Isekai Dakimakura – Arc 4 – Chapitre 5

Normalement, nous avions un peu de temps libre avant de nous coucher mais lorsque je rejoignis mes amies, elles n’avaient pas encore achevés leurs tâches ; Naeviah et Tyesphaine n’étaient vraiment pas efficaces.

Après nous avoir regroupées dans une de nos chambres, je scrutais les moindres recoins à la recherche d’un capteur magique d’écoute ou d’un quelconque dispositif d’espionnage. Sous les lits, dans les placards, au plafond, même dans le couloir.

Au début, mes amies ne comprenaient pas ce que je faisais, mais rapidement Naeviah fit signe à Mysty et Tyesphaine de ne pas bouger. Après quelques dizaines de minutes d’inspection, je conclus qu’il n’y avait aucun dispositif magique à l’œuvre, nous pouvions donc parler librement.

Bien sûr, je n’étais pas infaillible, mais il nous fallait établir un plan d’action et mettre en commun nos observations. C’était un risque que nous devions prendre.

— Je déclare la réunion stratégique ouverte, dit Naeviah.

— C’est pas à la grande sœur de faire ce genre d’annonce ? me moquai-je.

Naeviah plissa les yeux pour me faire comprendre qu’elle n’appréciait guère ce genre d’ironie.

— Notre objectif…, dit timidement Tyesphaine.

Nous étions habillée en robe de nuit pour être crédibles, notre pauvre amie n’était pas encore totalement remise des émotions de la journée, elle se cachait derrière un coussin qu’elle enlaçait fermement.

— Elle l’a au doigt, répondit Mysty. Enfin, si j’me plante pas c’est la même bague que sur le croquis. Elle a aussi une étoile en saphir.

Bien sûr, une fille de marchand n’avait pas manqué ce détail au cours de notre repas.

— À ce propos, bravo, Fiali ! Très belle improvisation ! dit Naeviah en applaudissant avec sarcasme. Tu vas faire quoi si elle décide de réellement t’amener à la guilde de magie ?

— Du calme, Naeviah, nous finirons avec cette affaire avant… Mais je nous encourage à en finir prestement : Syrle est une personne dangereuse à bien des égards…

J’avais captivé l’attention des filles qui me fixaient d’un air interrogateur. Je toussotai.

— C’est une perverse.

Étonnamment, ma déclaration ne produisit pas l’effet escompté. Avais-je été trop brusque ? Pas assez convaincante ? Mes amies n’eurent aucune réaction de surprise.

— Tu parles de toi, c’est ça ? demanda Naeviah.

— Non, je parle d’elle ! J’ai entendu des rumeurs à l’auberge. Puis, vous avez remarqué les tenues qu’elle nous oblige à porter ?

— C’est vrai que les nichons de Tyes débordaient. Hahaha !

Aucun tact ! Tyesphaine cacha son visage rouge comme une tomate derrière un coussin, tout en grommelant quelque chose que seule moi put entendre. Je décidai de le retransmettre en différé :

— Elle dit que c’est difficile d’avoir des vêtements à sa taille… Eh oh ! Arrête, Tyesphaine, ne prends pas sa défense ! Même si on met de côté le corset qui de toute manière fait remonter les seins…

Enfin, chez celles qui en ont… mais je tus cette remarque qu’elles se faisaient sûrement dans leurs têtes également.

— … c’est quoi cette jupe super courte au juste ? D’ailleurs quel intérêt d’avoir des tenues de maid si différentes ? Si c’est pour travailler, il aurait été plus logique d’en avoir qu’un seul modèle à différentes tailles, non ?

— Maid ? releva Naeviah.

— Soubrette. C’est de l’elfique.

Une fois encore, de l’elfique japonais… enfin anglais à la base, même si le terme était entré dans la langue japonaise. Mais là n’était pas la question.

— Bah, elle a peut-et’ des penchants pour les filles, non ? Après, est-ce que c’est si mal que ça ? Si j’étais à sa place, j’donnerais même pas de costume, toute à poil. Hahaha !

Naeviah et moi grimacions suite à la remarque de Mysty. Elle n’avait jamais vraiment caché le fait qu’elle aimait les jolies filles, mais aurait-elle réellement fait quelque chose d’aussi cruel ?

Probablement que nous préférions ne pas connaître la réponse.

— J’admets que c’est pas très logique, reprit Naeviah en ignorant Mysty. Cela dit, la majorité des tenues étaient normales, comme celle que je porte. C’est juste que vous avez des proportions inadaptées, c’est tout.

— Inadaptées ? Tu veux dire que tu es faite pour être une soubrette ?

— Tu veux mon pied dans la figure ?

Je venais de la vexer. Elle ne le ferait sûrement pas —merci l’aura dakimakura—, mais je regrettais un peu ma plaisanterie.

— Bon, admettons… Même si je trouve ça étrange de ne pas penser à une fille de ma stature ; je ne suis pas si petite que ça… En ville, pas mal de filles ont ma taille.

— Mumumu…

— Tyesphaine dit que ma taille n’a rien d’anormale. Merci Tyesphaine !

— On t’aime toutes tellement : t’es trop choupi !

Mysty ne se gêna pas pour venir m’enlacer puis poser sa poitrine sur ma tête. J’étais assise sur le lit, elle se tint debout derrière moi. Sans m’en préoccuper, je poursuivis la réunion stratégique.

— En plus, tout à l’heure, elle… elle a tenté de me faire des choses.

— Ooooohhh !

L’exclamation qui s’éleva dans mon dos ne paraissait pas très compatissante, mais plutôt curieuse. Ne voyant pas de réaction sur le visage de Naeviah et n’entendant pas de remarque du côté de Tyesphaine, je leur racontais ce qu’elle m’avait dit sur la guilde et ce qu’elle avait fait.

— Et c’est pour ça que tu dis qu’elle est perverse ?

— Enfin, elle a bien reluqué Mysty et Tyesphaine pendant le repas aussi…

J’étais un peu en colère qu’on ne me crut pas sur parole, aussi j’apportai un autre élément qui produisit son effet : je vis les pieds de Tyesphaine, assise sur l’autre lit, s’agiter pour exprimer son embarras. J’aurais préféré ne pas le lui faire remarquer, mais face à cette incrédulité…

— Héhé ! J’lui en veux pas, les yeux sont faits pour voir. Puis, moi aussi je matais Tyes. J’me demandais si elle faisait tomber des miettes de pain dedans.

— Mumumu…

— Elle dit que c’était le cas. Le décolleté était vraiment trop large… Vraiment ?! m’écriai-je.

Je me sentais une fois de plus contente de ma poitrine. Je n’aurais pas aimé que mon soutien-gorge devienne un garde-manger.

— Pour le coup, je rejoins un peu Mysty. Difficile de ne pas jeter des coups d’œil…

Pourquoi refusaient-elles de me croire ?

— Et le coup de la guilde, c’est plutôt gentil de sa part de t’avoir prévenu, continua Naeviah. J’ai bien vu ton regard s’enflammer lorsqu’elle en parlait.

— Le tien aussi, d’ailleurs.

J’avais remarqué un grand intérêt chez Naeviah pour la magie et la guilde, ainsi qu’une pointe de jalousie à mon égard aussi.

— Tsss ! Je t’en pose des questions !

Elle croisa les bras et détourna le regard. Mais, après quelques instants de silence, elle finit par expliquer :

— Quand… quand je suis partie de chez moi, j’ai voulu entrer dans une guilde de magie. Petite, on n’arrêtait pas de me considérer comme une enfant maudite à cause de mes yeux. J’avais nourri l’espoir d’être une détentrice du don… mais il s’avère que ce n’est pas le cas. Voilà, vous savez tout ! J’ai choisi la carrière de prêtresse en second choix. C’est normal que ça m’intrigue.

— Je ne savais pas tout ça…

En même temps, Naeviah n’avait jamais parlé de son passé. Nous connaissions un peu celui de Tyesphaine, de Mysty et du mien également (même si j’étais loin d’avoir tout dit), mais elle s’était toujours abstenue de révéler le sien.

— Pourquoi j’en aurais parlé ?

— J’ai du mal à te voir en mage, dit Mysty. J’veux dire t’as vraiment l’air d’une prêtresse.

— Je suis une prêtresse, idiote !

Mysty ne se défendit pas, elle se mit à rire à gorge déployée ce qui fit rebondir ses seins sur ma tête. À la longue, il y avait le risque qu’elle finisse par m’assommer, j’en étais convaincue.

— Mumumu…

— Tyesphaine dit de ne pas déprimer, le don de magie est rare. Elle a aussi passé les tests mais ne l’a pas non plus. Il y a des tests pour ça ?

