plus, elle ne paraît pas…
Si méchante ? Si obscure ?
Quelque chose du genre ?
Tyesphaine recula apeurée. Cela faisait un moment qu’on ne l’avait plus traitée de paladine noire, en effet.
— Et c’est maintenant que tu poses la question ? T’es sûre d’être une prêtresse, toi ?
Lors de notre rencontre, Naeviah avait commencé par nous lancer des sorts d’attaque en voyant Tyesphaine. Je supposais que c’était une réaction plus normale dans ce monde-ci.
— C’est juste son armure qui est maudite, lui expliquai-je. Je réponds de Tyesphaine comme de mes propres actes : elle est parfaitement gentille et ne ferait pas de mal à une mouche !
J’accentuais mon discours en posant ma main sur mon cœur.
— Pareil ! Tyes c’est un peu comme ma sœur ! Elle est cool et sympa ! Même si elle parle pas beaucoup.
— À ce stade, ça sert plus à rien que je me porte garante, je suppose, dit Naeviah en levant les épaules.
— Je m’en doutais un peu. Pourquoi une prêtresse et une elfe accompagneraient une paladine noire ? Puis, elle est trop timide pour être une adoratrice des forces du mal… elle veut même pas que je le touche…
C’était en effet un argument qui se tenait, d’une certaine façon.
— En tout cas, c’est bien de vous avoir rencontrées… Sans vous… je n’aurai pas… zzzzzz !
Cette fois, elle s’endormit pour de bon.
— Oh zut ! Elle roupille ! Bah, tant pis, laissons-la se reposer.
— On l’a plus vue dormir que nous parler. Je te jure ! se moqua Naeviah.
— C’est… mieux… je pense…
— Bah, finissons de nous laver et montons le camp dans le coin, proposai-je. Je vais nettoyer vos vêtements le temps que vous finissiez.
Elle acquiescèrent.
Au bout d’un moment, Mysty me confia Erythrina afin qu’elle puisse se laver. À cet instant, elle se mit à rire sans raison.
— Si elle s’endort tout le temps comme ça, elle doit être un peu décevante derrière les buissons. Hahaha !
Naeviah rougit et lui jeta son éponge dessus, tandis que Tyesphaine se cacha le visage de honte de ce qu’elle venait d’entendre.
Je soupirais.
C’était encore une compagnonne de voyage bien étrange que nous venions de rencontrer…