Le jour de notre embauche nous étions montées dans une diligence en compagnie de notre employeuse et avions quitté la ville jusqu’à son manoir qui se trouvait à moins d’une demi-heure.
Syrle n’avait pas de voiture spécifique. Elle faisait le voyage à pied en général et rentrait en louant les service d’une diligence.
J’avais bien essayé de prendre des repères, mais en vain : le paysage agricole m’était totalement abscons. Naeviah et Mysty n’avaient même pas essayé et Tyesphaine avait entretenu la conversation avec Syrle en sa qualité de grande sœur.
En quittant la ville, j’avais pu avoir la confirmation qu’avoir un statut officiel accélérait grandement les allées et venues. Le palefrenier était allé informer la garde que la « magicienne de Saphir » souhaitait passer et nous avions quitté la ville en un instant.
J’étais devenue d’autant plus curieuse quant aux guildes de magie et à leurs avantages.
Puisqu’il faisait déjà sombre en rentrant, Syrle nous avait mises en cuisine et nous avait demandées d’allumer le feu. Le manoir était équipé d’un système de cheminée centrale qui redistribuait la chaleur dans les différentes pièces, en plus d’avoir divers poêles.
Mysty avait encore fait des merveilles aux fourneaux. Au sous-sol, Naeviah et moi avions allumé le feu… à la magie. J’ignorais comment allumer un feu normalement. Enfin si, j’avais appris, mon mentor m’avait montré les différentes techniques : faire tourner le bois sur du bois, utiliser du silex et des feuilles sèches ou encore un briquet à amadou, etc.
Mais, soyons honnêtes, rien ne valait un petit départ de feu à la magie.
Même Naeviah, pourtant la première à me gourmander m’avait encouragée à ce faire.
Ce premier soir, nous n’avions pas eu le temps de visiter réellement, mais il y avait malgré tout quelques informations que j’avais pu récolter.
Le manoir était un seul grand bâtiment à deux étages. Il ne dégageait vraiment pas le même luxe que l’hôtel particulier du marquis, mais était malgré tout très coquet. En réalité, probablement que si j’avais eu une maison dans ce monde, j’aurais préféré quelque chose de ce genre.
Il était entourée d’un mur d’enceinte épais de plus de deux mètres pour une hauteur de cinq mètres. Cela n’en faisait pas un bastion puisqu’il n’y avait pas de tours de garde ou de chemin de ronde pour le tenir, mais le rendait difficile d’accès et d’espionnage. Peut-être était-il plutôt destiné à se protéger des bandits qui rôdaient autour des cités.
Le jardin qui entourait l’édifice principal était immense. Tout était bien taillé, à la française, avec des formes symétriques. À notre arrivée, j’avais un peu sourcillé en voyant l’étendue, Syrle avait sûrement remarqué ma réaction puisqu’elle s’était empressé de nous dire :
— J’engage des jardiniers professionnels. Les domestiques ne font qu’un travail d’entretien sommaire.
En effet, j’avais été bien rassurée.
L’intérieur, pour sa part, était décoré d’abondantes statues. J’avais de suite supposé qu’elles étaient sûrement l’œuvre de Syrle elle-même. Grâce à la magie de terre, il devait être facile d’en sculpter.
Je m’interrogeais également quant à savoir si ces décorations étaient susceptibles de s’animer pour défendre leur maîtresse en cas d’attaque ou non. Je n’y avais ressenti aucune magie, toutefois.
Contrairement à la porte d’entrée qui avait un enchantement de renfort particulièrement évident et puissant.
Avec Naeviah, nous avions visité sommairement la cave qui était une sorte de frigo médiéval : il n’y avait que des vivres et du vin au frais, ainsi que la chaudière qui diffusait sa chaleur aux étages supérieurs.
Mysty nous avait informées que la cuisine était très impressionnante. Et Tyesphaine qui avait tenu compagnie à Syrle —sur ordre de sa part— dans le salon avait indiqué que ce dernier n’avait rien de très particulier.
Pour leur part, nos appartements étaient dans une aile du manoir à part. À la base, cette aile avait sûrement été pensée pour accueillir bien plus de domestiques considérant le nombre de chambres vides, mais nous n’étions présentement que quatre.
Syrle ne nous avait laissé aucune recommandation, elle nous avait dit de nous installer à notre guise. Aussi, pour changer de la veille, nous avions décidé d’occuper deux chambres où se trouvaient deux lits séparés. L’entretien des chambres laissait à désirer et, à cette heure de la nuit, nous n’avions pas envie de faire le ménage.
J’étais avec Naeviah, puisque, d’une manière ou d’une autre, « c’était son tour » (je supposais que la nuit à quatre à ses côtés ne comptait pas). Lorsque je proposais de lancer mon sortilège de « Serviteur » pour tout nettoyer, elle me dit :
— C’est vraiment un peu de poussière qui te dérange ? Et si Syrle le détecte ?
— Tu penses qu’elle va venir nous espionner pendant la nuit ?
— Si j’étais elle… j’aurais pas engagée une elfe perverse pour commencer. Mais non, je ne mettrais pas les pieds chez les domestiques, c’est sûr.
Je pensais intérieurement que si Syrle nous espionnait par magie, Naeviah venait de vendre la mèche sur mon identité secrète. Par contre, si elle entendait que j’étais une perverse (ce que je n’étais pas !) elle serait sans aucune doute enchantée.
Je laissais tomber mon idée de ménage magiquement et, un peu vexée, je m’enfouis sous mes couvertures. Contrairement à l’aile principale et celle où se trouvait la chambre de Syrle, il faisait froid dans notre chambre, cette zone n’était pas couverte par le système de chauffage. Il y avait un poêle, mais considérant l’heure il était plus efficace de se glisser sous ces couvertures bien épaisses.
Je m’endormis avant même de m’en rendre compte.
Au matin, Syrle nous réunit dans le salon du rez-de-chaussée pour nous distribuer nos tâches de la journée. Le manoir avait tellement de pièces que je supposais que tout faire en une journée même à quatre était ardu, voire impossible. Syrle répartirait le travail sur plusieurs jours, très certainement.
— Ce matin, je ne dirais rien car c’est votre première journée, mais il serait bon que vous réveilliez plus tôt. Il est presque neuve heures, je vais faire l’impasse sur le petit-déjeuner.
— Nos excuses ! s’écria Tyesphaine en panique.
Nous nous inclinions pour nous excuser à notre tour. Syrle fit juste un mouvement de main pour nous intimer que c’était bon.
— Je suppose que pour des filles bien éduquée comme vous l’êtes se lever tard était normal. Néanmoins, il faut que le feu et le petit-déjeuner soient prêts à mon réveil.
Elle portait une couverture sur ses jambes et était encore habillée de sa robe de nuit.
Évidemment, le feu que nous avions allumé la veille n’était pas éternel. Il y avait une sorte de chargeur dans la chaudière qui faisait tomber des bûches à rythme régulier, ce qui lui avait permis de tenir une partie de la nuit mais l’édifice était imposant et rempli de courants d’air, il se refroidissait rapidement.
— Puisqu’il ne fait pas encore très froid, le feu principal devra être allumé du soir à dix heures du matin. Ensuite, si besoin en est, il vous faudra allumer les poêles des chambres que je vais occuper.
— Oui !
— Et encore une chose. Il vous faudra porter vos uniformes de travail.
— Uniformes de travail ? m’étonnai-je.
— Nous sommes rentrées tard, j’ai oublié hier mais il y a de nombreux uniformes à diverses tailles dans la garde-robe du premier étage de votre aile. Allez de suite enfiler quelque chose qui conviendra mieux à des domestiques et revenez aussitôt.
— Oui !
Je me rendis compte en nous hâtant de revenir dans l’aile de la domesticité que nous étions sûrement les plus piètres servantes possibles. Nous étions des aventurières, nous n’avions pas eu à considérer tous ces détails.
