Isekai Dakimakura – Arc 4 – Chapitre 6

Notre prise d’informations achevée, il ne restait plus qu’à attendre la nuit pour passer à l’action.

Syrle rentra au manoir un peu plutôt que ce qu’elle avait annoncé. Il était treize heures.

Les habitants de ce monde n’avaient pas de montres portables, ils se fiaient aux clochers ou beffrois se trouvant dans chaque localité et également à sens du passage du temps. Les nobles et les riches pouvaient pour leur part se permettre des horloges d’intérieur, souvent massives et bruyante. Je n’avais pas encore vu de montres à poignet ou à gousset, la miniaturisation n’était pas encore de mise. Néanmoins, j’étais persuadée qu’il devait exister des objets magiques qui assumaient un tel rôle.

Heureusement, nous étions prêtes à la recevoir : le vestibule et sa chambre étaient propres et brillaient comme un sous neuf. Il ne restait plus que le repas à finir, mais Mysty s’y attelait déjà.

— Je ne peux pas vous en vouloir, c’est moi qui rentre un peu plus tôt que prévu.

Elle avait dit début d’après-midi sans préciser d’heure, je n’estimais pas vraiment qu’elle était en avance.

— Je vais en profiter pour prendre mon bain. De toute manière, il est préférable de se baigner avant de manger. Linalina, je te laisse continuer avec la préparation du repas. J’ai hâte de voir ce que tu me réserves cette fois. Tinalina, tu vas l’aider.

— Oui !

— Vous deux : vous venez avec moi.

Naeviah me jeta un regard inquiet, mais sûrement l’étais-je encore plus qu’elle. Elle m’avait laissé sous-entendre que je devrais me baigner avec elle et non pas l’aider simplement à faire sa toilette.

Pourquoi Naeviah ? me demandai-je à cet instant. Une seule fille ne lui suffisait pas ?

Après un effet de surprise, mon amie reprit confiance en elle et répondit par un « oui » décidé. Pauvre Naeviah, elle ne se doutait de rien…

En fait, même moi j’étais loin de tout prévoir.

Nous entrâmes toutes les trois dans la garde-robe qui se trouvait au même étage que la chambre à coucher et la salle de bain. À présent que je connaissais la configuration de la chambre de Syrle, y compris du passage secret, je visualisais un peu mieux l’architecture de l’étage et je comprenais pourquoi il y avait si peu de pièces malgré l’espace disponible : une partie était cachée.

Sans être expert en la matière, on n’y voyait vraiment que du feu. Les pièces étaient si grandes qu’on pouvait ne pas remarquer le vide entre elles. Et c’était précisément dans ces zones-là que se trouvaient les passages et pièces secrètes. Même si je n’avais trouvé que le laboratoire à golem, j’étais convaincue qu’il y en avait d’autres.

Syrle nous indiqua les endroits où récupérer son peignoir, ses vêtements propres, ses chaussures de bain et ses chaussures d’intérieur. Pour une magicienne, je la trouvais malgré tout bien superficielle, accorder une telle importance à des vêtements… Même riche, j’aurais été incapable de consacrer toute cette énergie à ce genre de choses. J’aurais préféré investir en grimoires ou réactifs magiques pour concevoir des sorts inédits et encore plus dévastateurs.

Quoi qu’il en fût, une fois de retour avec tout ce qu’elle nous avait demandé :

— Parfait. Déshabillez-moi.

J’étais préparée à cet ordre, j’y avais déjà eu droit, mais Naeviah sursauta et afficha une expression choquée. Je m’empressai de la bousculer pour lui faire reprendre ses esprits.

— Oh ! Désolée…

Je commençais la tâche de dévêtir notre maîtresse, Naeviah ne tarda pas à me rejoindre. Ses mains étaient hésitantes et tremblotantes, mais son regard acerbe. Je pouvais aisément lire dans ses yeux dorés qu’elle me reprochait mon efficacité, qu’elle me faisait comprendre que ce n’était pas normal que mes mains s’agitassent aussi habilement pour dévêtir une femme.

Je m’attendais déjà à un florilège de reproches plus tard, lorsque nous serions seules.

À l’opposé, je lui fis des signes de tête pour lui faire comprendre qu’elle devait avoir plus d’assurance pour préserver notre couverture.

— La grande sœur est encore plus timide que la petite ? Vous avez une famille particulière.

— Veu… veuillez m’en excuser, Madame.

— Sadalina a toujours été la plus timide d’entre nous… enfin non, Tinalina l’est encore plus… Enfin bon, aucune des deux ne voulait se montrer nue, elles prenaient leurs bains à part.

— Je vois. Donc tu te baignais avec Linalina ?

— Seulement quand nous étions petites. Je… je pense que Linalina a quelques problèmes avec le fait que je sois… Enfin, vous voyez. Elle ne le montre pas, mais…

J’inventais complètement.

Immédiatement, je me rendis compte de mon erreur : faire passer Mysty pour xenophobe était assez peu crédible. Si une trollesse venait à lui parler gentiment, je ne serais même pas surprise de la voir sympathiser avec elle.

— Oui, je… je suis embarrassée… J’ai peu de poitrine, à peine plus que Katelina… Quelle indigne grande sœur !

Le visage de Naeviah était parfaitement rouge. Elle était entrée dans mon jeu mais même moi je ne m’étais pas attendue à ce qu’elle allât aussi loin.

— Je te l’ai déjà dit, Sadalina, ce n’est pas grave. J’aime tes petits seins, moi !

— Espèce de… C’est indécent ce que tu viens de dire devant Madame ! Excuse-toi, Katelina !

Elle voulait donc que la comédie prît cette tournure ?

— C’est bon, ce n’est pas un problème. Je préfère voir deux sœurs qui s’entendent bien et qui n’ont pas honte de leurs corps.

Les yeux écarquillés de Naeviah m’indiquèrent clairement qu’elle avait entendu ces mots de la manière la plus obscène possible. Je pris les devants pour cacher son embarras :

— Oui, j’aime mes grandes sœurs ! Même si je suis différente d’elles, j’apprécie le fait qu’elles me protègent et me soutiennent.

— Oui… j’aime Katelina aussi… comme une sœur…

Normal, nous étions des demi-sœurs. Idiote ! Tu vas dévoiler notre (mauvais) jeu d’actrice !

Évidemment que tu m’aimes comme une sœur… Je me rendis compte naïvement à cet instant, qu’elle insistait simplement sur le fait qu’il n’y avait pas de relation incestueuse entre nous.

Rhhaaaa !! Pourquoi insister sur ce « détail » ?

Je rougis légèrement et, un peu paniquée, m’empressai de rajouter :

— Oui, je les aime comme des sœurs. Enfin, en tant que sœurs. Hahaha !

Il valait mieux arrêter là, nous allions finir par nous dévoiler nous-mêmes si nous continuions.

Syrle rit subrepticement, un rire très mesuré qui témoignait de ses hautes compétences sociales. Rire de manière bruyante ou prolongée était une gêne pour l’entourage, les personnes distinguées savaient mesurer jusqu’à leurs transports.

— Je n’entendais pas de telles relations entre vous, mais votre ferveur à le démentir me ferait presque penser qu’il y a anguille sous roche.

— Hein ? Nous…

— C’est bon. Je n’ai pas de frères et sœurs et je n’ai rien contre les relations du genre. Rassurez-vous, vous êtes libres de vous aimer à votre guise.

Je soupirai d’un soulagement sincère, mais Naeviah parut choquée. Certainement, l’inceste était un sujet délicat. Je lui fis signe des yeux de se reprendre, de passer à la suite.

