Magical Beach Operation

— Cette plage est vraiment juste pour nous ? demanda Shizuka en se tournant vers Jessica.

Les portières de cette voiture taille XXL s’ouvrirent et les filles des agences Tentakool et NyuuStore en sortirent. C’était le milieu d’après-midi.

— Tout à fait, Shizuka-chan. C’est ma plage privée.

Jessica passa la main dans ses cheveux dans une attitude particulièrement hautaine. Sa richesse lui permettait ce genre de luxe. Il fallait également dire que le prix des plages privées et des villas en bord de mer avait incroyablement chuté depuis l’Invasion.

En effet, c’était les lieux privilégiés des attaques des Profonds et des séides du redouté Cthulhu. Nombre de villes et villages côtiers avaient érigé des remparts pour séparer les plages des habitations, mais ce coin-ci se trouvait suffisamment loin du village pour ne pas en avoir besoin.

— J’arrive pas à croire que vous ayez une plage juste pour vous…

— Quelle riche not’Jess ! s’écria Irina en étirant ses bras. J’ai hâte d’aller piquer une tête !

— Retenez vos ardeurs, nous vous en serions gré, sauvage que vous êtes.

Vivienne jeta un regard hautain à sa collègue tout en croisant les bras, avant de regarder en coin Shizuka aux yeux émerveillés par cette vaste étendue de mer.

— Le temps est au beau fixe, dit Hakoto. Nous avons de la chance.

Jessica mit fièrement les mains sur les hanches tout en se plaçant devant les filles.

— Bienvenue à Whitestone Beach ! Nous sommes là pour quelques jours de vacances bien mérités. Amusez-vous comme jamais ! Haha haha !

Jessica était habillée d’un débardeur rouge qui semblait à peine en état de retenir cette impressionnante poitrine de déborder.

— Le pouvoir de l’argent est effrayant…, marmonna Shizuka en baissant les épaules.

— Jessica est du genre à partager avec ses amies, profitons-en, Shizuka-chan.

Hakoto s’était rapprochée de son oreille pour lui souffler ces quelques mots. Mais de l’autre côté, le regard noir de Vivienne croisa celui d’Hakoto et lui fit perdre son entrain.

Sans aucun doute, elle pensa à cet instant : « pourquoi ne sommes-nous pas seules ? ».

— Jessica, tu d’vrais arrêter de te la péter, tu vas te faire détester, lui reprocha Sandy.

— Hein ? Moi qui vous invite si gentiment et qui vous accompagne même en voiture ?

Shizuka s’inclina.

— Merci infiniment, Jessica-san ! Grâce à vous, je ferais l’expérience de vacances que je n’aurais jamais pu que rêver.

— Nous vous remercions également du plus profond de notre coeur, dit Vivienne. Nous allons pouvoir voir Shizuka-san en maillot de bain…

L’intéressée n’entendit évidemment pas ces mots, en fait, seule Hakoto y parvint. Elle grimaça aussitôt. Mais lorsque Shizuka pencha la tête de côté, puis jeta une œillade à son amie d’enfance, son visage souriant était de retour.

— Vous êtes toutes des mômes. C’est tellement amusant de faire mumuse dans l’eau ?

La voix blasée d’Elin se fit enfin entendre. Elle venait de se réveiller et de sortir de la voiture d’un air totalement démotivé. Elle se gratta la tête et bâilla longuement.

— Commence pas à jouer les rabats-joies, demi-planche !

— Ah ? Tu recommences avec ce néologisme ridicule ?

— Je fais ce que je veux ! Puis tu n’avais pas besoin de venir si ça te plaisait pas !!

Elin bâilla à nouveau, traîna les pieds jusqu’à dépasser Jessica et observa la mer.

— En plus, il va bientôt faire nuit… Bah, remarque au lieu de patauger, on pourra allumer le barbecue…

— OUI !! Cet endroit, c’est le paradis ! cria Irina avec enthousiasme. La mer, le wifi et le barbac’ ! YEAH !

Comme une enfant qui va à la plage pour la première fois de sa vie, elle se mit à sautiller sur place. Bien sûr, ce n’était pas la première, mais pour Irina c’était tout comme.

Vivienne ne put s’empêcher de fixer avec horreur et jalousie les rebonds de son opulente poitrine qui gigotait de haut en bas en cadence avec ses sauts.

— Je dois dire que les filles de ton agence sont bien mieux que leur chef : polies, contentes, enthousiastes… Vraiment, je ne sais pas ce qu’elles font à tes ordres ?

Jessica leva les épaules en prenant un air méprisant, mais Elin se contenta de la fixer avec une regard vide.

— Elles veulent être protégée de toi. Fallait bien que je vienne, sinon le Whitestone Beach risquait de se transformer en Jessica Bitch !

— Toi ! Je… je vais te tuer ! Je vais te pulvériser !

— Jess, je suis en face de toi, inutile de hurler.

Les filles ignorèrent leurs deux chefs alors qu’elles entrèrent dans leurs habituelles disputes : Jessica criait et perdait son calme tandis qu’Elin la fixait et restait de marbre ce qui ne faisait qu’énerver plus encore son interlocutrice. C’était devenu un classique.

— Bon, j’en ai marre d’attendre, j’vais nager ! dit Irina.

— Pour aller se changer, vaut mieux aller à l’intérieur, dit Sandy en pointant du pouce l’édifice qui se trouvait à quelques dizaines de mètres derrières elles.

Il s’agissait d’une belle et grande villa, aux murs blancs, avec nombre de verrières et une terrasse sur pilotis.

— Bonne idée, profitons encore un peu de la plage, dit Hakoto.

À ce moment-là, une silhouette sortit de la voiture avec des mouvements lents et saccadés. Il s’agissait de Gloria. Son visage n’exprimait aucune enthousiasme, elle grimaçait et ses épaules étaient basses.

— Welcome in my hellish paradise…, marmonna-t-elle.

Hakoto et Sandy tournèrent brièvement leurs têtes vers elle, puis l’ignorèrent.

— Gloria n’a pas l’air contente… Qu’est-ce qu’elle vient de dire ?

— Elle exprimait le fait qu’elle était contente, dit Hakoto avec quelques gouttes de sueur sur le visage.

— « Bienvenue dans mon infernal paradis », traduisit Vivienne.

— Gloria n’aime pas aller à la mer ?

Hakoto joignit les mains et croisa les doigts d’une main avec l’autre, puis afficha un sourire crispé. Sandy soupira.

— Non, elle n’aime pas venir ici. Elle dit que la connexion est pourrie.

D’un pas traînant, Gloria se dirigea vers l’entrée de la villa en soupirant.

— Dear God, burn this hell, please… pffff !

Irina pencha la tête de côté, sans comprendre vraiment la situation, puis d’un seul coup, elle retira ses chaussures.

— Vous causez trop, j’en ai marre !

— Qu’est-ce que tu fais, Irina-senpai ?!

Mais Irina ignora la question de Shizuka et retira sa chemise, puis sa jupe et finalement ses collants.

— Tadam !! J’vais piquer une tête, v’nez fissa les filles !

Irina portait son maillot de bain sous ses vêtements. Elle avait choisi un bikini noir assez simple.

Sans se préoccuper des regards, elle se mit à courir sur le sable brûlant comme si de rien n’était et se jeta dans l’eau en riant aux éclats. Les filles l’observèrent avec des regards perplexes.

— On faisait ça quand on était petites, non ?

— Oui, tout à fait, Hakocchi…

— Cette sauvage sans patience. Au moins c’est un comportement digne d’elle.

Sandy se mit à rire et ramassa les affaires au sol.

— Si seulement Gloria avait la moitié de sa motivation. Haha !

— Whoooooooooooooo !!! Irina-chan !! Attends, je te rejoins de suite !

Jessica imita cette dernière et se déshabilla. Pour sa part, elle avait choisi un bikini rouge si fin qu’il couvrait à peine ce qu’il devait couvrir. Ses formes particulièrement généreuses, à faire tomber les hommes et emplir les femmes de jalousie, étaient dévoilées par ce microkini.

— Toi aussi ? T’as quel âge, Jess ? Huit ans ?

— Je veux pas t’entendre, demi-planche ! Retire donc ce pull ridicule et montre-moi la femme que tu es !

Jessica afficha un regard plein de défi. Bien sûr, la différence était flagrante avec Elin qui avait un physique totalement opposé.

— Tu veux vraiment que je me déshabille ici, perverse ?

— Tsss ! Même pas capable de relever le défi. En plus, qui m’assure que tu n’as pas ton maillot de bain déjà ?

— Je ne l’ai pas.

— Ouais ouais. Toujours la première pour te moquer mais après…

— Si tu veux vérifier.

— Je te prends au mot.

Jessica s’accroupit et leva le pull d’Elin, puis le baissa aussitôt. Son visage devint rouge pivoine.

Avec des mouvements mécaniques et le visage en sueur, elle s’éloigna et se dirigea vers Irina.

— Jess ! T’es la best ! Viens aussi ! L’eau est super !

— J’a… rrive… tu aurais au moins pu mettre quelque chose, espèce de naine indécente…

Jessica avait murmuré ces mots si bas que personne ne les avait entendus. Elle lança les clefs à Sandy puis courut jusqu’à l’eau à son tour, tout en criant que le sable lui brûlait les pieds.

— C’est toi qui voulait voir, imbécile de Jess.

Elin ramassa les affaires de Jessica et suivit les autres filles dans la villa.

***

Le temps de se changer et d’installer les affaires dans leurs chambres respectives, — la villa était assez grande pour qu’elles en aient toutes une individuelle—, l’heure était bien avancée et, finalement, on préféra s’occuper du dîner.

Puisque la nuit allait tomber rapidement, elles s’installèrent sur la terrasse pour manger. On distribua les tâches. Shizuka, Vivienne et Hakoto s’occuperaient des plats d’accompagnement, tandis que Jessica et Sandy se chargeraient de faire griller la viande.

Elin et Irina avait été chargée d’acheter des boissons au konbini, mais contrairement à la métropole, il se trouvait à quelques kilomètres de là, dans le village. Bien sûr, Elin avait rétorqué ne pas avoir envie et qu’une seule personne suffirait mais Irina avait insisté :

— Allez, Elieli !! Ça va être notre « Tentakool no Daibouken » (Grande Aventure de Tentakool) !

— Elle a l’air plutôt cheap ta grande aventure…

— Faut bien commencé par quelque part ! Regarde cet endroit ! On dirait le village de départ d’un RPG ! On va aller au konbini, puis au retour la villa aura été attaquée. Nous retournerons sauver le village des monstres, puis nous partirons tuer le Roi Démon ! Tellement la classe ! Hahaha !

Elin avait soupiré, les autres filles l’avaient accompagnée.

— On doit donc mourir pour que tu aies ta grande aventure ? avait demandé Shizuka sur un ton peiné.

— Si c’est nécessaire… j’compte sur toi, Shi-chan !

— Tu parles de ma mort quand même !!

Mais Irina s’était simplement contentée de rire bruyamment, ses mains sur les hanches, tandis que sa poitrine rebondissait en chœur.

— Chef, il nous paraît malheureusement nécessaire que vous l’accompagniez. Cette sauvage est un outrage aux bonnes mœurs, il faut une adulte responsable pour la surveiller.

Elin avait jeté un regard en coin à Vivienne, puis avait accepté mais à une condition : être portée.

Chargée d’Elin sur le dos, un bout de bois en guise d’épée de fortune, Irina, l’aventurière de niveau 1, accompagnée de son amie Elieli, magicienne niveau 2, s’était mise en route vers sa grande aventure.

Puisqu’elle n’avait pas besoin de se baigner, Elin n’avait pas mis son maillot de bain, mais elle avait changé de pull. Cette fois, c’était les Nyarlathotep qui étaient à l’honneur. Imitant un site de rencontre célèbre, il y avait écrit : « ♥Ndating – Your life with a Nyarlathotep who can change shape all THE time♥ ».

Il allait sans dire que personne ne lui avait fait de commentaire sur ce pull de fort mauvais goût, pas plus que sur l’utilité d’un vêtement aussi chaud alors qu’elles étaient à la plage en maillot de bain.

Au passage, Shizuka avait choisi un haut de maillot de bain rose combiné avec un paréo, ce choix accentuait son côté fragile, délicat et mignon.

Vivienne avait opté pour un tankini avec des motifs floraux. C’était un maillot de bain qui couvrait plus de peau qu’un simple bikini et qui lui permettait de garder son habituelle élégance. Fruit du hasard ou non, il y avait quelques fleurs de lys brodées dessus. Bien sûr, ce choix était aussi motivé par son complexe d’infériorité mammaire ; elle était la numéro 2 au classement des petites poitrines, Elin faisant office de numéro 1 et Shizuka de numéro 3. Même si elle ne l’admettrait jamais, elle aurait préféré en avoir une plus grosse.

De son côté, Hakoto portait un maillot de bain une pièce noir qui n’était pas sans rappeler ceux des écoles japonaises. La facture était différente, plus fine, plus sexy, mais relativement sobre malgré tout. À l’inverse de Vivienne, Hakoto complexait d’avoir trop de seins. C’est pourquoi son choix s’était porté sur ce modèle et cette couleur qui tendait à les faire paraître plus minces.

Sandy avait souhaité conserver un style plus intimidant, elle avait pris un maillot de bain rouge assez basique et portait un t-shirt décoré noué sur le côté qui laissait son ventre à nue. Les tatouages sur ses bras finissaient le travail.

Dans un coin de la terrasse, projetant des ondes négatives, se trouvait Gloria. Elle s’était changée également, après que Sandy et Hakoto aient insisté. Son choix s’était porté sur un maillot une pièce violet avec dessiné des sticks analogiques de manette de jeu sur sa poitrine et des boutons à divers endroits, hanches, fesses,… Sur le ventre était écrit : « PS X – Next Gen Geek ».

D’une manière différente d’Elin, c’était également un choix de mauvais goût…

— Le feu est OK, Jess.