Je jetai un regard à ma droite, Tyesphaine semblait avoir conscience de la même chose que moi. Naeviah, à ma gauche, grimaçait. Soit elle n’aimait pas le rôle de soubrette (ce qui était légitime, c’était un travail peu méritant malgré tout), soit elle était énervée par nos erreurs. Je m’abstins de l’interroger sur le sujet.
En tout cas, nous avions eu raison de nous présenter comme les filles d’un riche professeur, cela rendait notre nullité plus excusable.
Arrivées dans l’aile des domestiques, je posai la question :
— Vous savez où est cette garde-robe ? J’ai rien vu hier…
— Moi non plus, répondit Mysty.
Les deux autres secouèrent leurs têtes. Nous n’avions que sommairement visité et le manoir était grand.
— Séparons-nous pour le trouver, proposa Naeviah.
Nous retînmes cette méthode et rapidement Mysty nous cria :
— Trouvé !!
C’était une porte au fond du couloir du premier étage. La salle entière était pleine de vêtements alignés sur des cintres. Je restais bouche bée, je n’avais jamais rien vu de tel.
— Tu fous quoi à bloquer le passage. Laisse-nous passer !
Naeviah me poussa.
— Pouahhhh ! Y a une quantité de fringues ici ! On se sent vraiment chez une noble !
— Et encore, ce n’est que la garde-robe des domestiques…, dit Tyesphaine en baissant le regard avec honte.
Forcément, pour des personnes habituées à ce milieu, ce n’était pas un spectacle si impressionnant non plus.
— Bon, dépêchez-vous ! Vous voulez qu’on se fasse houspiller une fois de plus ? Déjà qu’on… Tsss !
Naeviah fit claquer sa langue et se frotta la tête sous l’effet de la colère. J’avais la réponse à ma précédente question : elle était énervée par nos erreurs.
Cela dit, puisqu’elle avait raison, nous nous empressâmes d’essayer les vêtements. Comme je m’y attendais, il s’agissait de costumes de soubrette… ou plutôt de maid. Je distingue bien les deux pour la simple raison que ces derniers sont moins « historiquement justes » et plus fantaisistes. Parler d’historique dans un autre monde était un curieux concept, certes, mais les jupes étaient plus courtes, les décorations plus mignonnes et les couleurs diverses, je ne pouvais m’empêcher de les associer aux tenues des maids d’Akihabara.
— Euh… vous trouvez votre taille ? demandai-je.
— Moi ça va, répondit Naeviah.
Elle mesurait un peu plus d’un mètre soixante et avait une corpulence normale, elle avait trouvé chaussure à son pied. Un uniforme tout ce qu’il y avait de plus classique… enfin, pour une maid : noir avec tablier blanc. La jupe s’arrêtait à mi-cuisses.
— Moi, j’ai trouvé un truc, mais je trouve que c’est un peu long… puis les jupes, ça me gonfle.
Mysty revint habillée d’une tenue rouge qui était bien trop grande pour elle.
— Mouais… au moins tes seins tiennent bien dedans, grommela Naeviah frustrée.
— Haha ! Ouais, elles sont un peu serrée à la poitrine les autres tenues à ma taille. Sinon, j’ai trouvé des fringues avec un pantalon, j’peux pas prendre ça ?
— C’est vrai qu’à part la poitrine, le reste à l’air trop grand…
La jupe lui descendait sous les genoux et les manches lui couvraient les mains. J’avais l’impression qu’il y avait vraiment un souci dans cette garde-robe comme si tout était taillé de manière étrange. Certes, Mysty était un peu petite, mais j’avais croisé des filles de sa taille avec encore plus de seins qu’elle n’en avait. Je ne la pensais pas anormale. Pourtant, la seule robe qu’elle avait trouvé à sa taille de poitrine était bien trop longue ?
— En cuisine, ça risque d’être gênant. Je suppose que l’ordre était de prendre n’importe quelle tenue de cette garde-robe. Si elle te va, pantalon ou pas, prends-la, lui dis-je.
— T’es bien autoritaire pour une petite sœur, me reprocha Naeviah. D’ailleurs, tu t’habilles quand, perverse ?
Ce mot résonna dans ma tête alors que je me mis à transpirer.
Voilà ce qui clochait ! Cette garde-robe avait été pensée par une (vraie) perverse !! C’était la résolution à toute cette énigme !
Si les jupes étaient aussi courtes. Si les décolletés étaient aussi bas. Si les tailles étaient aussi mal conçues, c’était uniquement pour satisfaire les goûts de la maîtresse de maison.
J’aurais dû en principe donner cette information aux filles la veille, mais nous n’avions pas eu le temps et Naeviah m’avait contrariée.
Alors que je m’apprêtais à le faire, cette dernière me donna une petite tape sur le front.
— Allô ! Tu reviens à toi ?
— En fait, j’ai un…
— Dépêche-toi au lieu de papoter. Je t’ai déjà dit qu’il faut qu’on retourne chez elle au plus vite !
— Mais…
Naeviah me força à m’habiller, je n’eus pas le temps de lui dire ce que je voulais.
Je décidai de le faire plus tard dans la matinée.
Trouver un uniforme à ma taille était plutôt difficile. Je mesurais environ un mètre cinquante (les appareils de mesure de mon mentor n’étaient pas des plus précis, il n’y avait pas de nécessité à réellement le déterminer en réalité). Il y avait peu de choix pour moi, comme si on ne considérait pas ma taille comme normale non plus.
Une fois de plus, j’avais rencontré des filles pas plus grande que moi et elles étaient des adultes ! Je me sentis un peu insultée, à vrai dire.
L’ironie du sort était que la robe qui me convenait le mieux avait un décolleté si large que j’aurais pu faire entrer les seins de Mysty dedans. Quel genre de fantasme nourrissait cette magicienne au juste ?!
— Je ne vais pas porter ça…
— Tu vois une autre solution, perverse ?
— Avec ça j’ai vraiment l’air d’une perverse, justement !
— Bah, ça changera pas par rapport à d’habitude.
Au-delà de l’aspect esthétique, il fallait que le costume soit quand même ajusté. Nous allions travailler avec ces tenues. Si les manches trop longues pouvaient gêner Mysty en cuisine, une robe dont le ventre m’arrivait aux hanches n’était pas pratique pour bouger.
Du coup, Naeviah insista pour me faire essayer la pire de toute : une sorte de bikini uniforme de maid. Alors il était vrai que c’était ajusté aussi bien à ma poitrine qu’à mes hanches, mais j’avais le ventre à nue. La tenue ne prévoyait pas de manches pour les bras et s’arrêtait à mi-cuisses aussi, mais je pouvais compenser par des gants et des collants ou chaussettes hautes.
— Je vais mourir de froid avec ça !
Je pris un air pitoyable pour faire de la peine à Naeviah qui soupira.
À cet instant, nous entendîmes dans le couloir sonner une cloche. Je ne savais pas ce que cela signifiait, cela m’évoquait une alarme d’incendie mais Naeviah réagit de suite.
— Tsss ! Je vous avais dit que vous preniez trop de temps, bon sang ! Elle nous appelle !
— Je… Avec ça ?
J’avais envie de pleurer, mais Naeviah me donna une tape amicale sur le ventre.
— Tu as un joli nombril, rassure-toi. Couvre plutôt tes oreilles, faudrait pas qu’on les découvre.
Elle me mit une coiffe sur la tête et m’aida à enfiler mes oreilles dedans. Heureusement que j’avais beaucoup de cheveux, on ne les voyait plus du tout.
J’enfilais à la hâte des chaussettes montantes blanches et mit les premières chaussures que je trouvais. Pour les chaussures il y avait moins de problèmes, elles étaient plus ou moins toutes identiques à des tailles différentes. Elles étaient un peu trop grandes pour moi, mais pas suffisamment pour que ce soit gênant.
Mysty revint et enfila aussi les premières chaussures à sa taille. Avec Naeviah nous restâmes immobiles à la regarder.
