Isekai Dakimakura – Arc 5 – Chapitre 4

J’étais en plein combat.

Mes adversaires étaient des cafards géants.

Enfin, je parle de combat, mais il s’agissait bien plus de fuir que de les affronter. Ces horribles bêtes, ces infâmes démons nés dans les entrailles du Tartare et vomis par les gueules du dragon de Cocytus, agitaient leurs antennes en me poursuivant.

Ils étaient trois et ils avaient la taille de poney. Autant dire qu’il s’agissait de l’horreur incarnée !!

Je pouvais combattre des créatures dantesques et abominables, issues des rêves d’écrivains américain du début du 20e siècle, mais là c’était trop !

— Aaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhh !!!

Je hurlai en courant et en pleurant, mon cœur battant à un rythme si rapide que je crus qu’il allait exploser. Si une de ces créatures me touchait… Si elle souillait mon corps de leurs pattes ou de leur bave… Je ne supporterais plus de vivre ! La folie briserait mon esprit !

C’était ce que je pensais au moment où mon pied heurta une petite marche et je m’écroulai de tout mon long.

Plus encore que la douleur, c’était la vision de ces trois silhouettes massives et horripilantes qui m’alertait et me faisait hurler.

Mais, alors qu’ils allaient m’atteindre, une forme s’interposa et trancha le premier dans toute sa longueur. Avec des mouvements si agiles qu’on aurait pu les prendre pour une danse, Isabella, car il s’agissait d’elle, terrassa ces deux créatures dignes de figurer aux côtés de l’Antéchrist le jour de l’Apocalypse.

Je ne cessais de pleurer, j’étais traumatisée.

— Tout ira bien, Fiali. Je serais toujours là pour te protéger, me dit-elle en se tournant vers moi.

Elle me tendit la main, tandis qu’elle planta son épée dans le sol.

Reprenant un peu de calme, je cessai de sangloter et essuyai mes larmes.

— Mer… Merci…

Je lui pris la main et aussitôt, elle m’attira à elle. Ma tête heurta délicatement la plaque de son froid plastron, elle commença à me caresser la tête.

— Tout ira bien… Détends-toi… Je te protégerai.

Comment m’étais-je retrouvée dans cette situation ? Moi-même je l’ignorais.

Mes derniers souvenirs étaient une chasse aux monstres avec les filles en vue de récolter de l’argent pour rembourser Isabella mais, pour des raisons encore obscures, je m’étais retrouvée séparées d’elles.

Le danger passé, mes nerfs se relâchèrent et avant de m’en rendre compte, je m’endormis dans les bras de ma sauveuse.

À mon réveil, j’étais couchée sur un sac de couchage. Isabella me tournait le dos, elle alimentait un feu de camp. Nous étions encore dans cette dense et imposante forêt.

— Tu vas mieux ?

— Euh… Oui… Mais les autres ?

— Elles sont rentrées à la maison. Nous allons les rejoindre quand il fera jour. Il y a des créatures dangereuses qui rôdent la nuit.

Et aussi en journée, pensais-je. Le souvenir des ignobles G me fit tressaillir d’horreur.

Néanmoins, je ne me sentais pas le cœur de contredire celle qui m’avait tiré d’affaire.

En tant qu’elfe, j’étais capable de vivre aussi bien de jour que de nuit, ma vision nocturne ne me rendait pas inapte à la vie diurne.

— Restons ici cette nuit… Merci encore, Isabella.

Elle me répondit par un léger hochement de tête.

— Tu penses que tu pourras prendre un tour de garde ? me demanda-t-elle.

Lorsque j’étais tombée inconsciente, il faisait encore jour, or là c’était la nuit. Isabella avait veillé sur moi jusqu’à mon réveil ; elle devait être fatiguée.

— Pas de problème. Je me sens mieux. Puis, je suis une elfe, je peux parfaitement voir dans l’obscurité.

Elle esquissa un léger sourire et me dit :

— C’est une qualité admirable. Il me coûte de devoir demander ton aide, mais si cela ne te…

— Non, ça ne me dérange pas du tout ! Au contraire, je serais contente de monter la garde. Cela rembourserait un peu la dette que j’ai envers vous, avouai-je un peu honteuse.

Elle sourit une nouvelle fois, puis jeta le bout de bois avec lequel elle piquait le feu dans ce dernier.

Je m’écartai du sac de couchage, nous n’en avions qu’un, pour lui laisser la place.

— Est-ce que je pourrais te demander une faveur ? Pourrais-tu m’aider à retirer mon armure ?

J’avais l’expérience de celle de Tyesphaine, je savais que même s’il était possible de la retirer seule, c’était long et fastidieux.

— Pas de problème.

C’est d’une main experte que je commençai à ouvrir les sangles et boucles pour retirer le plastron. Isabella se montra docile, elle se livra entièrement à mes doigts.

— Tu es douée.

— J’ai l’habitude avec Tyesphaine.

— Je vois. Elle a de la chance d’être servie par des mains si petites et douces.

Je rougis malgré moi. C’était un joli compliment. Je continuais mon travail un peu embarrassée.

— Voilà ! Avec ça, vous pouvez aller vous coucher.

— Il manque toujours quelque chose…

Elle avait déjà retiré son ganbison, elle était en pantalon et chemise, une tenue somme toute similaire à celle de Tyesphaine.

— Hein ?

Elle me saisit le poignée et me jeta brutalement sur le sac de couchage. Lorsque je rouvris les yeux, elle était à califourchon au-dessus de moi.

— J’ai une bonne idée de remboursement…

Sur ces mots, elle retira sa chemise et dévoila son torse nu. Sans être au niveau de Tyesphaine, la nature avait été généreuse envers elle.

— Que… que… ?

— Ne te sens-tu pas redevable ?

— Euh… Oui, mais pas…

— Me trouves-tu repoussante peut-être ? Ne m’aimes-tu pas ?

Honnêtement… ce n’était pas vraiment mon sentiment à cet instant. Au contraire, mon sang n’avait fait qu’un tour. Je déglutis et secouai la tête.

Isabella me sourit et approcha son visage.

— Dans ce cas, donne-moi une seule raison de ne pas poursuivre et je n’en ferais rien…

— Je… je… n’en ai pas…, avouai-je.

Son souffle me caressa le visage, ses mains me saisirent les joues fermement et son regard, pour la première fois depuis que je la connaissais, brûlait de passion.

— Je serai douce… Je ne veux pas briser une aussi belle créature que toi…

Elle colla ses lèvres aux miennes tout en attrapant mes mains et en les mettant au-dessus de ma tête. On aurait pu penser qu’elle cherchait à m’immobiliser mais, en réalité, elle n’appliquait aucune force.

C’était plus comme si je… m’abandonnais à elle…

J’ai honte de le dire !

Séparant ses lèvres des miennes, elle fit glisser ses doigts sous ma tunique et commença à me baiser le cou. Ses lèvres se dirigeaient vers mes oreilles, ses mains dansaient sur ma poitrine et mes cuisses.

Je commençai à gémir lorsque…

Mes yeux s’ouvrirent brutalement.

Il faisait nuit. J’étais allongée par terre, dans un sac de couchage, dans la chambre d’invité qu’Isebella avait mis à notre disposition.

— Qu’est-ce que… ?

Je réprimai ma voix pour ne pas réveiller mes amies, mais je remarquai soudain qu’elles étaient également agitées.

C’était une des nuits où Mysty n’avait pas fait de crise de somnambulisme, elle dormait dans son propre sac de couchage.

Tyesphaine poussa un petit cri, puis ouvrit brutalement les yeux. Je me demandai quel genre de rêve elle avait pu faire. Sûrement pas quelque chose d’aussi indécent que le mien… J’avais honte à cet instant, seuls mes yeux dépassaient des couvertures.