— Attends, je vais enfiler quelque chose par-dessus. Je commence à avoir un peu froid…

— Ouais, les soirs sont frais en bord de mer. J’m’occupe de la barbac’, prends ton temps.

— Non, attends que je revienne !

Jessica se mit à courir en direction de la porte-fenêtre qui était grande ouverte et heurta quelqu’un.

— Oups ! Excuse, Hako-chan.

— Jessica ! Heureusement que je transportais rien.

— Héhé ! J’allais un peu vite. Vous en êtes où vous ?

— Presque fini, mais…

Hakoto tourna le regard vers un coin de la terrasse où se trouvait Gloria, recroquevillée, prenant ses genoux dans ses bras.

— Ouais, je vais m’en occuper. Il vaut mieux la laisser tranquille au début.

— Tout ça à cause d’internet…

Jessica s’abstint de répondre, elle sourit puis posa la main sur l’épaule d’Hakoto.

— Je compte sur toi pour montrer à nos invités qu’on sait les recevoir.

— Ne t’inquiète pas, Jessica ! répondit-elle en levant le pouce. Par contre… tu pourrais arrêter de me masser la poitrine, c’est gênant.

Depuis qu’elles s’étaient cognées, la main gauche de Jessica s’était bloquée à cet endroit de l’anatomie de son interlocutrice, de manière totalement innocente (?) et involontaire (?).

— Aaaah ! Désolée !!

Jessica rougit et s’enfuit sans demander son reste.

— Je te jure, cette Jessica… !

Après avoir soupiré, Hakoto s’empressa de rejoindre Vivienne et Shizuka qu’elle préférait laisser le moins possible seules.

***

Lorsque Jessica revint, habillée d’un haut léger et hors de prix, elle s’approcha de Gloria et s’accroupit pour avoir sa tête à son niveau.

— Je peux m’asseoir ? dit-elle en anglais.

Gloria leva à peine les yeux sur elle, puis acquiesça timidement.

Jessica s’assit à ses côtés, puis lui prit la tête et la posa sur son épaule. Aussitôt, comme si Gloria n’avait été qu’une petite fille dans les bras de sa mère, elle corrigea sa position et la posa sur la poitrine de Jessica qui lui la caressa. Le rôle de Jessica outrepassait celui de chef d’agence…

— Tu ne veux vraiment pas essayer de t’intégrer ? Regarde, Hakoto a l’air de s’amuser et Sandy aussi.

Gloria porta un regard distrait sur les deux groupes : tout en préparant les assiettes, Hakoto était engagée dans une joute verbale avec Vivienne, Shizuka ne semblait pas comprendre le double sens de leurs phrases où elles s’attaquaient furtivement. De son côté, Sandy, d’une manière plutôt masculine, s’amusait à griller la viande.

C’était des activités banales, rien à voir avec la tourmente de leurs luttes à la Capitale, à les voir ainsi elles paraissaient être de simples filles.

Gloria ne répondit pas.

— Je sais que tu n’aimes pas la campagne, la plage et tout ça. Je sais aussi que tu aurais préféré un endroit avec internet, mais tu ne penses pas pouvoir t’en passer quelques jours ?

Gloria secoua la tête et finit par dire d’une petite voix :

— Internet… c’est mon identité… Ici, je ne suis rien… je n’existe pas…

— Ton identité ?

— Sans wifi… je ne peux rien faire… je… je…

Elle commença à se mettre à trembler. La dernière fois qu’elles étaient venues dans cette villa toutes les quatre, Gloria n’avait pas fait une telle crise d’angoisse. Bien sûr, elle avait protesté et avait boudé, mais ne s’était pas mise dans cet état.

Dans cet endroit isolé, probablement à cause du relief aux alentours les ondes Wifi de l’antenne du village voisin n’arrivaient pas jusqu’à la villa. Gloria avait tout essayé mais, à moins de parcourir quelques kilomètres pour s’en rapprocher, il lui avait été impossible de se connecter.

La fois précédente, lorsque Jessica avait vu que Gloria n’en pouvait plus, elle l’avait laissé toute la nuit dans la voiture à proximité de l’entrée du village. Elle en était revenue rechargée.

— Tu n’as pas besoin de faire quoi que ce soit, ce sont des vacances. Il te suffit de t’amuser avec nous, personne ne te demande de hacker le Pentagone.

Gloria leva un regard interrogateur sur Jessica.

— Laisse tomber, c’était un des sièges du pouvoir à l’époque des USA… Bref, relaxe-toi et parle avec nous. Tu aimes bien Shizuka-chan, non ?

Gloria approuva en hochant la tête.

— La pauvre, elle ne te connaît presque pas. Tu es une personne intéressante, pleine de connaissances et de gentillesse, fais lui découvrir à quel point tu es une fille bien ! Eh ! Peut-être même que tu vas la voler à Hakoto et Vivienne, va savoir !

Jessica lui envoya un clin d’œil complice en espérant que les deux citées ne l’aient pas entendue.

Mais Gloria baissa le regard et finit par plonger sa tête plus profondément dans le décolleté de Jessica. Puis, elle passa ses bras autour d’elle.

— Je… je ne parle pas japonais…

— Arf ! C’est vrai… En plus, Shizuka-chan est nulle en anglais… comme la plupart des japonais…, dit Jessica à voix basse. Sandy et Hakoto te feront la traduction, voire je te la ferais si tu veux.

— Mais… mais… je ne sais pas quoi dire… je ne suis pas intéressante.

— Tu te rabaisses toujours, mais as-tu essayé au moins ? Écoute, tu m’aimes, non ? Alors fais-moi le plaisir d’essayer.

Gloria fixa Jessica longuement, elle avait les larmes aux yeux. Mais puisqu’elle l’aimait sincèrement, plus encore qu’elle ne s’aimait elle-même, elle se releva péniblement et se tourna vers le groupe de Shizuka. Elle mit un pied devant l’autre puis se pétrifia.

Son visage se couvrit de sueur et elle se mit à trembler. Finalement, elle revint se jeter dans les bras de Jessica.

— Sans Wifi, je ne suis rien !! Mon existence existe grâce à internet ! Je suis une Net Girl ! expliqua-t-elle en sanglots.

Jessica soupira longuement, puis reprit :

— OK, tu as au moins essayé. Brave fille, brave fille !

Elle caressa Gloria un moment, puis la séparant d’elle, elle plongea dans ses yeux.

— Après notre dernier séjour, j’ai fait installer une antenne sur le toit et j’ai demandé à amplifier le signal du village. Si tu avais au moins essayé, je suis sûre que tu aurais trouvé du réseau. Tu es trop défaitiste, tu abandonnes avant même d’essayer.

Mais Gloria ne l’écoutait plus, elle avait simplement retenu qu’il y avait une connexion possible.

— J’ai compris, c’est mort. Allez, va configurer tout ça, moi j’y connais rien de toute manière. Si ça marche pas, tu ne pourras pas dire que j’ai rien fait pour toi, OK ?

Gloria était émue aux larmes, elle déposa un baiser sur la joue de Jessica et l’enlaça de toutes ses forces.

— Merci, Jessicaaaa !

Puis, comme une enfant qui déballe un cadeau de noël, elle se rua à l’intérieur de la maison avec enthousiasme.

Jessica se releva, caressa la joue qui avait reçu cette douce offrande et soupira.

— On dirait que j’ai de nouveau perdu…

Elle aurait tellement voulu que Gloria se sente bien dans sa peau, mais pour l’heure elle ne pouvait rien faire de plus pour elle. Même avec toutes ces années ensembles, il y avait des murs indestructibles qui encerclaient sa psyché.

— Sandy ? La viande en es où ?

— La première fournée est presque bonne ! Mais Elin et Irina ne sont pas encore de retour !

— Si elles avaient le permis, cela aurait été plus rapide.

Jessica leva les épaules et rejoignit Sandy.

***

Pendant ce temps, Elin et Irina arrivèrent au konbini.

— C’est quand même loin, non ?

— Ouais. Foutu Jess, elle voulait que je marche tout ce chemin ? Je voyais ça plus près…

— Tes petites jambes auraient jamais tenues. Haha !

— Heureusement que j’ai à disposition tes jambonneaux.

— Ouais tu peux le dire !

Irina se mit à rire ne comprenant pas le sarcasme.

— Pose-moi. Je vais faire le reste du chemin toute seule.

Irina la posa au sol, puis observa tour à tour Elin et le konbini.

— En même temps, il reste juste quelques pas. T’es vraiment une fainéante, toi.

En effet, elles étaient en face du konbini, il n’y avait que quelques mètres de distance. Elin ignora sa remarque et prit la tête.

— Je parie que tu as oublié ton porte-monnaie.

Le premier réflexe d’Irina fut de plonger sa main dans son soutien-gorge, mais rapidement elle afficha un sourire désolé.

— J’ai zappé ! Tu m’as dit de pas foutre de trucs dans le soutif car j’serais assez bête pour me jeter à l’eau sans les virer.

— Et j’avais tort ?

— Probablement pas. Haha !

Irina dépassa Elin en courant les bras écartés :

— Du coup, t’as du pognon ? Ch’suis sûre que oui, t’es une tête toi !

Elin tira de sa manche un porte-monnaie en soupirant.

— Au moins, tu as suffisamment confiance en moi.

— Bien sûr que j’ai confiance en toi ! T’es la plus cool et intelligente ! Héhé !

— Merci…

Elin la fixa un instant. Irina n’était pas le genre de personne à être capable de mentir ou avoir d’arrières-pensées. Elle disait ce qu’elle pensait, c’était tout.

*Grrrrrrrrrr !!*

Un son caverneux émana du ventre d’Irina alors qu’elle baissa le regard et commença à se frotter le ventre.

— Héhé ! On dirait que j’ai la dalle ! Faisons vite, Elieli, j’ai pas envie que les autres se jettent sur la bouffe et nous laissent que dalle ! Tu prends les sachets, et je te porte au retour aussi !

— C’est le deal.

Irina attrapa la main d’Elin pour sceller le marché et entra la première.

— Whaaa ! Il fait frais là-dedans !

— Merci la clim’.

— Oh ! Y ont le numéro de la semaine dernière du PlayMag ? Et ce hentai, j’crois que je l’ai déjà lu.

Irina s’arrêta devant le rayon avec les livres qui se trouvait à gauche de l’entrée. Dans nombre de konbini ce rayon se trouvait à cet endroit. La taille du magasin était similaire à ceux de la métropole, les produits étaient sensiblement les mêmes.

— J’en sais rien moi de ce que tu lis.

— Tu devrais t’y mettre aussi aux hentai et eroge, y a des trucs vraiment cool dedans.

Quelques clients tardifs tournèrent timidement leurs regards vers les deux filles, c’était inévitable considérant les paroles d’Irina et sa tenue. Voir quelqu’un en maillot de bain en cette saison n’était pas inédit, mais la plupart des filles évitaient de sortir dans cette tenue en pleine nuit, surtout quand elles avaient les formes d’Irina.

Néanmoins, il y avait peu de chance qu’un pervers puisse réussir à lui faire du mal, même sans se transformer, elle pouvait tenir tête à des champions d’arts martiaux sans sourciller.

— Ouais un jour… mais pas trop intéressée, en fait.

— T’sais, y a des eroge où tu peux zapper les scènes de cul.

— Ouais, mais les hentai je vois pas l’intérêt d’en acheter si c’est pour les passer.

— Bah, toi qui voit ! J’vais prendre ce manga, ça m’occupera ce soir.

— T’avais pas faim ?

— Ah si ! Vite dépêchons-nous !

Mais à peine passée dans un nouveau rayonnage…

— Oh ! J’connais pas ces chips ! C’est quoi ?

— C’est écrit dessus.

— Tu connais toi ?

— Nope. Les konbini de campagne ont parfois des produits différents.

— J’prends !

— Avec mon argent ?

— Tu me prendras ça sur ma paie ! Allez, s’te plaît !!

Elin soupira et lui fit signe de poursuivre. Même pas deux mètres plus loin :

— J’connais pas ce melonpan non plus ! J’prends !

Elin voyait venir le dénouement. En arrivant à la caisse, elles avaient pas loin de quatre sachets pleins à ras bord.

Le vendeur, un jeune employé à mi-temps, avait fait son possible pour ne pas reluquer Irina, mais sa force mentale avait des limites malgré tout. Cette dernière n’y prêtait de toute manière aucune attention, elle était fascinée par tout un tas de détails du genre : « ils ont des cartes prépayées de 1000 yens pour Lime ? J’savais même pas que ça existait ! ».

— Cette gamine surdéveloppée…, marmonna Elin en traînant le pas jusqu’à la sortie tout en saluant le caissier de la main.

— On repassera ! Y a encore plein de trucs que j’connais pas ! À plus, Oniisan !

Une fois à l’extérieur.

— Il fait lourd…, se plaignit Elin en laissant tomber ses bras.

Bien sûr, elle ne portait aucun des sachets, c’était Irina qui s’en occupait.

*Grrrrrrr*

— Haha ! Quel impatient ce ventre ! J’vais manger un umaibo en attendant !

— Si j’étais ta mère je te dirais que tu vas te couper l’appétit, mais de toute manière je sais que ce ne sera pas le cas.

— Héhé ! J’aurais bien aimé t’avoir comme maman, la mienne me disait jamais rien du genre.

— Je suppose qu’une scientifique n’avait pas beaucoup de temps à accorder à ses filles.

— Grave ! Bon, bon, et si on rentrait en mahou senjo ?

— Tu veux utiliser tes pouvoirs pour ça ?

Irina finit d’avaler l’umaibo, cet espèce de cylindre de maïs, puis hocha la tête.

— Si tu veux… Ça me paraît un peu du gaspillage, mais pourquoi pas.

— Je te porte !

— Si c’est proposé si gentiment…

Irina se transforma et se revêtit de son uniforme militaire. Elin monta sur son dos et se contenta de s’accrocher à elle, sans prendre aucun sachet, contrairement à ce qui avait été convenu. C’est Irina qui s’en chargea à sa place.