— C’est pas une robe ça…
— Non, c’est une tenue d’homme. Je pensais qu’elle n’aimait que les filles.
Mysty était en tenue de majordome bordeaux. Elle fit un tour sur elle-même pour nous la montrer sous tous les angles.
Nos yeux se concentrèrent sur la région de son torse.
— Elle semble prévue pour femme malgré tout, dis-je.
— Elle arrive à faire entrer ces machins dedans… et ses fesses aussi.
— Aucun doute, c’est bien une tenue pour femme… enfin, femme masculine.
— Quoi ? Vous aimez pas ?
En vrai, elle lui allait plutôt bien. C’était juste que j’avais peur que Syrle nous jetât dehors en la voyant ainsi.
— De toute manière, il n’y a plus le choix, dis-je.
Pourquoi serais-je la seule à subir, hein ?
Mais celle qui était autant à plaindre que moi ne tarda pas à arriver : Tyesphaine portait une tenue de maid avec un corset en cuir et une jupe en soie. Le souci était qu’on avait l’impression que ses seins menaçaient de déborder par le haut et sa jupe laissait entrevoir sa culotte.
— Je… je n’ai rien trouvé…
— Whoooo ! C’est sexy, Tyes !!!
Je m’empressai de couvrir la bouche de Mysty, mais c’était trop tard. Tyesphaine était rouge jusqu’aux oreilles. D’un coup, je n’avais plus envie de me plaindre.
— Sérieux ! C’est quoi ça ? Tu n’avais vraiment rien…
La cloche sonna à nouveau.
— Laisse tomber. Tu viens comme ça.
— Il… n’y avait même pas de collants… à ma taille…
Tyesphaine se plaignit d’une voix si faible qu’elle était à peine audible.
Pour la rassurer, chemin faisant, je lui dis :
— Moi aussi j’ai une tenue indécente. Mais bon, nous sommes entre filles, ça ira.
— Entre filles… ?
Tyesphaine se couvrit le visage tandis qu’elle parut encore plus gênée qu’avant.
Avais-je réellement prononcé les bonnes paroles ?
***
— Vous en avez pris du temps…
Nous étions toutes alignées devant Syrle toujours dans la même tenue et avec sa couvertures sur les jambes. Elle buvait une infusion fumante qu’elle s’était préparée elle-même, manifestement.
En y pensant, avant notre arrivée, qui s’occupait d’elle au juste ?
Je m’étais attendue à trouver un ou deux domestiques prêts à nous quitter et nous passant le relais, mais, entre ces murs, il n’y avait personne à part nous.
— Désolée, nous avions quelques problèmes de mesures, dit Naeviah.
Tyesphaine était encore couverte d’embarras, elle n’arrivait pas à parler et baissait le regard. Syrle ne parut pas y prêter attention.
— Je dirais que vos tenues vous vont plutôt bien. Trêves de bavardages : Linalina, le repas d’hier était rapide et très bon, je te charge du déjeuner !
— Ouais ! Enfin, oui ! À vos ordres !
Mysty mit les mains derrière le dos et frappa le sol du pied. J’avais comme l’impression que c’était plus un salut de soldat que d’une domestique, mais je ne pouvais pas la reprendre pour le moment.
— Deux d’entre vous vont commencer à nettoyer du salon où nous sommes. Et une d’entre vous va se charger de m’habiller.
Je regardais Naeviah et Tyesphaine et réalisai ne pas les avoir informer des tendances particulières de notre employeuse. Envoyer Tyesphaine dans une mission aussi périlleuse serait comme envoyer un mouton à l’abattoir. Et Naeviah risquerait d’agir brutalement si Syrle tentait quelque chose. Par élimination, il ne restait que moi.
— Je m’occupe de l’habillage ! dis-je en levant la main. Je… je suis la plus petite. Haha !
La petite sœur devait faire les tâches les plus simples, non ?
Syrle esquissa un petit sourire en coin qui me glaça le sang, puis se leva en mettant sa couverture sur les épaules et se dirigea vers la sortie du salon.
— À tout à l’heure…
Je me forçais à sourire en saluant mes amies de la main en espérant que tout irait bien.
Chemin faisant :
— À terme, ce serait bien que tu apprennes des sorts de base pour allumer le feu ou réchauffer l’eau, me dit Syrle. Tu pourrais même devenir mon assistance et à la fois ma domestique de chambre. Je suppose que tu préfères m’habiller, me laver et faire du classement dans mes documents que passer la serpillière, non ?
Franchement, j’hésitais aussi je répondis sur un ton perplexe :
— Laver ?
— Ce matin est une exception, mais je prends un bain tous les matins en principe.
— Tous les matins ?
— Oui. Mais puisque je ne sortirai pas de la journée, je vais faire l’impasse pour une fois. Donne-moi tes mains.
Elle s’arrêta soudain et se tourna vers moi.
Je lui tendis mes mains qui étaient enveloppées dans des sortes de mitaines montantes en tissu qui laissaient les doigts libres et couvraient tout le biceps.
Elle les prit et les observa attentivement, puis les palpa.
— Elles sont très douces bien qu’un peu caleuses. Elles me rappellent un peu celles des hommes d’armes qui tiennent des épées à longueur de journée.
— Ah bon ? C’est… c’est sûrement parce que je jouais souvent avec une épée en bois. J’étais un garçon manqué. Haha !
J’avais improvisé dans la panique, mais je doutais moi-même de mon explication trop facile. J’étais une femme d’arme, elle avait vu juste !
Elle ne dit mot, elle se contenta de sourire puis reprit la marche.
— Elles seront parfaites pour me masser les épaules dans le bain. Tu seras chargée du bain à partir de demain matin.
— Oui !
Intérieurement, je paniquais. Mon visage se couvrit de sueur que j’essuyais prestement du revers de mes gants. Il fallait finir cette histoire dans la journée, c’était impératif !!
Nous arrivâmes après peu non pas à sa chambre, comme je l’avais pensé, mais dans sa garde-robe.
Comparée à celle des serviteurs, elle était d’un tout autre niveau. Je déglutis face à cet étalage de luxe et de tissus.
— C’est la première fois ?
Je hochai la tête sans penser à préserver mon rôle. Cela dit, en tant que filles de professeur il était normal d’être impressionnée devant une telle garde-robe, n’est-ce pas ?
— Je vois. Eh bien, qu’attends-tu ? Va me chercher la chaise.
Elle m’en désigna une qui se trouvait dans un coin de la pièce. Je la lui ramenai et aussitôt elle s’assit devant un grand miroir.
— Mmm… Essayons la robe bleu foncé là-bas.
— Laquelle ?
Honnêtement, j’étais perdue. Je ne pensais pas un jour me perdre dans une garde-robe. Il y avait carrément des allées d’étagères avec des numéros. Ce classement me fit intérieurement sourire, il était digne de la magicienne que je m’imaginais.
— C’est vrai que tu ne connais pas encore cet endroit. Il va falloir que tu le mémorises correctement. Tu devras le connaître comme ta poche un jour. Allée C, compartiment 6.
— Oui !
Malgré le froid qu’il faisait et ma tenue un peu trop ouverte, je me hâtai de chercher dans les rayonnages. Certains exposaient des robes sur des cintres, d’autres étaient des box avec des vêtements à l’intérieur. Je ne comprenais pas vraiment le classement, mais en tout cas tout était soigneusement rangé et Syrle semblait tout connaître par cœur.
En passant à côté du compartiment 7, j’eus une étrange impression. Mon regard se fixa sur un chapeau noir.
Il était magique, j’en étais certaine. J’allais tendre la main vers lui, lorsque je me rendis compte qu’au plafond il y avait des miroirs. Syrle pouvait voir partout dans la pièce depuis sa position. Il y avait peu d’angles morts, uniquement les coins.
Pourquoi un tel dispositif ?
Quoi qu’il en fût, je me repris avant même d’essayer. Je saisis la robe qui se trouvait dans le compartiment 6 qui était soigneusement pliée et je revins auprès de Syrle.
