Isekai Dakimakura – Arc 4 – Épilogue

L’affaire du marquis Olwedon de Salmine s’était achevée par notre victoire. Syrle s’était occupée de toute la partie administrative et légale.

Elle avait tout mené dans le plus grand des secrets, impliquant uniquement les hauts-mages de la guilde et quelques nobles. Personne parmi les membres ces deux castes n’avait intérêt à laisser ébruiter l’affaire : le marquis fut officiellement considéré comme disparu, sa famille s’empressa de revendiquer la régence de son héritage.

Bien sûr, Syrle avait oublié de nous mentionner dans l’affaire, même si certains des esclaves libérés parlaient de quatre aventurières impliquées dans l’affaire. Il y avait dans les souterrains un total de près de quarante prisonniers en attente d’être vendus, la plupart étaient enfermés deux ou trois mois.

Selon les confessions de soldats arrêtés, les soldats inaliens n’étaient pas les seuls clients du réseau du marquis. Il y avait également quelques nobles d’Inalion et des marchands d’esclaves professionnels. Il était impossible de faire tomber toutes les têtes impliquées dans ces odieux trafics, d’autant plus qu’il fallait garder l’affaire secrète : aucune action diplomatique ne fut entreprise à l’égard du pays voisin.

Grâce à sa magie de terre, Syrle put cartographier, dans les jours qui suivirent l’arrestation du marquis, les anciens souterrains oubliés qui constituaient une faille de sécurité de la cité de Segorim. Leur existence demeurerait néanmoins un secret partagé par les seules autorités de la ville, aux yeux du commun des habitants ils resteraient une légende urbaine.

J’ignorais si la ville choisirait de les effondrer pour de bon ou si elle les garderait comme sortie secrète après les avoir modifiés (les Inaliens les connaissaient déjà, en l’état ils n’étaient pas une bonne échappatoire).

De son côté, le marquis en avait eu vent par le biais d’un de ses contacts, l’ancien propriétaire du réseau d’esclavagisme, un riche marchand qui suite à toute cette affaire fut arrêté pour divers détournements fiscaux. En réalité, le marquis n’avait fait que reprendre les rênes d’une organisation qui sévissait depuis quelques années déjà, bien que moins active sous les directives de son ancien chef.

Notre intervention avait coûté la vie à un mage inalien et quelques soldats que Tyesphaine et Mysty n’avaient pas assez ménagés, mais la majorité avaient été capturés vivants. Je n’avais aucun espoir quant au fait qu’ils ne fussent pas exécutés après leur interrogatoire, mais ceci est une autre histoire qui ne nous concernait plus.

Les quatre aventurières qui avaient libéré les prisonniers et dont on ne connaissait pas vraiment le visage séjournèrent pendant presque une semaine chez Syrle. Nous ne fîmes que quelques promenades en ville pour acheter ce dont nous avions besoin et nous détendre, mais nous profitions surtout du luxe de ce grand manoir.

Cette fois, il n’était plus question d’être des domestiques : point de bain avec Syrle, point de ménage, nous étions ses invitées le temps que l’affaire soit close et qu’elle puisse nous avoir les laissez-passer. Le marquis avait exagéré en nous les présentant comme faciles d’accès, même avec son influence il aurait fallu quelques jours pour les écrire et les faire valider.

Je ne comprenais pas les détails de cette approbation, mais apparemment il fallait que de les diplomates d’Inalion fassent leur part de travail.

Pendant notre séjour, je poursuivis mon enseignement d’elfique auprès de mes amies, tandis que Tyesphaine me donna, après une longue attente, quelques cours de langue féerique. Mysty essaya d’apprendre quelques passes d’armes à Naeviah pour qu’elle pût se défendre au corps-à-corps plus efficacement, mais ce n’était pas en quelques jours que notre prêtresse deviendrait une guerrière confirmée.

Je finis de peaufiner mon nouveau sortilège et, ayant un peu de temps devant moi, je décidai d’entamer l’écriture de mon grimoire personnel. Grâce à Syrle, pour quelques pièces d’or, je pus acquérir un livre vierge en papier pour y écrire.

Jusqu’à présent, mes sorts avaient tous été consignés dans ma tête uniquement. Mais lorsque j’avais vu la belle bibliothèque de Syrle avec ses vieux livres, il m’était venu l’envie de coucher mon savoir magique par écrit pour l’offrir à la postérité.

