Isekai Dakimakura – Arc 4 – Prologue

Après les événements de Moroa, nous avions repris la route vers le sud-ouest en direction de Segorim, la « Dernière cité » comme elle était surnommée par les Hotzwaldiens, puisqu’elle était bâtie à la frontière.

D’après les informations que les sœurs de Nyana nous avaient données, les relations diplomatiques entre les deux royaumes étaient plutôt cordiales, tout au plus. Des guerres avaient eu lieu par le passé, mais même si elles avaient cessées, les deux pays n’étaient pas pour autant dans la meilleure entente.

En réalité, mis à part les aventuriers et les marchands, personne n’était habilité à traverser la frontière sans motif spécifique. De fait, il nous faudrait nous acquitter d’un laisser-passer dont les formalités d’acquisition étaient inconnues de la Grande Prêtresse.

Même dans ce monde les lois et la bureaucratie existaient. J’avais eu de la chance jusque-là, je n’avais rencontré aucun problème du genre avec les autorités mais sûrement était-ce parce que je sortais de la Grande Forêt.

En effet, je présumais que le royaume protégeait ses frontières contre ses voisins humains, notamment Inalion et Sabberion, mais la Grande Forêt n’était pas réellement considérée comme un belligérant dont il fallait se méfier.

C’était un peu étonnant considérant le fait qu’il y avait eu de longues guerres entre les humains et les fées…

Quoi qu’il en fût, suite à cette petite introduction, je me réveillai.

Nous étions dans la forêt.

Depuis que j’étais sortie de ma contrée d’origine, j’avais quand même l’impression d’avoir passé le plus clair de mon temps dans la nature, ce que je déplorais malgré tout. J’avais quitté mon milieu forestier pour finalement trouver un environnement similaire chez les humains.

Ferditoris me paraissait parfois un bien lointain souvenir.

Pourquoi n’y avait-il pas plus de villes dans ce royaume ?

Je n’en pouvais plus de voir des arbres encore et encore et encore…

Sur ces considérations amères, je me redressai dans mon sac de couchage, car nous en étions à présent bien équipées pour le campement grâce au sac magique récupéré au cours de notre dernière aventure.

Je me rendis immédiatement compte être seule.

Un épais brouillard était tombé dans la forêt, je ressentais l’humidité sur mon visage et dans mes vêtements. C’était sûrement ce qui m’avait réveillé, d’ailleurs.

— Tiens ? Il n’y a personne ?

Je regardai autour de moi : le campement était encore en place, les sacs de couchage également et même mon abri magique était actif et pourtant, il n’y avait personne d’autre que moi.

Je me grattai la tête, surprise, mais mon cerveau semblait incapable de se mettre en activité après avoir été perturbé dans son repos. Un besoin urgent se faisait ressentir et accéléra mon réveil.

— S’il n’y a personne…

Je désactivai ma barrière magique et m’empressai d’aller soulager ma vessie derrière un arbre avant de revenir. Mes cheveux étaient en désordre, je ne les avais pas encore attachés pour en faire des adorables… que dis-je, divines couettes.

Je bâillai et fit un effort pour réfléchir à ma situation des plus curieuses.

Mes amies avaient-elles été enlevées pendant notre sommeil ?

Cela me parut fort improbable, l’abri avait été toujours bel et bien en place à mon réveil. Si quelqu’un l’avait détruit par la force brute, je l’aurais ressenti de surcroît. De même, l’alarme magique que je plaçais toujours au pied de mon lit était intacte.

Il y avait certes la possibilité que quelqu’un ait utilisé un moyen de déplacement instantanée, comme une téléportation, mais mon mentor ne m’avait jamais mentionné que ce type de magie existait. J’imaginais que certaines branches de magie interdites, dont celle des démonistes que nous avions récemment vues (subies) en étaient capables, cependant.

— Un démon en aurait après nous ?

Vu que nous avions démantelé le plan de la succube, ce n’était pas impossible. Toutefois, rien n’indiquait qu’elle avait des complices.

Je me mis à inspecter la couche la plus proche, celle de Tyesphaine.

Soudain, un contact sur mon visage. Quelqu’un dans mon dos.

Je sursautai immédiatement.

— Qui est-ce ?

Quelqu’un me couvrait les yeux et je ne manquai pas d’en deviner l’identité.

— Tyesphaine ?

— Tout juste ! Tu as donc gagné une petite récompense.

Sur ces mots, Tyesphaine retira ses mains et en effectuant un pas de danse passa de mon dos à ma face. Ce faisant, elle tourna sur elle-même et fit virevolter ses longs cheveux.

Ses cheveux…

Ses couettes, je devrais dire.

Elle avait noué ses cheveux en couettes ! Les twintail que j’aimais tant !!

Mon cœur bondit dans ma poitrine. Mes inquiétudes et mes mauvaises pensées furent chassées comme par magie.

— Alors ? Cela te plaît comme récompense ?

Rougissant, j’acquiesçai frénétiquement en levant mes pouces et en soufflant brusquement par le nez.

— Haha ! Ta réaction est si amusante. J’ai bien fait de me lever tôt pour te faire ce cadeau.

— Mer… ci…

Je commençais à me dire que les autres étaient cachées dans les alentours et concoctaient une surprise similaire.

En quel honneur ? Je n’en avais aucune idée, il n’y avait pas d’événement particulier à fêter.