— Chez les nobles, c’est une pratique courante, expliqua Naeviah. Par tradition, on fait venir un mage de guilde lorsque l’enfant atteint ses sept ans. Il utilise une sorte de gros cristal pour déterminer s’il y a une trace de magie. Et me pose pas de question comment fonctionne cet objet magique, j’en ai aucune idée.

Elle m’avait devancé.

— Et toi, Mysty, tu as fait l’essai ?

— Jamais ! Eh eh ! Si ça se trouve, j’ai le don aussi ! J’pourrais devenir ta sœur de magie, ce serait tellement classe !

— En effet, ce serait rigolo…

Le regard de Naeviah me laissa percevoir une pointe de tristesse. Manifestement, la plaisanterie de Mysty avait ravivé des mauvais souvenirs.

— La magie cléricale est cool aussi, dis-je pour la rassurer. Je ne vois pas trop lieu de tellement aduler la magie noire, tu lances des rayons destructeurs et en plus tu sais soigner !

Naeviah se reprit aussitôt.

— Bien sûr qu’on a rien à envier à de stupides magiciens comme toi ! En plus, la magie d’Uradan est plus offensive que des autres cultes, elle offre un excellent équilibre entre capacité offensive et curative ! Je ne perds en rien face à toi !

Elle avait regagné sa confiance habituelle. Je décidai de ne pas la remettre en question et de revenir au sujet de départ.

— Donc, vous ne voulez pas me croire quand je vous dis qu’elle est perverse et dangereuse ?

— Moi j’te crois ! Mais, au fond, tout le monde est pervers, non ? Y a vraiment quelqu’un qui reste indifférent en voyant de beaux seins ou un joli cul ?

— Toi t’es un cas à part, je veux pas t’entendre.

— Héhéhé !

— C’était pas un compliment !!

Pendant que j’écoutais Naeviah crier sur Mysty, je m’interrogeais. Les pulsions sexuelles qu’on le voulût ou non étaient présentes chez tous les êtres vivants. Ce qu’on désignait en tant que perversion était un dérèglement soit par la fréquence et l’intensité soit par son expression.

Est-ce que Syrle pouvait être considérée réellement comme telle sur la base de cette définition ?

Elle n’avait pas fait preuve d’un appétit incroyable, donc le facteur d’intensité était à exclure. Quant au critère basé sur la fréquence, il était impossible à estimer, elle seule pouvait connaître cette information. Enfin, l’expression de son désir était homosexuelle, ce qui pouvait être considéré comme une perversion dans nombreuses cultures, mais j’étais fermement opposée à cette vision.

Tout ce que je pouvais au final lui reprocher était un certain franc-parler et un fétichisme pour les tenues de maid. Sur cette base, j’avais connu énormément de pervers dans mon ancien monde…

À force d’entendre à tort Naeviah me traiter de perverse, j’avais fini par trop élargir l’application du terme, je m’en rendais compte à cet instant. À la réflexion, Syrle était plutôt normale, mes accusations étaient infondées.

Moins convaincue, je décidai de ne pas m’acharner à les convaincre. Je les avais prévenue, en un sens.

— Et vous, comment s’est passé votre après-midi ?

Mysty leva les yeux en l’air pour s’en souvenir, tout en posant son index au coin de sa bouche. C’était une expression vraiment adorable !

— Écoute… Naeviah a rempli la citerne de flotte en la créant avec sa magie…

— Tssss ! Je t’avais dit de garder le secret !!

— Pas envers Fiali et Tyes, si ?

— Et à qui pensais-tu que je voulais le cacher au juste ?!

Je mis ma main devant la bouche en plissant les yeux avec fourberie pour me moquer de Naeviah. Elle rougit immédiatement et me pointa du doigt :

— Je veux rien entendre de ta part ! Tu allumes le feu à la magie !

— Je n’ai rien dit. Fufufu !

— Oh ? Fiali est en mode taquin ? J’ai pas vu ça souvent… J’t’aime bien comme ça, t’es marrante ! Haha !

Mysty se mit à jouer avec mes joues avant de me faire un câlin. Mon air taquin parut de suite moins crédible.

— Quoi qu’il en soit, j’ai aidé Mysty avec ses plantes toute l’après-midi.

— Et t’as réussi à te blesser avec les roses. Heureusement que t’as ta magie. Haha !

— Mais tu vas arrêter de me trahir, toi ?!

Elle jeta son oreiller sur Mysty qui n’eut pas besoin de l’esquiver puisqu’il s’écrasa sur mon visage. Je restais de marbre, je savais que c’était comme cela que commençaient les batailles de polochon en général.

Naeviah, qui n’avait pas plus envie que moi d’alimenter le feu de la guerre, reprit le coussin l’air de rien et poursuivit :

— Mysty a été rappelée un peu avant moi. Elle devait lui faire des massages et lorsqu’elle les aurait finis, nous devions passer en cuisine toutes les deux.

— Et, comment a-t-elle réagi au massage ? Elle a hurlé ? Elle a crié ?

— Nope. Elle a juste un peu gémi par moment, rien à voir avec Tyes.

Le pouvoir de Mysty avait disparu ou alors n’était-elle pas sensible au massage ?

— Juste pour vérifier un truc… Tu peux juste commencer à me masser les épaules ?

— Si tu veux.

Au début, je grimaçais. Elle ne me faisait pas mal, c’était simplement que c’était des endroits de mon anatomie qu’on ne touchait pas en principe et que cela me gênait un peu.

Mais il lui fallut à peine quelques instants pour attendrir mes muscles et commencer à toucher les nerfs. Immédiatement, des courants électriques et des bouffées de chaleur m’envahirent à mesure qu’un plaisir intense se propagea en moi.

Comme je l’avais pensé, ses mains étaient dangereuses !! Vraiment dangereuses !

J’ignorais où elle avait développé une telle connaissance de l’anatomie humaine, mais j’étais persuadée que ce n’était pas un talent inné, elle l’avait bel et bien appris à quelque part.

Après quelques gémissements, je l’arrêtai avant qu’elle n’aille plus loin.

— Stop !

— Je dois m’arrêter ?

— Oui, oui, oui !!

— Dommage, tu commençais à pousser des petits cris amusants. Héhé !

— Pas de « héhé » je te prie !

Reprenant mes esprits et mon souffle, je vis le visage de Naeviah rouge d’embarras. Même Tyesphaine m’observait, elle avait un peu baissé son coussin pour libérer son champ visuel.

J’avais poussé de tels gémissements ?

— Euh… j’ai hurlé sans m’en rendre compte ou quoi ?

— Non, ça allait, me rassura Mysty. Tyes hurlait vachement plus.

La concernée plongea à nouveau son visage dans son coussin. À quelque part, Mysty était l’ennemi naturel de Tyesphaine. J’étais convaincue que s’il n’y avait pas Naeviah et moi entre les deux, elle pouvait la tuer de honte.

— Et du coup : ta conclusion ? me demanda Naeviah.

— Les compétences de Mysty ne sont pas à remettre en doute : ses mains sont magiques.

— Merci !

— Donc soit Syrle est insensible, soit elle sait se maîtriser.

— Bref, elle est moins perverse que toi, c’est tout ce que ça veut dire.

— Pourquoi il faut toujours que tu tournes les choses ainsi ?

— Parce que c’est toi.

Je ne savais que penser de cette réponse. J’avais l’impression que nous arrivions à une impasse.

— Et du coup, on va faire quoi pour lui tirer l’anneau ? On l’agresse et on lui le prend ? J’aime pas trop cette méthode mais ce serait la plus simple.

— Sincèrement… j’aime pas cette affaire.

— Pour une fois que je suis d’accord avec la perverse. Ce marquis… Nous demander une chose pareille… Tsss !

— On peut pas juste l’envoyer paître et se tirer d’ici ?

— Ce serait bien de pouvoir le faire Mysty, mais il reste un noble influent de la ville. On ne pourrait plus séjourner ici, voire dans le royaume entier.

— Ce serait un peu con, j’aime bien Hotzwald en plus. C’est là que j’vous ai rencontrées.

Je partageais ce sentiment.

— On ne va pas se mettre le royaume à dos, point final !

Naeviah se montra autoritaire. J’entendis un « mumu » de Tyesphaine dire qu’elle approuvait le fait de ne pas s’attirer pareils ennuis.

— Dans ce cas, continuons notre observation, tout simplement, dis-je. Au niveau des défenses magiques, j’ai repéré une forte magie sur la porte d’entrée, mais ce qui m’intrigue vraiment ce sont toutes ces statues. Je suis convaincue que Syrle, en tant que magicienne spécialisée en magie de terre, doit pouvoir écouter et voir à travers elles, peut-être même les animer.

— Dans la salle de bain…

Tyesphaine, paniquée, tira sa tête de sa « carapace » et parut m’interroger sur ce qui s’était passé ; je compris immédiatement ce qu’elle voulait dire. Il était vrai que j’avais été plutôt brève au moment des faits...