Elle reprit ses esprits rapidement, elle avait paru me comprendre. Après une petite grimace, elle dit d’une voix qui cachait son embarras :

— Tant mieux dans ce cas…

NAEVIAH !! Avec une réponse du genre, tu sous-entends qu’il y a bien quelque chose de louche dans nos rapports ! Comment pouvait-elle être aussi nulle en comédie ? me demandais-je en cet instant en me retenant de pleurer.

Une fois Syrle nue, je lui mis son peignoir. Je ne dirais pas que j’étais habituée à présent, mais ce n’était plus la première fois. Mes yeux contemplèrent —involontairement, je précise— ses courbes bien différentes des miennes, puis je m’accroupis pour lui tendre une des chaussures.

Naeviah m’imita du mieux qu’elle put et tendit l’autre.

Syrle ne tarda pas à y enfiler ses pieds et nous faire signe de la suivre.

Une fois dans la salle de bain, elle utilisa un mot de commande pour activer le robinet de la baignoire qui commença à se remplir d’eau.

— Je constate que tout est propre. Beau travail.

— Merci, répondis-je.

— Par contre, il aurait fallu allumer un feu, se déshabiller dans une pièce aussi froide est désagréable. Vous apprendrez à anticiper mes demandes avec le temps. Pour cette fois, on fera l’impasse.

En effet, nous n’étions pas du tout des domestiques, c’était le genre de préoccupations qui nous était totalement sorti de l’esprit.

— La baignoire sera pleine dans quelques minutes. Démaquillez-moi entre temps.

Syrle s’assit sur un tabouret devant le lavabo où se trouvait un grand miroir et une grande variété de produits cosmétiques.

Je l’avais constaté pendant le ménage de la pièce, mais ce monde n’avait rien à envier à mon précédent de ce côté-là. Sans les étiquettes, toutefois, j’avais été bien incapable d’identifier la moitié des produits. Je supposais qu’une personne normale, toute fille de professeur fut-elle, aurait été dans le même embarras que moi.

Naeviah se montra plus habile que moi dans la tâche du démaquillage. Une fois de plus, c’était un indice quant à sa supposée éducation noble.

— Katelina, vérifie la température de l’eau. Puisque tu as une si bonne élocution en draconique, ajuste la température par le biais des mots de commandes suivants…

Elle me les transmis. Honnêtement, si je n’avais pas connu le langage, j’aurais été incapable de les retenir.

— Bien sûr !

Je mis la main dans l’eau, elle me paraissait à point. Mais la baignoire n’était qu’à moitié remplie.

Jetant un regard derrière elle, Syrle me dit :

— Tu peux l’arrêter. Sinon l’eau risque de déborder et il va falloir tout nettoyer.

— Oui !

Je prononçai le mot d’arrêt en draconique. Plus ou moins en même temps, Naeviah indiqua qu’elle avait fini de décoiffer et démaquiller Madame.

Syrle, sans attendre, se leva, fit glisser son peignoir et entra dans la grande baignoire.

— Ah ! Ça fait du bien !

Sans aucun doute, cela devait être agréable.

— Que faites-vous là plantées là comme des piquets ? Déshabillez-vous et rejoignez-moi.

— HEINNNN ?!

Cette fois, Naeviah ne put contenir sa surprise. J’y étais préparée et je redoutais cet instant, mais peut-être aurais-je eu les mêmes appréhensions qu’elle autrement.

— Madame… Ma sœur est timide comme je vous l’ai dit…

Je me préparai à devenir l’unique « sacrifice », mais Syrle leva les sourcils :

— J’ai bien entendu mais je me baigne avec mes domestiques. Puis, cela lui ferait un entraînement pour surmonter sa timidité.

Je grimaçais brièvement et me tournai vers Naeviah qui ne paraissait pas prête de s’en remettre. Ses lèvres bougeaient alors qu’un très faible souffle quittait sa bouche, seules mes oreilles purent entendre : « to… tonneau… ».

Le traumatisme du tonneau refaisait surface !

Je lui pris les mains alors que je vis des larmes apparaître au coin de ses yeux.

— Sadalina ? C’est vraiment si horrible pour toi ? Je te l’ai dit, ta poitrine est adorable…

— N’aie crainte : j’aime autant ceux abondants de votre sœur Tinalina que les vôtres.

Syrle ajoutait de l’huile sur le feu ! Je grimaçais alors que mon visage se remplit de sueur.

— Je… je…

— Allez, grande sœur ! Je sais que tu peux le faire ! Tu n’es pas seule, je suis là !

En fait, j’étais sûrement la source majeure du problème puisque j’étais liée au traumatisme.

— Je pense qu’elle a besoin d’un peu d’aide, dit Syrle. Katelina, je te charge de la déshabiller et de l’amener à l’intérieur du bain. Même par la force.

— Hiiiiii !

La psychologie de l’aide agressive… Parfois, certaines personnes avaient besoin qu’on les brusque pour aller de l’avant, étant incapables par elles-mêmes de surmonter leurs faiblesses. Mais dans mon ancien monde, déshabiller une fille pour la jeter de force dans un bain, était du harcèlement sexuel.

Ici, je doutais qu’un juge reçoive une telle plainte autrement que par des fous rires. Surtout entre femmes.

J’approchai mon visage de Naeviah pour lui faire ma demande une nouvelle fois, avec délicatesse.

— Tu ne veux pas nous rejoindre, grande sœur ? Allez, même moi j’y vais. Ma grande sœur si forte ne peut pas me décevoir en ayant moins de courage que moi.

Cette fois, j’avais réussi à la faire réagir. Elle passa de l’embarras à la colère. Naeviah était compétitive à mon égard. Quoi de plus normal pour une tsundere ?

— Te fiches pas de moi ! Je… je vais le faire !

Naeviah retira ses vêtements sans réfléchir. J’avais honte d’avoir réussi à la manipuler aussi facilement, mais si vous voulions nous assurer du succès de la mission, il n’y avait pas d’autres choix.

Je pus voir le regard amusée de Syrle, la responsable de cette situation gênante. N’aurait-elle pas pu choisir quelqu’un d’autre ? me demandai-je à cet instant.

À la réflexion, elle n’aurait pas pu. Mysty, qui était la moins farouche, devait cuisiner et Tyesphaine… je préférais ne même pas imaginer le désastre que cela aurait été avec elle.

— Ohh ! Quelle audace, Sadalina !

Je surjouais mon admiration mais, en réalité, je pleurais intérieurement. Pourvu que je fus la seule à pouvoir utiliser ce genre de stratagème avec elle…

En guise de vengeance, elle me jeta furieusement ses sous-vêtements dessus avant d’entrer dans la baignoire à l’opposé de Syrle.

— Je vois. Tu es du genre à ne pas aimer perdre face à ta petite sœur.

— Normal, c’est une idiote ! Qui aurait envie de perdre contre elle ? Mpfff !

Naeviah, qui avait reprit du poil de la bête, croisait les bras et détournait le regard. Elle ne prenait même plus vraiment soin de se cacher.

— Hahaha…

Tout en riant nerveusement, je défis mes couettes et retirai mes vêtements pour les rejoindre.

Bien sûr, j’avais la pire place : au centre.

D’un côté, j’avais les pieds de Syrle et de l’autre ceux de Naeviah.

— Aaaahh ! Le plaisir est encore meilleur à présent. Un bon bain avec deux jolies filles dedans. Le bonheur complet !

Syrle était vraiment détendue et expressive soudain. Je me demandai même un instant si cela n’eut pas été le moment idéal pour lui dérober l’anneau. Au passage, elle l’avait retiré en se démaquillant, il se trouvait posé là à côté des cosmétiques dans une petite boîte.

Le voler, foncer et quitter le manoir… Était-ce l’occasion rêvée ?

Mais alors que j’y pensais en jetant des regards discrets dans la direction de l’anneau magique, Syrle prononça un mot de commande en draconique. Immédiatement, je compris ce qu’elle venait de faire :

— Je n’aimerais pas qu’on soit dérangées dans tel moment d’intimité.