— Celle-là ?
— Oui, parfait. Essayons de faire vite, il fait froid ici.
— Oui.
Elle jeta sa couverture en arrière avant de se lever et d’écarter les bras. Je restais interdite un instant avant de comprendre qu’elle voulait que je la débarrasse de sa robe de chambre. Je sentis la chaleur monter en moi. J’espérais qu’elle ne tenterait rien.
Déshabiller une femme n’était pas anormal lorsqu’on était une domestique, mais avec mon aura dakimakura, n’allait-elle pas tenter quelque chose d’osé ?
Ce genre de récit de maître entreprenant étaient fréquents dans la littérature de mon ancien monde et je supposais qu’il en était de même ici.
Cela dit, je me repris rapidement : l’aura me protégeait des actions visant à me faire du mal, tant que je ne le voudrais pas, il ne se passerait rien.
— Relax, Fiali !
Je fis le tour et me plaçai dans son dos. Sa robe à bouton s’ouvrait par l’arrière. Je défis à peine les deux premières pièces de vêtements, en évitant de toucher sa peau, qu’elle m’arrêta.
— Ah ? J’ai failli oublier. Il me faut également des sous-vêtements. Va me les chercher au rayon B, compartiment 3. Tu peux prendre n’importe lesquels.
Je blêmis.
— SOUS-VÊTEMENTS ?!!!
C’était une tâche normale dont s’occupaient toutes les domestiques de ce monde… enfin, je supposais. Pour les nobles, les domestiques sont un peu comme des robots, on ne s’embarrassait pas de se laisser toucher par un objet, non ?
D’ailleurs, est-ce qu’il y avait vraiment quelqu’un qui fantasmait sur des robots à l’apparence de filles ?
…
Mes yeux ne cessaient de clignoter…
Il y avait tellement de personnes qui nourrissaient des fantasmes sur des robots à l’apparence de filles !! Dont pas mal d’otaku !!
Il fallait m’éloigner et rasséréner mes pensées. Pour le moment elle n’avait rien fait. J’avais juste entendu une rumeur concernant sa perversion, mais il s’agissait d’une ancienne employée, il n’était pas impossible que ce fût un vil mensonge, une sorte de vengeance.
Jusqu’à présent, Syrle était sérieuse, elle n’avait porté aucun regard lubrique sur aucune d’entre nous. Pas même sur moi et mon ventre nu. Ou les seins de Tyesphaine qui voulaient être libérés de son corset.
— Tout ira bien ! C’est sûr !
Une nouvelle fois, mon attention fut attirée par un objet qui se trouvait en face de la boîte où étaient rangés les sous-vêtements. C’était un collier en or avec des pierres précieuses. Une magie plus faible que le chapeau en émanait.
Mon regard se tourna dessus un bref instant, puis je pris les sous-vêtements nécessaires sans les regarder.
De retour vers ma fatalité, je les montrais à Syrle qui acquiesça.
— Par contre, dépêche-toi un peu. J’ai beaucoup de travail et j’ai la chair de poule.
— Oui !
Me dépêcher ? Elle en avait des bonnes !
Mon cœur battait à tout rompre, cette fois je ne pus m’empêcher de toucher sa peau tiède. Le contact avec mes doigts froids la fit tressaillir plusieurs fois.
— Je m’excuse…
— C’est bon, continue. À l’avenir, essaye de réchauffer un peu tes doigts avant de me toucher.
— Oui !
Pendant que je finissais de faire glisser sa robe de nuit sur sa peau douce et soyeuse, pour détourner mon attention de ma tâche, je lui demandais :
— Si je peux me permettre… Pourquoi ces miroirs au plafond ? N’est-ce pas un peu gênant pour les reflets de la lumière.
* Clac *
L’agrafe de son soutien-gorge produisit ce bruit alors qu’il s’ouvrit.
Syrle se retourna pour me faire face et me répondre au moment où ce dernier glissa au sol et me permit de voir pleinement sa poitrine.
Énorme !! Elle n’était pas aussi imposante que celle de Tyesphaine mais elle ne jouait clairement pas dans ma catégorie !
— Ma culotte. On ne va pas y passer la journée.
Je m’inclinai en faisant passer mes doigts sous les élastiques, essayant de regarder le moins possible ; je la fis glisser le long de ses jambes.
Elle leva un pied puis l’autre pour que je lui enfile celle que j’avais apportée ; c’était un ensemble vert clair.
C’était gênant ! Voir mes amies dans le bain était une chose, voir une inconnue dans sa tenue d’Eve en était une autre !
— C’est pour éviter les assassinats, me répondit-elle. La garde-robe fait partie des endroits où on a tendance à baisser sa garde.
— Vous… C’est déjà arrivé ?
— Qu’on cherche à m’assassiner ici ? Non. Mais, comme toutes les personnes influentes on a cherché à m’éliminer, c’est un fait.
J’apprenais déjà quelque chose d’important concernant les ordres de magie. À moins que ce ne fût en sa qualité de noble qu’elle avait été visée, il y avait de fortes probabilités que les magiciens aient une implication politique dans cette ville.
— Mon sein gauche est mal placé. Remonte-le un peu.
Je fus ramenée à la réalité par cet ordre. Je venais de lui mettre son soutien-gorge à lacet qui se refermait devant, mais manifestement la baleine n’était pas passée correctement sous le sein.
En plissant les yeux et en dégoulinant, je glissai la main dans le soutien-gorge pour ajuster son contenu. C’était lourd ! Rien à voir avec les miens ! C’était donc ça d’en avoir des gros ?
— Tu es gênée on dirait.
— Oui…
J’avais répondu sans réfléchir. Qu’attendait-elle comme réponse en réalité ?
— Ça viendra. Je pensais que tu aurais un peu d’expérience avec tes grandes sœurs, mais vous devez être pudiques.
C’était normal de se toucher comme ça entre sœurs ?!
Dans aucune des deux vies je n’en avais eu, j’ignorais une telle chose !
Après ce début des plus embarrassant, finir de l’habiller fut un jeu d’enfant. Enfin, c’est ce que j’aurais aimé dire, mais sa robe était très compliquée à enfiler et à refermer. Il y avait un système de corset intérieur à ajuster, des volants, des rubans et tout ça.
Je laissais ma pudeur de côté face à cette tâche herculéenne qu’était de lui mettre cette robe. Et finalement, lorsque j’eus fini…
— Je suis pas d’humeur à corset aujourd’hui. Il va me gêner dans mon travail. Retire-moi ça et prenons une robe plus simple. Rayonnage D, compartiment 8.
J’avais envie de hurler : « Hein ? ». Mais je me retins et j’allais prendre sa robe plus simple. Bien sûr, puisqu’il faisait froid, il valait mieux ranger la première robe après lui avoir mis la nouvelle.
J’ignorais combien de temps nous avions passé dans la garde-robe, mais à notre retour Syrle s’installa dans la salle à manger où elle se mit à consulter un livre.
Epuisée mentalement, j’eus ordre d’aider mes sœurs avec le ménage du salon en attendant le repas. Mais en entrant, je m’aperçus qu’elles n’avaient presque rien fait.
— Vous… n’avez pas commencé ?
Tyesphaine baissa le regard et s’excusa. Naeviah croisa les bras en rougissant légèrement :
— Nous allions le faire… c’est juste que nous étudions le terrain avant. Il ne faut pas se hâter et faire des bêtises.
A l’expression gênée de Tyesphaine, je compris qu’elles n’avaient jamais fait le ménage et ne savaient pas comment faire.
— Pourquoi je dois faire double travail ? me dis-je intérieurement en pleurant…
***
C’est en retard que nous avions fini le nettoyage du salon. Aussi, notre déjeuné le fut également.
Tandis que Mysty servait à Syrle les bons petits plats qu’elle avait préparé (avec toute la classe d’un majordome de restaurant de luxe… enfin, c’était ainsi dans mon imagination, j’avais faim et je divaguais), nous finîmes notre devoir.
