Isekai Dakimakura – Arc 4 – Chapitre 2

— T’es sûre de pas vouloir venir avec nous ? demanda Mysty à Erythrina.

Nous étions à la sortie de la forêt. Nous pouvions voir une route qui menait à la ville de Segorim à quelques kilomètres de là.

— Désolée ! Ma maison est la forêt, j’aime pas les grandes villes.

— Elle n’est pas si grande que ça…, fis-je remarquer.

Comparée aux villes de mon précédent monde, cela s’entendait. J’avais encore des difficultés à comprendre pourquoi certains habitants de ce monde n’aimaient pas les zones urbaines alors qu’elles dépassaient rarement les cent mille habitants. C’était loin d’être Tokyo dont on ne voyait jamais le bout.

À Tokyo, il fallait faire la queue pour accéder à certains restaurants, les événements fonctionnaient presque tous avec un système de billetterie et parfois certains produits étaient soumis à une loterie pour disposer simplement du droit d’achat.

Évidemment, lorsque j’entendais des druidesses comme Erythrina se plaindre de Segorim —ce qu’elle avait fait depuis le matin en nous disant qu’il y avait trop de gens dedans, qu’ils étaient tous invasifs et malhonnêtes— j’éprouvais quelque divergence.

— Segorim compte quand même cent milles âmes, me dit Tyesphaine. C’est… la seconde ville du royaume…

— Et économiquement le noyau de Ferditoris, continua Naeviah. La ville profite de sa position pour commercer avec le royaume… non, la République d’Inalion.

— Il y a des démocraties dans ce monde ? ne pus-je m’empêcher de demander à haute voix.

— Ce monde ? releva Tyesphaine.

— Ne t’y trompe pas, Inalion est un pays de dégénérés.

— Sans vouloir vous vexer…, dit Erythrina. La plupart des pays sont dégénérés. Ils empiètent sur l’ordre naturel des choses.

Elle bâilla comme si finir sa phrase lui avait demandé un réel effort.

Je m’abstins de répondre à cette remarque mais Naeviah ne fit pas de même.

— Si on écoutait vos propos à vous autres du culte d’Ilbertus, on serait tous des cueilleurs et des chasseurs et on se promènerait nus.

— Ce serait pas plus mal. Au moins les animaux…

Cette fois elle ne finit pas du tout sa phrase. La connaissant, je supposais qu’elle voulait dire que les « animaux seraient en paix » ou « les animaux ne seraient pas malmenés », quelque chose du genre.

Naeviah leva les épaules en soupirant.

— Quoi qu’il en soit, Inalion est connu pour être une démocratie où tout peut s’acheter. Y compris les esclaves, la justice et l’amour. Un bon pays de dégénérés, comme je le disais.

Nous étions à l’orée de la forêt, arrêtées en plein milieu d’un chemin forestier. Même sans orientation, la suivre ne serait pas difficile.

Ce qui nous retardait était la décision impromptue de notre nouvelle compagnonne qui nous avait prises de court. Nous aurions pu nous en douter, cela étant dit, considérant ses propos quant aux villes. Lorsqu’elle nous avais dit quelques instants auparavant que nos chemins se séparaient là, nous avions laissé échapper un « Oh ? » de surprise et depuis lors nous étions en train d’en discuter.

— Je ne t’obligerais pas à nous suivre, dis-je, mais je trouve cela dommage. Nous nous entendons bien, non ? Puis, nous ne comptons pas y rester longtemps, juste le temps nécessaire pour faire quelques courses et avoir une bonne nuit de repos à l’auberge.

— Vous autres citadins, vous vous plaignez toujours des nuits passées dans la nature.

Je ne pus m’empêcher de ressentir une certaine fierté en entendant ces mots : je n’étais pas une elfe des forêts, mais bien une citadine, une ancienne tokyoïte, une métropole comme ce monde n’en verrait jamais !

— Puis, il faudra y chercher des informations concernant des laisser-passer, on ne franchit pas des frontières si facilement, dit Naeviah.

J’acquiesçai ses propos sans trop les considérer, j’avais autre chose à l’esprit à cet instant qui occupait ma concentration.

— Au fait, tu as dit qu’il y avait une guilde de magie en ville ? demandai-je à Erythrina.

— Oui… Pourquoi ?

— Parce que je suis une magicienne.

— Ah oui, tu es une elfe…

— C’est la première fois que je me rends à un endroit où se trouve une guilde de magie. Vous y êtes déjà allées, vous autres ?

Je me tournais vers mes amies avec une certain enthousiasme. En effet, à Ferditoris il n’y en avait pas.

— Tssss ! Comment tu veux qu’on connaisse, nous ne sommes pas mages… Tsss !

Naeviah croisa les bras et en détournant le regard, elle paraissait irritée par ma question, sans trop de raisons notables.

Je supposais que les guildes de magie de ce monde devaient être comme celles des fantasy que j’avais lues, des endroits hermétiques et mystérieux où seules les mages étaient acceptés. Il n’y avait sûrement pas de festival annuel ou de journée portes ouvertes.

Je m’interrogeais sur le fonctionnement de ces guildes : étaient-elles plus proche d’une école avec un diplôme à la sortie ou alors d’une guilde médiévale, regroupant des membres d’un corps de métier pour protéger leurs intérêts et les obliger à s’aligner sur une politique commune ?

Je supposais déjà que ce serait plus compliqué que ce que je pensais, il ne fallait pas oublier que les mages de ce monde-ci étaient majoritairement des nobles et qui dit noble dit politique. Il me parut impossible que les guildes de magie fussent séparées du pouvoir en place.

Ce qui m’amena à une nouvelle question :

— Au fait, comment ça se fait qu’il y ait une guilde de magie à Segorim et pas à Ferditoris ?

Mysty et Tina levèrent les épaules l’air de dire qu’elles n’en savaient rien. Naeviah leva les yeux en réfléchissant mais ce fut Tyesphaine qui répondit à la question :

— Segorim est proche de la ligne de front… enfin l’ancienne. Hotzwald et Inalion ne sont plus en guerre…

— Oh ? La guerre s’est achevée quand ? Si les relations entre les deux pays ne sont pas terribles, c’est à cause de la guerre, je suppose ?

Tyesphaine acquiesça.

— Il y a deux siècles, en 806, les Inaliens… se sont soulevés et ont pris leur indépendance. Autrefois, Inalion appartenait à Hotzwald…

— Il y a eu une période de paix suite à l’indépendance qu’Hotzwald lui avait reconnu, mais forcément les conflits reprirent à rythme régulier, expliqua Naeviah en levant les épaules. Avec un voisin comme Inalion, ce n’est pas forcément très surprenant d’entrer en guerre, il essaye de grignoter le territoire des contrées limitrophes. Officiellement, Hotzwald est en paix depuis une vingtaine d’années, mais tôt ou tard les conflits vont reprendre, c’est évident.

— Vous êtes calées toutes les deux. Whooo !

Mysty se mit à siffler Tyesphaine et Naeviah.

— C’est des connaissances… normales dans la noblesse…, se justifia Tyesphaine en baissant la tête, confuse.

Je ne comprenais pas ce sentiment de honte qu’elle semblait nourrir envers ses origines, normalement, c’était pas supposé être l’inverse : c’était les nobles qui dénigraient le bas peuple aux origines viles ?

Ce n’était pas la première fois que je lui constatais une telle retenue à ce sujet.

— T’es de sang bleu ? demanda Erythrina légèrement surprise.

Tyesphaine se contenta de hocher la tête.

— C’est pour ça que tu avais peur de…

Non, elle avait juste peur de toi parce que tu es une maniaque des seins, Erythrina. Rien à voir avec la noblesse !

Je me retins de lui faire la remarque, Tyesphaine lui sourit poliment sans répondre.

— Ça n’a rien d’étonnant qu’elle connaisse ce genre de choses, dit Naeviah en croisant les bras.

— Tu as l’air de les connaître aussi…, marmonnai-je.

Elle me jeta un regard noir qui m’intima le silence. J’ignorais pourquoi ce mystère sur son passé, mais j’étais mal placée pour lui faire des reproches.

— Pour les filles… les connaissances d’histoire et militaires ne sont pas si fréquentes…, expliqua Tyesphaine. Mais mes grands frères adorent l’art militaire…

— Tu as des grands frères ?

Tyesphaine acquiesça timidement.

Je me disais intérieurement que les nobles aventuriers étaient sûrement bien plus secrets et modestes que les nobles sédentaires. Sûrement parce que le comportement de leurs compagnons était susceptible de changer en apprenant leurs origines.

Mais, entre Mysty qui n’en avait que faire, et moi qui venait d’un environnement dénué de telles considérations, cette révélation n’avait pas vraiment produit l’effet escompté.