Pourquoi me mettais-je à rêver de choses du genre ? Puis, avec Isabella ?! Pourquoi notre digne et amicale hôte ?

— Tyes ?

Mysty s’était également réveillée.

— Hein ? Je…

Notre paladine paniqua et, à la manière des tortues, elle enfouie sa tête dans sa couche.

— Tu es réveillée aussi ? demandai-je à Mysty en chuchotant.

— Yep… J’ai fait un rêve chelou.

Sûrement pas du même calibre que le mien, pensais-je.

— Vous en faites du boucan…, dit Naeviah d’une petite voix.

Il devenait inutile de parler à basse voix, nous étions toutes réveillées, manifestement.

— Nous avons toutes fait un cauchemar, on dirait…

— Moi, je dormais bien avant que vous… Han〜 !

Naeviah bâilla bruyamment.

— C’était pas un cauchemar, le mien…, dit Mysty en bâillant à son tour. C’était un rêve cochon… Je… je vais me rendormir…

Un quoi ?

Bien sûr, il n’y avait que Mysty pour en parler de la sorte. Je n’avais pas envie de vendre la mèche, mais je voulais en savoir plus. N’était-ce pas étrange de faire toutes les deux le même genre de rêve en même temps ?

— Rêve cochon ? demandai-je.

— Ça t’intéresse la perverse ?

— Non, c’est pas ce que tu penses, Naeviah !

— Eh bien, explique-moi dans ce cas…

D’un seul coup, elle était parfaitement réveillée. C’était suspect…

— Juste de la curiosité, objectai-je.

— Mais oui !

J’entendais Tyesphaine trembler dans son coin. Forcément, lorsqu’on abordait ce genre de sujets…

— Haaaaaaaannn ! J’m’en souviens déjà plus trop… mais Isa… elle me faisait des trucs…

Elle se mit à expliquer en détails. Je ne les avais jamais demandé !!

Dans sa voix à moitié endormie, elle narra les différentes scènes de son rêve qui était allé bien plus loin que le mien. Même Naeviah n’osa pas l’interrompre.

En plein milieu, Tyesphaine cessa de bouger et d’émettre des petits bruits dignes d’un rongeur. Soit elle s’était bouchée les oreilles, soit elle était tombé inconsciente.

— Je… Je n’avais pas demandé autant !

— Ch’sais pas moi… J’suis défoncée… Elle m’a tellement donné… je… je vais m’rendo…

Elle ne finit pas sa phrase. J’allais lui dire que ce n’était pas la réalité, qu’elle n’avait rien « donné » mais c’était vain.

À la différence de Mysty, Naeviah et moi étions de fait parfaitement réveillées. C’était un sujet qui avait eu le mérite de donner une claque au cerveau et de secréter une grande quantité d’hormones stimulantes.

— Quelle idiote celle-là…, marmonna Naeviah.

— Oui… sérieux…

Je trouvais étrange le fait que nous rêvions simultanément d’Isabella, mais était-ce réellement anormal ?

Les rêves érotiques étaient naturels au fond. Ce n’était que le timing qui me laissait perplexe. J’en venais à me demander s’il n’y avait pas eu quelque aliment naturellement aphrodisiaque dans la nourriture.

— Tu n’as pas fait… de rêve, toi ? demandais-je timidement à Naeviah.

— Si tu cherches à me faire dire des horreurs comme Mysty, je t’étrangle, puis t’arrache les yeux et la langue.

— Mmmm… même si c’est brutal, dans cet ordre-là je souffrirai moins.

— Toi !

Je ne comprenais pas ce qu’elle me reprochait, mais elle grommela à cet instant.

— Et toi, Tyesphaine ?

J’étais sûre qu’elle m’entendait, je l’avais entendue bouger à nouveau.

— Hein ? Je… je… n’ai pas fait ce genre de…

— Tu n’as donc pas fait de cauchemar ?

— Ah euh… si… un cauchemar… avec Isabella.

Sa réponse resta évasive, c’était Tyesphaine il ne fallait pas s’attendre à plus en pareille situation.

Naeviah se redressa et se frotta les yeux.

— Donc vous avez rêvée toutes les deux d’Isabella ?

— Toutes les trois, la corrigeai-je. J’ai aussi rêvé d’elle… mais je préfère ne pas en parler.

Je me redressai à mon tour. Naeviah me fixait dans la pénombre avec insistance. J’étais sûre qu’elle ne me voyait pas, elle me cherchait.

— Si tu ne veux pas en parler, c’est que c’était pervers…

— Non, je n’ai pas dit ça… Je vais aller aux toilettes.

Pressentant qu’elle ne me laisserait pas le choix que d’en parler, j’essayai de m’enfuir, mais elle me sauta dessus. Elle me cogna la tête avec la sienne, elle ne voyait pas dans le noir, son plaquage avait été des plus maladroits.

— Tu ne fuiras pas !

— Si tu ne me laisses, je vais faire quelque chose de vraiment pervers ! Je te rappelle que j’y vois.

Naeviah ne voulait pas capituler, elle chercha à m’attraper, mais n’y arriva pas. J’en profitai pour lui pincer la cuisse, elle sursauta et me libéra.

— OK, je vais aux toilettes !

Je m’enfuis dae la pièce avant qu’elle n’ait pu réagir.

Je profitai de ma pause pour souffler un peu. Entre le rêve et le fait d’en parler, j’étais plutôt exténuée par la honte. La théorie d’un aliment aphrodisiaque commençait à se confirmer.

Mais pourquoi Naeviah n’avait rien ressenti, elle ?

Peut-être était-elle simplement trop peu réceptive, trop frigide comme dirait le langage populaire… ?

Quoi qu’il en fût, à mon retour, je trouvai tout le monde endormi, ce qui me soulagea.

J’entrai dans mon sac de couchage pour finir la nuit.

***

Le matin, après tous les événements nocturnes, je n’étais pas très à même de faire une grasse matinée. Tyesphaine et Mysty, pour leur part, dormaient encore.

À mon réveil, Naeviah n’était plus dans sa couche et, comme toujours, Isabella était partie tôt.

— Bonjour, Naeviah ! lui dis-je en arrivant au rez-de-chaussée.

— Ah ? Ouais, salut.

— Quel accueil…

J’étais encore en pyjama. Je comptais prendre un petit-déjeuner, puis remonter me vêtir tranquillement.

Je pris du pain un peu dur de la veille et un peu de confiture, puis vint m’installer sur la canapé du salon. Naeviah était devant la bibliothèque, elle semblait chercher quelque chose. Elle tirait les livres les uns après les autres.

Au passage, elle était déjà habillée. Depuis combien de temps était-elle debout ?

— Tu cherches quelque chose ?

— Des indices.

— Des indices ? Par rapport à quoi ?

— À la vraie identité d’Isabella.

— De quoi tu parles au juste ?

J’étais perplexe. Elle se tourna vers moi, son visage sérieux. Elle me fit signe de recroqueviller mes jambes pour lui laisser de la place sur le canapé.

Une fois assise, elle m’expliqua :

— En fait, j’ai des doutes sur elle depuis le début.

— Hein ? Des doutes quant à quoi ?

— Sa gentillesse.

Il était vrai que cela m’avait aussi interloquée au début. Elle était trop gentille avec nous sans réelles raisons. Enfin, en réalité, il y en avait une : moi, ou plutôt mon aura.

— Ah oui, tu parlais de cela

— Tu ne trouves pas ça louche que dans une ville pareille une femme comme elle ait pu devenir capitaine ?

— Tu as vu sa manière de se battre ? Aucun doute qu’elle a la puissance pour y arriver.

Naeviah grimaça, puis maugréa des sons inintelligibles.

