Isekai Dakimakura – Arc 5 – Épilogue

Perdues…

Cette fois encore, nous étions perdues.

Après avoir refermé la quasi-totalité de nos plaies, nous nous étions sans tarder engouffrées dans les montagnes.

En principe, nous devions avoir pris la direction nord-est afin de nous éloigner de ce République de malheur.

La neige tombait abondamment autour de nous, elle s’entassait si rapidement ; une dizaine de centimètres recouvraient déjà le sol.

La progression était difficile et mes sens elfiques me faisaient craindre que…

— Une tempête… Je commence à être sûre, dis-je aux filles qui se rapprochèrent pour entendre ma voix. Je ne suis pas aussi douée que mon mentor pour écouter la voix de la nature, mais j’ai comme l’impression qu’une tempête de neige va avoir lieu.

— Moi ça me semble possible, dit Mysty. Le temps me rappelle un peu les tempêtes de sable de chez moi.

— Tsss ! Si vous dites vrai toutes les deux, la situation va de mal en pis. C’était peut-être pas le meilleur moment pour s’enfuir dans les montagnes.

— Oui, il aurait été préférable d’attendre et de devenir des vampires au service d’Isabella, dis-je avec ironie.

Mais Naeviah me jeta un regard des plus hostiles.

— Fiali… Tais-toi ! C’est pas le moment !

— Calmez… vous… Ce… En fait, c’est bien…

Nos regards se tournèrent vers Tyesphaine, ce qui la mit soudain en embarras. Mais, malgré tout, elle expliqua le fond de sa pensée, que je devinais déjà :

— Avec la neige… et le vent… et le fait qu’on soit perdues… Isabella ne risque pas de nous retrouver…

Mysty se mit à rire et vint passer son bras autour de la hanche de Tyesphaine (elle avait fini par comprendre que c’était l’endroit le plus accessible de son armure maudite).

— Ouais, t’as ben raison, ma Tyes ! Hahaha !

— Ma… Tyes… ?

— Bah ouais, tu fais partie de mon harem aussi.

— Ha… Ha… Ha… Harem…

La chaleur dans la tête de Tyesphaine entra en conflit avec le froid ambiant et de la vapeur s’en échappa. Je m’empressai de soupirer et de séparer Mysty de Tyesphaine ; aussitôt, cette dernière s’accrocha à moi. Avec le froid ambiant, sa chaleur corporelle n’était pas désagréable.

C’est alors seulement que je réalisai que Mysty avait vraiment froid, même si elle ne se plaignait pas. Tyesphaine était certainement frigorifiée aussi. Je me hasardai à toucher son armure : elle était gelée.

Mysty n’avait-elle pas essayé de réchauffer Tyesphaine à l’instant ?

Je soupirai une fois de plus…

— Tu devrais arrêter ça, elfe perverse. Ça m’agace.

— Désolée… Tyesphaine, tu devrais nous dire quand tu as froid et que tu souffres : nous ne pouvons pas deviner, tu sais ?

La paladine parut un peu surprise de mon reproche, il était vrai que je ne lui en faisais jamais. Elle baissa la tête un peu honteuse et me dit :

— En fait… ça va… Mon armure est gelée… mais elle renforce ma force physique et ma vigueur… je… je pense pas avoir aussi froid que vous…

En effet, j’avais oublié qu’elle nous en avait parlé : bien que maudite, cette armure était des plus solides et accroissait l’endurante de son porteur, en plus de le rendre résistant aux sorts de ténèbres (mais il devenait sensible à ceux de lumière et d’énergie sacrée).

D’ailleurs, je venais de me rappeler qu’elle dégageait constamment une aura malfaisante impie que Naeviah devait détecter à l’aide de sa magie et qui la mettait mal à l’aise. Au final, chacune prenait sur soi dans ce groupe pour accepter les différences et les particularités des autres.

— OK, mais n’hésite pas à en parler. Quoi qu’il en soit, je pense que nous avons pris la bonne distance, malgré les pentes et le terrain escarpé. Mais il serait temps de trouver un endroit pour nous réfugier.

— Ouais, j’pense qu’on l’a semée. Si nous on est paumées, y a pas de raison qu’elle nous retrouve fastoche non plus.

— Sur ce point, je vous rejoins les perverses. La Déesse a guidé nos pas d’aventurières pour échapper à la mort.