En soi, c’était sûrement une aubaine pour Tyesphaine que nous fussions anormales de la sorte, elle aurait du mal si nous nous étions montrées obséquieuses.

Quant à Naeviah, je la soupçonnais de toute manière d’être également une aristocrate donc…

— Dans tes cours d’histoire militaire, tu n’as jamais entendu parler des guerres entre les humains et les anciennes civilisations non-humaines ? demandai-je.

— Pas avant que tu ne nous en parles… après le combat contre… le géant… Enfin, à Oclumos, tout le monde sait que… nous avons fait la guerre contre les fées…

Bien sûr, son regard était triste en me révélant une telle chose, elle était une adoratrice de ces dernières. Un jour, il me faudra davantage creusé cette question, mais ce conflit était trop récent, il ne correspondait pas à ce dont m’avait parlé le géant.

Erythrina ne parut pas surprise, elle observait le ciel gris depuis un moment. Je l’entendis marmonner à elle-même que le temps allait se rafraîchir. Elle n’était clairement pas la personne la plus concentrée que je connaissais.

— Moi, j’en savais que dalle aussi…, dit Mysty.

— Tsss ! Normal, ce sont des connaissances à prendre avec des pincettes. Rien ne prouve que le géant disait la vérité. J’ai encore du mal à croire que les humains aient pu vaincre des civilisations antiques comme ces pervers d’elfes qui avaient tous de la magie.

— Eh oh ! Traite pas mon peuple de pervers, s’il te plaît !

— Jusqu’à ce que j’en rencontre, j’aurais toujours un doute. Le seul représentant que j’en ai, c’est toi. Mpfff !

— Je ne suis pas représentative de la culture de mon peuple !

Vu que je suis une elfe réincarnée. Mais je ne pouvais pas le lui dire.

— Mouais…

Naeviah fit une étrange moue avec sa bouche tout en me fixant.

— Sans vouloir te vexer… Fiali…, dit timidement Tyesphaine. Dans les livres d’histoire… on ne parle pas de civilisation géante. Mais on dit que les elfes et les nains… étaient décadents… qu’ils pratiquaient… j’ose pas le dire…

Tyesphaine se cacha le visage en rougissant et en s’agitant de manière désordonnée.

« L’histoire est écrite par les vainqueurs », avait dit un illustre personnage de mon ancien monde. Nul doute que les humains avaient dû justifier leurs actes expansionnistes en répandant des mensonges sur les autres espèces, c’était un comportement typique quel que fût le monde.

— Tu peux le dire : je ne me vexerai pas.

Difficile de le prendre mal, je ne connaissais qu’un seul elfe. Puis, la bonté naturelle de Tyesphaine et son affection pour mon peuple était chose avérée. Elle ne prêtait pas véracité à ces rumeurs infâmes, c’était évident.

— On raconte qu’ils pratiquaient l’inceste, les orgies et les rites diaboliques, répondit à sa place Erythrina sans aucune délicatesse. Ils pratiquaient notamment la magie noire pour s’accoupler aux démons et passaient leur temps à se battre entre eux.

— Hiiiiiiiiiii !!

Tyesphaine se boucha les oreilles et se recroquevilla. Je trouvais sa réaction un peu excessive, mais bon…

— Quel tact, bravo ! lui reprocha Naeviah. Après, on ne peut décemment pas croire les livres d’histoire…

— C’est pas faux. J’y crois pas non plus, dit Erythrina. C’était des peuples proches de la nature, ils ne feraient pas…

Ce genre de choses ?

Je remerciais intérieurement Erythrina, mais contrairement à elle je n’avais pas un point de vue aussi positif, voire naïf envers mon peuple et celui des nains. Il y avait du bon et du mauvais en chacun, humain ou elfe ou nain. Des orgiaques incestueux et des démonistes, il devait y en avoir eu. La rumeur avait sûrement exagéré tout cela, mais la base était probablement réelle.

La vérité devait sûrement se trouver à quelque part entre la version humaine et celle du géant. Il était simplement possible que les humains aient profité d’une période de récession chez leurs voisins pour les envahir. La décadence de l’Empire Romain avait laissé la porte ouverte aux envahisseurs également. Pourquoi serait-ce différent ici ?

La richesse et le luxe des civilisations prospères attirent la cupidité des voisins qui à la moindre erreur cherchent à faire main mise dessus.

— Vous en dites des trucs compliqués de si bon matin…, nous reprocha Mysty en croisant les bras derrière la tête.

— Oui, tu as raison, Mysty. En tout cas, on peut ajouter à la liste des victimes les fées. Leur civilisation est encore présente dans la Grande Forêt, mais ils y a bien eu des guerre entre elles et les humains.

— Oui ! Les livres n’en parlent qu’en mal… mais je sais que c’était des victimes.

Lorsqu’on prononçait la parole « fée », c’était le déclencheur d’activation de Tyesphaine. Ses yeux pétillaient tandis qu’elle me fixait.

— D’ailleurs, comment le peuple explique le fait qu’ils soient interdits d’entrer dans la Grande Forêt ?

Du moins, je supposais que c’était une interdiction légale, mon mentor m’avait dit que les humains pouvaient être tués à vue en y pénétrant. Les fées se montraient très hostiles envers les intrus. Au mieux, elles les évitaient et attendaient qu’ils ressortent d’eux même, c’était vraiment selon leur bon vouloir.

— Bah, moi ch’sais pas !

— À Sabberion, on dit que la forêt est maudite et que ceux qui y entrent meurent.

En un sens, ce n’était pas bien éloigné de la réalité, même si on occultait la présence des occupants légitimes du territoire.

— Je crois qu’à Hotzwald on parle d’un traité…, dit Tyesphaine. Dans la loi il est interdit d’y entrer, mais… je pense qu’on ne peut pas surveiller toute la forêt…

— Nous autres druides on sait tous que les fées tuent les intrus. Même si on aime la nature, il vaut mieux pas y entrer

— Oui, je confirme. Enfin, avec moi ça devrait aller, mais seules…

Je me tournai vers Mysty.

— Tu as eu de la chance lors de ton voyage jusqu’à Hotzwald : tu aurais pu te faire attaquer, tu sais ?

— J’ai capté qu’on m’observait par moment, c’était des types très discrets. J’pensais à des monstres au début, mais vu qu’y attaquaient pas… Finalement, me suis dit que c’était des pervers ou des timides. Du coup, j’me suis mis à poil pour les faire sortir ou fuir, mais… bah y sont pas venus.

Je me pris le visage dans la main. Les yeux de Naeviah s’écarquillèrent alors qu’elle balbutiait à répétition : « Tu… tu… ». Tyesphaine rougit et se cacha le visage. Quant à Erythrina, elle ne dit mot.

— Je commence à comprendre pourquoi tu es passée sans encombre, dis-je après peu. Puisque tu étais seule et nue, ils n’ont pas dû voir un grand danger en toi. Puis…

Je plissai les yeux en fixant la région de sa poitrine.

— … ils ont dû se dire que tu étais une humaine très bizarre. Les fées aiment bien les personnes libres d’esprit.

— On d’vrait bien s’entendre du coup ! Haha !

Je ne répondis pas, je préférais ne pas le faire. Mais Mysty remua le couteau dans la plaie.

— Au fait, ça veut dire que les fées aiment bien les gens à poil ? Les fées portent des culottes, au fait ?

C’était la question à laquelle je ne voulais pas arriver.

Les regards étaient en plus fixement braqués sur moi. Tyesphaine m’observait en écartant à peine ses doigts et même Erythrina, à moitié endormie, me fixait.

— Euh… j’ai pas non plus une science infuse des fées mais… euh, ça dépend. Certaines aiment bien être sans vêtements…, expliquai-je en me grattant la joue.

En réalité, il y avait beaucoup de fées adeptes du nudisme, je dirais même que la majorité n’avaient pas de pudeur.

— Ouais !! Personne ne m’embêterait de dormir à poil chez les fées !

— Ils sont naturels…, dit Erythrina d’une voix fatiguée.

— Je commence à croire les rumeurs sur ce peuple décadent…

— Eh oh, Naeviah ! On ne parlait pas des elfes ! Nous portons des vêtements, nous, je te signale !

J’écartai les bras pour les lui montrer.

— Vous habitez à côté, ce qui veut dire que vous les reluquez à longueur de journée, non ? Espèce de sale perverse dégénérée !!

— Mais arrête ! Je n’ai vu que rarement des fées !

— Nue… Si je me promène nue… je… je…

Des idées saugrenues commençaient à entrer dans l’esprit de Tyesphaine si pure pourtant. Je me hâtai de la prendre par les épaules (en évitant les pointes) et de la secouer.

— Non pas toi, Tyesphaine ! Je te présenterai aux fées, mais garde tes vêtements ! D’accord ?

— Présenter… je…

Elle rougit et parut heureuse. D’une certaine manière, j’avais réussi à endiguer la situation à temps. Même si Naeviah me jeta un regard meurtrier.