— Il n’y a pas que la force pour devenir capitaine, Fiali. Il faut des capacités à commander aussi et une certaine perspicacité.

— Elle ne manque d’aucune de ces qualités, je dirais. En réalité, il y a une autre chose qui te perturbe, pas vrai ?

Elle grimaça encore plus, ses lèvres devinrent d’adorables vagues exprimant ses doutes.

— Vous avez toutes rêvé d’elle cette nuit… En même temps.

— Un hasard, je suppose…

— Tssss ! C’est quoi ce manque d’esprit critique ? Tu es magicienne ou quoi ?

M’attaquer sur mon orgueil de magicienne ! C’était vil… mais elle n’avait pas complètement tort.

Je me hasardai à lui donner mon explication…

— Il se peut qu’il y ait eu un aliment aphrodisiaque dans notre nourriture.

— Aphro… quoi ?

— Désolée, je ne connais pas le terme dans la langue commune.

J’avais utilisé de l’elfique en remplacement. Je lui expliquai la définition de ce dernier.

— Un genre de philtre d’amour ?

— Pas aussi puissant et plus naturel. Disons que c’est un petit remontant pour exciter.

Naeviah me fixa en plissant les yeux, je savais déjà ce qu’elle allait dire :

— Tu t’y connais drôlement bien je trouve…

— J’ai de la culture, c’est tout ! Quoi qu’il en soit, l’influence de ce genre d’aliment est subtile, tout le monde n’y est pas forcément sujet. Toi, qui est moins perverse… Bah voilà, ça ne t’a rien fait.

Je décidai qu’en brossant dans le sens du poil, mon argument serait plus recevable. Si je lui avais dit qu’elle était frigide, elle risquait de s’énerver.

— Ça ne se tient pas. Tyesphaine n’a pas fait de rêve de perverse, elle.

— Tu le crois vraiment ?

— De quoi ?

— De son point de vue un rêve érotique n’est-il pas un cauchemar ?

Naeviah parut réfléchir à mon argument, elle acquiesça légèrement.

— Puisqu’elle n’a pas détaillé, ton explication pourrait se tenir. Mais pourquoi Isabella dans ce cas ? Pourquoi tu n’as pas rêvé, je ne sais pas… de moi ? Ou de Mysty, tiens ?

Pourquoi s’était-elle proposée en première ? Je trouvai soudain son attitude un peu suspecte.

— Personne ne commande les rêves, difficile de te donner une réponse.

— Et sinon… Tu… Tu as des sentiments pour elle ?

— Isabella ?

— Bah, oui de qui tu veux que je parle, idiote ?!

Naeviah paraissait un peu embarrassée, mais se cachait derrière son habituel masque d’agacement.

Je pris un petit instant pour réfléchir à la question…

— Je ne pense pas que ça soit de l’amour… Mais c’est une personne que j’apprécie.

— Au point de vouloir faire ce genre de choses… ?

— Eh oh ! Je t’arrête de suite ! Je me suis réveillée alors qu’elle commençait à peine ! Je ne suis pas allée aussi loin que Mysty !

À mon grand regret, je venais de me confesser. Naeviah me fixa en croisant les bras.

— C’était donc bien un rêve cochon aussi…

Je détournai le regard en sifflotant.

Finalement, lorsque la discussion redevint normale :

— Bref, je ne pense pas qu’on puisse suspecter notre hôte simplement à cause de nos rêves.

— Je ne suis pas vraiment convaincue, c’est pour ça que je cherche des preuves. Contrairement à toi, je n’ai pas encore décidé si je lui fais confiance ou non.

— Elle nous a sorti de prison, quand même. Tu as entendu Mysty, nous aurions vécu pire que quelques rêves si nous y étions restées

Naeviah me colla son pied dans la figure.

— Et tu en rajoutes en plus !! Tu es vraiment une perverse !!

— Eh oh ! Ne… me salis pas le visage avec ton pied puant !

Il ne puait pas, mais si je m’étais permis de lui le dire.

— Il est bien trop noble pour toi, espèce de dégénérée !!

Je me glissai de côté pour l’esquiver, il tomba sur mon épaule, dans le rideau de mes cheveux qui n’étaient pas encore attachés.

— Tsss ! Tu refuses donc ma gentillesse ?

— Je peux te dispenser la même si tu veux…

Je n’attendis pas sa réponse, je lui mis à mon tour mon pied dans le visage, mais elle le dévia de sa main.

— Tu… un jour je te noierai dans un tonneau !

— Pourquoi un tonneau ? Naeviah, tu es une perverse aussi !

Finalement, notre discussion finit par devenir une bagarre de gamines où l’une l’autre nous chatouillâmes les pieds. Je n’avais jamais vécu ce genre de conflit avec une sœur, ni dans cette vie, ni dans la précédente. ;; C’était inédit pour moi… et rafraîchissant.

Après notre dispute la veille, j’avais eu peur qu’elle m’en veuille réellement. Mais on ne jouait pas avec une personne qu’on détestait, si ?

Lorsque nous nous arrêtâmes, nous étions toutes les deux fatiguées et décoiffées.

Malgré tout, Naeviah reprit un air grave :

— Justement… la prison est sûrement ce qui m’a paru le plus étrange dans son attitude.

— Pourquoi ?

— Trop rapide, déjà pour commencer. Puis, elle n’a même pas été condamnée. D’ailleurs, en tant que capitaine, elle ne se doutait pas que ce qui allait se passer ?

— L’erreur est humaine.

— Même elfique, je soulignerai. Mais… Pourquoi avancer une telle somme pour des inconnues ? D’ailleurs, elle cachait ici une telle somme d’argent à sa disposition ? Pourquoi ?

Je comprenais bien ses doutes, j’étais le genre à avoir les mêmes. Mais à cet instant, je levai les épaules :

— Normalement, je penserais comme toi, mais franchement… tu as l’impression qu’Isabella essaye de nous faire un coup en douce ? Il se peut qu’elle soit juste l’exception qui confirme la règle. Si nous avions été aussi suspicieuses quand nous t’avons rencontrée, nous ne nous serions jamais devenue compagnonnes.

— Je n’ai rien fait de si bizarre !

— Tu as essayé de nous tuer. Et tu as blessé Tyesphaine.

— Parce qu’elle avait son armure maudite, je te signale.

— Et justement ! Si nous l’avions jugée à ce moment-là, nous l’aurions expulsée du groupe sans lui avoir donné une chance nous montrer à quel point elle est un ange. Tu… Tu ne veux pas laisser sa chance à Isabella ?

Être méfiante était une bonne chose en général, mais elle pouvait aussi isoler l’individu par son rejet d’autrui. Je ne voulais pas que Naeviah soit si craintive envers notre sauveuse, j’avais envie qu’elle essayât de sympathiser avec elle, comme elle l’avait fait avec nous.

Je ne pensais pas mon raisonnement erroné ou absurde, mais Naeviah ne parut pas vraiment convaincue pour autant.

Et j’allais comprendre ce qui la tracassait réellement…

Elle baissa le regard, croisa les doigts, puis me dit :

— L’autre nuit, je l’ai entendue se lever. Vous étiez toutes bien endormies. Elle a ouvert la porte de notre chambre et a observé à l’intérieur. D’une manière ou d’une autre, elle a dû se rendre compte que j’étais réveillée, elle l’a aussitôt refermée et est partie.

— Tu n’as pas rêvé ?

— Non, je n’ai pas rêvé !

— Et pourquoi n’en as-tu pas parlé avant ?

— Parce que j’avais des doutes… Je me suis dit que ce n’était rien de particulier.

Je ne savais que penser de ce qu’elle m’annonçait. En soi, c’était inhabituel, mais il n’y avait rien de si étrange ou malfaisant pour autant.