Elle venait de faire apparaître une barrière magique pour nous enfermer. Toutes les pièces du manoir avaient-elles ce dispositif de défense ou quoi ?

Puisque je n’avais pas ressenti de magie particulière sur la porte de la salle de bain, j’avais supposé qu’il n’y avait pas de protection magique semblable à la chambre à coucher ; je m’étais trompée. J’entrevoyais plusieurs explications dont celle que la porte de la chambre de Syrle était l’objet magique qui activait la protection de tout l’étage et non pas seulement dans sa chambre en elle-même. Il y avait également la possibilité qu’elle venait de verrouiller complètement tout le manoir, comme elle l’avait fait la précédente nuit.

Quoi qu’il en fût, nous étions prisonnières à présent. Je déglutis en sentant des sueurs froides dans mon dos.

— Que l’une d’entre vous me masse les épaules. L’autre me massera les pieds.

Le regard que me dirigea Naeviah me fit comprendre qu’elle trouvait les pieds plus honteux, je choisis donc de laisser à mon « adorable grande sœur » les épaules.

Syrle s’avança vers le centre pour laisser de la place derrière elle à Naeviah.

— Oui, fais passer ses jambes à côté de moi. Il y a suffisamment d’espace.

Naeviah rougit jusqu’aux oreilles alors qu’elle faillit se mettre à pleurer. Syrle s’allongea sur elle sans aucune gêne.

De mon côté, elle m’obligea à m’avancer et posa ses pieds sur mes cuisses. J’en pris un pour le masser. Je n’avais jamais fait une telle chose, j’ignorais comment faire en réalité.

Mon visage était chaud mais peut-être était-ce à cause de la chaleur du bain, tout simplement.

— Aaahhh ! Le bonheur !

Je me retins de grimacer. Sûrement que de son point de vue mais du nôtre…

— Je m’en doutais : vos petites mains sont douces mais vous avez de la poigne malgré tout. C’est parfait ! Et vos corps sont magnifiques également.

— Mer… ci…

Naeviah réalisa sûrement que j’avais eu raison de prétendre que Syrle était une perverse. Dommage pour elle, c’était trop tard !

— L’autre pied aussi.

— Bien sûr.

Syrle me scruta attentivement.

— Je me demande si toutes les demi-elfes sont comme toi ?

— Je… je ne sais pas…

— Je me permets.

Syrle m’attrapa par le poignet et m’attira à elle. Elle m’assit entre ses jambes et commença à me toucher les flancs.

— Je… je…

— Tu es si légère. C’est comme si tes os étaient fins. As-tu déjà eu une fracture d’un os ?

Elle me chatouillait et appuyait son imposante poitrine nue sur l’arrière de ma tête.

J’eus tout le mal du monde à lui répondre par la négative.

— Ton ossature, bien que plus légère, reste donc solide… Je me demande si les elfes purs sont encore plus fins ? Et ta poitrine ?

Elle fit glisser ses mains depuis mes hanches à celle-ci.

— Kyaaa !!

Je ne pus retenir ce petit cri alors qu’elle passa à l’inspection de cette zone. Bien sûr, c’était en toute innocence, c’était juste une inspection entre filles, comme dans les anime… Non, ce n’était pas crédible ! Syrle était une perverse ! Une vraie !!

— Ma… dame… je…

— Allons, ce n’est que pour l’étude, prenez un peu sur vous, Katelina.

— Mais…

— Ferme et tendre. Pas différente des humains. Il est possible que les elfes purs ne puissent pas avoir de lourdes poitrines en raison de leur ossature légère.

J’étais arrivée à la même conclusion des années de cela, c’est pourquoi complexer sur ma « croissance » (pour employer un terme souvent utilisé comme excuse) était inutile. Les siècles pourraient passer, ce corps était déjà adulte. Et comme je l’avais dit, je l’aimais bien tel qu’il était.

— Madame… vous… vous…

— Un problème, Sadalina ? Peut-être êtes-vous jalouse ? Voudriez-vous un examen également ? Il est vrai que les caractéristiques de votre sœur sont un mélange entre deux espèces, mais vous êtes également particulière avec ces yeux dorés aux nervures si spéciales.

Naeviah, qui avait essayé de me défendre, se rendit compte soudain d’avoir attirer l’attention du fauve sur elle. Elle blêmit alors que Syrle se retourna.

Passant une main autour de ma hanche et l’autre autour de celle de Naeviah, elle nous tira à elle.

— Mmmm, entre deux sœurs. C’est pas si mal…

Ses mains recommencèrent à se promener sur mon corps et considérant la réaction de Naeviah, il devait y avoir une certaine symétrie.

— Si vous voulez toucher, cela ne me dérange pas. C’est inhabituel pour une employeuse, mais vous êtes si adorables…

Elle se tourna vers moi et déposa un baiser sur ma nuque. La situation dérapait dangereusement. Tant pis pour le plan, je décidai à cet instant de passer à l’action. Se dégager de là, voler l’anneau et détruire la barrière à l’aide d’un sort.

Je tournai mon regard vers Naeviah pour lui signifier mon intention mais je la vis pétrifiée, son esprit totalement vide. Si j’agissais, ce serait en solitaire. L’esprit de Naeviah était absent pour le moment.

Les mains de Syrle devenaient plus audacieuses encore, il fallait agir et VITE !

— Le repas est prêt ! cria la voix de Mysty de l’autre côté de la porte.

— Nous arrivons, répondit Syrle. Gardez-le au chaud un bon quart d’heure.

— OK

Je faillis demander l’aide de Mysty mais Syrle soupira avant.

— C’était le meilleur moment… Bah, une prochaine fois. Lavez-moi, nous devons nous dépêcher.

Elle cessa d’agiter ses mains, se leva et écarta les bras pour nous inviter à la savonner.

Je m’approchai de Naeviah pour tenter de la ramener à elle, mais elle ne répondait plus. Je finis par lui souffler un mot de pouvoir à l’oreille : « Tonneau ».

Elle bondit aussitôt et reprit ses esprits. Je soupirais de soulagement : Syrle n’était pas allée assez loin pour effacer ce traumatisme. Au fond, je me demandais même s’il y avait de quoi s’en réjouir…

Naeviah me laissa bien sûr nettoyer les parties les plus sensibles de Syrle. Je me jurais de me venger dans un futur.

***

Il fallut un peu de temps à Naeviah pour se remettre de cet épisode honteux.

L’après-midi, Syrle décida d’étudier la magie et m’y convia. Les autres étaient affectées à des tâches ménagères.

Dans un de ses bureaux, elle m’apprit les bases de la magie. J’avais beaucoup de mal à prétexter ne rien y comprendre, ce niveau était tellement rudimentaire chez nous autres elfes qu’on ne commençait même pas par là.

En tant que haut-elfe née avec des pouvoirs innés, certains concepts liés à la magie me sont aussi naturels que le fait de respirer. Canaliser, focaliser, cristalliser ses pensées et les raffermir par l’imagination, c’était des choses que je faisais depuis mon enfance.

Syrle me confia des devoirs que je fis exprès de sabote ; pendant ce temps, elle étudia de son côté jusqu’à la fin de l’après-midi.

Une fois n’était pas coutume, elle nous invita à sa table. Nous ne pûmes refuser.

Après le repas et les nombreuses tâches domestiques, la nuit vit à tomber et nous nous retirâmes dans nos chambres respectives.

Suite au récit de Naeviah, que je rendis moins obscène pour ne pas choquer les oreilles de la pauvre Tyesphaine, nous insistâmes sur la nécessité de passer à l’action le soir-même.