— Avec la neige… impossible de nous pister…

Au moins, c’était une chance dans le malheur.

— Il nous faut une grotte… inoccupée de préférence, dis-je en commençant à scruter autour de moi.

J’en avais aperçues pendant nos heures de marche, mais forcément lorsqu’il nous en fallait une, il n’y en avait aucune dans les environs.

— J’ai… une idée… Je vais appeler de l’aide… une licorne…

J’avais oublié ce détail également : Tyesphaine pouvait invoquer une monture licorne. En tant que fée, elle serait sûrement à même que nous aider à trouver notre chemin en pleine nature.

Le seul problème…

— Une licorne ? s’étonna Naeviah. Elle t’accepte avec ton armure maudite ?

— C’est pas un cheval avec une corne ? demanda Mysty.

Je répondis à la place de Tyesphaine qui se sentit agressée par deux questions en même temps.

— Oui, Mysty. Les licornes sont des créatures féeriques. Mais n’en parle pas comme d’un cheval en sa présence, elles sont aussi intelligentes que des humains et n’aiment pas qu’on les traite de monture. Elles laissent seulement les personnes au cœur pur et méritante les chevaucher. C’est une faveur qu’elle accorde, ce n’est pas un dû.

— Oh ! J’vois ! Bah, elles ont raison de se méfier et de choisir. La liberté, c’est important !

Je ne pus m’empêcher de sourire, une réponse digne de Mysty.

Tyesphaine répondit à la question de Naeviah :

— Oui… je… grâce à Epherbia, j’ai… le droit de les chevaucher… même si je suis… impure…

— Hein ? T’es impure toi ? demanda Mysty. Ça veut pas dire qu’on est méchante et qu’on a déjà couché ?

Naeviah et moi prîmes en même temps nos visages dans nos mains, puis soupirâmes.

— Tu pourrais pas être plus délicate, espèce de barbare du désert ? lui reprocha Naeviah.

— Pour une fois, je trouve aussi que tu devrais l’être un peu plus…

— Bah quoi ! Ch’sais pas moi ! Tyes m’a l’air d’une pucelle et c’est un ange, pourquoi elle serait impure ?

La concernée s’accroupit pour se cacher le visage. Si la discussion s’éternisait et qu’elle restait dans cette position, la neige la recouvrirait complètement… mais peut-être était-ce son intention de s’ensevelir pour se cacher…

J’entraînai Mysty un peu plus loin pour lui expliquer que Tyesphaine se sentait souillée à cause de son armure mais qu’elle était vierge (d’après son propre aveu).

— Bah ch’sais pas moi. Vous aimez parfois utiliser des mots chelous aussi. Et les licornes seraient un peu idiotes si elles jugeaient Tyes uniquement sur son armure, non ?

Comment lui donner tort ? Nous l’avions acceptée en passant outre son apparence, pourquoi une créature aux perceptions supérieures n’en ferait pas de même ?

Quelques minutes plus tard, alors que la situation redevint calme, Tyesphaine effectua son petit rituel de convocation de licorne. Il ne serait pas question de la chevaucher, juste de s’en servir comme guide.

Naeviah et Mysty assistait à cette invocation pour la première fois. Depuis que notre groupe comptait plus de deux membres, invoquer sa monture pour le voyage était devenu inutile puisque, pour notre part, nous n’avions pas de chevaux.

En principe, toutes les deux auraient dû voir la licorne lors de notre combat contre les géants dans les montagnes, mais elles semblaient ne pas lui avoir prêté attention. Étonnant…

Quoi qu’il en fût, une sphère de lumière apparut devant elle et un cheval blanc à la corne unique apparut. La licorne était différente de la précédente fois, mais elle était tout aussi magnifique et dégageait le même charme naturel.

Tyesphaine se mit à lui expliquer notre situation en langue des fées (enfin, je supposais, mes notions de celle-ci ne me permettaient pas encore de la comprendre) ; notre amie semblait étrangement plus à l’aise dans cette langue qu’en celle commune, elle parlait de manière fluette, sans bégayer ou hésiter.

C’était la première fois que je lui voyais tenir un discours aussi long… sans être sous l’influence d’une succube, bien sûr.

— C’est donc ça une licorne… ? me chuchota Mysty.

— Oui. Elle est belle, pas vrai ?