— Elle venait peut-être voir si tout allait bien, dis-je. Elle a un côté maternel, tu n’as pas remarqué ?

En effet, il était difficile pour moi de ne pas la voir comme une sorte de grande sœur… un peu comme Syrle. J’attirais manifestement ce profil de femmes.

— Possible… Mais pourquoi n’a-t-elle rien dit dans ce cas ? Elle aurait pu m’adresser la parole.

— Pour ne pas nous réveiller ?

— Mmmmm… ma foi, admettons.

Malgré tout, elle n’était toujours pas complètement convaincue. Elle se leva.

— Ça coûte rien de chercher. Si elle est irréprochable, je ne trouverai rien de toute façon.

— Euh… OK, fais donc ça.

Je ne voyais pas comment faire évoluer la discussion. Si cela lui permettait de se réconforter et d’arrêter de soupçonner notre bienfaitrice, c’était un mal pour un bien.

Je me levai à mon tour, il fallait que j’aille me laver et m’habiller.

Avant de quitter le salon, je demandai à Naeviah :

— On part en mission cette après-midi ?

— Il faut bien la rembourser.

— D’accord, je vais donc me préparer et ensuite réveiller nos deux marmottes.

Naeviah ne se retourna même pas, elle me fit signe de la main de m’en occuper puis se remit à chercher dans les quelques livres de la bibliothèque.

Je remontai sans plus tarder.

***

Nous étions devant le panneau des quêtes.

Puisque Isabella ne rentrerait pas avant tard le soir, d’après ce qu’elle était venue nous annoncer, nous avions modifié nos projets et décidé de pic-niquer.

Honnêtement, ce n’était pas l’idée qui m’enchantait le plus : manger dehors, c’était souvent le risque de voir des fourmis et d’autres insectes nous tourner autour. Puis, nous le faisions très souvent pendant nos voyages…Mais Mysty avait proposé l’idée et personne n’avait osé s’y opposer (c’était elle qui cuisinait).

Dans nos sacs se trouvaient donc de quoi déjeuner et, pour joindre l’utile à l’agréable, nous avions prévu d’accomplir une quête de la guilde en après-midi. Ce rythme deviendrait sûrement le nôtre au cours des prochaines semaines, voire prochains mois, le temps de tout rembourser.

La veille avec Isabella, nous n’avions pas vu une quête fort bien récompensée : l’extermination d’un monstre qu’on nommait « Énucléateur Aberrant ». Le nom déjà n’était pas particulièrement réconfortant.

Lorsque nous arrachâmes l’affiche du tableau en vue de l’amener au comptoir et d’en revendiquer l’exclusivité, aussitôt les discussions se turent et les regards se braquèrent sur nous.

En face de nous la réceptionniste venait de s’immobiliser, la bouche ouverte, en voyant la feuille que Naeviah étalait sur le comptoir.

— On va vraiment prendre cette quête ? demandai-je à basse voix.

Notre prêtresse tourna légèrement sa tête dans ma direction :

— Elle est très bien payée. Avec juste deux ou trois du genre, on va pouvoir rembourser Isabella et mettre les voiles d’ici. Ce n’est pas ce que tu veux ?

— Si bien sûr, mais…

N’avait-elle pas remarqué l’attention qu’on nous témoignait soudain ?

— Euh… c’est peut-être dangereux…, dit timidement Tyesphaine.

— Y a un truc qui va pas avec cette quête… Montre de nouveau…

Mysty saisit l’affiche et l’examina. Je me plaçai derrière elle pour en faire de même.

Peut-être qu’il y avait indiqué à quelque part : « quête que les belles et jolies aventurières ne doivent surtout pas accepter ».

Mais elle disait simplement :

« Au village de Downfall, exterminer l’énucléateur aberrant, responsable de morts civils et militaires. Aucune limite de temps. Date d’ouverture de la quête… Récompense : 10 pièces d’or. »

Elle avait été affichée deux semaines auparavant et la récompense était bien supérieure aux autres, c’était ce qui nous avait motivées à la choisir.

À ce stade, je me doutais de ce que nous allions apprendre :

— Vous… vous… voulez vraiment prendre cette… ?

— Oui, c’est ce que nous désirons, dit Naeviah en reprenant l’affiche. Veuillez-nous enregistrer.

— Hein ? Mais… Attendez, je dois d’abord vous avertir…

— Les nouvelles vont prendre la quête du creveur d’yeux ! Elles ont pas peur ma parole !

— C’est du suicide !

Les voix autour de nous s’élevèrent les unes après les autres. Le problème venait donc de la puissance du monstre.

Malheureusement, contrairement à un RPG de mon ancien monde, sur les affiches de la guilde il n’y avait aucune recommandation de niveau et nous ne connaissions pas les nôtres de toute manière.

— Elle… est si terrible… ? marmonna Tyesphaine.

— Whooo ! On dirait que tout le monde est à cran. Ça m’intrigue de plus en plus. Héhéhé ! s’amusa Mysty.

Bien sûr, les réactions des deux étaient parfaitement opposées.

— Vous êtes tous bien bruyants. C’est bon, on a compris c’est un monstre super fort blablabla. Vous me fatiguez ! C’est bon, on la prend !!

Et Naeviah n’écoutait déjà plus personne et prenait un air hautain juste pour faire son intéressante. Avec cela, elle se permettait de critiquer mes « tendances téméraires, limites suicidaires », hein ?

Je vins me coller au comptoir à côté de Naeviah que je poussais légèrement d’un mouvement de hanches.

— Racontez-nous donc avant que nous n’acceptions.

Quelques gouttes de sueur perlaient sur le visage de la réceptionniste qui nous prit l’annonce des mains et expliqua :

— Ce monstre qui attaque le village de Downfall est non seulement fort mais cruel et malin. Il y a eu peu de survivants des confrontations avec lui…

— Ouais, les gobelins aussi sont cruels et malin, dit Naeviah.

— Laisse-la parler, Naeviah. Veuillez continuer, s’il vous plaît.

La réceptionniste s’épongea le front et inspira avant de reprendre.

— Trente soldats l’ont déjà affronté et deux équipes d’aventuriers. Il y a eu moins de quinze survivants.

— Ça va encore, dit Mysty.

— Euh… Trois seulement parmi les dix ont gardé leurs yeux. Le nombre de villageois victimes s’élève à plus d’une quarantaine en un mois.

— … ont gardé leurs yeux ? répéta Tyesphaine.

— Je suppose que c’est ce qui justifie son nom, dis-je. Énucléer, c’est arracher les yeux.

— Oui ! Ce monstre ressemble à une sorte de méduse, il arrache les yeux en plantant ses tentacules dedans.

— Beurkkk ! C’est dégueux ! dit Mysty. J’pige mieux pourquoi personne veut l’affronter.

— Oui… La prime a décuplé, mais que ce soit les aventuriers ou les soldats de la ville personne n’a envie d’aller se battre contre lui. Son nom commence même à devenir un croquemitaine auprès des enfants.

— Pourquoi les villageois ne viennent pas se réfugier en ville ? demandai-je innocemment.

C’est Naeviah qui me répondit la première :

— À cause des taxes, ils sont enfermés dans leur village. Il est à dix kilomètres…

C’était ce qui était écrit parmi les indications annexes : un village au sud, à dix kilomètres, hors route.

La réceptionniste ne dit mot, mais me laissa comprendre que Naeviah avait raison.

Quel horrible pays ! Les habitants étaient obligés d’attendre leur extermination faute de ne pas être défendus et ne pouvaient même pas se réfugier en ville !

Pourquoi payer des taxes si la protection minimale n’était pas assurée ?

Plus je connaissais Inalion, plus je préférais Hotzwald, en fait…

En plus, je supposais que la prime était en partie, voire totalement, payée par le village lui-même. Dix pièces d’or, autant dire qu’ils avaient mis les moyens.