Mais, en soi, était-ce réellement si important ?

Je veux dire, c’était des twintails !! Pourquoi faudrait-il un prétexte pour se parer du plus beau des atours, de la perfection incarnée sous la forme d’une chevelure ?

Tyesphaine ouvrit ses bras et les passa autour de moi. Je me sentis fondre.

Peut-être parce que je venais de me réveiller, je n’avais aucune force pour lui résister. À travers sa tunique très simple, je ressentais son contact doux et chaleureux. L’odeur de ses cheveux roses soyeux emplissait mes narines et m’enivrait tel un doux vin.

L’espace d’un instant, j’oubliais l’univers qui m’entourait.

Puis, écartant son visage, elle déposa sur mon front un baiser délicat.

— Je suis contente de t’avoir rencontrée, Fiali.

— Euh… moi… aussi…

Elle était étonnamment entreprenante, mais je n’avais pas envie de lui en demander la raison. Cette fois seulement, je voulais fermer les yeux et laisser les événements m’emporter.

Mais soudain, je les rouvris lorsque je me rendis compte que mon amie me soulevait.

— Hein ? Qu’est-ce que… ?

— Il est temps d’y passer, Fiali.

— Hein ?

— Tonneau !!!!

Sans que je saisisse sa provenance, je vis un tonneau à proximité. Il était rempli d’eau glaciale, littéralement ! Des glaçons y flottaient d’ailleurs.

— Je vais prouver que tu es une fée aujourd’hui. Les fées flottent dans l’eau gelée !

— Hein ? C’est quoi cette logique bizarre ?! Tout le monde flotte, tu sais ?

Cela me rappelait un peu les preuves de condamnation des sorcières à la Renaissance, lors de l’obscure période de la chasse aux sorcières. Si j’avais bon souvenir, elles étaient censées flotter dans l’eau bouillante… ou coulaient… je n’étais plus sûre. De toute manière, cela avait été un procédé aussi horrible que stupide qui démontrait une fois de plus l’absurde cruauté des inquisiteurs.

— Je sais que tu es une fée et je le prouverais !

Tyesphaine me levait au-dessus de sa tête comme si j’étais un trophée ou une bûche de bois. J’étais légère, certes, mais être portée aussi facilement c’en était presque insultant.

— Non !! Elle paraît trop froide cette eau, je vais faire de l’hypothé…

Je n’eus pas le temps de finir que je me retrouvais dans cette eau glaciale.

— Kyaaaaaaaaaa !!!

Un peu comme un chat plongé dans une baignoire, je bondis d’un coup. Mais deux mains me saisirent et me replongèrent dans le tonneau.

— Ma petite fée adorée !!

Tyesphaine, nue, posa ses mains sur mes épaules, nues également, et me fixa avec des yeux emplis de folie. Cette fois, j’étais sûre de l’avoir complètement perdue, sa passion des fées s’était transformée en démence.

Dans ses pupilles je vis comment un gouffre sans fond, tandis qu’elle affichait un sourire malsain.

— Euh… d’accord, je suis une fée. Mais… tu comptes me faire du mal ?

À cet instant, j’avais un doute quant à l’efficacité de mon aura dakimakura. Si dans ses folles pensées, elle envisageait le fait que tout cela n’avait rien de mal, elle pouvait la contourner… je supposais.

— Qui a parlé de te faire du mal ? Nous allons créer un tas de petites fées ensemble. Je ne te laisserais pas partir avant d’en avoir eu une douzaine.

— Hein ? Mais… je suis une fille… Je ne peux…

— Tu vas découvrir ma magie. Hihihi !

Si je n’avais pas déjà été plongée dans l’eau gelée, j’aurais sûrement eu des frissons dans le dos.

Tyesphaine se jeta sur moi sans vergogne, et…

Je me réveillai avant de pouvoir conter la suite.

J’étais au campement. Dans la forêt. Le brouillard était là à mon réveil me rappelant cet étrange rêve.

J’avais froid.

L’espace d’un instant, j’eus peur : tout ce que j’avais rêvé n’était-ce pas la réalité ?

Je me touchai instinctivement le ventre et cherchait mes amies du regard autour de moi.

Elles étaient là. Elles dormaient.

— Ouf !! m’exclamai-je avant de soupirer. C’était un rêve…

Bien sûr, cette Tyesphaine ne pouvait être qu’un rêve. Le tonneau avec l’eau gelée devait exprimer le fait que j’avais froid malgré mon sac de couchage et le feu féerique allumé.

Je fixais Tyesphaine en train de dormir un instant.

— Je suppose que la cause doit aussi se trouver dans ce qui s’est passé à Moroa, pensais-je en tournant mon regard vers le feu.

Je n’avais pas considéré qu’il ferait aussi froid en forêt. J’avais supposé que c’était au monastère seulement que le froid était si intense en raison de son altitude, mais manifestement le climat s’était rafraîchi depuis notre départ de Ferditoris. C’était sûrement les signes annonciateurs de l’approche de l’hiver.

J’avais beau être une elfe, la nature me restait bien hermétique…

— N’empêche, il fait vraiment froid ! Les autres, comment elles font ?

Naeviah et Tyesphaine étaient enroulées dans leurs sacs de couchage et dormaient comme des bienheureuses. Par contre, Mysty s’agitait.