Mysty acquiesça. Même sans disposer de mes connaissances ou de l’amour des fées de Tyesphaine, elle ressentait pleinement le charisme naturel de la créature.

Naeviah ne paraissait pas impressionnée, mais je supposais qu’elle se cachait derrière son masque de tsundere habituel.

Finalement, Tyesphaine se tourna dans notre direction pour nous informer :

— Elle… accepte… elle va nous guider jusqu’à une grotte…

— Bonjour… Merci.., dis-je à la licorne en langue féerique.

Cette dernière me répondit en me daignant un acquiescement et un long regard. Je ne pus m’empêcher de remarquer le visage satisfait de Tyesphaine qui me scruta en cachant ses lèvres derrière son poing ; on aurait dit l’expression d’une mère confrontée aux progrès de sa petite fille.

Naeviah m’imita, elle avait suivi les mêmes cours de féerique que moi après tout. Mais la licorne tourna à peine sa tête vers elle.

Sans y prêter attention, nous nous mîmes en marche en suivant notre guide et, chemin faisant…

— Au fait, pourquoi les licornes n’aiment que les pucelles ? demanda abruptement Mysty.

— Un peu de retenue ! lui reprocha aussitôt Naeviah.

Cependant la question n’était pas si stupide : je n’en connaissais pas la réponse. Dans le folklore, c’était parce qu’elle représentait la pureté et la bonté, mais y avait-il une raison plus tangible ?

— Question de… En fait, je ne sais pas, Mysty. Je chercherais plus tard, répondis-je.

— On peut pas lui demander ? En fait, ça me perturbe un peu. Les filles qui l’ont fait sont pas de mauvaises personnes. Pourquoi on peut pas approcher une licorne ?

Il était vrai que Mysty avait déjà dit ne pas être vierge. La licorne avançait en tête avec Tyesphaine, elle nous entendait sûrement mais ne réagissais pas.

— Je… je m’informerai aussi…, dit Tyesphaine.

Mais attendre n’était pas ce qu’avait envie Mysty, elle dépassa la licorne et vint se placer devant elle.

— Salut ! J’m’appelle Mysty ! Ch’suis plus vierge, mais j’ai rien fait de mal. J’peux te caresser ?

J’avais envie de prendre mon visage en main (Naeviah le fit à ma place). La licorne s’arrêta et souffla par ses narines d’équidé.

Tyesphaine parut tout à coup confuse, comme moi elle craignait que Mysty n’ait contrarié la créature féerique, habituellement fière et susceptible. Aussi, je me rapprochai de Mysty pour la tirer par le bras.

— Je comprends ta frustration, mais c’est son choix. Il y a aussi des gens de qui tu ne veux pas te rapprocher, non ?

— Pfff ! C’est frustrant… J’ai rien fait de mal moi, j’aime juste les belles filles.

Donc ses précédentes expériences étaient avec des filles ?

Pour le coup, c’est moi qui fut indiscrète en lui demandant confirmation :

— Yep ! Pourquoi, c’est un problème ? me répondit-elle.

— Non, non…

Ce n’en était pas un, sauf qu’elle confirmait être sérieux lorsqu’elle parlait de vouloir nous épouser…

— T’es vraiment terrible ! dit Naeviah. On ne dit pas ce genre de choses en public !

— J’vois pas le mal. En plus, j’ai rien dit de méchant, j’veux seulement comprendre… Mais du coup, Nae et Fiali, c’est OK ?

Je grimaçai en devinant la réponse.

— Euh… je… je ne sais pas, dit Tyesphaine. Fiali, c’était… elle a pu monter sur la licorne… la dernière fois…

— Cela dit, chaque licorne a sa propre personnalité, cela dépend de l’une à l’autre, fis-je remarquer.

Mysty se gratta le menton.

— Ouais, bah, normal, comme les humains chacun est différent. Et celle-ci ? Elle accepterait Nae et Fiali ?

Nous nous regardâmes toutes les trois sans rien dire. J’essayai de prendre la parole…

— En fait, ce n’est pas si important que…

— Qui a dit que j’étais vierge d’abord ? rétorqua Naeviah en s’indignant.

— Ah bon ? Tu l’es pas ? C’était avec qui ? Homme ou femme ?

— Je t’en pose des questions !! Non mais ! Tu vas arrêter avec ça ? Je ne sais pas ce qu’il te prend mais, tu es lourde !