Mes deux amies étaient nulles pour le ménage ! Elles ne savaient pas dépoussiérer, ne savaient pas passer le balais et encore moins la serpillière. Si nous n’avions pas été si proches de la salle à manger, j’aurais pu tricher en utilisant ma magie, mais c’était trop risqué avec Syrle à proximité.
Nous pûmes rapidement nous restaurer en cuisine après le repas de la maîtresse de maison. Suite à quoi, elle nous donna les consignes pour l’après-midi : entretien du jardin, nettoyage de la salle de bain, puis d’un bureau à l’étage et il fallait également aller puiser l’eau dans le puits pour remplir les réserves de la maison.
Syrle s’isola dans le salon en nous interdisant de la déranger.
— J’ai de la fastidieuse paperasse à finir. Je compte sur vous pour me masser les épaules quand j’aurais fini.
Ces paroles sonnèrent plus dangereusement dans ma tête que dans celles de mes amies. Ces dernières jetèrent un petit coup d’œil à Mysty et à ses mains érogènes… oui, difficile de les qualifier autrement, considérant les cris qui échappaient de toutes celles qu’elle avait massé.
Je n’avais pas essayé et je préférais éviter en me basant sur les expériences passées (Naeviah avait sûrement le même point de vue).
Nous nous répartîmes les tâches entre nous.
Naeviah irait chercher l’eau du puits. C’était certes un travail plutôt physique, mais elle n’y connaissait rien aux plantes, seule, elle était capable de commettre des désastres.
— Mis à part l’entretien des tombes, je connais pas tous ces trucs. Je m’occupe de l’eau, avait-elle dit en détournant le regard.
J’avais présumé qu’elle avait eu simplement honte de ne pas être plus utile mais, en y repensant, elle ourdissait certainement à ce moment-là sa fourberie : utiliser sa magie pour créer de l’eau et se dispenser des aller-retours jusqu’au puits.
Mysty s’occuperait du jardinage. Elle avait affirmé avoir déjà fait des trucs du genre par le passé pour aider à l’accueil des clients de son caravansérail. Naeviah irait la rejoindre une fois sa tâche accomplie.
De notre côté, Tyesphaine et moi allions nous occuper du nettoyage de la salle de bain et du bureau. Contrairement à ma noble compagnonne, j’avais été une personne normale dans mon ancienne vie, j’avais forcément appris à faire le ménage. Il n’y avait que les aristocrates pour payer des gens pour le faire à leur place.
Un autre élément avait guidé cette répartition des tâches : nos tenues. Celle de Tyesphaine était chaude mais laissait pas mal de courant d’air entrer. La mienne était vraiment froide. Il valait mieux que nous travaillions à l’intérieur où il faisait plus chaud.
Je proposai donc à Tyesphaine de commencer par la salle de bain.
C’était avec des balais, des seaux et des éponges que nous y entrâmes…
Ce n’était pas une salle de bain : c’était une piscine !!
La salle entière était recouverte de petite briquette blanche et bleu. Le mur en face de l’entrée accueillait une large fenêtre aux verres dépolis qui filtraient la lumière et bloquaient la vue. Il y avait un lavabo que je détectais immédiatement comme magique. Une immense baignoire à pied, magique également. Et il y avait nombre d’accessoires dont du maquillage, des bijoux, des serviettes…
En soi, elle me rappelait une salle de bain de mon époque plus que de ce monde-ci. Elle était de style européen, il n’y avait pas d’évacuation dans la salle pour se doucher avant d’entrer dans la baignoire.
Depuis que j’avais restauré mes souvenirs, je m’étais toujours lavée dans des étangs, rivières ou tonneaux, c’était la seconde fois que je voyais quelque chose qui me rappelait mon passé (l’autre salle de bain, encore plus proche par ailleurs, avait été celle du géant arcanique).
Sans avoir besoin d’analyser poussée, je supposais que l’enchantement du robinet créait de l’eau chaude. Mais dans ce cas, pourquoi avoir demandé à Naeviah d’en récupérer dans le puits ?
— C’est luxueux, dis-je. Elle était comme ça la tienne aussi ?
Je chuchotais ma question.
— Elle était même plus grande…, me répondit Tyesphaine en parlant encore plus bas.
Je souris poliment en me rendant compte que nous n’avions pas vécu dans le même monde.
Cette baignoire devait mesurer plus de deux mètres de long, j’exagérais en parlant de piscine, mais habituée à celles étroite du Japon…
— Au travail, Ty… Tinalina !
— Euh oui… Katelina…
En entendant nos faux prénoms aussi semblables les uns des autres, je me rendis compte que j’avais peut-être abusé, heureusement Syrle paraissait n’y avoir vu que du feu.
— Commençons par la baignoire !
Je ne pus m’empêcher de remarquer la présence dans cette salle également de statues de la taille d’un humain. Elles avaient tout l’air d’être des décorations avec leurs styles un peu gréco-romain, mais j’étais de plus en plus sûre qu’elles avaient un autre but. Il en y avait tout simplement trop dans ce manoir pour ne pas les trouver suspectes.
J’expliquais à Tyesphaine comment la nettoyer. Ce n’était pas bien compliqué, il suffisait d’utiliser l’éponge et de frotter avec des mouvements circulaires. D’autant qu’elle n’était pas si sale. Un simple passage suffirait.
Pour ne pas laisser tomber le moindre de nos cheveux, nous les attachâmes en arrière en chignon (en fait, j’enroulais mes twintails pour former deux macarons de chaque côté de la tête, je refusais de me séparer de mes précieuses couettes).
Rapidement, en levant les yeux involontairement alors que nous frottions, je vis la poitrine de Tyesphaine sortir… non bondir littéralement de son corset alors qu’elle se pencha en avant.
— Kyaaaaaa !!!
Elle paniqua et tenta de la couvrir de ses mains.
En cherchant à couvrir sa nudité, elle lâcha son éponge et le savon qu’elle tenait entre ses mains. Ce dernier tomba dans la baignoire et glissa de mon côté. En effet, nous l’avions partagée en deux, chacune s’occupant de sa moitié. Pour sa part, ’éponge imbibée d’eau tomba d’abord sur la tête de Tyesphaine, puis glissa sur sa poitrine.
Devant mes yeux, elle sursauta de surprise (et peut-être aussi à cause de l’eau froide) : ses mains quittant leurs positions, ses seins rebondirent à nouveau, tandis que Tyesphaine recula, paniquée. Ce faisant, son pied entra dans le seau qu’elle avait posé derrière elle et elle tomba en arrière sur un tapis.
Je n’eus même pas le temps de réagir qu’elle s’était étalée devant mes yeux abasourdis. J’avais toujours pensé ces scènes de chute être le propre des fictions, mais je venais d’avoir (la chance) d’en voir une en réalité.
Lorsque je m’approchai de Tyesphaine, elle était couchée sur le dos, les bras écartés, les yeux en spirales. Sa poitrine était évidemment parfaitement exposée, de même que sa jupe, déjà bien courte, qui s’était relevée et dévoilait sa culotte rose.
Accessoirement, le bas de son corps était trempé, le seau s’était en partie renversé sur elle.
— Si Naeviah entre ici, elle va me ficeler et plus jamais me détacher…, ne pus-je m’empêcher de marmonner.
Je remarquais aussitôt que j’avais donné un prénom que je n’aurais pas dû. Si les statues pouvaient réellement nous écouter, je venais de commettre une erreur.
Je me repris. J’avais beau être extrêmement embarrassée par ce spectacle, Tyesphaine était très timide, elle s’était toujours débrouillée pour ne pas se montrer nue devant nous. C’était donc la première que je pouvais l’observer aussi dévoilée.
Les jambes écartées, les bras en croix, elle était dans une position d’extrême vulnérabilité qui appelait à la perversion. Bien sûr, l’idée ne me traversa pas l’esprit, c’était mon amie, mais je ne pus m’empêcher de le remarquer.