— On raconte aussi que les elfes et les nains avaient des esclaves humains qui se sont révoltés lors de leur période décadence et ont mené à la chute de leurs empires… Tu ne chercherais pas à emprisonner Tyesphaine par hasard, hein ?

Les propos de Naeviah étaient vexants. Jamais je ne ferais une chose pareille !

Néanmoins, encore un nouvel élément à prendre en considération dans le grand mystère de la disparition des elfes : la possibilité d’une révolte d’esclaves. Je ne pensais pas l’idée impossible, même si j’espérais sincèrement que mes ancêtres n’avaient pas eu recours à de telles pratiques ignobles.

— Eh oh !

— Les elfes sont cousins des fées…, dit soudain Erythrina, comme si elle arrivait en retard dans la discussion. C’est pour ça qu’elles ne t’attaquent pas…

— Eh oh ! Pour la deuxième fois : je suis pas une fée, OK ?

— Non, tu es une elfe perverse. Mais j’ai un doute quant à ton ascendance féerique malgré tout, s’empressa de dire Naeviah. Cela expliquerait pourquoi tu attires l’autre nudiste et pourquoi tu as un pouvoir spécial avec les tonneaux. Oui, tout se tient…

— Je ne fais pas de la tonnologie !

— Hahaha ! Nae recommence avec le tonneau !

— Tssss ! Ça ne m’étonne pas de toi que tu aies inventé une telle branche de magie lubrique… Ne m’en parles pas plus, j’aurais peur de souiller mes oreilles !

Je gonflais les joues en guise de protestation, puis préférais couper court à cette discussion sur les tonneaux, les esclaves et des origines féeriques que je ne pensais pas avoir.

— Pourquoi tu te fâches lorsqu’on dit que tu es une fée ? me demanda Erythrina.

— Je ne me fâche pas. C’est juste que je ne pense pas que ce soit la vérité. Mon mentor ne m’a jamais rien dit à ce propos, il a toujours parlé du fait qu’on est alliés, c’est tout.

— Mmm… peut-être qu’il ne savait pas non plus… Non ?

Erythrina pencha la tête de côté avec une certaine innocence adorable. Ce qu’elle disait n’était certainement pas impossible, mon mentor ne savait pas tout non plus.

— Je préférerais qu’on en rediscute lorsqu’on aura plus d’éléments concrets. Tyesphaine va encore se faire de mauvaises idées.

C’était trop tard. Trouver quelqu’un qui partageait sa théorie l’avait remontée à bloc : elle me fixait avec des yeux pétillants et un large sourire sur le visage.

— Trop tard ! dit Naeviah. Accepte que tes ancêtres étaient des nudistes, c’est tout.

— Tu résumes un peu trop à ta convenance, non ?

Cette fois c’était moi qui plissa les yeux en direction de Naeviah. Elle leva les sourcils en affichant un sourire victorieux et me prit de haut en se tournant vers la route.

— C’est pas tout ça, mais allons-y ! J’aurais aimé avoir notre guide avec nous mais j’étais sûre qu’elle ne resterait pas. On ne voit presque jamais de druides en ville, de toute manière. Merci à toi et à une prochaine.

— Ouais, c’était sympa ! À plus les filles !

Mysty s’empressa d’aller enlacer Erythrina avant de se mettre à courir avec enthousiasme pour prendre la tête.

— Merci encore. J’espère que nous nous reverrons.

— Les fils du destin sont plus entremêlés qu’une toile d’araignée, me répondit-elle. Mais j’ai l’intuition que…

Une fois de plus, elle ne finit pas sa phrase. Je supposais qu’elle pensait qu’on se reverrait.

Je la saluais de la tête lorsque Tyesphaine me passa devant et prit les mains d’Erythrina entre les siennes. Son euphorie féerique n’était pas encore passée, elle supplanta sa timidité habituelle.

— À une prochaine. Merci ! Parlons des fées, à nouveau !

— J’y connais rien aux fées…, eut le temps de marmonner Erythrina avant que la paladine ne lui agitât les mains et ne s’éloignât.

Je grimaçai et m’excusai intérieurement de l’enthousiasme de mon amie auprès de cette druidesse qui nous avait tiré d’une mauvaise situation. Puis, je pris également la direction de Segorim.

— À bientôt…

Erythrina continua d’agiter la main quelques instants avant de se mettre à bâiller.

***

Segorim était la première ville du genre que je visitais.

Dans mon ancienne vie, je n’avais pas eu l’occasion de visiter l’Europe, malgré un certain intérêt de ma part, mais j’imaginais que cette ville devait ressembler à certaines places fortes du Vieux Continent.

J’en avais vue des similaires dans les livres, en tout cas. Mais la voir en vrai était autrement plus impressionnant.

Ferditoris avait un style plus léger en comparaison. Les murs d’enceinte de Segorim étaient plus épais, ils étaient parcourus par nombre de soldats, tous équipés de chemises de mailles, de barbutes (des casques particulièrement robustes) et armés de lance, d’écu en acier et de haches ou marteaux.

Contrairement aux fictions de mon ancien monde, le port de l’épée était plutôt réservé aux nobles qu’aux soldats. Qui plus est, il fallait une quantité de métal plus importante pour fabriquer une épée et, face à un adversaire en armure, il était préférable d’utiliser une hache ou un marteau. Lorsqu’il fallait équiper une armée, il était avant tout question de considérations économiques et pratiques.

À l’opposé, les aventuriers avaient tendance à préférer les épées, car plus polyvalentes en combat. En effet, il était possible de frapper aussi bien avec le plat que la garde ou le pommeau et même de raccourcir la prise en les prenant par la lame et en l’utilisant un peu comme des dagues.

Puis, les adversaires les plus souvent rencontrés par les aventuriers étaient des monstres et non pas des combattants en armure intégrale. De plus, en les épées magiques étaient plus perforantes et tranchantes que leurs homologues, elles pouvaient traverser la défense d’une armure (bien qu’il existait également des armures magiques pour leur tenir tête).

D’ailleurs, avec mes petits bras, si j’avais dû utiliser une épée sans injecter ma magie à l’intérieur, je n’aurais pas été capable de blesser la plupart des monstres rencontrés.

Les soldats de la ville n’étaient pas équipés comme des aventuriers, ils n’avaient pas d’armes magiques. Leur but était principalement de protéger la ville contre les envahisseurs du sud équipés d’armure, bien plus que combattre des monstres, leur choix d’arme était donc adaptés en conséquence.

À force de voyager, les aventuriers oubliaient parfois que les personnes normales ne rencontraient généralement pas de monstres. Ils n’entraient pas sur leurs territoires et il était rare d’en voir proches des villes.

En fait, c’était sûrement une des raisons pour lesquels les humains s’étaient agglutinés pour les bâtir : la multiplicité éloignait la menace des créatures hostiles. À l’opposé, les villages et petites bourgades subissaient bien plus souvent leurs attaques.

Le rempart, qui faisait le tour de la ville, était plus bas que celui de Ferditoris (sûrement que la capitale craignait davantage les attaques de monstres sortis de la Grande Forêt) et intégrait de hautes tours hexagonales avec nombre de meurtrières dont certaines équipées de scorpions (des sortes de grosses arbalètes). Mes yeux me permettaient de voir également des onagres au sommet de chacune d’elles (il s’agit de sortes de petites catapultes).

Déjà depuis l’extérieur, la ville dégageait une aura de puissance, mais une fois à l’intérieur on sentait surtout une forte oppression.

L’entrée avait été assez longue. Les contrôles systématiques prenaient du temps, aussi il nous avait fallu consacrer la matinée entière juste par franchir le poste de garde.

J’avais vécu au Japon, faire la queue était une seconde nature chez moi. Bien sûr, Mysty s’était ennuyée, elle avait joué avec nos cheveux, nous avait masser les épaules (enfin à moi, Naeviah et Tyesphaine avaient prévenu qu’elles s’enfuiraient) et nous avions même jouer à un jeu semblable au shiritori.

Profitant de la longue attente, autour de midi, des vendeurs à l’étalage étaient venus proposer leurs repas onéreux. Nous ne manquions pas de moyens et avions faim, malgré le prix nous avions cédé à la tentation. Les sandwichs pleins de viande grillées avaient été réellement bons, mais je n’avais pu m’empêcher de penser que Mysty aurait sûrement fait mieux.

Parlons plus précisément de l’intérieur de la ville.

Segorim était divisée en deux. On entrait par la classique avenue marchande. C’était la plus large et longue rue de la cité où s’alignaient les commerces les plus chers, comme à Ferditoris. On remarquait bien une similitude à ce niveau-là, au fond c’était deux villes du même royaume.