En vrai, j’étais également un peu étonnée du comportement de Mysty. Je ne pouvais que supposer une sorte de caprice d’enfant face à un refus. En un sens, je la trouvais plutôt adorable, c’était rare de la voir dans cet état.

Au passage, je ne croyais pas les propos de Naeviah : son visage rouge et son air embarrassé indiquaient qu’elle mentait.

Mysty était du même avis (Tyesphaine était à deux doigts de se cacher) :

— Bah, de toute façon, ch’suis sûre que tu es une pucelle aussi. Tu dégages cette impression…

— HEIN ?! Tu… tu racontes n’importe quoi !!

— Après, j’m’en fous, t’sais ? Si tu veux pas en parler… Repre…

— Non, cette discussion ne s’arrête pas là ! Explique-toi !

Mysty, les bras derrière la tête, allait se remettre en marche lorsque Naeviah, vexée (pour je ne savais quelle raison), l’arrêta.

— Expliquer quoi ?

— Pourquoi je… je… je serais une pucelle ?

— Bah, ch’sais pas… C’est juste une impression comme ça.

La réponse ne parut pas satisfaire Naeviah qui gonfla les joues. Mysty, le remarquant, se tourna vers elle et lui dit :

— T’as qu’à t’approcher d’elle. Si elle t’accepte, c’est que t’en es vraiment une.

C’était malheureusement un test qui ne résoudrait pas la question : les licornes n’appréciaient pas les humains. J’ignorais les raisons qui les incitait à aimer la pureté, mais j’étais sûre d’une chose : après la guerre entre humains et fées, ces dernières les fuyaient.

Tout comme Naeviah ne pouvait être transformée en mort-vivant, Tyesphaine recevait certainement des grâces de sa déesse qui lui permettaient d’approcher les fées malgré son état d’humaine.

— Qu’à cela ne tienne ! Je vais te montrer qu’elle va me rejeter.

Je compris le plan de Naeviah, je préférai me taire mais je le trouvai sournois ; elle devait forcément y avoir pensé aussi.

Naeviah s’approcha et aussitôt la licorne hennit pour lui signifier de reculer. La prêtresse n’insista pas, elle revint vers Mysty en levant les épaules.

— Tu vois ?

— Ouais, on dirait bien…

Malheureusement, elles étaient toutes les deux mes amies, j’étais face à un dilemme. Naeviah mentait et je le savais bien.

Une idée tout aussi sournoise me traversa l’esprit. Je souris en coin.

— Donc Naeviah n’est pas vierge…, dis-je en m’approchant de la licorne. Dire qu’elle traite les autres de perverse alors qu’elle n’est même pas pure… Pffff !

Sur ces mots, j’arrivais à portée du museau de la fée, qui sans tarder vint me lécher le visage. Je m’attendais à ce qu’elle m’acceptât, mais cette licorne était plus affectueuse que celle de la fois précédente.

— Hahaha ! Tu me chatouilles ! Hahaha !

— Whooo ! Comment ch’suis trop jalouse ! En tout cas, Fiali est une pucelle, elle c’est sûr.

— Eh oui ! Étonnant qu’on puisse être une perverse et être pure en même temps, non ?

Je jetai un regard ironique à Naeviah, lui faisant comprendre que j’avais dévoilé son stratagème. Elle croisa les bras et détourna le regard.

— En même temps, c’est de la triche. Je suis sûre que c’est juste du favoritisme parce que tu es une fée aussi. Mpffff !

— Hein ? Mais je suis pas une fée !

Depuis quand cette idée s’était propagée dans le groupe ? Tyesphaine avait réussi à infecter tout le monde avec sa manière de voir les elfes.

— Ah ouais… Bah, ça doit être ça. La chance d’être une elfe…

Mysty passa les bras derrière la tête et se remit en marche.

— Eh oh ! Je vous l’ai déjà dit : je ne suis pas…

Mais la langue de la licorne vint m’empêcher de finir la phrase.

Naeviah tira la sienne à mon intention, une attitude enfantine que je trouvais malgré tout charmante.

Elle pensait avoir gagné, mais la guerre ne faisait que commencer !

J’étais surtout inquiète concernant le jour où mes amies se rendraient compte que j’avais raison : les elfes ne sont pas des fées.