Puis, on ne savait jamais, il était possible un jour d’en faire commerce avec d’autres mages. Je n’étais pas opposée aux échanges magiques profitables et je n’avais aucune prétention à emporter mon savoir dans ma tombe.

Par contre, son écriture prenait plus de temps que ce que je ne l’avais pensé, l’écriture à la plume était lente et rigoureuse. Je l’avais pratiquée avec mon mentor, mais en tant qu’elfe des bois, il n’était pas un grand amateur d’écrits. En cela, il était très proche des druides.

Avec Naeviah, nous épluchâmes la bibliothèque de Syrle, il y avait énormément d’ouvrages intéressants à consulter. Même si elle n’était pas aussi fournies que celle du monastère de Moroa, les livres présents étaient vraiment orientés sur la recherche magique, ce qui attisait non seulement ma curiosité mais également celle de mon amie qui avait jadis voulu entrer dans la profession.

Malheureusement, c’était le temps qui nous fait défaut, nous ne pûmes pas profiter de tout ce savoir. J’avais bien sûr commencé par chercher les livres qui traitait du sujet qui faisait l’objet de ma quête, l’histoire des elfes, mais il n’y avait rien de plus que ce que nous savions déjà : les anciens empires elfiques avaient disparu suite à une guerre contre les humains, la plupart de leurs sites avaient été détruits et il n’en restait plus trace après quelques millénaires.

Le livre qui en parlait était sûrement accessible qu’aux initiés, car la version officielle des royaumes humains était que les elfes avaient disparus à cause de leur propre déchéance.

Cette œuvre historique me confirma de la possibilité qu’il restât des communautés dispersées à travers le monde, mais il n’en indiquait aucune malheureusement.

À la chute d’un empire, il restait toujours des survivants qui se regroupaient en plus petits groupes sociaux. Je m’étonnais qu’en cinq mille ans depuis la fin de la guerre, aucune de ces communautés n’ait jamais fait parler d’elle.

Sachant qu’il avait fallu près de quatre millénaires pour voir apparaître les royaumes actuels, je supposais que les humains de l’époque devaient réellement être primitifs et sauvages. Nous étions actuellement à l’aube de l’an mille, avant l’an 0 l’histoire humaine avait été bercé par des guerres interraciale entre clans barbares.

Comment les humains avaient-ils fait dans ce cas pour vaincre des civilisations si puissantes et magiquement avancées ? Pas seulement les elfes, mais aussi les dragons, les nains et les géants pour ne citer qu’eux.

Trouver la réponse à cette question serait sûrement l’aboutissement de ma quête, mais pour l’heure je n’avais que peu d’indices.

***

Finalement, un soir où Syrle rentra tard et où nous lui tenions compagnie dans le salon :

— J’aurais aimé qu’ils prennent plus de temps pour me les livrer, mais les voici…

Elle tira de sa besace quatre parchemins enroulés : c’était nos laissez-passer.

— Je vais me sentir bien seule, je commençais à m’habituer à votre présence ici. Cet endroit va me sembler bien triste…

Elle parvint à m’apitoyer et me faire monter les larmes aux yeux. C’était Syrle, son expression n’avait pas du tout l’air triste, elle paraissait toujours avoir une certaine distance par rapport à ses propos ; une déformation professionnelle engendrée par ses longues années dans la politique. Mais j’avais malgré tout l’impression à cet instant qu’elle était sincère et exprimait ses véritables sentiments.

Tyesphaine était tout aussi bouleversée que moi. Toute aristocrate qu’elle était, elle n’était pas quelqu’un qui savait cacher ses émotions.

Nous n’avions jamais été que de passage à Segorim, mais après tout ce qui s’était passé, aux événements aussi honteux qu’agréables, des liens s’étaient formés. Ce n’était pas quelque chose que je pouvais réellement dire à haute voix mais Syrle était un peu devenue pour moi la grande sœur ou la mère que je n’avais jamais eu dans ce monde-ci : une présence bienveillante et protectrice sur laquelle se reposer.

Mysty ne se gêna pas pour se lever et carrément lui sauter dans les bras. Syrle parut gênée et des larmes se formèrent au coin de ses fiers yeux.

— T’inquiète, Syrle, on repassera ! Pis, qui sait ? Peut’et qu’à la fin de la quête de Fiali, on reviendra s’installer chez toi. À ce moment-là tu regretteras tes paroles, tu voudras nous foutre dehors j’t’assure. Hahaha !