— C’est parti ! Hahaha !

Tout en riant, elle se mit à courir à pleine vitesse.

À un moment donné, elles passèrent à proximité d’une petite voiture qui empruntait la même route. Le vieillard s’arrêta pour regarder et crut à une hallucination.

À cette vitesse, à peine quelques minutes plus tard, elles étaient de retour à la villa.

— Je vois pas à quoi te servait le snack si tu comptais rentrer comme ça…, fit remarquer Elin.

— J’aurais jamais tenu jusqu’à la maison. Tu m’as sauvée la vie, Elieli !

— Comme toujours.

Irina ne contesta pas, elle se contenta de sourire et de reprendre sa forme normale. Elle entendait à l’arrière de la maison les voix des autres filles qui s’élevaient et humait l’odeur de la viande grillée.

***

Le dîner, comme le reste, avait été fort agitée.

La viande choisie par Jessica avait été de premier choix. Il s’en était fallu de peu qu’elle achetât du bœuf de Kobe, mais Hakoto l’avait arrêtée et lui avait conseillé de se modérer.

Pas seulement la viande, les légumes avaient également été de qualité, achetée directement chez un maraîcher local qui les avait livrés peu avant leur arrivée.

Après avoir bien mangé, les filles s’étaient divisées. Qui était allé faire une promenade nocturne, qui était rentré jouer aux jeux-vidéo, qui était restée sur la terrasse à fumer et regarder les étoiles.

Finalement, toutes étaient allées se coucher pour profiter pleinement de la journée du lendemain.

Du moins, presque toutes.

Jessica quitta la maison sur la pointe des pieds, faisant attention à ne réveiller personne. Elle était vêtue d’un sweat shirt qui la couvrait jusqu’aux cuisses et d’un autre maillot de bain que précédemment, un peu plus couvrant.

Refermant la porte derrière elle, elle soupira et commença à s’éloigner, lorsque…

— T’es pas un peu vieille pour faire le mur, Jess ?

— Kyaaaa !

Jessica, surprise, ne manqua pas de crier avant de se reprendre et de mettre ses mains sur sa bouche. Elle tourna son regard vers la maison qu’elle venait de quitter en ignorant son interlocutrice, Elin. Elle tendit l’oreille et, n’entendant aucune réaction à l’intérieur, elle soupira de soulagement.

— Ça va pas me faire peur comme ça ?

— Oh ? Tu t’effrayes aussi facilement maintenant ? La Jess que je connaissais n’aurait pas réagi comme ça.

— Tssss ! Même autrefois tu m’as déjà fait le coup. Rappelle-toi l’épisode des Shoggoths de noël…

Elin était assise sur le capot de la voiture garée juste devant l’entrée. Elle portait un maillot de bain et un t-shirt. Elle avait choisi un maillot de bain d’école, couleur bleue foncée classique.

Elle se tut un instant et acquiesça.

— C’est vrai. T’es comme ça de longue date, désolée.

— Y a pas de quoi, contente d’avoir dissipé le malenten… Non, attends ! Tu essayerais pas de dire que je suis une poule mouillée ?!

Elin répondit simplement en posant son index sur ses lèvres pour lui intimer le silence.

— Si tu veux réveiller tout le monde, hésite pas, crie plus fort.

Jessica posa ses mains sur sa bouche une fois de plus et tendit à nouveau l’oreille. Aucune réaction.

Elle ne perdait son calme qu’en présence d’Elin, elle n’y pouvait rien, c’était plus fort qu’elle.

Finalement, elle reporta son regard sur interlocurice, grimaça et l’attrapa par le bras.

— Suis-moi, je t’explique…

Bien sûr, elle aurait préféré qu’Elin ne soit pas au courant, mais c’était déjà trop tard.

Cette dernière se laissa entraîner, les sandales des deux femmes s’enfonçaient dans le sable tantôt tiède, tantôt froid.

— Tu as un mis un maillot de bain finalement ?

— Comme tu vois.

— Tsss ! C’était pas le genre de réponses que je voulais. C’était une manière détournée pour que tu m’expliques…

Elin s’arrêta. Elles étaient à présent suffisamment éloignées de la maison. Elles longeaient toutes les deux la mer qui dansait sous la lueur de la pleine lune.

— Je le trouvais sympa, c’est tout. Regarde.

Elle leva son t-shirt blanc uni pour montrer l’illustration qui se trouvait sur le maillot de bain : il s’agissait cette fois d’un Mi-Go kawaii qui chevauchait un grille-pain avec l’écriture « Me go ! » en rouge.

— Sérieux ! Il y a des horreurs pareilles ?!

— C’est la même marque que mes pulls, ils ont une boutique en ville.

— Faut que je la rachète juste pour la fermer. Un tel manque de goût… Ça me donne envie de vomir.

— Tu aurais pu le faire aux toilettes, inutile de sortir pour ça…

Cette pointe d’ironie rappela à l’ordre Jessica qui grimaça.

— Tsss ! Tu m’agaces ! Qu’est-ce que tu faisais dehors au juste ?

— Je t’attendais.

— Hein ? Pour… ?

— Ne me prends pas pour une idiote, Jess. Ce voyage, c’est juste pour pouvoir t’occuper discrètement d’une affaire surnaturelle dans le coin, pas vrai ?

Jessica croisa les bras, détourna le regard et fit claquer sa langue de dépit.

— Pas.. pas du tout ! Je sortais juste prendre l’air ! C’est pas interdit que je sache ! En plus, je vous loge gratuitement, c’est pas toi qui va me dicter les lois non plus !!

— Tu as insisté pour que je vienne. Tu serais pas un peu maso parfois ? Je veux dire : tu te doutes bien que j’allais faire une petite recherche avant de partir.

Jessica tiqua un instant, mais elle cacha sa réaction et reprit la marche. Les vagues lui caressèrent les pieds, cette sensation était agréable après la chaleur de l’après-midi.

Elin retira ses sandales et la suivit, marchant dans ses traces.

Après peu…

— Tu ne veux pas me répondre ?

— Je ne vois pas lieu de le faire. Laisse-moi tranquille et rentre à la maison.

— Bah, j’ai aussi envie de me promener. Il s’avère que je suis le même chemin que toi. C’est pas interdit que je sache.

Jessica grimaça à nouveau. Elle détestait lorsqu’Elin avait tout compris et essayait de lui tirer les vers du nez. Elle était sûre qu’elle avait déjà tout découvert. Mais quand ?

Elle avait pris soin de ne pas lui laisser le temps de réfléchir et de s’informer, quand avait-elle fait des recherches au juste ?

Jessica sourit soudain :

— C’est du bluff, obligé ! Elle est du genre à dire des trucs pour tester ma réaction.

Mais à cet instant…

— Tu sais, les smartphones permettent de trouver des informations très rapidement.

— Fichtre ! Bon OK ! Tu as gagné, Miss-Tu-M’Enerves ! Pose la ta question !

Jessica s’avoua vaincue. Elle se retourna, le visage rouge de colère, les mains sur les hanches.

Elin la fixa longuement, puis dit :

— Ils sont vraiment gros. D’aussi près j’ai l’impression de ne voir que ça…

Jessica recula en couvrant sa poitrine comme une jouvencelle effarouchée.

— Qu’est-ce… ? Pourquoi je réagis comme ça, moi ?!

— J’allais te le demander. Tu serais plus du genre à me les balancer en pleine figure.

— Je… JE N’AI JAMAIS FAIS UNE TELLE CHOSE !!!

Elin lâcha simplement un « Oh ? » qui énerva encore plus Jessica.

— Tu… Tu doutes de moi ?

— Tu n’arrêtes pas de t’en vanter. D’habitude, t’es du genre à les montrer à tout-va et là tu réagis avec pudeur. Normal que je sois méfiante.

— Tu… tu me décris comme une exhibitionniste !!

— Voyeuse, lesbienne, exhibitionniste, fétichiste des seins et des pieds… Oui, tu es Jessica, quoi.

— Toiiii !!

Jessica s’emporta, elle saisit Elin par le col du t-shirt et la souleva légèrement de terre.

— Tu… tu… tu penses vraiment que je suis comme ça ?!

— Sans aucun doute.

— Ordure ! Je ne suis pas une perverse !

— Tu en es une. Mais bon, tu fais ce que tu veux, je m’en fous.

— Comment ça tu t’en fous ?

Elin soupira.

— On a déjà eu cette discussion cinquante mille fois : tu es comme tu es. Mais rassure-toi, tu as de bons côtés aussi.

Jessica la laissa, croisa les bras et souffla par les narines avec rage.

— Merci de me rassurer, demi-portion !

— Tu peux aussi arrêter d’agir comme ça, si tu supportes pas qu’on te le dise.

— Je le supporte, c’est juste la manière dont tu l’as dit qui m’a énervé ! En plus, je le… je le fais pas avec toi, tu ne m’intéresses pas ! Je vois pas pourquoi tu en parles !

— Ouais, ouais, je sais. Je suis un planche à pain, tu n’aimes pas les filles plates, etc. Enfin, sauf mes pieds, mais bon…

— Kyaaaaa !!! Pourquoi tu remets ça sur le tapis ! C’était un accident ! Je veux plus en entendre parler !

— Tu sais bien que je t’en parlerais juste à ta mort, Jess.

— On peut régler ça tout de suite dans ce cas !!!

Elin leva les épaules et écarta les bras pour la provoquer. La veine sur le front de Jessica gonfla et finalement elle se jeta sur son interlocutrice. Elle n’eut aucun mal à la plaquer au sol sur le sable.

— Alors, qu’est-ce que tu dis de ça ? S’il y a une grosse vague, tu vas boire la tasse !

Couchée sur le dos, dans le sable, en effet, s’il y avait une soudaine montée d’eau Elin serait submergée.

Mais à cet instant, Jessica sursauta, lâcha sa proie et tomba à la renverse.

— Qu’est… OÙ EST-CE QUE TU ME TOUCHES ?!! Et c’est moi la perv… Glouh Glouh !

À cet instant, une vague plus haute que les autres fit entrer de l’eau dans la bouche ouverte de Jessica.

— Kof kof kof !

À quatre pattes, elle toussait, les larmes aux yeux et fixait Elin. Cette dernière avait pensé à fermer les yeux et la bouche avant d’être touchée ; elle était juste trempée.

— Tu… l’as fait exprès !

— À la guerre comme à la guerre. J’y peux rien si tu es plus prude que tu ne le dis.

— Me toucher avec ton pied… à cet endroit ! N’importe qui aurait réagi comme moi ! J’en ai marre de toi ! J’en peux plus !

— Tu ferais mieux de ne pas hurler, tu vas encore boire la tasse.

— Je vais t’étrangler !

Mais au moment où Jessica fonça sur Elin, elle se retrouva avec un pied dans le visage.

— Tiens, un petit cadeau. Fanservice.

— Aaaaaahhh !! Tu… Tu n’as pas le droit de dire ça avec ta voix de robot !

Jessica recula, le visage rouge comme une tomate. Elle laissa tomber l’entreprise d’affronter Elin et, à la place, essora son t-shirt avant de reprendre sa marche.

— Je pensais que tu te serais plus excitée que ça avec mon pied…

— Tssss ! Je ne sais vraiment pas quelle image tu te fais de moi, mais il faut que tu arrêtes !

— Pas tant que tu ne me diras pas ce qu’on cherche.

— Cherche à deviner puisque tu es si maligne.

Elin se tut un instant puis bâilla :

— Des Profonds, je suppose.

— Ouais. Du coup, tu peux me laisser m’en charger, je n’ai pas besoin de toi pour des créatures aussi faibles.

— Bah, j’avais envie de prendre l’air de toute façon, donc autant t’aider.

— J’ai pas besoin d’aide !

— Je parie que tu as acheté cette villa juste pour pouvoir aider le village en toute impunité. Tu fais ça tout le temps…

Jessica s’arrêta et lui fit face.

— Qu’est-ce que tu en sais ?

— J’en savais rien du tout, mais tu viens de me donner raison.

Jessica grimaça une nouvelle fois pour exprimer sa frustration.

— Tu… tu ne sais rien du tout en fait.

— Je sais qu’il y a eu des disparitions ces dernières semaines dans le coin et qu’une équipe de mahou senjo a été envoyée. L’affaire a été classée en les déclarant victimes des Profonds. D’ailleurs, la dernière disparition a été signalée il y a deux jours seulement.

— Comment tu peux savoir tout ça ?

— Tu le sais aussi, non ?

— C’est le maire qui m’en a parlé à moi !

Elin la fixa puis, avec le plus grand sérieux du monde, dit :

— Moi aussi…

— Tu mens !! cria Jessica en la pointant du doigt. D’ailleurs, ça fait un bail que je me pose la question : comment tu peux avoir toutes ces informations à chaque fois ? Tu n’aurais pas récupéré les identifiants d’un commissaire, par hasard ?

Elin ne répondit pas, son visage resta de marbre.

— Non, j’y suis ! Tu as reçu les identifiants de Sugino, c’est pour ça que tu as les dossiers de tous les commissariats. C’est la seule explication.

— Je te laisse penser ce que tu veux. C’est pas le plus important. Même si tu n’as pas besoin de moi pour les tuer, tu auras besoin de moi pour les trouver.

— Dis tout de suite que je suis une débile et qu’il me faut ton super cerveau !

Elin se tut une nouvelle fois.

— Je vais vraiment le prendre mal à force.

— À ton âge tu as encore besoin que je te flatte ?

— L’âge n’a rien à voir ! En plus, tu ne l’as jamais fait, ne dit pas « encore » !

Elin soupira et attrapa la main de Jessica avant de l’attirer dans la direction opposée.

— Qu’est-ce que tu fais ? Tu m’amènes où là ?

— Tu connais plein de choses, mais tu es trop émotive. Si tu cherches des Profonds, ils ont sûrement trouvé une cachette dans des grottes. Donc par là, vers les falaises. Je parie qu’ils ont une entrée sous-marine, tu sais comment ils sont.