— Oui, c’est pour cette raison que je t’avais demandé d’entrer dans mon jeu. Elle ne dégagent pas de magie, mais si comme je le pense elle peut les activer à tout instant, il se peut qu’au moment où je remarque l’émanation magique il soit trop tard.

— J’aurais bien aimé que tu nous dises tout ça avant. Tssss !

— Hier soir, j’étais vraiment épuisée…, dis-je en guise d’excuse. Puis, j’avais peur qu’elle puisse nous entendre. Techniquement, la réunion que nous tenons là pourrait nous dévoiler. Même si j’ai inspecté, je ne peux être sûre de rien… mais je pense qu’elle est nécessaire à la suite des opérations.

— Si déjà on y est, autant définir un plan d’action.

— C’était l’idée, Naeviah.

— Vu qu’elle pionce, on peut pas aller faire le tour de la maison ? proposa Mysty.

— Je pense qu’elle est encore réveillée, cela dit. Elle m’a quittée en disant qu’elle avait de la lecture. Je ne sais pas comment vivent les riches mais elle me semble particulièrement prudente. Elle a un jeu de miroirs dans son dressing qui lui permet de garder sous contrôle le moindre recoin. D’ailleurs, elle a préféré ne pas me faire entrer dans sa chambre pour la coiffer.

— Dressing ?

— Euh… Garde-robe. Encore de l’elfique. Hahaha !

Je me grattais l’arrière de la tête en riant nerveusement. Naeviah me suspectait, c’était évident, son regard cherchait à percer mon secret.

— Cela dépend des personnes…, expliqua timidement Tyesphaine. Chez les nobles, les domestiques ne font que nettoyer la chambre… Les dames de compagnie seules peuvent entrer réveiller… leurs maîtresses… les habiller et les coiffer…

— Ouais. Et toutes les maisons n’ont pas de garde-robe séparée de la chambre. En principe, les vêtements sont dans la chambre à coucher, ajouta Naeviah.

— N’aurait-elle pas séparer les deux parce qu’elle est une magicienne ? demandai-je.

— Je ne vois pas trop le rapport.

— Admettons qu’elle dispose d’écrits magiques importants dans sa chambre, elle préfère ne pas les exposer aux domestiques, non ? D’ailleurs, je suis étonnée que Syrle ne soit une noble.

— Oui, c’est un grand étonnement, je le pensais également, avoua Naeviah.

— Moi, j’le savais. Enfin, j’avais pigé. Elle dégage pas la même chose que les nobles, elle est trop… ch’sais pas trop l’expliquer, mais elle était différente de Tyes, par exemple.

Je ne savais pas si Tyesphaine était une référence en matière de noblesse, mais cela semblait avoir du sens pour Mysty. Puisqu’il était impossible de commenter ses paroles, je poursuivis mon raisonnement :

— Elle m’a également dit que le dressi… la garde-robe était un endroit où avaient souvent lieu les tentatives d’assassinat. Elle m’a avoué qu’elle sait qu’on en veut à sa vie. D’ailleurs, je me demandais aussi pourquoi elle ne vit pas en ville : elle doit faire des allers-retours jusqu’à la guilde de magie, c’est pas très pratique.

— Je ne suis pas experte dans la politique de la guilde de magie, dit Naeviah, mais je sais qu’il y a énormément de conflits internes. Les mages ont…

Elle marqua une pause et me dévisagea comme si elle cherchait à me dire quelque chose avec ses yeux inquisiteurs.

— … de sacrés ego. Même s’ils travaillent ensemble, ils s’entendent rarement. Et comme elle l’a dit, il y a des tensions entre les mages d’origine aristocratique et plébéienne. L’enseignement commun dit que seuls les nobles ont accès à la magie, ce qui assoit d’ailleurs leur pouvoir, mais ils n’en ont pas l’exclusivité. La proportion est juste proportionnellement bien plus importante.

Je voyais où elle voulait en venir, je venais d’un monde où la pensée rationnelle était plus ancrée qu’ici.

— Même si proportionnellement il y en a plus parmi les nobles, puisque la base de la plèbe est plus vaste, il y a en réalité plus de mages roturiers que de nobles. C’est bien ce que tu veux dire ?

— Tu es intelligente pour une perverse. Cette caste silencieuse commence à de plus en plus se manifester. Ils voudraient plus de droits et qu’on les accueille mieux. Plus d’une fois, ils ont démontré que le talent et le sang n’étaient pas liés. Il y a des mages roturiers très puissants, même moi j’en ai entendu parler.

Le talent n’était pas lié au sang, mais je m’interrogeai pour quelle raison la proportion de mage était si significativement supérieure chez les nobles.

— Je pense que Syrle est aussi puissante que tu le supposes, Fiali, elle doit avoir pas mal d’ennemis parmi ses paires. Il n’y a rien de plus détestable pour ce genre de mages qu’une roturière puissante.

— Cela semble correspondre à ce qu’elle a dit. Le fait qu’elle soit une femme doit aussi agacer…

Avec Naeviah, nous avions l’impression d’avoir bien avancer dans notre analyse du cas de Syrle, mais Mysty bâilla.

— Bon, ça devient compliqué. Ch’suis un peu une idiote, vous savez ? Concrètement, on fout quoi ? On fait un petit tour, Fiali et moi ?

Mysty était certes la plus discrète mais elle ne voyait pas la magie comme moi. Et nos deux amies n’étaient pas vraiment taillées pour ce genre d’opérations.

— Faisons cela. Plus vite nous en aurons fini, mieux ce sera. Mais je tiens quand même à dire qu’après tout ce que tu viens d’expliquer, Naeviah, j’aime de moins en moins le marquis. Syrle me semble être une victime dans cette histoire.

— Ne présume pas trop vite non plus, dit Naeviah en croisant les bras. Je sais qu’entre perverses vous pourriez vous entendre mais nous ne savons rien d’elle au final. Les apparences sont trompeuses, il suffit de te voir d’ailleurs.

Elle faisait mal parfois, mais au moins elle reconnaissait que j’avais une apparence adorable et gentille.

— Donc tu admets à présent que Syrle est une perverse ?

— Tu cherches vraiment à m’énerver, toi ?

Nous nous fixâmes droit dans les yeux quelques instants, puis finalement Mysty me donna une tape sur les fesses.

— Bon, on se bouge ma Fiali ! Elle doit sûrement roupiller. On y va !!

Elle ne me laissa pas dire mot, elle m’entraina hors de la chambre. J’entendis juste Naeviah souffler bruyamment par le nez avant que la porte ne se refermât.

***

Le manoir était silencieux. Les fenêtres laissaient entrer la lumière des étoiles et de la lune. L’éclairage était insuffisant pour qu’un humain put parfaitement voir, mais Mysty se déplaçait sans problème.

Cela m’étonna un peu, je la savais entraînée à l’obscurité, mais elle donnait l’impression d’y voir aussi bien que moi.

Ce qui m’amena à lui poser directement la question :

— Nope, j’y vois pas en détail. Mais j’suis habituée. J’vois les formes. Eh, j’y pense ! Les statues voient dans le noir ou pas ?

Bonne question. En admettant qu’elles pussent effectivement nous observer, bien sûr. Cela dépendait des enchantements dont elles disposaient, mais puisqu’elles ne dégageaient pas de magie, je préférais présumer qu’elles ne pouvaient pas le faire. Considérant ce que nous faisions à l’instant, si je me trompais, nous étions déjà dévoilées.

— Je ne pense pas.

— Tant mieux. En fait, ce qui serait le top, ce serait de visiter sa chambre pendant qu’elle dort. Elle doit retirer l’anneau, il suffit que je le choppe et pouf ! On peut se tirer d’ici.

— Ce serait l’idéal. Mais tu penses vraiment que ça marcherait ?

— J’suis discrète. Si elle fout l’anneau dans une boîte à côté d’elle, j’peux sûrement y arriver.

— Et s’il y a des pièges magiques ?

— C’est pour ça que j’t’ai amenée. J’voulais pas en parler devant Nae et Tyes, mais elles sont pas vraiment utiles au plan. À deux, on peut facilement y arriver. Autant revenir avec l’anneau et leur faire surprise, non ?

L’idée était séduisante, mais me paraissait trop facile. Pourquoi engager des aventurières alors qu’un voleur pouvait y arriver ?

— J’aimerais vérifier un truc avant.

Nous retournâmes dans le vestibule d’entrée où je m’approchai de la porte en tendant la main. J’évitais de la toucher de peur d’activer quelque chose. Sa magie était encore plus puissante qu’en journée, je me rendais compte qu’un mécanisme arcanique avait été activé.