La remarque était amusante, mais je ne pus m’empêcher de baisser le regard avec regret. Il y avait quelque chose que je ne leur avais pas encore dit à ce propos…

Lorsque Mysty mit fin à son accolade, Tyesphaine prit timidement le relais. Elle vint lui serrer la main avec respect et dignité.

— Je… je vous aime bien… je… vous allez me manquer…

Voyant peut-être que je déprimais, Mysty me poussa littéralement sur Syrle et j’entraînais Tyesphaine dans ma chute. Syrle était assise dans un fauteuil, elle n’avait pas eu le temps de se lever que Mysty lui avait foncé dessus. Elle s’était levée uniquement pour saluer Tyesphaine, mais finalement nous retombâmes toutes les trois.

— Fais pas ta timide, Fiali ! Hahaha !

Je ne faisais pas ma timide, Mysty ! Enfin bon, en un sens, ce petit coup de pouce me rendait service et il aidait également Tyesphaine. Elle avait sûrement envie de faire comme Mysty mais n’avait pas osé. Dans cette position, Tyesphaine et moi avions nos bras autour de Syrle, on aurait réellement dit deux petites filles enlaçant leur mère.

Syrle ne s’en offusqua pas, elle sourit et posa ses mains dans nos dos.

— Quelles petites filles sensibles ai-je donc élevées… ? Oh là là !

C’était une scène touchante, je sentais à la fois la chaleur et la bonté de Syrle et celle de Tyesphaine mais…

— Maman… c’est normal que tu me tripotes les fesses ? Je ne pensais pas que nous avions de telles pratiques en famille…

— Hiiiiiiiiii !!

— Eh oh ! Moi aussi j’veux faire ça !!

Mysty rajouta de l’huile sur le feu tandis que Tyesphaine criait de terreur.

— Décidément, vos réactions embarrassées vont me manquer. Hohoho !

— Lâchez… moi…

— Allez, Tyes ! Fais pas comme ça ! Maman veut voir si ton popotin a bien grandi !

Bien sûr, cette remarque ne fit que rendre Tyesphaine plus rouge encore, elle allait se mettre à pleurer d’un instant à l’autre mais pour d’autres raisons que notre séparation.

À titre personnel, elle ne me faisait ni bien ni mal. Au fond, un postérieur reste qu’un amas de muscles et de graisse si on garde une certaine distance par rapport à la situation. Mais… lorsqu’elle déplaça un peu sa main…

— Euh… là, je ne suis plus d’accord.

Je me dégageai avec habilité mais fut aussitôt attrapée par l’entrain de Mysty qui m’enlaça par derrière et posa sa tête sur mon épaule.

— C’est si beau cet amour familial ! J’ai jamais eu de famille… enfin par le sang, bien sûr.

— C’est vrai que tu…

Je ne savais pas que dire, elle était orpheline également. Elle avait grandi avec des marchands, mais ils n’étaient pas ses parents biologiques. Moi, cela ne me faisait rien de ne pas avoir connu les miens dans ce monde, mais j’avais la maturité de la personne que j’avais été dans l’autre monde en plus de mon actuelle.

— LES PARENTS NE FONT PAS CA !! hurla Naeviah en portant assistance à Tyesphaine.

En effet, les parents ne faisaient pas ce genre de choses, Syrle avait juste profité de la situation.

Et elle n’avait pas fini…

— Ah bon ? La mienne m’inspectait pourtant…

— Perverse !!

Au prix de sa liberté, Naeviah parvint à dégager Tyesphaine, qui retomba dans le canapé comme un sac de ciment. Syrle l’attrapa et l’entraîna à elle.

— Je sais que tu veux aussi me faire tes adieux, ma pauvre Naeviah qui manque de sincérité.

— Je… je ne veux pas !! Laisse-moi, espèce de perverse délurée !! Va donc dans un tonneau !!

Nous ne lui avions pas encore expliqué le traumatisme du tonneau. Une fois qu’elle eut libéré Naeviah, nous lui racontions en détail l’événement qui avait marqué notre prêtresse.

— Haha ! C’est un épisode amusant auquel il m’aurait bien plu d’assister.

— Moi aussi ! Nae nous avait dégagé, mais elle n’arrête pas de nous en parler depuis…

— Tsss ! Je m’en serais bien passée pour ma part !

