Isekai Dakimakura – Arc 5 – Chapitre 5

Suivant notre victoire sur l’Énucléateur Aberrant…

Je m’étais rendue en pleine nuit aux toilettes, la maison en étant équipées. Endormie, je bâillai lorsque soudain la porte s’ouvrit devant moi, à ma plus grande surprise :

— C’est occupé…

J’étais si endormie que je parvins même à rester calme dans cette situation.

Je mourrais d’envie de retourner me recoucher. Je détestais ces interruptions nocturnes dans mon sommeil, mais je ne pouvais dicter à mon corps d’attendre le matin pour ses petits besoins.

Naeviah me jeta un regard froid, prit une inspiration, puis se jeta sur moi.

Les toilettes étaient exiguës, il n’y avait guère que quelques pas à franchir pour m’atteindre.

— Que… qu’est-ce… ?

Prise par surprise et dans une situation désavantageuse, Naeviah n’eut aucun mal à m’attraper les poignets, y passer des fers (depuis quand en avait-elle ?) et ensuite mettre sa main sur ma bouche.

Je rougis en me mettant à gigoter. Avant que je ne pus crier pour appeler de l’aide, elle enfonça un bâillon dans ma bouche, puis m’attacha les jambes à l’aide d’une cordelette.

Plus encore que la brutalité de l’acte, c’était surtout son caractère inattendu qui me laissa sans réaction. Elle était mon amie, pourquoi me ferait-elle une telle chose ?

Une part de moi refusait de croire ce qui se passait.

À moins que…

Des images fugaces de pratiques sexuelles à base de cordes me passèrent par l’esprit. Il n’était pas impossible que, même si elle n’en disait rien, Naeviah trempait dans ce genre de fantasmes.

Chaque personne garde secret ses attirances en la matière, je savais pertinemment ne pas connaître celles de mes amies… et peut-être moi-même en avais-je que j’ignorais.

Néanmoins, au-delà du fantasme… ce n’était pas vraiment le meilleur moment !

Naeviah m’installa sur le siège des toilettes, puis s’épongea le front. Elle me fixa droit dans les yeux et approcha ses lèvres de mes oreilles pour y chuchoter :

— Juste pour confirmation : est-ce que tu es d’accord pour dire qu’Isabella est une vile traîtresse ?

Je ne comprenais pas le sens de sa question.

Naeviah était bizarre cette nuit-là. La lueur de la lune qui filtrait à travers la petite fenêtre de la pièce lui donnait un air réellement lugubre de conspiratrice. Je ne voyais pas ce que Isabella venait faire dans cette affaire.

Malgré l’embarras de ma situation où je n’avais rien pour couvrir la partie basse de mon corps, je n’avais pas envie de mentir à Naeviah. Je secouais la tête pour répondre par la négative.

Ma réponse la fit grimacer un instant, puis elle se ressaisit et me dit :

— Si tu ne réponds pas positivement, je vais te faire des choses… inavouables…

Ses yeux… ils étaient en pleine crise de folie alors qu’elle baissa le regard vers mes jambes que je ne pouvais cacher. Je remuais mais elle continua de me fixer. Si nous avions été dans un manga, elle aurait eu les yeux en spirale avec une bouche en vagues et un filet de bave.

Elle était sérieuse et je n’avais pas les moyens de me défendre !

J’avais trop compté sur mon aura dakimakura ! Normalement, elle aurait dû me mettre à l’abri de ce genre d’attaques inopinées à mon honneur !

Les dieux me l’avaient-ils retirée pour s’amuser plus encore ?

Cela aurait été bien leur style, ces pervers de voyeurs.

« Ton aura se dissipera lorsque mille lunes brilleront au-dessus de ta tête ! ». Un truc du genre !

Aaaaaaaaaahhhhh !!!

Je n’avais pas envie que cela se passe ainsi ! Pas dans des toilettes au moins !!

Néanmoins, je devais reconnaître qu’il y avait une certaine excitation en moi à l’idée d’être ainsi attachée, aux mains d’une jolie fille. J’ai honte… Quelle elfe délurée… Si Naeviah avait lu mes pensées, elle se serait enfuie, sans aucun doute.

Sûrement à cause de ambiguïté de ma position (…), je ne parvins pas à hocher la tête. Une nouvelle fois, je la secouai pour répondre par la négative face. Je ne voyais pas l’ombre d’une traîtrise en Isabella.

Je savais à l’encontre de quoi j’allais, je m’apprêtai donc à subir le châtiment.

Naeviah soupira, puis posa sa main sur mon genou en rougissant jusqu’aux oreilles.

— Je suis sérieuse, tu sais ? Un simple « oui » et j’arrête tout…

Le contact de sa main froide me fit frisonner. Mais une troisième fois, je répondis pas un « non ».

Sa main remonta sur ma cuisse. J’entendis le rythme cardiaque de Naeviah si fort… et le mien se mit au diapason.

Elle posa son autre main sur ma hanche et se rapprocha.

— Tu aimes vraiment ça alors… P.E.R.V.E.R.S.E…

Je gigotai pour lui répondre par la négative (était-ce seulement mes réelles sentiments ?), mais elle continua de se rapprocher et elle finit par poser son menton sur mon épaule.

— Je… je n’y arrive pas… C’est n’importe quoi ce que je fais… Pfff !

Je ne comprenais pas le sens de ses paroles. Si elle ne voulait pas le faire, elle aurait pu s’en dispenser. Venait-elle seulement de se rendre compte de ce qu’elle faisait ?

Même dans cette situation, je n’arrivais pas à la voir comme une ennemie.

Elle resta quelques instants ainsi, sa tête sur mon épaule, à reprendre son calme tandis que je perdais un peu plus du mien.

C’était comme si je réalisai enfin être dans une situation des plus vulnérables.

— Je reviens…

Naeviah s’écarta de moi et quitta les toilettes en silence.

Qu’était-ce donc que cela ? Une forme de sadisme ? Me laisser là, attachée, à la merci de tous, sans rien m’expliquer ?

Pou… Pourquoi ?!

Heureusement, elle ne tarda pas à revenir avec une fiole en main.

Que… Que… ? Elle voulait me droguer pour me transporter ailleurs ?

NAEVIAHHHHH !!!!

Je m’agitai encore plus en essayant de hurler, mais elle me mit la main sur la bouche et me fixa avec son habituel regard courroucé.

— Arrête ça ! Si tu ne te calmes pas, je vais vraiment devoir te faire du mal…

C’était facile à dire pour elle, j’étais livrée à ses caprices, moi !

Sous intimidation, je finis par me calmer.

— Je vais baisser le bâillon, mais si tu essayes de crier…

Elle ne finit pas sa phrase, ses menaces me paraissaient claires.

Sans défaire le bâillon, elle le baissa suffisamment pour libérer ma bouche. Aussitôt, je voulus lui dire :

— Pourquoi tu… ?

Mais, elle enfonça le goulot de sa potion dans ma bouche et y fit couler un liquide visqueux et amer. Je le recrachai aussitôt.

— Pourquoi tu veux rendre les choses difficiles… ? grommela-t-elle.

Elle m’attrapa le visage d’une main et inséra à nouveau la potion entre mes lèvres. Je me débattis, mais cette fois elle versa tout le liquide sans ménagement. Sans me laisser le temps de réitérer, elle me pinça mon nez pour m’obliger à avaler.

À cet instant, je me demandais bien quel genre de drogue elle m’avait fait boire et ce qu’elle comptait me faire.

En tout cas, mon aura dakimakura était bel et bien perdue. Considérant les actions violentes qu’elle entreprenait envers moi, je ne pourrais plus jamais m’y fier. Il valait mieux que j’apprisse à être prudente à nouveau… et à verrouiller la porte des toilettes.

Mais, en réalité, je me trompais : l’aura dakimakura faisait toujours effet.

Je ne sentis aucune réaction dans mon corps après l’absorption du liquide dont j’ignorais la composition. À part son goût infect qui persistait en bouche, aucun effet.

— Fiali, fais-moi confiance. Même si j’ai été dure… et violente… je… je n’ai pas l’intention de te faire du mal.

— Ce n’est pas vraiment ce qu’on pourrait penser.

— Je sais ! dit-elle en s’emportant un peu, avant de reprendre sur un ton plus calme. J’ai besoin d’être sûre que ça a marché. Je répète ma question : es-tu d’accord pour dire que notre hôte Isabella est une traîtresse ?

Encore cette question ? Que voulait-elle entendre de ma part au juste ?

Pourquoi tenait-elle à ce que je calomnie notre bienfaitrice ?

— Je ne pense pas qu’elle…

Naeviah afficha une mine contrariée, elle colla à nouveau sa main sur ma bouche et, cette fois, avec plus de détermination me dit :

— Réponds « oui », sinon tu sais ce que je vais faire…

Ses yeux étaient on ne peut plus sérieux ! Elle allait réellement mettre les menaces en application cette fois ! J’acquiesçai immédiatement.

Mais…

— On dirait que ça a marché… Ouf !

Elle me relâcha et s’épongea le front. Son expression s’adoucit d’un seul coup.

— Tu peux le dire à haute voix ? Enfin pas trop fort non plus…

— Oui… Enfin, je ne pense pas qu’elle le soit, mais admettons. J’ignore pourquoi tu tiens tant que à me le faire dire…

— Tu me fais confiance ?

— Oui. Pourq… ?

— Plus qu’à Isabella ?

— Sans aucun doute. Je la connais à peine. Même si après ce que tu viens de faire…

Naeviah posa sa main sur sa poitrine, j’avais l’impression qu’elle souffrait.

— Tu as mal à quelque part ?

— Bien sûr, idiote !

Elle mit les mains sur sa bouche en remarquant qu’elle parlait un peu trop fort. Elle tendit l’oreille dans le couloir et n’entendant pas de réactions…

— Elle est de garde cette nuit, heureusement.

— Tu peux m’expliquer ? Non, avant ça, tu peux me libérer ? Je n’avais pas vraiment fini, tu sais ?

Naeviah me jeta un regard de dégoût, puis défit les liens de mes jambes puis retira les fers à mes poignets.

— Je t’attends au salon. Je… je m’excuse pour tout ça… Même si je t’ai parue être une… détraquée… je…

— J’ai compris, tu ne le faisais pas pour t’amuser, mais pour une vraie raison.

