Isekai Dakimakura – Arc 4 – Chapitre 7

Le surlendemain de notre combat contre Syrle, nous retournions en ville conformément au plan que nous avions établi.

Le marquis ne nous reçut pas immédiatement, il nous donna rendez-vous le soir. J’imaginais bien qu’il allait mettre à profit ce temps pour préparer son piège.

Lorsque nous présentâmes une nouvelle lettre, qui faisait office de laissez-passer dans le quartier noble, on nous ouvrit les portes et nous pûmes pour la seconde fois déambuler dans le quartier le plus riche de la cité.

Proche de l’enceinte du bastion, je dénotais en passant la tour de la guilde des Astres, elle était enveloppée par la lumière crépusculaire. Je crus y distinguer des silhouettes aux fenêtres cette fois. Je ressentais une fois de plus la magie qui se dégageait de cet endroit et qui m’attirait malgré moi. Peut-être que les hauts-elfes ont réellement une passion innée pour la magie, peut-être sommes-nous attirés à elle comme un papillon par la flamme…

Nous fûmes rapidement accueillies dans le même salon que lors de notre précédent entretien. Le marquis et ses valets nous faisaient face.

— Nous avons l’anneau de vos ancêtres, dit Tyesphaine après les salutations d’usage.

L’expression faciale du marquis ne parvint pas à totalement dissimuler sa surprise, il ne s’attendait sûrement pas à ce que nous réussissions. Contrairement à nous, il connaissait Syrle de longue date, il savait à quel point elle était puissante.

— Oh ? J’ai donc bien fait de croire en vous.

Menteur !

— Puis-je vous demander le récit de votre exploit autour d’un thé de première qualité ?

Les valets ne tardèrent pas à nous amener, sans qu’il n’ait eu besoin d’en donner l’ordre, un plateau avec du thé et des gâteaux. C’était la différence entre les vrais domestiques et les contrefaçons que nous avions été.

Le thé avait sûrement été infusé au moment-même où nous étions entrées. Les valets connaissaient l’heure de notre rendez-vous et n’avaient pas manqué d’anticiper les besoins de leur maître.

Ce qui me fit intérieurement sourire, et que je ne laissais pas transparaître, était l’hypocrisie de sa bienséance : il ne nous avait proposé à boire qu’après s’être assuré que nous avions réussi. Qu’aurait-il fait si nous avions échoué ?

Mais nous avions réussi, nous étions donc devenues dignes d’intérêt.

Sans échanger de regards pour ne pas attirer la suspicion de notre interlocuteur, un courtisan redoutable, nous bûmes le thé conscientes de ce qu’il devait contenir.

J’aurais aimé prendre le rôle de Tyesphaine pour l’aider dans sa comédie, mais je n’étais pas en position de le faire. Naeviah intervint à quelques instants, elle était plus habile pour ce genre de choses. On ne me consulta simplement pour les questions relatives à la magie. Nous ‘avions pas pu lui cacher le fait que j’étais une elfe, de fait il se doutait bien de mes compétences particulières.

— C’est parfait ! Vous avez fait de l’excellent travail. Puis-je avoir l’anneau à présent ?

— Bien sûr, dit Tyesphaine.

Naeviah joua le rôle de l’aventurière méfiante, elle saisit la main de Tyesphaine et demanda au marquis, en le fixant droit dans les yeux :

— Les laissez-passer sont-ils prêts ?

— Il ne reste plus qu’à les signer. Je comprends bien votre méfiance mais je ne suis pas n’importe qui. Dois-je vous le rappeler ? J’ai engagé ma parole, vous aurez vos laissez-passer et pourrez aller à Inalion, comme vous comptiez le faire.

Enfin, pas avec notre propre liberté, par contre. Je détestais réellement ce genre de personnes trop habiles avec leurs langues. À présent que nous connaissions la vérité, il était clair que nous allions finir en tant qu’esclaves à Inalion.

Le marquis fit un simple geste de la main et deux valets quittèrent le salon pour aller chercher notre récompense.

— Et je ne suis pas avare, vous aurez, comme je vous l’avais déclaré, une récompense justement méritée.

Il croisa les mains et sourit poliment. Une fois l’illusion tombée, je ne pouvais voir cette expression autrement que comme fausse et sournoise.

— Puis-je… ?

Tyesphaine jeta un coup d’œil à Naeviah puis ouvrit la main pour montrer l’anneau au marquis. Rapidement, elle le lui confia sans attendre les laissez-passer. Tout cela faisait partie de notre plan, Syrle nous avait fait répéter les rôles la veille, nous avions pris une journée entière à nous préparer.

Le marquis prit l’anneau entre ses doigts et l’examina à la lumière d’une bougie magique. Il afficha un sourire satisfait. D’après Syrle, le fait que je ressentisse la magie passivement et continuellement était bel et bien un attribut d’elfe. Pour moi, c’était un sens comme un autre, je n’avais pas besoin de me concentrer pour en repérer les émanations.

Pour leur part, les humains passaient apparemment par un sort mineur pour détecter la magie. Comme tout sort de cette catégorie, il n’y avait pas besoin d’une longue incantation. Il venait sûrement de furtivement le lancer, j’avais vu son expression se contracter l’espace d’un bref instant.

Il avait donc à présent l’assurance qu’il s’agissait du vrai anneau, Syrle avait préféré ne pas produire de copie cette fois afin de rendre notre stratagème plus crédible (déjà que nous étions de piètres comédiennes).

— Parfait ! Le voici donc…

Néanmoins, s’il avait lancé immédiatement un sort pour identifier l’objet en détail, il se serait sûrement rendu compte que sa magie n’était pas aussi puissante que ce qu’il avait présumé. Mais, examiner en profondeur un objet magique demandait quelques minutes à quelques jours selon sa complexité. L’apparence et l’aura magique de l’objet lui suffirent à cet instant à le tenir pour celui qu’il convoitait.

Je commençais à me sentir fatiguée soudain. Le somnifère dissimulé dans le thé ou les gâteaux commençait à agir. Tout se déroulait selon les prévisions de Syrle.

Je bâillai en me tournant vers Mysty qui fit de même. Naeviah fut la suivante puis, en dernière, Tyesphaine.

— Si tout est en ordre, nous attendons juste… Han !… notre paiement…, dit Tyesphaine en luttant contre le sommeil.

Au même moment, je bâillai plus fort encore et m’écroulai sur l’épaule de Mysty. On me raconterait plus tard que pour rendre notre jeu d’acteur plus crédible, Tyesphaine, plus résistante que nous, s’était levée et avait tiré son épée avant de s’écrouler.

Nous ne savions pas où nous allions nous réveiller mais Syrle avait vu juste sur toute la ligne.

***

À notre réveil, nous étions attachées et bâillonnées.

Nous étions dans une salle sombre et froide, à même le sol. Nous n’étions pas seules. Dans cette pièce en souterrains se trouvaient une vingtaine d’hommes et de femmes, apeurés, eux aussi prisonniers. Contrairement à moi et Naeviah, par contre, ils n’avaient pas de bâillons et de menottes.

Syrle nous avait parlé d’objets magiques qu’utilisait la guilde pour appréhender les mages renégats devenus dangereux : des menottes anti-magie. Leur principe était d’absorber toute émission magique sortante et de restituer l’énergie sous forme de choc électrique. En résumé, au moindre lancement de sort c’était l’électrocution assurée.

Le marquis n’avait pas lésiné sur les moyens, Naeviah et moi en avions une paire.

À mon réveil, Mysty était absente, ce qui ne manqua pas de me préoccuper. Tyesphaine et Naeviah ne tardèrent pas à se réveiller.

Nous avions été privées de nos affaires mais avions encore nos vêtements. Bien sûr, Tyesphaine avait été dépouillée de son armure maudite et n’avait pas de menottes magiques puisqu’elle n’était pas reconnue comme lanceuse de sorts.

Incapables de faire quoi que ce fût dans notre situation, nous attendîmes simplement Mysty sur qui reposait notre plan d’action. J’avais une idée de l’endroit où elle se trouvait, mais je préférais ne pas y penser.