— Haha ! Je crois que j’ai compris…

Je m’éloignais et chuchotais à Mysty :

— La porte est enchantée avec une magie de renfort pour la rendre plus solide, mais il y a un autre effet magique qui se diffuse dans tous les murs extérieurs de l’édifice. Je suis presque sûre que la magie forme une cage autour de nous. En d’autres termes, j’ai lieu de croire que nous sommes piégées ici, même si je ne suis pas certaine.

— Tu veux que j’essaye d’ouvrir ? Au pire, si on nous choppe on dira qu’on a vu des silhouettes dehors.

C’était un bon plan. Il y avait sûrement une alarme intégrée dans le mécanisme de la porte, même si je n’en voyais pas au sol, de ce côté-ci.

— Tentons.

Mysty essaya d’ouvrir la porte, mais s’arrêta sans insister. Elle était verrouillée, bien sûr, c’était même notre tâche de s’en occuper à la nuit tombée, mais…

— Vous avez fermé les portes avant de retourner dans nos quartiers ? demandai-je à Mysty.

J’étais sûre de ne pas m’en être occupée, mais je n’étais pas sûre si mes amies ne l’avaient pas fait à ma place.

— Nope. Je crois bien qu’on a oublié de le faire.

Ce verrou faisait donc partie du mécanisme de défendre magique ? Mais pourquoi Syrle l’activait ce soir alors que la veille cela n’avait pas été le cas ?

J’avais envie de tester autre chose. Je me dirigeais donc vers une fenêtre et essayais de l’ouvrir. Il s’agissait d’un système d’espagnolette, mais même lorsque je l’eus remontée…

— Elle ne bouge pas. C’était comme si une force invisible la retient fermée.

— En fait, si c’est comme ça partout, on est vraiment prisonnières, non ?

— Oui, Mysty.

— Donc même si on tire l’anneau ce soir, on peut pas s’enfuir ?

— Je le crains…

— Et tu peux rien faire ?

— Je vais tenter un truc, mais à mon avis, tu as plus de chances que moi d’arriver à passer outre le mécanisme.

Je l’avais vue retirer le piège magique de la porte du nécromancien alors même qu’elle ne voyait pas la magie et n’y connaissait rien.

— Là, j’vois bien qu’y a un truc qui cloche, mais c’est pas un piège. Et même pas un mécanisme de serrure, j’ peux rien faire.

Ses paroles me trottaient en tête alors que je tendis mes mains vers la fenêtre et utilisait un sort sans incantation. C’était la première fois que je l’utilisais depuis qu’on était ensemble. C’était un sort de « Déverrouillage ». En principe, il permettait d’ouvrir des portes fermées à clef et qui n’étaient pas complexes (ou magiques).

Autant dire que le sort était surtout utile contre les portes de prison peu chère, mais les portes de haute sécurité y étaient imperméables. De même, les serrures enchantées magiquement n’étaient pas affectées.

J’avais évité de l’utiliser jusqu’à présent puisque nous avions Mysty qui était bien plus efficace, mais dans cette situation, cela valait la peine de faire l’essai. Il ne fonctionna pas, comme je m’y étais attendue.

— Laissons tomber pour ce soir, rentrons, dis-je.

— Ouais, c’est mieux.

Cependant, à cet instant, j’entendis des pas à l’étage, ils se rapprochaient.

— C’est l’une d’entre vous ? demanda la voix de Syrle.

Rapidement, un halo de lumière devint visible à l’étage, par la mezzanine.

Je fis signe à Mysty de se cacher.

— Je m’en occupe…

J’ignorais encore comment, cela étant dit, je n’avais pas la capacité de me dissimuler comme Mysty. À la place, j’improvisais…

— C’est moi, Katelina…

Pour ne pas paraître (plus) suspecte, je restais à ma place et je l’attendis en préparant mon mensonge. J’aurais pu tenter l’excuse qu’avait évoqué Mysty quelques instants auparavant, celle que nous avions vu des silhouette à l’extérieur, mais pourquoi aurait-ce été la petite sœur à s’en occuper ?

Soudain, une idée me traversa l’esprit. Je pris soin d’ajuster le bonnet sur ma tête (qui cachait mes oreilles, en partant du principe que les statues pouvaient nous voir c’était une précaution nécessaire) et de changer d’attitude.

Lorsqu’elle arriva à portée de vue à la rambarde de la mezzanine, je pris la parole :

— Désolée… Madame… si j’ai fait du bruit… Je cherchais les toilettes… mais je me suis perdue.

Même si je n’en étais pas à ce point, il m’arrivait d’avoir du mal à retrouver un endroit spécifique dans ce immense demeure. Mais j’avais au moins mémoriser les toilettes de l’aile des domestiques… enfin, les latrines.

— Il y en a de votre côté.

— Oui, mais… nous n’avons pas eu le temps de les nettoyer… je… je voulais aller dehors, mais la porte est fermée.

Syrle me dévisagea un instant alors que je me contorsionnais les mains entre les cuisses pour améliorer la crédibilité de mon rôle.

— Suis-moi.

— Merci, Madame.

J’étais sûre d’une chose : ce n’était pas le bruit qui l’avait attirée. Peut-être était-ce l’interaction de mon sort sur la serrure. Ou alors notre tentative d’ouvrir la porte.

L’autre chose dont je me doutais était que la magie qui la bloquait n’agissait pas réellement sur la serrure. Les paroles de Mysty me l’avaient confirmé : c’était bien plus une barrière magique qui passait dans les murs et qui formait une cage autour du bâtiment. Le blocage de la porte n’était qu’une conséquence du mur qui se trouvait derrière elle.

Si tel était le cas, en utilisant la force ou la magie, il devait être possible malgré tout de la percer. Une analyse plus poussée serait nécessaire néanmoins.

Je fis discrètement signe dans mon dos que tout allait bien en espérant que Mysty me comprît, puis je me hâtais de suivre la maîtresse des lieux, comme si j’avais réellement besoin d’aller aux toilettes. Cette excuse fonctionnait habituellement, personne n’était un monstre au point de ne pas la comprendre.

Elle m’amena dans le couloir où se trouvait la garde-robe et sa chambre.

— Il y a des toilettes dans ma chambre. Ils sont propres.

— Je… je n’oserais pas…

— Ce n’est pas une invitation, mais un ordre. Interdiction d’aller dehors, tu es trop jeune. Qui sait quel monstre ou ravisseur pourrait t’attaquer dehors.

— Il y a des monstres ?!

Je feignis la surprise. En principe, aucun endroit dans le royaume n’était assuré d’une absence totale de monstres, mais autour des villes il y en avait malgré tout très peu. D’autant plus à Segorim, d’après mes observations.

— Il y en a. Surtout les monstres volants. S’ils repèrent depuis le ciel une petite fille, ils fonceront sur elle. Mais ne discutons pas, tu risques de plus pouvoir te retenir.

Elle ouvrit la porte et me poussa à l’intérieur. Je ne voyais pas quoi dire pour refuser.

La chambre était forcément très grande. Le sol était recouvert de tapis qui devaient être hors de prix. Des tapisseries décoraient également les murs, ainsi que des statues taille réelle, comme dans le reste de la demeure.

Il y avait une fenêtre au fond, un peu avant un lit à baldaquin dont les rideaux étaient ouverts. Contre un mur, dans une partie surélevé à laquelle menaient trois marches, un canapé immense avec une table basse.

Plusieurs bibliothèques ornaient le mur opposé, elles étaient toutes pleines de livres. Un bureau s’y trouvait également.

Sur le même mur, une porte que Syrle ouvrit et qui me permit d’accéder aux commodités. Elle referma aussitôt la porte derrière moi.

Je découvris une chaise percée en pierre dont dégageait de la magie. Il y avait également un lavabo qui avait une aura un peu plus faible.

— Répète le mot de commande après moi, me dit Syrle. Il va permettre à la pierre de se réchauffer.

Pratique ! Je répétais le mot de commande en draconique et m’assis sur le siège.

— Le mot de commande pour désintégrer le contenu est…

Je le mémorisais sans problème. « Propre » en draconique, il y avait plus difficile comme parole.

Sûrement à cause du stress, même si je n’avais pas envie à la base, je finis par faire mes besoins et ressortir après m’être lavée les mains. Syrle m’attendait une main sur la hanche.

— Soulagée ?

J’acquiesçai un peu perplexe quant à cette question qui manquait de tact.

— Ton élocution du draconique est plutôt bonne pour une non-pratiquante de la magie, tu sais ? Les objets magiques sont pointilleux. Si les mots de commande sont mal prononcés, ils ne s’activent pas.

ZUT ! Paniquée, je n’avais pas pensé à ce détail ! Une fille normale n’était pas censée connaître le draconique !

J’aurais jouer la carte de l’ignorance, mais à la place j’improvisais :

— Euh… en fait, papa aimait bien les langues étrangères, il m’avait appris quelques paroles…

— Le draconique est surtout appris par les mages, mais il trouve des applications dans de nombreux autres domaines. Ton père était une personne pleine de bon sens.

