Magical Retirement – Chapitre 5

Juillet 2089, quelque part dans la préfecture de Wakayama.

La température dépassait les trente-cinq degrés avec un taux d’humidité avoisinant les quatre-vingt-dix pourcents. Une journée d’été classique dans l’archipel kibanaise. Du moins, c’était ce qui aurait dû être normalement le cas…

— Il pleut…

— En effet, il pleut.

— Il tombe même des cordes…

— Rhaa ! Dire que j’ai loué pour deux jours et on perd une journée déjà !!

— …

Les cinq filles de l’agence K.T. étaient arrivées dans la nuit à leur maison de vacances se trouvant au bord d’une plage déserte.

Depuis l’Invasion, il n’y en avait que quelques-unes d’ouvertes au public, les risques d’enlèvements par les Profonds ou autres créatures du Mythe repoussait même les plus courageux. Il existait, cependant, des villes balnéaires qui engageaient des agences de mahou senjo pour assurer la protection des baigneurs, permettant ainsi à ce genre de tourisme de ne pas totalement disparaître.

Néanmoins, même leur présence n’était pas une garantie absolue de sécurité. Parallèlement, certaines agences de tourisme s’étaient spécialisées dans celui des mahou senjo, qui étaient les seules à pouvoir prendre le risque.

Louer une maison si proche de l’eau et des monstres n’était pas à la portée de simples civils mais n’était pas si dangereux pour des mahou senjo. C’est pourquoi l’idée de proposer des vacances aux combattantes avait germé et un boom avait lieu depuis quelques années. Diverses agences immobilières rachetaient les maisons à l’abandon proches des plages.

Du point de vue des mahou senjo, c’était des vacances un peu chères, mais abordables, où elles avaient la garantie d’avoir un espace de plage privé au calme.

L’agence K.T. avait pris quatre jours de repos dont trois nuits dans cette belle maison. Elles étaient acheminé en train jusqu’à la ville la plus proche, puis étaient montées dans un bus pour atteindre le village le plus proche et avaient fini en taxi, en pleine nuit, pour atteindre la maison.

Il était midi, c’était leur premier jour. Elles s’étaient levées motivées mais le temps avait décidé de leur programme autrement.

En principe, la saison des pluies était derrière elles et pourtant, depuis le matin, une pluie torrentielle, digne d’un typhon, s’abattait.

Elles se tenaient toutes les cinq devant la baie vitrée du salon qui donnait vue sur la plage. Elle aurait été impressionnante s’il n’y avait pas eu les nuages noirs, les éclairs et cette pluie battante.

— Impossible de sortir…, dit Maya d’une petite voix.

Elle fut la première à s’éloigner de la fenêtre en soupirant. Elle était habillée, comme toujours, d’une jupe plissée, d’un haut noir et d’un survêtement par dessus.

Elle laissa tomber son corps mince et menu sur le canapé.

— Dans ce cas, je vais bouquiner.

— C’est ce que tu fais toute l’année. Tu veux pas t’amuser un peu plus avec nous plutôt ? lui reprocha Takiko.

Contrairement aux autres, elle était descendue de sa chambre sans même regarder par la fenêtre avec la ferme intention de courir sur la plage. Elle était donc en bikini rouge à paillettes et froufrous, une paire de lunette de soleil en forme de cœur posée sur la tête, un bracelet à son poignet et ses ongles, aussi bien des mains que des pieds, tous vernis.

Elle s’approcha de Maya en posant ses mains sur les hanches sur un ton réprobateur. Cette dernière venait à peine de tirer d’une des poches de son survêtement un livre.

— M’amuser avec vous ? Vous… vous comptez faire quoi au juste avec ce temps ?

Elle fixa Takiko en laissant entendre que la réponse était inutile.

— Tu vas pas faire ta… Comment qu’on dit déjà ?

— Solitaire, je suppose ? proposa Maya, calmement.

— Oui, voilà ! Interdiction de lecture jusqu’à notre retour à l’agence !

— Mais… Je…

Il paraissait que Maya voulait contester, mais d’une certaine manière abandonna et baissa le visage. Cependant, elle ne rangea pas le livre qui se trouvait entre ses doigts fins et délicats, comme si elle n’arrivait pas à se résoudre à appliquer cette interdiction arbitraire.

Remarquant sa détresse, Aiko joignit ses mains et intervint. Elle afficha un large sourire.

— J’avais prévu le coup ! J’ai amené des tas de jeux pour nous occuper. De toute manière, la pluie n’est que temporaire, d’ici quelques minutes, elle va s’arrêter. C’est toujours comme ça.

Elle se tourna vers Sayu et Elena :

— Vous jouez avec nous, n’est-ce pas ?

— J’ai plutôt envie de manger, dans l’immédiat, dit Sayu. Tu pourrais pas nous préparer un truc ?

— Oui, bien sûr. Je suis là pour vous nourrir !

Elena s’approcha d’elle.

— Tu n’es pas notre bonniche. Puis, ce sont des vacances pour toi aussi, tu sais ?

Elle lui donna une pichenette sur le front.

— Aïe ! Je… Oui, j’ai compris, chef !

— M’appelle pas comme ça !

— Haha ! Désolée, un vieux réflexe, dit Aiko en tirant la langue.

Elena soupira et mit une main sur sa hanche.

— Takiko, tu devrais l’aider aux fourneaux. Laisse Maya lire au moins jusqu’au repas.

— Mais ! À force de lire, son cerveau va avoir mal !

Maya jeta un regard perplexe à Takiko ; ses propos n’avaient aucun sens.

— Raconte pas n’importe quoi.

— Ouais, mais regarde ce livre ! Il est plein de kanjis compliqués ! Elle est folle ! Ça va lui faire des dégâts dans la tête !

Takiko prit le livre de philosophie des mains de Maya et l’ouvrit au hasard. Les deux pages présentées étaient noires de caractères aux multiples traits, dont nombre de kanjis spécialisées très peu connus.

— Ce qu’elle lit ne te regarde pas, dit Elena sur un ton réprobateur. D’ailleurs, t’es pas censée être chinoise toi ? Je croyais que les kanjis c’était votre truc.

— C’est quoi ce cliché ! C’est de la discrimination, c’est ça ?

— Eh oh ! Je suis une ruskov, tu vas pas me parler de minorité, tu veux ? Laisse-moi deviner : tu n’as jamais appris à écrire le chinois, c’est ça ?

Takiko tira la langue et rendit le livre à Maya.

— Je suis Kibanaise, je n’ai pas besoin de savoir l’écrire ! OK, OK, je vais aider Ai-mama. Profite de ta lecture de trucs compliqués.

— Mer-Merci…

Sans prévenir, Aiko posa une main sur la tête des deux filles.

— C’est bien, c’est bien. Vous vous êtes réconciliées. Vous êtes de braves filles !

Même si elle jouait la comédie et le faisait exprès, ses yeux presque clos et son expression souriante rendaient la blague difficile à comprendre ; on pouvait la croire sérieuse.

— Eh oh ! J’suis pas ta fille !

— Tu viens de m’appeler maman pourtant. Hohoho !

Takiko et Maya rougirent et l’une gonfla ses joues, mécontente d’avoir été prise à son propre jeu, tandis que l’autre baissa le regard docilement.

Les lèvres de Takiko s’arquèrent alors qu’une idée lui traversa l’esprit.

— Je vais venir t’aider, mais il faut que tu enfiles ton maillot de bain.

— Hein ? Mais il pleut dehors…

— Nous sommes en vacances à la plage : les vêtements devraient être prohibés !

Elena eut un mouvement de recul et balbutia :

— Tu… tu… tu te rends compte de ce que tu dis ?!

— Oh ? Quelle surprise. Takiko est une perverse nudiste, dit Sayu sur un ton calme et moqueur.

— Je ne suis pas une perverse ! Je parlais des vêtements normaux, pas d’être nues ! Vite ! Mettez toutes vos maillots de bain ! Nous les avons achetés exprès pour cette occasion, il faut les rentabiliser le plus possible !

En réalité, seule Takiko et Aiko étaient allées acheter de nouveaux maillots pour l’occasion, les trois autres avaient pris les anciens qu’elles avaient dans leurs armoires.

— Pourquoi pas ? dit Aiko. Nous comptions de toute manière les porter. C’est un peu bizarre en intérieur, mais effectivement nous sommes en vacances.

— Oui, voilà, c’est l’esprit !

Les trois autres n’étaient pas du même avis mais, finalement, à force d’insistance de la part de Takiko, elles finirent par céder.

Maya portait un maillot une pièce noir, très simple.

— Il… il n’est pas du tout sexy ! lui reprocha aussitôt Takiko.

— Je… j’aime pas le sexy…

Maya ouvrit sans tarder son livre et se cacha derrière ses pages. C’était une vision incongrue de la voir lire sur le canapé dans cette tenue.

— Arrête de harceler la pauvre Maya-kun, dit Elena en arrivant dans le salon. Allez plutôt cuisiner : je commence à avoir faim.

Elle avait choisi un maillot blanc et noir à dentelles avec un paréo. Un style plus mignon que sexy.

* Groaaaa *

Sayu se caressa le ventre en dévoilant sa tenue : elle portait un hoodie entrouvert qui laissait voir son imposante poitrine et son maillot de bain blanc. Malgré tout, elle portait son habituel masque en tissu.

Quant à Aiko, elle avait prit un simple bikini bleu.

— Je m’y mets tout de suite ! dit-elle avec un salut militaire.

Sur ces mots, elle enfila un tablier et en tendit un à Takiko.

— Faut vraiment que je t’aide ? Je ne suis pas très douée pour la cuisine, tu sais ?

— Je vais te trouver des tâches faciles. Puis, si on ne t’occupe pas, tu vas continuer d’embêter la pauvre Maya.

— J’ai quand même l’impression d’être traitée comme une gamine.

Mais, face au sourire d’Aiko, elle ne put résister et toutes les deux s’en allèrent dans le coin cuisine relié au salon.

Comme convenu, Maya se mit à lire. Elena alluma la télévision pour regarder une émission de variété qui parlait de recettes locales, ce qui ne fit qu’accentuer sa faim. Pour sa part, le regard de Sayu passait distraitement de la télévision à son smartphone et parfois elle jetait des œillades en direction de la cuisine.