Bien sûr, Mysty ne manqua pas de commenter notre récit :

— Sérieux ?! Dire que j’aurais pu demander à entrer pour faire une salade de sœur dans la baignoire ! Aaahhh ! J’ai raté une bonne occasion ! J’suis dégoûtée maintenant !

Naeviah s’empressa de la ruer de petits coups bien trop faibles pour lui faire mal, au contraire, ils provoquèrent l’hilarité de Mysty.

Le plan d’action établi, il ne restait plus qu’à le mettre en application.

Direction la chambre de Syrle !

Cette fois, nous ne comptions interagir avec aucune porte extérieur, aucun sort, rien d’autre que sa chambre. Il y avait trop de risques qu’une alarme télépathique fasse tomber notre plan à l’eau.

M’assurant qu’il n’y avait pas de telles sécurités dans les couloirs que nous arpentions, je suivis avec minutie les indications de Mysty pour éviter de faire du bruit par inadvertance.

Après peu, nous arrivâmes devant la porte de la chambre de Syrle.

Je tendis l’oreille et entendis le souffle endormi de la mage. Je levai le pouce pour donner le feu vert à Mysty, puis je chuchotai le mot de commande pour débloquer le verrou magique de la porte.

Même privée de sa protection magique, la porte restée verrouillée mécaniquement. C’est pourquoi Mysty prit immédiatement la relève et la crocheta en silence. Nous portions notre équipement d’aventurières. Naeviah et Tyesphaine attendaient notre signal dans la cour pour nous enfuir toutes ensembles.

Une fois la porte ouverte, je restais sur le palier prête à agir et laissais faire Mysty. Nous avions établi son parcours jusqu’à la boîte en évitant la trappe magique au centre. Les statues ne réagirent pas. Peut-être parce que Mysty était réellement discrète ou bien parce que Syrle était endormie. Je n’étais toujours pas assurée qu’elles pouvaient réellement nous espionner, à vrai dire.

Syrle dormait les rideaux fermés. Je refis signe à Mysty qu’elle ne faisait pas semblant, elle poursuivit.

Finalement, elle atteignit la bibliothèque où se trouvait la boîte à bijoux, celle la plus proche du lit à baldaquins. C’était le moment décisif. Mon cœur accéléra, je retins mon souffle.

Avec une assurance naturelle, Mysty tendit les mains, ouvrit la boîte et prit l’anneau qu’elle mit dans sa poche. Puis, remettant tout en place, elle revint à pas de velours jusqu’à ma position.

Syrle ne bougea pas, elle dormait à poings fermés. Nous refermâmes la porte et nous dirigeâmes vers la sortie.

Cette nuit, il n’y avait aucune barrière autour du manoir. Par contre, je distinguais celle autour de l’enceinte extérieure.

Même si je me demandais pourquoi ce changement, c’était une chance inopinée pour nous. Une seule barrière à détruire et nous pourrions quitter le domaine et cette magicienne perverse.

Je fis apparaître une petite sphère de lumière pour signaler notre position et notre réussite à nos amies, elles nous rejoignirent immédiatement.

— Il ne reste plus qu’à décamper, chuchota Mysty.

Tyesphaine parut soulagée, elle sourit avec gentillesse. Nous nous mîmes aussitôt en route vers le portail qu’il faudrait détruire.

Mais lorsque nous arrivâmes au centre de la cour, la terre se mit à trembler. Le sol se craquela et rapidement émergèrent des silhouettes.

— Que voilà donc ? De mignonnes petites souris voleuses ?

Cette voix venait d’au-dessus de nous. Nous la reconnûmes immédiatement comme étant celle de Syrle.

— Il y avait donc d’autres pièges que je n’ai pas vu…

Je dégainai mon épée et fit face à notre adversaire. Elle était assise sur un disque métallique flottant dans les airs et était vêtue de son pyjama. Son expression était pleine de suffisance et de confiance en elle.

— Même les elfes auraient donc leurs limites ?

— Je n’en suis qu’une demi.

Naeviah me donna un coup de coude dans le flanc tout en se plaquant contre mon dos. Baissant mon regard, je pus constater que nous étions entourées. Des créatures ressemblant à des humains aux traits grossiers, composés entièrement de roche et de terre ; ils pointaient leurs poings dans notre direction.

Mysty et Tyesphaine (en armure intégrale cette fois) avaient dégainées leurs armes et formaient un mur autour de Naeviah.

— À condition que ta fausse identité de Katelina ait dit la vérité à ce propos. Mais, j’ai lieu de penser que ce n’est pas le cas. Gardiens des profondeurs ! Essayez d’en garder au moins une en vie.

Je souris de manière hautaine. Elle ne pensait tout de même pas nous avoir avec des invocations aussi grossières ?

— Mysty, protège Naeviah. Tes armes ne seront pas très efficaces sur eux. Tyesphaine, je te laisse ceux-là !

Aussitôt, je fis apparaître mon aura protectrice et, sans attendre confirmation, je chargeais les gardiens des profondeurs les plus proches. Ils étaient au nombre de trois.

J’imprégnai mon épée de ténèbres et bondit en avant pour esquiver les trois poings qui m’arrivaient dessus ; avec mon agilité, je passais pile dans l’espace entre les bras. Je me réceptionnai d’une roulade et portai un large coup circulaire.

Une seule attaque. C’était ce qu’il m’avait fallu pour évaluer qu’ils étaient bien plus lents que moi. Je me doutais que leur force reposait dans le nombre et leur résistance, mais face à mon arme imprégnée de magie, la résistance physique pure était inutile.

Ma lame entailla leurs jambes. J’esquivai leur contre-attaque d’un salto vertical.

Dans les airs, je tendis ma main :

« Azaltys Eskyl (Dark Wave) !! ».

Mon cône de ténèbres les engloba tous les trois et les désintégra. Du moins, c’était ce qui était prévu mais, lorsque je reposais les pieds au sol, je vis qu’il restait des morceaux inertes au sol. Ils n’étaient plus en capacité de poursuivre le combat, mais j’étais surprise de remarquer que ma magie ne les avait pas totalement annihilés.

— Hoho ! Quelle agilité ! Une excellente maîtrise des armes et de la magie.

— Et vous n’avez encore rien vu, Syrle !

Je jetai un œil à mes amies, elles étaient engagées en plein combat. Elles suivaient ma proposition de stratégie. Les armes de Mysty n’arrivaient pas à entailler les Gardiens et, contre ce type de créatures artificielles, ses connaissances de l’anatomie ne servait à rien.

Naeviah acheva une incantation :

« … purgez le crime au nom de votre protégée ! Nolkan Drovir !! »

Une colonne de flammes vives et tirant vers le jaune tomba du ciel et s’abattit sur un groupe de Gardiens. J’ignorais qu’elle était capable d’utiliser ce genre de sorts !

Les Gardiens ne fondirent pas, ils étaient trop résistants pour cela, mais ils explosèrent en morceaux qui manquèrent d’éborgner Naeviah, malgré la distance ; Mysty s’interposa pour les dévier.

— Oh ? Je viens d’avoir une idée ! dis-je. Amusons-nous avec le feu ! Mysty, recule !!

Ce n’était pas un sortilège qu’on m’avait appris mais un que j’essayais de développer sur mon temps libre. Naeviah venait de m’inspirer, elle m’avait donné le petit coup de pouce pour achever l’incantation.

J’ignorais si ses effets seraient réellement optimum mais c’était le meilleure moment pour le mettre à l’essai.

Comme je l’avais expliqué, les formules magiques étaient des sortes de béquilles facilitant la concentration et la visualisation du sort, le rendant bien plus puissants, mais ils n’étaient pas indispensable. En fait, n’importe qui, à condition de suivre un certain nombre de principes d’écriture, pouvait improviser des incantations.

