Rei, Nanashi et Miyako montaient les marches d’un temple dédié à une divinité locale de Nagano.
— Pourquoi on va au temple, Reicchi ?
Elles étaient arrivées à la veille et avaient logé dans deux chambres d’hôtel qu’elles avaient louées pour quelques jours.
À l’aube, Rei leur avait appris qu’elle avait un plan de recrutement et qu’il leur faudrait se rendre au temple Tenkyûji. Les deux autres filles n’avaient pas posé de questions, Rei s’était mise à pianoter sur son téléphone en les attendant.
Une fois arrivée au sommet des marches, Rei se tourna et leur fit face, les mains dans les poches.
— Il est temps que je vous en parle… En fait, ce matin j’ai posté un message sur le site…
— Ah oui, le site ! J’y pensais même plus sur le coup ! l’interrompit Nanashi.
Miyako tourna des yeux ronds vers les deux filles, elle était seule à ne pas savoir de quoi il était question, d’autant qu’internet n’était pas sa spécialité.
Aussitôt, Rei lui expliqua :
— Il y a des années, une mercenaire a créé un site pour que nous puissions communiquer et partager des bons plans. Nous sommes malheureusement assez peu à l’utiliser, mais il est très pratique. Même notre Nanashi, cette tête en l’air, l’avait oublié c’est te dire qu’il est encore loin de faire unanimité.
— Ouais, c’est vrai que j’avais zappé… En général, je me contente de me balader et d’attendre les contrats. Hahaha !
— Cette méthode ne marche vraiment qu’avec toi, tu sais ?
— Sûrement, mais elle marche vraiment.
— Donc si je comprends bien les clients peuvent juste ajouter leurs offres sur le site ? demanda Miyako qui connaissait des sites du genre.
— C’était le but au départ mais il s’est avéré que les employeurs n’aimaient pas mettre les annonces dessus parce qu’ils s’engageaient en quelque sorte. Les gens de ton village ne doivent même pas le connaître, je suppose… Certains employeurs sont du genre à se rétracter pour des raisons et d’autres, du coup s’ils passent souvent par le site ils finissent par se griller avec ces mauvaises pratiques.
— Et parfois y a des mercenaires brutales et sauvages qui les tabassent, expliqua Nanashi sans faire disparaître son sourire. Ce monde est tellement bizarre par moment. Hahaha !
— Je ne vois pas de quoi en rire, Nanashi. Cependant, elle a dit la vérité : c’est déjà arrivé qu’un employeur qui a essayé d’entourlouper une mercenaire ait été retrouvé mort quelques semaines plus tard. Les doutes se sont bien sûr portés sur la dernière mercenaire qu’il avait engagé.
— Gloups ! Vous… vous… ?
Nanashi qui marchait les bras derrière la tête de manière insouciante tourna son regard vers Miyako, puis vers Reie et répondit à la question :
— Nan, j’ai jamais fait ça. Après faut dire qu’on m’a toujours payé aussi. Une fois, y a un mec qui il m’a donné 10 % de moins que ce qui était prévu… Quand je m’en suis rendu compte, j’étais déjà dans le shinkansen, du coup j’ai eu la flemme d’y retourner.
Rei ne put s’empêcher de sourire en secouant légèrement la tête, elle avait beau la connaître cette fille arrivait toujours à la surprendre.
— J’ai jamais eu besoin d’en arriver là non plus. Mais une fois, j’ai menacé le client de détruire sa maison s’il entachait mon honneur de mercenaire et il a reconsidéré la question.
— Ce n’est pas très rassurant…
— Bah, not’monde fonctionne comme ça, dit Nanashi en s’arrêtant devant l’entrée du temple. Et du coup, on vient faire quoi ici si t’as déjà posté l’annonce sur le site ?
— Tu connais le site, les annonces peuvent y rester parfois des mois, on ne peut pas s’en remettre qu’à lui. J’ai découvert qu’il y avait deux omikuji en ville j’ai pensé qu’on pourrait les utiliser.
— Deux omikuji ?
Miyako ne comprenait pas réellement à quoi se référait Rei. Les omikuji étaient des bandes de papier où étaient inscrits les vœux dans les temples. Bien sûr qu’il devait y en avoir, puisqu’elles se trouvaient dans un temple, mais pourquoi deux ? Rei utilisait-elle ce mot pour désigner autre chose ?