Ouf ! J’avais eu raison de penser que c’était comme le latin en Europe médiévale. Entre la médecine, le droit et la religion, il y a nombre d’intellectuels qui l’utilisaient sans être des magiciens.

— Je suis de plus en plus persuadée que tu feras une excellente recrue. L’apprentissage du draconique fait partie des grandes hantises de la guilde. Pourtant, peu importe la langue, ce sont bien les paroles qui focalisent la volonté et l’imposent aux forces magiques.

— Oh ? Vraiment ? Le draconique n’est pas obligatoire ?

J’incantais toujours en elfique, bien sûr qu’il n’était pas obligatoire ! Elle avait raison, il n’était pas la seule possibilité, mais les langues anciennes avaient plus d’impact pour le lancement de sorts.

Le draconique et l’elfique, par exemple, avaient des dispositions pour faciliter les incantations, une partie de leur vocabulaire y était dédié par ailleurs. Parmi les autres langues que je connaissais, le mortuaris avait beaucoup de vocabulaires pour décrire les états entre la vie et la mort et était médicalement assez précis, et l’abyssal, la langue des démons, ne tarissait pas de terme pour détailler la douleur.

Outre la facilité d’élocution, la puissance de mes sorts était inférieure lorsque je les utilisais, ce qui n’était pas le cas de Naeviah qui priait presque toujours en mortuaris. Cependant, sa magie provenait de sa déesse et non d’elle-même, le procédé pour manifester la magie était totalement différent.

Parfois, quelques pratiquants de la magie préféraient la langue des géants, plus rauque et lugubre, mais puisque je ne le connaissais pas, je ne pouvais m’avancer quant à son efficacité magique.

Lors de mon apprentissage, mon mentor m’avait invitée à tester les langues que je connaissais et j’avais pu me rendre compte que lancer des sorts en langue « commune » était possible mais moins efficace également. En secret, j’avais essayé le japonais et l’anglais, que je connaissais de mon ancienne vie et, dans leur cas, cela n’avait pas du tout fonctionné ; c’était comme lancer le sort spontanément, sans incantation, les paroles n’apportant rien à la magie.

L’une de mes théories sur la question étaient que le langage avait un impact psychologique sur le lanceur de sort. Qui disait science arcanique disait savoir perdu et mystérieux, ce qui correspondait plus aux langues anciennes et oubliées. Puisque je n’associais pas la magie à mon ancien monde, les langues de ce dernier ne m’apportaient aucun bénéfice psychologique au moment de l’incantation. En résumé, les langues aidaient simplement la volonté à synthétiser la magie, elles n’avaient pas d’autre puissance que celle qu’on leur accordait.

L’autre théorie opposée était liée à celle de la « langue originelle ». Les linguistes de mon ancien monde pensaient que les langues formaient une sorte d’arbre avec des branches. En remontant les origines des mots, il était possible de revenir vers le tronc commun à toutes les langues. Le japonais, en tant qu’isolat, était un cas à part, mais si on prenait la majorité des langues parlées en Europe, elles étaient issues du grec, du latin et du germanique. Eux-mêmes provenaient de l’indo-européen. Qui lui-même provenait d’une autre langue qui avaient engendré d’autres groupes. Et, à la base de toutes, la langue originelle, la langue-mère.

Dans un monde de fantasy, il n’était pas impossible que cette langue soit celle utilisées par les dieux et qu’elle détînt en soi une réelle puissance créatrice.

Lorsqu’ils avaient créés les premières races, celles-ci avaient développé leurs propres langages dérivés de celui des dieux. Et au fur et à mesure de l’évolution, des guerres et des échanges avec les autres peuples, ces langues avaient muté et s’étaient affaiblies.

Les espèces dont la longévité était plus longue avaient naturellement une facilité à la transmission du savoir, ce qui incluait les elfes et les dragons. C’est pourquoi ces langues-ci étaient encore à ce jour plus proches de la langue des dieux et donc plus adaptées à la magie.

Mais encore une fois, ce n’était qu’une théorie de ma part. Et Syrle allait m’apprendre quelque chose à ce sujet.

— Non, il ne l’est pas. Parmi les mages, certains préfèrent le commun. C’est un des nombreux sujets à discorde parmi nous. L’efficacité des langues sur la magie est sujet à débat. Dans les faits, certains mages de style Lugaell ont obtenu des résultats supérieurs aux traditionnels du style Vradium.

— Oh ?

Je me rendais compte soudain qu’il y avait plusieurs styles de magie parmi les utilisateurs humains. Je me demandais si mon style de magie elfique faisait aussi partie d’une branche spécifique ? Tant que je n’aurais pas plus d’informations sur les miens, il serait difficile de le déterminer.

— Je… je vais retourner voir mes sœurs.

Je me dirigeais vers la porte pour m’enfuir, Syrle ne m’arrêta pas, et pour cause, elle était verrouillée.

— Il faut un mot de commande pour ouvrir cette porte. Mais, tu as piqué ma curiosité… Je t’ordonne donc de dormir avec moi.

— HEINN ?!

— Tu n’as pas compris ? Approche. Continuons de discuter au lit.

— Mais… mais… mais je ne suis pas une pro… fille de joie…

En effet, je ne m’étais pas engagée pour ça ! C’était trop direct ! Trop brusque ! Trop… TROP !!!

Syrle me sourit tout en me faisant signe de la main de m’approcher :

— Je n’ai jamais parlé de coucher avec moi. Tu as l’esprit bien mal placé pour une fillette de ton âge.

Je rougis faiblement en baissant le visage. J’avais réellement l’impression qu’elle jouait avec moi.

Que faire ? Protester, me rebeller ou me soumettre ?

— Allons, tu ne vas pas me dire que tu as peur de moi ? En plus, je suis une femme, tu ne risques rien.

Je sursautai. Si je lui disais que ce dernier argument n’était pas valide, elle allait encore me faire remarquer que j’étais trop informée pour une fille de mon âge. C’était difficile encore pour moi de connaître la limite des connaissances des gens de ce monde.

Les filles de bonne famille recevaient-elles une éducation sexuelle ? Je pouvais à la limite me cacher derrière le fait que mes sœurs m’avaient parlé de choses et d’autres, mais…

— Je pourrais te parler de magie également. Il me semble que tu es bien intéressée. Je suppose que c’est normal, ton sang t’y dispose…

Cette fois, elle m’intriguait vraiment. Que voulait-elle dire par là ? Avait-elle réussi à me démasquer ? Sous l’effet de la peur, mon cœur bondit dans ma poitrine.

— Mon sang ?

— Tu pensais qu’un simple bonnet me tromperait ? Tu es bien une elfe, non ? Viens donc se coucher là et explique-moi pourquoi une elfe se prétend sœur avec ces trois filles ? Sont-elles seulement au courant ?

QUOI ???!!!

J’avais été démasquée si facilement ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

Les questions s’agitaient dans ma tête, je ne savais plus quoi faire.

La combattre ? Seule ? Ici ?

Syrle finit par en avoir assez de l’attente, elle s’approcha de moi, me prit par la main et me tira dans le lit. Dans l’état où j’étais, cette impulsion me décida à me laisser faire.

Elle n’avait sûrement pas de mauvaises intentions à mon égard. D’ailleurs, elle avait découvert la vérité et n’avait pas agi brusquement. Puis, dans tous les cas, je pouvais compter sur mon aura dakimakura pour me protéger, non ?

Elle n’allait pas me faire de mal… Elle ne pouvait pas me faire de mal ! me répétais-je dans mon esprit pour me rassurer.

Syrle tira ces lourdes couvertures sur nous et retira mon bonnet sans me demander mon consentement.

— J’avais vu juste : d’authentiques oreilles d’elfe. Est-ce que cela te dérange si je les touche un peu ?

Je reculai dans le lit en les couvrant, j’agissais tel un animal terrifié.

— Oh là ! On dirait que c’est quelque chose d’important pour toi. Aurais-tu eu la même réaction si je t’avais dit que je souhaitais toucher un autre endroit ?

— Hiiiiii !

— Hahaha ! Désolée, je te taquine. Sois rassurée, je ne vais rien te faire de mal. La Magicienne de Saphir n’a qu’une parole, tu as ma promesse. Je suppose que cette réaction indique que les oreilles sont une partie sensible de ton anatomie. Je prends note…

J’avais réellement peur ! Elle épluchait mes réactions et mes gestes avec une telle finesse que j’avais l’impression de ne rien pouvoir lui cacher.

Mais, pourtant…

— Je… je… je ne suis pas une elfe !

C’était la première chose qui m’avait traversé l’esprit.

— Tu n’es pas humaine pour autant.

Improvise ! Improvise !! Fiali !!!