Les autres prisonniers nous observaient sans oser parler, ils avaient été brutalisés au point de ne même plus oser s’exprimer. J’avais l’impression qu’ils étaient tous roturiers, aucun n’avait cette apparence supérieure de la noblesse. Depuis combien de temps ces malheureux étaient-ils dans ces geôles au juste ?

Syrle avait donc eu raison de suspecter le marquis, il était bel et bien un déchet doublé d’un marchand d’esclaves. Je soupirai intérieurement.

J’eus soudaine une crampe à la jambe. Dans ma position, c’était normal : je ne pouvais pas la bouger, elle était attachée à l’autre jambe et les deux étaient reliées à mes bras (en plus des menottes). Nos tortionnaires avaient réellement peur de nos capacités, ce que je pouvais comprendre puisque nous étions des aventurières.

Contrairement à tous les autres prisonniers, s’ils laissaient une seule faille, nous la saisirions et nous nous libérerions.

La douleur était atroce, les crampes sont peu de choses mais font horriblement mal.

Je me contorsionnais et finis par heurter Tyesphaine.

* Boing *

Le choc fut plutôt… moelleux. Je finis la tête dans sa poitrine. J’entendis Naeviah grommeler son mécontentement, mais je ne l’avais vraiment pas fait exprès.

En y pensant, c’était étrange que Naeviah réagît, nous étions dans une obscurité presque totale. Les humains ne pouvaient y voir, même mes yeux me permettaient difficilement de distinguer les détails.

Une fois la douleur dissipée, je compris que je venais de donner un coup de pied à Naeviah sans le vouloir. Essayant de retirer mes jambes, je me rendis compte que j’avais réussi à m’empêtrer dans ses propres liens. Nous étions à présent accrochées l’une à l’autre.

— Mmmmm… mmm… mmmm…

Désolée Naeviah, même avec mes sens surdéveloppés, je ne pouvais pas comprendre de tels grommellements.

J’essayais de m’extraire de la poitrine de Tyesphaine, j’imaginais déjà sa réaction, mais je finis juste par glisser sur son ventre avant de me retrouver bloquée.

Pourquoi nous avaient-ils simplement jetées au sol comme ça ? Puisqu’ils comptaient nous vendre, il aurait fallu nous traiter avec plus d’égards !

Mon souffle chatouilla Tyesphaine qui ne put s’empêcher de s’agiter. Je ne comprenais plus très bien ce qui se passait, je fus secouée en tout sens, jusqu’à ce que finalement tout s’arrêta. Je ne voyais plus rien puisque j’étais collée au corps de Tyesphaine.

Étais-je encore sur son ventre ? Ou alors étais-je sur sa poitrine à nouveau ? Je n’en avais aucune idée. Je me sentais simplement entourée par elle.

L’odeur qui se dégageait d’elle m’était inconnue, j’étais intriguée…

Incapable de faire quoi que ce fût, je décidais de passer à la suite du plan. La magie qui était émise par nos corps était absorbée par les menottes, c’est pourquoi Syrle nous avait équipées d’un petit cadeau.

Prévoyant notre traitement, elle avait crée grâce à sa magie de terre une capsule dans nos bouches. À l’intérieur se trouvait un petit sortilège assez discret qui lui envoyait un signal télépathique avec notre position.

Nous en étions toutes équipées et je sentais l’avoir toujours en bouche. Ceux qui s’étaient occupés de nous dépouiller(sûrement les valets) n’étaient pas allés jusqu’à fouiller l’intérieur de nos bouches.

Il était possible que mes amies aient déjà activé leur signal, le plan était de ne l’utiliser qu’une fois en prison pour révéler la cachette du marquis à notre alliée Syrle.

Cette dernière se trouvait en ville, elle allait intervenir aussi vite que possible.

* Crac *

La capsule se brisa dans la bouche y laissant un goût de sable. Elle n’avait pas été si facile à croquer avec ce bâillon, j’avais pensé la tâche plus simple en me basant sur les films d’espionnages que j’avais vus.

Il ne restait plus qu’à attendre en silence qu’on soit sauvée…

C’était le plan, mais lorsque la porte s’ouvrit, j’essayai de tourner ma tête dans sa direction. Je n’y parvins pas, je réussis simplement à faire réagir Tyesphaine qui tremblait comme une feuille. Pire encore, l’étreinte autour de moi devint bien plus forte qu’avant au point que j’eus peur d’étouffer.

— Allez ! Jetez-la avec les autres ! Elle nous aura été utile.

J’entendis un corps tomber dans la cellule, sans aucun doute Mysty. J’espérais qu’elle allait bien, elle avait elle-même décidé de prendre le pire rôle.

C’était frustrant de ne même pas pouvoir lui demander son état : je ne pouvais rien faire.

La porte se referma et j’entendis les pas des geôliers s’éloigner.

La pauvre ! Elle s’était proposée pour être celle qui serait interrogée. Pour être choisie, elle avait demandé à Tyesphaine et Naeviah qu’on lui lança préventivement un sort « d’Immunité aux maladies et poisons ». Il ne durait malheureusement que quelques minutes, une durée un peu courte ne le rendant finalement utile que lorsqu’on présumait avoir été empoisonner.

Mysty seule en avait bénéficié juste avant notre entrevue avec le marquis, le poison n’avait donc eu aucun effet. Elle avait fait semblant de tomber et elle avait été la première à se réveiller et donc à être interrogée.

J’ignorais ce qu’elle leur avait vendu comme information —le plan étant qu’elle leur indiquerait les défenses du manoir, mais de manière erronée— mais elle avait dû être suffisamment crédible puisqu’on ne questionna aucune d’entre nous trois.

— J’vais vous libérer. Mais, taisez-vous, OK ? Chuttt !

Mysty était libre ?

Toute réflexion faite, qui pouvait se douter qu’elle était capable de se transformer en scorpion et se défaire de tout lien ? On ne lui avait sûrement pas mis les mêmes menottes qu’à nous.

Elle s’était adressée aux autres prisonniers. Je les entendis marmonner. Ils avaient sûrement peur que notre tentative d’évasion ne leur attire la violence des gardiens… Ou alors avaient-ils été effrayés par la transformation en scorpion ?

Quoi qu’il en fût, nous aurions peu de temps pour agir avant qu’ils n’attirassent les gardes, j’en étais certaine. Ils étaient des citoyens normaux, ils n’étaient pas aussi habitués que nous à gérer des situations de crise et de violence.

Même si le plan était d’attendre Syrle, j’étais contente que Mysty pût nous libérer. Être la princesse qu’on vient sauver ne collait pas vraiment à mon éthique de mage-guerrière de la destruction.

— Oh là ? Voilà des prisonnières à croquer. Par qui j’commence ?

Naeviah nous prit de court et répondit par un « mmmmm ».

— Même dans cette situation, vous avez réussi à vous mettre dans des positions du genre ? Perverses ! Hahaha !

Je marmonnais à mon tour pour lui signifier d’arrêter de se moquer mais Mysty ne me comprit pas ou n’en eut cure.

Comment pouvait-elle nous voir dans cette obscurité au juste ? J’avais remarqué qu’elle avait une meilleure vision nocturne que la normale, mais c’était trop pour une humaine normale.

— Ce serait plus simple avec de la lumière… J’me permets de vous palper…

Elle se lécha les lèvres, j’entendis clairement ce son-là ! Mysty ! N’en profite pas !!

Je sentis une main sur ma jambe, puis sur mes fesses ; un frisson me parcourut le corps. J’entendis Naeviah gigoter et marmonner, je supposais que Mysty la touchait également.

En fait, elle n’y voyait rien non plus ! Elle avait sûrement dû remarquer notre position lorsqu’elle avait été ramenée dans la cellule. Ou alors, lorsqu’elle s’était transformée en scorpion ? De quelle genre de vision disposaient ces créatures ? me demandais-je.

— Mmm… Je touche de bonnes choses apparemment. Dommage qu’on ait pas le temps, y veulent venir vous chercher aussi pour vous torturer.

Eh oh !! N’en parle pas comme si ce n’était rien !

— Bon, commençons pas Fiali.

Elle finit par poser sa seconde main sur la mienne et par atteindre mes menottes.