— Je devais augmenter la température du feu.

Je tendis la main dans sa direction et me ravisais.

— Si j’augmente la température, je risque de réveiller Naeviah et Tyesphaine.

En effet, une soudaine augmentation pouvait leur donner des bouffées de chaleur. Mais le problème était que la moitié du groupe avait chaud et l’autre froid.

— Que faire ?

Je fixai mon regard sur Mysty un instant, puis je levai un sourcil.

J’avais une idée.

Si nous dormions collées l’une à l’autre comme d’habitude, nous réglerions le problème en faisant d’une pierre deux coups.

Un problème subsistait néanmoins. Si je me glissais dans la couche de Mysty, au matin ce serait un nouveau drame. Il fallait que ce soit elle qui vienne dans le mien, c’était indispensable.

Mais comment faire pour arriver à ce résultat sans la réveiller et le lui demander directement ?

L’appâter avec de la nourriture ?

Je doutais que cela fonctionnerait…

— C’est étonnant qu’elle ne soit pas déjà venue d’elle-même…, pensai-je.

Un courant d’air me fit frisonner, je décidai qu’il n’était plus question de penser mais d’agir.

Je me concentrais et utilisais mon pouvoir de « Domestique ». Un petit lutin apparut et mentalement je lui ordonnai de lever les couvertures de Mysty.

J’eus un peu pitié d’elle. Comme je le pensais, elle était nue dans son sac de couchage. Le froid n’était pas assez rude pour qu’elle gardât son pyjama.

Rapidement, elle frissonna, s’agita et se leva.

— Voilà, c’est le moment. Mon plan va marcher !!

Mentalement, je l’invitais à me rejoindre et heureusement c’est ce qu’elle fit. Il y avait une chance sur trois qu’elle me choisisse, mais j’avais l’aura dakimakura de mon côté.

— Chaud !!

Une fois le sac de couchage refermé sur nous et le froid de l’arrivée de Mysty dissipé, j’eus chaud. Même un peu trop. Elle s’était enroulée autour de moi encore plus fort que d’habitude. Ses jambes et ses bras me privaient de toute capacité de retraite, mais au moins je n’avais plus froid.

C’est au rythme de sa respiration que je me rendormis, la tête dans sa poitrine…

***

— Bonjour~ !

Mysty me salua au réveil. Elle était tout sourire et continuait de me garder coller contre elle. J’étais sûre de ce qui allait suivre…

— Tssss ! Vous allez sortir de votre sac de couchage toutes les deux !! Vous m’agacez à tout le temps roucouler comme ça !! Si vous sortez pas, je vais vous ébouillanter !

Mysty me lâcha et se leva en étirant les bras. De mon point de vue au sol, avec une vue en contre-plongée, j’avais l’impression que ses seins étaient deux monts Everest.

Aussitôt, Mysty se rendit compte qu’il faisait un peu trop frais, ce n’était certainement pas un climat pour rester nue au réveil.

— Brrrrr ! Il caille ce matin !!

— D’où le double intérêt de t’ébouillanter, espèce d’exhibitionniste !

— Mais euh ! On en a déjà parlé, c’est pas de ma faute ! J’aime pas les pyjamas !

— Ouais ouais, et tu ne supportes pas les sous-vêtements et tout ça… OUAIS !!

Naeviah semblait de mauvaise humeur… quoi qu’elle était un peu toujours comme ça, à vrai dire.

— Bonjour, toutes les deux…, dis-je en ramenant la couverture jusqu’à mon menton.

Mysty avait laissé l’air froid entrer dans le sac de couchage, j’avais eu des frissons.

— Bonjour, Fiali…

Une petite voix à ma droite attira mon attention, il s’agissait de Tyesphaine qui me saluait et m’imitait en laissant juste sa tête dépasser.

— Pas de bonjour qui tienne !! Restez dans vos lits respectifs !

— Ouais ouais…, J’vois pas pourquoi tu t’emballes chaque matin. Tu d’vrais essayer : Fiali tient vraiment chaud. C’est le meilleur chauffage que j’connaisse ! Hahaha !

Je souris en grimaçant légèrement. Dakimakura, chauffage… j’allais devenir quoi en plus ? Un grille-pain ?

— Tssss ! Tu crois que j’aurais envie de chopper sa perversitude en me collant à elle ? Toi t’es déjà perverse, tu crains plus rien.

Naeviah croisait les bras et me dénigrait. J’avais l’habitude, je lui répondis par un sourire.

— Bah si tu le choppes, t’auras plus à craindre Fiali, non ? En plus, je vois pas comment tu peux dire ça à chaque fois, regarde sa petite bouille adorable !

On aurait dit qu’elle essayait de me vendre, rien d’étonnant de la part d’une fille de marchand je supposais.

— Adorable ? J’y vois un démon tentateur qui cache derrière son sourire ses intentions tonneaunesques !

— Un nouveau mot ?

Naeviah était en forme finalement, elle improvisait des néologismes ce matin-là.

— Tsss ! Un problème avec ça ?

— Non, c’était juste que… C’est un peu ridicule comme mot, non ? Hahaha !

— Je veux pas l’entendre venant de toi !!

Mysty commença à s’habiller. Une fois de plus, elle m’intriguait vraiment.

Malgré le froid, au lieu de commencer par couvrir la partie la plus exposée, c’était-à-dire le torse, elle commença par enfiler ses chaussettes et son pantalon.