Elle acquiesça à la fois soulagée et contrariée. Je ne comprenais pas la raison de cette contradiction émotive, mais elle ne tarda pas à me demander :

— Tu vas me pardonner ? Si facilement ?

— Bah, oui. Je ne comprends pas encore tout, mais bon au final, il ne m’est rien arrivé de mal.

Puis, je ne pouvais pas lui avouer certaines choses honteuses.

— Tsss ! Tu prends vraiment tout à la légère…

— Tu préférerais que je me mette à crier ?

— C’est pas ce que j’ai dit. Je…

— Bah, dans ce cas, j’attends des explications de ta part. Par contre, si tu veux bien m’excuser… à moins que tu n’aies décidé de rester pour regarder ? À ce stade, je ne saurais plus qu’en penser…

Elle rougit jusqu’aux oreilles tandis que des larmes s’accumulèrent au coin de ses yeux. Je pouvais lire sur ses traits la parole : « PERVERSE !!! », mais au lieu de crier, elle s’enfuit sans demander son reste.

Une fois seule, je soupirai longuement en portant la main à ma poitrine.

— Est-ce que j’arriverai vraiment à ne pas en tenir compte ? me demandai-je à basse voix. Est-ce que cela ne rendra pas notre relation plus compliquée encore ?

Je soupirai…

***

— Ce que je m’apprête à te dire va te surprendre…, dit Naeviah en marquant une pause.

Nous étions toutes les deux au salon, assises sur le canapé. Nous étions en pleine nuit, la lumière de la lune filtrait à travers les rideaux. Dehors, les rues étaient silencieuses.

— Isabella est une vampire.

Je la regardai impassible. Je me demandai sur quel point elle se basait pour émettre une telle hypothèse, mais sa préoccupation était autre.

— Tu ne vas pas me dire que c’est n’importe quoi ?

— Euh… non. Je me demande simplement ce qui te le fait penser et si c’est vraiment grave. Si tous les vampires sont gentils comme elle…

— Elle n’est pas gentille !

— Chut !!!

Naeviah se calma et serra entre ses bras un gros coussin. Puis, elle se tourna vers moi, les pieds sur le canapé, adossée à l’accoudoir d’une extrémité du canapé.

Je l’imitai et me tournai vers elle également.

— En fait, si j’ai fait tout ça… dans les toilettes… C’est… C’est parce qu’elle nous a empoisonnée avec son sang.

— Explique-toi, s’il te plaît.

Les vampires avaient été un de mes monstres cinématographiques préférés, j’avais pas mal de connaissances sur eux, mais je me doutais qu’elles ne colleraient pas à celle de ce monde. Au fond, c’était les vampires littéraires et hollywoodiens que je connaissais vraiment.

Mon mentor ne m’en avait jamais parlé, les morts-vivants n’étaient pas sa spécialité. Contrairement à Naeviah, une prêtresse de la déesse de la mort, une spécialiste de la traque aux morts ambulants.

— Les vampires font partie des morts-vivants les plus sournois. Ils ressemblent traits pour traits à des humains, à l’exception de leurs crocs et de leurs yeux rouges quant ils sont en déprédation.

Jusque-là, ses informations collaient aux vampires que je connaissais.

— Normalement, ils sont sensibles à la lumière du jour et ne peuvent pas sortir en journée.

— Ce qui n’est pas le cas d’Isabella, fis-je remarquer.

— Je sais ! Il y a des légendes qui parlent de vampires diurnes, des naptelios.

Qu’on pourrait traduire en japonais par « marcheur de jour » ou encore « day walker » en anglais.

— J’en ai entendu parler aussi, avouai-je.

— Encore une fois, tes connaissances sont remarquables. Même dans mon culte, peu en connaissent l’existence et encore moins y croient.

— Héhé ! Mon mentor…

— Oui, je sais. Si je le rencontre un jour, il faudra que je le félicite d’avoir fait entrer quelque chose d’utile dans cette caboche.

Elle posa son doigt sur mon front. Je suppose qu’à la base, elle voulait me donner une pichenette, mais mon aura l’en empêcha. En effet, elle marchait bel et bien.

Toute personne perspicace l’aura deviné à ce stade : l’aura me protègeait, ce qui voulait dire que les actions violentes de Naeviah à mon égard avaient été en réalité pour mon bien.

Je ne commentai pas et la laissai poursuivre :

— Les vampires ont pour moyen de reproduction… rien de sexué, ne te fais pas d’idées, elfe perverse !

— J’ai rien dit.

— Mais tu le pensais !

— Arrête de crier.

En fait, je n’avais jamais pensée à quoi que ce fût de sexuel à cet instant. Je m’étais simplement demandée si comme dans les films il suffisait d’être mordue pour devenir un vampire. J’avais toujours trouvé cela trop facile et rapide. S’il n’avait pas une contrainte à ce mode de propagation, l’infection vampirique battrait rapidement son plein, non ?

Je veux dire… Les virus normaux avaient une capacité de propagation incroyable déjà, mais ils étaient soumis à la mobilité de leurs hôtes. Pour qu’un virus infecte un nouveau sujet, il était dépendant de la capacité de son porteur à interagir avec d’autres humains. Ainsi, un infecté mis en quarantaine, par exemple, devenait incapable de le répandre.

Dans le cas d’un virus zombie, l’hôte infecté continuait de bouger et était capable de le transmettre par simple morsure. De plus, le zombie était généralement plus fort et endurant qu’un humain, il n’avait plus les limitations normales d’un corps vivant. De fait, la propagation ne pouvait être réduite qu’en éliminant les hôtes du virus capables de se déplacer à leur guise.

Mais, lorsqu’on se parlait de ce genre de vampirisation, c’était encore pire.

En effet, les zombies étaient certes forts mais décérébrés, ce qui constituait leur grande faiblesse. Pour leur part, les vampires avaient des capacités cognitives identiques, voire supérieures ,à celles des humains ordinaires (du moins si on se basait sur les films et romans). La maladie devenait dès lors capable de se déplacer mais également d’élaborer des plans sournois tel que se camoufler au sein de la masse humaine. Si les vampires pouvaient infecter par simple morsure, qu’est-ce qui en limitait la propagation ? Pourquoi le monde n’était-il pas déjà dans leurs mains ?

Dans mon ancienne vie, j’avais toujours tenu les films adoptant ce point de vue comme peu crédibles.

De fait, je m’attendais plutôt à ce que la transmission du vampirisme passât par un échange de sang.

Le sang était un élément primordial lorsqu’on parlait de vampires.

— Pour créer d’autres vampires, il faut qu’ils boivent le sang de la victime et donnent le leur pendant sept jours d’affilés.

Sept jours ? Aucun film n’était parti sur un échange aussi long. Je commençai à deviner la suite.

— Tu dois te dire que c’est difficile de nourrir un humain pendant sept jours, non ? Mais, en fait, à chaque absorption de sang, la volonté de la victime s’effrite et elle perd sa méfiance à l’égard du vampire.

— Je crois que je vois ce que tu veux dire.

— Si j’ai bien calculé, nous sommes au sixième jour. La prochaine nuit, vous deviendrez des vampires à son service. Les nouveaux vampires sont toujours soumis à leurs créateurs, le sang en faisant des sortes d’esclave. On parle bien d’un rite d’émancipation, mais je n’en sais que trop peu à son sujet.

— C’était la raison de ta question ? Tant que j’étais sous l’emprise de son sang, je ne pouvais pas dire du mal d’Isabella.

C’était vicieux, particulièrement sournois même. Plus le temps s’était écoulé, plus mon esprit critique s’était affaibli envers Isabella. L’idée même qu’elle aurait pu être une mauvaise personne avait disparu jusqu’à ce que Naeviah ne m’ait fait boire sa potion.

Les bienfaits de celle-ci ne m’étaient pas apparus de suite, c’était simplement parce que le changement avait été subtil.

Naeviah avait certainement raison : nous avions été trompées, notre hôte s’était jouée de nous !

— Elle nous a bien eues. Il faut qu’on se débarrasse d’elle avant qu’elle ne se rende compte que nous ne sommes plus sous son emprise.

— Tu peux le répéter ?

— Hein ? Tu veux que je répète quoi ?

— Ce que tu veux lui faire ?

Je souris. Je me rendis compte qu’elle l’avait réalisé avant nous, elle avait essayé de m’avertir en me parlant de ses doutes, mais je m’étais montrée sceptique, voire moqueuse. Elle avait dû se sentir isolée en nous observant sombrer.

Ce qu’elle voulait entendre…

— En fait, j’hésite si l’empaler, lui couper la tête, la désintégrer à l’aide de mon plus puissant sortilège ou alors la faire brûler à l’aide d’une avalanche de boules de feu.

Naeviah, dans un de ses rares moments d’honnêteté, me sauta dans les bras et en se mettant à pleurer.

— Merci !

Bien que surprise, je passai mes bras autour d’elle et lui caressai le dos.

— C’est plutôt à moi de te remercier, peu s’en est fallu que je devienne une suceuse de sang immortelle.

Ce qui aurait été un bel échec de ma mission. Impossible de finir ma recherche des elfes avec une maîtresse qui m’aurait empêchée de partir. Sans parler du fait que je ne désirais pas l’immortalité vampirique.

— Désolée… pour avant…

Merci et désolé… deux mots qu’elle ne disait jamais. À ce moment-là, c’était presque comme être témoin d’un mirage. Elle s’était excusée déjà dans les toilettes, c’était la seconde fois : incroyable !

J’aurais pu suivre la mouvance du moment, mais j’aurais eu l’impression de profiter d’une Naeviah affaiblie par les événements, par le stress et les doutes qu’elles avait dû porter seule sur ses épaules pendant ces derniers jours.

— Ça ne te ressemble pas…

— Dis pas n’importe quoi.

— En plus… tu ne portes pas de soutif ? Tu n’essayerais pas de me draguer en te collant à moi ou un truc du…

Elle me poussa brutalement avant de se cacher derrière un coussin. J’entendis son cri étouffé me traiter de perverse. Je ne pus m’empêcher de me sentir soulagée : elle était revenue à la normale.