Tyesphaine, amusée, sourit en cachant ses lèvres derrière son poing. Elle était adorable !

Je soupirai et, en guise de revanche, j’acceptai la proposition de la licorne de monter sur son dos. Mais je ne me réjouis pas longtemps de ma victoire, puisque comme dans mon souvenir, monter à cru était douloureux… pour l’entrejambe.

***

Nous arrivâmes enfin à une caverne en fin d’après-midi. Nous étions trempées.

La licorne, ayant accompli sa tâche, disparut.

Après avoir déposé nos affaires à l’entrée, suffisamment grande pour laisser entrer une personne à la fois seulement, nous décidâmes d’explorer le lieu afin d’éviter de mauvaises surprises, tel un ours endormi qui l’utilisait comme refuge.

Armes en main, éclairées par une sphère de lumière magique créée par Naeviah, nous nous engouffrâmes dans un boyau à peine plus large que l’entrée. Tyesphaine en tête occupait tout l’espace avec son armure et son bouclier. Le plafond était à peine plus haut qu’elle ne l’était, elle devait faire attention en marchant à ne pas trop prendre d’appui sur la plante de ses pieds.

Après une dizaine de mètres, le chemin déboucha sur une plus grande cavité qui devait mesurer une vingtaine de mètres de diamètre. Il n’y avait pas d’autres tunnels. Nous y découvrîmes des traces d’activité humaine.

— Quelqu’un a déjà utilisé ce lieu…, dis-je peu satisfaite.

Cela voulait dire que l’endroit était connu et que notre poursuivante pouvait nous y acculer ; d’autant plus qu’il n’y avait pas d’autres sorties. Mais, Mysty vint donner un avis différent du mien :

— C’est une cache de contrebandier. Et elle semble abandonnée depuis des années.

— Cela ne signifierait-il pas qu’elle est connue des autorités, par hasard ?

Autorités dont faisait partie la capitaine Isabella.

— J’pense pas. Y reste rien. Les affaires ont été déménagées proprement. Ce qu’ils ont laissé ici, c’est les choses dont y avaient plus besoin et qui étaient pénibles à faire sortir.

La pente que nous venions de descendre était assez raide et dangereuse. Si c’était bien une cache de contrebandiers, ils n’avaient pas dû y cacher des marchandises volumineuses en raison de l’étroitesse du tunnel.

— Après, on va pas y passer des jours. On va juste pioncer et repartir, non ? Suffit de planquer l’entrée, la neige la recouvrira et demain on se taille.

— Et si la neige est trop importante pour ressortir ?

— Bah, ça veut dire que not’ennemie va pas nous tomber dessus non plus. Puis, avec ta magie de feu, suffira de tout cramer et bam ! On se fera la malle !

Je ne pus m’empêcher d’accueillir cette proposition de manière favorable. Je me tournai vers Naeviah et Tyesphaine :

— Vous en dites quoi vous deux ?

La première se retenait de bâiller à bouche grande ouverte, je pus voir des larmes se former au coin de ses yeux ; la seconde avait froid mais était trop fière pour nous le dire, ses mains et lèvres étaient devenues bleues et ses joues rouges (ce n’était pas de l’embarras cette fois).

— Ouais… Restons là un peu… Au moins le temps que la tempête se calme, dit Naeviah péniblement, ses yeux clignant de plus en plus.

— Je… je vous fais confiance…

Je levai les épaules en direction de Mysty qui leva le pouce.

C’est ainsi que nous décidâmes de rester là pour la nuit.

De toute manière, même si je ne disais rien non plus, j’avais trop froid également : l’humidité avait envahi mes vêtements. Puis, même si les blessures avaient été refermées, nous en avions subi des plutôt graves. Naeviah l’avait déjà expliqué : la magie était miraculeuse, mais elle avait ses limites, même soignées, il fallait se reposer.

Puisque le boyau était étroit et difficile d’accès, je proposai que Mysty et moi, les deux plus agiles, nous nous occupions de récupérer les affaires et de boucher l’entrée.

J’avais localisée des planches parmi les affaires abandonnées, nous en prîmes un maximum. Nous n’avions pas de clous ou de cordes pour les faire tenir entre elles, nous ne pouvions pas fabriquer une sorte de porte.