Plus précisément, elle fixait les cuisinières. D’une voix si faible que personne ne put l’entendre, Sayu marmonna :

— Miam, un vrai régal…

Elle n’avait pas encore mangé pourtant. Qu’entendait-elle par ces paroles ?

***

Le repas fini, les cinq s’interrogèrent quant à ce qu’elles allaient faire.

— On va vraiment passer la journée à juste jouer à des jeux de société ? demanda Takiko, peu satisfaite.

— Nous pourrions sûrement aller faire un tour en ville, dit Sayu.

— Nous n’avons pas de voiture, fit remarquer Elena, il faudrait appeler un taxi. Puis, la ville la plus proche est à une bonne heure, nous avons pris un petit coin tranquille.

— C’est vrai que je doute qu’il y ait grand-chose à voir dans le village voisin…, dit Aiko. Je sais que c’est triste, mais nous pourrons toujours prendre d’autres vacances, non ?

Elena marmonna quelque chose d’inintelligible, puis s’accouda sur la table en disant :

— Tu sais, c’est pas si facile non plus. En tant qu’agence, nous avons un tas de périodes creuses mais, en réalité, nous sommes d’astreinte toute l’année. Qui sait si à l’heure où je te parle des malheureux n’auraient pas eu besoin de nous.

Même si elle était en vacances, Elena n’avait pas mis son téléphone portable en silencieux, laissant la possibilité d’une proposition de mission ouverte. Contrairement à Meredith avant elle, elle n’avait transmis son numéro privé qu’à l’armée ; sur les cartes de visite de l’agence figurait celui de l’agence.

Il était presque impossible de refuser les missions du gouvernement, les vacances pouvaient être écourtées à tout instant, en réalité.

— Je m’en doute… Tu es même plus souple que Meredith-chan : elle interdisait les vacances, tout simplement.

Elena tourna les paumes vers le haut tout en levant les sourcils et en adoptant une expression consentie :

— Vous voyez, ça c’était une chef dure. Vous plaignez pas trop de moi !

— Personne ne se plaint de toi, Elena-san !

Aiko ne put s’empêcher de venir la prendre dans ses bras. Puisqu’elle était assise, inévitablement, la tête d’Elena finit dans son opulente poitrine.

— La-Lâche-moi ! Je… Surtout toi !

— Surtout moi ?

Elle se dégagea en se levant. Elena avait les joues rouges.

— Laisse tomber ! Retourne donc à ta place, tu veux !

Elena poussa Aiko et l’obligea à se rasseoir, tandis que les trois autres les observaient avec chacun une réaction différente.

— Bref ! Je sais que c’est moche, mais je vais rester ici, pour ma part. Je n’ai pas envie de sortir voir quelques maisons d’un petit village pourri de campagne.

— Tu as des jugements tranchés, dit Sayu. Cela dit, j’ai la flemme aussi. Puis, Ai-mama a amené des jeux pour ses enfants, on peut bien lui faire plaisir.

— J’ai même des feux d’artifices ! dit-elle sans se laisser vexer.

— Oohhh ! Tu as vraiment pensé à tout !

— Héhé ! J’aurais aimé prendre plus de glaces mais il faudra se contenter de celles du konbini.

Elle avait amené de la nourriture dans un sac thermos mais, considérant les heures de voyage jusqu’à atteindre la maison à la plage, elle n’avait pas pu amener tout ce qu’elle avait voulu. Elle avait acheté les glaces dans le konbini le plus proche en arrivant.

— De toute manière, j’en ai pas trop envie, il fait un peu froid, dit Sayu.

— Vous voulez que je monte un peu la clim’ ?

— Aaaaaaaaaaaahhh!! J’en peux plus d’être inactive ! Allez, on joue ! Débarrassons la table et on s’y met !

Takiko enrageait, elle n’était pas habituée à rester assise sans rien faire. Aussi, elle s’affaira avec Aiko à vider la table et elles commencèrent à placer un plateau de jeu. Les jeux de société étaient idéaux pour ce nombre de joueurs, c’était plus convivial que jouer à la console sur la télévision du salon.

Bien sûr, elles ruminaient toutes le fait de ne pas avoir pu sortir sur la plage, sauf Maya qui, somme toute, était mieux en intérieur. Cela dit, elle aurait préféré les regarder jouer et continuer de lire ses livres sous le parasol.

Malgré les premières réticences, le jeu motiva le groupe. Rapidement, elles s’investirent dans les parties et visèrent la victoire plutôt qu’un moyen de passer le temps.

L’après-midi s’écoula sans qu’elles ne s’en rendissent compte.

— Finalement, on pourrait jouer aussi à l’agence, fit remarquer Aiko. Il y a tellement de moments où on ne fait rien…

— Grave ! Faudra se faire ça ! consentit Takiko qui avait beaucoup aimé.

— À voir… L’agence est quand même un lieu de travail, vous savez ?

— Allez, fait pas ta mauvaise mine, Elena-chan. En plus, certaines dorment dedans, c’est pas juste un lieu de travail.

— On verra.

Elena croisa les bras et prit un air courroucé. Néanmoins, elle s’était amusée et n’était pas contre l’idée de réitérer l’expérience.

— Dehors, il a cessé de pleuvoir, dit Sayu. Mais il est un peu tard pour aller se baigner. Puis, l’eau est froide.

— Il faudrait essayer, contesta Aiko. Les journées sont chaudes, peut-être que l’eau est encore tiède.

— J’irai voir plus tard…

— J’ai entendu qu’à l’époque, avant l’Invasion, certains aiment se baigner nus la nuit. C’est vrai que dans l’obscurité, personne ne peut nous voir mais, actuellement, j’aurais peur de me faire attraper par un Profond…

Aiko grimaça, elle était réellement inquiète. Elle n’avait plus de pouvoirs et, dans l’eau, impossible de se défendre efficacement.

— C’est… indécent…, dit Maya en se dirigeant vers les toilettes. C’est… quand même de l’exhibitionnisme… Mmmm…

Avait-elle réellement une envie pressante ou alors voulait-elle juste fuir la discussion ? Aiko ne put le déterminer, mais s’excusa malgré tout d’avoir aborder pareil sujet.

— Je vais cuisiner à la place de dire des choses embarrassantes. En tout cas, nous pourrons allumer les feux d’artifices au moins.

Elena se leva, les joues légèrement rouges d’embarras.

— Je… je vais t’aider.

— Oh ! C’est gentil !

— Je… je ne le fais pas pour toi. C’est juste… que je veux pas que tu fasses tout le travail. Je ne te paie pas pour nous servir de domestique.

— T’inquiète, c’est gratuit : j’offre ces trois jours.

— Ra-Raconte pas n’importe quoi ! Tu seras payée comme tout le monde ! Allez, ferme donc cette bouche qui parle pour ne rien dire et allons préparer le dîner !

— Héhé ! D’accord !

Même lorsqu’elles n’étaient pas en intervention, l’agence payait malgré tout ses employées. Et les vacances n’étaient pas exclues du calcul. Offrir ses heures n’aurait pas dérangé Aiko qui gagnait déjà une retraite de l’armée, mais être débitrice n’était pas du goût d’Elena.

— Tu as mis où la casserole de ce midi ? demanda cette dernière.

— Elle doit être dans le placard entre mes jambes. Attends, un instant, je…

Elle allait proposer de s’écarter, mais Elena ne lui en laissa pas le temps et entrouvrit le meuble pour sortir l’ustensile, l’air de rien. Quelques minutes plus tard, elle se pencha à moitié sur Aiko pour prendre la sauce soja.

Pendant ce temps, Takiko rangeait les jeux avec l’aide de Sayu qui observait souvent du côté de la cuisine :

— Tu ne trouves pas qu’Elena est encore plus tactile que d’habitude ?

— Hein ? Quoi ?

— Rien, laisse tomber. Je… j’ai l’impression qu’il y a un truc entre elles quand même.

Elena était du genre à toucher les autres sans arrières-pensées, mais elle faisait malgré tout preuve de plus de familiarité avec Aiko. Même cette dernière semblait un perturbée par moment.

Personne ne put voir le sourire en coin apparaître sur les lèvres de Sayu qui le cachait derrière son masque.

***

Le dîner finit, il fut décidé d’allumer les feux d’artifice. Les nuages étaient encore nombreux, la nuit était sombre ce qui rendit les fusées et les différents geysers colorés encore plus vifs et beaux.

Le nombre limité de matériel qu’avaient pu emporter les filles rendit l’activité bien courte, cependant. Et, finalement, elles s’installèrent sur le balcon pour manger une pastèque.

— C’est vrai qu’il ne fait pas vraiment froid, confirma Sayu.

— Héhé ! Je l’avais dit. L’eau est peut-être même bonne. Si tu veux essayer…

— Tout à l’heure.

— C’était vraiment une agréable journée. Elle était si reposante…

— C’est vrai.

Elles contemplaient le ciel, mais aucune étoile n’était visible. Malgré tout, ses couleurs et ses dégradés étaient apaisants.

— Dommage qu’on ait oublié l’alcool, déclara Aiko. Ce serait le moment idéal pour boire un coup. Tu ne penses pas, Elena-san ?

— Pou-pourquoi tu me demandes ça à moi ?

— Parce que tu aimes bien boire, tu me l’as dit la première fois qu’on s’est rencontrées.

C’était un vieux souvenir datant de la période où Meredith gérait encore l’agence.

— Ouais, j’aime bien boire…, confessa Elena en détournant le regard et en jouant avec une mèche de cheveux.

— Quel dommage…

— Oui, tellement dommage…, approuva faussement Elena.

— Cela dit, on pourrait aller en acheter au konbini. En une demi-heure, je devrais pouvoir y arriver. Il doit encore être ouvert, n’est-ce pas ?

Les filles échangèrent des regards paniqués.

— Euh… je vais faire une promenade sur la plage, dit Sayu en partant.

— Je… je… je suis fatiguée… Je vais aller lire dans mon lit.

Ce fut au tour de Maya de s’enfuir.