— J’ai jamais utilisé ça non plus, dit Nanashi.
— Ta chance est insolente, tu sais ? dit Rei en levant les épaules et en soupirant. Pour les moins chanceuses d’entre nous, nous avons créé un système permettant de communiquer discrètement dans les grandes villes en toute discrétion. Cela varie d’un endroit à l’autre, mais comme à Nagano, les temples sont souvent utilisés. Dans cette ville, il y a un omikuji dans le temple Tenkyûji et un autre dans un bar où nous allons allé tout à l’heure.
— Un bar ?
Les yeux de Nanashi s’illuminèrent, il ne faisait aucun doute qu’elle venait de penser à de la nourriture.
— Dans un temple ? s’étonna Miyako. Comment vous y prenez-vous au juste ?
— Suis-moi, je vais te montrer.
Elles entrèrent, le temple était vide. Contrairement à autrefois où ce genre d’endroits étaient toujours bondés de touristes et de croyants, dans le Kibou post-Invasion, les lieux de cultes étaient déserts.
Certains voyant dans les anciens dieux la représentation des Anciens, les temples étaient parfois victimes d’actes de vandalisme, plus rarement d’attentats terroristes.
La religion apportait encore son soutien à une part minoritaire de la population et il y avait encore des prêtres et prêtresses pour les garder en état. Dans les campagnes plus reculées, comme Yume-Shingawa, où la superstition restait forte, la religion gardait souvent une certaine influence.
Rei commença par se diriger vers un des bâtiments où se trouvait un point de vente de mamori, ema et autres accessoires de culte. La prêtresse, la miko, en souriant et en remerciant prit l’argent de Rei et lui tendit l’ema, cette plaquette de bois où on inscrivait des vœux, qu’elle avait demandé.
Accompagnée de Nanashi et Miyako, elles s’en allèrent s’asseoir sur un banc à proximité.
— Tu vas faire un vœu, Reicchi ?
— À qui je le ferais ?
— Aux kami ?
— Hahaha ! Laisse-moi rire ! T’es une mahou senjo comme moi, tu crois vraiment aux kami ?
— Nan, mais je sais que certaines y croient… J’en ai rencontré à l’armée autrefois.
— Ouais, je sais mais faut le vouloir pour croire que les dieux sont autre chose que des Anciens, tu sais ?
Miyako baissa la tête, bien sûr elle se sentait visée par ces propos en tant que pratiquante. Elle ne se considérait pas vraiment bouddhiste ou shintoïste, elle ne faisait que respecter les rites appris toute petite. Elle ne savait pas réellement si croire ou non, elle était plutôt perdue dans sa foi, ce qui ne l’empêchait cependant pas d’aller au temple.
Elle ressentit soudain une certaine distance avec ces deux filles qui étaient parfaitement incroyantes. Qu’avaient-elles bien pu voir pour se moquer à ce point de la foi ?
Nanashi, en toute indiscrétion, se pencha sur l’épaule de Rei pour lire ce qu’elle écrivait au feutre à l’arrière de la plaquette en bois.
— Ah ? En fait, tu n’écris pas de vœu, tu passes juste une annonce ?
— Bah ouais, c’est ce que je vous disais. Dans le jargon, on appelle ce genre de lieu des omikuji parce que les premières mercenaires dissimulaient les annonces justement dans les omikuji, mais ça n’a rien de religieux, évidemment. Suivez-moi !
Elles traversèrent la cour jusqu’à atteindre l’un des présentoirs où étaient accrochés des plaquettes votives.
— Vous allez l’accrocher là ? Ce n’est pas un peu… irrespectueux envers les dieux ? demanda timidement Miyako.
— T’inquiète, aucun dieu ne viendra m’en tenir rigueur. Toutefois, ce n’est pas exactement ici que je vais le laisser… le site disait que c’était un peu plus loin… Ah ! Le voilà !
À quelques mètres du présentoir se trouvait un plus petit présentoir au coin d’un bâtiment en pierre. Il y avait bien moins d’ema accrochés dessus. L’une des faces de ces plaquettes était habituellement décorée, il y avait une grande liberté dans les représentations dessus : les plus traditionnels avaient des dessins typés ancienne estampe, mais on pouvait également en trouver avec des personnages de manga ou anime.