— C’est donc ici… deux secondes…

Je l’entendis trifouiller les menottes avec quelque chose de métallique. Quand est-ce qu’elle avait réussi à obtenir un crochet ? Peut-être utilisait-elle la bouche de sa ceinture, me dis-je peu convaincue. Je ne l’avais pas entendue défaire sa ceinture pourtant…

* Clac *

Je voulais bouger mais Mysty me retint.

— Attends, t’es au mauvais endroit. Tu vas tuer Tyes si tu fais pas gaffe. J’vais vous libérer, fais-moi juste confiance, OK ?

Elle me chuchota ces mots avant de me faire une bise… sur le crâne. Je supposais qu’elle voulait à la base viser ma joue mais elle n’y voyait rien.

Je voulais l’aider en lançant une sphère de lumière, mais je décidai de lui faire pleinement confiance. Peut-être qu’une source lumineuse attirerait les gardes, c’était ce dont elle avait peur.

— Voilà… Ch’sais pas comment vous avez fait, mais vous vous aimez tellement que vous vous êtes accrochées l’une à l’autre. C’est trop fort !

Non, c’est toi qui est trop forte ! pensais-je. C’était limite de la magie ce qu’elle faisait !

Je la laissais me tirer de ma position dont j’ignorais tout. Une fois debout, elle fit tomber mes liens et mon bâillon.

— Tadam ! Et une Fiali de récupérée !

— Merci, Mysty !

Cette fois, j’étais si contente (et au fond si apeurée) que je l’enlaçai sans me faire prier.

— Ohh ? Cette récompense ! Faut que j’demande à des truands de t’emprisonner plus souvent. Héhéhé !

— Arrête de plaisanter, c’est une situation dangereuse.

Mysty me sourit et me posa la main sur la tête.

— C’est bon ! On a notre magicienne préférée maintenant. Tout va bien se passer.

Elle était blessée. Le plan avait été qu’elle vende les informations rapidement pour s’épargner la douleur, mais Mysty avait menti : elle avait résisté. Elle avait un œil noir, une lèvre fendues et divers écchymoses sur elle. Mon sang ne fit qu’un tour, j’étais en colère à présent.

— On va s’en occuper d’eux avant même l’arrivée de Syrle, dis-je sur un ton ferme.

— C’était mon idée aussi. T’es vraiment ma sœur, t’arrive à deviner mes pensées. Héhé !

— Elles sont transparentes, c’est pour ça.

— Désolée d’être une sœur idiote !

En guise de réponse, je raffermis ma prise autour d’elle.

Idiote ! Tu aurais pu vraiment mal finir, tu sais ? Pourquoi tu as joué les dures ? Et pourquoi tu sembles aussi décontractée et insouciante ?

C’était le genre de question que je ne pouvais me permettre de lui poser à haute voix, nous n’étions pas dans une situation qui appelait à de longues discussions.

— J’t’aime aussi Fiali, mais tu peux faire un peu de lumière que j’libère nos aut’ sœurs ? Et tu peux t’occuper de Tyes ? Les menottes chelous de Nae j’en fais mon affaire.

Je me séparai d’elle et fit apparaître une boule de lumière qui éclaira toute la cellule. Elle était vraiment sale, répugnante même. Mon nez avait en quelque sorte cessé de sentir la puanteur parce qu’il était bien trop forte ; ce n’était pas le genre d’endroit qui donnait envie de s’y installer.

Les autres prisonniers furent immédiatement apeurés par ma magie. Je craignis qu’ils ne se missent à crier :

— Nous allons les vaincre et vous libérer. Mais le premier qui ose crier et les attirer ici…

Je fis apparaître des flammes dans ma main. Je n’aimais pas endosser le rôle de la méchante, il ne collait pas à mon adorable petit visage d’elfe, mais la situation était ce qu’elle était.

Mysty me fit un clin d’œil et commença à s’occuper des menottes de Naeviah qui paraissait furieuse. Je pus voir par quel moyen elle avait opéré sur les miennes : elle utilisait simplement une petite tige en métal qu’elle avait réussi, d’une manière ou d’une autre, à cacher sur elle. Mysty n’était pas une roublarde pour rien.

Tyesphaine était retenue par des cordes aux nœuds bien trop complexes pour moi. Non seulement, nous n’avions pas vraiment le temps mais en plus Tyesphaine avait vraiment mauvaise mine. J’étais bien incapable de discerner son expression qui m’inquiétait quelque peu.

— Ne bouge pas Tyesphaine. Je vais brûler les cordes. Je ne voudrais pas te blesser dans l’opération.

Ma voix sembla la faire paniquer, j’eus un moment d’hésitation :

— Tu as peur que je me rate ?

Elle secoua la tête pour signifier la négative.

— Dans ce cas… j’y vais ?

Elle acquiesça en fermant les yeux. Je ne la comprenais pas, pourquoi avait-elle si peur alors que j’allais lui offrir la liberté ?

Quelqu’un comme Mysty était plus facile à deviner… quoi que, non. On avait juste l’impression de facilement la comprendre, mais Mysty était plutôt surprenante. Elle agissait toujours avec honnêteté et simplicité, mais qui la pensait assez sournoise pour cacher un tige en métal sur elle ? Et qui pensait qu’elle était capable de se transformer en scorpion ?

En réalité, Mysty était certainement la plus imprévisible d’entre nous et la meilleure menteuse. Je pouvais facilement comprendre les raisons qui l’avaient poussée à se porter volontaire pour se laisser torturer et cracher les informations. Il fallait quelqu’un qui sache réellement jouer la comédie, pas une amatrice.

Revenant sur ma tâche, je fis apparaître une petite flamme au bout de mon index. En tant que tel, elle n’était pas plus qu’un briquet, donc il aurait fallu bien trop de temps pour brûler ces cordages solides ; sans mentionner le risque que le feu ne se répande sur les vêtements et cheveux de mon amie.

Aussi, je me concentrai pour augmenter la vivacité et température de la flamme pour qu’elle fut en mesure de couper bien plus que brûler les cordes. La flamme devient rouge vif et ne vacillait plus ; elle était très proche d’un chalumeau.

Estimant que ce serait suffisant, je sectionnai sans mal les liens puis m’en allais m’occuper de ceux de Naeviah, après que Mysty se fut débarrassée de ses menottes magiques.

— Toi !! Tu es une…

Je mis mes mains sur la bouche de Naeviah qui commençait déjà à crier.

— Chuut ! Tu veux nous faire repérer ? J’ai compris : je suis une perverse. Je ne l’ai pas fait exprès, j’avais une crampe.

— Crampe de mes… !!!

— Allez, ne vous disputez pas, tout va bien !

Naeviah tourna son regard en colère sur Mysty puis gonfla ses joues, tandis que je soupirai.

— Toi, tu peux parler ! C’est quoi ces blessures ? Approche que je te soigne.

— C’est pas grand-chose, mais j’veux bien que tu me palpes ma Nae.

Naeviah lui donna un petit coup de pied, puis se mit à prier et la soigna. De mon côté, je me tournais vers Tyesphaine qui…

* Paf *

… imita ma précédente réaction avec Mysty : elle me prit dans ses bras.

Elle avait sûrement eu peur aussi, la pauvre. Je la laissais me témoigner son affection, c’était rare qu’elle prît l’initiative de le faire. J’avais toujours droit à ses beaux sourires et ses remarques pleines d’attention, mais qu’elle me prît dans ses bras était un privilège inestimable.

C’était agréable. Tyesphaine était si douce… j’aurais pu oublier le temps s’écouler si je n’avais pas entendue la voix des gardes. Ils s’approchaient de la porte menant à notre couloir.

Mysty l’entendit rapidement aussi, elle fit signe de se taire à Naeviah.

— Je te dis que j’ai entendu du bruit.

— Tu veux qu’elles aillent où attachées comme ça ? Détends-toi, mec !

— Mmm… Faudrait quand même aller voir pour être sûrs.

Ils n’étaient que deux. Mysty me fit signe d’éteindre la boule de lumière, puis se dirigea vers les barreaux et les escalada pour se mettre au plafond. Elle n’avait pas besoin de se transformer pour être une sorte de scorpion, on dirait.

Les gardes finirent par venir voir. Nous nous couchâmes au sol, faisant semblant d’être encore prisonnières.

— Tu vois, y a rien…

— Elle est où l’autre ?