Cependant, ce n’était pas nécessaire : dehors, la neige avait dépassé les quinze centimètres. Le vent soufflait de plus en plus fort. Manifestement, j’avais eu raison de m’inquiéter quant à une tempête de neige.

— Ça va faire un peu mal aux doigts, mais laissons tomber les planches et bouchons l’entrée avec la neige, proposai-je à mon amie.

— Bah, y a pas trop le choix. Mais après, j’compte sur toi pour réchauffer mes mains.

— Euh… tant que tu ne les mets pas à des endroits malvenus.

— J’vois pas de quoi tu parles… Fufufu !

Moi, je voyais très bien !

Cela nous prit quelques minutes puis finalement nous retournâmes rejoindre nos deux autres amies au fond de la grotte. Naeviah dormait déjà, elle s’était assise contre une paroi. Pour sa part, Tyesphaine essayait de se réchauffer en soufflant dans ses mains, à présent démunies de gantelets.

— Tu aurais dû me le dire avant, Tyesphaine : j’aurais pu lancer mon feu féerique.

Ce dernier mot ne manqua pas de lui faire lever les sourcils. Elle sourit avec une expression fatiguée.

Mon feu de camp sans fumée apparut et diffusa rapidement sa chaleur dans la grotte.

Puisque le plafond était bas, je ne pouvais pas lancer mon abri magique en ce lieu. Mais d’un autre côté, il n’y en avait pas réellement besoin. Sa seule utilité aurait été d’éviter une déperdition de chaleur car, même s’il n’y avait pas de tunnels accessibles à des créatures de notre taille, il y avait malgré tout des petits creux et trous un peu partout qui laissaient circuler l’air.

Alors que Mysty se réchauffa les mains devant le feu, Tyesphaine et moi nous entreprîmes de réveiller Naeviah.

— Debout. Il faut au moins que tu te sèches et que tu manges avant de dormir.

— Hein… Euh… Je… je ne dormais pas… je reposais mes yeux… Haaaaan…

Je connaissais bien cette excuse, elle ressemblait à celle que j’utilisais enfant lorsque je m’endormais devant la télévision. Je souris sournoisement.

— Tu veux que je te déshabille et que je t’éponge ?

— HEEEEEEINNN ?!

Elle rouvrit brutalement les yeux en criant.

— Tu… tu… tu…

— C’est bon ! Tu l’as bien vu, je ne suis pas une perverse. Même les licornes me laissent les approcher. Tu n’as pas à t’inquiéter.

— Justement, je m’inquiète !!

Elle se mit à me crier dessus. Au moins, elle était à présent parfaitement réveillée. Je pris note pour plus tard que la menacer était très efficace.

— Tyesphaine, je t’aide à retirer ton armure ? lui demandai-je en ignorant les insultes de Naeviah.

— Je… D’accord…

— Et après tu te dis pure ? Tu ne penses qu’à nous déshabiller !

— Moi si tu veux me désaper, y a pas de souci ! J’te donne même ma culotte !

— Tu n’en portes pas…

— C’est vrai. Hahahaha !

Naeviah s’en alla s’en prendre à Mysty, ou plutôt l’utilisa comme prétexte pour se rapprocher du feu et se réchauffer ; même dans cette situation, elle restait incroyablement fière.

Une fois l’armure de Tyesphaine retirée, il était temps de sécher nos vêtements. Le problème était le froid. Mon feu ne brûlait pas depuis assez longtemps pour avoir réchauffer la froideur de la pierre.

— Si seulement nous avions de quoi prendre un bain, dis-je. On va attraper froid comme ça…

— J’pense pareil… Au fait, je les ai remarqué depuis avant, mais c’est pas des vieux tonneaux là-bas au fond ?

Mon feu de camp n’éclairait pas le fond de la grotte, une lumière diffuse peinait à l’atteindre. Mais je confirmais ce que la vue aiguisée de Mysty avait aperçu : parmi les affaires abandonnées se trouvaient des planches et des tissus, mais surtout de vieilles caisses et des tonneaux. Ils étaient en partie éventrés, mais peut-être qu’il y avait quelque chose à en tirer.

— Allons voir ça…

Nous nous levâmes et derrière des caisses vides, il y avait une demi-douzaine de tonneaux. J’ignorais combien de litres ils pouvaient accueillir, mais ils étaient suffisants pour une seule personne, et encore pas bien grande.