— Perso, j’ai trouvé que le tonneau c’était cool.

— Je n’en dirais pas autant…, marmonnai-je en me remémorant un traumatisme.

— Faut que tu testes aussi, Tyes ! Comme ça on y sera toutes passées ! Héhé !

— Passées ? Répétai-je, toujours à basse voix. Je… Ne disons rien, va.

Tyesphaine, à la manière des tortues, entra sa tête dans le sac de couchage en guise de réponse. C’était une réaction attendue. La vraie Tyesphaine, pas celle de mes rêves étranges, était une fille timide.

— Je préfère oublier ce tonneau, dit Naeviah en frémissant et en se tenant les épaules.

Je préférais ne pas commenter cette fois, je me répétais trop à ce sujet.

— Et sinon, tu préparais quoi sur le feu ? demandais-je à la place à Naeviah.

Elle se tourna vers le feu où une casserole était installée.

— Juste du thé.

— Tu sais infusé du thé ?

— Bien sûr, tu me prends pour qui ? Mysty sait cuisiner, mais ne sous-estime pas mon thé ! J’ai de l’expérience, au temple on nous en faisait préparer tout le temps.

— Ah bon ? Bah, vu le froid, je serais preneuse.

Naeviah afficha un sourire victorieux et confiant. Nul doute que mon enthousiasme lui faisait plaisir, mais je me doutais qu’elle l’avouerait.

Au fond de moi résidait une âme japonaise, même dans un corps d’elfe le thé était toujours quelque chose d’agréable pour moi.

Alors que je voulus sortir de ma couche, le froid m’en dissuada. Je tournai ma tête vers Mysty qui était encore à moitié nue avec une certaine pitié. Même si elle était née dans un endroit chaud, elle semblait tenir le froid mieux que moi…

— Ah là ! Tu m’as bavé dessus, Fiali. Regarde ! Haha !

Elle montra le haut de sa poitrine avant de prendre un tissu et d’essuyer. Bien sûr, le regard de Naeviah était encore plus glacial que le froid environnant.

— Bavé… ? On se demande quel genre de rêve tu faisais… perverse !!

— J’en sais rien, je m’en souviens pas ! Eh oh ! Éloigne-toi de cette casserole ! Ou plutôt, ne la rapproche pas de moi !!

Naeviah, furieuse, s’en était allée prendre la casserole bouillante sur le feu pour appliquer ses menaces.

— On dirait vraiment deux bonnes femmes mariées ! Hahaha ! se moqua l’instigatrice de tout ce chaos.

— Mariées, tu dis ? Héhé héhé héhé héhé !

Naeviah avait un visage à faire peur, son rire était encore pire et ses sourcils bougeaient nerveusement.

— Je ne suis pas sûre qu’on puisse se marier entre filles, fis-je remarquer.

Cet argument me semblait le meilleur à cet instant, mais probablement il ne l’était pas.

— F.I.A.L.I. !! grogna Naeviah tandis que je reculais instinctivement.

— Ah ouais, c’est vrai ! dit Mysty en frappant son poing sur sa paume. Chez nous, dans le désert, ça arrive parfois. Tout le monde s’en fiche de toute manière du sexe, tant que tout le monde est content, ça passe.

Naeviah soupira et reprit son calme avant de poser la casserole sur le feu, ce qui me rassura grandement. À vrai dire, j’étais assurée qu’elle n’irait pas jusqu’à me faire du mal puisque j’avais mon aura dakimakura, mais je n’étais pas à l’abri d’un accident ménager engendré par un moment de colère.

— Vous autres nomades êtes des gens bizarres ! dit Naeviah le visage rouge et les yeux humides. Se marier… marier… avec elle ? En plus, Fiali n’est même pas humaine !!

J’avais l’impression que la discussion parfait du principe que j’avais fait ma proposition à Naeviah, ce qui me dérangeait quelque peu.

En fait, en y pensant, c’était pire que cela : c’était Mysty qui venait de me vendre pour un mariage ?! Eh oh ! Je suis contre ces pratiques !!

— Et alors ? Ça change quoi ? Moi j’veux bien me marier avec elle et avec vous toutes en vrai.

Le visage de Mysty était si sérieux qu’il m’embarrassa également. J’étais persuadée qu’elle le pensait vraiment. Naeviah devint encore plus rouge.

— Tu… tu… tu ne m’approches plus, espèce de dévergondée !! Et couvre-toi !! Tout ça c’est à cause de toi de toute manière !!

Je décidais de sortir de mon sac de couchage furtivement, l’attention ne semblait plus sur moi.

Cependant, c’était loin d’être facile, la chaleur et la douceur de ma couche était si puissante !

Finalement dehors, je m’assis en tailleur et utilisait mon pouvoir de « Toilettage », le sortilège commença à brosser mes cheveux tandis que je bâillais.

— En y pensant, je pense bien que c’était à cause de moi, dit Mysty en se grattant l’arrière de la tête. J’avais si froid que j’suis entrée sans m’en rendre compte chez Fiali et du coup elle m’a bavé dessus.

— Tu me serrais assez fort, j’avais sûrement du mal à respirer. Mais, si je dois être honnête, j’avais froid aussi, ça m’a rendu service.

Je n’allais pas laisser Mysty prendre toute la faute alors que je l’avais largement incitée à me rejoindre.