L’absence de Mysty ne leur avait pas échappé, ils éclairaient la cellule à l’aide d’une lampe à huile qu’ils portaient chacun. Un des prisonniers pointa du doigt la localisation de Mysty tout en marmonnant quelque chose d’intelligible. Depuis leur position, les gardes ne pouvaient pas la voir, ils levèrent la tête et mirent leur main libre sur le pommeau de leurs armes.

J’étais sûre que l’un des prisonniers nous trahirait, c’était une décision stupide mais si humaine. Sans tarder, je passai à l’action : je me levai en vitesse, m’approchai des barreaux et passais ma main entre les barreaux..

« Voradys (Darkness Touch) »

Je touchai un des deux gardes en relâchant une explosion de ténèbres. Il n’eut pas le temps de réagir, il poussa un cri d’agonie alors qu’un large trou béant ne se dessina dans sa poitrine. Son collègue fut aspergé de sang, le cadavre s’effondra bruyamment au sol : la blessure lui avait été fatale, il n’avait sûrement pas eu le temps de souffrir.

Le second garde réagit plus vite que ce que j’avais anticipé : il se mit à crier et s’éloigna en courant. Il était hors d’atteinte de ma main. Aussi, je tendis l’autre et tirai aussitôt mon « Zard ». Des flèches d’ombre vinrent lui transpercer le dos et il rejoignit son complice dans l’autre monde.

— Je vous avais dit de vous taire, idiots.

Je n’étais même pas en colère, juste dépitée d’avoir prévu cette traîtrise.

Bien sûr, ma remarque les fit paniquer, ils se blottirent dans les coins et se mirent à trembler. Leur faire comprendre leur acte était devenu inutile, tout ce qui sortirait de ma bouche serait perçu comme une menace.

Je soupirai longuement et levai les épaules, tandis que Naeviah me fit face, mécontente.

— Tu n’avais pas besoin de les tuer, si ?

— Tu voulais que je fasse quoi à la place : des câlins ? Je n’ai pas de sort pour assommer et ils allaient sonner l’alerte. Puis… Depuis quand faut-il avoir de la compassion pour des criminels ?

— Toi alors !

— On tue bien des brigands, il me semble. Sont-ils pires que des esclavagistes ? En plus, ils se sont pas gênés pour faire du mal à Mysty, je te signale.

— Oui mais… Enfin bon, admettons. Cette fois, tu as sûrement raison…, dit-elle à contrecœur tout en détournant le regard.

— C’est bon, vous engueulez pas. J’voulais les assommer, j’étais sûre qu’ils allaient entrer mais finalement bah non. Mais c’est pas grave, comme dit Fiali, ce sont des ordures de toute manière.

— Ils allaient rentrer, mais quelqu’un a vendu ta position.

Je me tournai vers le prisonnier qui nous avait trahies, il était si terrifié qu’il manqua de tremper ses braies.

Naeviah me jeta un regard noir, je compris qu’elle le prenait en pitié malgré tout. J’étais aussi consciente qu’elle que ces prisonniers avaient vécu des choses horribles, contrairement à nous qui n’étions là que depuis peu, mais si je commençais à cautionner des actes stupides, ce serait la sécurité de tous qui pourrait être compromise.

— Dépêchons-nous… d’agir…, proposa Tyesphaine.

— Oui, tu as raison.

Tyesphaine, qui était privée d’arme et d’armure, pria :

« Ô Déesse de la beauté, entends ta douce protégée et préserva sa félicité ! ».

Des paillettes lui tournèrent autour et rapidement se condensèrent pour former une arme et une armure. Elle opta cette fois pour une épée bâtarde —une épée plus longue que la normale mais plus courte qu’une zweihander ou une flamberge— et une armure d’écailles.

Comme toujours, l’armure lui allait si bien ! Et elle n’était pas noire et maudite cette fois !

Cependant, je savais qu’à cause de son armure maudite, Dunkelheit de son vrai nom, même si elle disposait certes d’une protection relative à sa création, son corps était en proie à un terrible affaiblissement. Le seul moyen d’y remédier était d’endosser à nouveau Dunkelheit.

Tyesphaine nous l’avait déjà expliqué.

Mysty n’avait pas d’arme et d’armure, Tyesphaine était affaiblie, je pris spontanément le rôle de tête. Avec mon aura défensive, mon bouclier magique et mes sorts, je pouvais ouvrir la route et les protéger.

Naeviah soupira.

— Dire qu’on aurait pu juste attendre en sécurité et là on va risquer nos vies… Mais bon, je n’aime pas plus que vous rester là à attendre.

— Héhé ! Heureuse de te l’entendre dire.

— Je ne suis pas contente pour un sous de te rendre heureuse, elfe perverse !

— Au fait, nos affaires, j’sais où ils les ont amenées, déclara Mysty.

Puisqu’elle avait fait semblant de dormir lorsqu’on nous avait enfermées, elle avait sûrement mémorisé les environs. Bien joué, Mysty !

Cependant, rapidement je me rendit compte qu’il y avait un problème : elle n’avait pas de sens de l’orientation !!

Tandis que j’affichais une expression complexe, Tyesphaine remercia l’initiative :

— Merci, Mysty. C’est… une bonne nouvelle…

Elle était sûrement la plus intéressée par récupérer nos possessions. Au passage, notre sac magique avec la plupart de nos biens n’était pas à l’auberge où nous étions censées loger, mais chez Syrle. Ils nous avaient dépouillés simplement de nos armures, les armes nous les avions confiées à l’entrée de l’hôtel du marquis.

— Vous autres, restez ici ! Je suis une prêtresse d’Uradan, ayez confiance en ma parole ! Les autorités sont en chemin et vont tous vous libérer. Mais si vous sortez de cette cellule, vous risquez de vous faire tuer, expliqua Naeviah aux prisonniers. Nous allons attirer l’attention sur nous, personne ne viendra vous faire du mal, je vous le promets. Je vous donne ma parole que votre calvaire touche bientôt à sa fin.

Tyesphaine acquiesça en leur souriant, pendant que Mysty et moi attendions plus loin dans le couloir. Finalement, Mysty récupéra les épées courtes des deux gardes et m’en proposa une. Je refusais silencieusement, il valait mieux qu’elle soit bien armée, j’avais ma magie de toute manière.

Le discours de Naeviah et la présence de Tyesphaine apaisa les prisonniers. J’avais l’esprit ailleurs, je ne pensais plus à eux. Heureusement que mes amies étaient là.

Sur ces faits, nous quittâmes le couloir où se trouvaient d’autres geôles moins remplies que la nôtre et entrâmes dans un complexe souterrain.

***

Mysty s’était bel et bien souvenue de l’endroit où avaient été laissées nos affaires, nous les récupérions dans une salle deux couloirs plus loin.

Je supposais qu’ils étaient destinés à la vente comme toutes les affaires entreposées à cet endroit.

La prison où nous avions été retenue faisait partie d’un dédale de couloirs très anciens. J’apprendrais par la suite qu’en réalité, il s’agissait d’un réseau de contrebandiers lui-même exploitant un ancien système d’égout de la ville.

Jadis, un violent tremblement de terre avait ravagé la cité qui avait été reconstruite entièrement sur les ruines de la précédente. Ces souterrains dataient d’avant la reconstruction et n’étaient pas connus des citoyens ordinaires.

La majorité étaient effondrés, l’ensemble de la structure avait fini par descendre à une quinzaine de mètres de profondeurs. Les égouts actuels qu’utilisais Segorim avaient été construits au-dessus des précédents dont la remise à neuf avait dû être jugée impossible.

Néanmoins, quelques décennies de cela, des criminels avaient trouvé un accès oublié. Ils l’avaient sécurisé et avaient réaménagé les portions exploitables pour s’en servir de refuge et de passage clandestin. Lorsqu’ils avaient été finalement arrêtés et exécutés, ils avaient emporté le secret de ces souterrains avec eux.

Comment le marquis avait-il eu vent de ce réseau de contrebande ?

Nous ne savions rien de tout cela, nous déambulions dans les couloirs lorsque, quelques minutes plus tard, nous arrivâmes dans une grande salle, probablement un ancien collecteur d’eaux usés, où nous tombâmes nez à nez avec un groupe d’individus armés. Ils portaient tous des tabards avec des armoiries.