— Tu… tu es vraiment impossible. Je ne sais même pas pourquoi je t’ai sauvée, dit-elle en détournant le regard. En tout cas, j’espère que tu ne me tiendras pas rigueur pour ce que j’ai fait.

— Tu l’as fait pour mon bien. C’est bon, tu es pardonnée.

Elle me dévisagea puis soupira.

— Il faut faire quoi pour t’énerver au juste ?

— Tu veux que je m’énerve ?

— Passons…

Je fixai la fenêtre voisine quelques instants, puis finit par lui demander :

— C’est à cause de tes pouvoirs de prêtresse d’Uradan que tu n’as pas été affectée ?

Je ne regardais pas son visage, mais je devinais facilement qu’elle était satisfaite de ma question.

— Oui, je l’ignorais mais le fait d’avoir les grâces d’Uradan me rend immunisée à la vampirisation… on dirait.

— Je me demande si Isabella le sait ?

— Si tel est le cas, elle a sûrement prévu de m’éliminer demain dans la nuit, une fois vous autres transformées en vampires. Il faut espérer qu’elle ne soit pas au courant..

Je souris. Dans le malheur, il y a parfois une part de chance.

— Nos affaires ont été volées et tu n’as jamais porté tes vêtements cléricaux devant elle. Ton pendentif est sous tes vêtements. Elle aurait pu s’en rendre compte pendant notre combat l’autre jour, mais tu te battais de mon côté. Il y a vraiment des chances qu’elle ne sache même pas que tu appartiennes au culte.

Je fixai en direction de sa poitrine : son symbole divin devait sûrement se trouver là, sous son pyjama.

— Quand bien même sait-elle pour l’immunité du clergé d’Uradan, rien n’indique qu’elle te suspecte d’en faire partie, repris-je.

— Oui, en effet, ton raisonnement se tient…On a peut-être eu de la chance sur ce coup-là. Même si je me demande…

— Quoi ?

— Pourquoi nous ? Je veux dire, nous étions juste de passage ?

— Nous sommes allées la voir pour dénoncer le vol. Elle nous aura choisie à ce moment-là.

Mon explication se résumait au « hasard ». Néanmoins, je ne pouvais lui dire que j’étais la fautive, que c’était sûrement à cause de mon aura dakimakura qu’elle m’avait choisie et indirectement elles aussi…

Je supposais que de son point de vue, faire de moi une vampire n’était pas une action maléfique. Au contraire, elle m’octroyait son amour, l’immortalité et la puissance. C’est pourquoi l’aura dakimakura ne m’avait pas protégée contre sa tentative de vampirisation.

C’était ses limites et sûrement les dieux avaient dû bien se divertir en me voyant tomber dans le piège d’Isabella.

D’ailleurs, en parlant d’auras…

— Ah tiens ! Comment se fait-il que tu ne l’aies pas détectée dès le début ? Je veux dire, en tant que prêtresse, tu as bien la capacité de voir les auras impies, non ?

— En effet. Mais elle n’en a pas.

— Hein ? Elle ne serait donc pas maléfique ? demandai-je en penchant la tête de côté, interloquée.

— Je ne suis pas un détecteur à mauvaises pensées, tu sais ? Sinon je serais constamment en alerte avec tes idées déplacées.

— Je m’y attendais à celle-là… De toute manière, si c’est comme la perception des flux magiques, ce n’est pas parce qu’on voit un phénomène qu’on le comprend.

— C’est un fait. Et d’autre part, ma détection des auras impies et sacrées n’est pas passive comme ta propre vision.

En effet, les mages humains devaient activement employer leur pouvoir magique de « perception de la magie » pour voir les flux et auras. C’était parce que j’étais une elfe que mon corps réagissait en permanence à la magie, pour le meilleur et pour le pire.

— Oui, c’est un sens inné chez moi, confirmai-je.

— Vous autres elfes êtes vraiment avantagés.

Difficile de le nier, c’est pourquoi je souris un peu gênée.

— Puis, il y a une dernière raison : les vampires sont doués pour se cacher au sein des humains. Ce sont des prédateurs sociables. S’ils pouvaient être démasqués par une simple analyse d’aura, ce serait trop facile. La seule exception à cette règle, ce sont les vampires qui prient activement des démons ou qui emploient de la magie interdite. Comme les humains, cela teinte leur aura de manière irrémédiable.

— Je vois. Merci pour ces explications. Au fait, ma vampirisation est déjà achevée ou pas ? Je risque de me transformer demain, maintenant que tu as brisé son emprise ? D’ailleurs, elle s’y prend comment ? Car je ne ne me suis jamais rendue compte de rien malgré mes sens elfiques…

— Le vin…Elle y a mélangé son sang et peut-être même un somnifère léger pour ne pas nous réveiller lorsqu’elle vient nous mordre en pleine nuit. Au début, je me suis aussi faite avoir. Celui qu’elle nous a servi le premier soir avait un goût plutôt étrange…

N’étant pas une habituée, il m’avait juste paru être du vin normal.

— Je suppose que puisque vous êtes sous l’emprise du sang, vous n’avez plus fait attention à ce goût âcre infect dans le vin. Son sang réduit tout esprit critique à son encontre.

Non, avec ou sans son sang, je n’aurais jamais senti la différence.

— Je pense que les premiers jours, elle avait mélangé du somnifère dedans, mais celui qu’elle nous fait boire depuis quelques nuits doit juste avoir son sang, puisqu’il ne suffit plus à m’endormir suffisamment pour ne pas me réveiller lors de ses visites nocturnes. Je continue de l’accompagner pour ne pas éveiller ses soupçons…

En effet, Naeviah continuait tous les soirs de boire avec notre hôte. Même si le sang de vampire n’avait pas d’effet sur elle, ce n’était pas le cas du somnifère. Avec sa magie, elle aurait cela dit pu le neutraliser facilement, mais je supposais qu’elle avait pris quelques jours à se rendre compte de ce qui se tramait dans cette demeure.

— Tu l’as vue entrer dans notre chambre ?

— Oui, juste les deux dernières nuits. Elle boit notre sang pendant que nous dormons.

Une question me taraudait, c’était l’occasion.

— C’est… comment ?

— Hein ?

— Je parle de la morsure. Il paraît que ce n’est pas désagréable.

Pour ne pas dire aphrodisiaque. Mais peut-être était-ce simplement les vampires romanesques de mon ancien monde.

— Tu… tu es une perverse !

Elle ne répondit pas directement à la question, mais sa réaction me laissa entendre que j’avais vu juste.

Une idée me traversa soudain l’esprit :

— Les rêves érotiques ! C’était à cause de sa morsure et de l’influence de son sang !

— Je le pense aussi.

— Et cette nuit ? Si elle ne boit pas notre sang…

— Elle l’a déjà fait. Elle est passée tout à l’heure en coup de vent. J’ai attendu qu’elle reparte pour te… désempoisonner.

— C’est malin de ta part.

Le plan de Naeviah aurait été plus difficile si Isabella avait dormi à la maison. Je supposai qu’elle péchait d’excès de confiance, elle relâchait elle-même sa garde en nous pensant sous son influence.

Je touchai ma gorge à la recherche des trous de morsure.

— Elle les referme en léchant la plaie. Les vampires sont les morts-vivants les plus lubriques d’entre tous. Quoi qu’il en soit, normalement, ta transformation est arrêtée. Même si elle parvient à te faire boire du sang demain, ce sera comme si elle recommençait tout depuis le début.

— Oh, merci beaucoup ! Je te dois… bah, littéralement la vie.

Elle fit signe de la main de laisser tomber les remerciements, comme s’il l’agaçaient. Ah ! Les tsundere… !

— D’ailleurs, il y a quoi dans ta potion au juste ? C’est un secret de ton ordre ?

Naeviah parut gênée, elle détourna le regard et se mit à balbutier un instant.

— Elle… elle… elle est fait à partir de mon sang… puisqu’il doit avoir une propriété anti-vampire…

Même dans un monde où la science n’avait pas découvert des principes comme le génome, les cellules et toutes les formes de vies microscopiques, le sang restait un élément important dans la médecine. En occultisme également, le sang était au centre de nombreuses concoctions. C’était logique, puisqu’il symbolisait la vie.

C’était sûrement pour cette raison que les vampires le buvaient pour remplacer celle qu’ils avaient perdue.

En soi, je n’étais pas très étonnée, mais le fait qu’elle n’osât pas tourner la tête vers moi m’indiquait qu’il y avait autre chose également.

— À force de boire du sang, je vais vraiment devenir une vampire…

— Quelle blague idiote et déplacée ! Si tu ne l’avais pas bu, tu en serais devenue réellement une !

— Mais il n’y avait pas que du sang, pas vrai ?

— Je… j’ai lancé une prière pour neutraliser les poisons aussi ! Et j’ai aussi ajouté une pointe de mandragore…

— Où en as-tu trouvée, d’ailleurs ?

— Pendant que notre quête, quand je me suis éloignée… Il y en a pas mal dans les forêts aux alentours.

Astucieux, je n’avais rien remarqué.

— J’ai aussi acheté un carat de grenat que j’ai réduit en poudre. Et pour le reste, j’ai beaucoup prié la Déesse de m’aider.

Je gardais le silence pendant un petit moment, la laissant penser qu’elle m’avait convaincue avec son discours mais, à peine la vis-je soupirer de soulagement, que je portais le coup de grâce.

— Et, en plus du sang, tu y as aussi ajouté d’autres fluides corporels d’une prêtresse d’Uradan afin d’augmenter les chances de succès.

— Q-Quoi ?!

— Simple suppo…

Elle ne me laissa pas finir qu’elle m’attrapa par le col, me fit tomber en arrière et me secoua en rougissant de plus belle.

— Je n’ai pas fait ça !! Raconte pas n’importe quoi !!

Son expression et sa réaction me confirmaient l’inverse de ses paroles.

Bah, qu’à cela ne tienne ! Il fallait ce qu’il fallait pour que cela fonctionnât. Entre boire des fluides de Naeviah ou devenir une vampire, le choix était vite fait.

Ma désinvolture ne l’aida pas à se calmer, elle me secoua aux bords des larmes pendant un long moment.