— À mon avis, c’est sûrement déjà fermé, dit Takiko, un peu gênée. Tu sais, les villages de campagne… Attends, Sayu-chan, je viens aussi !

Finalement, Elena et Aiko se retrouvèrent seulse assises sur la terrasse.

— Arf ! Vraiment encore plus dommage… À la limite, je vais y aller demain.

— Ce… ce n’est pas nécessaire. Profitons de nos vacances sans alcool. Hahaha !

Le rire d’Elena était nerveux, Aiko n’en comprit pas vraiment la cause.

La première journée s’acheva ainsi, elles n’avaient pas pu aller se baigner, mais elles s’étaient malgré tout amusées. Il restait encore deux jours pour profiter de la plage.

***

S’il y avait eu une trêve durant la nuit, la pluie reprit au matin.

Les filles n’eurent même pas le temps de prendre leur petit-déjeuner qu’il se mit à pleuvoir à nouveau.

— Nous sommes maudites, ma parole ! cria Takiko.

— Personne n’a regardé la météo avant de réserver, marmonna Sayu.

Une fois de plus, elles étaient devant la baie vitrée, toutes les cinq, à constater l’horreur de leurs vacances.

Sayu portait un masque noir en cette matinée et, même s’il avait un peu étouffé sa voix, toutes l’avaient parfaitement entendue.

La plus concernée, celle qui avait proposé les vacances et qui avait effectuer les réservations, le prit évidemment comme une attaque personnelle :

— Je l’avais regardée ! C’était même pas 20 % de risques, je te signale !

— Où ça : ici ou à Nagoya ?

Elena eut un léger sursaut.

— Tu n’as pas vérifié.

— Euh… Je…, dit-elle en détournant le regard et en enroulant une mèche de cheveux autour de son index. J’ai juste ouvert l’application sur mon mobile…

— Qui est programmée selon ton adresse, à Nagoya.

— Les filles, c’est inutile de se disputer, dit Aiko. J’aurais fait la même erreur, je pense. Puis, on s’est bien amusées hier, il n’y a pas de quoi en faire un drame.

Sayu soupira longuement, tandis qu’Elena, l’accusée, lui jeta un regard en coin plein de reconnaissance.

— C’est pas une question de s’amuser ou non, c’est plutôt de voir ses attentes tomber à l’eau. Mais bon, tant pis…

— Tsss ! Si j’avais su, je ne vous aurais pas invitées…

— Mais non, tu as bien fait !

Aiko lui posa amicalement la main sur l’épaule pour la consoler.

— C’est pas ce que j’ai dit. Je suis contente d’être ici, dit Sayu. Juste que c’est dommage de pas avoir regardé la bonne météo avant de réserver.

— Rhooo ! Vous m’énervez à blablater ! cria Takiko. Allez, toutes en maillot de bain ! On y va !

Elle retira son t-shirt sous lequel se trouvait son maillot de bain, puis tira d’un coup sur la fermeture éclair du survêtement de Maya à ses côtés ; il était différent de la veille, manifestement il s’agissait de son pyjama.

À peine ouvert, elle dévoila non pas un maillot de bain mais ses sous-vêtements. La veste était si longue et chaude qu’elle n’avait besoin de rien d’autre en dessous pour dormir.

— Oups !

Les yeux de Maya s’emplirent de larmes en l’observant. Takiko s’empressa de remonter délicatement le fermeture, comme si rien n’était, mais le mal était déjà fait : tout le monde avait vu le corps mince, sans la moindre graisse, la poitrine modeste et les sous-vêtements délicats de Maya.

— Whaaaouu !

Aiko ne put s’empêcher de laisser sortir cette exclamation de sa bouche ; elle n’améliora pas la situation. Elena rougit et Sayu était aussi insondable que de coutume derrière son masque.

— Désolée, je me suis emportée… Si tu veux, tu pourras me faire la même chose.

— Je… je… Vous… vous avez tout vu ! Je… Ouinn !!

Aiko vint immédiatement la prendre dans ses bras pour la consoler.

— Rassure-toi, le spectacle était digne d’intérêt : tu es très jolie !

Elena porta un coup de pied dans le tibia d’Aiko en guise de reproche, mais cette dernière poursuivit comme si de rien n’était :

— Au fond, c’est pas très différent de se montrer en maillot de bain, tu sais ? On peut même dire que les maillots de bain sont juste des sous-vêtements de façade.

— Théorie intéressante…, commenta Sayu. Donc, ça ne t’embêterait pas de te montrer en sous-vêtements au lieu de ton maillot de bain.

Maya cessa de pleurer et fixa Aiko. En fait, toutes avaient leurs regards braqués sur elle dans l’attente d’une réponse à cette question :

— Euh… Ce serait un peu gênant, certes… Mais si c’est entre filles, c’est pas si grave. On peut aller dans les onsen ensemble et même dormir nues ensemble, ça ne compte pas lorsqu’on est du même sexe de toute manière.

— Je t’ai déjà dit que cette mentalité est fumeuse ! protesta Elena plus rouge que jamais.

On ne distinguait plus de différence entre la couleur de son visage et celle de ses cheveux. Néanmoins, après quelques secondes, elle sembla soudainement se calmer.

En toussotant, elle déclara :

— Oui, tu as raison : entre filles ça ne compte pas ! Ce ne sont que des sous-vêtements. Kof kof…

Des larmes étaient apparues au coin de ses yeux, il ne faisait nul doute qu’elle ne croyait pas ses propres paroles et qu’elle se remémorait la scène gênante qui était arrivée quelques mois auparavant avec Aiko.

Se sentant peut-être suffisamment à l’aise ou alors pensant amuser les filles, cette dernière afficha un sourire moqueur et dit :

— Après la journée en maillot de bain, pourquoi pas une journée en sous-vêtements ? Cela raffermirait les liens au sein de l’agence. Hahaha !

Néanmoins, aucune ne prit ces paroles pour une blague. Maya s’écarta subitement en se mettant à trembler. Takiko parut gênée, elle fixa le sol en laissant sortir des « euh… » de ses lèvres. Elena était sous le choc, sa bouche restait grande ouverte face à cette proposition indécente. Seule Sayu demeurait impassible et calme.

— On devrait faire ça. D’ailleurs, même nues cela serait pas mal. Bien sûr, pour renforcer nos liens…

— QU’EST-CE QUE TU DIS ?!!!!!

Elena ne put s’empêcher de crier, les larmes aux yeux, tout en saisissant Sayu par les épaules.

— Ce serait quand même un peu trop, je pense, Sayu-san. Hohoho !

Aiko ne parut pas avoir compris l’ironie et avait pris les paroles pour argent comptant.

— C’était une blague, expliqua immédiatement Sayu en soupirant. Je ne pense pas que nous ayons besoin de renforcer nos liens de cette manière-là.

Maya et Takiko acquiescèrent immédiatement.

— De cette manière-là ? Cela dit, je plaisantais également, même si je serais disposée à le faire si tout le monde est d’accord.

— JUSTEMENT ! C’est ça qui m’inquiète !

Elena lâcha Sayu pour saisir les épaules d’Aiko et la secouer comme un prunier.

Les filles ignoraient ce qui s’était passé précisément cette nuit-là entre elles, mais étaient sûres qu’il y avait eu quelque chose.

— À la base, je voulais juste vous proposer de sortir, dit Takiko en se grattant la joue, timidement.

Elle se tut un instant, toutes l’observèrent en essayant de deviner ce qu’elle souhaitait proposer.

— Tu veux sortir quand-même ? demanda Elena.

— Aaaaaaahhh ! Oui, j’en ai marre d’être enfermée ! Je suis une mahou senjo ! J’affronte des monstres horribles à filer des cauchemars ! C’est pas quelques gouttes de pluie qui vont me faire peur ! Je vais me baigner !!

Elle ouvrit d’un coup la porte-fenêtre et courut vers la plage en maillot de bain. Elle fut rapidement trempée par la pluie, qui était moins forte que la veille, mais ne s’arrêta pas. Ses pieds s’enfoncèrent dans le sable mouillé de la plage et elle finit par atteindre l’eau agitée où elle sauta sans hésiter.

— Elle est parfois sauvage, dit Sayu.

— Tu veux dire presque tout le temps, oui, la reprit Elena, en prenant son visage dans sa main.

— J’ai envie d’y aller aussi, dit Aiko.

— Vraiment ? Ce ne me semble pas très agréable…

— J’ai juste peur que nous tombions malades. Enfin, vous vous devriez mieux vous en tirer que moi : vous avez encore vos corps de mahou senjo.

Ce rappel ne manqua pas d’attrister un peu l’ambiance. Même si toutes les trois étaient encore à quelques années de leur décrépitude de pouvoirs, elles pouvaient se douter de ce que pouvait ressentir Aiko.

Elles étaient toujours un peu tristes de la laisser derrière elle lorsqu’elles partaient en mission, mais il était impossible de faire autrement.

Elles restèrent un instant à observer Takiko jouer dans l’eau comme une enfant malgré les vagues et de la pluie.

— Au pire, si tu tombes malade nous nous occuperons toutes de toi, dit Elena après un instant. Si tu veux y aller, ne te prive pas.

— Vraiment ?

— Tu… tu t’occupes toujours… de nous, dit Maya timidement en prenant la relève. C’est… c’est aussi tes vacances.

— D’ailleurs, je pense venir aussi, dit Sayu.

— Oohh ! Vous êtes si gentilles les filles ! Je vous aime !!

Aiko écarta les bras et essaya de toutes les enlacer en même temps. Elle ne parvint pas à saisir Maya qui se tenait un peu plus loin, mais enfouit les visages d’Elena et de Sayu contre sa poitrine.

— La… Lâche-moi… je te dis…

— …

— Quelle stupide poitrine ! Tu… tu m’étouffes !

— Elle n’est pas stupide, elle est remplie d’amour pour vous toutes ! Hahaha !

Aiko riait tandis que des larmes lui coulaient des yeux. Elle aurait tellement aimé que ces jours durassent à jamais. Après tout ce qui lui était arrivé ces dernières années, elle était si heureuse entourée de ces filles.

Finalement, à l’exception de Maya qui était toujours fermement opposée à sortir par ce temps, elles rejoignirent Takiko.