— Inalion…, grommela Naeviah tandis que nos opposants nous firent face.

Évidemment, le principe de la contrebande était de relier deux endroits sans l’autorisation des propriétaires, à la barbe du gouvernement en place, afin d’esquiver les taxes et enfreindre les interdiction d’importation et exportation.

Qui pouvait être plus intéressé par cet endroit que les Inaliens ?

Et, à en juger par leurs uniformes, il ne s’agissait pas là d’un groupe de criminels qui faisaient leurs affaires en secret mais de véritables soldats. Très certainement, Inalion gardait ces souterrains en tant qu’atout dans le cadre d’une éventuelle attaque sur la cité de Segorim.

Jusqu’à quel point le marquis avait-il pu être submergé par la jalousie pour accepter de traiter avec les forces officielles ennemies ?

— Vous, arrêtez-vous ! Rendez-vous et il ne vous sera fait aucun mal !

La phrase classiques des gardes. Nous avions été des prisonnières destinées à la vente aux esclaves, vous pensez peut-être que nous allons nous rendre gentiment ?

Au contraire, nous dégainâmes nos armes et nous mîmes en position de combat autour de notre porte d’entrée. Cette position nous permettait d’établir un demi-cercle défensif autour de Naeviah, la couvrant de toutes les directions.

— Que font des soldats inaliens ici ? demanda Naeviah dont la voix se propagea dans l’énorme salle.

Le plafond de cet endroit devait atteindre six mètres de haut, il était soutenu par des voûtes en arc plein. Au centre se trouvait jadis un énorme fossé pour accueillir les eaux usées, mais il avait dû être bouché suite aux effondrements de terrain. Les bandits avaient fini d’aplanir le trou en y jetant de la terre. Je voyais malgré l’obscurité ambiante parfaitement bien la démarcation entre le sol en pierre ancienne et la terre.

Il y avait deux tunnels, l’un partait à droite et l’autre à gauche. En face, un escalier grimpait le long de la paroi et menait à un palier rudimentaire, à quatre mètres de haut, où se trouvait une porte en métal. D’un bout à l’autre, la salle devait faire plus d’une quinzaine de mètres. Avec l’activité sismique et tout ça, c’était incroyable qu’elle ne se fût pas effondrée.

Il n’y avait cependant pas que des soldats inaliens, mais aussi quatre soldats portant sur leurs écus en acier des blasons que je reconnus identiques à ceux des étendards et des fanions du manoir du marquis.

— Comment… ? Sales petites truies…

En parlant du loup.

Mes amies devaient sûrement être incapables de voir tous les détails, l’endroit était mal éclairé. Près de l’escalier se trouvait le marquis.

Contrairement à nous, il n’était pas dans le faisceau de lumière des torches magiques, mais dans la pénombre en train de parler avec un soldat qui devait être une sorte de sergent ou capitaine (je supposais).

Je ne pus m’empêcher de sourire face à sa réaction.

— Vos manigances s’arrêtent ici ! dit Tyesphaine avec vigueur. L’esclavage est interdit à Hotzwald ! Rendez-vous !

J’étais un peu surprise qu’elle se montrât si autoritaire. Elle était même allée jusqu’à pointer sa rapière dans leur direction. Mais, en y pensant, Tyesphaine partageait les valeurs des fées et j’étais bien placée pour savoir qu’il y avait peu de créatures qui détestaient autant l’emprisonnement et l’esclavage qu’elles.

Les fées de la Grande Forêt, d’après ce qu’on m’avait expliqué, avaient même imposé l’abolition de l’esclavage à Hotzwald. Cela avait fait partie d’une des conditions de négociation avec ces humains. Cette histoire, qui était peut-être vraie peut-être pas, remontait à bien longtemps et les Hotzwaldiens ne s’en souvenaient qu’en tant que légende.

Bien sûr, eux non plus n’allaient pas jeter gentiment leurs armes et se rendre devant les quatre aventurières que nous étions.

Mis à part le marquis, nous pouvions dénombrer sept soldats inaliens et quatre soldats appartenant aux forces du marquis. Douze ennemis, dans un espace confiné où je ne pouvais pas faire appel à mon meilleur atout, c’était sûrement audacieux de notre part de les provoquer. D’autant, qu’il fallait en garder une partie d’entre eux en vie afin que Syrle pût les interroger.

Mais, je n’avais pas peur, au contraire je dardais un sourire approbateur à Tyesphaine qui venait de tourner yeux émeraudes dans ma direction.

— Monseigneur, je crois que ces tractations doivent prendre fin ici. Il y a comme qui dirait un imprévu. Je vous laisse gérer le problème, nous allons simplement rentrer chez nous.

— Attendez ! Je vous ferais une ristourne ! Je suis prêt à vous laisser les trois premiers gratuits ! implora le fier marquis. Aidez-nous à nous débarrasser de ces importunes.

Je réalisai seulement à cet instant que malgré ses grands airs, le marquis avait peur de nous, probablement depuis le début. Quatre filles aussi mignonnes pouvaient réellement inspirer autant de crainte ?

N’êtes-ce pas à cause de l’armure de Tyesphaine ?

Il était sûrement préférable que les soldats inaliens ne prissent pas partie pour lui, j’ignorais de quoi ils étaient capables. Puis, notre but était de couper la tête de cet infâme trafic. Tuer quelques soldats d’Inalion n’allait pas empêcher le pays de poursuivre ses activités, mais mettre aux arrêts le marquis ferait disparaître la cellule… pendant quelques temps, du moins.

Il fallait les tenir éloignés du combat, j’eus une idée :

— Syrle est déjà en route avec les autorités de la ville. Si vous ne voulez pas déclencher un incident diplomatique, il vaudrait mieux vous retirer de suite.

— Sales chiennes ! Vous avez négocié avec cette femme ?! Je… Je n’aurais pas dû vous engager !!

Le nom de Syrle avait fait paniquer le marquis dont le beau visage androgyne était déformé par la colère. Je ne pus m’empêcher d’afficher un sourire provocateur.

Mais mes paroles n’eurent pas l’effet escompté sur le chef des soldats inaliens.

— Si nous partons, l’incident va donc retomber sur notre pays…

— Je… J’étoufferais l’affaire ! Ne craignez rien, Syrle est une mage sans influence, une vile roturière de rien du tout ! Je suis même sûr que c’est du bluff : elle viendra seule ! C’est un loup solitaire, personne ne la croira si nous éliminons les preuves avant sa venue.

Malheureusement, il avait vu à travers mon mensonge. Syrle ne viendrait sûrement pas accompagnée puisqu’elle ne voulait pas ébruiter l’affaire et entacher la réputation de la guilde de magie. J’ignorais ce qu’elle avait prévu de faire au marquis et ce n’était pas vraiment mes affaires. Si elle l’exécutait sommairement, il l’aurait bien mérité.

Le capitaine parut réfléchir un instant, puis prit sa résolution :

— Il faut faire disparaître les preuves. Mais Monseigneur, toute cette affaire vous coûtera très chère, soyez-en assuré.

— Je payerai ! Grassement ! Soldats, débarrassez-nous de ces filles et tout de suite !

— Camarades, faisons comprendre à ces filles la valeur des soldats d’Inalion !

Même si ce n’était pas ce que j’avais cherché à obtenir comme résultat, au fond, cela nous arrangeait probablement : cela faisait d’autant plus de preuves quant à la trahison du marquis. Puis, s’ils étaient partis, nous aurions été obligées de les laisser tranquilles. Même si cela ne servait à rien, je ne voulais pas que des esclavagistes repartent impunément de cet endroit.

Nos ennemis dégainèrent leurs armes et se mirent à avancer lentement dans notre direction. Il ne restait plus qu’à survivre au combat.

Les soldats du marquis utilisaient des épées longues et des boucliers marqués des armoiries de leur seigneur. Ils portaient des manteaux de mailles, un plastron de plaque et des casques de type barbute. De l’équipement digne de la garde d’un noble.