Cela dit, il était fort probable qu’elle serait venue dans mon sac de couchage même sans mon petit coup de pouce, elle avait ses crises de somnambulisme plus ou moins une nuit sur deux en voyage et une nuit sur trois en zone civilisée. C’était un rapide constat basé sur les quelques semaines depuis que j’avais fais sa connaissance.

Je supposais qu’il y avait une part inconsciente à ses actions nocturnes, mais je me voyais mal leur parler en termes de psychologie de mon précédent monde…

— Tu es peut-être maudite ou possédée, dit Naeviah sérieusement. Les gens qui se déplacent dans leur sommeil sont souvent possédés par un démon.

Dans mon ancienne vie, j’aurais pensé : « Eh voilà le discours de superstitieux religieux ! ». Mais, dans ce monde-ci, les démons existaient réellement on ne pouvait pas parler de superstition.

Même si je croyais pas un seul instant Mysty maudite ou possédée, disons que la probabilité n’était tout de même pas de zéro.

— Maudite ? dit la petite voix de Tyesphaine.

Discrètement, sans que nous nous en soyons rendues compte, avec un art dont elle avait seul le secret, elle était sortie de son sac de couchage et s’était assise sur une bûche que nous utilisions comme chaise. Elle s’était même servi une tasse de thé l’air de rien.

— Ouais, ça arrive, dit Naeviah en lui jetant un coup d’œil surpris. Forcément, toi ça te fait réagir.

— Euh… oui…

— T’en prends pas à Tyesphaine, son armure est réellement maudite.

— Toujours à prendre sa défense, elfe perverse !

— Et toi toujours à nous crier dessus, prêtresse.

— C’est normal, vous faites des tas de choses stupides. Enfin bon… Quoi qu’il en soit, il faudrait analyser Mysty un de ces jours, on ne sait jamais avec les malédictions et les démons.

— Si c’est l’une de vous, j’veux bien être inspectée en détail… et même en profondeur. Haha !

Mysty !! Quelles horribles choses dis-tu donc ? Et avec quelle désinvolture surtout !

Naeviah manqua de s’étouffer et moi de lui cracher le thé à la figure. Nous fîmes un réel effort pour ignorer les propos de Mysty… enfin, plus ou moins.

— Il faudra vous acheter des ceintures de chasteté à toutes les deux. J’ai peur qu’à force vous nous pondiez un mioche.

Par contre, Tyesphaine cracha réellement son thé et manqua de s’étouffer. C’était une réaction attendue.

J’avais eu beau expliquer à Naeviah que non, je ne pouvais pas faire ce genre de choses, même par magie, elle revenait là-dessus à chaque fois.

— Puisque je te dis que je ne peux pas le faire.

— Avec la magie tout est possible, tu l’as déjà dit un tas de fois.

C’était vrai, je l’avais dit et techniquement c’était vrai, même si certaines choses tombaient dans le domaine de la magie interdite.

— Ouais, mais je peux pas lancer involontairement un sort aussi complexe. Tu penses bien que créer des formes de vie comme des homoncules ou des chimères c’est pas en claquant des doigts qu’on y arrive : ça demande des années d’études. Puis, des ceintures de chasteté ? Tu es consciente de leur réelle utilité ?

Les trois m’observèrent avec surprise. Jusqu’à ce matin-là je n’étais pas sûre que ce genre d’objets existât réellement dans ce monde-ci.

D’ailleurs, dans mon précédent monde, après quelques recherches, j’avais découvert que comme nombre de choses alléguées au Moyen-Âge n’était que des mythes créés tardivement (souvent au 19e siècle). Les vierges de fer, les ceintures de chasteté et d’autres curiosités morbides associées aux mœurs brutales moyenâgeuses étaient en réalité des créations modernes.

Puisque Naeviah en parlait, je déduisis donc que dans ce monde-ci, les ceintures de chasteté existaient réellement.

— Explique, Fiali. J’avoue que j’connais pas du tout ce dont vous causez toutes les deux.

Mysty ne connaissait donc pas mais avait sûrement compris que c’était lié au sexe, d’où son ton et son visage grave.

Sa remarque me laissa imaginer que ce n’était sûrement pas un objet d’usage courant. Je tournai ma tête vers Tyesphaine qui détourna le regard et baissa la tête.

Elle connaissait ! Sa réaction l’attestait !

— Eh bien… comment expliquer ça… ? Tu ne veux pas t’y coller, Naeviah ? C’est toi qui en a parlé, après tout.

— Quoi ?! C’est un truc de pervers, c’est à toi d’en parler !

— C’est pas plutôt pour éviter de faire des choses perverses, au contraire ?

Je plissais les yeux en prenant un air moqueur.

J’étais au courant qu’il y avait des utilisations de ces ceintures dans les milieux fétichistes même si j’avoue ne pas vraiment les comprendre. Mon précédent monde était très avancé sur ce genre de choses, il fallait le reconnaître.

La réserve de Naeviah semblait admettre que l’utilisation de ces appareils n’était pas si différente de celles de mon ancien monde, aussi voyant Mysty piquée de curiosité et sachant que je ne me débinerais pas facilement, j’improvisais donc une explication.