Naeviah leva les épaules et prit un air encore plus hautain qu’auparavant.

— Cela ne m’impressionne pas du tout. Nous allons nous en débarrasser. À moins qu’une certaine mage destructrice n’ait les pétoches, bien sûr…

Pourquoi elle en avait toujours après moi ?

Je me sentie un peu vexée, d’autant que j’étais sûrement celle qui s’en fichait le plus de mourir. Perdre mes yeux me refroidissait bien plus, mais au pire je pourrais incanter un sortilège pour me tuer moi-même si les choses tournaient mal.

— Moi, ça me va… mais je ne voudrais pas qu’une certaine personne mouille sa culotte de peur.

— Ah bon ? Une telle personne se trouverait dans notre groupe ?

— J’en ai bien peur, ma chère.

Nous nous fixâmes avec un air de défi, j’étais décidée à lui tenir tête cette fois et elle n’avait pas l’air de vouloir reculer.

— Tyes, t’es OK ?

— Je… je ne sais pas… Euh… OK, je… Acceptons. Il faut que quelqu’un vienne en aide… à ces pauvres villageois.

— Héhé ! T’es une gentille toi !

Mysty donna une tape sur l’épaule de Tyesphaine (où plutôt son armure) puis passa ses bras autour de Naeviah et moi, mettant fin à notre duel de regard.

— C’est bon, on va la prendre ! Si ça chauffe trop, on prendra nos jambes à nos cous… c’est comme ça qu’on dit, non ?

— Dans mon dictionnaire il n’existe pas une telle chose, dit Naeviah. Nous vaincrons et c’est tout !

— Ton dictionnaire est un peu défaillant…, marmonnai-je.

— Et le tien est rempli de choses perverses…, me répondit-elle.

Nous finîmes par détourner les yeux l’une de l’autre en pouffant. Honnêtement, je ne savais même pas réellement pourquoi je réagissais de la sorte. Je ne lui en voulais pas réellement, mais j’étais vexée d’avoir été traitée de poule mouillée.

C’est avec une expression confuse que la réceptionniste insista pendant encore quelques minutes pour nous dissuader, mais nous avions décidé.

Au-delà de notre orgueil et nos petites rivalités, Tyesphaine avait raison : quelqu’un devait sauver ces pauvres gens.

***

Une fois de plus, pour des personnes sans aucun sens de l’orientation le fléchage de ce pays était une aubaine. Après notre rapide déjeuner, car finalement, après ce qui était arrivé nous n’avions plus la tête à pic-niquer, nous avions tout de suite près la route vers le village.

Quelques heures plus tard, et quelques postes de péages plus loin, nous arrivions à Downfall. Je m’attendais à un tout petit village comme ceux qui bordaient la Grande Forêt, mais il n’en était rien : cette bourgade devait accueillir bien deux mille personnes, ce qui expliquait de pouvoir débloquer une telle récompense.

L’ambiance n’était pas au beau fixe. Les villageois avaient tous l’air à cran et en arrivant nous remarquâmes que les champs les plus éloignés n’étaient plus cultivés.

Ils devaient vivre avec la peur constante de se faire attaquer, je ne les enviais pas.

Un responsable de la mairie nous accueillit et nous expliqua :

— Le monstre… Ah oui… En fait, on sait où il vit… Il y a un tertre à deux kilomètres d’ici, il traîne dans le secteur. Les précédents soldats et aventuriers qui sont partis l’affronter l’ont trouvé là-bas, mais… Franchement… Vous pensez pouvoir gagner ? Ce serait dommage, de si belles jeunes femmes…

Même si nous étions aventurières, même si Tyesphaine portait une armure des plus inquiétantes, nous étions des femmes avant tout à ses yeux.

Je n’y prêtais pas attention et demandai à ce vieillard plus d’informations concernant la créature.

Il retira son chapeau et se mit à transpirer, il était terriblement stressé en se la remémorant.

— Il ressemble à une méduse… Non pas que j’en ai vraiment vue, mais comme celles des livres. Il vole et il a des tentacules… À… à leurs extrémités… les yeux qu’il arrache. Il… est intelligent et… il peut parler le commun…

Précieuse information que je ne manquerai pas de prendre en compte.

— Il… est fort… très fort même. Et en plus, il peut se rendre invisible… Et il est capable de faire voler les yeux autour de lui pour tirer des rayons…

Cette capacité me semblait plus dangereuse encore que le reste. Je les voyais bien opérer comme des drones. Il ne put m’en dire beaucoup plus à ce sujet, mais le peu de choses qu’il en savait confirmait mes doutes.

— Il est capable d’utiliser un nuage toxique. Ce dernier rend aveugle mais ce n’est que temporaire, ça disparaît en quelques heures. Et enfin, il régénère ses blessures.

— C’est quoi ce monstre abusé ! dit Mysty.

Je pouvais la comprendre : sur le papier il paraissait réellement incroyable.

Considérant le fait qu’il avait des yeux capables d’agir indépendamment de lui, comme des drones, je supposais que les attaques-surprises allaient être impossible contre lui. Peut-être même que s’il les envoyait fréquemment espionner le village, il était déjà au courant de notre arrivée.

— Pouvons-nous emprunter une pièce pour nous concerter ? demandai-je.

Naeviah me fixait, elle avait compris que j’avais une idée en tête.

L’homme nous y autorisa et mit à disposition un petit salon où il amena du thé et des biscuits (que je n’espérais pas déduits de notre salaire).

— Pourquoi une pièce à part ? me demanda de suite Naeviah, une fois seules.

— Pour plusieurs raisons : la première, c’est parce que je me demande si le monstre n’a pas un complice dans le village.

— Hein ? Les monstres ont des potes chez les humains ? s’étonna Mysty.

— Du moment… qu’il sait parler… c’est possible… je présume…

Je pointai Tyesphaine de la main : elle avait pensé la même chose que moi. Ce n’était pas une certitude, mais je n’excluai pas l’hypothèse.

— Si les villageois parviennent à vivre aussi près d’un tel monstre, ça ne peut vouloir dire que deux choses : soit qu’il ménage son bétail, soit que les villageois ont négocié leur survie.

— C’est vrai que malgré les taxes, il serait préférable de fuir quand même, dit Naeviah.

— S’ils passaient tous en même temps, j’pense pas que les soldats pourraient les arrêter, dit Mysty. Et au pire, en prison en ville, au moins on est en vie.

Toutes ces choses étaient sûrement des pensées que ne pouvaient avoir que des personnes ayant goûté à la liberté. Des villageois soumis à l’autorité oppressante de la République, avec l’idée que l’argent était le maître du monde, n’auraient pas pu pensé de la sorte.

Considérant, la situation je supposais que certains avaient tenté de fuir, mais nous ne dispositions pas encore d’informations à ce sujet, pas plus que sur les tentatives qui avaient été menées pour terrasser le monstre, ou encore sur la fréquence des attaques.

— L’autre raison est que je pense qu’il utilise ses yeux pour espionner le village. Je n’ai aucune certitude cette fois encore, mais je me demande s’il n’a pas un œil espion là au-dessus.

Je me rapprochai de la fenêtre pour observer le ciel et leur fit signe de ne pas venir.

— Mysty, j’aimerais que tu restes transformée en scorpion, sur l’épaule de Naeviah ou Tyesphaine, par exemple. Si le monstre ne voit que trois personnes sortir d’ici, il n’aura aucune raison de s’attendre à l’attaque surprise d’une quatrième.

— Héhé ! T’es futée, ma petite Fiali !

Mysty me passa le bras autour de l’épaule et se mit à jouer avec ma joue.

— Merchi… Myshty…

— Mouais… Admettons que tu aies raison. Et donc ? Que faisons-nous ?