— Héhé ! J’avais bien vu : des tonneaux ! s’exclama Mysty en levant les bras avec joie.

— Des… to… to… ton… Aaaaaaaaaaaaahhhh !!

La réaction de Naeviah fut littéralement l’inverse, elle cria et s’enfuit en direction du boyau en vue de sortir. Toutes les trois nous l’observâmes abasourdies.

Depuis quand son traumatisme était devenu aussi sévère ?

***

Il avait fallu pas mal insister pour que Naeviah revienne parmi nous.

Avec pas mal de magie, j’avais réparé les tonneaux pour les rendre étanches. Nous avions tapissés l’intérieur de tissus pour les rendre plus agréables et chauds.

Mais le plus difficile avait été de persuader Naeviah de créer de l’eau et de nous faire confiance. Nous avions même pensé aller prendre de la neige pour la faire fondre, mais finalement, après avoir éternué trois quatre fois, elle avait admis la nécessité d’un bain.

Après négociations, ce n’était pas un seul tonneau mais quatre que nous venions de remplir.

En effet, Naeviah avait refusé de se baigner dans le même que l’une d’entre nous ; elle nous l’avait également interdit en nous menaçant de ne pas créer l’eau. Nous avions accepté.

Une autre condition avait été que le sien fut séparé des nôtres que nous nous tournâmes pour ne pas la regarder.

Ainsi, d’un côté du feu se trouvaient nos trois tonneaux et de l’autre celui de Naeviah.

Personnellement, j’étais prête à accepter un peu n’importe quoi du moment qu’on me laissât me baigner. J’avais froid à l’intérieur de mes os, il me fallait un bon bain chaud. Puis, je ne cacherai pas un certain amour pour les bains qui trouvait sûrement sa source au Japon.

Bien sûr, l’eau créée par Naeviah était froide, c’est mes sorts de feu ne tardèrent à la réchauffer d’un seul coup.

— Aaaaaaaaahhhh ! Je me sens fondre ! dis-je une fois plongée dans mon tonneau.

— C’est trop bon〜 ! Même si j’aurais bien aimé être avec Fiali.

— Non, je ne veux plus avec toi : c’est trop embarrassant.

— Hahahaha !

Mysty n’essaya même pas de se dédouaner, elle se contenta de rire.

— Tyes, tu veux pas enlever ta serviette ? Fiali regardera pas, j’pense. Au pire, j’vais la punir.

— Eh oh ! Je ne veux pas être punie et je ne regarderai pas.

— Euh… je… je…

Tyesphaine ne savait pas que répondre, elle commença même à paniquer. Sûrement voulait-elle nous faire plaisir en la retirant, mais une part d’être demeurait trop embarrassée pour ce faire.

Aussi…

— Bah, tu peux tout aussi bien la garder, Tyesphaine. C’était juste une proposition, dis-je même si ce n’était pas moi qui lui l’avait faite.

Mysty et moi, par contre, nous étions nues dans les nôtres. Je me trouvai dans le tonneau du milieu, donc j’étais en effet la seule qui pourrait scruter Tyesphaine si elle décidait de retirer sa serviette.

Cette dernière garda le silence et sa serviette. J’avais sûrement bien fait de ne pas lui faire ressentir la proposition comme une obligation.

— Ça va de ton côté, Naeviah ? L’eau n’est pas trop chaude ?

— Te retourne pas, idiote !!

En réalité, j’avais un peu peur de la laisser seule dans un bain depuis que je connaissais sa peur de la noyade.

— Je me retourne pas, c’est bon. Mais tu peux répondre à mes questions ?

— C’est bon ! Tout va bien ! Sauf de me savoir si près de toi et de Mysty, les deux pires perverses.

— Ah là là ! J’ai encore rien fait, moi, rétorqua Mysty.

— Comment ça encore ?!

— J’ai dit ça ? Hahaha !

Une fois de plus, Mysty n’était pas très rassurante. Je me sentais un peu moins seule malgré tout, je n’étais plus l’unique cible de Naeviah.

Je soupirai et m’immergeai autant que possible. C’était un peu étroit malgré tout et pas bien haut, il me fallut plier mes jambes pour entrer jusqu’au cou.