Les ema de ce petit présentoir étaient tous identiques à celui acheté par Rei.
— Pour les annonces de mercenaires, c’est ici, expliqua-t-elle. Les miko du temple sont au courant, elles savent que celles qui demandent ce type d’ema sont des mercenaires. En échange de cet achat, elles nous laissent utiliser ce petit présentoir isolé. Elles gagnent un peu d’argent et de fréquentation et nous un endroit pour échanger discrètement. Du win-win, en somme.
— Eh ben ! Je connaissais vraiment pas ! C’est classe comme système !
— Classe, je sais pas, mais on va dire que chacun y trouve son compte. C’est surtout préoccupant qu’en tant que mercenaire tu ignorais tout ça…
— Je ne regarderais plus les ema de la même manière…, confessa Miyako sincèrement surprise par ce système.
— Héhé ! Tu voulais voir not’monde, pas vrai, Miyako ? Voilà le genre de choses qu’on fait… Enfin, pas moi, mais les vraies comme Reicchi.
Cette dernière soupira en se massant les tempes. Miyako la dévisagea quelques instants, avant que Nanashi reprenne la parole avec enthousiasme :
— Vu qu’on en a fini ici : allez, au bar !! Yeah !!
— Attendez, je… J’ai quelque chose à faire…
— Tu veux aller aux chiottes ?
— Quelle délicatesse, Nanashi ! Je te jure… On va t’attendre sur le banc juste là, fais ce que tu as à faire.
Rei entraîna Nanashi —qui ne comprenait pas ce qu’elle avait dit de mal— sur le banc et Miyako s’en alla prier comme elle avait l’habitude de le faire.
Sa pièce trouée de cinq yens tinta dans l’autel destiné à recevoir les offrandes, Miyako frappa deux fois des mains et s’inclina avant de fermer les yeux.
— Faites que l’attaque du village se résolve le plus paisiblement possible, demanda-t-elle aux dieux. Et surtout, faites que Rei et Nanashi s’en sortent, je vous en prie !
Elle resta quelques instants encore à se recueillir, puis elle rejoignit les deux mercenaires et toutes les trois prirent la direction de la gare où se trouvait le bar que seul Rei connaissait.
***
Ce n’était pas la première fois que Rei venait dans ce local, par le passé elle avait déjà utilisé ce omikuji.
Là encore, il y avait un petit arrangement entre le propriétaire et les mercenaires : elles devaient au moins prendre une consommation pour accéder au panneau d’affichage qui se trouvait dans un couloir proche des toilettes, caché à la vue des clients normaux.
Contrairement au temple, même en pleine après-midi, ce petit local était rempli à plus de moitié. À cette heure-ci, il y avait principalement des salarymen qui avaient fini tôt leur journée, ou des personnes âgées sans travail, aussi l’entrée des trois jeune femmes ne manquât pas d’attirer les regards.
On ne leur demanda pas leurs papiers d’identités, le sabre et le pistolet que Rei portait de manière ostensibles indiquaient leur statut de mahou senjo (même si c’était faux dans le cas de Miyako).
— Nous allons prendre une table et nous aimerions accéder au omikuji, dit Rei en se penchant légèrement par-dessus le comptoir, à voix basse.
Le barman qui devait avoir la trentaine acquiesça d’un léger hochement de tête et les guida jusqu’à une table dans un coin. Le bar était décoré à l’européenne, tout était en bois, la musique était étrangère et les tables étaient des guéridons. Il y avait également un billard et plusieurs cibles pour jouer aux fléchettes.
Un léger nuage de fumée planait dans le local, en partie absorbé par la climatisation.
Une fois qu’elles eurent commandé à boire et à manger —rien de très élaboré, des fish and ship et des jus de fruits— elles attendirent de recevoir la commande. Au sein de celle-ci, dissimulé sous un verre, se trouvait la clef du couloir avec le panneau d’affichage.
Immédiatement, elles se rendirent toutes les trois en même temps aux toilettes.
Dans le toilette des femmes, elles déverrouillèrent la porte du couloir, réservée aux membres du personnel, menant au tableau. Il était étroit, une simple lampe au plafond l’éclairait ; en face, une fenêtre, dissimulée en grande partie par divers cartons empilés ; une autre porte verrouillée se trouvait sur le côté droit, tandis qu’en face, sur le mur gauche, était accroché au mur un tableau en liège avec des petits papiers dessus.