Il s’agissait d’une légende que j’aurais prétendument entendue dans le monde des humains (je ne voulais pas associer ce genre d’objet aux elfes) et où un noble avait enfermé sa dame dans une tour pour la protéger de toute concupiscence pendant qu’il partait à la guerre. Cela n’avait pas dissuader les tentatives d’un chevalier, son vassal, qui avait infiltré la tour dans un récit comique, déjouant divers pièges, pour finalement se retrouver face à cet ultime obstacle auquel il ne s’était pas attendu.

— On dirait une histoire que j’ai déjà entendue aussi, dit Naeviah. Mais, désolée de vous l’apprendre, ce genre de ceintures sont réellement utilisées, ce ne sont pas des légendes.

Tyesphaine acquiesça avec vigueur.

Je supposais que parmi les nobles, puisqu’ils avaient un réel intérêt économique dans les mariages arrangés, c’était une pratique plus courant qu’on ne le disait. Une fois de plus, Naeviah venait d’admettre à demi-mot appartenir à l’aristocratie.

— C’est un croque-mitaine des nobles, reprit-elle. On en parle aux petites filles en guise de menace pour qu’elles protègent d’elles-mêmes leur vertu.

— Moi j’pige pas trop le principe. Enfin si, j’pige la partie pour se protéger des mecs, mais… tu pisses comment avec ce machin ?

— Tu le fais dedans, expliquai-je à Mysty sachant que Naeviah n’en parlerait pas. Il y a des trous pour évacuer les liquides mais bon… c’est clairement un engin lourd, encombrant et sale.

— Ah ouais… Moi qui supporte déjà pas les pyjamas… Mais du coup, ça veut dire qu’on peut pas se laver ?

— En réalité, il est difficile d’empêcher la main d’y entrer, c’est surtout pour éviter… les hommes de… enfin tu vois.

Même moi, je ne pouvais pas finir l’explication, je pris une tasse de thé et m’arrêtai sur le sujet. Mysty resta songeuse, elle avait l’air de penser intensément à tout cela.

Naeviah et Tyesphaine étaient foncièrement dégoûtée. Je supposais qu’elles avaient grandi avec la menace de cet outil de torture.

— Bah, y des gens qui sont quand même bien chelous, dit Mysty en prenant également une tasse de thé. Ils me font rire avec leur principe de fidélité et tout ça. Faut rester fidèle à soi-même et agir comme on aime, que j’pense ! En plus, pourquoi on pourrait pas aimer plusieurs personnes à la fois, c’est ridicule ?

Mysty attaquait un sujet épineux de bon matin : la légitimité de la monogamie.

C’est avec un sourire en coin que je me délectais de ses paroles. Ma devise, dans mon ancienne vie, était que les mots en « mono » étaient presque toujours négatifs.

— Je comprends, dis-je au risque de me faire traiter de perverse. La monogamie, c’est encourager le concept de possession d’un être vivant, j’ai dû mal avec cela aussi.

— N’est-ce pas〜 ! On est pareilles, Fiali ! Les gens se prennent trop la tête avec ça. Y a même des nobles qui se battent pour des questions du genre. Des guerres qui ont commencé à cause d’histoires de fesses, sérieux ! C’est tellement pitoyable. En plus, y a déjà des monstres pour nous malmener, y a pas besoin de faire des guerres pour des trucs tout pourris, non ? Tout le monde devrait aimer qui il veut, que j’dis ! Moi j’vous aime toutes les trois !

Sur ces mots, elle vint m’enlacer par derrière et posa sa poitrine sur ma tête ; j’étais assise. Cependant, cette fois je ne la sentais pas peser sur moi puisqu’elle portait son armure. Mais le geste était quand même chaleureux.

Naeviah encore plus que Tyesphaine ne semblait pas convaincue.

— Mysty, je comprends encore, elle vient des nomades du désert. Il paraît qu’ils sont pas vraiment fidèles et que leurs clans n’ont pas de concept de mariage…

— Héhé !

Mysty parut fière, elle fit un signe de victoire en direction de Naeviah.

— … mais toi, espèce d’elfe dépravée ! Tu cautionnes réellement ce genre de mentalité ? Les elfes sont aussi de ce genre-là ?

Les elfes, je n’en savais rien. J’avais connu que mon mentor.

— Dans la Grande Forêt, les fées… sont souvent polygames… c’est la norme…, expliqua Tyesphaine.

Je crus comprendre le sous-entendu derrière ses mots : « Et donc Fiali, qui est une elfe et soutient la polygamie est donc une fée aussi ».

— Je ne suis pas…

Polygame ? Une fée ?

Ces deux propositions auraient pu compléter ma phrase, mais je n’eus pas envie de débattre plus longtemps. Tant pis, je passerais pour une fée lubrique polygame et tout ce qu’elles voudraient.

— Cool ! J’ai vachement envie de voir les fées ! dit Mysty en se redressant et en levant les bras.

Le regard de Tyesphaine était insistant, elle ne me lâchait plus. Elle ne semblait pas fâchée, non, ce que je crus lire dans ses yeux étaient une expression que je ne lui avais encore jamais vue : la victoire. C’était comme si elle venait de me moucher et de me prouver que j’étais ce qu’elle disait : une fée.

Des bribes de mon rêve me revinrent. Instinctivement, je cherchais un tonneau dans le coin. Heureusement, il n’y en avait pas.

Malgré sa timidité, Tyesphaine me prouvait une fois de plus être vraiment têtue. Je supposais que personne n’avait une personnalité monolithique et encore moins une noble.