— Hein ? Tu… C’est possible, mais si tu te trompes, je me moquerai de toi jusqu’à ta mort !

Jessica était rouge et confuse, mais elle se laissait entraîner par Elin sans protester outre-mesure.

Cette dernière ne se retourna même pas pour lui répondre, elle l’ignora et continua en direction des falaises qui se trouvaient à quelques kilomètres de là.

En effet, cette zone était à risque. La police locale avait déjà trouvé des cadavres à proximité. Mais par manque de moyens et surtout, suite à la disparition de deux policiers dans les innombrables tunnels sous-marins, ils en avaient abandonné l’exploration.

Sans être jamais venue dans ce coin, Elin avait immédiatement relevé l’intérêt de ces falaises escarpées et de ses hauts-fonds acérés.

— Tu veux pas me lâcher, Elin…, finit par dire Jessica. C’est gênant…

— Comme tu veux. Cela dit, y a que nous, j’y vois rien de gênant. C’est pas comme si je me baladais nue.

— Plus que de l’embarras, ce serait une vision d’horreur. Les pauvres gens qui nous croiseraient se demanderaient comment on peut être aussi plate…

Sa réplique manquait de mordant, Elin n’y prêta pas attention. Aussitôt relâchée, Jessica reprit la tête de la marche.

— N’empêche, Jess, j’y pensais…

— Penser à quoi ?

— T’es un peu une tsundere du monde économique en fait.

— Hein ?!

— Ouais. Tu fais ça tout le temps. Tu rachètes des entreprises qui vont mal, tu injectes de l’argent dedans, tu modifies leur organisation en te faisant passer pour la méchante boss et, une fois assainies, tu fais semblant de récupérer les bénéfices. Sauf qu’entre temps, tu as bossé comme une folle pour protéger l’ensemble de la structure.

Jessica s’arrêta et resta bouche bée.

— Quoi tu pensais que personne n’aurait remarqué ? C’est comme ici. Tu as investis dans plusieurs de poissonneries qui avaient trempé dans de sales affaires de cultisme et qui étaient sur le point de fermer. Tu as acheté la villa pour donner l’impression que tu protégeais tes intérêts et, au final, les deux poissonneries du village se portent bien et ont relancé l’économie locale. Sans parler de l’aide que tu apportes au maire sous couvert de te faire de l’argent.

Jessica ferma ses poings et baissa le regard, son regard devint humide. Elin l’avait dépassée et lui faisait dos à présent ; elle s’arrêta et observa la lune.

— Tu t’investis toujours trop… Un jour, tu seras blessée par ceux que tu cherches à protéger. Si tous étaient comme toi, ce monde serait plus simple, n’empêche.

Jessica porta sa main sur sa bouche et déglutit. Ses larmes étaient sur le point de s’écouler mais elle les força à faire marche arrière.

— Y a des jours, je me demande si tu es un génie ou une imbécile. Personne ne ferait ce genre de choses ! Je voulais juste passer quelques jours à reluquer les seins de mes petites protégées et d’Irina, c’était tout. Le maire m’a appelé en après-midi, j’ai juste pensé que c’était l’occasion de se faire de l’argent. Raconte pas n’importe quoi, la seule qui me blesse c’est toi.

Jessica se mit à courir en direction des falaises.

— La dernière arrivée donne son maillot de bain à l’autre !

— J’ai jamais dit que j’acceptais. Je sais que tu es plus rapide que moi, espèce de géante.

— Je croyais que mes seins me gêneraient pour courir. C’est pas ce que tu dis tout le temps ?

— Ouais, je sais pas comme tu fais pour pas t’assommer.

— Héhé !

Jessica tira la langue, puis se remit à courir. Sa main se ferma sur son pendentif qu’elle ne quittait jamais. Elle leva le regard vers la lune, son expression était émue et reconnaissante.

***

— Whaaa ! Une plage juste pour nous ! C’est juste incroyable ! dit Shizuka avec enthousiasme.

Elle était sous le parasol, un chapeau de paille sur la tête, en maillot de bain.

Autour d’elle, Vivienne et Hakoto aménageaient l’espace à l’ombre avec des serviettes et d’autres accessoires. Puisqu’elles étaient juste en face de la villa, elles n’avaient pas besoin d’énormément de choses, il leur était facile d’aller les chercher.

Tout autour d’elles, il n’y avait personne en vue. Pour celles ayant des souvenirs du monde avant l’Invasion, comme Jessica ou Elin, c’était un spectacle inédit : les plages avaient toujours été prises d’assaut en période estivale.

Néanmoins, la remarque de Shizuka était quelque peu erronée. À cause de la menace des Anciens, plage privée ou publique, il n’était plus rare de voir ces lieux désertés. Puis, cet endroit faisait partie des zones rouges de baignade, c’était tout simplement normal de n’y voir personne.

Un code couleur allant de vert à rouge avait été crée pour classer les différentes zones balnéaires. Kamakura était par exemple classée en vert, puisqu’en période touristique il y avait des mahou senjo affectées à la protection des plages (un peu comme des maîtres nageurs).

— Oui, c’est le grand luxe, dit Hakoto.

— Ce sont là des conditions régulières pour accueillir des mahou senjo telles que nous, fit remarquer Vivienne. Très chère cadette, nous aurions quelque demande à vous faire échoir. Seriez-vous disposer à nous tendre votre oreille ?

Shizuka se tourna vers Vivienne qui l’observait avec toute la délicatesse et la grâce qui lui étaient caractéristiques. Ses yeux étaient charmants, presque envoûtants. Son corps svelte et ravissant se dévoilait dans un bikini plus léger que le tankini de la veille. Des motifs de fleurs y étaient imprimés et sur les bretelles quelques roses y étaient brodées.

— Oui, Oneesama ?

— Pourriez-vous nous aider à nous revêtir d’une protection solaire. Nous souhaiterions préserver notre peau des méfaits de cet astre aussi bienfaiteur que ravageur.

Elle montra à Shizuka une crème solaire qu’elle cachait dans son dos. Cette dernière déglutit, son cœur venait d’accélérer en se rendant compte qu’elle allait frictionner de la crème sur la peau soyeuse de sa senpai.

Elle la considéra un instant : son ventre était plat, sans aucune graisse inutile, et aucune cicatrice n’ornait son corps de déesse. Malgré son manque de poitrine, ses courbes étaient très marquées et féminines.

— Vraiment ?

— Pensez-vous que confierions une telle tâche aux mains barbares d’Irina-san, par exemple ?

— D’accord…

— Shizuka-chan ? Puisque tu y es, pourrais-tu également m’aider à l’étaler sur mon dos ?

Hakoto, qui se trouvait tout à côté, n’hésita pas à s’immiscer dans la conversation. Elle tendit sa propre crème solaire à Shizuka et afficha un large sourire qui dissimulait sa jalousie. La veine sur son front était couverte par sa frange, mais Vivienne pouvait aisément sentir les ondes négatives à son encontre.

— Toi aussi, Hakocchi ?

— Pourquoi est-ce que cela te surprend ? Je ne peux pas l’étaler correctement dans mon dos, tu sais ? Et j’ai également une peau fragile.

Elle posa une main sur sa joue pour se donner des airs de jeune femme en détresse.

— Oui, en effet… Mais je commence par qui du coup ?

— Même si nous en avons fait la demande la première, veuillez commencer par Hakoto-san, il serait malvenu de la faire patienter.

Le visage d’Hakoto se crispa un instant, puis elle sourit de manière aimable.

— Je peux attendre, il n’y a pas de problème. Puis, je vous renvoie la politesse : vous étiez la première.

Vivienne resta impassible mais sa rivale pouvait aisément sentir les épines qui pointaient vers elle.

— Nous insistons. Noblesse oblige.

— Je ne peux accepter tant de largesse, d’autant que vous ne résidez pas sur vos terres d’origine. Veuillez accepter, je vous prie. Omotenashi Oblige1 !

— Nous ne connaissions point cette expression. Auriez-vous quelques fibres artistiques pour improviser pareil néologisme ?

— Il m’arrive d’avoir de tels élans poétiques, en effet. N’y prenez pas ombrage, très chère. Hohohoho !

Shizuka, debout entre les deux, un flacon de crème dans chaque main, les observait se renvoyer les politesses sans réellement comprendre ce qu’il se tramait. Elle était incapable de voir la rivalité entre les deux.

— Shi-chan, enduit les toutes les deux en même temps. Je commence à en avoir marre de vous entendre.

La voix désabusée d’Elin arriva à leurs oreilles. Elle avait encore moins de motivation que la veille. Elle était couchée sur une serviette à l’ombre depuis que le parasol avait été installé. Elle n’avait aidé en rien, elle avait juste attendu sur la terrasse et avait occupé les lieux une fois les fondements en place.

Elle était en maillot de bain scolaire, le même qu’elle avait porté la nuit. Personne n’avait fait de remarque sur son mauvais goût vestimentaire, sauf Irina qui au contraire avait déclaré adorer ce maillot de bain.

D’ailleurs, cette dernière, après avoir planté avec sa force de brute les parasols, s’en était allée s’amuser dans l’eau. Au final, c’était Jessica et Sandy qui finissaient d’aménager l’espace.

— Je veux bien que tu m’enduises aussi, dit Jessica en bavant légèrement. Je peux attendre après ces deux-là, cela dit.

— Hein ? Jessica-san aussi ?

— Je m’occupe de la perverse de Jess. Fais monter leur taux de testostérones et d’œstrogènes à ces deux-là.

— Hein ? J’ai pas envie que ce soit toi, demi-planche ! Shi-chan ou Irina-chan, c’est tout !

Gloria qui était assise dos à Elin, son ordinateur sur les genoux, tourna la tête vers sa chef. Elle portait par-dessus son maillot un sweat shirt bleu. Son regard indiquait qu’elle avait compris la situation même si elle n’avait pas saisi le moindre mot.

— If you want, I can do it, Jessica.

— Ouais, vaut mieux que ce soit Gloria-chan qui s’en occupe.

— Mais euh… !!

Le visage timide et les grands yeux de Gloria lui firent pitié, elle voulait bien sûr profiter de la situation pour « expérimenter » les mains des deux filles de Tentakool, mais si elle refusait l’offre de sa subordonné elle lui déchirerait le cœur.

Elin qui se trouvait tout à côté présenta à Jessica la poitrine de Gloria à la manière d’un présentation de téléachat. Loin de s’offusquer, Gloria tira sur son sweat shirt pour accentuer ses courbes

— OK, OK… c’est bon ! Quelle vulgarité ces planches à pain…, marmonna Jessica en rougissant et en détournant le regard.

Jessica retira son t-shirt et s’approcha de Gloria sous les regards de tout le monde.

— Vous foutez quoi ? V’nez ! L’eau est trop bonne !! cria Irina à cet instant en agitant ses bras.

— J’vais venir, dit Sandy. Y a trop d’hormones dans le coin…

Elle jeta un regard en coin et afficha un sourire moqueur avant de retirer son t-shirt et son mini-short et de rejoindre Irina dans l’eau. Elle avait fini de disposer les glacières et de gonfler les ballons et bouées de toute façon.

Shizuka revint à elle soudain et proposa :

— Je vais faire comme a dit Elin-san. Je vais tenter toutes les deux en même temps. J’ai deux mains, non ?

Hakoto et Vivienne se jetèrent des regards peu satisfaits, mais finirent par accepter. Elles se couchèrent sur les serviettes et défirent leurs hauts. Leurs dos étaient exposés dans toute leur nudité, ils étaient tous les deux si délicats…

Shizuka rougit et déglutit. Elle avait accepté mais se rendait compte soudain à quel point c’était gênant.

— Shizuka-chan… laisse un peu chauffer la crème dans tes mains, sinon ça risque d’être froid…

Le visage d’Hakoto était empourpré et paraissait sur le point de fondre en larmes. Même si la plupart des femmes auraient désirées être à sa place, Hakoto était complexée par ce physique trop généreux, exposer ainsi ses seins écrasés suffisait à la faire se sentir mal à l’aise.

Mais, se rappelant que sa rivale était juste à côté, elle ne pouvait faiblir ! Elle tourna la tête pour découvrir que de son côté, Vivienne était parfaitement calme. Elle crut distinguer un sourire moqueur sur son visage qui était pourtant impassible.

— Je… vais commencer…

Shizuka se rapprocha, posa au sol les deux crèmes et s’accroupit lorsqu’une voix la fit sursauter.

— Tu as un grain de beauté sur la fesse, Jess ? Je l’avais pas vu celui-là.

— Hein ? Qu’est-ce que tu racontes, j’en ai pas… Puis depuis quand tu connais mes grains de beauté, toi ?!

— T’es tout le temps à poil devant moi, normal que je les connaisse.

— HEINNN ? Tu… tu divagues complètement !!

Jessica se releva sous l’effet de la colère. Le maillot qu’elle avait défait glissa. Son impressionnante poitrine se dévoilait aux yeux de toutes. Elle réalisa soudain qu’Elin l’avait trompée : le bas de son bikini couvrait toujours son postérieur, elle n’avait pas pu y voir de grain de beauté.

— C’est ce que je disais. Lui, il est toujours là.

Elin pointa un grain de beauté sur la poitrine de Jessica qui rougit et se recoucha.

— Tu… tu me le paieras ! Demi-planche perverse !

— C’est toi qui t’emballe pour rien, Jess.

— Jess’s boobs’re the greatest, dit Gloria en levant le pouce en direction d’Elin sur un ton sérieux. Don’t make fun of them, no tits !

Elin jeta un regard à Gloria et se dispensa de répondre.

— Thank you, sweaty ! Tu vois, ça c’est mes filles ! Les tiennes ne te défendent même pas !

Jessica lui tira la langue.

— Elles n’ont pas besoin de le faire, je ne dis pas des choses stupides comme certaines.

Jessica allait se relever dans un élan de colère, mais les mains de Gloria la retinrent couchée cette fois.

— Kyaaaaaaaa !!!

— Jess, fais moins de bruit.