***

Au matin…

J’avais peu dormi. J’attribuais la cause soit à la situation stressante, soit aux effets hallucinogènes de la mandragore que Naeviah avait mélangée à sa potion.

Quoi qu’il en fût, nous avions convenu de profiter de notre journée à la maison — puisque nous avions décidé que suite à notre dernière quête particulièrement difficile, il était préférable de se reposer au moins une journée—  pour faire boire la potion de dévampirisation à nos deux amies.

Naeviah m’avait choisie en première afin de disposer d’une alliée à la fois fourbe et sans scrupule, assurément.

Tyesphaine était trop candide, elle n’aurait pas réussi à nous tromper. Mysty aurait sûrement pu faire l’affaire aussi mais elle était physiquement plus difficile à maîtriser que moi ; l’attaque aux toilettes n’aurait pas fonctionné sur elle, je pense.

Naeviah avait neutralisé le poison dans toute la nourriture de la maison, surtout le vin. Même si Isabella nous en ferait consommer, il n’aurait pas d’effet.

J’avais déjà suggéré mon avis à Naeviah : notre meilleur atout pour le moment était l’excès de confiance que la vampire avait. Après six jours à nous donner du sang, elle semblait ne plus se méfier de nous. Elle nous laissait seules et nous laissait même partir en quête sans venir avec nous.

Il y avait de fortes chances qu’elle ne se doutât de rien. Nous n’aurions qu’une seule chance et notre date butoir était la prochaine nuit. Elle serait notre septième et dernière dose.

Selon Naeviah, la transformation physique surviendrait la nuit suivante seulement. Il fallait probablement laisser le temps à l’organisme d’assimiler totalement la septième. Néanmoins, même si la transformation n’était pas immédiate, rien n’indiquait qu’il était possible d’arrêter le processus passer la dernière injection. Aussi, il fallait agir avant cette nuit.

— J’ai un plan pour Tyesphaine…, lui dis-je lorsque nous fûmes seules. On va jouer sur sa corde sensible…

Je n’étais pas très fière de mon propre projet, mais il n’y avait pas d’autres choix.

En fin de matinée, alors que Mysty était aux fourneaux en train de chantonner paisiblement, j’annonçai :

— Puisqu’il y a un peu de temps avant de manger, je vais aller me laver.

J’avais fait exprès de rester en pyjama, sans m’attacher les cheveux.

Je m’approchai de Tyesphaine et lui chuchotait à l’oreille :

— J’ai quelque chose à te dire, tu pourrais me suivre ? C’est… personnel…

Bien sûr, Tyesphaine mit un moment avant de s’en remettre, je l’avais prise par surprise. Le regard que je jetai à Naeviah en quittant la pièce lui fit comprendre que le moment n’allait pas tarder à arriver.

Tyesphaine me suivit à l’étage, dans le couloir où se trouvait la petite salle de bain. Je m’arrêtai devant la porte et sur un ton faussement timide lui expliquai :

— En fait… c’est un peu gênant… Je… je pense que j’ai un truc dans le dos… ça me pique un peu. Un bouton peut-être… ou autre chose… J’ai peur que ce soit un tique, ou un autre parasite qui m’est tombé dessus en forêt.

— Fiali…

— Est-ce que ça t’embêterai de jeter un œil ?

Je pris ma voix la plus affable et essayai d’adoucir au maximum mes traits. Bien sûr, c’était un pur mensonge, je n’avais rien.

— Euh… oui…

Je commençai à déboutonner ma tunique, avant de me raviser.

— Allons plutôt à l’intérieur… Si Naeviah nous surprend dans le couloir, tu te doutes de ce qui arrivera.

— Pourquoi… moi ?

Tyesphaine avait son teint rouge habituel, elle baissait les yeux et était si craquante. Une part de moi souffrait du mensonge éhonté que je venais de lui dire. Tyesphaine avait le chic pour me faire culpabiliser, elle était un ange incarné.

— Naeviah… Bah, si je lui dis de m’ausculter, elle accepterait, mais si je me déshabille… elle va se mettre à hurler… Et Mysty, elle risque d’en profiter pour me tripoter…

Mes arguments étaient sensés, même si en réalité Naeviah aurait sûrement acceptée sans rien dire. Elle avait beau s’énerver et s’embarrasser, elle restait une prêtresse à l’écoute du malheur des autres.

Je parvins à convaincre Tyesphaine qui me suivit dans la salle de bain. Elle tremblait comme une biche qu’on serait sur le point d’abattre. C’était un curieux spectacle, considérant le fait que j’étais la plus petite et menue des deux.

Malgré l’embarras, pour l’intérêt de la mission, je commençai à retirer mes vêtements. Je me couvris simplement d’une serviette (que délibérément j’attachai avec négligence, l’incitant à tomber facilement).

Tyesphaine tournait son regard, elle avait même mis ses mains sur ses yeux. J’entendais aisément son rythme cardiaque accélérer et sa sueur se faire plus abondante sur sa nuque (elle me tournait le dos).

— C’est bon… Tu peux te tourner. Un grand merci à toi, Tyesphaine. Je suis sincèrement désolée de t’embarrasser, je sais que tu n’es pas à l’aise avec ce genre de choses…

— Non… si c’est pour toi… cela ne me gêne pas… je… je veux t’aider…

Parce que j’étais une fée à ses yeux. Je ne pus m’empêcher d’afficher un rictus insatisfait, mais je l’enfouis immédiatement.

— En tout cas, merci à toi. Je…

À ce moment-là, je fis exprès d’effectuer un geste ample en m’avançant vers elle. La serviette ne tarda pas à se détacher, découvrant toute ma nudité frontale.

Tyesphaine se pétrifia tandis que ses yeux me fixaient. C’était gênant, je ne dirais pas l’inverse, mais j’essayai de relativiser : ce n’était pas la première fois et c’était pour son bien.

Cela faisait partie de mon plan, je savais qu’elle réagirait ainsi en me voyant ; c’était de Tyesphaine dont il était question.

Il ne restait plus qu’une chose à faire : donner le signal à Naeviah.

Je baissai mon regard, puis me grattai la joue.

— Oups ! Bah, tu m’as déjà vue quelques fois. Puis, nous sommes entre filles, ce n’est pas comme si tu allais me sauter dessus pour me faire des choses indécentes… Haha !

Ce qui avait failli arriver lorsqu’elle était possédée par la succube, mais bon…

Tyesphaine ne bougeait plus, elle ne clignait même plus des yeux. Honnêtement, on aurait dit une statue humaine.

— C’est vrai qu’on avait des serviettes, mais on a déjà pris un bain ensemble dans un tonneau

J’accentuai ce mot qui était notre signal avec Naeviah.

Cette dernière ouvrit la porte derrière Tyesphaine et débarqua. Profitant de la surprise et de l’embarras de Tyesphaine, nous la plaquâmes au sol.

Elle n’offrit aucune résistance. Avec nos deux corps sur elle pour l’immobiliser et ma nudité pour arrêter sa capacité à réfléchir, mon plan était parfait.

Pendant que Naeviah retenait les jambes, je pris la potion dans sa poche, la débouchai et la dirigeai vers la bouche de Tyesphaine. En me voyant approcher de la sorte, elle écarquilla les yeux et elle tomba inconsciente.

Voilà qui me facilita grandement la tâche, même si j’avais honte de moi et me sentis si misérable.

À son réveil, quelques secondes plus tard, pour ne pas alerter Mysty, nous continuions de la retenir prisonnière. Je n’avais pas eu le temps de m’habiller.

— Est-ce que tu arriverais à dire qu’Isabella est une traîtresse si je te le demande ?

Je m’inspirai de la question de Naeviah, mais j’eus l’impression de l’avoir posée maladroitement car elle paniqua.

Naeviah, qui était rouge pivoine également, me jeta de côté :

— Habille-toi, espèce de délurée ! Je m’occupe de tout lui expliquer.

— J’aimerais que tu sois plus sympa avec moi : mon plan à fonctionner.

— Mais c’était un plan de perverse que toi seule aurait pu penser. Tsss !

Pendant que je m’habillais, Naeviah fit passer le test à Tyesphaine : elle était libérée du sang d’Isabella, il ne restait plus qu’à faire de même avec Mysty.

Mais avant cela…

Je m’inclinai presque à quatre-vingt-dix degrés et m’excusai :

— Désolée, Tyesphaine !! C’était fourbe de ma part, mais je savais que tu serais embarrassée aussi… c’était efficace.

— Tu… Vous… m’avez sauvée… je… c’est pas grave…

— Merci, Tyesphaine !

Je ne pus contenir mes émotions, je lui pris les mains et la contemplait avec reconnaissance, comme si elle était une sainte.

Mais, à peine baissa-t-elle le regard sur moi qu’elle s’agita et rougit jusqu’aux oreilles. Elle aurait sûrement du mal à se débarrasser de l’image que je lui avais imprimer dans les yeux… Aux grands maux, les grands remèdes comme on disait. Je n’avais pas de regrets.

Le cas de Mysty fut plutôt inattendue.

Une fois le repas fini, elle nous demanda directement :

— Au fait, vous complotez quoi ? J’aime pas trop être mise de côté, vous savez ?

Le plan que j’avais pensé à la base était d’utiliser la force de Tyesphaine pour l’immobiliser et lui faire boire la potion de force. Mais elle nous coupa l’herbe sous le pied avec cette question aussi brusque qu’inattendue.

Naeviah me regarda, elle hésitait et ne savait que répondre.

— Euh… rien, je t’assure, répondis-je.

Mais Mysty vint se placer derrière moi et me posa ses mains sur les épaules.

— J’sais que tu mens, ma Fiali. Si tu ne veux pas que je te chatouille pour te faire tout avouer… ou bien que j’te mordille l’oreille, va falloir passer à l’aveu.

Tel un prédateur en train de jouer avec sa proie, elle me lécha le cou, en menaçant de remonter aux oreilles. Tyesphaine était de nouveau paralysée.

Lorsque Naeviah vint nous séparer :

— Arrête, perverse bis ! Éloigne-toi d’elle !

Mysty l’attrapa à son tour et lui fit subir le même sort.

— Kyaaaaaaaaaa !!!!

— Pas de jalouses ! Haha ! La suivante est Tyes ! Hihihi !