Cette rue reliait directement au bastion qui se trouvait à l’autre extrémité, siège du pouvoir administratif, résidence du seigneur dirigeant la cité et ultime rempart en cas d’attaque. En tant que tel, le château (même si bastion me semblait plus juste considérant son architecture hautement défensive) était équipé de ses propres remparts.

Autour de la forteresse se trouvaient les quartiers riches, ceux de la noblesse. C’était la seconde partie de la ville. Un rempart un peu moins épais que celui extérieur cernait cette zone réservée à l’élite. Un poste de contrôle et une lourde porte ferrée bloquait l’accès aux roturiers.

Proche de cette séparation se trouvait les résidences des personnes influentes, aisées qui n’avaient pas de quartiers de noblesses : en somme, les riches marchands, les bourgeois, les médecins ou les officiers de l’armée. Ce quartier était accessible à tous, mais nombre des grandes maisons étaient surveillées par des gardes malgré tout.

Enfin, dans le chaos de ruelles qui formaient un labyrinthe se trouvaient les quartiers populaires, plus vastes en superficie, avec des commerces parallèles à ceux de la rue marchande avec des prix plus abordables pour répondre aux demandes de leur proche clientèle.

Si je devais résumer, Segorim était plus massive et défensive que Ferditoris et moins chaotique et rurale que Moroa.

Notre première après-midi fut consacrée à explorer et surtout à rechercher une auberge correcte. Entendons par là avec un prix raisonnable et un certain confort. Nous la trouvâmes en soirée lorsque les rues commençaient à être moins bondées. L’animation des quartiers populaires n’étaient en rien enviable à celle de Ferditoris.

Bien sûr, le prix de l’auberge fut un petit peu augmenté d’une sorte de taxe pour retardataires, puisque nous venions tardivement. S’agissant de quelques piécettes de cuivre tout au plus, je coupais court à la tentative de négociation de Mysty en les posant sur le comptoir sans faire d’histoires.

Il fallait dire que j’étais fourbue, je ne désirais plus qu’un lit pour me reposer.

Nous avions deux chambres avec lit double. Puisque Naeviah avait peur de ma perversion (inexistante) et Tyesphaine tarda à se manifester, c’est Mysty qui prit la place dans mon lit.

— De toute manière, ce n’est pas comme si c’est la première fois que je dors avec elle, me dis-je à cet instant.

Toutefois, en nous quittant dans le couloir…

— On vous entendra : faites pas de bêtises ! Je vous préviens que je risque de débarquer et vous lancer une malédiction d’impuissance !

— Nous sommes des filles, Naeviah, lui fis-je remarquer, ce genre de menaces ne nous atteignent pas.

J’ignorais même si elle avait un tel sortilège dans son livre de prières, cela m’aurait sincèrement étonnée en vérité. De toute manière, il serait sans effet sur des filles.

Naeviah rougit aussitôt, gonfla les joues et ouvrit la porte de leur chambre, qui se trouvait à côté de la nôtre, avant de me tirer la langue :

— Tu as compris l’idée, elfe perverse !!

Mysty se mit à rire puis ouvrit notre porte à son tour.

La chambre était correcte, c’était la qualificatif qui me venait immédiatement à l’esprit : le sol était propre, il n’y avait manifestement pas d’invités indésirables et le lit double avait plusieurs couches de draps épais qui ne seraient pas superflus par le froid qui commençait à se faire ressentir ; je n’y vis pas de traces suspectes, il avait été nettoyé récemment.

Contrairement aux auberges bas de gamme, il y avait une vitre à la fenêtre, même si elle était simple vitrage seulement. Les habitants peu fortunés et les édifices bon marché de ce monde avaient généralement de simples volets de bois pour se prémunir de l’air extérieur.

— Je suis fatiguée…, dis-je en bâillant. Allons-nous coucher, Mysty.

— OK ! On pourra toujours parler une fois au chaud.

C’est en nous asseyant chacune d’un côté du lit pour retirer nos bottes que je fus prise d’un seul coup d’une soudain terreur : nous ressemblions à un couple marié !!

Kyaaaaaaaaa !!!

Pourtant, je dormais si souvent avec Mysty ! Et elle était nue ! Pourquoi était-ce à cet instant seulement que je fus prise de sueurs froides et de terreur ?

Et pour ne rien épargner à mon inconfort inexpliqué, Mysty plaisanta en disant :

— On dirait qu’on est un couple. Tu veux être le mec ou la meuf ? Hahaha !

Je ne pus m’empêcher de déglutir alors que des gouttes de sueur perlèrent sur mon visage. J’avais d’un seul coup envie d’avoir une chambre individuelle. Je pouvais sûrement trouver un prétexte pour me tirer de là…

Les mains bloquées sur mes bottes, je réfléchissais aux possibilités.

Lui dire que je ronflais et donc je comptais prendre une autre chambre ?

Impossible, elle savait que ce n’était pas le cas.

Prétexter un problème de santé qui l’obligerait à dormir seule ne marcherait pas non plus, et au contraire, l’inquiéterait plus qu’autre chose.

En vérité, je ne voyais pas vraiment de moyen de m’esquiver et, d’ailleurs, je ne comprenais même pas vraiment ma réaction. Pourquoi cela me gênait-il d’un seul coup ?

Mon cœur battait de plus en plus fort. Il bondissait dans ma poitrine en entendant Mysty se faufiler sous les couvertures. Bien sûr, elle ne semblait pas du tout embarrassée pour sa part.

— Tes lacets ont fait des nœuds ? me demanda-t-elle en me voyant figée depuis un moment.

— Non… on dirait que ça va… Haha !

Mon rire était nerveux. J’aurais voulu proposer d’éteindre la bougie pour reprendre confiance mais, outre le fait que l’obscurité ne gênerait pas du tout ma vision, cela aurait encore plus donner l’air d’un jeune couple qui allait le faire pour la première fois…

— Que faire… ? Que faire… ? Pensai-je.

Mysty s’approcha de moi en glissant dans le lit tel un serpent.

— Y a un truc avec tes bottes… genre t’as un trou et tu as honte, c’est ça ? Tu peux pas le refermer avec ta magie ?

— Euh… je n’ai pas de trou… enfin si mais pas dans mes bottes…

AAAAAAHHHH !! Qu’est-ce que je racontais ?!! C’était quoi ce sous-entendu scabreux que je venais de lancer malgré moi ?!

Mysty se mit à rire et l’interpréta différemment.

— C’est vrai que t’as un petit trou dans ta tunique ici. J’parie que tu l’avais même pas vu. Regarde ! Oh là〜 !

Elle se mit à jouer avec le trou, sûrement une accroche contre une branche —je déteste la forêt—, elle y fit passer son petit doigt à l’intérieur et me toucha la hanche. Son contact me fit soudain sursauter et bondir pour m’éloigner.

— HHHHHIIIIIIIIII !!

— Quelle réaction ! Ce n’est que le petit doigt, voyons ! On dirait une jeune pucelle ! HAHAHA !

— Je… je suis une jeune pucelle !! rétorquai-je avant de me rendre compte de ce que je disais.

Aussitôt, j’entendis des pas accourir vers la porte de notre chambre. Naeviah chercha à ouvrir la porte mais nous l’avions verrouillée (pour éviter les pervers ivres morts, notamment).

— Vous foutez quoi là-dedans ?! Allez dormir au lieu de faire du bruit, imbéciles !!

— Ouais, ouais…, dit Mysty. Si tu veux, on peut encore échanger les places, t’sais ?

Naeviah ne répondit pas, elle retourna dans sa chambre et donna immédiatement des coups contre le mur qui reliait à la nôtre.

Mysty ne pouvait se retenir plus longtemps, elle se mit à rire à gorge déployée.

D’une certaine manière, cette intervention soudaine m’avait permis de reprendre un peu de calme. Je soupirai longuement.

— Bon par contre, Fiali, tu veux pas te magner ? C’est qu’il fait froid en fait… J’ai le bout des seins qui bleuis…

Un rapide regard derrière moi me permit de voir Mysty nue dans le lit qui m’attendait pour refermer les draps sur elle. Je blêmis.

— Mets… Mets au moins un pyjama…, lui dis-je d’une petite voix apeurée.

— Hein ? C’est vrai que ça caille pas mal ce soir… Merci du conseil, Fiali !

Elle sortit du lit prendre son pyjama dans son sac tandis que je pleurais intérieurement. J’ignorais ce qui allait se passer cette nuit-là… mais j’avais peur.

Finalement, puisque j’avais l’air toujours aussi empotée, Mysty habillée s’approcha de moi.

— J’sais pas ce que t’as, mais j’vais t’aider, va !

Elle s’accroupit pour me retirer mes bottes. Je voulais protester, mais finalement avant même d’y arriver, elle avait déjà fini.

— En effet, j’vois pas de trous… Eh ? Elles sentent même pas mauvais en plus ! Alors qu’on a marché toute la journée ? Comment c’est possible !