— Ta gueule ! Kyaaaaaaa !!! Glo… riaaa…

— Même Jessica-san peut pousser des gémissements du genre ? marmonna Shizuka une goutte de sueur sur le visage.

À peine Gloria avait-elle commencé son œuvre que Jessica s’était mise à crier comme si elle était en pleine extase. Ce n’était plus simplement étaler de la crème mais une forme de massage.

Shizuka déglutit alors qu’elle ouvrit les deux crèmes et les fit chauffer dans ses mains.

— Je… je vais commencer aussi…

— Oui, va-y, Shizuka-chan.

— Nous vous en prions, très chère. N’ayez crainte, peu importe où vos mains se poseront, nous ne vous en tiendrons pas rigueur.

Shizuka sursauta et pâlit. C’était une invitation ? C’en était une ! Elle livrait son corps aux mains de Shizuka sans aucune pudeur !

— Arrête de réfléchir Shizuka ! pensa-t-elle.

Mais à ce moment-là, alors qu’elle sentait une bouffée de chaleur en elle et que son visage dégoulinait de sueur, Hakoto l’acheva :

— Je… je veux la même chose que Vivienne-san… pose tes mains aux mêmes endroits.

Aussitôt la phrase achevée, Hakoto enfoui son visage dans la serviette pour se cacher. Elle n’avait pas le sang-froid de Vivienne qui paraissait à peine affectée.

— J’y… j’y vais !

Elle fit couler la crème sur le dos de chacune, elles se trémoussèrent à cause de la différence de température et la texture liquide du produit. Puis, fermant les yeux, Shizuka posa la main sur chacune.

Hakoto fut la première à gémir, mais Vivienne ne tarda à l’imiter, bien que de manière plus modérée.

— Arrêtez de gémir comme ça, on dirait que je… vous…

Shizuka agitait sa main sur leurs dos, elle était rouge comme une tomate et ses lèvres formaient une drôle de rictus embarrassé.

— C’est… pas fait exprès… han han…

— Nous ne sommes… habituée… han han… à être touchées à cet endroit-ci.

Mais à cet instant, des gémissements encore plus forts se firent entendre, c’était ceux de Jessica.

En tournant la tête, Shizuka put voir que Gloria lui marchait carrément sur le dos. Elin levait le pouce pour approuver. Il n’était plus question de crème mais bien de massages à ce stade.

— Oui !!! Plus à droite !! Oh ouiiii !!

— QU’EST-CE QUE VOUS FICHEZ !!! cria Shizuka aux bords des larmes.

— Gloria-chan fait du bien à Jess, comme tu le vois.

— Aaaaahhh ! J’en peux plus de vous !! Ça devient obscène !!!

Shizuka abandonna sa tâche et s’enfuit rejoindre Sandy et Irina dans l’eau.

***

À midi, les filles se regroupèrent sous les parasols pour manger des bentô cuisinés le matin-même.

— Pourquoi ne pas manger sur la terrasse ? On est à l’étroit ici.

Sans comprendre ce qu’Elin avait dit, Gloria approuva.

Toutes les deux étaient restées toute la matinée à cet endroit, sans se déplacer : l’une couchée en train de dormir, l’autre sur le PC en train de naviguer. D’une manière ou d’une autre, une forme de respect s’était installée entre elles, c’était comme regarder deux animaux partageant le même territoire de chasse.

Que ce fût par timidité ou par paresse, elles ne désiraient aucunement quitter l’ombre des parasols.

— Alors d’abord vous vouliez pas venir toutes les deux et maintenant vous voulez en plus qu’on ne mange pas ici ? Pourquoi c’est pas vous qui retourneriez à la villa à la place ?

Il n’en fallut pas plus pour qu’Elin se lève.

— OK, je vais dormir sur le canapé.

Elle mit ses sandales et se mit en marche vers la maison lorsque la main de Jessica lui attrapa l’épaule.

— Reste ici, idiote ! Sinon Glory va te suivre… Tu as accepté, maintenant tu restes !

— Faudrait savoir ce que tu veux à la fin.

— Pfffff ! Assieds-toi et mange ! Arrête de faire tes caprices.

Elin se rassit en soupirant.

— Cela dit, c’est vrai qu’on est un peu à l’étroit, marmonna Hakoto. Je suis presque couchée sur Shizuka.

— Haha ! C’est normal, on est à la plage, ça fait partie du charme, dit Sandy.

— Eh oh ! Hakoto ! Tu vas pas t’y mettre aussi ! Je vais pas faire installer une tente militaire, ça rimerait à quoi de faire une sortie à la plage ?

— J’approuve, dit Shizuka.

— Ouais, on s’en fout de tout ça ! Elieli ! Tu d’vrais venir aussi t’amuser, tu verras c’est marrant !

Irina avala d’une bouchée le reste d’un sandwich avant de boire une grosse gorgée de thé pour le faire passer.

— Ch’suis d’attaque pour y retourner, dit-elle fièrement.

— Je t’adore tellement Irina-chan~ ! dit Jessica les larmes aux yeux. T’es la seule à ne pas râler.

— Héhé ! J’viens pas souvent à la plage, ch’suis contente !

— Nous nous demandons encore comme une vampire…

Mais Shizuka empêcha Vivienne de finir sa phrase en lui posant une main sur la bouche. Bien sûr, pour une prétendue vampire c’était étrange de pouvoir s’amuser de la sorte sous le soleil, mais Irina était tellement excitée qu’elle n’y pensait plus. Shizuka préférait que les choses demeurent ainsi, qu’elle n’y pensât pas. Vivienne n’insista pas.

— Tiens ! Faut reprendre des forces, dit Sandy en tendant un nouveau sandwich à Irina.

— C’est vrai, merci Sandy !

— En fait, la seule qui râle c’est Elin. Dire que t’es chef d’agence, sérieux…

Jessica soupira puis dévisagea l’impassible Elin. Cette dernière, qui se trouvait à côté d’elle, tendit la main dans sa direction.

Jessica rougit et se paralysa en remarquant que la main se dirigeait… vers sa poitrine ! Mais soudain elle s’arrêta avant tout contact et désigna quelque chose.

— T’as du riz sur les nichons. Comment tu fais pour en arriver là ? Regarde. Tu les nourris directement pour qu’ils soient aussi gros ou quoi ?

— Haha ! Même moi j’fais pas ça ! se moqua Irina.

Jessica se cacha en croisant les bras, tout en fusillant du regard Elin.

— Toi… je… je…

Shizuka soupira en tendant un mouchoir à Irina.

— Ton soutien-gorge est aussi plein de miettes de pain, Irina-senpai…

— Ah bon ? Ah oui ! J’avais pas vu ! Bah, ça fera un peu de bouffe pour les poiscailles ! Héhé !

Vivienne et Shizuka soupirèrent en chœur. C’était difficile d’avoir Irina dans leur agence parfois, et elles venaient de découvrir qu’il valait mieux ne pas faire sortir Elin de son agence non plus.

— Bon, sinon, ça vous dit de faire du beach volley après manger ? proposa Sandy pour changer de sujet. On pourrait faire un duel Tentakool contre NyuuStore.

— Oh ! Cool ! J’veux !

— C’est pas une mauvaise idée… même si je suis un peu nulle en sport, dit timidement Shizuka en souriant.

Ses deux voisines la dévisagèrent sans rien dire, s’abreuvant de cette expression adorable qu’elle leur offrait.

Malgré les protestations des deux rabats-joies, la décision fut prise. On attendit toutefois quelques heures après le déjeuner que la température baisse un peu avant de se lancer dans une telle activité sportive.

Irina refusa bien sûr de faire une sieste et continua de nager pendant que les autres dormaient.

Jessica avait le matériel nécessaire pour jouer, elle avait un filet et des poteaux dans la maison. Irina, transformée, les planta sans problème et des marquages furent dessinés sur le sable.

— On part pas du tout avantagées…, dit Elin les épaules basses.

— Oui, c’est vrai qu’elles sont grandes, dit Shizuka en jetant un œil à l’équipe rivale.

— Non seulement. Puis, elles sont plus physiques que nous…

— Nous ne pouvons être de votre opinion, chef. C’est plutôt équilibré.

Dans l’agence Tentakool, il y avait deux profils de magiciennes, une mixte et une physique. Chez NyuuStore, elles étaient trois mixtes et une invocatrice.

C’était sûrement le calcul de Vivienne, mais…

— Ouais, enfin là tu parles des formes de combat. Je vous servirais à rien, Shi-chan est un peu une gourde…

— Eeeehhh ! Je… suis juste un peu maladroite quand je suis stressée !

— Et vu que tu l’es presque toujours…

— C’est bon, ch’suis là !

Irina bomba le torse et expira profondément par les narines.

— Ouais, on a notre buffle qui pourra assurer, mais c’est tout.

— Et Oneesama ?

— Tu la vois frapper dans un ballon et prendre le risque de se briser un ongle ?

Vivienne ne se défendit même pas, elle passa la main dans ses cheveux et afficha un sourire bienveillant. Shizuka blêmit un peu.

— En bref, notre seule joueuse c’est Irina-chan ?

— Ouais, on va dire ça. Mais j’ai un plan. Il faut que vous me fassiez confiance par contre.

— Vous savez que nous avons pleinement confiance en vous, chef.

— Pareil, ch’suis à fond avec toi, Elieli ! Mais en vrai, ça devrait passer, ch’suis balèze à ce jeu.

— Tu n’y as jamais joué et tu connais même pas les règles.

— J’ai joué à Undead Relife Xtreme Beach Volley, t’sais ?

Les épaules de Shizuka tombèrent. Même elle avait entendu parler de ce jeu dans sa classe, il était très populaire chez les garçons pour la simple raison que le casting était entièrement féminin et que tous les personnages avaient des proportions d’actrices pornographiques. Sans parler du fait que le jeu permettait de faire constamment des zooms…

— C’est ça ta référence ? demanda Shizuka exaspérée.

— Bah ouais, j’suis pas trop sur les jeux de sport, j’trouve ça chiant. C’est plus marrant d’en faire en vrai. Héhé !

— J’ai peur de demander… Pourquoi tu as joué à ce jeu du coup ?

— Pour les meufs ! Et pour faire enrager Elieli, elle arrêtait pas de se plaindre à cause de leurs nichons.

— Normal, c’est pas possible des vaches pareilles. Tssss ! Ils auraient dû lui donner pour titre : Xtreme Bitch Volley Cow Level.

Irina se mit à rire en se tenant le ventre, tandis que les deux autres filles ne savaient qu’en penser et se fixaient en silence.

— Vous êtes prêtes ? cria Jessica de l’autre côté.

— Ouais ouais, répondit Elin en se rapprochant du filet en traînant les pieds.

Jessica prenait un air triomphant et hautain, une main sur la hanche l’autre tenant la balle.

— Prête à perdre, demi-portion ?

— Tu sais bien que je m’en fous. Venir sur le terrain, c’est déjà perdre de mon point de vue.

— Aucune motivation, aucune fierté… J’en peux plus de toi ! Je vais t’écrabouiller et t’ensevelir sous le sable comme ça tu pourras dormir tranquille.

— Oh, bonne idée, Jess. Merci bien…

Cette réponse ne fit qu’énerver plus encore Jessica qui grogna.

— Que la partie commence ! Je vous laisse commencer, honneur aux futures perdantes. Mouhaha !

Elin ne dit mot et prit la balle qu’elle tendit à Irina.

— Essaye de tirer prêt du filet.

— OK~ !

— Vivi-chan, mets-toi prêt du filet et saute si tu vois Jess smasher.

— …

— Shi-chan, tu restes à gauche au fond. Fais ce que tu peux, j’en attends pas des masses de toi de toute façon.

— C’est méchant !!

Irina lança la balle qui, comme l’avait demandé Elin, frôla le filet, mais elle fut rattrapée par Jessica qui la lança en arrière. Aussitôt, Sandy sauta et smasha. Irina sauta pour intercepter la balle qui décrivit une courbe parabolique en direction du filet.

— À toi, Vivi !

Cette dernière se déplaça et se mit en position pour bondir et la smasher en retour, mais elle n’en fit rien. La balle tomba à ses pieds et le premier point fut octroyé à NyuuStore.

— Vivi ! Pourquoi tu l’as pas frappée ?

— Oneesama ?

— Nous… ce mouvement nous a paru fort disgracieux, nous cherchions un moyen de renvoyer la balle avec grâce.

— Aaaah ! C’est un sport, Vivi ! Faut juste frapper !

Elin leva les épaules :

— Je vous l’avais dit. Bref… moi je m’en fous un peu, mais vous voulez vraiment gagner ?

— Oui ! répondirent Shizuka et Irina en chœur.

Vivienne leva les épaules, elle s’en fichait probablement autant qu’Elin. Mais, à cet instant, une silhouette s’approcha du filet. Hakoto portait un sweat pour jouer, elle affichait un regard hautain.

— Shizuka-chan, je suis navrée que nous ne soyons pas dans la même équipe. À cause de Vivienne-san, vous allez sûrement perdre. En tant que gagnante, je te paierai une glace et à boire.

— Merci… Hakkochi…

— Je me demandais si une noble était capable de jouer à ce jeu, mais je suppose que les jeux de balles ne sont pas leur point fort.

Vivienne se tourna vers sa rivale et répondit à la provocation en entrant dans un duel de regards. Tacitement, elles venaient de choisir l’enjeu : celle qui gagnerait paierait à boire à Shizuka.

Hakoto retourna à sa place, décidée à gagner.

Vivienne noua ses cheveux en queue de cheval, elle était tout aussi décidée à ne pas perdre.

— Bon OK, on a un peu plus d’espoir à présent. Merci Hakoto-chan, marmonna Elin.

— Oneesama ? Ça va ?

Vivienne se tourna vers Shizuka en souriant avec gentillesse.

— Oui. Nous avons simplement décidé de prendre ce jeu au sérieux. Il serait indigne pour la noble que nous sommes de ne pas donner notre mieux dans un affrontement, tout factice qu’il soit. N’ayez crainte, nous gagnerons puisque la justice et les dieux sont de notre côté.