Malgré la pluie, l’eau était encore suffisamment chaude pour s’y baigner. Il fallait dire que la température était élevée cet été-là. Les vagues étaient certes un problème, mais tant qu’elles ne s’éloignaient pas trop de la plage, tout irait bien. À chaque sortie de l’eau, la pluie froide donnait une sensation désagréable.

Soudain, une vague un peu plus haute que les autres les surprit. Aiko attrapa Elena par réflexe.

— Eh ? Tu fiches quoi au juste ?

— J’ai cru que j’allais me faire emporter.

Elena qui, se sentait embarrassée par ce contact, observa la plage à seulement quelques mètres.

— Tu n’aurais pas été amenée très loin.

— Ne dis pas ça, on ne sait jamais.

— Mouais… Et du coup, pourquoi tu restes collée ?

Elena sentait la poitrine d’Aiko appuyée contre son dos. Une chance pour elle, elles ne se faisaient pas face faute de quoi cela aurait été encore plus embarrassant.

— J’ai de l’eau dans les yeux, je ne vois plus rien…

Elena tourna sa tête légèrement, elle confirma qu’Aiko avait les yeux fermés.

— Va ! Mais dès que tu y verras, tu t’éloignes !

— Ne sois pas si froide, Elena-san ! Je… En fait, j’ai un peu peur de me baigner.

Un des sourcils d’Elena se leva :

— Peur de quoi ? De la noyade ?

— Ça aussi, un peu. Non, en fait, j’ai peur des Profonds.

— Vraiment ?

— Oui. Tu as encore des pouvoirs, tu peux te défendre, mais moi… S’ils m’attrapent sous l’eau, ils pourront faire de moi ce qu’ils veulent. Et tu les connais, non ?

Elena grimaça. Malheureusement, toutes les mahou senjo connaissaient ces créatures du Mythe détestables. Par chance, la nature ne les avait pas dotés d’une puissance incommensurable, les mahou senjo avec seulement un rang D n’avaient plus à les craindre en un contre un.

— Dans ce cas, il ne fallait pas venir te baigner.

— Je… je ne voulais pas gâcher vos vacances. Takiko-san a raison : il faut en profiter.

Elena secoua la tête puis donna une pichenette sur le front d’Aiko.

— Combien de fois il faut que je te dise que ce sont aussi tes vacances, bon sang ?

— Héhé ! Désolée ! Je… Il va falloir le répéter encore un peu plus, je pense.

Elena grommela, puis avisant une nouvelle haute vague, souleva Aiko pour l’empêcher de boire la tasse. Cette dernière avait encore les yeux fermés, elle n’aurait pas pu la voir arriver.

— Me-merci !

— Je n’ai rien fait de spécial, tu sais ? Je me suis levée pour ne pas être frappée par la vague, c’est tout.

Aiko rouvrit les yeux et essaya de croiser ceux d’Elena qui faisait exprès de les esquiver.

— Tu mens.

— Je ne te permets pas !

— Mais tu mens quand-même. Je…

— Kyaaaaaaa !

Alors qu’Aiko allait poursuivre, Takiko émit un petit cri. Elena et Aiko se tournèrent en panique. Elles envisagèrent toutes les deux une attaque de Profonds, mais ils n’étaient assurément pas les seuls Anciens à pouvoir attaquer en bord de mer.

Elles n’étaient pas prêtes au spectacle qui pénétra dans leurs rétines à cet instant, un autre type d’horreur

— C’est… c’est quoi ces monstres ?! s’écria Elena.

— Whaaaaaa !!

Takiko se cachait les yeux avec ses mains, bien que l’ouverture entre ses doigts lui permettait sans nul doute de voir au travers.

Sayu qui était revenu sur la plage baissait calmement le regard sur sa poitrine nue.

Elle ne cria pas, ne rougit pas, elle cacha de ses mains ses seins bien plus imposants que ceux d’Aiko. Son habituelle tenue ne laissait rien paraître.

Sayu était en fait assez pudique quant à son physique qui lui avait valu au cours de sa vie tant de remarques et d’histoires incongrues. C’est pourquoi, elle avait développé quelques techniques vestimentaires simples pour le cacher. Par exemple, la veille, elle avait gardé un hoodie par-dessus son maillot.

Elle repéra le haut de son bikini que les vagues avaient emporté sur le sable de la plage et le ramassa calmement.

— C’est pour ça que j’aurais dû prendre un maillot une pièce. Nyaaan !!

— Nyan ? répéta Aiko.

Tout aussi surprenant que sa poitrine, cette petite voix mignonne ne ressemblait pas à l’habituelle Sayu.

— J’ai rien vu ! J’ai rien fait de mal ! s’écria Takiko, sûrement encore perturbée par ce qui s’était passé.

— C’était un accident… Non ? NON ?

Elena paniquait également, Aiko n’en comprit pas de suite la raison. Elle ne se doutait pas que les complexes mammaires pouvaient être si profondément ancré dans le cœur de ses collègues.

— Vous n’avez rien vu, n’est-ce nyan ? Je… Je vais remettre mon hoodie et aller cacher ma honte, nyaa !!

Sur ces mots, Sayu s’enfuit non pas vers la maison mais vers l’est, en direction d’un aplomb rocheux haut de quelques dizaines de mètres qui se trouvait à quelques centaines de mètres.

— C’était quoi ces « nyan » ? Et… Sérieux, elle a une de ces poitrines !

— Tu… Tu n’as pas honte de dire ça ? Espèce de vache à lait perverse !!

— Moi ?

Probablement sentant le vent tourner en direction d’une nouvelle discussion gênante, Takiko dit :

— Je vais la suivre ! Je ne veux rien savoir de ce que vous ferez !

Aiko était la confuse, elle ignorait être l’œil de la tempête, le seul endroit calme au sein du chaos.

***

Lorsque Sayu et Takiko vinrent rejoindre les deux autres filles sur la terrasse, elles apportèrent une nouvelle surprenante.

— Là-bas, on a découvert une grotte trop bien ! dit Takiko avec un enthousiasme débordant. Du coup, on s’est demandées avec Sayu-chan si on aurait pas pu y faire un genre de barbecue.

Les trois autres filles réfléchirent à la proposition.

— C’est grand ? demanda Elena.

— Suffisamment pour tenir à dix, répondit Sayu. Et il y a une aération qui permettrait à la fumée de sortir.

— Mmm… Il n’y a pas le risque qu’à marée haute, la grotte soit inondée ? demanda Elena, perplexe.

Il y avait de nombreuses grottes du genre dans les montagnes en bord de mer. On disait même que certaines étaient occupées par des nids de Profonds.

— Je ne suis pas experte, mais j’en doute, répondit Sayu. Il y a certes de l’eau, mais la grotte est accessible par la terre.

— Moi, je suis favorable à l’idée, dit Aiko. Au pire, vous me porterez si la grotte s’inonde.

Elle reprenait un peu la proposition qui lui avait été précédemment faite : elle pouvait compter sur elles pour veiller à sa sécurité.

Seule une personne n’était pas convaincue :

— Pourquoi… le faire… ailleurs qu’ici ? Il y a tous les ingrédients à la cuisine… et c’est couvert.

C’était un raisonnement logique : le goût des aliments était identique que ce fût dans une grotte ou sur la terrasse. Et sans nul doute l’endroit que proposaient Sayu et Takiko n’était pas aussi confortable que leur maison à la plage.

Rapidement, Maya se rendit compte être seule contre quatre : elle était en sous-nombre. Personne ne l’obligea à les suivre, mais elle le fit malgré tout.

Chargées de sacs, elles bravèrent les quelques centaines de mètres qui les séparaient de leur destination. Comme l’avaient expliqué Sayu et Takiko, l’endroit était accessible depuis la plage.

Après un tunnel de trois mètres environ, elles entrèrent dans une grotte avec une mare d’eau au centre, attestant d’une connexion souterraine avec l’océan. Il y avait assez de place pour une dizaine de personne, comme elles l’avaient dit.

Au plafond, dans le point le plus opposé à l’entrée, se trouvait un trou qui laissait passer la lumière de l’extérieur, mais également la pluie qui ruisselait et alimentait le point d’eau.

Sans nul doute, cet endroit avait dû accueillir plus d’un touriste à une époque, mais avait été déserté en raison des nombreux risques. Il était parfait pour cacher du matériel de contrebande ou des Profonds également.

— Ohh ! C’est joli ! Dire que s’il n’y avait pas eu cet accident, nous serions passées à côté.

Sayu baissa le regard suite à la remarque d’Aiko. Elena vint donner un petit coup de coude dans le flanc pour la réprimander de son indélicatesse.

Aiko ne parut pas comprendre de suite, c’est pourquoi Elena insista en la fixant et en grimaçant. Mais…

— Ah oui ! Désolée d’avoir regardé tout à l’heure. Ce n’était pas intentionnel.

— Qu’est-ce que tu dis ?! s’indigna Elena, qui comprit rapidement avoir mal été comprise.

Mais Aiko poursuivit :

— Je ne voudrais pas que cet accident affecte notre relation. Si tu veux, on peut rétablir la balance : je te montrerais les miens.

— HEIN ???! s’écrièrent Takiko et Elena, mais également Maya.

— De quelle balance tu parles au juste ? cria Elena, outrée.

— C’est la seule à pouvoir l’équilibrer, d’un autre côté…, marmonna Takiko en fixant le sol, le visage soudainement enveloppé par une zone d’obscurité.

— C’est pour de saines relations, argumenta Aiko. Elle s’est sentie gênée à être la seule. Je ne voudrais pas qu’elle nous en veuille. Puis, c’est pas plus gênant que si on allait ensemble à un onsen, non ? Nous sommes entre filles…

Sayu prit son visage dans sa main. On entendit un rire timide s’échapper de son masque qu’elle n’avait pas retiré de la journée.

— Tu es vraiment incroyable… J’y penserais à l’occasion.

Le regard de Sayu fit frisonner soudain Aiko qui commença à regretter son étrange proposition.

— Euh… Tu es bien hétéro, non ? Ma proposition serait gênante si ce n’était pas le cas.

— C’était une plaisanterie. Tu es vraiment pas possible.