Syrle avait abordé le sujet précédemment : chez les humains, il y avait plusieurs écoles de magie. Chacune disposant de son propre registre d’incantation pour le même sort. La même boule de feu pouvait avoir, par exemple, cinq incantations différentes.

Ma magie elfique m’avait été enseignée par mon mentor avant sa disparition et par le biais de livres. Ces derniers m’avaient tout autant appris la logique qui régissait leur écriture que des sorts formulés.

Apparemment, dans mon peuple, il y avait eu des dizaines et des dizaines de style de magie, beaucoup créaient le leur pour avoir quelque chose de plus personnel et de facile à retenir. L’intérêt d’une école formelle résidait surtout dans le fait d’avoir une incantation efficace et testée qu’il suffisait d’apprendre.

Tout cela pour dire que j’avais moi-même développé les paroles de ma nouvelle incantation. Lors des tests préliminaires, le sort m’avait paru digne d’intérêt, mais c’était à cet instant que j’eus le déclic pour l’achever et le mettre en pratique.

« Hymne des midians jaillit des profondeurs d’Outre-Monde, Érèbe de flammes ! Que ton essence se déverse en moi et par les tablettes des obscurs sabbats s’incarne ! Aesthy Solfylvyael (Flames Ascension) ! »

Je posai ma main au sol, tout en m’entourant de flammes, et y injectai ma magie.

Autour du dernier groupe d’ennemis qui combattaient Mysty, le sol se craquela et six boules de flammes violettes sortirent du sol pour s’abattre sur les quatre Gardiens.

Ces sphères mélangeaient à la fois l’élément feu et ténèbres. Je m’étais inspirée des flammes noires de Naeviah que j’avais trouvé réellement impressionnantes. Contrairement à son sort, mes flammes violettes n’étaient pas chaudes, même s’il s’agissait de feu, elles étaient froides et désintégraient la matière à l’état moléculaire, comme les ténèbres que j’utilisais en général.

Leur rayonnement n’était pas du tout équivalent à une simple boule de feu, pour atteindre plusieurs ennemis à la fois il fallait que ces derniers se trouvassent côte à côte. Grâce à Mysty, le groupe d’ennemis était plutôt compact, je fis donc carton plein.

Les flammes continuèrent de « brûler » au sol pendant quelques minutes après la disparition des quatre créatures de pierre.

— Oh ? C’était violent ça, Fiali !

— D’où… d’où tu le sors celui-là ?!

Naeviah connaissait tout mon registre de sortilèges, elle m’avait interrogée pour connaître toutes mes capacités ; j’avais fait de même dans l’intérêt de notre travail d’équipe.

— Héhé ! C’est un nouveau : je viens de le finaliser !

Je fis un signe de victoire dans sa direction alors que je me mis à sourire.

— Toi, sérieux ! Y a vraiment que pour tout détruire que tu es efficace !

— Naeviah… tu vas lui faire plaisir…

— Connaissant Fiali, c’est clair ! Hahaha !

— Héhé héhé !!

Je me grattais l’arrière de la tête, fière et gênée par tant de compliments (qui n’en étaient pas).

Plus ou moins, en même temps, nous nous tournâmes vers Syrle :

— Il faudra plus que cela pour nous vaincre ! lui dis-je.

— Je le vois bien. Mais ce n’était que l’échauffement, vous savez ?

Elle fit claquer ses doigts alors que les morceaux des Gardiens se rassemblèrent entre eux pour en former des nouveaux. Sortant du manoir, les fameuses statues que je n’avais pas arrêté d’analyser vinrent se joindre à la partie.

De plus, Syrle se redressa sur son disque volant et leva la main.

— Voyons voir si vous vous en sortez aussi bien cette fois, mes petites souris voleuses.

Elle fit apparaître au-dessus de sa tête des éclats minéraux aussi pointus que des flèches. Puisque je distinguais comme en plein jour (Naeviah avait crée une sphère de lumière pour éclairer la zone mais les projectiles étaient au-delà de son halo), je compris rapidement qu’il s’agissait de diamants.

— C’est… une blague…, dis-je en grimaçant.

Autour de nous, les statues et les Gardiens formaient à nouveau un cercle, bien plus compact que le précédent. Dans les airs, des centaines de pics de diamants.

Syrle était si puissante ? Une magicienne normale aurait été capable de créer quelques dizaines mais là, elle remplissait presque le ciel au-dessus de nos têtes.

Je me hâtai de revenir auprès de mes amies.

— Tyesphaine, ton bouclier !

Les pics tombèrent sur nous non pas tous en même temps mais par vagues continues, un véritable barrage de tirs. Tyesphaine leva son bouclier qu’elle entoura d’une lumière bienveillante, elle protégea Naeviah en se plaçant devant. Mysty dévia quelques projectiles en les frappant de ses kama, tandis que je me protégeais avec mon bouclier magique.

Mais les projectiles étaient trop nombreux. Rapidement, ma défense se fissura et les pics me lacérèrent. Mysty fut également submergée. Tyesphaine tint un peu plus longtemps : la barrière magique qu’elle superposait à son écu se brisa, de même que la poignée de son bouclier qui s’envola au loin.

Tyesphaine protégea de son corps Naeviah en l’enveloppant de ses bras.

Lorsque l’attaque s’acheva, nous étions toutes à terre. Mais je remarquais rapidement qu’aucun projectile ne s’était enfoncé dans mes chairs. Ils étaient passés à côté, juste suffisamment près pour m’effleurer. Mysty en avait quelques-uns plantés dans son armure. De même du côté de Tyesphaine. La quantité de sang que je pouvais voir confirmait mes soupçons.

Je me relevai, mes vêtements en lambeaux, en me tenant le flanc. Mes compagnonnes firent de même.

— Tyesphaine, tu vas bien ? cria Naeviah.

— Oui… rien de grave…

— Et Mysty ? Et Fiali ?

— Tout va bien ! Ch’suis encore d’attaque !

Autour de nous, le nuage de poussière qui avait été levé se dissipait lentement. Je ne répondis pas de suite.

Soudain, je jetai mon épée au sol.

— C’est bon, vous avez gagné Syrle.

— Hein ?

Naeviah s’écria de surprise, mes autres compagnonnes l’étaient tout autant.

— Tu te rends ? Ne sais-tu pas ce que je vais vous faire subir une fois devenues mes prisonnières ?

— Cela me ferait presque peur si je ne savais pas que c’est du bluff. Nous n’aurions jamais du accepter cette mission depuis le début : c’est vraiment pas notre style.

Mysty se mit à rire bruyamment. Elle jeta ses faucilles au sol également.

— Ouais t’as raison. On a essayé de voler une personne sympa, même moi j’fais pas ça.

Tyesphaine nous imita et s’inclina.

— Nos excuses… ne seront peut-être pas suffisantes… nous… acceptons votre jugement… Nous ne sommes pas des voleuses.

Seule Naeviah n’était pas réellement convaincue.

— Eh oh ! Vous êtes folles ? C’est une perverse ! Elle va nous… et puis… Kyaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!!

Elle porta ses mains à la tête en blêmissant, en s’agitant et en criant.

— Dois-je donc continuer le combat contre vous seule, chère prêtresse d’Uradan ?

Naeviah nous regarda tour à tour, c’était encore moi qu’elle accusa, une fois de plus. Elle me prit par le col et me secoua :

— Tout est de ta faute !! Je ne veux pas !! Je ne veux perdre ma virginité à cause de toi !!

— C’est bon, je te dis. Syrle n’est pas comme ça. Pas vrai ?

Lorsque nous tournâmes nos regards vers elle, elle me fit frisonner : ses yeux étaient petits et sournois, elle se léchait les lèvres avec passion.

Je déglutis en cherchant mon épée du regard. Naeviah se remit à me secouer comme un pommier.

— Je vais te tuer, espèce d’elfe perverse !!!!