Elle mit son nez dans la botte pour confirmer, puis m’attrapa le pied pour le renifler. Son nez et son souffle me chatouillèrent, je me couvris la bouche pour ne pas éclater de rire.

— Sérieux ! Vous êtes foutus autrement nous, vous aut’elfes. Les miens sentent quand même… Tu veux sniffer ?

— Non… merci… sans façon…

— Allez, allez !

L’expression sur le visage de Mysty était pleine de plaisanterie, elle ne comprenait pas ma détresse. J’aurais vraiment dû dormir avec Tyesphaine, me disais-je.

Néanmoins, en me faisant l’image dans ma tête, je me disais que ça aurait été sûrement plus embarrassant encore. Elle aurait été aussi crispée que moi et nous aurions fini par rester toute la nuit au bord du lit incapables d’y entrer.

Étrange toute fois. La première fois que j’avais dormi avec Tyesphaine et Mysty je n’avais pas eu un tel blocage. Ce n’était peut-être pas une excuse : il y avait peut-être le risque que je fusse malade.

— Non… merci…, dis-je en me retenant de pleurer.

Je n’avais pas envie de renifler les pieds de Mysty ! D’une certaine manière, elle interpréta ma condition du moment comme anormale, elle me fixa.

Néanmoins, l’interprétation qui en résulta fut totalement incorrecte.

— J’vois… tu veux jouer à la timide. Tu veux que Mysty, ta grande sœur, s’occupe de toi, pas vrai ? T’es vraiment une petite fille gâtée. Hihihi !

Elle me sauta dessus et me fit tomber à la renverse sur le lit.

— Allez, lève les bras, petite sœur ! J’vais retirer ta tunique.

Mon cœur était sur le point d’exploser. Je… j’allais la laisser me déshabiller ?!

Je me repris, je n’avais plus le choix de toute manière.

— C’est bon… je vais le faire. Tu… tu peux me laisser ?

Mysty sourit de manière féline et passa sa langue sur ses lèvres.

— Et si j’dis que j’ai pas envie ?

— Hein ?

— J’attends depuis avant d’aller au lit. J’commence à me les geler en vrai. Et toi tu prends ton temps… Maintenant, j’ai envie de jouer…

— Euh… Mysty… je suis sérieuse, laisse-moi s’il te plaît…

— T’es bizarre ce soir, t’sais ? T’as mangé un mauvais truc ?

Elle me lâcha les poignets pour coller son oreille contre mon ventre. Je ne pus m’empêcher de rougir, j’étais devenue une femme enceinte avec mon mari qui essayait d’écouter les mouvements du bébé ? Aaaaaaaaaahhh !

Cela dit, mon ventre n’était pas du tout rond, j’étais une parfaite ligne droite de haut en bas ! (oui j’en étais fière !!)

— On dirait pas…

— Tu t’attendais à entendre quoi au juste ?

— Ch’sais pas… Peut’et un « je t’adore Mysty ». Haha !

— Quel ventre dirait un truc pareil ?!

— Bah, y a bien les ventriloques. Suffit de l’entraîner. Allez, répète après moi…

Sur ces mots, sans aucune délicatesse, elle me leva la tunique pour mettre mon ventre à nu. Je me cachais derrière mes mains, j’avais honte.

— Vous avez fini là-dedans ?

* Pom Pom*

Les coups de Naeviah contre le mur vinrent mettre fin à cet entraînement ridicule. Les ventres ne parlent pas, Mysty !

Elle se mit à rire et finit par entrer dans le lit.

— Bah, ch’sais pas ce que t’as. Faudra en parler à Nae demain. J’vais réchauffer le lit en t’attendant.

Elle se glissa sous les couvertures. Ne pas la voir quelques instants finit par me calmer un peu.

— Ce n’est que Mysty, me répétai-je sans bouger. C’est la fille qui croit que les ventres parlent…

J’étais surtout contente qu’elle n’ait pas essayé de faire parler une autre partie de moi… J’avais lu jadis une traduction d’un livre français de la période des Lumières où les organes génitaux des femmes de la cour se mettaient à parler. Heureusement, ce livre n’existait pas dans ce monde-ci !

Je finis par arriver à mettre mon pyjama après quelques minutes d’hésitation encore. Mysty s’était endormie en boule sous les couvertures. Je me demandais comment arrivait-elle à respirer ainsi ?

J’entrai avec hésitation, craignant qu’il fasse froid sous les couvertures, mais le souffle chaud de Mysty les avait bien réchauffées. Le fait qu’elle dormît déjà me rendit la tâche plus facile.

— Il va falloir que je me prenne des vêtements plus chauds, me dis-je en remontant mes couvertures jusqu’au nez.

Ma tunique elfique n’était pas adaptée aux températures du continent. Dans la Grande Forêt, la température était douce toute l’année. Enfin, dans la zone où j’avais habité, j’avais entendu qu’il y avait des coins de la forêt constamment enneigés, d’autre tout le temps en climat automnale. C’était une sorte de vaste pizza quatre fromages, en quelque sorte. La forêt des quatre saisons.

Sur ces considérations, sans m’en rendre compte, la fatigue de la journée et le stress de la soirée me gagnèrent.

Je m’endormis.

***

Au petit-déjeuner, Naeviah proposa une idée :

— Ça fait un petit moment que nous sommes toujours ensemble et si nous passions au moins la journée chacune de son côté ? En plus, ce sera plus rapide comme ça. Chacune pourra acheter ce dont elle a envie. On se retrouvera à l’auberge ce soir et on avisera quant à quoi faire demain.

Nous nous regardâmes toutes les trois et plus ou moins en même temps levâmes nos épaules.

— Pourquoi pas ?

En réalité, Naeviah nous en voulait à Mysty et moi. Ce matin, elle avait trouvé la porte fermée et m’avait entendu crier : « Kyaaaa ! Ne mets pas tes mains froides sous mon pyjama ! Fallait garder le tien ! ».

Mysty s’était déshabillée durant la nuit et était venue se coller à moi. J’étais sûre que cela arriverait de toute manière. Sans aucune logique, le fait de retrouver quelque chose de « normal » dans cette situation particulière m’avait complètement guérie de la timidité de la veille.

Naeviah nous jeta un regard froid à Mysty et moi, puis porta sa tasse d’infusion à ses lèvres.

— C’est donc décidé ! Les achats de vivres, nous les ferons ensemble avant de partir. Renseignez-vous également sur la manière de traverser la frontière. Nous savons qu’il faut un laisser-passer mais le tout est de savoir si nous avons les moyens de l’acheter et s’il est possible de l’obtenir d’une autre manière.

C’est ainsi que tout de suite après le petit-déjeuner, nous nous séparâmes.

Ma mission pour la journée était de me trouver une garde-robe hivernale à mettre dans le sac sans fond et un grimoire de magie, si possible. Bien sûr, je n’étais pas contre des objets magiques mais j’ignorais s’ils étaient en vente libre et si j’avais le budget.

Je ne tardais pas à trouver une boutique intéressante dans la rue marchande. Dans sa devanture, il y avait de nombreux vêtements exposés. Bien sûr, je préférais mes vêtements elfiques habituels, mais nous étions amenées à retourner en montagne et le temps devenait chaque jour plus froid, il me fallait des vêtements lourds, des bottes capitonnées et pourquoi pas un bonnet et une écharpe.

C’était le plan.

Mais en scrutant la vitrine des yeux, je fus prise d’une soudaine mélancolie. Comme un coup de déprime qui venait de nulle part.

Je vis mon reflet seul dans la vitre, il n’y avait personne à côté de moi. Bien sûr, les passants circulaient dans mon dos, mais je me sentais démotivée.

Peut-être était-ce à cause du ciel grisâtre de cette journée, la météo pouvait avoir une forte influence sur l’humeur, ou alors était-ce à cause de l’attitude de Naeviah envers moi, je ne savais trop. Mes sentiments étaient lourds et difficiles à comprendre.

Je me bloquais devant la vitrine, alors que mes pensées se tournèrent vers Naeviah. Quittant cette dernière, ce furent les visages de Mysty et Tyesphaine qui m’apparurent et même un bref instant celui d’Erythrina.

— Peut-être que Naeviah est vraiment fâchée cette fois…

Mon angoisse se renforça.

Peut-être avait-ce été l’affaire de trop, peut-être que Naeviah n’en pouvait plus de mon attitude laxiste envers Mysty, peut-être me prenait-elle vraiment pour une perverse… Elle passait son temps à me crier dessus, c’était peut-être la fois de trop : ne désirait-elle pas cesser cette quête qui ne lui rapporterait rien et l’obligeait à me supporter ?