Sa voix et ses phrases étaient redevenue normale ; elle parlait calmement sans ponctuer par des « nyan ». Aiko s’était demandé si cet onomatopée typique du miaulement des chats n’avait pas un lien avec sa forme de combat. En effet, Sayu se transformait en fille-chat.

— Il y a bien des mystères dans notre monde et encore plus lorsqu’il est question de la magie…, avait-elle conclu incapable de trouver une confirmation.

Quoi qu’en fût la raison, les autres avaient confirmé à Aiko que ce changement de ton et de style de langage n’intervenait que lorsque Sayu perdait son calme.

C’est sur une proposition en suspens que la crise prit fin… ou presque. En effet, Elena se jura de parler en privé à Aiko pour lui reprocher son attitude.

Pour l’heure, la priorité était de préparer le barbecue. Avec un peu de musique produite par un de leurs smartphones, les membres du groupe installer l’équipement près de l’ouverture au plafond afin de permettre à la fumée de s’échapper. Elles disposèrent une table en plastique non loin également.

Entre temps, la pluie avait cessé et le soleil venait d’apparaître ; il était déjà le milieu d’après-midi.

Aussitôt, les filles furent stupéfaites par le spectacle qui se reflétait contre les parois de la grotte. La lumière filtrait à travers le trou au plafond, se reflétait sur la surface de l’eau au centre et se répandait tout autour dans une teinte bleutée miroitante et scintillante.

Avec cette éclairage, elles purent découvrir que la mare peu profonde accueillait des petits coraux et des poissons qui parvenaient à passer par le conduit reliant à l’océan.

— Whaaaaa ! C’est vraiment joli ! C’est un chouette endroit que vous avez découvert ! dit Aiko en s’interrompant dans sa tâche.

— Je… je ne pensais pas que c’était aussi beau à l’intérieur, avoua Takiko.

— Finalement, nous avons un peu de chance, dit Sayu en restant plus mesurée dans l’expression de ses sentiments.

— C’est… beau…, dit simplement Maya.

Elena afficha un sourire et mit ses mains sur les hanches, fièrement.

— Au fond, c’est grâce à moi si nous assistons à ce spectacle ! Si je n’avais pas réservé pour ces trois jours…

Mais Sayu plissa les yeux, peu convaincue.

— Nous avons juste eu de la chance. Cela n’a rien à avoir avec toi… patronne en carton.

— Carton ? Hein ? Retire ce que tu viens de dire, espèce de vache à lait !

— Ouin ! Je vais pleurer si tu parles de ma poitrine bovine. Ouinnn !

Sayu se moquait bien sûr, elle n’avait aucune larme dans ses yeux.

— Je te retiens ! Hmppfff !

Elena croisa les bras et prit un air condescendant en ignorant Sayu, qui paraissait satisfaite de sa victoire.

Les trois autres s’échangèrent des regards sans savoir quoi dire et, finalement, les préparatifs se poursuivirent.

Même si la nourriture n’avait pas un goût différent, le fait d’être en bonne disposition morale aidait à l’apprécier davantage. De l’avis de chacune, c’était un des meilleurs barbecues de leur vie et, pourtant, les ingrédients étaient de qualité normale.

Aiko, qui s’occupa de presque tout le travail de cuisine, fut sincèrement heureuse de recevoir de telles louanges.

La nuit venant à tomber, elles décidèrent qu’il était temps de rentrer.

Satisfaites, bien plus que la veille de leur journée, mais fatiguées, elles s’installèrent devant la télévision ou jouèrent aux cartes avant de voir leur nez piquer.

Les dernières encore debout ne furent autres qu’Elena et Aiko.

— Si tu veux te coucher, ne te force pas. Je vais fermer, dit la première.

— Hein ? Non, ça va. Tu ne vas pas te coucher, toi ?

— Je pensais faire une petite promenade pour me changer les idées. C’est rare que je puisse être dans un endroit où je n’entends pas la circulation routière.

— C’est vrai qu’en ville, nuit et jour, on entend toujours les voitures. Surtout au centre ville avec ces gens qui font des courses nocturnes.

Heureusement, elle n’y habitait pas mais Aiko connaissait suffisamment Nagoya pour avoir déjà vu et entendu ces voitures à grosses cylindrées passer à pleine vitesse en ville. C’était dans la culture de la ville qui accueillait de nombreuses industries automobiles.

— Cela te dérange si je viens avec toi ?

— Bien sûr que non.

Elles quittèrent la maison en silence pour ne pas réveiller les autres et prirent une direction au hasard.

— Avec la pluie, la température est agréable cette nuit, dit Aiko.

— Ça change de l’étouffante température de Nagoya. Tu savais qu’en été, en raison de sa position géographique et de son architecture, c’est une des pires villes de Kibou ?

— Vraiment ?

— Ouais, j’ai vu ça à la télé.

Elles se turent un instant et marchèrent en observant le ciel. À présent que les nuages n’étaient plus, elles pouvaient voir les étoiles et profiter de la lueur de la lune qui suffisait à leur promenade nocturne.

— Tu n’aimes pas Nagoya, Elena-san ?

— Je n’ai pas dit ça. Mais c’est vrai que parfois prendre de la distance, ça fait du bien.

— Je peux comprendre, même si personnellement j’adore Nagoya. C’est bizarre, mais je ressens comme si j’étais incapable de vivre ailleurs.

— Tu es bizarre…

— On me le dit de temps en temps. Hahaha !

Elena pointa du doigt un distributeur de boissons qui se trouvait sur leur route. À côté se trouvait un banc.

— Allons-nous reposer là-bas un peu.

— Tu es fatiguée ?

— Moi non, mais je sens que ton souffle est un peu lourd. Ce n’est pas facile de se trouver au milieu de mahou senjo sans avoir de pouvoirs, n’est-ce pas ?

Elles marchaient sur un petite route de campagne qui contournait le village voisin. Ce distributeur était presque une vision anachronique, un objet qui n’avait rien à faire là. Cependant, sa présence s’expliquait par le fait que le banc n’était autre qu’un arrêt de bus utilisé en journée, notamment par les collégiens.

Aiko ne répondit pas de suite, aussi Elena reprit :

— J’offre à boire. Tu veux quoi ?

— Euh… Pas un café, sinon je ne vais plus dormir. Euh… Il n’y a pas de bière, pas vrai ?

— Tu veux que je te frappe ?

— Hahaha ! Bien sûr, il n’y a pas d’alcool dans ce genre de distributeur. Va pour le jus de pêche ! Merci beaucoup, Elena-san.

Elena prit les boissons et vint s’asseoir à côté d’Aiko.

— Tu n’as pas besoin du -san-, idiote. Tu es ma senpai au fond.

— Oui, mais ça n’a plus vraiment lieu d’être, dit Aiko en ouvrant sa canette. Je ne suis plus ta senpai, juste une employée.

Elena lui posa sa canette froide de melon soda sur le front, Aiko réagit de suite.

— Hiii ! C’est gelé !!

— C’est pour rafraîchir ce cerveau défaillant qu’est le tien. Arrête de complexer et de te sentir inutile : tu fais partie de l’agence. Tu es notre amie, pas notre sous-fifre !

— Elena-san…

— Elena !

Aiko sourit poliment, elle n’arriverait pas aussi rapidement à se défaire des marques de politesse. Si elle pouvait éventuellement y parvenir avec les autres, Elena était la chef, elle représentait l’autorité. Pour une soldate qui avait servi si longtemps, c’était sûrement impossible de se défaire de l’idée de hiérarchie ; ce genre de fonctionnement étaient trop profondément inscrit en elle.

— Honnêtement, au début, j’ai pensé que c’était une mauvaise idée : « à quoi pourrait être utile une personne sans pouvoir dans une agence ? ». C’était ce que je pensais. Mais, au fur et à mesure, je me rends compte que ton utilité ne se limite pas seulement aux tâches ménagères.

— Réellement ? Je sers pourtant qu’à ça…

Elena lui pinça la cuisse.

— Aïe !! Eh oh ! Ne passe pas tes nerfs sur moi ! Je suis une femme sensible et délicate !

— Arrête de te rabaisser et j’arrêterai de te frapper.

— Oui mais, du coup, je sers à quoi d’autre ?

— Penses-y et tu comprendras sûrement. Si je te le dis, cela gâchera tout.

Elena se leva et lui tendit la main.

— Faisons encore quelques pas, tu veux ? Je ne suis pas encore d’humeur à dormir.

Aiko parut un peu confuse, elle n’avait pas obtenue la réponse à sa question. Mais elle saisit la main qui l’aidait à se lever et, au lieu de la lâcher, elle passa ses doigts entre ceux d’Elena.

— Eh oh !! Tu fiches quoi au juste ? C’est… c’est un truc que font les amoureux, ça !

— Rassure-toi, je te l’ai dit la dernière fois : tu n’as ce qu’il faut pour être mon amoureux. Et tu ne me feras pas le coup de « qui sait ? », j’ai bien pu m’assurer que tu es une femme authentique ! Haha !

— Toi ! Espèce de petite… !

Dans l’obscurité, Aiko ne pouvait voir le visage rouge et les yeux humides d’Elena, mais elle pouvait facilement les imaginer.

Aiko s’approcha et colla son épaule à celle de sa chef :

— En fait, je commence à avoir un peu peur.

— De quoi ?

— Cet endroit isolé, sauvage et proche de la mer. J’ai eu quelques interventions dans des villages du genre à l’époque… c’était pas beau à voir.

— J’imagine.

— Nous parlions de la ville avant… Au fond, je m’y sens plus en sécurité, malgré tout. Ici, si vous n’étiez pas là, je n’oserais y mettre les pieds. Simplement qu’il faut plus d’une demi-heure pour voir arriver une unité de mahou senjo en cas de problème…

— C’est si difficile de perdre ses pouvoirs ?

Aiko hésita un instant, elle reprit son souffle et se colla encore plus à Elena, comme si elle essayait d’entrer en elle.

— Pour moi, ça l’est. Être consciente de tous ces dangers sans pouvoir rien y faire, c’est terrible.

— Quelqu’un qui monte dans une voiture est conscient du risque et pourtant il n’angoisse pas comme ça.