Je me dégageai des bras de Mysty et poursuivit l’air de rien :

— Déjà, commençons par confirmer mes soupçons. Si les attaques à l’encontre des villageois se sont raréfiées voire arrêtée suite aux interventions des soldats et des aventuriers, on peut présumé qu’ils ont effectivement vendus ces derniers en échange de leurs propres vies.

— Ce serait… ignoble…

— Certes, mais ils n’ont pas la force de se défendre eux-mêmes, on ne peut exclure un tel marché.

Naeviah approuva.

— Puis ?

— Puis, bah, rendons-nous à ce tertre et attirons-le dans un double piège…

— Double piège ? s’exclamèrent les trois en même temps.

Je souris, fière d’avoir capter leur attention et leur expliquai mon plan…

***

Quelques minutes plus tard, nous quittâmes l’hôtel de ville, toutes les trois, avec Mysty en scorpion sur les épaules de Tyesphaine à qui j’avais habilement réussi à le donner ; même s’il s’agissait de Mysty, elle me dégoûtait sous cette forme.

Les informations sur les attaques n’avaient pas pu prouver mes soupçons : le dernier paysan avait été attaqué quelques jours auparavant seulement et cela faisait près de deux semaines qu’aucun aventurier n’était venu affronter l’Énucléateur. Les soldats avaient arrêté bien plus tôt encore de s’en occuper, c’est pourquoi la quête était tombée aux mains de la guilde.

Sans pousser l’enquête plus loin, ces informations les lavaient de mes suspicions (mais ne les absolvait pas définitivement pour autant).

Si comme je le pensais, l’Énucléateur n’avait jamais été surpris par les attaques, il avait au moins des yeux espions autour du tertre ; même en observant, je n’en avais trouvé aucun au-dessus du village.

Une chose m’apparaissait évidente : la créature n’attaquait pas pour se nourrir, mais juste pour le plaisir de faire du mal. D’après les dires, les cadavres des combattants qui avaient osé l’affronter pourrissaient encore autour du tertre : c’était ce qu’avaient rapporté les survivants des dernières attaques.

L’Énucléateur ne s’intéressait pas plus aux récoltes qu’au bétail. Étant donné qu’il s’agissait d’une aberration, l’idée qu’il ne mangeât pas me traversa rapidement par l’esprit, sans pouvoir le confirmer.

Si j’évoque tout cela, c’est simplement parce qu’après dix minutes de marche, nous découvrîmes un cadavre mutilé. C’était un homme à qui il manquait un bras, ses yeux et qui était couvert d’hématomes et de contusions.

— Ses blessures sont principalement dans le dos, expliqua Naeviah. Il a sûrement essayé de fuir… Regardez ses éraflures et les feuilles dans ses vêtements. Aveugle, il a essayé de s’éloigner du tertre mais le monstre a joué avec lui… Tsss ! Fallait qu’on tombe sur un monstre sadique.

— Je te signale que TU as décidé pour nous toutes ! lui reprochai-je.

— Il fallait bien le faire de toute manière.

— Je ne vois pas l’intérêt de se plaindre alors…

— Je t’en pose des questions, elfe perverse ?

Je lui tirai la langue mais Naeviah menaça de me l’arracher. C’était de bonne guerre.

— Si ça ne vous indispose pas, je vais utiliser ma magie pour l’interroger.

— Ah… oui… tu peux faire ça, dit Tyesphaine.

— Je l’avais aussi oublié… Cela dit, rien d’étonnant pour une prêtresse d’Uradan, dis-je non sans rechercher autour de nous un œil flottant.

Malgré mes sens surdéveloppés, je n’en pas encore aperçu.

— Et donc, votre réponse ? Je préfère demander, car parler avec les morts choque souvent les témoins.

Nous acceptâmes.

Naeviah soupira, puis, tourna le cadavre sur le dos. Elle prit dans ses affaires six clochettes qu’elle disposa autour du cadavre de sorte à former un hexagramme.

Elle les fit tinter à tour de rôle, ferma les yeux et se concentra quelques minutes. Elle procéda ainsi trois fois avant de se mettre à incanter au son de la dernière clochette qui cessait de tinter :

« Que les six cloches résonnent, que les âmes au-delà des portes se regroupent et leurs voix expriment leur adoration envers la Mère Bienveillante des terres mortuaires. Yid’jan ! »

Tyesphaine et moi restions silencieuses, mais aux aguets. Il n’était pas question que notre adversaire en profitât.

C’est avec stupeur que nous vîmes soudain le corps se redresser en position assise et ses lèvres s’agiter.

— Toi qui par-delà la mort m’a convoqué, qui es-tu donc pour ainsi me tirer du repos mérité ?

Le cadavre parlait en mortuaris. Je me demandais pourquoi ? Il y avait peu de chance que le défunt ait connu cette langue avant son décès, pourquoi d’un seul coup devenait-il capable de l’employer ? Et en plus, dans des formulations compliquées…

— Je suis Naeviah, fille bien-aimée de la Déesse Outre-tombale. Ma voix inspire le respect et ma foi ma légitimité.

— Parle sans plus tarder, ô épouse de la mort.

— J’aimerais cueillir tes derniers instants, noble esprit. Nous qui nous trouvons de ce côté des portes, cherchons à te venger et porter justice. Tes informations nous seraient précieuses.

À chaque fois que le cadavre ouvrait la bouche, une puanteur de charogne s’en dégageait. Honnêtement, c’était immonde. Mais par respect envers ce brave mort au combat, je pris sur moi pour rester impassible.

Tyesphaine eut plus de mal, elle toussota quelques fois. Ce genre de pestilence n’était sûrement pas quelque chose qu’une adepte de la beauté pouvait tolérer.

Dans les grandes lignes, il nous expliqua ce que nous avions déjà deviné concernant sa mort : il avait perdu la vue, était parti dans la direction opposée au monstre qui l’avait suivi et torturé quelques minutes durant avant de se lasser et de l’achever.

Le combat avait sûrement eu lieu à quelques centaines de mètres de notre position, considérant le temps qu’il disait avoir marché. Les combats n’étaient donc pas centrés sur le tertre, comme je le pensais, le monstre guettait jusqu’à des kilomètres aux alentours.

Quant aux capacités de ce dernier, il répéta ce qu’on avait appris plus tôt à l’exception de…

— Notre prêtre… de Nyana… il.. a réussi à lui infliger une blessure… qui n’a pas guéri… avec un sort d’étoile filante…

Très précieuse information ! Il avait donc une capacité de régénération conditionnelle.

Si la plupart des monstres qui régénéraient avaient pour limite les blessures mortelles, telles que la décapitation, le démembrement intégrale, il en existait d’autres dont la guérison était telle qu’ils pouvaient se restaurer à partir de petits morceaux. Généralement, la nature était ainsi faite (ou plutôt la magie) qu’il y avait toujours l’un ou l’autre élément qui pouvait la mettre en tort.

L’Énucléateur était sûrement de ce type-là et sa faiblesse semblait être la lumière.

Par chance, nous avions une prêtresse capable d’en utiliser. Ce qui fut doublement notre chance était le fait que Lunaris accueillait un grand temple de Nyana.

En effet, mis à part les cultes de cette dernière et d’Uradan, peu de prêtres avaient des sorts offensifs de l’élément « lumière ». Nous connaissions bien la magie de Nyana, ayant affronté Claryss en combat.

Je souris avec satisfaction en fixant Naeviah, qui fit de même. Elle libéra l’âme du sortilège et lui rendit le repos éternel avec la promesse de lui apporter les sacrements adéquats à notre retour. Nous traduisîmes la conversation à Tyesphaine.

Notre plan d’attaque s’affinait.