Il fallait à tout prix éviter qu’elle mit cette menace en application ! Contrairement à nous, Tyesphaine n’avait aucune résistance du tout !

Je lui attrapai à la main et la retint. Une idée avait surgi soudainement dans mon esprit.

Mysty était sous l’emprise du sang d’Isabella, mais tant que nous menacerions pas cette dernière, elle n’avait aucune raison d’agir brutalement envers nous.

En partant de ce principe : Mysty restait Mysty. Elle était joueuse, même féline, et aimait les câlins. Aussi, je lui demandai :

— Tu veux savoir ?

— Bah ouais ! Ch’suis vot’ pote ou pas ?

— Et si je te disais que le secret que nous te cachons ne remet pas en question notre amitié, mais qu’il s’agit d’une surprise pour toi ?

— Hoho ! Tu m’excites, Fiali ! C’est quoi ? C’est quoi ? C’est quoi ?

Je jetai un regard en coin à Naeviah qui cherchait à s’enfuir, mais était retenue par Mysty de plus en plus agitée.

— Tu m’intrigues, c’est ce que tu aurais dû dire, la corrigeai-je.

— Nope, tu m’excites, ma Fiali !

Je n’aurais pas dû la reprendre, c’était moi qui avais peur à présent.

— J’ai une proposition…

— OK, dis-moi.

— Euh… Je te dirais notre secret, si tu bois cette potion.

Naeviah hésita un instant, puis la sortit de sa poche. Mysty l’observa un instant avec insistance, puis la prit, retira le bouchon et renifla.

— Elle sent mauvais… Ch’suis sûre qu’elle est dégueulasse. Mmm… Marchandons ! J’veux tu me fasses des trucs pervers en plus du secret !

— Whooo ! T’es dure en affaires, toi ! dis-je.

Je ne m’y étais pas attendu. Cela dit, Mysty était une fille de marchands, il n’y avait rien de si étonnant en soi.

Il y avait toutefois un gros problème : Naeviah m’avait expliqué qu’il n’y avait qu’une potion chacune, il lui fallait du temps et des ingrédients pour les produire. Si Mysty refusait et que nous échouions à la lui faire boire, ce serait un drame.

Il fallait donc qu’elle acceptât ABSOLUMENT de la boire. Il n’était plus question de la prendre par surprise ou autre, le seul choix qui restait était de la duper pour qu’elle la bût.

— Euh… c’est un peut trop quand même… Disons… Que Naeviah et moi on te fera un bisou. Ça te… va ?

Je n’eus pas le temps de finir que Mysty but la potion d’un trait.

— Hein ? Pourquoi tu m’embarques là-dedans ?!

— C’est ta potion, pourquoi je me sacrifierais seule ? Puis, c’est… tes fluides dedans, assume un peu.

Je dis la fin de phrase volontairement très bas, Naeviah seule l’entendit. D’ailleurs, elle m’attrapa par le col et commença à me secouer quand Mysty s’interposa entre nous et exigea son paiement.

— D’abord les bisous et ensuite le secret ! Héhé ! Ch’sais pas ce que c’est, mais j’ai hâte !

Elle commença à avancer ses lévres vers nous, réclamant son dû. Alors que Naeviah commença à fulminer, je m’approchai pour chuchoter à l’oreille.

— Mysty, ferme les yeux.

— Mais vous trichez pas !

Elle ferma les yeux.

— Un… deux… trois !

* Smack *

Chacune d’un côté, nous lui donnions un bisou sur la joue.

Elle rouvrit les yeux.

— J’pensais sur la bouche…

— Je n’ai rien précisé de la sorte. Puis, tu ne m’as même pas laissé le temps d’approuver l’engagement, nous aurions même pu nous en dispenser.

— Pas faux… J’me suis trop hâter. Stupide Mysty ! La prochaine fois, j’serais plus précise ! Bah, en tout cas, merci à toutes les deux !! Vous avez des lèvres douces !!

Naeviah s’éloigna de suite, embarrassée. De mon côté, je m’étais tellement habituée à Mysty que j’étais restée assez calme tout du long.

Il fallait juste encore une dernière vérification :

— Eh, Mysty ! Est-ce que tu nous préfères à Isabella ?

— Carrément !

— Est-ce que tu peux dire qu’elle est une traîtresse ?

— J’sais pas pourquoi j’ferais ça, mais j’peux le dire. Pourquoi ?

— Et est-ce que tu peux dire qu’elle est méchante, qu’elle a cherché à nous tromper ?

— Euh… Ouais. En même temps, tout le monde dans cette ville veut nous la faire à l’envers. Isa est cool, mais elle a sûrement des arrières-pensées. Elle veut soit nous utiliser pour faire des missions chelous, soit elle se sent seule et veut nous garder avec elle. Un peu son harem… J’la comprends, j’me choisirais aussi à sa place. Hahaha !

Je regardai Naeviah et Tyesphaine : les réponses semblaient bonnes. Nous soupirions, sous les regards interrogateurs de Mysty.

— Et le secret alors ?

Il était temps à présent de lui expliquer et de décider de la suite de nos opérations…

***

Le lendemain, le septième jour de notre vampirisation (avortée), le temps était nuageux.

Cela n’arrangeait pas nos objectifs.

Nous avions décidé de ce que nous allions faire : nous ne pouvions pas rester vivre chez une vampire qui essayait de nous transformer en morts-vivantes.

Mysty avait proposé de simplement partir sans demander notre reste. Isabella ne se méfiait plus de nous, pensant que nous étions sous son charme sanguin, nous pouvions facilement payer le droit de péage pour sortir de la ville avec le fond monétaire que nous avions gardé pour nos missions (car oui, être aventurier ne dispensait pas de devoir payer cette taxe).

Pour ne pas devoir subir tous les péages, il existait une solution simple, avait dit Mysty (qui semblait avoir déjà étudié la question depuis un moment) : passer par les montagnes.

En effet, il n’y avait pas de péages dans les montagnes car ce n’était pas des routes commerciales qu’on pouvait emprunter avec des chariots. Quelques piétons avisés pouvaient bien sûr les franchir, toutes escarpées fussent-elles.

Mais, Naeviah n’avait pas été du même avis :

— Ce problème nous dépasse. Il ne faut pas se contenter de penser à nous, mais à toutes les victimes qu’elle fera dans un avenir. Il faut l’éliminer !

Forcément, cela avait été des paroles cohérentes pour une prêtresse d’Uradan dont la mission était d’éradiquer les morts-vivants.

Néanmoins, Tyesphaine et moi avions eu un autre point de vue : nous voulions parler à Isabella. Elle nous avait accueillies, avait payé notre rançon et nous avait aidées à retrouver nos affaires. Partir sans demander notre reste serait particulièrement malpoli.

Même si en général le bon sens voulait qu’on suivît la majorité, notre groupe n’avait pas de telle règle : à la place, nous avions essayé de trouver un compromis entre nos quatre avis.

Le plan était simple : il fallait attirer Isabella hors de la ville en pleine journée où, selon Naeviah, elle serait moins puissante. Même si elle faisait partie des vampires daywalker, Naeviah présumait qu’elle ne pourrait pas utiliser ses pleins pouvoirs.

Pour atteindre cet objectif, nous avions choisi une mission se déroulant dans les montagnes, une simple traque de Drake rocailleux (un lointain cousin des dragons, mais sans intelligence complexe, un gros lézard agressif, en somme).

Le matin, j’avais demandé à Isabella son aide. Je n’avais pas expliqué aux filles pourquoi je m’étais proposée, j’avais misé uniquement sur mon aura dakimakura.

— Nous nous perdons facilement et les montagnes sont complexes pour l’orientation. Est-ce que vous ne pourriez pas venir avec nous ? Bien sûr, nous vous donnerons toute la récompense.

— Vous me reversez déjà toute la récompense, même si je ne viens pas, m’avait-elle fait remarquer en souriant.

— Ah oui… Je… je vous donnerai une récompense additionnelle… en nature…

Bien sûr, j’avais prononcé ces mots suffisamment bas pour que mes amies ne pussent pas les entendre. Isabella avait souri. Difficile de dire si elle avait réellement été intéressée ou non, elle m’avait caressé la tête sans répondre, puis avait rejoint le groupe et nous avait accompagnée.

Le plan se déroulait sans encombre, elle avait accepté, nous allions pouvoir lui poser des questions et, au pire, si la situation dégénérait, nous pourrions aussi bien l’affronter loin des regards indiscrets que nous enfuir dans les montagnes sans être poursuivies par la milice qu’Isabella dirigeait.

En principe, le plan était bien ficelé, mais le climat n’avait pas été au rendez-vous. En début d’après-midi, soudain, le ciel s’était couvert.

À présent, il faisait gris, un peu le genre d’ambiance des journées de pluie automnale.

Cela faisait une bonne heure que nous avions quitté la ville. Toutes les quatre nous échangeâmes des coups d’œil entendues.

Soudain, Mysty demanda à Isabella qui marchait en tête :

— Isa ? T’es une vampire, au fait ?

Je m’étais attendue à ce que Mysty mette les pieds dans le plat, mais pas à ce point non plus. Il y avait un protocole à respecter en pareilles circonstances !

Cela dit, je parlais de Mysty, d’entre toutes c’était elle qui se fichait le plus des règles qu’elles fussent sociale ou légales.

Isabella s’arrêta, nous fîmes de même.

Par un effet du sort que je ne pensais jusque-là qu’inhérents aux films et anime, à cet instant précis, je ressentis un picotement froid sur ma joue. Je me rendis immédiatement compte que la sensation humide n’était autre qu’un flocon de neige qui venait de fondre au contact de ma peau.

Je levai le regard au ciel, d’autres se mirent à tomber. Les filles et Isabella firent de même au cours de ce bref instant de tension qui parut durer si longtemps ; un peu comme le calme avant la tempête.

Nous attendions sa réponse, Isabella était aussi calme que toujours.

Mysty et Tyesphaine s’étaient placées devant Naeviah et moi. Même si elles n’avaient pas dégainées leurs armes, elles étaient prêtes (Tyesphaine avait déjà apprêté son bouclier, puisque nous étions en mission).