J’avais l’impression que ma tête allait exploser !

— Je suis une demi-elfe !

C’était l’unique solution ! Les idées se bousculaient dans ma tête. Je tenais mon nouveau rôle !

— Elles sont… elles sont mes demi-sœurs en réalité. Papa a eu une maîtresse elfe. Il l’a cachée mais la vérité a été révélée peu avant sa mort. Petite, j’étais normale. C’est à l’adolescence que mes oreilles se sont allongées et que nous avons compris.

— Oh ? Intéressant. Donc ton sang elfique se serait réveillé en grandissant. Moi qui pensait que les demi-elfes étaient un conte de fée…

Je le pensais également en réalité, un tel métissage était sûrement impossible. Dans la panique, j’avais improvisé quelque chose qui ne remettrait pas le reste en doute. Elle avait percé le premier rempart de défense, il fallait défendre les autres. Éventer un secret ne voulait pas dire tous les révéler.

— Je dis la vérité. J’ignore tout de maman et des elfes… Papa m’a introduit dans la famille toute petite. Ma mère adoptive est morte peu avant ma naissance. Mes sœurs étaient petites, elles n’ont pas vu la supercherie. À présent, c’est pour protéger mon secret que nous nous déplaçons de ville en ville. Si je pouvais trouver ma mère biologique, peut-être pourrais-je en apprendre plus sur moi-même.

Au fond, c’était à moitié la vérité et renvoyait à mon réel objectif, je devais sûrement avoir l’air crédible.

J’espérais que Syrle ne me poserait pas trop de questions, mon dos était en sueur et j’avais de nouveau envie d’aller aux toilettes à cause du stress.

Accoudée, elle m’observa un instant, puis elle soupira.

— J’ai vraiment le chic pour trouver des domestiques particulières. Mais cette fois, tu les bats toutes.

— Je… Désolée…

— Ne le sois pas. Tu as de la chance que je ne suis pas un de ces monstres de la guilde. Tu sais quoi ? Je vais même garder votre secret. En échange…

— Oui ?

— Tu vas apprendre la magie avec moi. Je veux voir les progrès que te permettra ton sang elfique. Et aussi…

— Oui ?

— Couche avec moi.

— Hiiiiiiiii !!

Elle se mit à rire à nouveau.

— Tes réactions sont tellement amusantes, je ne m’en lasserais jamais ! Hahaha !

Elle se moquait de moi à nouveau ! Je gonflais les joues, contrariée et c’est alors qu’elle s’approcha de moi et m’attira contre sa poitrine.

— Après tout ce que tu as vécu… ma pauvre… Ici, il est inutile que tu te caches. À partir de demain, reste naturelle. Tu es sous ma protection, personne ne te fera de mal. Allez, repose-toi…

De manière maternelle, elle me caressa la tête et m’invita à dormir. J’étais peut-être naïve, mais je ne sentais pas de tension sexuelle en elle. Juste un sincère désir de me protéger.

Cette chaleur apaisante, ces caresses… Peut-être parce que dans ce monde je n’avais pas eu de mère, elles eurent raison de moi. Je cessais de résister et m’endormis sans m’en rendre compte.

***

Nous étions toutes les quatre dans la cour, alignées.

Je portais le même uniforme que la veille, mais Tyesphaine avait réussi à trouver quelque chose de plus couvrant et de moins honteux dans la garde-robe. Pour ne pas attraper froid, Syrle m’avait fait mettre une cape.

Mes oreilles étaient découvertes en ce matinée où le soleil peinait à montrer le bout de son nez.

Décidément, le temps devenait de plus en plus froid.

— Je pense revenir en début d’après-midi, dit Syrle. J’ai des affaires à régler à la guilde, je n’en ai pas pour très longtemps. Voici les tâches que vous aurez à accomplir en mon absence : ma lessive, le ménage de ma chambre, la cuisine et nettoyez aussi le vestibule. Si vous arrivez déjà à finir tout ça, ce sera pas mal.

— Oui !

Nous répondîmes en chœur.

— Je vais activer les défenses extérieures du manoir, n’essayez pas de le quitter, c’est pour votre bien. En principe, il ne devrait pas y avoir de visiteur. Au pire, Katelina sait comment utiliser le messager magique de l’entrée.

C’était l’équivalent d’un interphone magique. Une magie assez simple du niveau d’un apprenti qui permettait de transmettre quelques paroles à une distance raisonnable. J’entends par là quelques centaines de mètres, tout au plus.

C’était un sort que je ne maîtrisais pas par manque d’intérêt (mes oreilles permettaient déjà d’entendre plus loin), mais dont je connaissais l’existence. Syrle avait un objet magique en deux parties qui reliait le vestibule au portail extérieur. Avec un mot de commande, il transmettait les voix à proximité des deux boîtiers.

— Oui !

— Katelina, puisque tu connais le mot de commande de ma chambre, tu es la préjugée à son ménage. Ce sera ton unique tâche de la matinée. Je compte sur toi pour ne rien mettre en désordre. Et dernière chose, inutile d’aller autant en profondeur que ce que vous avez fait hier. C’était un très bon résultat, mais si vous passez une demi-journée par pièce, on ne s’en sortira pas. À plus tard.

Syrle referma le portail, je sentis immédiatement des effluves de magie s’en dégager. Une onde nous traversa et se répandit dans tout le domaine. Je sourcillais et sentis une goutte de sueur perler le long de mon front : c’était une magie très puissante.

Si Syrle avait conçu ce système de protection elle-même, elle était assurément plus puissante que ce que nous avions pensé. Néanmoins, il y avait la possibilité qu’elle ait eu recours à d’autres mages pour un travail coopératif.

Qu’est-ce qu’elle venait au juste d’activer ?

Ma première analyse me laissa simplement deviner qu’il y avait une superposition de divers effets magiques, il était impropre de penser que la protection n’avait qu’un seul effet. Supposément, l’un d’eux devait être une barrière similaire à celle de la veille.

Nous saluâmes Syrle et nous hâtâmes de rentrer dans le vestibule, puis de nous diriger vers notre chambre, seul endroit où il n’y avait pas de statues. Syrle s’en était allée à pied, mais j’étais convaincue qu’elle avait une magie pour accélérer son trajet.

— Bon, qu’est-ce qui s’est passé cette nuit, elfe perverse ? Pourquoi d’un seul coup tu ne caches plus tes oreilles ? Et c’était quoi ce que tu nous as dit ce matin : « ne me posez pas de question, laissez-moi juste me changer… » ?

Je rougis. J’avais honte.

Il ne s’était rien passé de plus embarrassant que ce que je vivais d’habitude avec les filles, mais… c’était compliqué à expliquer. Au matin, lorsque je m’étais réveillée dans le lit de Syrle, j’avais soudain eu l’impression d’être devenue son amante.

Bien sûr, ce n’était qu’une impression dans ma tête, en réalité j’étais seulement sa domestique. C’était l’ambiance générale qui m’avait laissée cette impression : la lumière blafarde qui passait à travers sa fenêtre, ce grand lit en désordre, la tenue débraillée de Syrle et mes cheveux ébouriffés…

Fort embarrassée, j’avais essayé de prendre la poudre d’escampette, après m’être excusée du dérangement. Syrle ne m’avait pas arrêté, elle m’avait laissé faire. Mais, la porte ne s’était pas ouverte.

— Je te l’ai dit hier, il y a un protection magique. Je ne compte pas me laisser tuer aussi facilement. Le manoir et son rempart sont tous englobés dans mon rituel de « Château Merveilleux ». Même si tu ne le vois pas, il y a un vrai mur derrière cette porte.

Elle m’avait souri d’un air mystérieux.

— Mais je suis sûre que tu avais déjà perçu tout ça, non ?

— Je… je ressentais un étrange sentiment… mais je ne le comprenais pas…

J’avais souri de manière gênée. Je n’avais plus besoin de cacher ma sensibilité magique, j’étais censée être une demi-elfe. L’avantage de cette espèce, c’est que personne n’en savait rien. Je pouvais leur attribuer ce que je voulais.

— Je… je suis prisonnière ?

— Te sens-tu prisonnière ?

Je n’avais su que répondre, finalement j’avais acquiescé de l’air le plus timide possible.

Syrle était réellement prudente pour disposer de telles protections, mais soit avait-elle réellement cru que j’étais sans défense, soit avait-elle confiance en ses capacités pour me laisser ainsi rentrer dans sa chambre.

Si j’avais voulu l’assassiner, cela aurait sûrement été le meilleur moment.

— Je vais m’absenter quelques instants dans un endroit que la décence m’interdit de citer à haute voix. Ensuite, nous irons dans la garde-robe pour que tu m’habilles et me coiffes. Je suis de sortie ce matin. En attendant, installe-toi sur le canapé avec un livre.