***

Finalement, seule Tyesphaine et moi arrivâmes aux pieds du tertre.

Naeviah nous suivait de plus loin, elle était l’un des composants du piège. Je l’avais dit qu’il serait en deux étapes ! Cela dit, il aurait été plus juste de parler de « piège en oignon » à ce stade…

— Eh oh ! Vous êtes là ? Vous, prédateur des souterrains, qui avez pris pour cible le village ?

Pas de réponse. Je me tournai vers Tyesphaine et hochai légèrement de la tête.

— Nous… aimerions vous proposer… un marché…, dit cette dernière timidement.

— Nous venons en amies ! Si vous écoutez notre proposition, vous pourriez avoir encore plus d’humains à énucléer, je vous le promets.

— Nous… voulons juste leur… butin en échange…, dit Tyesphaine.

Je savais pertinemment que si je pouvais passer pour crédible, ce n’était pas le cas de notre paladine. Mais tout cela faisait partie de notre plan.

En un sens, une créature puissante et stupide est parfois plus difficile à manipuler qu’une créature puissante et intelligente. La raison était simplement l’ego. Une créature intelligente en avait forcément un, il était possible de la tromper et de tourner la table à son avantage, là où un monstre stupide n’aurait fait que foncer droit devant lui.

— Des mortelles qui me proposent un marché ? C’est fort étonnant… et intéressant…

À ce stade, je savais déjà une chose : il avait mordu à l’hameçon.

Sans l’incompétence à mentir de Tyesphaine (qui était tout à son honneur), cela n’aurait certainement pas fonctionné aussi bien. Si cette grosse méduse flottante, grosse comme trois humains, venait de sortir du tertre c’était uniquement parce qu’elle avait repéré que nous mentions.

Sa couleur était grisâtre, elle n’avait pas de bouche, mais, sur le sommet de son corps, un semblant de faciès trop inhumain pour être déchiffrable. Quelques plaques osseuses s’agitaient dans son corps spongieux. Collés sur son épiderme des dizaine de globes oculaires.

Elle s’était sûrement sentie insultée, ou alors pensai jouer avec deux proies impertinentes. Selon ma supposition, elle avait repéré Naeviah et savait que nous lui tendions un piège.

Pour rendre Naeviah plus attractive, elle s’était équipée de sa faux, de divers accessoires et était maquillée en noir comme une gothique ou une nécromancienne profane. Comme je l’avais dit, il fallait que nous ayons l’air d’aventurières confirmées dont le plan était amené à échouer.

Il aurait été possible de faire porter sa robe à Naeviah pour que le monstre sût de suite qu’elle était une prêtresse, mais en l’affublant d’un déguisement raté, car personne n’aurait tenu cet accoutrement pour vrai, il relâcherait un peu sa garde (puis, il ne la prendrait pas pour cible prioritaire).

— Oh ! Je suis ravie de vous voir venir à nous, noble prédateur. Votre nom est conté en ville et dans tous les villages alentours.

— Vous me flattez…

— Je n’exagère nullement. Voyez-vous, dis-je en faisant un petit clin d’œil à Tyesphaine, nous nous fichons de tous ces gens qui meurent. L’argent, c’est le nerf de tout ! Si pour vous, ces petites choses étincelantes n’ont guère de valeur, elles en ont pour nous.

— En effet, je ne peux nier n’avoir aucun intérêt pour la monnaie humaine. Mais quel est donc ce marché qui me dissuaderait de vous tuer ici-même ?

Je fis semblant d’être effrayée, je reculai d’un pas.

— Oh là ! Ne prenez pas ombrage de mes propos, noble créature !

Je ne savais même pas où je trouvais la force de mentir comme je le faisais. J’étais sûre qu’ultérieurement Naeviah me traiterait de « vilaine fille ». De toute manière, après un plan pareil, même moi je le pensais. Qu’il fût couronné de succès ou non…

— Voyez-vous, les gens du village ont passé un accord avec la ville, ils comptent tous partir. Votre réputation est devenue telle que plus personne ne veut s’approcher d’ici. Mais, si nous sommes là, c’est parce que nous pouvons tromper nos similaires pour les attirer à vous.

— De quelle manière ?

— Déjà, nous pourrions leur dire que vous n’êtes plus en vie. En rapportant les cadavres ci-présents, ils penseront que nous vous avons vaincu. De même, il nous serait possible d’attirer les voyageurs qui ne sont pas au courant de votre localisation.

Pendant que nous parlions, conformément au plan, Naeviah faisait le tour pour l’attaquer de flanc.

— Et… nous pouvons également vous aider à trouver des cachettes… pour échapper aux soldats… et vous faire approcher du refuge… des humains…

La méduse géante garda le silence, elle semblait méditer quant à nos propos.

— Ma foi, c’est la première fois que des humains semblent être aussi sensésMmm… Scellons donc notre accord.

L’Énucléateur s’approcha de nous et s’arrêta à cinq mètres environ. Le voir d’aussi près n’était vraiment pas rassurant, en fait, il était sacrément écœurant…

— Peut-être qu’en gage de confiance, humaines, vous pourriez déposer vos armes.

— Hein ? m’écriai-je. Nos armes ?

Il me testait. Je m’y étais attendue.

— Oui, y a-t-il un problème ?

— Je… Nous…

Je me tournai vers Tyesphaine et hochai la tête pour lui dire que je m’en occupais. Puis, je déposais mon épée au sol et m’avançai de quelques pas.

Le monstre s’avança également et tendit un tentacule comme pour me serrer la main.

Mais à ce moment-là…

— Naeviah ! criai-je tandis que Tyesphaine dégaina sa rapière.

Notre prêtresse se mit à incanter un sort de lumière et, conformément à mes attentes, je vis une dizaine d’yeux sortir de leur cachette dans les arbres pour flotter au-dessus d’elle en cercle. Ils s’apprêtaient à faire feu lorsque je tendis la main :

« Syelboer (Fire Ball) !! »

Je visai une branche d’arbre, la boule de feu explosa en englobant tous les yeux et en évitant Naeviah.

Cependant, Tyesphaine apprêta son bouclier et chargea. Je me jetai de côté en effectuant une roulade : je savais fort bien ce que l’Énucléateur allait faire.

Sortant par les pores de sa peau, un nuage de gaz violacé se répandit autour de lui et déferla sur Tyesphaine. Je fus prise en partie dedans. Le volume généré était bien supérieur à mes attentes et ne me permit pas de complètement l’esquiver.

Néanmoins, j’avais prévu également la possibilité de mon échec.

Rapidement, je perdis la vue. La suite de mon récit se base sur ce que j’entendais et sur ce que les filles me rapporteraient par la suite.

Tyesphaine tomba à genoux, mais c’était uniquement pour tromper l’ennemi.

— Je… je ne vois plus rien…

Se cachant derrière son bouclier, elle utilisa une de ses capacités pour s’immuniser temporairement à la maladie et aux poisons. Elle aurait peut-être pu l’utiliser sur moi également, mais j’avais prévenu qu’avec la quantité d’yeux qu’avait le monstre, il serait capable de voir à 360 degrés, il serait donc impossible de le faire discrétement.

Avec deux ennemis neutralisés, le monstre tourna ses tentacules vers Naeviah qui venait d’achever son incantation :

« … que ton châtiment s’abatte. Forgaer ! »

Un rayon de lumière quitta ses mains et transperça en partie le monstre qui poussa un hurlement de douleur. Naeviah ne maintint pas l’attaque et, pour cause, elle savait que l’Énucléateur la prendrait pour cible unique à présent.

Les tentacules se dirigèrent tous dans sa direction, mais Mysty reprit sa forme normale et s’interposa. Habilement, utilisant ses dagues, elle les trancha et les dévia. Deux d’entre eux parvinrent malgré tout à la toucher et à l’enserrer. Avec agilité, avant qu’ils ne pussent lui arracher les yeux, elle se glissa hors de l’étreinte.