A l’opposé, les soldats inaliens avaient un équipement plus roturier : haches et marteaux de guerre et des masses d’armes. Leurs boucliers étaient des targes en bois cerclées de métal. Ils portaient des armures de cuir avec par-dessus des chemises de mailles et des casques salade. Leur équipement était moins riches mais n’en faisait pas moins des adversaires dangereux.

Deux des soldats d’Inalion, toutefois, avaient des équipements un peu plus légers : ils ne portaient pas de mailles, juste une armure de cuir, et ils n’avaient pas de casques mais des chapeaux. Ils n’avaient pas non plus de bouclier et leur armement se limitait à une masse d’armes à ailettes et une dague de remplacement.

Le chef des soldats d’Inalion, pour sa part, avait un manteau de mailles, un plastron de plaque et un casque salade à visière (qu’il venait de baisser). Avec sa cape, il était reconnaissable parmi les autres.

Aussitôt le feu vert donné, comme je m’y attendais, les deux soldats inaliens en retrait avec leurs armures plus légères se mirent à incanter. Contrairement aux fictions ou jeux de mon ancien monde, il n’y avait pas de règles qui interdisait un lanceur de sort de porter des armures lourdes et de lancer des sorts. Cependant, elles étaient gênantes, contraignantes et fatiguaient excessivement le corps. Or les magiciens faisaient déjà appel à de grandes ressources à l’intérieur d’eux, cumuler les deux étaient le meilleur moyen de finir sa journée en charpie, sans compter les risques de réduire l’efficacité de sa visée.

Le fait qu’ils portaient des armures de cuir prouvait qu’ils avaient eu une bonne formation martiale. De même que le réflexe d’avoir accumulé leur magie pendant l’échange. Bien sûr, j’avais repéré depuis le début la concentration de magie en eux. De même, je savais déjà que Naeviah était également prête à agir.

Ce que j’ignorais par contre était les sorts qu’ils préparaient, je ne le saurais que lorsque la magie serait relâchée.

— Contre-sort ! dis-je à Naeviah en elfique.

— D’accord ! me répondit-elle dans la même langue.

Apprendre une langue demandait des années, ce n’était pas du jour au lendemain que mes compagnonnes allaient se mettre à parler elfique, mais je leur avais appris les mots rudimentaires qui pourraient nous servir en combat. C’était bien pratique pour dissimuler notre stratégie à nos adversaires, l’information est une arme précieuse à ne pas sous-estimer.

Comme je l’avais déjà expliqué, le contre-sort consistait à annuler le sortilège d’un adversaire. Pour ce faire, il fallait soit lancer un sort identique ou proche, soit un sort de registre opposé (feu pour contrer la glace) ou alors simplement intercepter les projectiles en vol pour qu’ils explosassent avant d’atteindre leurs cibles (pour ce faire, la magie n’était pas forcément indispensable). Il existerait également une magie interdite capable de réprimer les sorts de manière universelle, mais je ne m’étendrais pas là-dessus.

Le désavantage de cette technique était qu’il fallait reconnaître les sorts lancés par l’ennemi. Or, je n’avais pas fait mes classes dans les guildes de magie humaines. Les mots en draconiques qu’ils prononcèrent ne m’indiquèrent pas le type d’effet qu’ils allaient relâcher. Mais, ma perception active de la magie me permit rapidement de voir la teinte que cette dernière était en train de prendre à mesure qu’elle se concentrait dans entre leurs mains.

— Naeviah, celui de droite ! Ténèbres !

J’avais l’impression de parler à une enfant, mais c’était inévitable, elle comprenait encore très mal. Malgré leur éducation supérieure à la normale, mes amies jugeaient l’elfique comme une langue très difficile à apprendre.

— Compris ! Moi occuper !

Je souris en coin. Son accent était très mignon, mais si je le lui avais dit, elle m’aurait tuée et ruée de coups… et pas forcément dans cet ordre.

Le magicien de droite était en effet en train d’incanter un sort de ténèbres. J’étais triste de ne pas pouvoir le confronter, c’était ma spécialité. Cela dit, Naeviah disposait de la magie de lumière, si elle avait bien compris ce que je lui avais dit, elle pouvait facilement l’employer pour contrer le sort ennemi.

De mon côté, celui de gauche, utilisait la magie de glace. C’était un combat d’antagonistes.

« Miroir de mon âme, froideurs hivernales, que s’étende le règne de glace ! »

Les deux incantaient en draconique. J’ignorais de quel style il s’agissait et en vrai peu m’importait. Leur vitesse et leur précision incantatoire me prouvait bien qu’ils avaient été bien entraînées, mais je ne comptais pas perdre dans une confrontation de magie.

« Cendres aux cendres. Que la parole s’envole et ouvre les fourneaux du cœur du monde ! Embrasez le ciel, embrasez mes ennemis ! »

Je finis quelques instants avant mon adversaire. En guise de provocation, même si cela m’était moins naturel, j’incantais en draconique. Ainsi, il pouvait se rendre compte lui aussi à qui il avait affaire.

« Dast’Zoryr ! »

« Syelboer (Fire Ball) ! »

Une boule de glace laissant derrière elle une brume givrée partit dans notre direction, mais aussitôt ma boule de feu l’intercepta. Au plafond, nos deux sorts explosèrent et s’annulèrent.

— Oh ? Tiens donc…

Je remarquai toutefois, après cette simple offensive, que s’il incantait vite sa puissance magique était bien inférieure à la mienne. Au moment où nos sorts s’annulèrent, mes flammes avaient eu le dessus sur sa glace. J’ignorais s’il s’en était rendu compte également.

Du côté de Naeviah, j’entendis le mage inalien incanter :

« Sixième limbes infernales, par le nom du roi du chaos, j’invoque les ténèbres et répand la mort. Annihile mes ennemis ! Bairas ! »

Mon amie lui répondit en mortuaris, comme elle priait habituellement :

« Astre des Dieux, entends ma prière, ô douce litanie. Que ta lumière m’imprègne, que ton châtiment s’abatte. Forgaer ! »

Une sphère de ténèbres décrivit une courbe parabolique au-dessus des soldats en approche. Je comprenais pourquoi ils avançaient aussi lentement en formation, c’était pour laisser les mages lancer leurs sorts de zone. Mais, avant que la sphère n’ait pu nous atteindre, un rayon de lumière la cueillit en plein vol.

Naeviah aussi le surclassait. Sa vitesse d’incantation était plus rapide et sa puissance magique supérieure. Le rayon de lumière ne se contenta pas d’annuler la sphère de ténèbres, elle la fit disparaître et poursuivit sa trajectoire jusqu’au mur en face où elle creusa un trou.

— Ah ? En fait, vous êtes plutôt faibles…

Contrairement à moi qui restait polie, Naeviah ne se gêna pas pour le signaler à haute voix.

Au même instant, trois soldats inaliens chargèrent notre première ligne composée de Mysty et de Tyesphaine. Cette dernière prit la tête, elle fonça avec son bouclier entouré de lumière et d’un mouvement ample dévia les trois masses qui lui arrivaient dessus. Avec un mouvement leste et fluide, elle planta sa rapière dans la cuisse d’un des soldats. Elle cherchait sûrement à les handicaper plutôt que les tuer.

Mysty lui passa à côté comme une flèche, fondit sur l’un des soldats qu’elle entailla aux cuisses également de ses kama, puis se glissa dans le dos d’un second qu’elle planta cette fois sous l’aisselle. C’était en effet une des failles de la plupart des armures. J’ignorais si celui-ci allait s’en sortir et au fond ce n’était pas si important considérant que dans tous les cas il serait condamné à mort.

En tout cas, elles paraissaient pouvoir s’en sortir toutes les deux, inutile que je vinsse en renfort.

— Naeviah, s’ils sont blessés, tu pourras les soigner ?

— Je pas comprendre. Fiali, compliquée !

Je pensais avoir dit quelque chose de facile, mais avais-je parlé trop vite ?

Nos ennemis recommençaient à incanter, je n’avais pas beaucoup de temps.

— Si eux blessés, toi pouvoir soigner ?

— Soigner ? Fiali ?

— Non eux ?

— Compliqué mais d’accord.