Shizuka grimaça, elle avait un mauvais pressentiment…

Les balles et les points s’enchaînèrent.

Comme l’avait prévu Elin, Vivienne et Irina étaient les seules à réellement jouer. Shizuka avait essayé de marquer quelques points, mais elle n’avait fait que leur en faire perdre. Elin n’avait pas touché la balle depuis le début et n’arrêtait pas de bâiller.

Il manquait peu de points pour que NyuuStore ne remporte le match, l’écart était assez notable. Mais, alors qu’Irina renvoya la balle en avant et que Vivienne allait la smasher, — prenant enfin la partie au sérieux, elle s’était révélée plus athlétique que prévue— , Elin tira sur le haut d’Irina et découvrit ses seins.

La réaction fut immédiate. Jessica fut hypnotisée et du sang s’écoula de son nez.

* Paf *

La balle lui passa à côté sans qu’elle ne put réagir.

— Un point pour nous, dit Elin.

— Tu… tu… tu l’as fait exprès !

— Haha ! Mon maillot s’est fait la malle ! dit Irina en tout innocence.

— Je voulais frapper la balle, dit Elin. C’était un accident. Je vais te le remettre, Irina-chan, approche.

— OK~

Jessica fulminait et décida de changer de place. Elle prit une position au centre, laissant l’avant à Hakoto. C’était le moment qu’attendait cette dernière, elle n’était séparée de sa rivale que par le filet.

Néanmoins.

— Shi-chan, change de place avec Vivi-chan.

— Hein ?

— C’est de la stratégie, écoute ce que je dis.

Elles échangèrent de place. Irina servit la balle qui leur fut renvoyée.

— Passe la à Shi-chan.

Irina lui passa la balle. C’était le moment, Shizuka avait enfin l’occasion de s’illustrer. Elle sauta et visa la balle. Le soleil était dans son dos, elle voyait l’ombre se rapprocher d’elle.

La silhouette plus grande et élancée d’Hakoto bondit, elle allait servir de mur devant elle pour renvoyer la balle.

Shizuka ne réfléchit pas, elle ferma les yeux et frappa de toutes ses forces.

— Point pour Tentakool ! cria Sandy.

— Hakoto ! Tu fous quoi ?

— Désolée !

Au dernier moment, voyant le visage adorable de Shizuka les yeux fermés, tentant de faire de son mieux, Hakoto avait baissé les mains et la balle était passée.

— Ouais ! J’ai marqué !

— C’est fort remarquable, Shizuka-san.

— Oui, Oneesama !

Les deux filles topèrent cinq tandis qu’Hakoto fulminait dans son coin.

— Service pour nous, dit Elin. Bon, écoute Irina, tu vas viser Jess. Plus précisément…

Cette fois, le service d’Irina ne visait pas une zone vide pour y marquer un point, mais visait Jessica en personne.

Sous l’effet de la surprise, cette dernière tarda à réagir, sa poitrine percuta la balle et l’envoya sur le côté, là où personne ne se trouvait.

— Point pour Tentakool !

— Sorry ! dit Jessica. Je ferais mieux la prochaine fois.

Mais elle ne parvint pas à arrêter les cinq autres balles qui suivirent et qui utilisèrent la même tactique.

— C’est quoi cet acharnement ?! C’est quoi le but ? cria Jessica mécontente.

— Juste te montrer que tes nichons sont gênants pour jouer.

— Quoi ?! Je… je vais te tuer demi-portion !

— En attendant, nous vous avons rattrapées.

— Parce que tu triches !!

— C’est de la stratégie. Voyons voir comment tu nous arrêteras cette fois…

La balle décisive fut lancée par Irina qui y mit toutes ses forces, c’est avec adresse que Sandy l’arrêta et la renvoya au niveau du filet. Jessica sauta et frappa de toutes ses forces. Vivienne la bloqua en joignant les poignets.

— C’est le moment, Irina.

Suivant les paroles de sa chef, Irina bondit. Mais à cet instant, une nouvelle fois son soutien-gorge se défit. Cette fois, ce n’était pas la faute d’Elin mais d’un nœud qui n’avait pas tenu (volontairement).

— Aaaah ! Sandy à toi ! cria Jessica en se couvrant les yeux, incapable de poursuivre.

Sandy sauta et bloqua la balle, même Irina n’était pas en position pour la rattraper, elle venait à peine de retomber au sol.

Shizuka plongea à l’avant, son poignet parvint juste à temps à s’interposer entre le sable et la balle qui remonta dans les airs en suivant une ligne droite verticale.

Sans aucune pudeur, Irina vint la frapper, sans nullement se préoccuper de sa poitrine parfaitement visible.

Cette fois, c’était Hakoto qui se jeta sur la balle et qui la renvoya juste à temps pour que Sandy la passe à Jessica.

— Aaaaaaahhhh !

Cette dernière sauta et frappa de toutes ses forces en fermant les yeux, c’était un effort surhumain pour elle. Inconsciemment, c’est sur Irina qu’elle tira la balle au lieu de viser une zone vide qui aurait obligé les joueuses à se déplacer.

Irina la bloqua et la renvoya en avant. Mais, à ce moment-là…

— Shi-chan, c’est le moment. À poil.

Même si c’était la voix monocorde d’Elin qui venait de crier ces mots, ils entrèrent vivement dans toutes les oreilles. Hakoto et Vivienne les premières se tournèrent en direction de la susnommée. Mais pas uniquement elles, Sandy, Irina et Jessica aussi.

Seule Gloria resta de marbre, sans comprendre ce qu’il se passait.

* Paf *

La balle heurta le sol.

— Point pour nous, dit Elin.

Personne ne l’écoutait. Toutes restèrent bouches bées en voyant Shizuka se relever, vêtue de son maillot de bain.

— C’était… c’était…

— Oui, c’était du bluff, confirma Elin en se relevant. À propos, nous avons gagné. Regarde.

La balle qu’Elin avait frappée, la seule balle de tout le match, était aux pieds de Gloria qui n’avait même pas essayé de l’arrêter. Un peu comme Elin, elle n’avait pas joué. Contrairement à Elin, elle n’avait pas du tout touché la balle de toute la rencontre.

— Tu… Tu… TU ES IGNOBLE !!

— Ehhhh ! Pourquoi tout le monde a l’air déçue que je sois habillé ? Hein ? Hein ?

Shizuka rougit et cacha sa poitrine de ses mains en reculant avec effroi.

— Si tu veux tromper l’ennemi, il faut d’abord tromper ton allié, expliqua Elin. C’était une stratégie en plusieurs temps. J’ai commencé par montrer les nichons d’Irina une première fois.

Irina qui était toujours seins à l’air fit un signe de victoire.

— Puis, j’ai noué inten… puis le nœud que j’ai fait n’était pas assez serré et il s’est défait et on a vu les boobs d’Irina une seconde fois.

Irina fit un second signe de victoire avec l’autre main.

— Le but était de faire croire que j’aurais pu faire pareil avec Shi-chan. Avec sa présence discrète, personne n’a fait attention à ce qu’elle faisait et vous m’avez toutes crues. Shi-chan était en train de se relever et même si je lui avais dit de le faire, elle n’aurait jamais accepté.

— C’est normal ! Tu… tu m’as utilisée comme leurre ! Tu es horrible !

Elin imita Irina et fit un signe de victoire en direction de Jessica et de Shizuka. Puis, Irina vint lui toper cinq avant de faire pareil avec les deux autres.

— Bon par contre, tu me caches ces melons. Ils étaient utiles mais là je veux plus les voir.

— T’es une tyranne des nichons, Elieli !

Ainsi s’acheva la rencontre de beach volley sur une victoire (?) de l’agence Tentakool.

Mais, à ce moment-là, Gloria tomba à terre en marmonnant :

— I’m… dizzy… what the fuck… is that ?

***

En raison de l’insolation de Gloria, qui n’était pas habituée à rester sous le soleil, une partie du groupe s’installa sur la terrasse couverte et se reposa.

Finalement, la journée prit fin et on installa à nouveau la table.

À la fin du repas…

— Jess ? Est-ce qu’y a le jeu de la pastèque ? C’est un classique de la plage et on l’a pas encore fait.

Jessica afficha un sourire amusé faisant suite à la question d’Irina.

— Tu me prends pour qui, petite ?

Elle rentra dans la maison et revint avec une pastèque géante.

— Whooo !! Elle est énorme !

— Héhé ! Pour qui tu me prends ? Je me répète mais tu devrais savoir que je suis Jessica Whitestone.

— Elle voit tout en grand, dit Elin en bâillant. C’est son côté le plus rebornien… avec les gun.

— C’est vrai que tout est géant aux US Reborn…, commenta Hakoto. Ça m’avait surprise au début…

— Quel est le mal d’avoir pris une grosse pastèque ? J’allais pas prendre une toute riquiqui qu’on aurait à peine goûtée, non ?

— Outre le fait qu’il faut la finir, c’est trop facile pour le jeu de la pastèque de viser ce truc. Je sais même pas où tu as dégoté un fruit aussi gros à Tokyo.

Une fois de plus, Jessica prit un air hautain et satisfait.

— J’ai mes adresses. Quand tu as l’argent, rien n’est impossible.

— Espèce de publicité vivante pour le capitalisme… Pfff !

— Arrête de soupirer comme ça, c’est insultant !!!

Mais, malgré les remarques d’Elin, on posa le fruit sur la plage et on alla chercher une batte de baseball.

— Qui s’y colle ? demanda Sandy. Moi, j’peux passer.

— Tout pareil… Trop chiant, trop crevant… Haaaan~, je suis fatiguée.

— Tu pourrais un jour avoir de la motivation pour quelque chose, demi-portion ?!

Mais Elin l’ignora et s’en alla se coucher sur le sable à présent tiède.

— On pourrait tirer ça au sort, proposa Hakoto.

— C’est une bonne idée, Hakocchi !

— Ouais, partons sur l’idée d’Hakoto. Eh, Gloria ! Qu’est-ce que tu fiches, participe !

Gloria tourna sa tête vers Jessica sans comprendre, puis se laissa mollement tomber au sol aux côtés d’Elin. Une sorte de rapprochement inattendu s’était produit entre les deux femmes en raison de leur démotivation et de leur paresse.

— Bah, ça sera que nous six, dit Irina. J’espère gagner !

— Avec votre force de brute, nous ignorons s’il restera grand-chose à manger… malgré le volume démesuré choisi par Jessica-san.

— T’inquiète, j’vais y aller molo.

— Ce serait bien, Irina-senpai.

Finalement, il fut décidé de tirer cela à la courte paille. Gloria fut utilisée comme juge, même si elle n’en avait pas envie.

— C’est vous qui avez tiré la plus courte… Oneesama, cela vous convient ?

— Nous avons décidé de participer au jeu et aux réjouissances, il serait indigne de nous que de nous retirer de la sorte. Nous ne déclinerons point la tâche qui nous incombe à présent.

— Voilà qui est bien dit, Vivienne-chan. Allez, bandons-lui les yeux.

— Ch’suis déçue, j’aurais aimée le faire… Bah, tant pis ! C’est le jeu ! On va s’amuser avec Vivi. Haha !

Shizuka jeta un regard de travers à Irina, elle ne comprenait pas ce qu’elle comptait lui faire mais espérais rien qui embêterait son « oneesama ».

— Je crois que c’est bon, dit Hakoto. Elle ne semble pas voir à travers le bandeau.

— En même temps, il fait nuit, elle peut pas profiter de la transparence, fit remarquer Sandy.

— Bon allez, tournez, tournez !

Jessica se mit à faire tourner Vivienne pour la désorienter, puis les filles, disposées des deux côtés, commencèrent à lui donner des indications.

Même s’il s’agissait d’un objet fixe que toutes pouvaient voir, elles étaient toutes différentes. C’était un belle illustration de la subjectivité de la vision du monde de chacun.

— À gauche !

— Tout droit, puis un peu à droite !

— Oneesama, tournez-vous d’abord à 60° vers la gauche… enfin plutôt 70°…

Au sein de ce brouhaha, Vivienne décida de se concentrer sur une seule voix, celle de sa bien-aimée Shizuka.

Elle tourna sur elle-même sur la gauche, ignorant les indications de degré.

— Tout droit ! cria Irina.

— Nous n’avons cure de vos indications, barbare sauvage. Votre voix nous est indifférente.

Néanmoins, elle avança tout droit conformément aux indications. Il y avait sûrement un effet inconscient, c’était la voix qui s’était exprimée le plus fort, le corps avait réagi naturellement.

— Mais non, pas par là ! Tu viens vers moi ! dit Jessica.

— En un sens, elle se dirige bien vers des pastèques…, commenta Elin.

— Toi, ta gueule ! Si déjà tu joues pas !

— On ne peut pas dire qu’elle ait complètement tort…, marmonna Shizuka.

— Shizuka-san, nous n’allons écouter que votre voix. Est-il vrai que nous nous dirigeons vers les fruits démesurés de Jessica-san ?

— Arrêtez d’en parler comme de la nourriture ! Et j’ai pas envie qu’on les frappe, ce sont des merveilles de la nature !

— Pas sûre que ce soit digeste de toute manière, dit Elin. Au lieu de l’eau, ces pastèques-là sont pleines de graisse.

— Eh oh ! Je te permets pas ! Arrête d’insulter ma poitrine !

— En quoi est-ce une insulte de dire la vérité ? Les nichons c’est juste du gras inutile.

— C’est toi qui est inutile !!

Shizuka et Hakoto grimacèrent en constatant que leurs chefs d’agence se querellaient à nouveau.

— Nous avons pu clairement identifier la voix de Jessica-san, nous étions donc dans la mauvaise direction. Tout cela en raison de notre gentillesse d’écouter la voix de cette barbare dénuée de bon sens. Pffff !

— J’ai l’impression que tu m’en veux, Vivi…

— Tourne à droite, puis six pas en avant et t’y es, finit par dire Sandy d’une voix autoritaire.