— Je n’ai pourtant rien fait de mal… C’est Mysty qui glisse ses mains à des endroits inavouables…

Mais cette explication ne parvint pas à me faire sentir mieux. Une douleur me lancina la poitrine et déforma mes traits pour les rendre sombres. Un instant, j’eus l’impression de revoir mon ancien visage dans cette vitre.

Et si Tyesphaine dans son silence avait décidé de m’abandonner parce qu’elle trouvait mon attitude indigne, perverse ou que sais-je ? Au fond, elle était une paladine, même si elle ne nous sermonnait pas elle aimait la vertu et la pureté. C’était difficile d’être au point quant à ses sentiments.

Et Mysty… Ne s’était-elle pas lassée de cette elfe qui l’accompagnait ? Elle était si volage, si pleine d’enthousiasme qu’elle aurait pu trouver une elfe plus intéressante à suivre. Puis, je l’avais rejetée lors de l’épisode du tonneau au monastère. Et je venais de la rejeter également cette nuit à l’auberge. Elle avait dit nous aimer toutes, ne nourrissait-elle pas le désir d’aller plus loin dans sa tendresse ?

Je n’étais pas très à l’aise avec ce genre de choses : si j’acceptais de lui prodiguer ces faveurs, notre relation au sein du groupe serait altérée, des conflits pouvaient voir le jour et ils mèneraient tôt ou tard à une séparation, voire pire à une erreur en plein combat et donc à la mort. Si j’étais prête à accepter la mienne, je n’aurais pas toléré de voir une d’entre elles mourir sous mes yeux pour une raison pareille.

En raison de l’aura dakimakura, je provoquais forcément du désir autour de moi. Cette fois encore, pouvais-je la voir comme autre chose qu’une malédiction. Ne pas être aimé était pénible, mais l’être trop ou par de multiples personnes pouvait également l’être.

D’ailleurs, en y pensant, Mysty m’avait déjà plus ou moins avoué ses sentiments. C’était moi, cette petite elfe hautaine, qui n’y répondait pas.

Les doutes me rongeaient à cet instant, mon reflet ne me parut jamais plus étranger et familier qu’à cet instant. Deux êtres semblaient coexister au sein de cette image d’elfe, et pourtant il s’agissait bel et bien de la même personne.

Fiali, avant le retour de ses souvenirs, avait eu le même genre de comportement que la personne qu’elle avait été sur Terre. L’éveil de mémoire s’était fait progressivement et naturellement, je n’avais jamais eu l’impression que mon moi actuel avait écrasé ou chasser l’ancienne Fiali.

Ces sentiments sombres dans lesquels je me perdais me donnaient un vertige tel celui que j’aurais eu en observant un abysse, un immense trou sans fond où j’étais condamné à tomber éternellement.

C’était le désespoir, je le connaissais bien ce compagnon de longue date, mon premier « ami ». À l’époque, j’avais vécu jours après jours en cherchant quelque chose à me raccrocher pour éviter la chute, mais je n’avais pas réussi à me sauver.

La mort était venue me cueillir et m’avait amenée dans le monde de Varyavis.

Je finis par m’éloigner de la vitrine, tête et épaules basses. Je n’étais plus d’humeur à acheter quoi que ce fût.

Malgré le petit vent froid qui me passait sur les jambes et les gouttes de pluie qui commençaient à me tomber sur le visage, je ne ressentais plus rien.

Avais-je réellement changée ? Au fond, mon âme était toujours la même. Fiali n’était que le nom qu’on m’avait donné dans ce monde-ci, elle n’était pas une personne différente. Il était possible même que j’avais eu de nombreuses réincarnations et que j’avais eu bien d’autres noms.

À quoi rimait donc ce cycle sans fin ? Pourquoi m’avoir fait revenir à la vie une fois de plus ?

Pouvait-on espérer qu’une âme condamnée à répéter sans cesse cette boucle ne finissent pas par se détériorer et perdre sa capacité à ressentir le bonheur ?

Tempus edax rerum. Les meilleures intentions et les plus pures sentiments n’étaient que temporaires, au fil et à mesure de leur évolution ils étaient amenés à se corrompre, s’envenimer pour finalement retourner au néant.

C’était la loi de toute chose frappée par cette inéluctable entropie qui laissait à penser que le temps n’était que sa manifestation.

Les dieux, dans leur infâme caprice, m’avaient jeté en pâture une nouvelle fois, ils m’avaient accablée de la peine de ressentir à nouveau cet abysse obsédant et dont il était impossible de se défaire.

Mais, au fond, avaient-ils réellement la capacité d’arrêter la boucle ? Auraient-ils pu accepter ma requête et effacer complètement mon existence du livre de la Création ?

Lorsqu’on parlait de dieux, on envisageait des êtres tout-puissants, mais n’était-ce pas simplement une fausse idée ? Une facilité de l’esprit à les concevoir ?

Je plongeais encore plus dans cet horrible sentiment de perte et d’impuissance, comme si ma souffrance était amenée à n’avoir jamais de cesse.

Mes pas me ramenèrent à l’auberge qui était plutôt proche, je n’avais pas eu le temps de partir bien loin.

Je m’installai à une table et commandai un thé chaud tout en fixant le monde de dehors par la fenêtre mal nettoyée et embrumée par la graisse des bougies de suif qui s’y était collée dessus.

Si auparavant, ce n’était que quelques gouttelettes, la pluie tombait réellement à cet instant. Elle s’intensifiait même pour devenir drue. Elle correspondait en un sens à la tempête dans mes sentiments, elle cherchait à recouvrir le monde de son chagrin.

Des images de Tokyo apparurent devant mes yeux. Il pleuvait aussi le jour de ma mort. Je revis cette cité tentaculaire, gigantesque, ses bâtiments, ses lumières scintillantes tels des joyaux. Un détail me revint à l’esprit : sur le toit d’une maison se trouvait un torii, une des ces portes en bois peinte en rouge et censée mener dans le royaume des esprits.

En un sens, j’avais bel et bien quitté le monde pour en rejoindre un autre cette nuit-là.

Sans que je m’en rendisse compte, mes yeux furent hypnotisés par ces petits traits verticaux que le ciel dessinait sur le monde. Pendant combien de temps étais-je restée là à observer l’extérieur ?

Mon thé avait eu le temps de refroidir lorsque…

— Fiali ? Tu… vas bien ?

Une voix faible mais douce me tira de mes sombres rêveries, de la résignation de mon âme. C’est lorsque je me tournai pour découvrir la silhouette de Tyesphaine que je me rendis compte que mes joues étaient humides.

— Tu… n’es pas en train de…

— Fiali ? Tu ne veux pas répondre… ?

J’esquissai un sourire amer. Je n’en avais pas envie, en effet. J’aurais préféré qu’elle ne vît jamais cette face de moi.

Je séchai mes larmes du dos de la main avant de me rendre compte que Tyesphaine dégoulinait.

— Ne t’inquiète pas pour moi… juste un coup de tristesse. Allons plutôt essuyer tes cheveux. En plus, pourquoi tu portes cette armure en ville ?

Elle baissa la tête et répondit un peu honteuse.

— Je ne sentais pas rassurée… sans vous…

Je restais bouche ouverte un instant. Je n’avais jamais considéré le fait qu’elle puisse avoir une telle anxiété. Au fond, je m’étais toujours considérée comme une intruse dans ce monde. Une partie de moi ne lui appartenait pas, même si j’y évoluais.

Je me doutais que le passé de mes compagnes n’était pas tout rose, mais j’étais loin de me douter qu’elles pouvaient éprouver des angoisses du genre. Tyesphaine n’exprimait aucune plainte, aucun soupir agacé, elle paraissait simplement vivre dans l’instant présent. J’étais loin de me douter que je pouvais lui manquer aussi vite.

Le temps passé à mes côtés l’avait sûrement changée, peut-être même infectée, d’une certaine manière. Jadis, elle avait été la paladine noire solitaire que son apparence reflétait. Mais sûrement n’avait-elle jamais eu ce genre de forte personnalité. Elle avait certes un fond tenace, voire obstiné, plutôt étonnant mais Tyesphaine était avant tout une fille sensible et sociable.

Elle avait commencé toute cette aventure pour se faire des amis, elle qui avait été toujours rejetée. Elle me l’avait plus ou moins dit lors de notre rencontre. Elle avait combattu pour nous protéger, avait accepté de suivre la quête de cette elfe inconnue uniquement pour ne plus être seule.

Lorsque je reconsidérais tout cela, les larmes manquaient de s’écouler de mes yeux à nouveau. À la place, j’essayais d’appliquer une thérapie que j’avais autrefois lue : je souris le plus gentiment possible.

Mon sourire devait sûrement être horrible avec mon visage triste, c’est pourquoi Tyesphaine y répondit par des larmes. Ce n’était pas ce que j’avais désiré comme résultat, je me sentis désarçonnée par cette réaction.

— Je… Pourquoi Tyesphaine ?