Je pouvais comprendre sa détresse, mais les dés étaient jetés. Soit nous finirions prisonnières dans le manoir, soit nous finirions dans son lit, soit…

***

— Quand aviez-vous compris ? demandai-je à notre hôte.

— Presque depuis le début. Enfin, j’ignorais vos réelle identités, mais je me doutais que vous aviez été envoyées par le marquis. Quel idiot…

Nous étions à présent dans le salon que nous avions nettoyé la veille, assises sur le canapé. Syrle se trouvait dans le fauteuil en face de nous et arborait une expression à la fois amusée et victorieuse.

— Ces tenues étaient obligées… ? se plaignit Naeviah.

Nous portions des pyjamas… enfin, officiellement, mais il s’agissait de nuisettes. J’étais un peu étonnée que ce genre de tenues existassent dans ce monde, mais cela faisait partie des nombreuses différences avec l’histoire médiévale de mon ancien.

Honnêtement, si elles n’avaient pas été si révélatrices, elles auraient fait de très bon pyjamas. Le tissu était une soie à la fois légère et résistante.

Syrle nous avait obligées à les porter avant d’accepter de discuter avec nous. J’avais dû insister auprès de Tyesphaine et Naeviah : la première avait cédé facilement afin de respecter sa parole d’honneur, mais la seconde avait longuement protesté. Une paladine qui se rendait n’allait pas revenir sur sa parole.

— Dans ces tenues, je sais que vous ne prendrez pas la fuite au moins. Et que vous n’avez pas d’armes cachées.

— Moi j’aime bien ! C’est tout léger et tout doux ! J’pourrais même dormir dedans, en fait.

Mysty contre la pudeur, Mysty l’emporte !

Nous tenions peut-être une piste pour enfin lui faire porter un pyjama.

— Moi… j’ai envie de mourir… Espèce de mage perverse… Toutes les utilisatrices de magie noire ont un sérieux problème ?!

Naeviah avait les larmes au coin des yeux mais cela ne l’empêchait pas de me jeter des coups d’œil accusateurs.

— Naeviah, c’est bien ça ? Auriez-vous préféré que je vous fasse arrêtées ? Le traitement est bien moins agréable dans les prisons de la ville, vous savez ? Les geôliers auraient été enchantée d’accueillir quatre belles filles comme vous.

— Je vous remercie de ce traitement, dis-je en m’inclinant humblement.

En réalité, à ce stade, je m’en fichais un peu des nuisettes. J’avais pris un bain avec Syrle, je l’avais habillée… On va dire que je commençais à avoir l’habitude.

En tout cas, plus aucun doute possible quant à sa perversion : elle aimait les jeunes femmes. Je doutais qu’elle allait jusqu’à les forcer contre leur gré mais elle ne se gênait pas pour les mettre dans des situations embarrassantes.

En peu de mots : elle était une sadique.

J’imaginais qu’avec Tyesphaine qui était devenue une statue, cachant ses seins de ses mains, sous l’effet du choc et Naeviah qui continuait de s’agiter pour trouver la position la moins honteuse, elle devait être enchantée.

— T’en fais trop, Nae. C’est bon ! Puis, ça te va comme un gant !

— Je ne veux pas l’entendre de ta bouche, espèce de délurée ! Je n’aurais jamais dû vous accompagner en aventure depuis le début !

— Haha ! C’que t’es fâchée !

Mysty ne se cachait pas du tout, elle avait croisé ses jambes et passé ses bras derrière la tête. Le tissu était suffisamment fin pour bien distinguer ses courbes.

Je me demandais si Syrle ne détestait pas Mysty puisqu’elle ne résistait pas. En y repensant, elle l’avait rapidement cantonnée à la cuisine au lieu de toutes les tâches honteuses que nous avions subies.

— Meurs, Mysty !

— On aurait pu mourir si on avait combattu plus longtemps, dis-je. Toute perverse qu’elle soit, je reconnais Syrle comme une excellente magicienne. Et elle l’est d’autant plus d’avoir réussi à simplement nous effleurer malgré tous les projectiles.

Je pensais réellement ce que je disais. Il fallait une capacité de calcul et une concentration réellement supérieure pour réussir à limiter à ce point les dégâts. Un petit sort de Naeviah avait suffit à nous remettre à neuf.

— Raconte pas n’importe quoi, tu n’as même pas essayé ton sort machin ! Tu aurais tout explosé !

Je ne pus contenir un sourire satisfait. Je l’étais d’autant plus que ces paroles venaient de la fière Naeviah.

Mais…

— Elle m’aurait tuée avant. Résigne-toi, c’est le destin des perdants de subir les caprices des vainqueurs. On s’en tire à bon compte encore.

Naeviah rougit et chercha à s’éloigner de moi, elle se heurta à Tyesphaine qui ne réagit pas.

— Tu… tu…

— Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais je te signale qu’on a essayé de la voler. Puis, on est entre filles, arrête de faire ta mijaurée.

— ENCORE CETTE EXCUSE ?!

Dans mon ancien monde, elle marchait pourtant. On ne partait pas du principe que les personnes étaient homosexuelles, donc la nudité entre personnes du même sexe était souvent vue comme « moins grave ».

— Bah, fais comme tu veux. Je compte parler avec Syrle et déjà commencer par lui demander pardon.

Je me levais et m’inclinais à la japonaise.

— Toutes mes excuses ! Même si nous n’avions pas le choix, nous aurions dû refuser.

— Vu le spectacle, j’accepte de te pardonner.

Mysty m’imita et fit de même. Le spectacle n’en était que plus volumineux.

Nos regards se tournèrent vers Naeviah qui croisait les bras et gonflait les joues, puis vers Tyesphaine dont nous ne tirerions sûrement rien.

— Excusez-les également, je vous prie. Elles sont embarrassées mais elles n’ont pas plus de mauvaises intentions que nous deux.

— C’est bon, passons. Je connais bien les méthodes de cette ordure, rassurez-vous. Si cela peut vous rassurer, je doute qu’il aurait honoré sa part du marché, quelle qu’elle fût.

— Permettez que je vous explique tout…, dis-je en me rasseyant.

Mysty s’endormit sur mon épaule pendant mon récit. Je ne pensais pourtant pas être si pédante et ennuyeuse !

— Cela lui ressemble bien…, dit Syrle qui m’avait attentivement écoutée.

On sentait bien en elle le côté studieux des magiciens.

— Avant d’aller plus loin, j’aimerais nous présenter, lui dis-je. Nous vous avons menti sur nos identités.

— Je sais. Et un conseil : ne faites plus ce genre de choses à l’avenir, vous n’êtes vraiment pas douées.

— Si je peux me permettre, à quels éléments nous avez-vous démasquées ? Nous avez-vous espionnées avec les statues ?

Elle me sourit.

— Vous l’aviez deviné ? Si en tant qu’actrices vous n’êtes pas douées, en tant que magicienne je sens que vous avez un grand potentiel.

— Merci.

Naeviah me jeta un regard noir, je compris qu’elle en avait assez que je me montre aussi gentille envers celle qui nous avait obligées à porter ces tenues humiliantes.

— Mais je n’ai pas eu besoin des statues. Je dirais que divers détails en vous m’ont rapidement interloquée. Mais de façon générale, vous n’avez pas l’aura des réelles domestiques.

— Hein ? Elles ont une aura ? marmonna Naeviah.

— Justement. C’est là où vous n’étiez pas crédibles. Vous aviez bien trop de présence pour de modestes domestiques.

— Mais nous étions censée être les filles d’un professeur, rétorquai-je.

— Professeur de quoi ? Dans quelle institut ? Pour quel noble ? Il y avait trop de choses étranges dans cette couverture.

Je m’avouais vaincue. Mes épaules tombèrent en même temps que mes oreilles. Je me retrouvais confrontée à la réalité des faits.