— Pfiou ! soupirai-je en baissant les yeux.

La journée commençait à peine…

***

Le matin de notre départ de Moroa, chemin faisant, avant d’entrer dans cette interminable forêt où nous nous trouvions depuis lors, nous discutions :

— Le livre elfique parle d’hydrographie, expliquai-je.

— Hydro-quoi ?

— C’est un domaine d’étude des cours d’eau. Il s’agit aussi bien des rivières que des océans ou des marécages.

Naeviah m’observa peu convaincue.

— Et du coup ? Où allons-nous ? Nous avons acceptée de te suivre en te faisant confiance mais tu pourrais t’expliquer quand même.

— J’allais le faire avant que tu ne m’interrompes.

— Tu veux dire que c’est de ma faute ? Ça fait des jours qu’on attend !

— Du calme, les filles, dit Tyesphaine en s’interposant. Nous… nous nous sommes bien amusées, c’est pas grave d’attendre un peu.

En effet, nous avions passé un agréable séjour à Moroa, du moins après avoir vaincu la succube, bien sûr. Il n’y avait pas lieu de s’en plaindre.

— Donc, comme j’expliquais…, dis-je en reprenant la parole, une main sur la poitrine et regardant en coin Naeviah, ce traité en lui-même n’est pas super intéressant… Enfin, si, il l’est sûrement pour des personnes qui ont un intérêt là-dedans, mais pas nous. Il parle de tout plein de choses techniques que j’ai pas forcément bien compris : de comment faire des systèmes de levier en déroutant les rivières souterraines, de comment acheminer l’eau dans les maisons, etc.

— Viens en au fait, tu commences à m’énerver, elfe lubrique.

— Tu manquerais pas de patience pour une prêtresse ?

— Tu as dit quelque chose, elfe délurée ?

— Non, c’est bon…

Quelle susceptibilité ! Enfin, c’était Naeviah, rien d’étonnant à tout cela.

— Bref, je vais pas vous parler plus en détail de tout cela, mais il s’avère que mes ancêtres savaient utiliser l’eau pour tout un tas de choses.

Et encore ce n’était rien comparé à ce que faisaient les humains de mon précédent monde.

— Ce traité devait servir pour la cité elfe de Kaermaer.

— Il y a donc sa localisation ? demanda Tyesphaine.

— Tout juste. J’ai cherché sur les cartes du temple…

— Tssss !

Naeviah fit claquer sa langue à la simple évocation du mot carte, c’en était devenu une réelle aversion.

— … et j’ai pu trouver l’emplacement actuel supposé de la cité de Kaermaer, continuai-je.

— Supposé ? Même avec tes machins tu sais même pas avec certitude ?

— Tu penses bien que si c’était fléché, tout le monde saurait où elle se trouve. Nous parlons d’une cité oubliée, quand même.

Naeviah leva les épaules et reprit la parole :

— Admettons. Et donc, elle se trouve où ?

— Dans les Monts du Crépuscule. Précisément, je ne saurais pas trop dire. Puis, les indications du traité évoquaient des repères en pleine nature et vous connaissez mes lacunes sur ce propos.

— D’autant que la nature a sûrement changée depuis le temps.

Étonnamment, Naeviah ne m’avait pas reproché mon incompétence.

— OK, il semblerait que tu saches où aller, continua-t-elle. Ça me rassure un peu.

— Je croyais que partir à l’aventure au hasard ne te dérangeait pas.

— C’est pas la question !

— Du coup, il faut aller à Oclumos ? demanda Tyesphaine timidement.

— Ou à Breniran, répondit Naeviah. Honnêtement, c’est surtout le passage par Inalion qui m’inquiète. C’est un pays dont on dit beaucoup de mal.

— Oclumos… n’est pas génial non plus…

— Et Breni-machin ? demanda Mysty. Perso, je connais un peu Sabberion, mais ils sont chiants là-bas. Uvigana sont pires encore. Des pays où je me suis aventurée, la Grande Forêt et Hotzwald sont les plus cool… enfin, à l’exception de chez moi, j’causais des pays étrangers.

— Mmm… Sabberion est assez pénible pour une fille comme toi, dit Naeviah.

— Si je résume, on est au meilleur endroit ? demandai-je. Et tu es passée dans la Grande Forêt ?!

— Ouais, juste un peu. J’ai croisé personne, du coup c’était pas désagréable.

Cela répondait à une certaine logique. Impossible de trouver un voyage désagréable s’il n’y avait personne pour le rendre comme tel. J’étais malgré tout étonnée qu’elle ait réussi à trouver son chemin dans cette immense forêt et sans encombre, mais si elle disait y être passée, je n’avais aucune raison de douter d’elle.

C’était bien le hasard qui nous avait toutes réunies à Hotzwald, la chance avait son rôle à jouer dans nos vies.

— Hotzwald… j’aime bien, dit Tyesphaine.

— Et sinon, vous venez d’où toutes les deux ? demanda Mysty. J’ai déjà dit que j’venais du Désert d’Adrilar d’un clan de marchands, mais à part Fiali, ch’sais pas pour vous deux.

Les concernées se regardèrent un instant, puis finirent par répondre à la question.

— Je… viens d’Oclumos, justement…

— Moi de Sabberion.