— Moi j’dis qu’on est finalement pas si mal ici, dit Mysty en s’accoudant sur les bords du tonneau. On est entre copines, tranquilles, dans un bon bain super chaud. Que demander de plus ? Ah si ! Un petit repas ! On aurait dû commencer par ça, on aurait pu manger dans les tonneaux…

Elle ne prenait pas la peine de cacher ses seins qui flottaient sur la surface de l’eau et m’étaient parfaitement visibles. À force, je reconnais que je n’étais plus très embarrassée, elle me les montrait si souvent.

— Désolée, Mysty, mais je pense parler au nom de toutes : nous étions frigorifiées. D’ailleurs, tu vas mieux Tyesphaine ? Ton armure doit être un vrai calvaire, non ?

Je tournai mon regard vers elle, mais elle n’osait pas me rendre le regard puisque j’étais nue.

— C’est… gentil de t’inquiéter… Je vais bien… à présent. Ton idée de bain… était une bonne idée.

— Merci, Tyesphaine.

Malgré sa serviette, je distinguai sans mal les courbes généreuses de sa poitrine, d’autant que le tissu collait dessus.

À ce moment-là, je bondis dans mon tonneau. Et pour cause, des mains venaient de me chatouiller les hanches.

— Hiiiiiii !!

— Cette réaction. Hahahaha !!

— Mystyyyyy !! Je ne suis pas aussi pudique que Tyesphaine, mais me fait pas ce genre de surprises !

— C’est vrai que tu ne l’es pas autant. On voit tout là. Miaaam !

J’étais debout dans le tonneau, tournée vers Mysty pour la réprimander : elle pouvait tout voir. Je m’engouffrai aussitôt dans l’eau en plongeant jusqu’à la bouche cette fois. Des petites bulles remontaient à la surface.

— Ah ? On dirait que j’ai cassé Tyesphaine aussi.

Je tournai mon regard vers cette dernière, elle était désarticulée et observait le plafond sans vie ; il manquait peu que de l’écume ne sortît de ses lèvres.

Je produisis encore plus de bulles. Dans mon état, j’étais incapable de faire quoi que ce fût pour Tyesphaine, il valait mieux attendre que la tempête passât.

— Tiens, Naeviah ne dit rien non plus, marmonnai-je.

— Elle se serait pas endormie ? demanda Mysty.

Malgré la situation, je tournai mon regard vers elle et effectivement elle dormait. Je soupirai longuement.

— Elle dort…

— Donc au final, y a plus que toi et moi ? Si tu veux, je peux venir dans ton…

— Eh oh !! Arrête avec tes avances, Mysty !

— J’y peux rien, j’ai faim !

— De quel appétit tu parles au juste ?!

***

Cette nuit-là, nous mangeâmes les vivres frais que nous avions « empruntés » dans la maison d’Isabella. Après ce qu’elle avait essayé de faire, j’avais peu de scrupules à les lui avoir dérobés.

En plus, même si elle mangeait devant nous, en tant que vampire, j’étais persuadée qu’elle n’en avait pas vraiment besoin. Combien de paniers cadeaux jetait-elle chaque semaine ?

Naeviah sauta le repas. Nous dûmes la tirer du bain, l’habiller et la coucher. D’un seul coup, sa pudeur n’était plus devenue un problème.

Cela dit, il serait plus juste de dire que je dus m’en charger. Il était trop dangereux de laisser Mysty s’en occuper et Tyesphaine n’était pas encore remise.

J’étais sûre que le lendemain Neaviah m’en tiendrait rigueur, peut-être ne me parlerait-elle même plus pendant quelques temps. Pourtant, ce n’était pas de ma faute. Les tsundere étaient parfois si absurdes.

Je voulus instaurer des tours de gardes, mais avant que je ne pus les organiser, tout le monde s’endormit.

Nous étions perdues. Une fois de plus…

Nous avions une ennemie puissante à Inalion. Nous ignorions à cet instant précis qu’elle avait fait passer un avis de recherche afin de nous capturer vives, mais le savoir n’aurait rien changé à notre situation.

Il fallait continuer dans ces montagnes, dans la neige. Mais pendant combien de temps ?

Nos vivres étaient limités, personnes ne savait chasser ou s’orienter.

Mais tout ceci étaient des problèmes qui attendraient le lendemain. Je fermai les yeux dans mon sac de couchage alors que la fatigue de notre incroyable journée me rattrapa.

À SUIVRE DANS L’ARC 6