— Pour les détails… J’ai rapidement remarqué que Fiali pouvait voir les sources magiques, son regard se tournait systématiquement vers elles.

Je me remémorais l’épisode de la garde-robe. Elle m’avait testée, elle m’avait fait intentionnellement passer devant les objets magiques et avait observé ma réaction dans les miroirs.

— Naeviah et Tyesphaine ont trop de lacunes dans les tâches ménagères pour des filles du peuples. Puis, leur dignité et leur fier maintien ne colle pas avec le bas peuple.

Naeviah sursauta et détourna le regard en grommelant.

— Mysty aurait pu être plus crédible si elle n’avait pas eu l’air si satisfaite de sa situation. Je n’ai jamais eu de domestique aussi heureuse de sa condition.

— Tout cela tombe sous le sens : nous sommes des aventurières.

— Je pense qu’à ce stade les présentations sont inutiles, Fiali.

Syrle était réellement impressionnante. Elle n’était pas seulement bonne magicienne, mais avait d’excellentes capacités de déduction et était habile dans les jeux courtois. Elle nous avait totalement manipulées depuis le début.

— Oui, laissons tomber. Vous avez retenus nos noms. Au passage, je ne suis pas une demi-elfe mais une haut-elfe. Je suis à la recherche des vestiges des miens.

— C’est la première fois que je rencontre quelqu’un de ton peuple, Fiali. C’est dommage que tu sois si mignonne et bien intentionnée, autrement j’aurais pu te garder en cage.

— Gloups ! Je remercie le ciel de m’avoir fait ainsi…

Je baissais la tête et soupirai. Comme si je pouvais vraiment remercier les dieux pour ce qu’ils m’avaient fait ? Pourtant, cette fois, mon aura dakimakura me sauvait.

— Est-ce que… c’est une question comme ça… Est-ce que vous pensez que les guildes de…

— Cela dépendrait de ta chance. Il n’y a rien qui stipule qu’une elfe ne puisse y entrer. Mais il est sûr que tu attirerais l’attention. Rapidement, tout le royaume serait au courant que tu en fais partie et cette dernière t’utiliserait pour accroître sa réputation.

— C’est ce que je pensais…

— Je t’avais pourtant dit de laisser tomber.

Je voulais apprendre de nouvelles magies, c’était tout. Il n’y avait rien de mal et pourtant la société me le refusait… Que ce fût dans ce monde ou mon précédent, au-delà même des lois, il y existait un ensemble de règles qui étaient uniquement définies par les gens, leurs préjugés arbitraires et leurs ambitions cupides.

En effet, je supposais qu’il valait mieux laisser tomber et tourner mes espoirs vers les grimoires elfiques que nous étions susceptibles de trouver dans nos aventures. J’étais habituée de toute manière à renoncer à mes projets.

— En tout cas, si tu souhaites un jour nous rejoindre, je renouvelle ma proposition d’appuyer ta candidature. Je suis une mage renommée en ville. Vous auriez peut-être dû commencer par vous renseigner sur la Magicienne de Saphir de rang sept étoiles.

— C’est le rang le plus élevé dans la guilde, je suppose ?

— Tout juste.

— Et le marquis ? Il a dit ne pas être un magicien, mais je ne l’ai pas cru.

— Il n’a que deux étoiles. Autant dire qu’il ne t’arrive pas à la cheville.

— Tsss ! J’étais sûre qu’il mentait !

— Mais il a une grande influence politique et surtout une grande richesse.

— Et l’anneau ? demanda Naeviah cette fois. C’est le sien ?

Au passage, l’anneau que nous avions volé était un faux. Je m’en étais rendu compte pendant que nous quittions le manoir, je n’avais ressentis aucune magie émaner de la poche de Mysty.

C’était là que j’avais commencé à me convaincre que nous avions été dévoilées. Et c’est pourquoi j’avais accepté d’engager le combat, car j’avais compris qu’elle nous testait.

J’avais eu un doute à plusieurs moments, malgré tout, mais le fait qu’elle aurait pu gravement nous blesser avec sa pluie de diamants, mais ne l’avait pas fait, m’avait donné l’ultime confirmation.

L’anneau était tombé en poussière lorsque nous l’avions rendu : simplement du sable modifié par magie pour avoir l’apparence de notre objectif.

— Oui, c’est celui de sa famille mais il ne lui appartient plus. Il y a quelques années, son fief a été envahi par des monstres et il a demandé mon aide pour le reprendre. C’était le paiement que nous avions convenu. S’il connaissait ses réels pouvoirs, ils ne chercherait plus à s’en emparer par de tels moyens.

— Le fourbe ! vociféra Naeviah.

— Je pense qu’à ce stade, on ne peut tenir aucune de ses paroles pour vraies, dis-je. Que voulez-vous dire exactement ? Il n’est pas si puissant ?

— Non, il ne l’est pas. Il est intéressant, certes, puisqu’il permet d’étendre les portées des sorts…

— En effet, c’est intéressant.

— … mais il n’est en aucun cas ce qui le rendra aussi fort qu’il le voudrait. Je le sais depuis bien longtemps qu’il se fourvoie. En réalité, j’aurais pu le lui rendre s’il avait su simplement le demander poliment.

— Vous le lui refusez juste par fierté ?

— Faut-il courber l’échine devant les misérables malotrus ?

La réponse était évidente, au fond je comprenais son mode de pensée.

— Non, vous avez raison. J’ai une autre question : vous disiez auparavant qu’il n’aurait pas honoré sa part du marché… ? Qu’entendiez-vous par là ?

Syrle croisa les jambes et répondit aussitôt :

— Il a essayé par des voies officielles de me le reprendre : il a échoué. Depuis, il cherche à salir ma réputation…

— En vous targuant de perverse ? Ce qui est vrai pourtant…, dit Naeviah en l’interrompant.

— J’aime lorsque vous dites ce genre de choses, ma chérie. Cette résistance inutile est délicieuse.

— Hiiiiiiiiii !!

— C’est de ta faute, Naeviah.

Cette dernière m’agrippa et se cacha dans mon dos. C’était rare qu’elle m’accordât cette confiance, en général elle évitait tout contact avec moi. Je supposais qu’à choisir entre deux maux, elle avait pris le moindre.

Satisfaite, Syrle sourit et reprit :

— Je le soupçonne d’avoir déjà envoyé des assassins ici. S’il a eu recours à vous, c’est pour avoir le moins d’implications possibles. Si vous échouiez, il n’aurait eu aucun mal à dire qu’il ne vous connaissait pas. Et si vous reveniez avec l’anneau, il vous aurait emprisonnées pour vous soutirer les plans de défenses de mon domaine. Puis, il vous aurait éliminées pour se libérer de preuves compromettantes contre lui.

— C’est vil…

— Le fumier !

— C’est le jeu de la politique, dit Syrle en soupirant avec résignation. Vous êtes toutes trop candides pour y jouer, mais ce n’est pas un mal de s’en tenir éloignées, croyez-moi.

— C’est la raison pour laquelle vous nous avez laissées faire ?

— C’est la raison pour laquelle je vous ai engagées. J’avais le sentiment que vous n’étiez pas de mauvaises personnes.

— Vous avez pris des risques pourtant, rétorquai-je. J’ai pu analyser et mémoriser nombre des défenses de votre manoir.

— Et ? Tu vas les vendre à quelqu’un ? Permets-moi d’en douter. Je lis en vous comme dans des livres ouverts. Je sais même qu’il y a des choses que vous vous cachez entre vous.

Naeviah détourna le regard, je n’eus pas besoin de le faire aussi.

Elle avait raison, il en y avait. Quand bien même nous nous faisions confiance, il y avait simplement des choses qui étaient trop douloureuses pour être dites.