Grâce à ces plaisanteries, le reste de la soirée se déroula en discussions légères où nous n’évoquions pas notre départ pourtant imminent, puisque prévu le lendemain. Nous n’avions pas de planning précis, aucun impératif à tenir, en réalité, nous aurions pu rester là encore un an si nous l’avions souhaité, mais les séparations n’auraient été que plus difficiles.

Les voyageurs envahissent le quotidien des sédentaires. Parfois attirent-ils la colère et la haine mais souvent attirent-ils l’amour. Toutefois, la place même d’un voyageur reste temporaire. Plus le temps passe, plus les liens qu’il tisse sont forts et difficiles à rompre. Et de même, l’éloignement devient difficile.

C’est un piège commun : l’habitude et l’affection finissent par prendre le pas sur sa volonté de reprendre la route.

Par chance, nous étions quatre. Nous pouvions nous soutenir les unes les autres. Dans notre chambre nous décidâmes avant de nous coucher de partir le lendemain après-midi. Aucune n’en avait envie, d’autant que nous étions plongée dans un agréable confort (puisque nous n’étions plus domestiques, nous avions nos chambres d’amies), mais chacune prit sur elle pour soutenir la décision vacillante des autres.

Il avait deux autres raisons qui nous encourageaient à partir au plus vite.

La première était simplement que les prisonniers libérés commençaient à parler de nous. Les premiers jours, ils furent garder par les officiels pour les soigner et reprendre des forces, mais une partie était retournée auprès de leurs familles et les rumeurs commençaient à évoquer quatre aventurières mystérieuses qui avaient libérés les esclaves.

Bien sûr, aucun des anciens esclaves ne connaissait l’implication du marquis dans l’affaire, la faute retomba sur des malfrats sans lien avec l’affaire qui devaient de toute manière être pendus (Syrle m’en parla en privé).

La seconde raison était plus naturelle : l’approche de l’hiver. La température avait encore un peu chutée durant la semaine et puisque notre destination était en pleine montagne, si la neige tombait nous serions probablement incapables de nous y rendre avant l’arrivée du printemps et le dégel.

Sans même avoir besoin de prévenir Syrle, au petit-déjeuner, elle avait déjà compris.

Cette matinée-là était pesante et désagréable. Je faisais de mon mieux pour ne pas sembler triste. Les séparations étaient une de mes faiblesses. Même dans ma précédente vie, j’étais quelqu’un qui n’aimait pas le changement. Je mettais du temps à m’habituer mais, une fois l’effort accompli, je me prenais d’affection pour ma nouvelle situation.

De mon point de vue, nous avions sûrement déjà passé trop de temps chez Syrle, l’idée même de partir me déchirait le cœur. Tyesphaine paraissait se forcer tout autant que moi. Naeviah était plus habituée à ne pas exprimer ses sentiments, elle laissait moins paraître mais je ne doutais pas une seconde de sa tristesse.

C’est abattue que je m’imprégnais de chaque détail du manoir. Être séparée de tout cela me faisait souffrir d’avance. Je ne profitais pas vraiment de cette dernière matinée, je me promenais comme à la recherche de quelque chose qui m’échappait. Je pensais même un instant demander à Syrle de nous accompagner, mais l’idée me parut stupide : elle était liée à la guilde de la ville, on avait besoin d’elle ici.

L’heure fatidique arriva. Pendant le déjeuner, mis à part Mysty, personne ne parlait. Tyesphaine et moi avions un visage d’enterrement.

Syrle posa une bourse sur la table à la fin du repas.

— C’est pour vous.

— Hein ? Pourquoi ? s’interrogea Naeviah.

— Pour les quelques jours où vous avez travaillé ici. Et une petite récompense pour m’avoir aidée à démasquer cette pourriture de marquis.

— Tu nous as déjà payées !

— Naeviah a raison, nous avons reçu des laissez-passer à 70 pièces d’or, dis-je.

— Ne faites pas d’histoire, vous allez me fâcher. Vous croyez vraiment que ces vies que vous avez sauvées d’un sort pire que la mort valent seulement quelques malheureuses soixante-dix pièces d’or ? Puis, je n’ai rien payé, la ville vous les a offert pour service rendu.

— Je croyais que tu n’avais pas parlé de nous…

Naeviah plissa les yeux, mécontente.

— Je ne l’ai pas fait mais ils ont vite compris. Ne les croyez pas plus bêtes qu’ils ne le sont. Les prisonniers parlaient de quatre aventurières et j’ai fait la demande pour quatre laissez-passer pour des amies de passage. Le lien était vite fait.