Ce jour-là encore, Naeviah ne portait pas sa robe cléricale. Dans nos sacs se trouvaient les affaires qui nous restait après la dérobade, ainsi que les sacs de couchages (qui étaient dans le sac magique) et des provisions que nous avions « empruntées » à Isabella.

Si les négociations se passaient bien, nous allions les lui rendre. Dans le pire des cas, ce serait un dédommagement pour le mal qu’elle nous avait fait.

— Il neige un peu tôt cette année, dit Isabella en baissant la tête et en fixant son regard sur nous.

— Et pour notre question ? demanda Naeviah fermement.

Isabella soupira et leva les épaules :

— Un vampire ne se promène pas en pleine journée, vous savez ?

— Sauf les naptelios ! contesta Naeviah, vivement.

Isabella parut surprise l’espace d’un instant, puis elle sourit en coin :

— Vous croyez réellement à ces contes de fées ?

— Non, nous croyons la parole de Naeviah, une prêtresse consacrée d’Uradan !

Sur ces mots, je tirai sur la chaînette du symbole religieux que cette dernière portait sous ses vêtements pour le montrer à notre interlocutrice.

Une nouvelle fois, elle parut surprise mais je crus voir également une expression contrariée apparaître subrepticement sur ses traits.

— Ah bon ? Je vois… Et ? Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer une telle chose ? Ce sont des accusations graves, vous savez ? Moi qui vous pensais être de braves filles… J’étais allée jusqu’à payer votre caution et vous…

— Arrête ça ! Tu l’as fait pour attirer chez toi et nous vampiriser ! cria Naeviah. J’ai découvert ton sang empoisonné dans le vin ! Je t’ai vu t’abreuver du nôtre en pleine nuit ! C’est un miracle si nous y avons échappé !

— Un miracle ? On dirait plutôt une farce…

Isabella soupira en baissant le visage. Lorsqu’elle le releva, elle avait fait tomber son masque : son regard était dur et distant, je ne lisais plus la gentillesse dont elle avait fait preuve jusque lors.

— D’accord, j’avoue : je suis une vampire. J’ai l’intention de vous transformer pour vous adjoindre à ma famille. Je vis seule depuis si longtemps, est-ce mal de vouloir de la compagnie ?

Je ne pouvais m’empêcher de la trouver pitoyable à cet instant. D’une certaine manière, j’étais persuadée qu’elle ne mentait pas vraiment.

Peut-être parce que j’avais lu et vu des histoires de vampire autrefois. Peut-être parce que j’étais moi-même une créature esseulée et immortelle.

À cet instant, j’arrivais à comprendre sa détresse.

— Arrête ton char ! Les vampires sont des formes d’existence profondément égoïstes et malsaines ! Tu veux juste des jouets avec qui t’amuser, c’est tout ! Tu veux abuser de nous !

— Euh… moi aussi j’veux m’amuser avec vous, fit remarquer Mysty. C’est vraiment si mal que ça ? Je suis une vampire maléfique aussi ?

Je manquai d’éclater de rire : en un sens, Mysty n’avait pas tort. Si on admettait qu’elle le faisait juste pour avoir de la compagnie, j’aurais du mal à considérer Isabella comme un monstre malfaisant. Son unique tort avait été de ne pas nous en avoir eu notre consentement.

Mais, d’un autre côté, je la voyais mal venir voir des jeunes femmes en leur disant :

— J’aimerais vous transformer en vampire pour vous intégrer à ma famille vampirique et que nous puissions toutes les cinq nous amuser, ça vous dit ?

Si la populace pensait comme Naeviah et diabolisait ces créatures, aucun doute qu’elles devaient se cacher.

— C’est pas pareil dans ton cas ! Idiote ! Tu n’es pas morte et tu n’essayes pas de nous transformer !

— Ah bon ? Mais depuis qu’on voyage ensemble, on a toutes changées quand même, t’sais ? Avant t’étais plus solitaire, Nae. Tyes était plus timide. Et Fiali était plus distante.

J’avais été distante ? Je l’apprenais à ce moment-là.

— Aaaahhh ! Mais tu vas te taire, oui ? C’est pas pareil, je te dis ! Tu es de quel côté au juste ?

Encore une fois, je devais donner un point à Mysty. Si on considérait les choses sous cet angle, chaque relation, chaque échange nous transformait qu’on le voulût ou non. En quoi la vampirisation aurait été réellement pire ?

À cet instant, je ne pus m’empêcher de fixer Naeviah en lui posant tacitement la question : « En vrai, c’est si grave que ça ? »

À part le fait qu’elle m’empêcherait d’accomplir mon objectif et qu’elle manipulerait mon sentiment d’affection pour elle, je ne voyais pas grand-chose à reprocher à son attitude envers nous. Au fond, n’aurions-nous pas été heureuse une fois devenues des vampires à ses ordres ?

C’est une manière de pensée qu’aucun héroïne des fictions que j’avais lues n’aurait pu avoir. La notion de bonheur était indépendante de celle de devoir ou de l’éthique. En général, suivre les ordres et recevoir de la reconnaissance apportait plus de joie que la liberté qui impliquait de grandes responsabilités.

Sa domination mentale avait été subtile, à aucun moment je n’avais remarqué être sous son contrôle. Et même lorsque Naeviah m’avait fait boire sa potion, je n’avais ressenti aucun changement.

— Quel… est votre vrai objectif ? Pourquoi… nous ?

Isabella soupira confrontée aux questions soudaines de Tyesphaine.

— Vous êtes si mignonnes. Cette question me paraît insensée. Au début, je voulais surtout Fiali…

Aura dakimakura !!

— Une elfe, c’est particulièrement rare d’en croiser une.

En effet, avant même notre rencontre, elle connaissait mon espèce. J’avais complètement oublié de lui demander qui était cette autre elfe dont elle avait parlé.

J’essayai de saisir l’occasion :

— C’est vrai que vous en aviez déjà croisé une ! Qui était-elle ?

Isabella me fixa droit dans les yeux et me dit avec une expression malicieuse :

— Rejoins-moi et je te dirais tout à son propos.

Elle en savait donc plus qu’elle ne l’avait dit. C’était un indice précieux, mais la contrepartie me déplaisait malgré tout.

— Eh oh !! Ne te laisse pas embobiner, la perverse ! Si tu acceptes, je te tue, tu m’entends ?!

— J’ai pas dit que j’allais accepter !

— Ton cœur paraît toujours si prompt à flancher vers les ténèbres, je me méfie !

Je reconnaissais que la tentation m’avait effleurée une simple microseconde de rien du tout. Non seulement, il y avait la question de cette elfe inconnue, mais en plus… comment mes pouvoirs ténébreux évolueraient-ils une fois devenue vampire ? Je ne pouvais que supposer qu’ils se renforceraient sous cette forme.

Mais résolument, je ne pouvais pas faire confiance à Isabella. Rien ne m’affirmait qu’elle ne mentait pas et qu’elle me laisserait agir à ma guise une fois à ses ordres.

Puis, Naeviah ne serait pas vampirisée pour sa part. Et considérant son antipathie pour les morts-vivants, elle refuserait toute alliance avec nous. Isabella serait contrainte de la tuer et je préférais rester aux côtés de Naeviah qu’Isabella.

— Ma proposition vaut pour toutes les quatre. Rejoignez-moi et fondons notre propre nation ! Mettons à terre ces stupides sangsues qui aspirent et recrachent l’argent par tous les pores de la peau ! Dans mon futur fief, des filles aussi belles que vous ne seraient en manque de rien, tout leur serait concédé.

C’était donc son objectif ? Abattre le pouvoir et recréer son propre domaine ?

En soi, une fois de plus, j’avais du mal à la diaboliser. Quand on voyait la vicissitude d’Inalion, je doutais sincèrement qu’elle aurait pu faire pire. Même si dans son domaine les morts dévoreraient les vivants, ce serait moins hypocrite que cette république corrompue jusqu’à la moelle par le concept d’argent et qui laissait les gens s’avilir, se jeter d’eux-mêmes dans la fange, souffrir et finalement mourir.

En un sens, je me disais que Naeviah était trop perspicace. Elle avait raison de se méfier de moi : je n’étais pas l’ennemi d’Isabella, tout comme je n’avais pas été celle du géant arcanique.

La société humaine était trop imparfaite, trop injuste et absurde pour que je l’aimasse.

Ce qui me différenciait d’Isabella ou du géant, c’était mes amies. Si à cet instant, j’avais rejeté la proposition du géant et si je rejetais celle d’Isabella, c’était uniquement pour rester avec elles.

— Hors de question !! répondit de suite Naeviah.

— Moi, j’pige pas tout, mais j’aime pas les ordres. Je t’en veux pas Isa, mais j’veux pouvoir voyager. Si on se recroise, on peut boire un verre… sans poison, bien sûr.

J’avais envie d’enlacer Mysty. Elle résumait un peu ce que je pensais.

— Je… refuse…

La réponse de Tyesphaine était plus sobre, elle lui ressemblait. Je supposais qu’en tant que porteuse d’une armure maudite, elle se passerait bien d’une nouvelle malédiction.

Les regards se tournèrent vers moi qui avait pris trop de temps à répondre. Naeviah me fusillait du regard.

— J’ai jamais dit que j’allais accepter non plus ! Désolée, Isabella. Vous vous êtes bien occupée de nous et si nous repasserons en ville, je vous promets de vous rembourser. Mais nous avons notre propre mission à accomplir, nos chemins se séparent ici.

Naeviah grommela mais ne dit mot. Elle avait promis de ne pas engager le combat si Isabella n’en faisait rien.

À nos yeux, elle était encore notre sauveuse, nous n’avions pas envie de la tuer.

Mais…

— Tous ces efforts pour vous attirer chez moi et tout cet argent dépensé… la reconnaissance se perd de nos jours…

— Attendez ! dis-je. Vous nous avez attirées chez vous ?

Laissant tomber les mensonges, elle afficha une expression hautaine et moqueuse :

— La ville est grande, un tel hasard ne se serait jamais produit sans un petit coup de pouce, tu sais ?

— Petit coup de pouce… ? répéta Tyesphaine.

— Evidemment ! Je vous ai repérées à Liris. À ce moment-là, j’avais déjà décidé de vous avoir à mes côtés. Comme je l’ai dit, trouver une elfe est juste incroyable.