Fiali aurait pu réagir de manière gênée, mais Katelina était la petite sœur, elle ne pouvait pas l’être. Syrle m’avait déjà fait remarqué que c’était étrange que je n’aie pas l’expérience des poitrines de mes grandes sœurs.
Aussi, je tentai de préserver mon rôle et prit une serviette.
— Ce que tu es maladroite, Tinalina !
Je m’approchai d’elle pour lui tapoter la joue. Mais, à peine Tyesphaine reprit-elle ses esprits qu’elle recula comme un petit animal en détresse.
Jetant un coup d’œil aux statues, je fis signe à Tyesphaine de se taire. Je craignais qu’elle hurlât.
Je lui lançai la serviette sur la tête et lui chuchotais discrètement :
— Je sais que c’est embarrassant, mais Syrle peut nous voir par les statues… Agis comme ma grande sœur qui n’est pas embarrassée.
Tyesphaine déglutit. Elle se montra docile mais je savais que sous la serviette elle devait bouillonner.
— Remets donc tes seins dans le corset, je vais essuyer tes jambes et tes cheveux.
Ses cheveux étaient en effet mouillés à cause de l’éponge, mais c’était surtout ses jambes qui dégoulinaient.
J’agitais la serviette sur sa tête pour absorber l’eau et lui dit discrètement :
— Je ne ferais rien de mal. Reprends-toi, s’il te plaît.
Sous le choc, elle ne bougeait plus. Elle ne cachait même pas son torse. Mon rappel à l’ordre la fit réagir.
— Oui… je… suis désolée… Katelina… Quelle grande sœur… inutile…
— Allons, ne dis pas ça, Tinalina. Tu sais bien que je t’aime à la folie ! Tu es ma grande sœur !
Mes paroles ne l’apaisèrent pas réellement. Je pus apercevoir son visage sous la couverture, elle bouillonnait, grimaçait et manquait de pleurer.
Je soupirais intérieurement. Je n’aurais jamais pensé que la faille de notre plan était simplement nos compagnonnes issues de la noblesse. Et j’avais encore moins pensé tomber dans une telle situation.
— Cache ta poitrine, tu vas attraper froid. Je ne vais pas tout faire toute seule, non ?
Elle ne réagit pas de suite, elle était pétrifiée.
— Garde la serviette sur la tête encore un peu. Je vais m’occuper de tes jambes.
J’en pris une autre et m’approchais de ses jambes. Je n’avais jamais constaté à quel point elles étaient plus charnues que les miennes. Tyesphaine n’avait pas de surpoids mais la physionomie des elfes étaient vraiment plus fine.
Sûrement parce qu’elle avait un entraînement martial, ses mollets et ses cuisses cachaient sous cette peau délicate une certaine musculature.
Dans un des miroirs, je vis mon visage rouge alors que je saisis sa cheville. Je ne pouvais pas contrôler ma coloration mais je pouvais au moins tourner le dos aux statues.
Tyesphaine était tellement sous le choc qu’elle n’opposait aucune résistance. Je commençai par lui retirer sa chaussette, nous avions déjà retirés nos chaussures à l’entrée, puisque la pièce était pleine de tapis.
Ses pieds étaient si délicats ! Bien sûr, puisqu’elle était grande, ils étaient proportionnés à sa taille, mais leur forme était beaucoup plus élégante que ce qu’on aurait pu penser d’une guerrière portant bottes et solerets toute la journée. La vue que j’avais sur la longueur de sa jambe me coupa momentanément le souffle.
— C’est des jambes sculptées par une déesse ou quoi ?!
En soi, ce n’était même pas une idée si saugrenue. Je voyais bien une des déesses tirer comme caractéristiques : « belles jambes en chair ». Les dieux et leur humour douteux, je les connaissais que trop bien.
Je l’essuyai, puis fit de même avec l’autre. J’avais l’impression de manipuler une poupée si ce n’était que je sentais à chaque contact des tremblements.
Je répétais à basse voix :
— Je ne ferais rien de mal, promis. Dépêche-toi de remettre ta poitrine et de retirer ta culotte. Je vais te laisser un peu de temps.
Sa culotte était trempée. Rester dedans devait être tout sauf confortable. Autant je pouvais l’aider à retirer ses chaussettes et sa jupe, je n’avais envie de le faire pour sa culotte…
— Je vais mettre tes chaussettes à sécher, Tinalina.
Je m’éloignai pour lui laisser un peu de temps, espérant qu’elle le mettrait à contribution.
En rentrant j’avais repéré un étendoir, j’espérais ne pas commettre d’impair en y accrochant les chaussettes de Tyesphaine. En principe, les domestiques ne devaient pas accrocher leur linge dans le même endroit que leur maîtresse. En tout cas, si je me basais sur mes connaissances de la noblesse, je pensais que ces derniers ne voulaient pas partager avec les roturiers.
Au pire, nous les retirerions avant de quitter la pièce, après l’avoir nettoyée.
Je pris mon temps pour les accrocher, lentement. J’entendis Tyesphaine bouger. Ouf !
Elle s’approcha de moi, je me retournai.
— Tu vas mieux, Tina…
J’arrêtais ma phrase alors qu’elle me tendit d’une main sa culotte et de l’autre elle baissait sa jupe. Je compris qu’elle voulait que je m’occupasse de la laver, mais son attitude embarrassée à en mourir et ses cheveux roses défaits qui couvraient son visage faillirent me provoquer une attaque.
Je saisis la culotte presque machinalement, incapable de parler et à peine de penser.
— Je… vais en changer…
Elle quitta la salle de bain en remettant à la hâte ses chaussures. Je l’entendis s’éloigner dans le couloir.
Malgré toute ma bonne volonté, c’en était trop pour moi. Je me laissais tomber à terre et je cachais mon visage dans mes mains avant de remarquer la culotte en soie qui se frottait à mon visage. Je la jetais à terre et tentais de reprendre mon calme.
J’espérais sincèrement que les statues ne pouvaient pas voir tout cela.
***
Après le départ de Tyesphaine, qui mit vraiment beaucoup de temps à revenir, je m’occupai rapidement de la salle de bain.
Toute seule, je n’eus aucun mal à nettoyer cet endroit qui était déjà très propre. Je mis à sécher les tapis mouillés, les serviettes et les vêtements de Tyesphaine sur l’étendoir que je mis sur le petit balcon que je découvris derrière la fenêtre.
Suite à quoi, nous nous attaquâmes toutes les deux au bureau. Ce fut plus calme… enfin, je fis surtout semblant de ne rien voir.
La tenue de Tyesphaine était réellement indécente ! Ce n’était pas tant que je voulais imiter Naeviah à traiter tout le monde de pervers, mais… lorsqu’elle se baissait pour balayer, je voyais sa culotte. Si je me mettais face à elle, j’avais une vue dans le décolleté.
Comment avait été pensée cette tenue au juste ?! N’y avait-il réellement rien de moins pire dans la garde-robe des domestiques ?
Au fur et à mesure de la journée, ma propre tenue m’embarrassait de moins en moins, en comparaison à celle de mon amie. C’était au moins quelque chose de positif.
Le soir arriva.
J’étais épuisée aussi bien mentalement que physiquement. Je ne savais pas comment s’était passé l’après-midi pour Naeviah et Mysty, je comptais le leur demander cette nuit avant de nous coucher. Puis, il fallait que je leur parlasse des inclinaisons particulières de notre employeuse. Je sentais déjà venir les reproches de Naeviah, si j’avais été une personne plus maligne, j’aurais fait semblant de ne rien savoir pour m’épargner ces derniers. Mais je préférais malgré tout les avertir, on ne savait jamais.
Lorsque nous rejoignîmes Syrle, elle nous dit :
— Je sais que le bureau est grand, mais vous êtes un peu lentes.
— Désolée… Nous avons nettoyé derrière chaque recoin, dis-je pour nous justifier.