— Les officiels ont donc nos noms ? demandai-je perplexe.

— En effet, mais inutile d’en faire tout un drame. Vous serez loin d’ici avant qu’il ne vienne l’idée à quiconque de vous mêler à la politique locale.

Je souris avec amertume en marmonnant :

— Ainsi, c’était donc décidé… Nous ne pouvions vraiment pas rester ici.

Syrle me sourit, elle m’avait sûrement entendue.

— Au fait, en guise de cadeau de départ, j’aimerais également vous offrir ceci.

Elle nous tendit un sac en toile bien rempli. Nous nous jetions des coups d’œil et vaincues par l’insistance de notre hôte l’acceptâmes.

— Pouvons-nous l’ouvrir ? demandai-je.

— Bien sûr.

À l’intérieur du sac se trouvaient des uniformes de maid, ceux que nous avions portés.

— Ils vous allaient si bien. Si un jour, je vous manque, portez-les et repensez au temps que nous avons passé ensemble.

— Ohh ! Trop chouette ! Merci, Syrle !!

Mysty fut la seule à avoir une réaction aussi enthousiaste, nous autres plissions les yeux et grimacions.

Les événements liés à ces uniformes étaient pour la majeure partie honteux…

— Merci…, dis-je hésitante.

J’étais sûre que nous ne les mettrions plus jamais mais impossible de refuser ce cadeau, aussi nous les glissâmes dans notre sac magique avec le reste de nos affaires.

Immédiatement après, nous nous levâmes et prîmes nos affaires qui traînaient dans un coin de la salle à manger. Il valait mieux ne pas traîner, autant profiter du peu de volonté que nous avions.

Syrle nous accompagna jusqu’au portail d’entrée en enfilant un châle sur les épaules. La journée était fraîche mais ensoleillée, il n’y avait pas un seul nuage à l’horizon.

Elle nous ouvrit la grille, nous nous retournâmes pour la saluer une dernière fois.

— N’hésitez pas à revenir me voir si vous passez dans le coin. Ma demeure vous sera toujours ouverte, inutile d’aller louer une chambre dans une auberge hors de prix. En fait, je le prendrais même mal si vous ne passez pas. Entendues ?

— Ouais ! J’ai hâte de repasser !

Mysty, la première, s’en alla l’enlacer amicalement pour la saluer. Mais cette fois…

— Oh ? Tu inverses les rôles, Mysty ? N’est-ce pas plutôt à moi de te tripoter les fesses ?

— Héhéhé !

— Ma foi, ce n’est pas si mal parfois. Hohoho !

Il n’y avait pas une once d’embarras sur son visage !! Elle était encore plus placide que moi à certains moments ! Une véritable maîtresse dans l’art de la perversion !!

Je fus la seconde. C’est avec la peur de me faire encore attrapée que je m’avançais vers elle. Mais, Syrle eut une réaction bien différente qu’avec Mysty.

Au lieu de sourire, elle retint ses larmes. Cette fois, elles étaient véritables. Même une courtisane comme elle s’était sincèrement prise d’affection pour nous ; c’était touchant.

Je pris la main qu’elle me tendit mais, à ce moment-là, je ne parvins plus à endiguer le flot de larmes. Finalement, je me jetai dans ses bras, faisant fi des menaces intentant ma pureté.

— Tu… Tu vas me manquer Syrle ! Ouin !

— Toi aussi, Fiali. Nous commencions à peine à nous connaître. J’espère te revoir un jour, nous échangerons nos secrets magiques.

Je ne répondis pas à cette remarque, au lieu de cela j’enfouis mon visage dans son imposante poitrine. Je ne pouvais répondre sincèrement à cette promesse, aussi je décidai de finir le plus vite possible mon grimoire pour lui l’offrir.

La suivante fut Naeviah. Même si Syrle pleurait de manière parfaitement mesurée, Naeviah resta de marbre. Au contraire, elle finit même par afficher une expression agacée.

— Ressaisis-toi, bon sang ! Ce ne sont pas des adieux mais juste des « au revoir » ! Tu rends les choses difficiles !

— Quelle fille sans pitié. Mais je sais que tu as le cœur gros, Naeviah.

Syrle l’enlaça, Naeviah grimaça un instant avant de détourner le regard et lui tapoter le dos.