— Je suis sûre que certains doivent refuser d’utiliser la voiture. Je… je me doute que j’ai un problème, que les autres y arrivent mieux que moi, mais… je… j’ai peur que tu m’abandonnes ici. Donc… s’il te plaît, accepte de me tenir la main jusqu’à notre retour.

Si cela avait été quelqu’un d’autre, Elena aurait sûrement refusé. Non, en fait, elle aurait été suffisamment prévenante pour accepter même si elle jouait les durs. Néanmoins, elle aurait demandé à avoir un peu plus de distance, malgré tout.

Elle avait pitié d’Aiko qui avait l’air si faible, un peu comme une enfant. Toutes plaisantaient en l’appelant « maman » mais, en réalité, elle était peut-être celle qui portait le moins bien ce titre.

Elena sentait son rythme cardiaque rapide et sa respiration perturbée, ainsi que ses petits tremblements de peur.

— Tu pouvais pas le dire avant ? J’imagine que nous avons chacune nos faiblesses.

Elena soupira, puis sépara sa main de celle d’Aiko avant de la passer autour de sa hanche pour la rapprocher au maximum d’elle.

— Tiens, tu peux me prendre l’autre main si tu veux. Je ne peux pas faire mieux.

— Mer… Merci… Elena…

Si la situation n’avait pas été ce qu’elle était, elle lui aurait fait remarquer que, pour la première fois, elle l’avait appelée simplement par son prénom.

Toutes les deux continuèrent de marcher sous la lueur de ce beau ciel de juillet, puis rentrèrent sans faire de bruit.

***

Troisième et dernier jour de vacances.

Afin de profiter de leur séjour le plus longtemps possible, le groupe avait réservé des places dans un bus qui partait le soir et arrivait en pleine nuit à Nagoya. Il leur faudrait presque huit heures de trajet avec une correspondance à Osaka.

Après les deux jours de pluie, enfin le ciel était dégagé et le soleil battait son plein. En fait, après la disparition des nuages, il était si fort que la température grimpa rapidement au-dessus de 35°C en milieu de matinée.

Takiko s’était réveillée la première, elle n’avait pas attendu les autres pour aller se baigner.

Comme les deux précédents jours, c’est autour de dix heures seulement que les autres descendirent de leurs chambres.

— Allez ! Ne perdez pas de temps ! La plage ne vous attendra pas !!

Takiko les exhorta immédiatement. Ses collègues virent la rejoindre dans l’eau, à l’exception de Maya qui s’installa sous le parasol.

— Tu ne viens pas avec nous ? lui demanda Aiko.

— Je… je ne sais pas nager.

— Je vais t’apprendre ! dit Takiko en levant la main avec enthousiasme.

— Pas envie…

— Hein ?! Mais l’eau est si bonne ! C’est l’occasion rêvée !

Sans se concerter, elles se regroupèrent autour de Maya pour la solliciter, mais elles finirent surtout par l’embarrasser ; elle se cacha en mettant une serviette sur sa tête. Elle dégageait un air si fragile.

Parfois, les membres de l’agence la traitaient un peu comme leur petite sœur renfermée et avaient la mauvaise habitude de lui parler un peu simplement, alors même qu’elle était la plus intelligente du groupe. D’une certaine manière, Maya préférait qu’on la traitât ainsi plutôt qu’on la brusquât.

— Je… je n’aime pas l’eau…

— Vraiment ? demanda Aiko. Tu aurais dû nous le dire, nous serions plutôt allées en montagne. C’est dommage d’avoir fait tout ce chemin pour finalement ne pas en profiter…

On pouvait lire sincèrement le regret sur le visage de la jeune femme. Elena mit une main sur ses hanches et afficha un air contrarié.

— Maya-kun est un rat de bibliothèque : montagne ou plage, ça aurait été du pareil au même.

— Ce n’est pas très sympa, marmonna Sayu.

Contrairement à la veille, elle portait un maillot de bain une pièce qui rappelait celui des écoles publiques. Néanmoins, en raison de sa praticité et de sa sobriété, les écoles militaires avaient adopté le même genre de modèle. Sur Sayu, il était un peu serré, il devait sûrement daté d’une époque où son corps était moins développé.

Son masque de la journée n’était pas en tissu mais une matière synthétique plastifiée imperméable. Plus les filles y pensaient, plus elles se rendaient compte qu’elle l’utilisait simplement par se cacher et aucunement pour des raisons sanitaires.

— Je ne fais que dire la vérité pourtant. Mpff ! Puis, ça n’a rien de méchant. Je dis juste que, peu importe notre choix, Maya-kun est comme ça. Je pense qu’il vaut mieux la laisser tranquille plutôt que la harceler.

Maya acquiesça vigoureusement.

— Je… je suis un rat de bibliothèque… c’est vrai. Et… je n’aime pas la montagne… non plus. Ne vous inquiétez pas pour moi… Vous voir vous amuser me suffit.

— Comme je l’avais dit !

— Je trouve ça bête… J’aurais tellement voulu qu’on s’amuse toutes ensemble, se plaignit Aiko. Bah, tant pis…

À cet instant…

* Grooooaaa *

Ce n’était pas le rugissement d’un monstre— quoi que…— mais le ventre de Takiko qui grognait de faim.

La jeune femme coquette, même dans sa tenue de baignade, rougit jusqu’aux oreilles alors que ses lèvres formèrent des vagues.

— Je… je… j’ai peut-être sauté le petit-déjeuner.

Elena leva les épaules alors qu’elle souffla par le nez.

— De toute manière, il est presque midi. Cela n’a rien d’étonnant que tu aies faim.

— C’était mignon…, dit Sayu, à basse voix.

— Je vais m’en occuper ! Continuez à vous amuser ! déclara Aiko, en relevant une manche qu’elle n’avait pas dans sa tenue.

— Non, attends ! Je vais t’aider, proposa Takiko. C’est injuste que tu ne puisses pas…

Aiko lui posa l’index sur ses lèvres pour l’empêcher de poursuivre sa phrase :

— C’est un travail pour Ai-mama, non ? Puis, je suis sûre que Maya-chan va venir m’aider, n’est-ce pas ?

La concernée acquiesça sans tarder.

Takiko ne fut que moyennement convaincue, mais Elena l’attrapa par le bras et la tira vers l’eau.

— Tu as entendu, non ? Tu feras un gros câlin à maman pour la remercier plus tard. Allez, ne la retarde pas.

— Un câlin ?! Tu… Eh oh ! Je suis pas sûre que ce soit une bonne idée !

— Ouais, ouais…

— D’ailleurs… tu… je peux marcher toute seule !

— Oui, je sais que tu es une gentille fille.

Toutes les deux s’éloignèrent sous le regard amusé de Sayu qui marmonna :

— Elena aussi est mignonne…

C’est ainsi que le groupe se divisa en deux. Puisque la maison était en bord de plage, il n’y avait aucune raison de déplacer les affaires sous le parasol pour y manger. Une fois le repas préparé, elles se regroupèrent sur la terrasse pour déjeuner, tout en gardant une belle vue sur la plage.

Sur la table, c’était un véritable petit banquet : tempuras, sushis, sashimi, steak et nombre de plats d’accompagnements.

— Tu as cuisiné tout ça ?! s’étonna Takiko.

— Nous l’avons fait à deux ! rétorqua Aiko. Maya-san a été d’une grande aide ! Héhé !

Cette dernière baissa le regard timidement et s’en défendit :

— Je… je n’ai pas fait grand-chose.

— Ce n’est pas vrai ! Regarde, tu as même réussi à te couper.

Aiko lui prit les mains et montra les quelques pansements au bout de ses doigts.

Maya grommela incapable de parler, mais Elena résuma sa pensée :

— Je ne suis pas sûre que vanter ses blessures, donc ses échecs, soit ce qui lui fasse vraiment plaisir…

— Ce sont des blessures de guerre ! Il n’y a pas que les Anciens qui peuvent en infliger, vous savez ?

Elena afficha un sourire en coin, puis s’installa à table. Elle n’était vraiment pas convaincue que les deux types de combat fussent comparables mais n’avait pas envie d’argumenter.

— Whaaaa ! C’est trop bon !! ne tarda pas à s’exclamer Takiko. Ces tempuras de crevette ! Ils sont à la fois croquants et moelleux !! Scruunch ! Scruunch !!

Le tempura se brisa bruyamment entre ses dents alors que son visage exprimait sans modération son appétit et son plaisir.

— Je préfère la viande, personnellement, dit Sayu. Tu as amené ce bœuf de Nagoya ?

— Non, c’est du bœuf de Wakayama. J’ai trouvé un site qui en propose à des prix abordables.

— La viande fond en bouche, c’est incroyable !

— C’est rare de te voir si expressive, fit remarquer Aiko. Tu as de si jolies lèvres, c’est dommage que tu les couvres avec un masque.

Sayu l’observa un instant, mais préféra ne pas commenter.

— Personnellement, j’aime bien le thon panée que tu as fait. C’est une recette locale ?

— Oui ! Avec Maya-san, nous avons été étonnées de voir qu’il y avait de si bons magasins dans une si petite communauté.

— Le thon est d’excellente qualité et tu as su le cuisiner comme il faut. Le panko est bien frit et pas trop huileux.

— Héhé ! Merci ! Si même Elena-san me fait des compliments, je suis honorée !

Elena s’arrêta de manger et grimaça avant de détourner le regard.

— C’était… C’était plus des compliments envers les pêcheurs du coin. Ils prennent des risques, mais le poisson est délicieux. Au moins, tu as su ne pas le gâcher.

Il était vrai que la pêche était devenue une activité périlleuse. La majeure partie de la production de poisson du pays, aliment principal, provenait en réalité de piscicultures, mais quelques courageux, ou fous, s’aventuraient encore dans les eaux maritimes pour capturer du poisson sauvage.

En ville, ce genre d’ingrédients étaient particulièrement chers, mais ce n’était pas le cas dans les petits villages comme celui-ci.

— C’est vrai qu’ils risquent gros, dit Aiko, pensive. Je me demande s’ils ont des mahou senjo pour les protéger.