— Euh oui…

Elle était entrée dans les toilettes de sa chambre en me laissant, là, éberluée. Cette fois, j’avais préféré ne pas me faire avoir : elle m’avait proposé un livre sûrement pour estimer mon niveau de connaissance. Tout devait être incroyablement compliqué dans ces bibliothèques. Selon mon choix, elle aurait eu des informations en plus sur moi.

Je m’étais contentée de l’attendre sur le canapé. Elle n’avait pas mis longtemps, de toute manière.

À son retour, Syrle m’avait proposé la place, j’avais refusé en prétextant n’en avoir pas besoin. Puis, elle était allée jusqu’à une bibliothèque proche de son lit où elle avait pris une boîte à bijoux. Je la vis y prendre des bagues dont l’anneau que nous recherchions.

C’est donc là qu’elle le laisse la nuit ! avais-je pensé à cet instant. C’était une information précieuse.

— Retiens bien le mot de commande, Katelina. Interdiction de le transmettre à tes sœurs. Ce sera notre secret à toutes les deux. Le ménage de cette pièce t’échoira à compter de ce jour. S’il arrive quoi que ce soit, tu en seras la responsable.

— Oui !

Deuxième information précieuse. J’ignorais si c’était en raison de mon aura dakimakura qui l’avait mis en confiance à mon égard ou pour d’autres raisons, mais j’avais réussi à gagner sa confiance. Elle venait de me donner les clefs pour mener à bien notre mission.

Je m’étais acquittée, le cœur un peu plus léger que la veille, de ma tâche de la vêtir et de la coiffer, j’en avais profité pour remettre mes cheveux en état aussi. Je n’avais cependant pas pu les nouer en couettes, j’avais juste passé mes mains pour les aplanir un peu.

C’était avant de sortir de la garde-robe que j’avais connu un nouvel épisode honteux.

— Ta culotte, Katelina ?

— Hein ?

— C’est le paiement pour cette nuit dans un lit agréable. Pensais-tu que j’allais t’accueillir gratuitement ?

Je ne savais pas si elle plaisantais ou pas. Je l’avais regardée avec insistance. Elle avait juste tendu la main dans ma direction.

J’étais restée interdite, ne sachant que faire. Puis, Syrle s’était mise à rire.

— Tes réactions sont un pur bonheur ! Haha haha !

C’était donc une plaisanterie qui avait été loin de m’amuser. À cet instant, par politesse, j’avais affiché un petit sourire forcé.

Cependant…

— Je vais la mettre au lavage avec mes affaires. Autant profiter de ma gentillesse.

Elle m’avait montré un grand panier où elle avait jeté ses affaires sales de la veille.

— Ici ?

— Nous sommes entre femmes, n’aie crainte, je ne vais pas la garder comme trophée… quoi cela me donne des idées.

J’avais sursauté. J’avais eu envie de m’enfuir. Elle avait à nouveau tendu sa main et m’avait écrasé par le biais de son regard insistant.

— Tu ne voudrais quand même pas que je t’en donne l’ordre ? Si tu es aussi embarrassée, qu’est-ce que ce sera lorsqu’il te faudra prendre un bain avec moi à mon retour ?

— Un bain ?

— Je te l’ai dit hier : tu es affectée à ce travail. Si je n’avais pas une affaire urgente à régler, nous serions déjà dans la baignoire.

— Hiiiiii !!

— Quelle pudeur délicieuse, mais déplacée pour une domestique. Ta culotte, je te prie.

Cette fois, sa voix avait été plus insistante. Blême, je m’étais empressée de lui la donner et de m’éloigner d’elle.

— Tu peux disposer. Je vous appellerai avant de partir.

J’étais ensuite retournée aux dortoirs des domestiques encore plus honteuse qu’au réveil. Pourquoi avait-elle fait une telle chose ? Était-ce une forme d’entraînement pour le bain de l’après-midi ? Par sadisme pour voir ma réaction ?

De retour au présent, je détournais le regard de Naeviah et grimaçai. Résignée, je répondis à sa question :

— Elle m’a obligée à dormir avec elle…

— QUOI ?!

— Je vous l’avais dit que c’était une perverse…

— Hoho ! Et y s’est passé quoi ?

Mysty me passa le bras autour de l’épaule comme un vieux pote curieux et darda un regard plein de concupiscence.

— Rien… Je me suis endormie. Mais du coup, elle a découvert pour mes oreilles…

Je finis par tout leur confesser, y compris l’épisode de la culotte.

— T’es vraiment la pire des perverses ! On te suffit pas, c’est ça ?!

— Comment ça, « vous me suffisez pas » ?

Naeviah rougit puis s’énerva et me pointa du doigt.

— Ton attitude doit être punie ! Tu… tu… tu m’énerves !!

Elle frappa le sol du pied.

— Eh oh ! C’est moi la victime dans l’affaire ! J’ai rien demandé.

— J’aurais dû te planquer et me faire prendre à ta place. Ch’suis habituée à pas avoir de culottes, ça m’aurait rien fait de la lui donner.

Naeviah et moi plissâmes les yeux et les tournâmes en direction de Mysty. C’était donc tout ce qu’elle avait retenu ?

Elle nous sourit puis nous attrapa toutes les deux par le bras.

— Allez, faites la paix ! C’est pas la faute de Fiali, tu d’vrais le savoir. C’est un aimant à filles. Hahaha !

— Comment ça un aimant à filles ?

— J’dis ça, mais en vrai, t’es un aimant à mec aussi. Bref, m’étonne pas que la perverse avait envie de toi.

— Aaahhh ! Quand tu dis les choses comme ça, on dirait vraiment qu’il s’est passé un truc cette nuit !

Naeviah se mit à donner des coups de poing à Mysty qui riait aux éclats, tandis que je me tournais épuisée vers Tyesphaine… qui était paralysée bouche ouverte et le regard vide. On aurait dit que son âme l’avait quittée.

— Qu… Quoi qu’il en soit ! Le plus important, c’est que j’ai les moyens d’entrer dans sa chambre à présent. Et je sais où elle laisse la bague la nuit !

J’essayais de ramener un peu de sérieux à notre discussion, en espérant qu’il n’y avait pas un capteur magique à proximité pour entendre ma voix.

De toute manière, à ce stade, si on n’en finissait pas rapidement, j’étais convaincue qu’on allait finir par devoir enflammer l’édifice. Ma magie était comme une cocotte minute, elle était prête à exploser d’un instant l’autre.

Pour l’équilibre mental d’une Fiali, il fallait évacuer au moins une fois par jour quelques sorts de destruction, sinon c’était dangereux.

— Ouais, stressez pas les filles ! On va faire ça ! On y retourne ensemble, t’ouvre la porte, je choppe discretos la bague et on met les voiles.

— Et pour la barrière ? demanda Naeviah dubitative.

— Bah, Fiali et toi vous aurez qu’à envoyer vos sorts. Booom ! Baaam ! Et v’là le travail ! Une fois entre nos mains, on s’en fout de rester discrètes, non ? Le mec, il a juste dit qu’il la lui fallait, pas qu’on devait pas se faire pincer. Au pire, il aura qu’à se débrouiller avec elle, nous on s’en fout.

Je me mis à rire à gorge déployée. C’était nerveux.

— Oui, vu comme ça, c’est vraiment simple.

— Pas vrai ? Hahaha !

Mysty m’accompagna dans mon fou rire tandis que Naeviah soupira. Tyesphaine n’était toujours pas revenue à elle.

— Vous m’exaspérez toutes les deux… Mysty, tu as une mauvaise influence sur cette perverse.

— Ah bon ? J’trouve qu’elle est plus jolie quand elle sourit, moi.

— C’est pas la question ! Tu me fatigues…

Naeviah se massa les tempes avant de reprendre les rênes du commandement.

— Puisque je n’ai pas de meilleur plan et puisque l’autre est absente dans sa tête, on va partir sur celui-ci. De toute manière, si elle a l’anneau au doigt toute la journée, ce sera difficile de le lui prendre. Il faut attendre qu’elle dorme.

— C’est ce que je disais.

— Mais j’aimerai qu’avant ça, tu analyses les protections de sa chambre, me dit Naeviah. Elle t’a donné l’ordre de la nettoyer, tu as donc le champ libre pour tout inspecter. Je compte sur toi pour découvrir le moindre piège, la moindre protection, rend la tâche de Mysty facile. Si elle se rate, on risque d’avoir vraiment des soucis.

— T’inquiète, c’était mon intention depuis le début. Elle m’a donné tout ce dont j’avais besoin, je compte bien en profiter.

— À la bonne heure ! Je remarque au moins que ta perversion n’a pas complètement embrumé ton cerveau.

— Faut vraiment que tu arrêtes avec ça, Naeviah. Les pervers sont ceux qui ont des… rapports… ou qui font des choses étranges. Je suis une victime la plupart du temps, tu sais ?