L’Énucléateur, les tentacules aux prises avec Mysty, projeta autour de lui une dizaine d’yeux : c’était manifestement sa limite de contrôle.

« Syelboer (Fire Ball) !! »

Je tendis les mains dans la direction que m’indiqua Tyesphaine et tirai ma boule de feu.

— Maintenant…

N’écoutant que sa douce voix, je concentrai ma magie et fit exploser la sphère magique en pleine course. Elle frôla Mysty et Naeviah et carbonisa une fois de plus les dix yeux à la fois. Il ne fallait absolument pas lui laisser le temps de commencer à tirer !

Je ne voyais rien. Mais Tyesphaine qui avait réussi à tromper notre ennemi était devenu mes nouveaux yeux.

J’utilisais mes oreilles pour ajuster les informations reçues. Contrairement à ce que j’avais vu dans certaines fictions de mon ancien monde, le fait de perdre un sens ne rendait pas les autres plus efficaces. Du moins, pas aussi rapidement, à la longue on finissait par compenser, évidemment.

Surpris par mon intervention, le monstre eut un moment de relâchement : Mysty en profita pour lui planter ses dagues empoisonnées dans le corps avant se retirer en effectuant des salto arrières. Par chance, il volait suffisamment bas à ce moment-là pour qu’il fût atteignable.

Naeviah se remit à incanter :

« Que s’ouvrent les mains de la Fossoyeuse… »

Sa colonne de lumière était un choix judicieux mais risqué en raison de Tyesphaine qui venait de lancer une charge. Voyant un ennemi déferlé sur lui et un nouveau sort en préparation, le monstre se rendit invisible grâce à un pouvoir magique.

C’était une bonne idée, mais c’était sans compter sur mes sens elfiques.

En raison des différentes blessures que l’Énucléateur avait déjà subi, je sentais assez distinctement l’odeur de son sang malgré son invisibilité. D’ailleurs, cette dernière n’avait aucune chance d’affecter quelqu’un qui ne voyait déjà plus.

Même si le fait qu’il flottait dans les airs réduisait grandement le bruit qu’il engendrait, il était trahi par son hémoglobine.

— Tyesphaine, à droite ! Trois heures ! Maintenant !

Tyesphaine illumina sa rapière de sa magie sacrée et porta un coup d’estoc qui s’enfonça dans la masse invisible. Grâce à elle, Naeviah qui venait d’acheter son incantation put localiser sa cible :

« …Que s’abatte son souffle sur mes ennemis ! Shi’zar’vorox ! »

Lorsque j’entendis Tyesphaine se jeter en arrière, j’achevai également mon incantation :

« …calcinez mon ennemi ! Shalysith (Purple Flames) ! »

La colonne de lumière et mon oiseau de feu s’abattirent toutes deux en même temps sur notre ennemi qui redevint visible avant de s’écrouler au sol, mort.

Par acquis de conscience et expérience des coups en traître, Mysty ne manqua pas de débiter le cadavre tandis que Naeviah fit tomber une colonne de flammes pour le réduire définitivement en cendres.

— Yeah !! Ton plan c’était trop de la balle, Fiali !! T’es vraiment une putain de tête en vrai !

— Héhé ! Tu en avais douté ? Je suis une magicienne, je te rappelle.

Soudain, je sentis le contact de l’armure de cuir de Mysty ; elle venait de me prendre dans ses bras. Elle se mit à frotter sa joue contre la mienne. Impossible de résister étant encore aveugle. J’étais de toute manière la poupée attitrée de Mysty, à force, je m’y étais habituée.

— Ton plan… était impressionnant…

— Un piège en oignon, dis-je fièrement.

— Pour le nom on repassera…, rétorqua Naeviah.

— L’important c’est qu’il fonctionne. Par contre, ça va durer encore combien de temps cette cécité, c’est pas très agréable…

— Tu veux dire que je suis pas assez douce ? Ah ! C’est à cause de l’armure, tu préfères le contact direct avec mes seins, c’est ça ? Quelle petite perverse ma Fiali !!

Je n’avais aucunement dit cela ! Mysty, ton excès de liberté était parfois effrayant !

Comme je le pensais, on ne tarda pas à nous séparer. Naeviah me prit la main.

— Je vais m’occuper de cette elfe aveugle. Si vous pouviez faire le tour pour trouver tous les cadavres… J’aimerais les ramener au village.

— Tsss ! Pourquoi j’peux pas m’occuper de Fiali ?

Mysty m’attrapa l’autre main.

— Parce que tu es trop amicale !

— Mais, y a pas de mal à l’être !

J’écoutais la conversation tiraillée des deux côtés.

— Je vais la guérir, c’est bon ! Je voulais lui faire regretter un peu ses actions inconsidérées mais tu as tout gâché !

Elle avait un sort pour guérir le poison…

Quelles actions inconsidérées ? me demandai-je avant de poser directement la question.

— Tu as failli nous carboniser, je te signale !

— Ah bon ? Pourtant, j’ai suivi les indications de Tyesphaine.

— C’est bon, y a pas mort de femmes ! Les flammes m’ont à peine léchouillée, mais c’que t’as mis au monstre. Haha haha !

Mysty, toujours positive. Je m’en serais voulue de les avoir brûlées pourtant…

— Mes indications… n’étaient pas assez bonnes… désolée…, s’excusa Tyesphaine.

— Rien à voir, c’est cette idiote qui prend toujours des risques. Comment tu voulais qu’elle soit précise sans ses yeux ? C’est déjà remarquable qu’elle ait réussi malgré tout.

— Héhé ! Ne sous-estime pas mes sens elf…

— Ce n’était pas un compliment ! Je vais t’apprendre à échafauder des plans pareils moi !

— Il avait quoi de mal mon plan ?

Elle ne m’avait toujours pas soignée, au passage. Quelle ingrate !

— Moi j’kiff son plan : il avait des couilles !

— Je préfère ne pas en avoir, Mysty.

— Haha ! J’sais que t’en as pas des vrais, t’inquiète.

Je ne savais si être contente ou non de cette remarque, je levai juste les épaules.

Naeviah repoussa tout le monde avec plus d’insistance et m’assis contre un arbre.

— Je vais te soigner… mais un jour, tu vas y rester sans que je ne puisse rien y faire, bougre d’idiote. Fallait que tu te mettes dans une telle situation ?

Je voyai où ce qu’elle voulait dire, je comptais trop sur ses soins. Mais, d’un autre côté, c’était ce qui nous avait permis de remporter la victoire, pourquoi ne pas les prendre en compte dans la stratégie de combat ?

Pour désenrayer cette crise, je dis simplement :

— Désolée…

Mes yeux s’ouvrirent et purent voir le visage de Naeviah proche du mien, elle gonflait les joues en guise de reproche. Mais je ne perçus aucune méchanceté dans ses yeux, au contraire, ils était bienveillants.

Cette fille s’inquiétait vraiment pour moi, même si je ne comprenais pas bien ce qu’elle voulait que je fisse.

Prise d’un moment de faiblesse et de tendresse, j’ouvris sans réfléchir mes bras et l’enlaçai.

— Que… Que… QU’EST-CE QUE TU FICHES ?!!!

Elle essaya de se libérer mais Mysty, entraînant Tyesphaine, vint se jeter sur nous.

— YEAH !! On est trop forte !!

— Attention… mes pointes…

— Je vais étouffer…

— Vous êtes toutes des IDIOTES !!!

Ainsi se conclut notre seconde mission pour la guilde qui nous valut, malgré nous, une certaine renommée.

Lire la suite – Chapitre 5