Cette fois, il ne faisait pas l’ombre d’un doute que toute cette affaire avait été engendrée par l’aura dakimakura. Elle venait d’avouer qu’elle avait entrepris tout cela pour moi.

— Vous trois, vous êtes des bonus appréciables. Regardez donc ce petit visage délicat ! Ces yeux magnifiques ! Ce corps sculpté par les dieux ! Aaaaaahhhh !! Je ne tiens plus ! Je te veux Fiali ! Sois mienne ! Ne regarde que moi ! Ne pense qu’à moi ! Je veux tout ton amour ! Je veux que le moindre de tes souffles porte mon nom ! Que tes rêves soient envahis par mon image ! Sois mienne ! Maintenant et à jamais !

Pouaaahhh !! Ce changement était brutal !

Jusque lors je l’avais pris en pitié, je l’avais défendue, mais Isabella venait de montrer sa vraie nature : elle était folle ! Une yandere !!

J’en avais déjà parlé, mais c’était ce que je redoutais le plus dans ce monde-ci. L’aura dakimakura me protégeait des intentions hostiles, mais pas d’une folle qui pensait me faire du bien à travers la douleur.

Tandis que mes amies fixaient Isabella les yeux écarquillés, je demandai pour confirmer mes pensées :

— Et cela ne te dérange pas de me priver de ma liberté, de me faire souffrir tant que je reste avec toi, c’est bien ça ?

— Mon amour soigne toutes les blessures ! Une fois gorgée de mon sang, tu seras heureuse simplement en restant à mes côtés qu’importe les coups de fouets, les griffures et les morsures ! Kyaaaaaaa !! Je brûle de passion pour toi ! Mes hanches flanchent et mon cœur revient à la vie !

Isabella prit son visage entre ses mains tandis que ses yeux s’embrassèrent d’une lueur rougeoyante.

Elle était folle ! Folle à lier ! Si je la laissais faire, effectivement je deviendrais son esclave (sexuel ? Les vampires pouvaient encore avoir ce genre de désir ?) pour l’éternité. Je n’aurais même pas l’espoir de mourir pour lui échapper, je deviendrais encore plus immortelle.

— Tu… tu… TU ES VRAIMENT LA REINE DES PERVERSES !! me hurla Naeviah en m’attrapant par les épaules.

— Ho ho ! Fiali, t’as vraiment la super cote ! En même temps, j’pige facile pourquoi : t’es à croquer !

— C’est… indécent…

— Eh oh ! On se calme les filles ! J’ai rien fait moi ! Et j’ai pas dit que je voulais accepter l’amour de cette folle ! Protégez-moi au lieu de me réprimander !

Même si j’avais l’impression de le prendre sur le ton de la plaisanterie, en réalité j’avais plutôt peur. Isabella n’aurait aucun remord à tuer mes amies et m’attraper, je le savais. Puis, sentant ma protection divine inefficace, c’était comme si j’étais nue devant la vampire. Je ne pouvais m’empêcher de trembloter.

Tyesphaine fut la première à le remarquer. Même si elle était empourprée, elle se plaça devant moi en dégainant son arme.

— Si… si tu veux faire du mal à… Fiali… je serais ton ennemie…

Mysty fut la suivante, elle dégaina ses kama.

— J’ai rien contre toi et mais si Fiali refuse et que tu insistes, j’vais me fâcher.

— Espèce de sale mort-vivant ! S’il n’en tenait qu’à moi, je t’aurais détruite sans même parler ! dit Naeviah en colère. Si tu pars sans demander ton reste, je t’épargnerai !

Pendant quelques instants, nos deux camps s’observèrent sans rien décider : tout reposait sur la décision d’Isabella.

Cette dernière reprit son maintien habituel. Elle me fixa droit dans les yeux. La neige tombait autour de nous, la température était froide, d’autant plus en montagne.

— J’aurais préféré employer les manières douces, mais je n’ai pas l’intention de vous laisser partir, surtout pas toi, Fiali. Vous regretterez de n’avoir pas profiter de la surprise.

Isabella dégaina sa flamberge magique qui s’entoura d’un nuage glacé attestant d’une de ses propriétés magiques. Je tirai également mon arme de son fourreau.

Isabella chargea droit devant elle à une vitesse fulgurante. Je compris bien vite que la dernière fois, lorsque nous avions combattu à ses côtés, elle avait bridé ses réelles capacités.

La couverture neigeuse du ciel semblait également jouer en sa faveur : il n’y avait pas de soleil pour réduire ses pouvoirs. Car oui, les naptelios pouvaient certes évoluer en pleine journée, mais sous les rayons du soleil ils perdaient leurs capacités vampiriques, même les plus basiques.

La vitesse inhumaine avec laquelle elle vint percuter le bouclier de Tyesphaine était la preuve qu’elle combattait pleinement. Elle enchaîna les coups à un tel rythme que notre pauvre paladine n’eut aucune ouverture ; pire encore, elle dut entourer son bouclier d’une aura magique pour renforcer sa défense.

Je ne pouvais qu’imaginer la puissance que délivrait Isabella à chaque attaque.

— Ne bâille pas aux corneilles, perverse !

Naeviah se mit à incanter immédiatement :

« Retourne au tombeau et hante les cryptes qui sont ton domaine, toi qui a bravé l’interdit… »

C’était la première fois que j’entendais cette prière, était-ce un sort dont elle ne nous avait pas parlé ?

Mais je n’avais pas le temps de patienter et attendre sa fin, je me mis à incanter à mon tour. Naeviah m’ayant indiqué que les vampires étaient résistants aux ténèbres, desquelles ils tiraient une partie de leurs pouvoirs, je me retranchai sur le feu qui était un élément qu’ils détestaient en principe.

« Venus des enfers obscurs, torrents de flammes abyssales… »

— Comme si j’allais vous laisser faire !

Isabella porta un balayage à Tyesphaine qui la prit par surprise et la fit tomber à terre. Puis, elle visa Naeviah dans l’intention d’interrompre son incantation.

À sa place, j’aurais fait sûrement pareil.

Mais, alors qu’elle fit un pas en avant, Mysty l’attaqua dans le dos avec ses kama enflammés. Ses lames s’enfoncèrent dans les parties peu protégées par l’armure, un peu de sang gicla même bien qu’en faible quantité (les vampires n’ayant plus de pouls, ils n’étaient pas sensibles aux hémorragies).

Isabella se retourna pour porter un coup de pied à Mysty qui l’esquiva, puis enchaîna avec un coup de pommeau qui toucha le front de notre amie. Le sang se mit à dégouliner sur son visage, Mysty fut sonnée par la violence du coup.

« … Shalysith (Purple Flames) ! »

« Que la Mère Bienveillante te prenne en pitié ! Lierfayoi !! »

Nos incantations partirent plus ou moins en même temps, avant qu’Isabella ne pût profiter de l’occasion pour frapper une nouvelle fois Mysty.

Mon oiseau de feu fondit sur la vampire, tandis qu’une sphère violette, un peu comme de la lumière noire, jaillit des mains de Naeviah.

Isabella fut interrompue dans son action, mes flammes lui laissèrent des brûlures visibles, tandis que le sorts de Naeviah fit tomber en cendre sa chair ; un des os de ses bras fut dévoilé par la blessure, c’était un spectacle émouvant.

Malgré tout ce qu’elle avait dit, j’avais encore du mal à lui en vouloir au point d’observer flétrir ses chairs de la sorte. Au fond, je savais qu’elle n’était pas si mauvaise… même sa folie n’était qu’exacerbée par mon aura.

Mais, Isabella ne comptait pas s’arrêter pour si peu. Elle porta un nouveau coup de pied à Mysty et la projeta à terre, puis chargea Naeviah.

Je l’interceptai en faisant apparaître mon bouclier magique.

— Je ne te laisserai pas lui faire de mal.

Je contre-attaquai : j’injectai ma magie de feu dans mon arme et la frappai aussi habilement que toujours, mais elle dévia mon arme, me porta un coup de genou qui fut bloqué par mon bouclier magique, avant de me rouer de coups d’épées.

Honnêtement, sa force était démentielle ! J’avais affronté des géants pourtant, mais elle les surclassait en puissance brute. Mon bouclier ne tint que trois malheureuses attaques avant de se briser.

En cherchant à esquiver son coup horizontal, je bousculai Naeviah et lui tombai dessus.

— Aaaahhh !

Sa lame gelée m’entailla le ventre, ma tunique fendue révéla une blessure saignante. Isabella me porta un regard rempli de désir.

À cet instant, je vis le sang au sol, sur mes vêtements, mais également à l’intérieur de ma plaie s’envoler jusqu’à sa bouche. Ce n’était pas particulièrement douloureux mais je ne pus m’empêcher de grimacer en voyant son bras se reformer.

Cette vitesse de guérison était effroyable, tant qu’elle avait du sang à disposition elle était potentiellement immortelle.

Elle continuait à aspirer ma blessure, lorsque Mysty et Tyesphaine en même temps vinrent l’interrompre.

Son arme était plus vicieux que ce que j’avais pensé. Sa propriété de produire des dégâts de « glace » ne cautérisait pas les plaies, au contraire elle les gelait et les gardait grande ouvertes, ce qui laissait à la vampire le soin de siphonner le sang à sa guise.

Tyesphaine avait entouré sa lame de lumière et attaquait de toutes ses forces. Mysty enchaînait également les attaques à l’aide de ses deux armes dans un déluge de coups.

Mais malgré deux adversaires aussi redoutables, Isabella dansait entre leurs coups, ripostant et enchaînant sans grande difficulté.

— Je dois les rejoindre…, dis-je à basse voix.

Je pris sur moi et me relevai. Ma blessure ne faisait pas si mal, mes intestins n’en sortaient pas, c’était déjà bien ; je pouvais encore me battre.

Mais, Naeviah posa sa main sur mon épaule :

« Oraya ! »

Sans incanter, elle utilisa un de ses sortilèges de soin et ma blessure cessa aussitôt de saigner et se referma même.

— Oh ! Cool, merci Naeviah.

Isabella n’était pas la seule à pouvoir se guérir, j’avais presque failli l’oublier.