— Ouais ouais… On se reverra. J’ai fini de lire ta bibliothèque de toute manière. Essaye d’avoir de nouveaux livres pour la prochaine fois au moins…

Naeviah s’éloigna et croisa les bras l’air de nous attendre.

Ce fut enfin le tour de Tyesphaine qui hésitait et ne savait pas comment faire. Elle était en larmes tout comme je l’étais.

— Ne te force pas, Tyesphaine. Tes sentiments me sont bel et bien arrivés.

— Mais je… je…

Notre paladine ouvrit les bras, puis remarqua les pointes de son armure —elles n’étaient pas pratiques pour ce genre d’épanchements sentimentaux—, elle finit par attraper la main de Syrle entre ses gantelets.

— Nous… nous penserons souvent à toi ! Et… nous t’écrirons !

— Quelle délicate intention ! J’attendrais de vos nouvelles avec impatience.

Sur ces mots, nous commençâmes à nous éloigner mais arrivées quelques centaines mètres plus loin, alors que nous étions encore en vue de Syrle qui n’était pas encore rentrée, je pensais soudainement à quelque chose.

— Attendez-moi, juste une minute.

Je revins en courant vers Syrle qui séchait ses larmes.

— Euh… Au fait, j’aimerais bien récupérer ma…

— Non.

— …culotte. Hein ? Mais c’est la mienne !

— Tu me l’as donnée, c’est devenue la mienne. Si tu veux la récupérer, tu peux me déshabiller et me la prendre, je la porte actuellement.

— QUOI ?! Mais… mais… tu es une perverse, Syrle !

— Hohoho ! Ce sera ma manière de penser à toi.

Je revins en pleurant vers mes amies mais pas pour les mêmes raisons qu’auparavant. Syrle continua de nous saluer de la main jusqu’à que ce que nous disparûmes de son champ de vue.

Chemin faisant, je réalisais qu’elle m’avait sûrement menti : elle ne pouvait pas entrer dans une culotte aussi petite. J’avais beau tenter d’être imaginative sur la manière, nos morphologies étaient incompatibles.

— Bah, une de perdue, dix de retrouvées, me dis-je en soupirant.

Lors de notre première pause quelques heures après avoir quitté le manoir, soudain…

— Ouiiiiiinnnn !! Elle… elle va me manquer… Ouinnnn !!

Naeviah éclata en larmes. Elle s’était retenue si longtemps qu’elle tomba à genoux et sanglotant comme une enfant. Nous nous observâmes toutes les trois, perplexes, mais finalement nous nous rapprochâmes d’elle et l’enlaçâmes ensembles.

La séparation avec Syrle avait été difficile, plus que je ne l’aurais pensé.

***

Quelques heures après avoir franchi la frontière, dans la ville de Liris.

Grâce aux laissez-passer nous avions pu « facilement » franchir les postes de surveillance qui formaient la séparation entre les deux pays. Il n’y avait pas de délimitation naturelle, mais des tours et des murs en bois à la place.

C’est le soir que nous arrivâmes en ville, fatiguées et encore tristes. La cité était plus distante que ce que nous pensions de Segorim, entre les deux nous n’étions tombées sur aucun village, simplement quelques bosquets, des routes, des auberges-relais à destination des voyageurs et des marchands. Il y avait également un certain nombre de casernes et de soldats.

Les deux pays étaient en froid, il était facile de s’en rendre compte ils avaient les yeux rivés l’un sur l’autre.

Dans l’auberge que nous avions loué, une des premières puisque nous étions trop fatiguées pour chercher la meilleure, je décidai de prendre un bain. Sûrement l’habitude du manoir, j’en avais envie même si ma magie aurait pu m’en dispenser.

— J’vous fais monter un tonneau avec de l’eau chaude, ma p’tite dame. Mais… c’est payé d’avance.

Je donnai les quelques pièces d’argent que me demandait l’aubergiste, un prix bien cher pour un simple bain mais si j’avais la chance d’avoir de l’eau propre et un tonneau sans moisissures, je ne m’en plaindrais pas.

En remontant dans la chambre que je partageais avec Tyesphaine cette nuit-là —nous avions pris l’habitude des chambres doubles pour des questions de sécurité—, elle était en train de sculpter du bois avec un petit couteau prévu à cet effet.

— J’ai commandé un bain… j’espère que ça ne te dérange pas que je me baigne ici ? Tu fais quoi au juste ?