— Non, rien. Je… montons…

Nous entrâmes dans ma chambre et je m’empressais de chercher une serviette dans notre sac magique tandis qu’elle se défit de son armure.

— C’était une mauvaise idée de se séparer, on dirait…, lui dis-je en me tournant vers elle avec une serviette sèche.

J’avais eu le temps d’y penser : ses larmes à l’instant n’avaient sûrement été que le fruit d’une langueur d’esprit, d’un affaiblissement né de notre courte séparation. D’une certaine manière, je reconnus à cet instant avoir éprouvé la même chose, c’était pourquoi j’avais tiré cette conclusion.

— Je… on dirait…

Elle n’osait pas me regarder dans les yeux. Au fond, cela m’arrangeait, j’aurais eu peur qu’elle ne parvint à lire dans les miens.

La solitude avait été le combustible qui avait enflammé mes anciennes angoisses. Si nous ne nous étions pas séparées ce matin-là, peut-être n’aurais-je pas connu cette crise. Les semaines passées à leurs côtés m’avaient conditionnée d’une certaine manière.

— Je vais t’aider à enlever ton armure.

Pour une fois, elle ne rougit pas, ne parut pas embarrassée à en mourir, elle acquiesça, simplement.

Je m’en voulais terriblement de l’avoir mise dans cet état. Car, j’avais la prétention de croire que c’était à cause de moi.

— En tout cas, la prochaine fois que Naeviah propose une idée qui ne te convient pas, dis-le nous, s’il te plaît.

J’étais dans son dos, ne pas la voir de face rendait les paroles plus simples. Je pouvais reprendre confiance et contenance.

— Je…

— Tu ne voulais pas t’imposer, c’est ça ?

— Oui…

— Il ne faut pas penser comme cela. Tu as une place à part entière dans notre groupe, tes opinions et tes souhaits nous intéressent. Si tu ne dis rien, c’est nous qui nous imposons à toi, tu sais ? Et nous ne le voulons pas.

En réalité, j’avais fait un peu comme elle, même si j’avais été surprise par mes propres sentiments.

Ma volonté de la réconforter et, par la même, lui faire oublier la face cachée qu’elle avait entrevue en moi, venait de se transformer en reproches. Lorsque je m’en aperçu, je me sentis coupable. Je voulais juste qu’elle se sentît bien parmi nous…je ne voulais pas qu’elle fût une simple suiveuse.

— C’est… gentil… Fiali…

— Les autres pensent sûrement comme moi, tu sais ? Si tu ne dis rien, on ne peut pas savoir.

— Cela vaut aussi pour toi… non ?

Je fis claquer involontairement ma langue. Elle venait de me faire goûter à ma propre médecine.

La solitude ne m’avait jamais dérangée. J’avais passé tellement de temps seule dans ma dernière vie, puis dans celle-ci après la disparition de mon mentor, que je n’aurais jamais pensé « replonger » de la sorte.

Cette crise était venue de nulle part. De même que ma timidité de la veille.

— Je suis sûrement un peu fatiguée, confessai-je à Tyesphaine. Désolée de t’avoir inquiétée. Je ne sais moi-même pas ce qui m’a pris. Si… si tu peux, oublie tout ça.

— C’est vrai que nous avons marché longtemps.

— Oui. La fatigue est parfois assez retorse dans sa manière de s’exprimer. Puis je ne me suis pas bien reposée cette nuit aux côtés de Mysty, tu sais ?

Je me rendis immédiatement compte du malentendu que je venais de créer. Tyesphaine sursauta et rougit.

— Vous… ?!

— Non ! Nous n’avons rien fait ! Désolée, désolée !!

Je m’inclinais à répétition pour m’excuser : ma culture japonaise ressortait malgré moi.

Je ne parvins pas totalement à convaincre Tyesphaine qui la main devant la bouche détourna le regard en me demandant :

— Vous n’avez vraiment… ?

— Rien de rien de rien de rien !! C’est juste que… tu connais Mysty, elle m’a attrapée la nuit. Mais rien de plus que pendant le voyage. Je te promets, je dis la vérité !

Tyesphaine me fixa un instant, puis afficha un sourire et hocha la tête.

— Je te crois, Fiali.

— Ouf ! Merci, Tyesphaine ! Allez, séchons tes cheveux.

Son armure était retirée, je constatai agréablement qu’elle n’avait pas laissée passer l’eau. Seule ses cheveux étaient humides.

Elle retira son élastique et une marée de cheveux roses s’écoulèrent sur son dos accompagnée d’une flagrance de fleur.

*Pom Pom*

Mon rythme cardiaque accéléra soudain. J’ignorais si c’était l’effet cheveux mouillés ou alors si j’étais simplement plus faible après ma petite crise, mais je me sentais irrésistiblement attirée par elle. C’était comme si je découvrais à cet instant à quel point elle était belle.

Pourtant je le savais déjà. Dès le premier jour je l’avais bien constaté.

— Tu… me fixes… Pourquoi… ?

Ses yeux n’avaient plongé dans les miens qu’un bref instant, mais j’avais eu l’impression qu’elle avait aspiré mon âme.

— Je… je suis surprise. C’est tout…

Elle pencha la tête de côté. En effet, il n’y avait pas vraiment lieu de l’être, elle n’avait fait que détacher ses cheveux.

— Toi aussi… tu me surprends… aujourd’hui…

Je déglutis. Tout cela devenait trop dangereux à mon goût, nous arpentions une mauvaise pente.

Je lui jetai la serviette sur la tête et commençais à délicatement lui essuyer les cheveux, partant des racines aux pointes.

— Je peux le faire…

— C’est vrai. Cela te dérange que je le fasse ?

— Non… mais… c’est…

— Gênant ?

Elle secoua la tête.

— Ça fait des frissons…

Ah oui ! En effet, le cuir chevelu stimulé et surtout touché par des doigts inconnus était terriblement sensible. Je comprenais parfaitement.

— Je vais peut-être te laisser faire alors…

Mais elle m’attrapa les poignets pour me retenir. Elle voulait que je continue.

Délicatement, en évitant de toucher son cuir chevelu avec mes doigts, je poursuivis ma tâche, mais je la vis se mordre les lèvres et grimacer pour se retenir de gémir. Je connaissais cette sensation, mais son visage me perturbait malgré tout. Ses sensations paraissaient un peu disproportionnées.

Il me fallait une échappatoire, un sujet de discussion qui permettrait d’oublier l’embarras…

— Ah ! Au fait, j’avais l’intention d’acheter des vêtements d’hiver. Tu veux bien venir m’aider, Tyesphaine ? Enfin, si tu n’as rien de prévu d’autre…

— Volontiers !

Je soupirai de soulagement en pensant avoir trouver le bon sujet de discussion, mais finalement je n’avais rien d’autre à ajouter et je stressais de nouveau.

— Tes pieds sont petits…

Dans sa position, Tyesphaine pouvait effectivement les observer.

— Ah oui… Désolée, je ne suis pas très grande.

— Ils sont mignons…

*Gloups*

J’essayais de passer à autre chose, mais pourquoi Tyesphaine tu me torturais ainsi ?!

— Je vois le genre de bottes faites pour toi…

— C’était pour ça…, dis-je à haute voix, rassurée.

— Par contre, pourquoi tu as retiré tes bottes dans la chambre ? Tu n’as pas froid ?

Stressée, j’avais simplement enlevée mes bottes à l’entrée, comme on le faisait au Japon. Dans ce monde-ci, en général, il n’était pas de mise de les retirer ; nombre d’intérieurs étaient en terre battus, en pierre ou simplement trop sales et froids pour ce faire.

— C’était comme ça… Je vais les remettre, c’est vrai qu’il fait frisquet. Héhé !

Je ris bêtement en m’éloignant et en remettant mes chaussures. Tyesphaine finit de se sécher les cheveux.

— Attendons que la pluie passe, me proposa-t-elle en allant observer dehors.

— Pourvu que ça arrive rapidement.

— Oui.

Toutefois, ma phrase avait un autre sens que celui qu’elle avait sous-entendu. J’avais hâte de sortir, car cette chambre avait une mauvaise influence sur moi.

Entre ma scène de la veille avec Mysty et celle que je venais d’avoir à l’instant avec Tyesphaine, je commençais à croire qu’il y avait une étrange ambiance dans cet endroit.

Aussi, je proposais après une longue période de silence :

— On pourrait échanger les places, cette nuit… je… Cela t’embêterais si je… dormais avec toi ?

Je détournai le regard inquiète et gênée. Tyesphaine poussa un petit cri d’étonnement, mais rapidement me répondit joyeusement.

— Volontiers !

C’était rare de la voir répondre aussi vigoureusement. Elle me souriait comme elle savait si bien le faire, un sourire à faire tomber.

Je lui le rendis et intérieurement je me maudissais d’avoir proposer quelque chose d’aussi risquer.