— D’après ce que j’ai entendu, expliqua Elena sur un ton aussi sérieux que celui d’Aiko, ils engagent parfois des mercenaires pour les grosses pêches. En général, il n’y a pas d’agences installées dans des coins aussi paumés.

— Pourtant, ce ne doit pas être un si mauvais choix. En y pensant bien… La concurrence est inexistante, le travail rend directement service à la société locale et on peut manger de bonnes choses. Le loyer doit être assez bas aussi.

C’était des considérations réalistes qui étaient exactes. Cependant, il manquait quelques éléments à cette analyse.

— Sauf qu’il n’y a pas forcément du travail toute l’année et que la population, plus pauvre, n’a pas les moyens de bien rémunérer les mahou senjo. D’autre part, la plupart des filles ont des aspirations plus ambitieuses : entre celles qui veulent protéger le plus grand nombre, celles qui cherchent la gloire, celle qui cherchent le confort et celles qui veulent devenir riches.

— Je sais. Je trouve ça juste malheureux qu’un tel endroit doive subir les attaques des monstres parce que personne ne peut se contenter d’une vie simple. Cela ne m’aurait pas dérangé de vivre dans un tel endroit, même si le village m’offrait juste à manger et le loyer tous les mois.

— Tu es vraiment une mahou senjo pas chère. Après, pour quelqu’un disposant d’une bonne retraite de l’État, ce genre de plan pourrait fonctionner. La coopérative des pêcheurs pourrait sûrement reverser un salaire ou exempter de loyer ou autres. Néanmoins, la plupart des filles des agences n’ont pas de rente de l’État, ou alors elle est trop maigre, et, avant de perdre leurs pouvoirs, elles doivent accumuler un maximum d’argent pour assurer le reste de leur vie.

— Le gouvernement ne les paie pas assez ?

— Tu rigoles ? Bien sûr que ça ne suffit pas pour vivre si on touche uniquement la retraite de base ! Toi, tu as cumulé un parcours idéal et tu as survécu jusqu’au bout, c’est assez rare, tu sais ?

— Pourtant, je n’ai jamais été si forte…

La discussion était devenue très sérieuse soudain, les autres filles les écoutaient tout en mangeant. Il allait sans dire que cela arrangeait Maya et Sayu de voir l’attention s’éloigner d’elles, l’une par timidité naturelle, l’autre simplement parce qu’elle n’aimait pas qu’on scruta son visage sans masque.

— Il faut croire que tu as eu de la chance à la place de la puissance. C’est une vertu également.

— J’aurais préféré que tu vantes mes qualités de combattantes, Elena-san…, dit Aiko sur un ton découragé.

Cette dernière afficha un sourire victorieux qui laissa entrevoir l’une de ses canines proéminentes.

— Bah, quoi qu’il en soit, sans aller jusqu’à la cupidité, on ne peut pas en vouloir aux filles qui préfèrent la ville. Comme je le disais, ce qui suit la décrépitude des pouvoirs est une énigme pour nous toutes. Nous n’avons jamais appris que la guerre et les champs de batailles, on a beau nous assurer que nous pourrons postuler un peu n’importe où, j’ai un doute que cela soit réellement le cas.

Aiko connaissait la réponse à ces interrogations.

— En réalité, on peut postuler n’importe où, sans diplôme, mais le réel problème est de trouver un travail qui nous convienne. Souvent, en plus, on nous relègue à des tâches ingrates ou alors on se sert de nous comme d’un slogan publicitaire : cela rassure les gens de savoir qu’il y a une mahou senjo dans les locaux, même si elle n’est plus active.

— Ah oui, c’est vrai que tu as connu ça. Tu as perdu tes pouvoirs il y a un moment déjà… Considérant ton comportement, il m’arrive de l’oublier.

En effet, Aiko avait bien dix ans d’écart avec la moyenne d’âge de l’agence qui se situait autour de vingt ans. Aux yeux des autres membres, elle était une bien étrange personne : elle avait un côté soucieux et protecteur qui lui avait valu le surnom de « Ai-mama » mais se comportait souvent avec une légèreté qui n’exprimait pas la sagesse de l’âge. De plus, physiquement, elle ne paraissait pas vraiment plus âgées qu’elles ne l’étaient.

— C’est vrai que je l’oublie tout le temps aussi, confessa Takiko.

— Moi aussi…, dit Maya.

— Pareil. Sans avoir vu ton CV, je t’aurais donné 24 ans, grand max.

— Ooooh ! Vous êtes adorables les filles !!

Aiko posa une main sur sa joue alors que ses yeux devinrent humides. Ces remarques sonnaient comme des compliments d’une valeur inestimable à ses oreilles.

Après la phase de dépression, au contact des membres de l’agence, elle s’était sentie rajeunir. Elle avait eu l’impression que les cinq dernières années pénibles de sa vie s’étaient volatilisées et qu’on lui avait offert une nouvelle chance. Plus que jamais, elle se rendait compte à quel point elle était heureuse ne serait-ce que de pouvoir manger avec elles et être traitée en égale.

— Je ne disais pas ça en guise de compliment, marmonna Elena, légèrement embarrassée. Quoi qu’il en soit ! Tu pourras confirmer que ce n’est pas facile de revenir dans le monde normal après avoir été si longtemps plongée dans le conflit contre les Anciens. C’est pourquoi les agences sont installées là où elles peuvent s’enrichir tant qu’elles en ont encore les moyens.

Aiko était à présent forcée de reconnaître le point de vue d’Elena. Ce n’était pas qu’une question de cupidité.

Se rendant compte que la discussion sérieuse avait refroidi l’ambiance, Aiko s’empressa d’égayer son expression et de se tourner vers Maya :

— Maya-san, tu préfères quel plat ?

— Hein ? Euh… Je… Les tempuras d’aubergine… et les mehari sushi.

— Ah bon ? Les mehari je ne les ai pas cuisinés, c’est ceux achetés.

— Oui…

— Je vois, je vois… J’avais déjà remarqué que Maya-san est une herbivore, tandis que Sayu est une carnivore.

— Tu parles bien de nourriture, Aiko ? demanda Sayu, sans réfléchir.

— Tu pensais que je parlais de quoi ?

Sayu faisait référence aux sôshoku-kei, les herbivores au sens sociologique du terme qui désignait les hommes (parfois aussi les femmes) n’ayant pas d’intérêt pour le mariage, le sexe et le couple de façon plus générale.

Takiko pencha la tête de côté, tandis que Maya baissa le regard en silence. Elena finit par comprendre et donna un petit coup de pied à Sayu sous la table.

— Quoi qu’il en soit ! Finissons de manger, nettoyons tout ça et préparons nos affaires.

— Quoi, déjà ? Mais, on a jusqu’à 17 heures normalement, dit Takiko.

— Et je parie, te connaissant, que tu vas courir à la maison à dix-sept heures moins dix en te rendant compte qu’il va falloir te laver, te changer, te maquiller et remettre tes affaires dans les valises.

— Gloups ! Oui, c’est possible…, admit Takiko avec un air embarrassé.

— Puis, Sayu-kun et Maya-kun ont déjà mis leurs chambres en désordre, j’en suis convaincue. Si je ne mets pas les pendules à l’heure avec vous, on va rater le taxi et le bus.

Sayu et Maya eurent toutes les deux la même réaction que Takiko : « Gloups ! ». Elles ne purent rétorquer les accusations qui étaient tout à fait justes. Leurs chambres étaient en désordre en seulement deux jours.

— Du coup, je préfère que tout soit prêt. S’il reste du temps, nous irons encore nous baigner.

— Tu… tu as sûrement raison, comme toujours, dit Takiko, attristée. Pffff ! J’aurais voulu m’amuser encore un peu…

Aiko se mit à rire en se couvrant ses lèvres de son poing.

— Cette fois, c’est Elena-san qui ressemble à une maman.

— Ta gueule !! Je… je ne suis pas une maman !!

— Hahaha !

Le rire d’Aiko s’intensifia et il fut accompagné de celui de ses collègues.

Après peu, lorsqu’elles reprirent leur calme, Aiko exposa une idée qui venait de lui traverser l’esprit :

— Et si au lieu de gérer tout ça chacune de son côté, on s’organisait plutôt en équipe ? Je veux dire… Plutôt que laisser faire Maya-chan ou Sayu-chan qui ne sont pas douées pour le rangement, si nous nous y mettions toutes ensemble, on finirait en un rien de temps et nous pourrions aller nous amuser, non ?

L’idée fut immédiatement acceptée.

— C’est plus amusant d’aller s’amuser toutes ensemble, dit Takiko en levant le poing. Je me sentirai coupable si j’y retournai sans vous.

— Mpfff ! Si tu prends les choses ainsi, c’est sûrement Aiko-kun et moi qui serions les premières à avoir fini. Mes valises sont déjà prêtes, en réalité.

— Quoi ?! Déjà ?!

— Héhé ! Tu me prends pour qui au juste ?

Elena croisa les bras et prit un air suffisant et hautain. Mais…

— C’est pas un peu triste d’avoir déjà tout emballé dans les valises ? Je parie que tu t’es réveillée en pensant à ça au lieu d’aller te baigner, dit Takiko.

— Je ne vois pas en quoi c’est triste !

— Pauvre Elena-san… Tu veux montrer le bon exemple au détriment de ton amusement, la plaignit Aiko.

— Je pense plutôt qu’elle ne sait pas s’amuser. Pauvre Elena…, dit Sayu pour en rajouter.

— Je sais très bien m’amuser ! Tu vas arrêter, espèce de langue de vipère !

Aiko ne put s’empêcher de se mettre à rire, communiquant ainsi sa bonne humeur aux autres qui firent de même.

Finalement, on débarrassa la table et on suivit le plan d’Aiko. Puisque Elena avait déjà fini ses bagages, elle prêta main forte à Takiko d’abord : Sayu et Maya ne voulaient pas son aide de suite.

Sayu avait même dit :

— Il y a des choses qu’il faut que je range seule.

Personne ne lui avait demandé plus d’explications à ce sujet. Néanmoins, en entrant dans sa chambre, on se demandait ce qu’elle avait bien pu ranger dans la demi-heure où elle avait été seule.

La chambre de Maya était également en désordre, elle avait amené plus de livres que ce que les autres avaient pensé. Le sol en était disséminé.