— Nous déclinons toute responsabilité si la batte percute le crâne ou les seins d’Irina-san.

— Eh oh ! Essaye pas de vouloir me frapper !

Mais la batte s’écrasa sur la pastèque qu’elle fendit en deux. Les indications de Sandy avait été justes.

— Yeah ! Bravo Vivi !

— C’était un résultat évident.

Vivienne retira le bandeau et prit un pose altière comme à son habitude.

— J’ai jamais compris cette tradition. Une fois brisée, il faut nettoyer le sable. En plus, si tu y joues en plein jour, le temps de la briser, la pastèque prend le soleil et n’est même plus fraîche. Ridicule…

— T’es vraiment une rabat-joie ! Tais-toi, la naine !

Shizuka soupira longuement mais préféra ignorer les paroles de sa chef. Cette fois, elle était d’accord avec Jessica.

Une fois lavée, elles retournèrent sur la terrasse pour la manger au calme. La nuit était paisible, la surface de l’eau s’agitait à peine, la lune s’y reflétait dessus.

— C’est vraiment un coin paisible, dit Shizuka en fixant le ciel.

— Ouais, j’pourrais piquer un bon roupillon, dit Irina.

— Jess, je sais qu’on le fait pas trop par chez toi, mais bon t’habites au Japon depuis un moment, tu devrais le savoir… Tu peux ramener du sel ? demanda Elin.

— Tsss ! J’avais oublié.

— Du sel ? répéta Sandy sans comprendre.

Jessica laissa Hakoto répondre et s’en alla le chercher en cuisine.

— Tu n’as jamais fait attention au fait que je mets du sel sur la pastèque ? demanda Hakoto.

— Bah, c’est surtout qu’on en a pas vraiment bouffé ensemble si souvent…

— C’est vrai…

— C’est une ancienne pratique kibanaise, expliqua Shizuka. Il s’agit de juste mettre du sel sur la pastèque. Par chez moi, il n’y avait que les vieux qui le faisaient encore…

— Merci, Shizuka-chan…, dit Hakoto les larmes aux yeux.

— Je… je voulais pas te vexer, désolée Hakocchi. Ça dépend des goûts de chacun, en fait…

Le visage de Shizuka était gêné, elle cherchait à justifier son erreur. Elin avait l’air de n’en avoir que faire pour sa part.

— Eh, Elieli ! Shi-chan dit que t’es vieille. Tu réagis pas cette fois ?

— Qu’est-ce que tu veux que j’en ai à faire ? J’aime la pastèque avec du sel, c’est tout. Puis on est au Japon donc fais comme les japonais.

— Moi j’trouve ça un peu chelou. Mais bon, chacun son truc, pas vrai ?

— Cela dit, même les vieux de chez moi parlaient de Kibou plutôt que de Japon…, marmonna Shizuka en détournant le regard et en espérant ne pas avoir été entendue.

Elin tourna son regard vers Shizuka, difficile de savoir à quoi elle pensait réellement, mais le retour de Jessica parmi elles détourna l’attention.

— Et voilà pour Madame ! Ça m’étonne qu’Hakoto n’y ait pas pensé, en général elle le fait aussi. Ça doit être un truc qui manque à mon palais, je comprends pas ce que vous y trouvez…

— C’est juste indispensable ! s’écria Hakoto.

Elin acquiesça. C’était une des rares fois où elles formaient un duo.

— What’s this ? Salt ? Sugar ?

Sandy expliqua à Gloria qui ne comprit pas l’intérêt de rajouter cet ingrédient à la pastèque.

— Au fait ! J’ai une surprise pour finir la soirée, dit Jessica. Tadam !

Elle prit derrière elle un sachet qu’elle avait préparé à l’avance pour ménager son effet de surprise.

— Des feux d’artifice ? demanda Shizuka.

— Oh ! Ils me rappellent ceux de notre enfance. Tu te souviens, Shizuka-chan ?

Les yeux de Vivienne se plissèrent, elle porta un regard emplit de jalousie à sa rivale.

— C’était ça que tu cachais ?

— Tu l’avais vu, demi-portion ?

— Yep. J’avais juste pas compris pourquoi tu les cachais.

— Moi j’pensais que c’était de la bouffe.

Jessica observa Elin et Irina, puis les ignora et déclara :

— Puisque nous avons fini, il est temps de les allumer ! Qu’est-ce que vous en dites ?

La proposition fut bien sûr acceptée.

Tandis qu’Irina et Sandy faisaient un concours de qui lançait les fusées le plus haut, en les lançant après allumage à la main, Shizuka, Hakoto et Vivienne s’adonnaient à une activité plus paisible. En cercle, elles faisaient brûler des cierges magiques.

— Je me suis bien amusée aujourd’hui encore.

— Nous referons ça l’année prochaine. Je sais que Jessica acceptera.

— Jessica-san est pleine d’affabilité. Une personne fort agréable et de bon goût.

— Sauf son bikini…, marmonna Shizuka en rougissant. On pouvait presque tout voir…

— En effet. Mais n’y aurait-il pas une forme de défi à l’égard de notre chef ?

— Oui, sûrement. Mais Elin se fiche de tout… C’était gênant pour nous surtout.

— Je vous le fais pas dire…

Hakoto baissa la tête avec résignation en soupirant.

Un peu plus loin, Gloria, Jessica et Elin s’occupaient de disposer les feux d’artifice au sol en vue de préparer un petit spectacle.

— T’en as encore trop fait, Jess. La mairie va se demander ce qui se passe ici.

— Et après ? En plus, je les ai déjà prévenus.

Gloria acquiesça.

Puisqu’elles étaient toutes les trois, elles étaient naturellement passées en anglais pour permettre à tout le monde de participer à la discussion. Elin n’avait aucun mal à parler dans cette langue, de toute manière.

— Ah bon ?

— Bah, tu me prends pour qui ? C’est un modeste feu d’artifice, mais si on prend l’habitude de venir ici tous les ans, je ferais peut-être organiser un truc plus conséquent, la prochaine fois. Comme ça les villageois pourront aussi en profiter.

— Tu es si gentille, Jessica, dit Gloria.

Cette dernière lui caressa la tête en guise de remerciement ; Gloria manqua de ronronner.

— Ouais… comme ça ils pourront tous comprendre que t’es une bourge et qu’ils ont intérêt à t’écouter. C’est pas une mentalité d’envahisseur ça ?

— Eh oh ! Faudrait que tu saches ! Je suis une tsundere du business ou une envahisseuse ?

Elin se tut pour réfléchir à la question.

— Non mais pas besoin d’y penser, je m’en fiche de ta réponse !

— Elin, ne fais pas enrager Jessica ! Je… je trouve que… tu le fais trop souvent. Elle est toujours énervée quand elle est avec toi…

Timidement, Gloria déballa ce qu’elle avait sur le cœur. C’était rare qu’elle y arrive, c’était uniquement parce qu’il s’agissait de Jessica qu’elle aimait tant qu’elle y était parvenue.

— T’inquiètes, Gloria. Jess hurle tout le temps, mais elle me déteste pas.

— Hein ? D’où que tu as vu ça, demi-planche ?

— Tu vois, elle me donne même des surnoms affectueux.

— Je… je vais te tuer, tu verras si je t’aime bien ! Non mais, qu’est-ce qu’il faut pas entendre !

— Tu vois, j’ai rien fait, mais elle s’excite toute seule. C’est Jess, elle a toujours été comme ça.

— Tu… tu l’as…

Gloria ne finit pas sa phrase, elle gonfla les joues et réprimanda Elin… dans sa tête.

Finalement, les feux d’artifice étaient prêts. Sandy et Irina s’occupèrent de les allumer en cadence.

* Pfiiiii Bam *

En plus du sifflement, le bruit des explosions arriva à leurs oreilles. Puis, le ciel se colora de mille couleurs.

— C’est vraiment des feux d’artifice de rien du tout, Jess ?

— Bien sûr ! T’as vu leur taille ?

— Whaaaa ! Ceux que nous avions enfant n’étaient pas aussi beaux !

— En effet. Ils doivent être d’une autre catégorie. En même temps… Jessica allait pas acheter les bas de gamme non plus…, dit Hakoto en prenant un air perplexe.

Les gerbes de couleurs ne s’arrêtaient plus. On pouvait entendre entre les sifflements et les explosions les rires d’Irina qui s’amusait à courir entre les lignes de feux d’artifice pour les allumer.

— Jess, tu as dépensé combien au juste pour tout ça ?

— Quelques 100 000, je crois.

— Ouais, c’était clairement pas des bas de gamme. Tu ne m’auras pas.

— Et après qu’est-ce qu’on en a à faire ? Ils sont beaux, c’est tout ce qui compte !

Shizuka déglutit en prenant une mine déprimée.

— C’est plus cher que mon loyer… Gloups !

— Ces feux d’artifices sont du plus bel aloi. Nos félicitations à celle qui les a choisi. Ils sont à même de révéler tout son prestige et son bon goût.

— Tu vois ? Au moins une de tes filles me comprends ! Merci Vivienne-chan !

— Oh, mais nous vous en prions. Nous connaissons les impératifs inhérents à un certain luxe. Malheureusement, si notre chère recrue est capable d’en apprécier l’élégance, ce n’est guère de la disposition de notre chef et notre sauvage de collègue… Ces feux d’artifice me donnent envie de boire quelque thé blanc qui siérait à leur beauté.

Jessica se frotta les yeux comme pour en sécher les larmes.

— Je vais te chercher ça de suite.

— Amène-moi une bière, tant que t’y es, Jess.

— T’as qu’à bouger tes fesses, toi !!

— Une bière ? Jessica-san, ne ramenez pas de l’alcool à une mineur, s’il vous plaît.

Shizuka tira la langue pour plaisanter.

— Haha ! Très drôle ! Ouais, t’inquiète, je lui en donnerais pas, je veux pas qu’on m’arrête pour ça.

— Faudrait que vous sachiez ce que vous voulez : je suis vieille ou jeune ?

— Entre les deux ?

— Tu plaisantes beaucoup sur mon âge, Shi-chan. Quand nous serons rentrés, je vais plaisanter en reprenant des entraînements draconiens…

— Aaaaarg ! Tout mais pas ça, Elin-samaaaaaa !!

Shizuka était au bord des larmes. Les filles autour d’elles ne purent s’empêcher de se mettre à rire.

Pendant quelques dizaines de minutes, elles restèrent là à regarder les fusées monter dans le ciel et le teindre de vives couleurs.

Lorsque soudain un cri retentit…

***

À quelques centaines de mètres de là, une femme apeurée courut dans la direction des mahou senjo.

— Ah ! On dirait qu’on va avoir un peu de sport pour digérer, dit Jessica. Les filles, transformez-vous !

— La suite d’hier, je suppose…

Jessica se transforma et se recouvrit d’une tenue moulante futuriste.

Derrière l’inconnue qui courait se trouvaient deux Profonds. D’autres semblaient arriver de plus loin encore.

Puis, sortant des flots, une vingtaine de ces créatures firent leur apparition sur la plage.

— Chic ! J’me disais qu’il manquait un truc à ce voyage ! J’devrais remercier Cthulhu de m’avoir entendue ! Héhé !

— Vous devriez faire attention à ce que vous dites, vous êtes à deux doigts de basculer du côté des cultistes.

— Ah bon ? Pourquoi ?

— Oubliez cela, voulez-vous ? Il semblerait que nous nous soyons fourvoyée. Vous êtes sûrement trop peu vive d’esprit pour même envisager de rejoindre leur sombre allégeance.

— J’ai pas tout pigé, mais tu d’vrais te transformer, Vivi.

Sur ces mots, Vivienne se revêtit d’une robe élégante et se lécha les lèvres avec un sourire sadique.

— Oh ? De tendres enfants viennent nous interrompre. Il va falloir les éduquer comme il se doit. Fufufu !

— Hiiii !! Pourquoi ils viennent tout gâcher ?! s’écria Shizuka. Et pourquoi Oneesama dit des choses pareilles ? Yog-kun, s’il te plaît !!

Elle avait les larmes aux yeux. Tout cela l’avait prise par surprise. De plus, elle était bien trop près de Vivienne, elle la craignait plus encore que les Profonds !

Mais Hakoto s’interposa dans son kimono de combat.

— Reste près de moi et tout se passera bien. Tu as ma parole et tu sais que je la respecte toujours, n’est-ce pas ?

Shizuka hocha de la tête à répétition alors que sa transformation débuta.

Le combat qui s’ensuivit ne fut vraiment vraiment ardu. Même à trente contre huit, le résultat était couru d’avance. En plus, il n’y avait même pas de sorciers parmi les Profonds.

Irina même s’en plaignit alors que le dernier ennemi mordit la poussière.

— C’était sympa pour un échauffement, mais y sont où les vrais ennemis ?

— Irina-san, parle pas de malheur !

Elin, la première, s’approcha de l’inconnue. Elle n’avait pas reprit sa forme normale.

— Qui es-tu ?

— Hein ? Moi ?

— Oui.

— Je suis… Yamaguchi Hanako… Merci de m’avoir sauvée !

— Qu’est-ce que tu faisais là ?

— Elin-san, c’est pas un interrogatoire. C’est une pauvre vic…

Jessica tendit la main pour faire taire Shizuka, elle fixa à son tour l’inconnue qui était à quelques mètres d’elles.

— Je… me promenais.

— Pourrais-tu arrêter de mentir ? Je pense avoir déjà compris, mais à ce stade si je n’ai pas confirmation. Je vais devoir t’arrêter pour utilisation de magie obscure et présomption d’allégeance aux Anciens.

— Hein ? Mais je… Non !

— Laissez tomber, si Elin le dit, elle va le faire. Elle est plus dure que son apparence le laisse entendre…

Jessica leva les épaules et prit un air détaché.

Les autres filles ne comprenaient pas très bien la situation, elles se regardaient à la recherche de réponses.

— OK… OK, j’avoue ! finit par dire la jeune femme à lunettes. Je… je suis journaliste ! Je voulais des clichés de vous… c’est tout !