— On dirait que vous n’aimez pas vos pays respectifs, fis-je remarquer.

— Nous ne les aimons pas ! dirent-elles en même temps.

Au moins, cela avait le mérite d’être clair. Il valait sûrement mieux arrêter de parler de leur lieu de naissance.

Mysty pencha la tête de côté, elle allait poser une question lorsque je lui fis signe de s’arrêter. Elle me comprit immédiatement.

— Si Oclumos n’est pas un bon pays, passons par le Breniran, dis-je. Cela rallonge un peu, mais je n’ai pas d’impératif de temps.

— Non… je… je m’en voudrais. Si… Passons par Oclumos.

— Tu es sûre ?

Tyesphaine acquiesça.

— Nous avons le temps de toute manière, dit Naeviah. De toute manière, je me demande si Breniran est une bonne idée : c’est une magiocratie.

— Oh, cool !

— Te réjouis pas trop vite, elfe perverse. Tu n’es pas issue d’une guilde de magie, c’est justement ce qui m’inquiète. Ils pourraient te voir comme une mage clandestine, ça nous apporterait tout un tas de problèmes.

— À Oclumos… il faut une licence d’aventurier. Nous n’en avons pas…

— Une licence ? s’étonna Mysty. On peut pas partir à l’aventure comme ça ?

Tyesphaine secoua la tête.

— Mais je… j’en ai une. Et je peux… vous en avoir.

— Merci Tyesphaine.

— Tyes, tu nous sauves les fesses ! Héhé !

— Du coup, ce sera Oclumos, conclut Naeviah d’un air autoritaire.

Personne ne s’y opposa et donc nous décidâmes du trajet suivant : d’abord aller à Segorim, passer la frontière et entrer à Inalion, plus précisément dans la ville de Liris qui se trouvait la plus proche. Puis, il s’agissait de partir à l’est. Faire une halte à Lunaris et ensuite franchir la frontière pour entrer à Oclumos. Là, Tyesphaine nous obtiendrait des licences d’aventuriers et nous prendrions la direction sud-est pour entrer dans les Monts du Crépuscule.

Tout était parfaitement établi dans nos têtes, mais…

— Il y a encore une chose dont j’aimerais vous parler, dis-je.

Elles me regardèrent avec de grands yeux.

— Claryss…

— La Grande Prêtresse, me reprit Naeviah.

— Claryss la Grande Prêtresse m’a parlé de quelque chose en privé.

— Un truc pervers, je suppose…

— Tu vas arrêter de m’interrompre, Naeviah ? C’est sérieux en plus ! Pour une fois…

— Pour une fois ? Bon, OK, OK, je te laisse finir. Mais si c’est un truc stupide ou pervers, je te…

J’expirais lourdement par le nez, puis repris-je :

— En fait, dans un vieux texte, elle avait trouvé une mention qui parlait de la succube, Yvelyn. En réalité, elle avait été scellée dans le temple il y a des siècles, voire des millénaires de cela.

— Scellée ?

— Oui. Une magie ancienne la retenait prisonnière. J’ignore pourquoi les anciens ne l’ont pas tout simplement tuée, mais en tout cas les textes indiquaient bien qu’elle était prisonnière. Il s’avère que quelques mois avant notre arrivée, la monastère a reçu la visite d’un mystérieux voyageur. Il a fait un peu comme nous, il a cherché des informations sur la région, puis il est parti. Jusque là, rien d’anormal…

Je restais un peu songeuse, cela m’avait perturbé, mais j’ignorais si mes collègues allaient agir de la même manière.

— Des témoignages affirment l’avoir vu entrer dans la forêt à l’est, celle où se trouvait la chimère et le temple démoniste.

— Il l’aurait libérée ? demanda Naeviah.

Comme toujours, c’était celle qui arrivait le plus vite à la conclusion.

— Je le pense aussi. Disons qu’il y a la probabilité que le sceau se soit rompus de lui-même, l’usure du temps peut entraîner ce genre de chose, mais cette théorie me semble bien trop improbable.

Sûrement parce qu’il restait en moi de la pensée rationaliste de mon ancien monde, je ne croyais pas assez à ces hasards commodes.

— Il me semble plus plausible de penser que quelqu’un l’ait détruit. Malheureusement, nous ne pourrons jamais connaître la vérité, puisque le temple n’est plus là.

— À cause d’une espèce d’elfe sauvage qui a ENCORE tout détruit, me reprocha Naeviah.

Je souris avec satisfaction, c’était difficile de se sentir coupable lorsqu’on me complimentait aussi gentiment.

— C’était pas des éloges !!

— Fiali ne plaisante pas quand il s’agit de tout casser ! Mais on l’aime comme ça ! Héhé !

Mysty passa son bras autour de mon épaule et se mit à rire.

Tyesphaine sourit timidement, tandis que Naeviah soupira longuement.

— OK, c’est bien de nous l’avoir dit quand même… Cela veut dire qu’il y a un homme qui se promène et qui libère des démons pour détruire le monde. Quelle bonne nouvelle !

— Oui, en effet…

Comme elle le disait, il n’était pas impossible qu’on entende parler à nouveau de cette personne. Mon instinct me disait même que c’était une certitude. Nous attirions bien trop d’événements étranges, peut-être le contrecoup de ma maudite aura dakimakura.

Lire la suite – Arc 4 – Chapitre 1