— Hein ? Je… je sculpte… une figurine de Syrle…

— Oh ? J’ai trop hâte de voir le résultat ! Tu m’en feras une aussi ? J’ignorais que tu savais sculpté.

Ou l’avais-je oublié ? Je savais qu’elle avait des compétences en dessin, par contre. En soi, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’une paladine de la déesse des arts ait des compétences créatives.

— Merci… Fiali…, me dit-elle en elfique.

— Même si ce ne sont que deux mots, ta prononciation devient meilleure on dirait.

Elle me sourit avec gentillesse et se remit à sa tâche. Couchée sur le ventre sur mon lit, je l’observais faire sans mot dire tout en secouant les jambes derrière moi, lorsqu’on toqua à la porte.

On venait me monter le tonneau d’eau chaude. C’était deux serveuses bien en chair et avec bien plus de force que moi qui s’en occupaient.

— Profitez bien, mes petites dames. Prévenez-nous quand vous aurez fini.

— Merci…

Après avoir connu Syrle, j’ignorais s’il y avait un sous-entendu derrière ou non. J’inspectais le tonneau : il était propre, sans moisissure et l’eau était transparente. Il n’était rempli qu’à moitié et était un peu tiède pour quelqu’un habitué aux onsen mais ce ne serait pas un problème avec ma magie.

En commençant à me déshabiller, je réalisais quelque chose.

— Euh… Tyesphaine, ça paraît un peu soudain… et je ne voudrais pas te l’imposer mais… Voudrais-tu prendre un bain avec moi ?

Le tonneau était plus petit que celui qui avait traumatisé Naeviah, mais nous tiendrions à deux sans problème. Je rougis en détournant le regard avec honte.

Tyesphaine ne répondait pas. Forcément…

— Désolée d’avoir demandé. Tu es trop timide, tu ne veux pas qu’on te voit nue, je suppose. Puis, avec Naeviah qui me traite de perverse à chaque fois…

— Non, je… Je… je veux !

— Vraiment ?

Tyesphaine se redressa sur son lit et acquiesça frénétiquement.

— Je… j’ai toujours été un peu… jalouse… Je suis la seule qui…

Elle était la seule à ne pas avoir eu cette « chance », en effet.

— C’est juste que… je… je…

— N’en dis pas plus, j’ai compris. J’ai un quelque chose à te proposer…

L’eau était bonne. Après l’avoir réchauffée à la magie, bien sûr.

En face de moi, Tyesphaine semblait détendue, elle était accoudée aux rebords du tonneau. Je fis de même.

— C’était une bonne idée…

— Merci. Comme ça, même toi tu peux prendre un bain avec toi.

— Oui ! Mais… je doute que Mysty apprécierait…

— Il vaut mieux ne le faire qu’avec moi, en effet.

Je me grattais la joue en riant bêtement, Tyesphaine me le rendit.

Nous portions des serviettes enroulées autour de nos corps. Certains onsen le permettaient parfois et j’avais pensé, à juste titre, que cela permettrait de mettre Tyesphaine plus à l’aise. J’étais surprise que cela ait aussi bien fonctionné.

— Mysty te l’arracherait sûrement. Haha !

— Oui, c’est sûr… Elle… est différente de moi…

— Ne te juge pas par rapport à elle, Tyesphaine. Vous avez toutes les deux vos charmes.

— Vraiment ?

— Oui, oui ! Aie plus confiance en toi, tu es une personne magnifique !

Tyesphaine rougit et mit ses mains sur ses joues.

— Toi aussi… Fiali…

Je goûtais à ma propre médecine. C’était gênant de recevoir des compliments, surtout presque nues dans un bain. Je me grattais la joue en détournant le regard.

Quelques instants plus tard, je me hasardai à faire face à Tyesphaine.

Il y eut un petit moment de silence pesant, puis nous nous mîmes à rire en même temps. Cette réaction eut pour effet de nous libérer de notre tension :

— Tu te souviens quand j’ai trouvé ce vers de terre sous le lit de Naeviah dans le manoir.

— Ah oui !

— C’était trop drôle, je ne pensais pas que…

Nous continuâmes à parler de la sorte pendant pas mal de temps, oubliant même que nous étions dans un tonneau. L’évocation des récents souvenirs et nos rires apaisèrent nos cœurs et cette nuit-là nous dormîmes à poing fermés.

Sans aucun doute, ce fut le tonneau le plus paisible que j’avais connu depuis ma réincarnation.

A SUIVRE DANS L’ARC 5