Naeviah ne semblait pas convaincue, elle fit une étrange moue avec ses lèvres tandis qu’elle leva les sourcils.

— Mouais… tu les cherches bien les situations. Comme les tonneaux…

— Je te rappelle que c’est toi qui m’a jetée dedans, j’ai rien fait moi !

— C’est toi qui t’es laissée infectée par toute cette magie nécromantique parce que tu as un penchant pour la magie noire la plus destructrice.

Au lieu de mal le prendre, j’affichais un sourire satisfait. « La magie noire la plus destructrice » ? Lorsqu’on m’exposait les choses ainsi, c’était difficile de lui en vouloir.

— Vous m’agacez un peu, dit Mysty. C’est bon, on s’en fiche. Tout le monde fait des trucs pervers, on est à égalité.

— Non, absolument pas ! Regarde ce regard lubrique sur son visage ! Elle bave presque !

J’étais encore en train de penser à ma magie, je n’entendais que distraitement ce qu’elle me disait.

— J’crois que j’ai pigé, dit Mysty. Le vrai souci, c’est que tu veux Fiali pour toi. T’es jalouse parce que les autres essayent de la chopper.

— Mais… Mais… PAS DU TOUT !!

Naeviah rougit jusqu’aux oreilles, croisa les bras et détourna le regard.

— Qui… qui serait intéressée par une fille pareille ? Je n’ai pas même un petit peu, pas le moindre, pas une once et minime intérêt pour elle ! Si je la suis, c’est juste pour vous protéger de sa perversion ! Et parce qu’elle est fichue d’attirer les nécromanciens ! Mon devoir est de les éradiquer du monde !

Mysty leva les sourcils et grimaça. D’une manière ou d’une autre, elle ne semblait pas convaincue par la tirade tsunderesque de Naeviah.

Aussi, Mysty me poussa sur Naeviah. Prise par surprise, j’eus à peine le temps de réagir mais nous tombâmes malgré tout sur le lit. J’étais étalée sur elle.

— Bon, Tyes. On va les laisser un peu. Faut qu’on aille bosser. Profite un peu, Nae ! J’passe te voir dans la piaule plus tard, Fiali. ‘Lut !

Entraînant Tyesphaine amorphe, elles quittèrent la chambre en me laissant à califourchon sur Naeviah.

Cette dernière était choquée, elle n’osait pas me regarder et bouger.

— Je vais me relever. Mysty est partie. Je pense qu’il faut qu’on fasse au moins semblant de s’entendre : elle m’a parue réellement agacée par tes propos pour une fois.

— Arrête de parler alors que je peux sentir ton haleine fétide de menteuse et de délurée lubrique…

— Je sens vraiment… ?

— Non…

Je me redressai pour m’éloigner d’elle. Contrairement à Mysty, je savais qu’elle n’était pas sérieuse et ne me détestait pas. C’était le mode de communication de Naeviah et je ne voulais pas qu’il en soit autrement.

— Parfois je… je… enfin…

— Non, non, non ! C’est bon ! Ne t’excuse pas !

Comme je venais de le penser ! Naeviah resta couchée sur le lit sans oser me regarder alors qu’elle se mit à parler d’une voix fragile.

— Mais tu… as dit qu’il fallait que j’arrête de…

— C’était sur le moment. Disons que je suis encore gênée de ce qui m’est arrivé cette nuit… Ne penses pas que je la préfère à vous… vraiment pas !

J’ignorais pourquoi je disais cela soudainement mais mes joues s’enflammèrent.

— Tu…

— Écoute, retournons travailler c’est mieux. Je suis sûrement une elfe perverse, tu as sûrement raison.

— Je… je suis désolée…

En fait, quand elle était ainsi, si vulnérable, elle rendait les choses difficiles. Je ne savais plus comment lui parler d’un seul coup. C’est sûrement pour me libérer du poids sur mes épaules que je fis quelque chose de stupide.

Je lui levais la jupe d’un seul coup et dévoilais sa culotte noire.

— Voilà, je suis une perverse !!

— Tu… Je vais te tuer !!

Je m’enfuis avec Naeviah qui me courait après. Quoi qu’on en dise, je la préférais comme cela.

***

Finalement, Mysty et moi nous décidâmes qu’il valait mieux d’abord nous occuper d’abord de la chambre de Syrle, puisqu’elle comptait revenir rapidement.

Naeviah et Tyesphaine allaient s’occuper, pour leur part, de nettoyer le vestibule uniquement, mais je doutais qu’elles y parviendraient en si peu de temps, considérant leurs maigres aptitudes dans les arts ménagers.

Le ménage de la chambre de Syrle n’était qu’un prétexte. Après avoir débloqué la porte grâce au mot de commande, j’entrai la première. Mysty resta cachée dans le couloir.

Je m’empressai de mettre des draps sur les trois statues décoratives de la chambre. Il y avait également des statuettes dans les bibliothèques, mais je préférais supposer que Syrle ne pouvait pas les utiliser pour nous espionner.

— Elles sont vraiment flippantes ces statues…, dis-je à haute voix.

C’était juste de la comédie. Si elle m’observait, elle pouvait se dire que je ne les aimais pas, tout simplement.

Comme convenu, je fis signe à Mysty d’entrer. Nous avions défini qu’elle ne parlerait pas, elle ferait le tour sans rien toucher pendant que je m’occuperais de nettoyer.

Sans tarder, j’abandonnais mon balais et mes torchons dans un coin et lançai mon sort de « Domestique ». Pendant qu’il ferait le sale travail, j’aurais tout le loisir d’étudier les effets magiques.

Me doutant qu’il n’y aurait pas de piège magique actif, puisque j’étais censée y travailler, je pouvais laisser Mysty faire le tour sans m’en préoccuper.

Même si elle était toujours insouciante et légère, elle savait faire son travail. Elle resta silencieuse, marchant sur le pointe des pieds (elle avait laissé ses chaussures dans le couloir), elle ne toucha rien et ne dit mot.

Pour ma part, je me permis de déplacer le contenu des étagères, d’ouvrir quelques livres. Si elle trouvait la chambre dans le même état qu’en partant, elle aurait des soupçons et il ne fallait pas compter sur mon sortilège pour créer une telle illusion ; il dépoussiérait sans rien déplacer et, si nécessaire, il remettait les objets à leur place exacte.

La pièce étant assez grande, il me fallut malgré tout une bonne heure et demi pour tout fouiller. Il y avait moins de dispositifs magiques que ce j’avais initialement pensé. Mis à part le sort qui verrouillait la chambre, il n’y avait qu’un seul piège : d’après mon analyse, le centre de la pièce pouvait devenir une trappe sur mot de commande. En restant sur le pourtour, il était facile à éviter mais le piège occupait malgré tout une vaste partie de la chambre.

J’ignorais ce qu’il y avait en-dessous et je préférais ne pas savoir.

Syrle avait quelques objets magiques sur ses étagères, je les laissais tels quels sans les analyser. Je n’avais pas le temps de tout faire.

Grâce au regard perçant de Mysty, nous découvrîmes un passage secret menant à une petite pièce dissimulée derrière une bibliothèque coulissante. J’entrai seule et je découvris un golem de pierre en construction. C’était un petit laboratoire magique.

À la réflexion, je n’en avais pas vu dans toute la demeure, ce qui était étrange considérant son rang et sa puissance. Je préférais rester sur le palier et ne pas entrer. Non seulement c’était un lieu intime pour un magicien, mais en plus je détectais de fortes concentrations de magie.

Elle avait réussi à berner mes sens en tapissant cette salle sans fenêtre de plomb. Ce métal avait tendance, par son caractère vil à bloquer les émanations magiques. Il faut comprendre par là qu’une armure en plomb ne protégera pas de la magie, mais elle retiendra les particules magiques se dégageraient de l’éventuelle tunique magique portée en-dessous.

Ce métal n’était parfaitement hermétique mais il était suffisant pour neutraliser la plupart des détections magiques.

Malgré toute la curiosité que je lui portais, cette pièce ne concernait pas vraiment notre mission. Le golem n’était pas complet, Syrle ne pourrait pas le lancer à notre poursuite si les choses dégénéraient.

C’est fort de toutes ces informations que nous décidâmes de quitter la chambre et que je retirais les draps des statues.

— Ce sera pas facile mais on devrait y arriver, me dit Mysty dans le couloir.

— Espérons que tu aies raison…

Le reste de la matinée se déroula sans événement majeur… Même si je dois dire, une fois que de plus, que Naeviah et Tyesphaine étaient réellement nulles pour les tâches ménagères. Après la lessive, je dus m’occuper de les aider faute de quoi le vestibule n’aurait pas été achevé avant le retour de Syrle.

La fatigue commençait à s’accumuler.

Lire la suite – Chapitre 6