Finalement, c’est après quinze heures qu’elles purent faire une dernière baignade. Aiko parvint à convaincre même Maya de se joindre à elles, pour « le grand final ». Cependant, cette dernière ne se détacha pas d’Aiko puisqu’elle avait peur de se noyer.

Vers quatre heures, elles retournèrent à la maison.

— Bon, je propose pour gagner du temps que nous prenions notre bain ensemble, dit Aiko. La salle de bain est assez grande pour nous cinq.

En effet, elle était spacieuse, mais à cinq elles seraient à l’étroit.

— Gggh ! Tu… tu veux qu’on se baigne ensemble ? répéta Takiko en se tournant vers Elena.

— C’est… c’est vrai que ça serait un peu gênant quand-même…

Elena détourna le regard et se gratta la joue.

— Vraiment ? Nous sommes entre filles, je ne pense pas que cela soit si gênant. Puis, je crois que nous n’avons pas tellement le choix, le taxi arrive à cinq heures. Il faudrait que tout le monde ait fini en une dizaine de minutes, ça me semble difficilement réalisable. Et il faut compter le temps de sécher les cheveux, de se maquiller et de s’habiller.

— C’est pas faux…, dit Elena. Mais, au pire, pas besoin de se laver, on sort de l’eau justement.

Les quatre filles lui jetèrent des regards désolés. Comment pouvait-elle proposer une chose pareille ?

— Tu ne le sens pas encore, dit Sayu, mais le sel est mauvais pour la peau. Si tu ne te laves pas à l’eau douce, tes cheveux vont s’abîmer et tu vas avoir des démangeaisons et un malaise tout au long du chemin du retour.

— En effet, Elena-san ! Tu es encore mouillée, tu ne t’en rends pas compte, mais une fois sèche…

— Je me souviens l’avoir fait quand j’étais gamine et c’était pas génial, dit Takiko.

Elena rougit en ayant l’impression de passer pour une idiote. Ses lèvres s’arquèrent pour former un drôle de rictus, puis elle finit par perdre patience et déclarer :

— OK, vous m’avez énervée ! Je vais prendre mon bain. Faites ce que vous voulez ! Mpffff !

Elle les quitta et entra dans la salle de bain.

— J’arrive !! dit Aiko. Allez, venez aussi les filles ! C’est comme un onsen !

— Justement, je ne vais pas aux onsens, dit Sayu à basse voix.

Les trois filles étaient encore réticentes après le départ d’Aiko. Mais lorsque leurs regards s’arrêtèrent sur l’horloge du salon et qu’elles remarquèrent qu’elle indiquait déjà 16h10, elles n’eurent d’autres choix que de les suivre.

Rapidement, la salle de bain s’emplit de brume et de corps nus… et d’embarras.

Pour diverses raisons, les regards étaient tournés vers Aiko qui s’en rendit rapidement compte.

— J’ai un truc particulier ? demanda-t-elle en cherchant à regarder dans son dos.

— Rien ! répondit Elena. Juste que… rien !

— Allez, dis-le ! Elena-chan !!

— J’ai dit « rien » ! Nous n’avons pas le temps de blablater, lave-toi et sors de la salle de bain !!

— Mais ! Mes épaules sont fatiguées, je veux un peu me reposer dans l’eau chaude !

Elena répondit par un grognement.

— Je te lave le dos ? proposa Aiko.

— Hein ?

— Tu ne veux pas ?

— Je…je… Qu’est-ce que tu me proposes, idiote ?

Aiko pencha la tête de côté, elle ne comprenait pas vraiment le problème.

— J’ai dit quelque chose de bizarre ? demanda-t-elle en se tournant vers les trois autres.

Immédiatement, elles se cachèrent, d’une manière ou d’un autre, derrière des serviettes ou des baquets.

— Non… c’est normal, je pense mais… Disons que… considérant ce qui s’est passé…

Maya ne tarda pas à couvrir les lèvres de Takiko.

— Ce qui s’est passé ? répéta Aiko qui ne comprenait plus du tout.

Elena rougit jusqu’aux oreilles et finit par dire d’une voix forte :

— Bon, tu viens me laver le dos ou pas ? C’est qu’on a pas beaucoup de temps, bon sang !

— Ah, euh… D’accord !

Aiko prit du savon entre ses mains et les posa sur le dos d’Elena.

— Hiiii ! À mains nues ?

— Tu aurais préféré avec un gant de toilette ?

— OUI !! Pou-pourquoi tu me touches avec tes mains ?

— Bah, c’est que nous les avons mis au nettoyage : il n’y en a plus, donc j’ai pas d’autres choix. Puis, tu nous touches tout le temps, j’ai pensé que ça ne te dérangerait pas.

— Je… je QUOI ?!

— Tu n’as pas remarqué que tu prends souvent nos mains, tu touches nos bras ou nos épaules…

— C’EST PAS LA MÊME CHOSE !! C’est juste…

— Une marque d’affection ?

— NON ! Rien à voir ! Je… Une habitude ! Ma famille est russe à la base, tu sais ?

— Ah, je vois… Sinon, je continue ?

Elena prit un moment avant de répondre :

— D’accord, mais n’en profite pas !

— Haha ! Tu es marrante, Elena-san. Nous sommes entre filles, tu veux qu’il t’arrive quoi au juste ?

— Je… Ne me touche pas et ne me regarde pas trop ! Ça ne se fait pas !

— T’inquiète, je t’ai déjà vue nue. Puis, je ne toucherai que ton dos.

Elena prit son visage entre ses mains alors qu’elle se retenait de ne pas mourir d’embarras en se remémorant ce matin-là.

Derrière elles, les trois filles étaient tétanisées par un mélange de crainte et de gêne. Même Sayu, habituellement si calme, n’était pas vraiment brave dans cette situation.

Aiko tourna la tête, elles sursautèrent en chœur.

— Vous m’attendez pour vous laver aussi ? Je sais que vous me voyez un peu comme votre mère, mais si vous ne vous dépêchez pas, nous ne serons jamais à temps.

Face à ces menaces involontaires, les filles se mirent toutes en mouvement et leurs mains s’agitèrent sur leurs corps.

— C’est bon, je suis assez propre ! dit Elena. Je… je vais entrer dans la baignoire.

— Attends ! Il faut que tu me laves le dos aussi. C’est donnant-donnant.

— Hein ?

Aiko se tourna, disposa ses cheveux devant elle en les faisant passer sur son épaule, puis se tourna à trois-quart vers Elena en lui tirant la langue.

— N’en profite pas pour me peloter les seins. Nous autres qui en avons des gros, nous sommes souvent les victimes de nos collègues, pas vrai Sayu ?

Cette remarque ne fit qu’embarrasser plus encore cette dernière : elle détestait se montrer nue justement à cause de son développement un peu trop généreux.

— Euh…

Sayu, n’en pouvant plus de ces regards, rougit, se rinça et sortit à la hâte.

— J’ai fini ! dit-elle en sortant.

— Moi aussi ! dit Takiko en se rinçant à son tour. Je… je prends beaucoup de temps pour le maquillage. Je sors !

Maya regarda ses deux alliées sortir à la hâte, elles avaient plutôt pris une douche qu’un bain.

— Déjà ? s’interrogea Aiko. C’est vrai qu’on risque de manquer de temps autrement. Maya-chan, tu veux que je te lave le dos ?

La pauvre Maya était trop hésitante pour refuser et, finalement, elle finit dans la baignoire avec Elena et Aiko, plongeant sous l’eau jusqu’au nez.

— Aaaahhh ! Nager dans la mer est agréable, mais il n’y a quand même rien de plus reposant qu’un bain chaud !

Elena afficha une expression à la fois perplexe et éreintée. Ses yeux ne cessaient de fixer la poitrine d’Aiko.

— Qu’est-ce que tu as bien pu manger pour en arriver là ? s’interrogea-t-elle à haute voix.

— Les rations de l’armée, rien de plus.

— C’est… injuste…, marmonna Maya de son côté en produisant des bulles dans l’eau.

Finalement, elles arrivèrent à être prêtes à l’heure. Le taxi arriva à l’heure et elles parvinrent à monter dans le bus qui les amènerait à Osaka. Le soleil ne tarderait pas à se coucher sur leurs courtes vacances.

Un petit regret pouvait se lire sur leurs traits, ainsi que la fatigue physique et mentale.

Rapidement, Takiko et Maya s’endormir dans le bus, tandis que Sayu, probablement encore gênée par ce qui s’était passé dans le bain, s’isola avec des écouteurs et de la musique.

Aiko, assise à côté d’Elena, accoudée contre le rebord de la vitre, observait le paysage.

— C’était mes meilleurs vacances. C’est tellement génial d’être avec vous !

— Hein ? Vraiment ?

— Ouais ! Faudra qu’on se refasse ça tous les ans. Non, on pourrait même se prendre des vacances en montagne cet hiver. J’ai toujours passé des fêtes de fin d’année un peu triste… sauf quand j’étais avec Meredith-san et Riina-san.

— Ah oui… En effet, j’y pensais plus.

— D’ailleurs, tu sais ce qu’elles sont devenues ? Après mon départ, je n’ai pas osé les contacter, je le confesse, dit Aiko, en se grattant la joue.

— Si tu veux, je peux te passer leur adresse : elles vivent ensemble. Mais je te préviens… Elles ont pas mal changées…

Elena ne cacha pas un certain embarras. Aiko était loin de se douter ce qu’elle entendait par ces mots.

— Oh ! Génial ! Je vais peut-être aller les voir un de ces jours.

Elena reporta son attention sur le paysage extérieur au lieu d’en dire plus. Aiko fixa dans la même direction.

Elles restèrent en silence un long moment, puis…

— C’était excellent, mais ça aurait été encore mieux avec un peu d’alcool. Vous êtes strictes sur la question, ma parole ! J’espère que vous n’allez pas empêcher maman d’en acheter en souvenir à la gare routière.

Elena sursauta et grimaça.

— Fais ce que tu veux… Idiote !

— Hein ? Pourquoi idiote ?

Ainsi s’acheva le premier voyage d’Aiko et de l’actuelle agence K.T..

Lire la suite – Chapitre 6