***

Finalement, la pluie ne s’arrêta qu’en début d’après-midi. Nous mangeâmes à l’auberge avant de nous rendre dans la boutique que j’avais repérée.

Dès que je humais l’air humide du dehors, je repris des forces. Je pris la main de Tyesphaine et l’entraînais dans le magasin. Elle ne portait pas son armure mais des vêtements d’aventuriers plutôt masculins : pantalon, chemise, bottes et une cape.

J’avoue que j’aimais bien le style que cela lui donnait, c’était rare de la voir sans armure. Je l’avais vue qu’une seule fois en robe à la soirée du Baron Bellegant. Entre les vêtements d’hommes ou de femmes, je ne savais choisir : les deux lui allaient si bien en lui donnant un charme différent.

Pour ma part, je ressentais plus que jamais la chute de la température, la pluie avait bien fait perdre quelques degrés au thermomètre. Ce n’était plus une question de prévision, mais bel et bien une nécessité du moment que de m’acheter de nouveaux vêtements.

La séance de shopping fut plus longue que ce que j’avais pensé. Nous changeâmes de magasin bien trois fois.

Puisqu’elle me considérait comme une fée, elle était très exigeante quant à la qualité de ce que je porterais, elle refusait de m’enlaidir pour favoriser le côté pratique.

Dans la première boutique, elle me l’avait plus ou moins confessé à demi-mot :

— Il ne faut pas des vêtements… normaux… tu es une personne de qualité…

À mes yeux, j’avais essayé des tas de vêtements satisfaisants, mais je m’étais remise entre les mains de Tyesphaine, une paladine de la déesse de la beauté, autant dire qu’elle était l’équivalente d’une conseillère en mode dans ce monde-ci.

Je m’étais amusée à imaginer les stylistes européens en équivalent de paladin d’Epherbia. Cela aurait été amusant de les voir porter des fusils d’assauts et des lance-roquettes pour défendre les sacro-saintes valeurs du dieu fashion.

Le monde de Varyavis était réellement différent, une telle chose aurait été impensable dans mon précédent monde.

Finalement, Tyesphaine me fit prendre des bottes rembourrées avec de la fourrure. J’eus un peu honte lorsque j’appris que c’était un modèle pour fillette. Bien sûr, le prêt-à-porter n’existait pas réellement dans ce monde, il n’y avait pas toutes les pointures non plus.

Mes pieds correspondaient à ceux d’une humaine de dix ans, semblait-il.

Au lieu de ma tenue elfique, Tyesphaine m’avait prise une longue tunique à manches, un surcot, une cape en fourrure, un bonnet pour protéger mes belles oreilles (c’était ce qu’elle avait dit) et une paire de gants. Elle avait hésité avec un corset pour garder une certaine féminité, mais je m’étais plainte qu’il gênerait mes capacités au combat et elle avait laissé tomber.

Après ces achats, j’étais parée à affronter le froid hivernal.

C’est fort de tout cela que nous revînmes à l’auberge pour y retrouver nos deux amies attablées.

La discussion tomba naturellement sur les achats de chacune. Mysty avait sélectionné des épices qui l’aideraient à préparer de meilleurs plats ; elle avait également pris quelques ustensiles de cuisine.

— On va en payer une partie, proposais-je. Nous profitons tous de ta cuisine.

— Ouais mais c’est mon plaisir à moi. Je préfère que vous gardiez vot’pognon. Sans vouloir t’offenser, Fiali. Mais c’est trop chou de ta part d’avoir proposer !

Mysty m’enlaça en frottant sa joue contre la mienne. Je commençais à comprendre ses sentiments à travers son langage corporel, elle se frottait avec plus d’entrain que d’habitude : je lui avais manqué.

Sa familiarité attira quelques regards dans l’auberge, il fallait dire que de base nous étions remarquables : quatre belles aventurières dans une auberge de voyageurs, nous ne passions pas inaperçues.

— Tsss ! Au moins vous avez acheté des trucs utiles. Vous connaissant je m’étais attendue à des bricoles sans intérêt… comme des souvenirs.

— Nous n’avons eu que le temps d’acheter mes vêtements. Mais si j’ai l’occasion, je serais intéressée par prendre quelques babioles, voire quelques œuvres d’art.

Tyesphaine me jeta un regard fier, tandis que Naeviah posa son menton dans sa main accoudée à la table. Elle plissa les yeux.

— On dirait que vous cachez un truc toutes les deux… C’est louche !

— Hein ? Mais on ne cache rien !

Ma manière de démentir était sûrement trop vivace, je la vis plisser encore plus les yeux comme si elle refusait de me croire.

— Quoi qu’il en soit, les laisser-passer coûtent quand même 70 pièces d’or par personne. C’est une sacrée somme. Sans parler du fait qu’ils demandent des justifications et tout ça. Nous risquons de devoir traîner dans cette ville un petit moment.

— Ch’suis sûre que j’peux trouver moins cher.

— Eh ! Qu’on soit claires : je ne veux pas de faux papiers, OK ? C’est la garde qui délivre le document, il n’est pas négociable.

— T’es pas marrante, Nae !

— Au pire, nous pouvons passer quelques semaines ici, dis-je. Nous n’avons plus cette somme, mais il doit y avoir des opportunités de quêtes, pas vrai ? Nous sommes des aventurières après tout.

— Je n’ai pas trouvée la guilde des aventuriers. Il est plus que probable qu’il n’y en ait pas du tout, en fait. Il faut dire qu’à Ferditoris c’était déjà exceptionnel, dit Naeviah.

— Ah bon ? Je savais que c’était rare, mais pas à ce point.

— Eh bien, pour ta gouverne, la plupart des villes n’ont pas de guilde d’aventuriers. À Hotzwald, il doit y en avoir deux ou trois au maximum, selon mes estimations.

— Mais comment font les autres villes alors ? Celles qui n’ont pas d’aventuriers ?

— Elles comptent sur ses soldats ou envoient des requêtes aux guildes des villes les plus proches.

En voyant les choses ainsi, c’était logique qu’il n’y en ait pas à Segorim. Les forces armées étant très importantes et bien équipées, la nécessité d’engager des aventuriers pour compenser n’existait pas. Puis, comme je l’avais remarqué, la ville craignait plus les attaques du pays voisin que les monstres, or la majorité des missions d’aventuriers étaient justement tournées sur la chasse à ces derniers.

— Cela dit, je ne dis pas que c’est impossible qu’il y en ait une, continua Naeviah. Juste que ça m’étonnerait.

La présence de la guilde de magie devait aussi réduire les probabilités d’installation des aventuriers, pensais-je.

— Et sinon, tu as des informations sur la guilde de magie ? Je pourrais aller…

— Tu n’as pas laissé tomber l’idée à ce que je vois. Espèce de… !!!

Naeviah enfonça son index dans ma joue pour me faire taire. Je comprenais son inquiétude, néanmoins.

J’étais une elfe. Avec elles, je n’avais pas eu de problèmes, mais une guilde de magie était sûrement peuplée de personnes désireuses de savoirs. Des personnes ayant également un sens de l’éthique plus moindre, et donc des êtres susceptibles de vouloir m’enfermer pour mener des expériences sur moi.

Naeviah n’était pas au courant pour mon aura dakimakura, j’étais seule à savoir que cela ne finirait pas aussi mal que cela.

— OK, je laisse tomber…

Pour le moment. Mais je m’abstins de le lui dire.

Le reste de la soirée se passa paisiblement et c’est l’esprit un peu plus serein qu’en matinée que j’allais me coucher avec Tyesphaine cette fois.

Au lieu d’expliquer des choses complexes, j’avais simplement proposer de changer tous les jours pour ne pas faire de jalouses. Naeviah s’était bien sûr empressée de rétorquer qu’elle ne voulait pas dormir avec moi, mais lorsque Mysty s’était proposée de prendre son tour :

— Tsss ! Ça déséquilibrerait le roulement si je refusais. Puis, il faut bien que quelqu’un de sensé la surveille. Qui sait ce qu’elle pourrait commettre comme ignominie…

C’était une excuse nulle : personne ne l’avait crue, mais personne ne l’avait contredite non plus.

Contrairement à la veille, je ne fis pas d’histoires cette fois pour entrer dans le lit. J’étais mentalement épuisée. Tyesphaine pria sa déesse avant d’aller au lit, j’en profitais pour me cacher sous les couvertures pour ne pas l’embarrasser.

— Bonne nuit, Tyesphaine.

— Bonne nuit, Fiali.

C’était des paroles simples mais douces à l’oreille. Je réalisais soudain à quel point j’avais de la chance de pouvoir les entendre.

En m’endormant aux côtés de Tyesphaine, j’espérais que la journée du lendemain serait plus douce sur le plan émotionnel.

Lire la suite – Arc 4 – Chapitre 3