— Je vois. Vous avez raison Syrle : mis à part sous la torture, je ne révélerais pas vos défenses.

— Je savais que tu étais une elfe adorable, me dit-elle avec un sourire charmeur.

Naeviah grommela dans mon dos.

Un silence s’imposa dans la discussion à ce stade, j’en profitais pour classer les informations.

Je trouvais le marquis particulièrement inconscient de provoquer et de viser une magicienne aussi puissante. J’imaginais que les étoiles dans la guilde n’étaient pas que pour décorer. Le faisait-il simplement par jalousie ?

La réponse m’apparut soudain :

— Il vous en veut parce que vous êtes une roturière ? Oups ! Désolée si…

— J’en suis une. Je vous l’ai même dit ouvertement. Je suis née dans la pauvreté, j’ai réussi à être remarquée, je suis devenue magicienne et j’ai donné le meilleur de moi pour en arriver là où je suis. Il y a beaucoup de personnes qui me jalousent, c’est indissociable de ma réussite sociale. Le marquis est juste plus idiot que les autres, il se croit plus influent qu’il ne l’est réellement. Je l’ai laissé s’amuser avec ses enfantillages jusqu’à présent mais il est temps d’arrêter tout ça.

Pourquoi ce changement dans sa résolution ? L’affaire de l’anneau prouvait bien qu’elle le prenait pour une sorte d’enfant gâté et le laissait agir à sa guise. Même lorsqu’il avait entaché sa réputation, elle n’avait rien fait pour l’empêcher.

Je n’eus pas le temps de poser la question qu’elle y répondit :

— Cela fait quelques temps que j’enquête sur ses activités. J’ai lieu de croire qu’il trempe dans nombreuses affaires vraiment sales. Le genre qui pourrait jeter l’opprobre sur la guilde de magie. Ce matin encore, j’ai enquêté sur lui.

— De quoi est-il accusé au juste ? Enfin, si vous pouvez le dire…

— De vente d’esclaves auprès de l’Inalion. Dans ce pays de dégénérés, ce genre de choses est autorisée. Aux yeux des autorités Hotzwaldiennes, le marquis pourrait s’en tirer s’il vendait ses esclaves à l’intérieur du royaume…

— N’est-ce pas interdit à Hotzwald ? l’interrompis-je.

— En théorie seulement. Les nobles ont des réseaux secrets. Je ne prétends pas qu’ils adhèrent tous, bien sûr, en réalité ceux qui trempent dans ces affaires lugubres sont une minorité, mais ne pensez pas qu’une telle pratique ait complètement disparue du royaume..

Naeviah soupira alors que ses doigts se refermèrent avec vigueur sur mon dos. Elle était contrariée. Je vis même Tyesphaine réagir alors qu’elle était de marbre depuis le début. Forcément, c’était un sujet sensible…

Que ce fut dans ce monde ou mon précédent, rien n’était jamais absolu. Et même sur Terre au XXIe siècle où l’esclavage avait été aboli dans la plupart des pays industrialisés, il existait des réseaux clandestins : pourquoi donc aurait-ce était différent ici, dans un environnement avec moins de moyens de contrôle ?

En soi, cette révélation m’indignait mais ne me surprenait guère.

— Je le conçois.

— Tu es une fille intelligente, Fiali.

Naeviah grommela quelque chose d’inintelligible même pour mes oreilles. Qu’avait donc dit Syrle pour la mettre en colère ?

Je supposais qu’elle n’était pas contente du fait qu’une « elfe perverse » (que je n’étais pas) se vît recevoir de tels éloges.

Désolée, Naeviah !

Cependant, la raison était tout autre. Je n’avais pas encore idée de ce qu’elle me reprochait.

— Si son marché vient à remonter à la surface, ce qui arrivera un jour sans aucun doute, il fera du tort aux magiciens bien plus qu’aux nobles. Le peuple peut vivre sans magie, mais il a toujours vécu en ayant des commandants à leur tête.

— J’imagine…

— C’est décidé ! dit Syrle d’une voix autoritaire. À présent que je vois mieux à qui je m’adresse, je vais vous donner des laissez-passer. Vous avez été engagées dans un conflit entre magiciens, votre place n’est pas entre nous à la base. Vous êtes libres de continuer votre voyage, quel qu’il soit. Prenez garde à vous en Inalion, je vous le conseille vivement.

J’hésitais à la remercier. C’était un acte très gentil, certes, et elle avait raison —notre implication était le fruit d’un malheureux hasard— mais… après tout ce que nous avions entendu, après tout ce que nous avions découvert sur Syrle…

— Je ne veux pas de la charité ! Enfin, je ne vais pas l’accepter comme ça !

Naeviah me coupa l’herbe sous les pieds. Elle se leva et fit face à Syrle malgré son embarras.

— Je veux mériter cette récompense et je sais que mes compagnonnes pensent de même !

Naeviah agitait ses mains comme un orateur. Un sourire apparut sur mon visage : je pensais exactement comme elle.

Tyesphaine se leva à son tour.

— Je… j’approuve ! Permettez que vous nous aidions !

— Ouais, on va vous aider ! J’ai pas tout pigé, mais Syrle est une meuf que j’aime bien, donc si Tyes, Nae et Fiali disent qu’il faut l’aider, c’est qu’il faut l’aider !

J’ignorais à quel moment elle s’était réveillée et ce qu’elle avait entendu, mais elle se leva et frappa sa poitrine de son poing. C’était une attitude bien virile mais son anatomie ne collait pas avec un tel geste.

Je me levai nonchalamment.

— Je n’en pense pas moins. Syrle, nous apprécions sincèrement le geste, mais permettez-nous de vous aider à attraper ce forban et faire justice !

Syrle sourit, puis prit son visage dans sa main et soupira. J’ignorai si elle était consternée par notre candeur ou alors si elle avait déjà prévu que nous agirions de la sorte.

— Entendu. J’accepte votre aide. Et puisque vous n’êtes plus mes prisonnières, je vous permets d’aller vous rhabiller. Nous conviendrons des détails du plan d’action demain matin.

Elle eut à peine le temps de finir sa phrase que Tyesphaine et Naeviah coururent vers la garde-robe où se trouvait nos équipements.

— Celles-là, je te jure…

— Hahaha ! Elles sont trop drôles toutes les deux. Moi je l’aime bien ce machin. Faut que j’en achète un.

— Je vous l’offre, dit Syrle. Cette nuisette vous va à ravir.

— Oh ? C’est trop cool !

Mysty, sans aucun embarras, s’en alla faire une accolade amicale à Syrle. Avec le peu de tissu sur elle, ce contact devait être sans équivoque. J’en savais quelque chose.

Pour la première fois, je crus lire une réelle surprise sur le visage de Syrle. L’adroite et mesurée courtisane qu’elle était devenue avait été prise de court par notre Mysty. J’étais presque fière, en vrai.

— C’est pas que je n’aime pas cette tenue, dis-je. Mais j’ai un peu froid quand même… Au passage, maintenant que nous sommes associées, puis-je récupérer ma culotte ?

Je parlais de celle de la veille qu’elle m’avait obligée à lui donner.

Syrle me fixa, puis répondit simplement :

— Non, c’est le dédommagement pour votre fourberie.

— Hein ?! Mais je pensais qu’on avait dépassé ce stade !

— J’ai pardonné aux prisonnières victimes des machinations du marquis, mais j’en veux à mes associées d’avoir osé me trahir. Cette culotte est une compensation !

— Maaaaiiiis !!! Ma culotte !!!!

Mysty ne cessait de rire et finit par nous attraper toutes les deux par les épaules pour nous serrer contre elles. Je gonflais mes joues tandis que Syrle me prenait de haut.

Ma requête de restitution fut tout simplement déboutée.

Lire la suite – Chapitre 7