— De nous ?! s’écria Shizuka.

— Bah, oui, il y a des mahou senjo connues parmi vous. Je voulais écrire un article spécial vacances pour le Weekly Sorcerer.

Jessica soupira et croisa les bras.

— Vous savez que vous avez risqué gros ? Les Profonds ne vous auraient pas forcément tuée…

— Oui, je me rends compte que… j’ai eu de la chance…

Son expression ne semblait pas réellement si sincère.

— Beurk ! Je déteste les Profonds, dit Shizuka en frisonnant.

— Personne ne les aime, Shizuka-chan. Ils sont les ennemis des femmes.

— D’ailleurs, c’est injuste. Pourquoi toujours les femmes ? Pourquoi ils font pas ça aux hommes aussi d’abord ?

Elin tourna son regard vers Shizuka, il était toujours inexpressif mais la jeune femme semblait y lire malgré tout une forme de reproche.

— Tu dis n’importe quoi, Shi-chan. Les hommes ne peuvent pas porter des enfants. S’ils font ça aux femmes, c’est parce que tous les Profonds sont de sexe masculin, c’est leur seule manière de reproduction.

— Ah ? Vous parliez de ça ?! J’avais pas pigé sur le coup ! C’est comme dans les hentai, en gros.

Les regards se tournèrent vers Irina qui avait les mains sur les hanches et qui ne semblait pas du tout embarrassée parce qu’elle venait de dire.

— Tu… tu es dégueulasse, Irina-senpai…

Shizuka se blottit dans les bras d’Hakoto.

— C’est vraiment immonde de regarder ce genre de choses.

— Nous… préférons nous passer de commentaires.

— Rhooo ! Comme vous faites les prudes ! Ch’sais pas, je posais juste la question, j’ai pas dit que j’aimais ça…

Elin observa Irina.

— J’sais pas ce que tu as vu, mais c’est sûrement la même chose…

Irina vint lui chuchoter des choses à l’oreille.

— Non, c’est quand même moins pervers que ça. Mais le principe est le même.

— Mais du coup, reprit Irina avec un doigt sur le joue. Tous les Profonds sont à moitié humains ?

Tous les regards se tournèrent vers les cadavres allongés sur la plage.

Effectivement, cette question était pertinente. Si tel était le cas, ceux qu’elles combattaient étaient en réalité partiellement humains.

— Vous en faites pas, dit Jessica. C’est pas comme vous le pensez. Je vais laisser notre encyclopédie vous raconter les détails immondes de la reproduction des Profonds. Je vais juste admirer vos expressions de dégoûts ! Hihihi !

Elle posa ses mains sur les épaules d’Elin qui, sans émotions, se mit à expliquer en détail le mode de reproduction des Profonds.

Elle expliqua qu’étant tous de sexe masculin, ils se reproduisaient à la manière des humains ,de manière sexuée, soit avec des humaines soit avec des femelles cétacés.

À la naissance, les progénitures ressemblaient à leurs mères, c’était vers l’adolescence que les enfants développait des traits de demi-Profonds. Mais ce n’était qu’une phase transitoire puisqu’en devenant adulte les demi-Profonds évoluait encore et se transformait en Profonds à part entière, rejoignant les Abysses pour y servir Cthulhu.

Mais la majeure partie des enfants Profonds étaient en réalité issus des cétacés : plus robustes, plus adaptés à la vie marine que les humains. De plus, à la différence des demi-Profonds issus d’humains, ces derniers naissaient déjà avec la capacité de vivre dans l’eau et l’évolution était bien plus rapide. En quelques semaines à peine, l’animal étrange qui naissait se transformait entièrement.

Assez souvent les Profonds les cherchaient et les adoptaient dès la naissance, voire engrossaient des cétacés captifs.

— Je… je… je vais en faire des cauchemars, dit Shizuka.

— Et vous me traitiez de perverse, hein ?

— Et voilà, vous savez toute l’histoire. J’ai dû l’entendre des dizaines de fois, Elin la racontait à nos nouvelles recrues lorsqu’elles avaient affaire à des Profonds. Je n’ai jamais bien compris d’où tu as appris ces informations, d’ailleurs ?

— J’ai lu les différents rapports de l’armée.

— C’est vrai que tu es toujours bien renseignée… Je pensais que tu glandais toute la journée, quand est-ce que tu lis tout ça ?

Elin ne répondit pas, elle se tourna simplement vers la journaliste.

— Je vais prendre les photos de nous… Toutes. À la place, parle plutôt de ce que je viens de vous expliquer, les gens méritent de savoir en quoi les Profonds sont immondes.

— Nonn ! Je ne vais pas vous donner mes clichés !!!

La journaliste s’accrocha à ses affaires avec force, mais en fut rapidement dépouillée par la force brute d’Irina.

— Mes photoooosss !

— Estimez-vous heureuse d’avoir la vie sauve pour en prendre d’autres, dit Jessica une main sur la hanche. Il s’en est fallu de peu. Que je ne vous y reprenne pas ! C’est une propriété privée ici et le voyeurisme est puni par la justice. Je me fiche que vous voyez journaliste ou non !

La femme s’enfuit en pleurant, sans demander son reste.

— Tsss ! Même pas eu le temps de lui dire que je peux racheter le magazine et lui faire une sale réputation. Bah, si elle a compris, c’est bien…

— Vous… vous êtes toutes les deux des démons… à bien des égards, marmonna Shizuka. J’ai envie de vomir…

— Rentrons, Shizuka-chan. Nous nous sommes bien amusées aujourd’hui quand même.

— Dommage que la fin ait été sabotée, dit Vivienne. Nous nous montrerons moins clémentes envers ces créatures la prochaine fois que nous en rencontrerons.

— Ah ? Parce que t’es gentille avec eux ? demanda Irina. C’est nouveau ça ! Haha !

Les regards se tournèrent vers une paire de cadavres en petit morceaux qui attestaient de toute « sa gentillesse ». Personne ne fit de commentaire.

Le trio Shizuka, Hakoto et Vivienne rentrèrent se coucher, tandis que Gloria, Sandy et Irina s’en allèrent s’installer devant la télévision.

— Tu viens aussi, Elieli ?

— Ouais, je viens. Attends, un peu, j’ai un truc à dire à Jess.

— OK~ !

Une fois seules, Elin se tourna vers Jessica.

— C’est fini cette fois, je pense.

— Ça m’étonnerait qu’il y en ait d’autres. Après le nid que nous avons détruit, ceux-là étaient les absents, je suppose.

— Ouais. Les feux d’artifice c’était fait exprès, pas vrai ?

— C’est toi qui m’a appris ce genre de méthodes, tu ne vas pas m’en vouloir, si ?

— Non, c’était une bonne idée. Tu as fait d’une pierre deux coups. Par contre, je pensais vraiment pas que tu avais repéré la journaliste.

Jessica croisa les bras alors que de la sueur apparut sur son front. Elle leva les yeux.

— Bien… bien sûr que je l’avais vue ! Tout était calculé ! Haha !

— Menteuse.

— Je ne mens jamais ! Allons rejoindre les autres, nous avons mérité du repos !

Jessica partit en tête vers la villa. Elin observa la lune quelques instants encore, seule.

— Tu aurais été contente de me voir à la plage. Tu n’arrêtais pas de me dire qu’un jour tu m’y amènerais… maman…

Son visage n’exprimait aucune tristesse, sa voix était aussi impassible que d’habitude, mais il était étonnant de voir Elin ressasser le passé.

— Qu’est-ce que tu fous ? Allez, viens ! Cette fois je te mets la pâtée à ton jeu de voiture-machin !

— Tu parles de kart, Jess. Tu vas passer pour une vieille bique si tu es pas un peu plus à jour sur les jeu-vidéos, tu sais ?

— Hein ? Comment tu te permets ?! Quoi qu’il en soit je vais te ridiculiser et tu imploreras que Jessica la Grande te prenne en pitié !

— Tu n’as pas encore bu et tu arrives à dire des trucs pareils ? L’un des Profonds t’aurait pas cogné dans les boobs ?

— Jamais je leur aurais laissé les toucher ! Puis c’est pas la tête normalement ?

— Ton cerveau est dans tes boobs, normal que je pose la question comme ça.

— Quoi ?! Je vais te…

C’est en se disputant qu’elles retournèrent à la villa.

***

Le lendemain matin arriva l’heure du départ.

— Ouin ! C’était bien ! J’ai pas envie de retourner à Tokyo… Sniff ! Snifff !

Shizuka, comme à son habitude, pleurait dans les bras d’Hakoto et de Vivienne.

— Je te comprends, Shizuka-chan. Les départs sont difficiles. Mais promis, nous reviendrons l’année prochaine.

— Nous ne pouvons qu’approuver un tel projet. La prochaine fois, nous pourrons effectuer un séjour plus long pour en profiter encore davantage.

— Oui, comme le dit Vivienne-san.

— Merci, les filles… Ouinnnnn !!

Gloria était déjà en voiture. Il avait fallu la traîner de force à l’aller mais elle semblait bien plus motivée pour le retour.

— It seems me an eternity. This time, it was more funnier, certainly…

Sandy finissait de vérifier les affaires dans le coffre et jetait un regard satisfait à la villa.

— C’était sympa cette année encore.

— Héhé ! Plus on est de fous, plus on rit, lui répondit Jessica qui faisait tourner les clefs autour dans son index. Tu es peu à peu plus sentimentale, je trouve.

— Tsss ! Raconte pas n’importe quoi, Jess, j’vais me mettre vénère.

— Haha ! C’est bon, je dirais rien aux autres.

Jessica lui passa le bras autour de l’épaule et darda un sourire taquin. Sandy rougit et détourna le regard.

— Elieli ! Tu crois qu’on peut lire le message depuis le ciel ?

Elin bâilla et traîna le pas. Elle s’approcha d’Irina qui était en maillot de bain et regardait fièrement ce qu’elle était écrit dans le sable au sol.

— T’es en bikini ?

— Bah ouais, les vacances sont pas encore finies.

— Je vois, t’es comme ça…

— Pourquoi c’est un problème ?

— Ouais, pour moi. Tu risques de déconcentrer Jess au volant, en plus. Je la vois bien passer son temps à regarder dans le retro plutôt que la route.

— Ouais, on dirait bien Jess ! Hahaha !

Néanmoins, le fait d’être reluquée ne paraissait pas gêner Irina.

— Alors ? Tu peux vérifier depuis les airs ?

— J’ai la flemme.

— Et si je te lance et que je te rattrape ? T’es tellement légère Elieli que j’suis sûr de pouvoir te faire monter à au moins dix vingt mètres.

— T’as l’impression que je suis devenue un ballon ? Et d’abord, tu as pensé à inverser l’écriture ? Sinon on la verra à l’envers depuis les airs.

— Ah merde ! J’savais pas ce truc ! J’vais recommencé, attendez-moi un peu…

— Attends, c’était une blague. Ça c’est pour les miroirs, rien à voir pour un message depuis les airs.

— Haha ! Tu m’as bien eu, Elieli !

— Laisse-moi voir ça…

Elin se transforma et s’éleva dans les airs.

— Mer… médicamentée…

Elle soupira et se posa au sol. Elle effaça du pied la partie supérieure du kanji de « médicament »2.

— T’es vraiment pas douée pour les kanji, toi. Autant écrire en hiragana…

— Désolée ! Je me suis dit que ça serait trop long si j’mettais pas de kanji…

— La mer était amusante, c’est ce qui est écrit. Tu t’attends à ce que quelqu’un le lise ? Tu sais bien qu’il n’y a pas de trafic aérien, non ?

— Bah, on sait jamais. C’était juste pour le dire à ceux qui passeront par-dessus. Pis’, peut’et qu’on le retrouvera l’année prochaine ! La prochaine fois faudra faire un truc comme dans les VN d’horreur, une time capsule avec des indices d’un mystère et tout ! Et une épreuve de courage aussi ! C’est trop la classe !!

— Tu me fatigues avec ton enthousiasme, Irina-chan. Allons-y, les autres nous attendent.

En effet, Jessica s’était mise à klaxonner pour les appeler.

— En avant toute ! À l’année prochaine !!

— YEAH !!! répondirent en chœur certaines des filles.

La voiture démarra et s’éloigna de la villa.

Pendant un certain temps, elles restèrent silencieuses. Une certaine tristesse s’installa même après des plus insensibles.

Finalement, Elin, les pieds sur le tableau de bord exposant ses jambes, fit remarquer :

— Pourquoi attendre l’année prochaine, au fait ? Nous sommes des agences, on a pas de dates précises pour prendre des vacances.

— Elieli, t’es un génie ! YEAH !!! s’écria Irina avec enthousiasme.

Le visage de Shizuka passa des pleurs à la joie. Sandy afficha un sourire en coin.

Toutes commencèrent à proposer des plans pour le Noël, pour la Golden Week, pour le Nouvel An ou encore l’Obon, la fête des morts.

— You… really piss me, Elin !

Seule une personne n’était pas contente et se mit en boule.

Elin leva les épaules et soupira :

— En réalité, ça me fait pas spécialement plaisir non plus… Jess, regarde la route devant toi, tu veux. Bon, Irina-chan, j’en ai marre. Prends mon pull et cache-moi ces trucs immondes.

Elin commença à lever son pull lorsque Jessica arrêta net la voiture.

— Non mais tu vas apprendre l’utilisation d’une culotte ou quoi ?!! Allez-vous habiller toutes les deux !!!

Elle laissa tomber sa tête sur le volant alors que les deux concernées sortirent prendre des vêtements dans le coffre. Elles n’avaient parcouru que quelques centaines de mètres, mais la route paraissait déjà bien longue.

FIN

Merci d’avoir lu  !

Notes de bas de page :

1Omotenashi : Hospitalité, accueil. Des règles très importantes dans la culture japonais que met en avant la traditionnelle Hakoto.

2Les kanji de « amusement » (raku – ) et « médicament » (kusuri – ) se ressemblent.