En effet, nous l’avions nettoyé de fond en comble, allant même jusqu’à déplacer les meubles pour nettoyer derrière.
— Je vais aller voir ça. En attendant, commencez à appareiller la table. Vos sœurs sont en cuisine.
— Oui ! répondit cette fois Tyesphaine.
Lorsqu’elle revint, nous avions presque fini. C’était sûrement une présentation indigne d’une noble, mais c’était la même que la veille au soir.
— Bon travail pour le bureau. Vous avez pris votre temps, mais il est plus neuf que jamais. Cela dit, je demandais quelque chose de plus sommaire, j’avais l’intention de vous laisser le temps de nettoyer vos chambres. J’aurais dû le préciser, c’est de ma faute.
Syrle acceptait de se donner la faute d’un ordre peu clair ? À quelque part, je ne pouvais m’empêcher de remarquer qu’elle n’était pas du tout tyrannique comme maîtresse de maison. Au contraire, nous avions fait plusieurs erreurs, mais elle n’avait fait aucun reproche.
— Qu’est-ce que vous faites ? nous demanda-t-elle.
— Nous disposons la table, répondit Tyesphaine. Elle… n’est pas assez bien ?
Elle ne l’était sûrement pas. J’avais souvenir des restaurants de luxe avec cinq couverts de chaque côté, trois verres et des décorations de partout. Cette table n’y ressemblait même pas lointainement.
J’avais essayé de faire une décoration en forme de fleur à mettre dans le verre, mais elle ressemblait plutôt à une œuvre abstraite, au final.
— Non, ce n’est pas ça. Qu’importe les décorations, manger est avant tout l’acte de se restaurer. Non, je voulais dire pourquoi n’avez-vous mis les couverts que pour une seule personne ?
— Madame, vous attendez des invités ? lui demandai-je.
— Je vois… Je ne compte pas manger seule. Je l’ai déjà fait à midi. Vous dînez avec moi. C’est un ordre !
Nous restâmes interdites. Manger avec ses domestiques ? Les nobles de ce monde le faisaient réellement ?
Considérant la réaction de Tyesphaine, je supposais avoir la bonne réponse.
— Vraiment ?
— Je n’aime pas me répéter, Tinalina. Je ne suis pas issue de la noblesse, je me fiche de ces convenances stupides. Je vous veux à ma table et qu’il en soit ainsi.
Je m’inclinai pour lui signifier à la fois mes remerciements et le fait que j’acceptais l’ordre. Tyesphaine m’imita (en lui offrant une belle vue).
Nous nous empressâmes de rajouter quatre couverts à la table et allâmes informer Naeviah et Mysty en cuisine de préparer cinq assiettes.
— Hein ? Elle veut manger avec nous ?
Naeviah fut tout aussi surprise que nous.
— C’est sympa de sa part. La plupart des aristo ne font pas ça.
— Oui, c’est… très rare ceux qui le font…, ajouta Tyesphaine.
— Juste ceux qui veulent de l’exotisme ou ceux qui veulent se moquer des valets. Voire pour ne pas avoir un chiffre porte-malheur à table, c’est déjà arrivé en l’absence de convives.
Le fameux chiffre 13, je supposais. La numérologie de mon ancien monde s’appliquait en grande partie ici. À croire qu’il y avait un fond de vérité universelle derrière l’occultisme et les religions. Les chiffres 4, 7 et 13 étaient importants dans la magie de ce monde également.
Par contre, ils l’étaient moins dans les superstitions populaires. Normal, puisque c’était les religions qui colportaient ces croyances et celles de ce monde étaient bien différentes.
La noblesse, qui était la part majoritaire des magiciens humains, était forcément plus versée dans la numérologie et autres pratiques occultes que les autres.
— Les ordres sont les ordres de toute manière, dit Naeviah. Faisons ce qu’elle demande.
Elle avait l’air réellement méfiante mais sincèrement je commençais à me faire un bon avis de Syrle.
Au repas : soupe, viande et quelques légumes en accompagnement. Je me demandais parfois où Mysty avait appris à cuisiner toute cette panoplie de recettes. La viande avait marinét dans une sauce à base de sa propre graisse, de champignons et d’épices qui lui donnait un goût réellement succulent.
Mysty avait même poussé jusqu’à pétrir son propre pain. Rien à voir avec les briques qui étaient servies dans les auberges bon marché, c’était un pain moelleux. Je pris note dans un coin de mon esprit qu’elle était capable de nous préparer du très bon pain.
Il y avait un peu de fromage et de charcuterie aussi en accompagnement et bien sûr quelques légumes.
— Succulent repas, un grand bravo à la chef, dit Syrle.
Sa voix n’était pas aussi enthousiaste que ses paroles, mais j’avais l’impression qu’elle le pensait réellement.
Elle mangea de tout, l’ensemble semblait convenir à son palais. Comme elle l’avait dit, elle n’était pas issue de la noblesse, c’était peut-être ce qui expliquait cette attitude magnanime naturelle.
— Vous… Vous faites partie de la guilde de magie ?
Je me hasardai à poser cette question même si j’en connaissais déjà la réponse. L’ambiance silencieuse était un peu pesante et j’avais eu l’impression à ses œillades qu’elle avait envie de parler.
Naeviah me jeta un regard noir plein de reproche mais l’effaça avant que Syrle ne put le voir.
— Oui, comme je l’ai dit lors de l’entretien, je suis connue sous le nom de la « Magicienne de Saphir ».
— Le saphir, c’est cette pierre précieuse bleue, non ?
Désolée Naeviah, je n’avais pas l’intention de couper court à la discussion.
— En effet. Je suppose que tu te demandes pourquoi le saphir justement ?
Je la scrutais pour chercher dans son allure une relation à cette pierre précieuse : ses yeux étaient bleus, c’était peut-être la raison. À moins que ce ne fut la bague que je remarquais soudain à son doigt. Elle avait une étoile en saphir incrustée…
Intérieurement, une sorte de réveil se mit à sonner. C’était l’objet que nous venions voler ! L’anneau correspondait parfaitement au croquis !
Avec toutes les émotions de la journée, j’avais oublié la raison de notre venue au manoir.
Elle remarqua mon regard et leva la main pour me montrer le bijou. Je ne pus m’empêcher de ressentir sa magie. À cette distance, il ne me paraissait pas si puissant, cela dit.
— Je n’avais pas cet anneau lorsqu’on me donna ce nom. La raison est plus triviale. Un des pontes de la guilde, un ami de mon mentor essayait de me séduire et avait un jour comparé mes yeux à cette pierre. Par ironie, je pris ce surnom.
— C’est vous qui l’avait choisi ?
— Oui. Il n’y a que deux façons d’avoir un surnom : se l’attribue ou le subir. J’ai préféré choisir le mien.
— Qu’est-il advenu de cette personne ? N’a-t-il pas été vexé ?
J’avais comme l’intuition qu’il y avait une histoire complexe liée à ce surnom. Quelque chose dans le ton de sa voix m’avait aiguillée là-dessus.
— Il est mort. Dans un duel de mage. Ce n’est pas une histoire joyeuse qui sied à une jeune fille de ton âge, Katelina.
Elle me sourit avec un air mystérieux qui me fit peur.
Au début du repas, j’avais commencé à me faire une opinion favorable d’elle. Jusqu’à cet instant encore, je pensais que les rumeurs étaient infondées et qu’elle était gentille. J’en étais toujours persuadée, mais une part de moi me disait qu’elle était sûrement plus dangereuse qu’elle n’y paraissait.
Une roturière qui vivait dans un tel palace ? Qui était magicienne ? N’était-ce pas un peu étrange ?
— Tu te demandes sûrement comment une roturière est devenue magicienne, non ? Au fond, c’est également ton cas, tu sais ?