— Te réjouis pas trop vite. Le sang que tu as perdu je ne peux pas le restaurer pour le moment. Si elle t’en prend encore, tu vas tomber inconsciente. Puis, si à l’intérieur de ton corps, il y a quelque chose d’endommager, tu vas aggraver la situation.

Elle me tâta le ventre, mais je ne sentais plus aucune douleur, aussi :

— Bah, si c’est le cas, tu me remettras sur pied plus tard. Elle ne me tuera pas de toute façon, elle me veut.

— Idiote ! On l’a contrariée, elle va toutes nous tuer ! Puis, arrête de…

— Désolée, Naeviah. Nous n’avons pas le temps. Allons aider, Tyesphaine et Mysty !

Naeviah grimaça, mais était consciente du fait que j’avais raison. Elle allait se remettre à incanter, lorsque Tyesphaine projeta Isabella en arrière d’un coup de bouclier.

— Vous êtes coriaces, toutes les quatre. Passons donc aux choses sérieuses…

Hein ? Ce n’était qu’un échauffement jusque-là ?!

Sur ces mots, elle tendit la main vers Naeviah et moi. D’instinct, j’attrapai mon amie et l’entraînai dans une esquive latérale. Mais ce qui nous arriva dessus était différente de ce que j’avais pensé.

En effet, à mi-distance entre nous, une sphère flottante de sang de la taille d’une pastèque se forma. De cette dernière s’extirpèrent aussitôt des tentacules de sang longs d’une bonne dizaine de mètres.

Tandis qu’Isabella reprit son combat contre nos deux amies au corps-à-corps, la sphère étira ses tentacules vers Naeviah et moi dans l’intention de nous frapper et nous agripper.

Je parvins habilement à en esquiver quatre qui déferlèrent tous en même temps, mais j’entendis Naeviah derrière moi pousser un cri de douleur. L’un l’avait frappée au ventre, tandis que l’autre au visage. Les deux derniers s’enroulaient autour de ses bras et de ses jambes pour l’immobiliser.

— Naeviah !!

Elle ne répondit pas. Les deux coups l’avaient mis K.O., manifestement.

J’essayai de m’approcher, lorsqu’un coup me heurta le dos et me fit tomber à terre. Je me rattrapai d’un roulade maîtrisée, mais la douleur me fit grimacer.

Les tentacules n’étaient pas aussi rapides que leur maîtresse, fort heureusement, je pensais pouvoir m’en occuper s’ils n’avait pas été huit. En outre, mon réel problème était Naeviah.

Qu’allaient lui faire les tentacules à présent qu’elle ne se défendait plus ? Lui broyer les bras ? Les jambes ? L’écarteler ? La vider de son sang ?

Naeviah était la seule qui n’était pas « vampirisable », Isabella n’avait aucun intérêt à la garder en vie.

Je repris mon calme, paniquer ne résoudrait rien. Il fallait que j’aille vite !

J’enflammai mon arme, j’activai mon armure magique que je n’avais eu le temps de lancer en début de combat et me ruai en direction de mon amie. Cette fois, je bloquai les trois tentacules qui m’arrivèrent dessus à l’aide de mon bouclier magique.

Les tentacules n’avaient pas la force de la vampire, je pourrais sûrement en encaisser une bonne dizaine de coups avant destruction du bouclier, c’était ce que j’avais pensé.

Mon pari s’était avéré juste. En fonçant franchement sans esquiver, j’étais assurée d’atteindre mon amie et de pouvoir trancher les liens qui la retenaient.

Mais, alors que je n’étais qu’à deux mètres d’elle, je remarquai une concentration magique à l’intérieur de son corps. Je compris à cet instant qu’elle n’était pas inconsciente : elle comptait sur moi pour la tirer de là et préparait la contre-attaque.

— Espèce de… Et si j’échouais à te sauver ? pensais-je en tranchant les deux tentacules pour la libérer.

Étant composés du sang de la vampire, la lumière et le feu était aussi efficaces que contre leur maîtresse. Je n’eus aucun mal à couper cette substance liquide.

Naeviah tomba au sol. Elle ne trahit pas sa comédie. J’en conclus qu’elle comptait sur moi pour régler le compte de la sphère et qu’elle passerait à l’action ensuite.

Tyesphaine et Mysty étaient mises à mal. La dernière avait été blessée, elle avait une entaille sur le bras gauche assez profonde, l’empêchant de l’utiliser.

Quant à Tyesphaine, elle était en train de se soigner à l’aide de sa magie, privant la vampire de sa nourriture. Manifestement, tout sang verser à sa proximité était automatiquement absorbé. Pour une combattant rapprochée, c’était un pouvoir incroyablement pratique.

Esquivant deux tentacules, j’en parai deux autres. Il était temps de passer à l’offensive, le combat tournerait à notre désavantage si nous le laissions s’éterniser. Contre une créature inépuisable, capable de se soigner en profitant de nos forces, c’était évident que la durée jouerait contre nous.

Je tendis ma main gauche et…

« Syelboer (Fire Ball) ! »

Je tirai une boule de feu en direction de la sphère. C’était elle qu’il fallait attaquer pour arrêter l’offensive des tentacules d’un seul coup.

Mais comprenant mes intentions, l’un deux frappa la boule de feu en plein vol et la fit exploser en vol, à mi-parcours. J’ignorai quelles étaient les moyens de perceptions de la sphère mais je traversai le rideau de flammes laissées par mon sort et m’empressai d’arriver au corps-à-corps.

— Kyaaaaaaahhh !

Je portai un coup ascendant et fit exploser ma magie de feu au contact. Malgré la brutalité de l’attaque, je ne parvins pas à détruire la sphère d’un seul coup.

— Coriace ! Dans ce cas…

Je rassemblai le mana dans ma main en vue de lancer un nouveau sort, lorsque les tentacules convergeaient tous sur moi. Si je choisissais d’attaquer, je ne pourrai plus me défendre. Il fallait absolument que ma magie détruisît la sphère ou c’en serait fini de moi, d’une manière ou d’une autre.

Le majeur problème était le temps : je ne pouvais pas incanter. Ce qui voulait également dire que je devais lancer une version affaiblie de mon sort.

Je pouvais utiliser « Ver’vyal » qui était tout désigné pour le combat rapproché, puisqu’il s’agissait d’un corps de contact, mais la sphère avait un peu pris d’altitude dans sa tentative de m’esquiver et elle flottait à plus de deux mètres à présent.

Aussi, j’ouvris la bouche et fit appel à un sort qui s’était toujours révélé efficace :

« Syelboer (Fire Ball) ! »

Bien sûr, j’étais trop proche. L’explosion de flammes m’enveloppa également, je fus projetée en arrière alors que je goûtai moi-même la douleur de ma propre magie. Mon corps fumait et me faisait atrocement souffrir.

Lorsque mon corps cessa de glisser, je pris sur moi et ouvris les yeux : la sphère n’était plus là.

À cet instant, profitant de la surprise, Naeviah se releva et lança le sortilège qu’elle avait incanté en secret :

« Shi’zar’vorox ! »

Une colonne de lumière que je connaissais fort bien, une des attaques les plus redoutables de Naeviah, s’abattit sur Isabella. La situation s’était passablement détériorée pendant mon combat contre la sphère : Mysty était à genoux un peu plus loin, désarmée ; elle se tenait la hanche.

Tyesphaine était épuisée et avait diverses blessures dont une à l’arcade qui avait enflé son œil. Elle n’était plus au contact lorsque Naeviah fit tomber la colonne de lumière : une aubaine pour nous, puisqu’elle était vulnérable à cette lumière sacrée.

Lorsque la vive lumière disparut, nous pûmes voir Isabella un genou à terre, fumante. Sa chair avait de nouveau été désintégrée à divers endroits, l’un des ses bras avait été comme arraché.

De notre côté, nous n’étions plus très fraîches : Naeviah était aussi à genoux, elle avait pris sur elle, mais avait subit de terribles blessures. Tyesphaine et Mysty n’étaient pas dans un meilleur état.

Malgré mes brûlures, c’était à moi de l’achever, j’étais la plus en état pour poursuivre.

J’inspirai profondément et canalisai ma magie dans mon épée.

— Je vous ai sous-estimées, on dirait…, dit Isabella d’une voix qui ne manifestait aucune peur ou douleur. Nous nous reverrons et la prochaine fois, vous serez toutes à moi. Surtout toi, Fiali ! Chaque centimètre de ton corps m’appartiendra… Entièrement !

Sur ces mots, je m’élançai pour abattre mon épée sur elle sans l’écouter. Elle courut vers moi et se transforma soudain en loup ; elle me prit totalement au dépourvu, mon coup ne toucha que du vide.

Elle me passa à côté et prit la fuite sous sa forme quadrupède.

Même si j’étais déçue de l’avoir laissée s’échapper, j’étais bien plus inquiète de l’état de mes amies :

— Vous allez bien ? Enfin, rien de trop grave ?

— Je… je vais bien…, dit Tyesphaine. Han… Han…

Finalement, elle était plus fatiguée que blessée.

— J’vais m’en remettre…

— Nous n’avons pas le temps de traîner, dit Naeviah un peu paniquée. Elle va revenir après avoir bu du sang et elle nous traquera.

C’était ce qu’elle avait plus ou moins dit, en effet. Au début, j’avais pensé que, à l’instar des méchants des fictions, elle reviendrait dans quelques mois, ce qui nous laisserait du temps pour nous préparer, mais Naeviah avait sûrement raison de vouloir se presser : c’était la réalité, pas une fiction, Isabella avait un immense garde-manger en ville qui lui permettrait de guérir et revenir aussitôt nous attaquer.

Elle n’avait aucune raison d’attendre quelques mois alors qu’elle pouvait profiter de notre état.

La seule chose positive…

— Cette neige couvrira nos traces, dis-je. Même si elle peut prendre la forme d’un loup, elle ne peut pas pister notre odeur sur la neige. Tu as raison, Naeviah, il faut partir d’ici au plus vite. Soigne-nous s’il te plaît et partons sans plus tarder.

Naeviah acquiesça et rapidement nous nous enfonçâmes dans les montagnes dans la direction du nord-est. J’espérai que ce serait la bonne direction.

Nous avions à présent un ennemi en plus, et pas des moindres…

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