C’était le feu vert, je pouvais les esquinter un peu, ce n’était pas un problème si Naeviah pouvait les rafistoler pour les remettre aux autorités. J’avais un peu de compassion pour ces deux mages, simplement parce qu’ils étaient de ma profession, mais au fond ils étaient aussi coupables que les autres. Qu’ils l’aient voulu ou non, ils avaient pris part au commerce d’êtres humains.

J’aurais pu les tuer sans scrupules, mais je me disais qu’en tant que pratiquants de la magie, ils devaient détenir plus d’informations que les autres. Ce serait sûrement une bonne chose de les livrer à Syrle. Mon objectif était d’en garder au moins un des deux.

Voyant leurs premiers sorts échoués, ils en choisirent un différent pour leur seconde offensive.

« Blizzard éternel qui souffle sur les terres désolées. Gèle mon ennemi ! Emprisonne-le dans tes bras somnolents et puissants ! Haajak’Dzuh ! »

Je ne comptais pas incanter cette fois, l’écart de puissance entre nous était tel que cela m’était inutile. Mais mon adversaire fut plus sournois que je ne le pensais. J’attendais son projectile mais me rendit compte tardivement que ce n’était ni un rayon, ni une sphère, mais une colonne de glace qui apparut à mes pieds. Je n’eus pas le temps d’esquiver, je n’eus le temps que de faire apparaître mon bouclier magique.

Je me retrouvais emprisonnée à l’intérieur d’un pilier de glace, en train de congeler, incapable de bouger. Naeviah y avait échappé de justesse.

C’était effectivement une attaque bien plus redoutable que la précédente qu’il continuait d’alimenter en vue de me congeler de l’intérieur, jusqu’à ce que mon corps meurt d’hypothermie.

Pendant ce temps, le second mage incanta un nouveau sort et cible Naeviah.

— Tsss ! Après ce que tu m’as demandé, tu te retrouves dans cet état ? Stupide Fiali ! Attends-moi, je m’occupe d’abord de lui !

Naeviah était inquiète pour moi. C’était tellement mignon ! En effet, n’importe qui aurait pu penser que j’étais fichue dans mon état, mais seul un utilisateur de magie pouvait se rendait compte que j’étais encore en vie à l’intérieur du bloc de glace.

Par contre, Naeviah avait-elle compris que je n’avais pas encore rendu les armes ?

« Sanctuaire des damnés, lune sanglantes, accordez-moi vos grâces et faveurs, que se déverse votre fiel !Sankuros’Zafyk !! »

Nos ennemis nous prenaient au sérieux : je sentis le flux de magie circuler dans le corps du second, bien plus abondant qu’auparavant ; sa voix était plus forte également.

Un rayon de ténèbres assez similaire à mon Suil’Kyos jaillit de ses mains. Mais aussitôt, sans incanter, Naeviah fit jaillir son rayon de lumière des siennes.

Malgré le désavantage de ne pas incanter oralement, Naeviah le dominait malgré tout. Les deux sorts s’entrechoquèrent. Cette fois, l’un comme l’autre continuèrent de les alimenter, essayant de repousser l’offensive de son adversaire. Mais l’issue était déjà déterminée.

Le rayon de lumière de Naeviah repoussa complètement celui de son adversaire et poursuivit sa trajectoire. Le mage inalien fut transpercé en pleine poitrine, l’un de ses bras fut désintégré au passage.

Eh oh ! Il faut en garder un en vie !

Naeviah grimaça et fit claquer sa langue, elle avait sûrement perdu le contrôle.

— Je vais t’aider à présent…

Naeviah se tourna vers l’autre mage pour l’obliger à interrompre son sort, lorsqu’un projectile magique la prit pour cible. C’était une attaque invisible, une simple bourrasque de vent, mais elle lui entailla le torse. Le sang de ma camarade s’écoula au sol devant mes yeux interdits.

Grâce à ma vision elfique, j’avais vu la décharge de magie invisible lui fondre dessus, j’en connaissais même l’origine mais je n’avais rien pu faire pour la prévenir.

Le responsable, celui qui avait lancé une lame de vent sur Naeviah, se tenait devant la porte en hauteur : il s’agissait du marquis.

Dans le feu de l’action, je l’avais totalement oublié mais nous savions déjà qu’il était un magicien spécialisé dans la magie de vent. Il m’avait paru si minable à implorer l’aide des Inaliens qu’il m’était sorti de la tête.

— Hahaha ! Alors, qu’est-ce que tu dis de ça ?

J’avais envie de lui répondre qu’une magie invisible correspondait bien à l’ordure qu’il était, mais je ne pouvais articuler. Puis, je savais que ce que Naeviah allait lui répondra ne serait pas plus amical.

— Que dire ? Tu as raté ta chance. C’était une attaque-surprise pourtant. Quand Syrle a dit que tu étais un mage sans talent tout juste bon à passer le balais devant l’entrée de la guilde, j’ignorais que tu avais développé une magie aussi efficace pour le faire.

Je riais intérieurement en imaginant le marquis en train de déblayer les feuilles mortes devant la tour de la guilde en utilisant sa magie d’air comme souffleur.

La blessure de Naeviah était sûrement plus sérieuse que ce qu’elle laissait paraître, j’étais inquiète. Mais, la prêtresse lança sans incantation son « Oraya » sur elle-même, un sort de soin majeur. Sa main s’entoura de magie lumineuse qui s’infiltra dans son corps et aussitôt la blessure se referma.

— Tu vois ? Tu as raté ta chance. La contre-attaque va faire mal.

Il n’était plus temps de lambiner, il fallait que je sorte de là pour reprendre la vedette… et accessoirement protéger Naeviah.

Le marquis se mit en colère, il n’était sûrement pas habitué à ce qu’on le contrariât, il se remit à incanter. Simultanément, je déployais dans ma main le sortilège « Ver’vyal », un attaque de feu au contact que j’imprégnais dans ma lame en général. Immédiatement, la glace autour de moi commença à fondre.

« Zéphyrs des points cardinaux, joignez vos forces et que votre fureur s’abatte sur mes ennemis ! Gyrzak ! »

Une fois de plus, c’était une attaque invisible. Je me rendais compte qu’en duel de mage, cette branche de magie était redoutable. Difficile de contrer des attaques qu’on ne pouvait voir.

À ma connaissance, il était possible de rendre les courants d’air colorés, d’ailleurs, c’était leur manifestation de base, mais en travaillant sur leur manifestation on pouvait les cacher. Le marquis avait particulièrement bien maîtrisé cet aspect-là, semblait-il.

Quel indigne utilisateur de magie ! La magie est faite pour être vue, attirer l’œil et inspirer la terreur et le respect !

J’ajoutais mentalement dans la liste de mes ennemis jurés les aéromanciens à côté des mentalistes.

Naeviah ne pouvait rien faire d’autre que subir l’attaque. Contrairement aux mages, elle n’avait pas de capacité à détecter les flux magique, ce qui aurait pu l’aider à esquiver. En soi, c’était logique : les prêtres se fiaient uniquement à leur foi et à leur divinité, non pas à leurs propres capacités ; ils ne voyaient que ce qu’on leur consentait de voir.

Naeviah subit un choc d’air comprimé qui l’envoya voler en arrière en lui provoquant des dégâts contondants. C’était particulièrement vil comme mode d’attaque !

Mais elle se releva avec du sang coulant de sa bouche et se mit à rire :

— C’est tout ? Attends que Fiali sorte de sa prison, elle va t’apprendre ce que c’est faire de la magie d’attaque. Je n’aurais jamais survécu à l’un de ses sorts. Hahaha !

Une fois de plus, elle se lança un sort de guérison et se rapprocha.

J’étais honorée et heureuse de ses paroles, mais très surprise également. Un instant, je me demandais pourquoi elle se montrait si gentille avec moi et je finis par comprendre :

— Elle pense que je ne peux pas l’entendre à travers la glace ?

Les sons m’arrivaient de manière distordus, mais j’arrivais malgré tout à entendre. Elle me donnait de quoi me moquer d’elle ultérieurement.

Les efforts qu’elle témoignait me motivèrent à sortir de ma prison de givre. J’augmentais le flux de magie et les flammes devinrent si ardentes que la glace fondit en grande partie. Seules mes jambes étaient encore retenues prisonnières. Le mage en face de moi grimaça, mais continua de maintenir son sort faute de quoi la glace n’aurait eu aucune chance de se régénérer.