— Oui… La magie se réveille aussi chez les roturiers. M’a-t-on expliqué…
— On ne t’a pas menti. La part de roturier avec de la magie est plus importante qu’on ne le pense. Mais la noblesse se targue bien de l’afficher. Ils veulent garder le monopole et mettent des bâtons dans les roues des roturiers qui pénètrent leur monde.
— Madame y compris ?
— Bien sûr. Je ne suis pas arrivée à cette place sans heurts. Un jour, tu seras sûrement confrontée aux mêmes problèmes si tu souhaites développer ton don.
— Moi ? Je ne saurais…
— Pourtant, je compte bien un jour t’inscrire dans la guilde.
— Vous n’y pensez pas, Madame ! rétorqua Naeviah. Notre sœur est un peu maladroite. Et son don est tellement insignifiant !
J’étais vexée ! Même si c’était de la comédie, traiter ma magie de la sorte était encore pire que m’insulter directement ! J’enfouis malgré tout cette rancœur en moi.
— Moi, j’pense qu’elle serait parfaite. J’serais fière de notre Katelina.
Même dans son rôle, Mysty restait Mysty. Je ne pus m’empêcher de lui sourire agréablement.
— Ce n’est pas à vous de décider pour votre sœur, Sadalina. L’adhésion à la guilde de magie outrepasse l’âge et la condition. Toute personne disposant de ce précieux don est en droit d’y adhérer. Tout du moins, dans la guilde des Astres.
— Ce n’est pas pareil partout dans le royaume ? demandai-je de plus en plus intriguée.
— À Hotzwald, les roturiers sont généralement acceptés. Rarement encouragés, mais on ne les refuse pas s’ils se présentent aux portes des guildes. Il y a bien quelques guildes exclusivement réservées aux nobles, mais elles sont minables de mon point de vue.
— Minable ? s’interrogea Naeviah.
— En terme de puissance. Elles n’ont pas de mages réellement puissants. Ces nobles se complaisent dans leur suffisance et ne développent jamais réellement leur art. Les roturiers se sentent chanceux d’avoir pu quitter leur modeste milieu, ils deviennent généralement plus puissants que les nobles, vous savez ? Dans les guildes mixtes, cette mise en compétition pousse ces derniers à ne pas se reposer sur leurs lauriers.
C’était logique.
— Vous êtes donc puissante, Madame ? lui demandai-je en toute innocence.
Je doutais qu’elle y répondrait honnêtement, mais son attitude me donnerait un indice. Je traquais la moindre de ses réactions.
Elle sourit :
— Cela se peut. En tout cas, il me plairait avoir une disciple de ton âge. Une novice roturière et femme de surcroît au milieu de tous ces vieux mages, voilà qui redistribuerait les cartes. Si tu es intéressée, je t’évaluerai et t’introduirai en bonnes et dues formes.
— Mille merci, Madame !
Je m’inclinai pour la remercier.
Elle était puissante, j’en étais sûre. Néanmoins, je l’étais également. Me prétendre puissante n’était pas immodeste, juste une réalité.
Mais l’était-elle plus puissante que moi, telle était la question ?
Mon orgueil de mage de destruction bouillonnait dans mes veines, mais je n’aurais pas de réponse pour l’heure.
— Il se fait tard, dit Syrle. Je vais me retirer dans mes appartements. Le repas fut succulent. J’espère que le petit-déjeuner sera de même niveau.
— Bien sûr ! répondit simplement Mysty.
Elle se leva :
— Débarrassez la table, allumez le feu comme je vous l’ai dit ce matin et j’aimerais que l’une d’entre vous fasse le tour du domaine pour être sûre qu’il n’y ait pas d’intrus. Puis, vous fermerez toutes les portes à clef.
— Entendu ! dit Tyesphaine.
— Ah ? J’allais oublier. Katelina, comme j’en ai parlé ce matin, tu vas m’aider à me déshabiller et me coiffer pour aller au lit. Tu pourras aider tes sœurs dans un second temps.
Je crus entendre les pensées de Naeviah qui me criaient dessus : « Déshabiller ? Perverse !!! », mais elle ne dit mot. Son regard était cependant sans équivoque.
— Oui, Madame !
— Lorsque vous aurez fini, vous pourrez vaquer à vos occupations dans vos quartiers. Si j’ai besoin de vous, vous entendrez la sonnette.
Je quittais mes « sœurs » et suivit Syrle.
Ma tête était pleine d’interrogations. Son discours sur la guilde de magie m’avait enthousiasmée. J’aurais bien voulu visiter et me rendre compte par moi-même si leur enseignement pouvait m’apporter de nouvelles connaissances et pouvoirs.
Il y avait cependant trois obstacles : ma quête, mes amies et ma nature.
Vivre dans une guilde reviendrait à abandonner l’aventure : je ne pouvais plus me le permettre. Les filles avaient accepté de me suivre dans celle-ci, je n’allais pas leur dire de tout arrêter pour satisfaire ma soif de pouvoir et de connaissances.
Puis, les non-humains étaient-ils acceptés ? J’avais peur de finir dans un donjon à me faire disséquer, honnêtement…
C’est en pensant à tout cela que je délaçai la robe et la fit glisser sur le corps séduisant de Syrle.
— Inutile de changer mes sous-vêtements, nous le ferons demain matin.
— Oui, Madame.
Suivant ses indications, j’allais chercher la robe de nuit, différente de celle du matin et je la mis sur son corps.
— On dirait que tu t’habitues déjà.
— Oui…
Après ce que j’avais vécu l’après-midi, c’était bien peu de choses.
Une fois sa robe de nuit revêtue, elle s’assit et me demanda de lui coiffer les cheveux.
— Lorsqu’ils seront démêlés, tu me feras une natte.
— Entendu.
— Puis tu viendras m’accompagner dans mon lit.
— Entend… Hein ?
— Je ne l’ai pas dit devant tes sœurs, mais pour obtenir une recommandation à la guilde, il faut bien passer par là. Tu ne pensais pas que je serais ta bienfaitrice gratuitement, si ?
Je frissonnai alors qu’elle se tourna vers moi. Dans le miroir, j’avais l’aspect d’un petit chiot apeuré avec ma brosse entre les doigts.
— Je…
— Ce n’est pas grand-chose, je t’assure. En plus, je t’assure que je suis bien plus belle et agréable que les vieux barbus et les nobles à deux sous de la Guilde. Ma recommandation les tiendra à distance…
Elle posa sa main sur ma cuisse et la caressa.
C’était une perverse !!! Cette fois j’avais ma confirmation !!
Pourquoi moi ?
En y repensant, pendant le repas elle avait reluqué l’air de rien de nombreuses fois les poitrines de Mysty et de Tyesphaine. J’étais prévenue et je n’avais pas réalisé pourtant !
Je déglutis en me demandant si l’aura dakimakura marchait sur tout le monde réellement. Et si elle était sans effet sur les pratiquants de magie noire ? Ou bien, était-elle atténuée par la forte volonté des cibles ?
— Et si je t’ordonnais de te déshabiller, là, tout de suite ?
— Il… fait froid Madame.
Quelle excuse nulle !!! Fiali, réveille-toi ! Elle va juste te proposer de te réchauffer avec son corps !
Elle se mit à rire à gorge déployée. C’était la première fois que je la voyais se comporter ainsi, elle était toujours si mesurée.
— Je plaisantais. Haha ! Quel sens de la réparti, j’aime beaucoup.
Je l’observais éberluée.
— Mais tu devrais sérieusement t’y préparer. Une si belle jeune fille… Si tu entres dans ce milieu principalement masculin, je doute sincèrement que tu ne recevrais aucune avance. Enfin bref, coiffe-moi, tu veux ? J’ai de la lecture qui m’attend.
— Oui, bien sûr, Madame !
J’étais d’un coup moins convaincue par la guilde de magie. Et j’avais réellement de plus en plus peur de Syrle.
C’est sans demander mon reste qu’une fois acquittée de mes tâches, je la quittai devant sa chambre et m’empressais de rejoindre mes soi-disant sœurs.