— C’était bien tenté, dis-je. Mais vous avez fait une erreur en vous en prenant à mon amie.

— Ton quoi ?! Qui… qui a dit que j’étais ton amie !! Occupe-toi du marquis et ne le tue pas !

— Je ne peux rien te promettre, Naeviah. Au pire, tu le remettras sur pied, pas vrai ?

Je cherchais à intimider nos ennemis, bien sûr. Le marquis était peureux, je l’avais compris.

Je tirai mon épée de son fourreau et y transférais mes flammes avant de l’enfoncer dans la glace à mes pieds.

De mon autre main, je me mis à incanter.

« Par le pacte ancestral des ténèbres, j’en appelle à votre pouvoir ! Que la nuit antédiluvienne me transsubstante ! Ô sceaux infernaux déversez vos flèches obscures ! »

Cette fois, c’était de l’elfique. Je n’avais plus envie de jouer.

— Pour ce que vous avez fait à Mysty. Pour ce que vous avez fait à Naeviah. Vous allez le payer ! Zard (Darkness Arrow) !!

Une dizaine de flèches d’ombres partirent de mes doigts et prirent pour cible mes deux ennemis. Le mage de glace fit apparaître un bouclier magique, similaire à celui que j’utilisais, mais il fut brisé et deux flèches s’enfoncèrent dans son torse.

Le marquis fit apparaître autour de lui une bourrasque de vent qui intercepta mes projectiles. Il s’agissait d’un sort de défense active. J’admirais la sagacité d’avoir utilisé une telle défense, mais une de mes flèches parvint malgré tout à passer et lui perfora l’épaule.

Puisque le premier mage cessa de se concentrer la glace à mes pieds disparut ; je m’avançais hors de la flaque d’eau.

— Tu vas bien, Naeviah ?

— Tsss ! Je t’en pose des questions ! Bien sûr que ça va, tu ne le vois pas ! Je m’occupe du mage de glace, le marquis m’énerve avec sa magie invisible.

— Et tu penses que je peux faire quelque chose contre lui ?

— Tssss ! Qu’est-ce que j’en sais ? Débrouille-toi, c’est toi la magicienne !

Je me retins de rire. En langage tsundere, cela voulait dire : « je te fais confiance ».

Naeviah gonfla les joues et se tourna vers le mage de glace qu’elle pointa du doigt :

— Vous avez déjà perdu ! Tes compagnons sont en train de se faire massacrer par nos amies, Fiali va abattre le marquis, si tu veux te rendre c’est maintenant ou jamais !

Mysty et Tyesphaine géraient plutôt bien leur combat. Elles formaient un bon duo, j’étais presque jalouse en vrai. Il ne restait que le capitaine des Inaliens et deux soldats du marquis pour les affronter, mais ce n’était qu’une question de minutes avant qu’elles n’aient fini.

Le mage grimaça et dit d’une voix hésitante :

— Désolé… je… ne peux pas me rendre… ils me tueront…

Je comprenais sa triste situation. Soit il allait mourir en nous affrontant, soit il allait se faire arrêter et serait exécuté par son propre pays ou par les autorités de Segorim, soit il déserterait et devrait vivre toute sa vie avec l’Inalion contre lui. Pas évident comme situation…

Au final, le plus sage est de bien choisir ses alliés et ne pas se mêler d’affaires louches, pensais-je.

Naeviah soupira et fit apparaître des sphères de flammes noires dans ses mains. Elle n’avait pas incanté, sûrement pour limiter la puissance du sort et l’épargner.

Peut-être devrais-je faire de même ?

Le marquis paraissait plutôt inquiet tout à coup. Sans incanter, il me lança une attaque : une lame de vent.

Je la bloquai sans problème avec mon bouclier magique.

— Désolée, mais je vois très bien tes sorts. Tu peux les cacher face à mes yeux, mais leur trace magique est toujours là.

Les sorts capables de se cacher à mes perceptions surnaturels étaient rares.

— Tu ne veux pas te rendre ? Ce combat est assez ennuyeux en vrai, vous n’êtes pas assez forts.

Il posa la main sur la poignée de la porte, je compris qu’il envisageait de prendre la poudre d’escampette.

— On dirait que tu ne veux pas… Tant pis…

Je tendis la main et projetai des flammes qui prirent la forme d’un oiseau de feu. Le sort survola la zone de combat et s’en alla fondre sur le marquis.

Il fit apparaître à nouveau sa barrière de vent pour s’en protéger, c’était ce que j’attendais.

Immédiatement, je me mis à courir vers lui tout en lançant cette fois une boule de feu. Au même moment, je vis les sphères de flammes noires de Naeviah foncer droit sur le mage de glace. Il chercha à les contrer mais l’écart de puissance était trop grand. La première sphère fit exploser son sort de glace en vol tandis que la seconde vint s’écraser contre son ventre.

Je n’assistais pas plus longtemps à la scène puisqu’elle sortit de ma vue périphérique. Les flammes peu puissantes que j’avais lancées avaient crées autour du marquis un rideau de flammes qui l’empêchait de me voir arriver. Je contournai sans difficulté les guerriers et arrivai au niveau des escaliers.

Je pris appui sur les marches et bondit dans les airs à une hauteur de près de trois mètres. J’atterris sur la plateforme où se trouvait le marquis.

Lorsque les flammes se dissipèrent, il afficha sur son visage l’horreur de me voir au corps-à-corps. Sans lui laisser le temps de réagir, je lui assénais un coup de pommeau dans le ventre. Sincèrement, j’avais plus envie de lui enfoncer la pointe de ma lame dedans, mais il fallait que Syrle le capturât en vie.

Le marquis était toujours debout, un « clic » s’était fait entendre au moment de l’attaque : il avait amorti le choc à l’aide d’une aura de protection similaire à celle que j’utilisais. Pourtant, il n’avait aucun sort actif sur lui au moment où j’avais porté mon coup, j’étais suffisamment étonnée pour m’immobiliser un bref instant.

Il grimaça et s’apprêta à me lancer une lame de vent à bout portant, je voyais aisément la magie se concentrer dans ses bras

À cette distance, il me serait difficile de l’esquiver mais c’était sans compter sur le fait que je n’étais pas qu’une magicienne. S’il était impossible de s’en défendre, il me suffisait de l’interrompre. Je fis tourner ma lame dans ma main et lui entaillai la cuisse.

Immédiatement, il s’écroula en criant de douleur :

— AAAAAAAAAHHHH !! Je… je me rends… AAAAAHHHH !!

Il n’était pas habitué à la douleur, de toute évidence.

Ce noble a été une farce du début à la fin, pensais-je en rengainant ma lame.

Je vis au sol une bague brisée, je compris à cet instant qu’elle avait dû activer un effet de magie pour absorber le coup à sa place ; c’était l’origine du « clic » que j’avais entendu au moment de l’attaque.

On m’avait déjà conté des rumeurs concernant des objets « sacrificiels ». Il s’agissait d’objets magiques à usage unique qui subissaient magiquement les dégâts portés à leur propriétaire. Lorsqu’ils en avaient trop encaissés, ils se brisaient.

Si un coup aussi faible avait suffi, l’objet devait être faible également. Ou alors, ce n’était pas sa première utilisation.

Je ne tardai pas à découvrir la vérité : je remarquai une fine pointe de pierre qui avait jailli du mur derrière le marquis. Lorsque la porte s’ouvrit, je me retrouvais face à Syrle : elle l’avait attaqué en même temps que moi, c’était là toute l’explication.

— Je vois que j’arrive trop tard pour échanger mon aide contre de l’affection.

Je ne répondis pas mais je ne pus m’empêcher de grimacer, ce qui l’amusa.

— Tu étais plus mignonne et douce en Katelina. Bon, bon, je vais prendre la relève et m’occuper du ménage.

— À votre guise…

Je m’assis sur les marches voisines en essayant d’ignorer les cris de douleur du marquis. Naeviah soigna le mage de glace qu’elle avait été en partie carbonisé et me jeta un regard plein de défi.

Nous avions réellement des relations étranges entre lanceuses de sorts. Je m’en rendais compte.

Je soupirais longuement et attendis que le combat se finisse.

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