— C’est le fameux tableau. Il n’y a pas beaucoup d’offres en ce moment, on dirait…
En effet, il n’y avait que cinq papiers épinglés.
Miyako était positivement abasourdie. Elle avait l’impression d’être une espionne et d’être entrée dans le repaire secret d’une organisation obscure.
Il n’y avait rien de tel au village, bien sûr.
Depuis l’aube, tout ce qu’elle vivait était digne d’une fiction mais pourtant tout était bien réel. Les mercenaires paraissaient vivre dans un autre monde, caché aux yeux des citoyens normaux.
Combien de personnes étaient au courant de tous ces mécanismes bien huilé qu’elles avaient mis en place dans un pays qui ne leur facilitait pas la vie ?
En effet, à Kibou, le mercenariat occulte était sûrement la branche la moins appréciée. En politique, certains parties parlaient même d’abolir le statut et d’obliger les mahou senjo à rejoindre les agences, à défaut de l’armée. En 2092, toutes les tentatives du genre avaient néanmoins échouées.
Même si le statut n’offrait que peu d’avantages, en tant que mercenaire déclarée, elles disposaient de la capacité d’opérer sur des affaires à caractère surnaturel, à condition qu’aucune agence ou aucune mahou senjo officielle ne soit déjà impliquée. Elles avaient également le droit de travailler sous contrat pour des agences, voire l’armée (qui ne les engageait jamais dans les faits).
En théorie, le port d’arme n’était pas un droit reconnus aux mercenaires, mais Rei se l’octroyait en sachant pertinemment qu’aucun policier ne lui demanderait des comptes.
La réalité et la théorie différaient comme toujours, les mercenaires étaient craintes par les civils et les forces de l’ordre, on évitait de les approcher sans raison. Perçues comme des chiens sauvages avec des pouvoirs démesurés, personne mis à part des mahou senjo officielles ou des agences n’osait s’opposer à elles.
Qui voudrait risquer sa vie face à une mercenaire mécontente capable de détruire un bâtiment entier d’un claquement de doigt ?
— Le tableau peut être utilisé par toute personne qui en connaît l’existence. Les mahou senjo, qu’elles soient dans des agences ou mercenaires viennent épingler ce qu’elles veulent et même les gens normaux peuvent passer une annonce que le barman épingle à leur place. Un système simple mais qui demande d’avoir déjà un pied dans notre monde.
Les agences étaient celles qui employaient le plus les mercenaires, mais il était de notoriété qu’elles les engageaient pour faire le sale travail et les sacrifiaient souvent. Les mercenaires se passaient parfois le mot sur les bonnes et mauvaises agences. Les relations entre les deux groupes étaient souvent tendues.
— Je trouve ça vraiment très excitant ! Mais… pourquoi toute cette discrétion ? demanda Miyako. Je… je me demande depuis avant : vos activités sont illégales ? Pourquoi n’y a-t-il pas une agence de travail pour vous ?
La question entraîna un long silence. Les deux mahou senjo s’observèrent un instant puis Nanashi leva les épaules.
— Perso, je sais pas ! On a toujours fait ce genre de trucs… Après le bouche à oreille marche bien aussi, je me répète.
— Disons simplement que c’est une forme de pudeur. Ce n’est pas notre cas, mais beaucoup de mercenaires se voient elles-mêmes comme des parias de la société. Il faut dire qu’on nous le fait souvent ressentir…
— Puis, certaines n’ont juste pas confiance, ajouta Nanashi. S’il y avait un Hello Work des mahou senjo, elles iraient pas car qu’on leur filerait des missions pourries. Sans parler du fait qu’on leur prendrait des thunes sur leurs contrats avec un intermédiaire et tout.
Rei acquiesça pour confirmer les explications.
— Bah, pas besoin de s’apitoyer sur nous Miyako. Ce n’est pas plus mal comme ça, on garde notre liberté au moins. Et ton idée d’un Hello Work des mahou senjo… Hahaha ! J’adore ! T’es un génie, Nana-chan !
— Hahahaha ! Tu vas me faire rougir, Reicchi !
Même si Miyako affichait un sourire, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir triste. Ces deux filles avaient l’air gentilles, pourquoi devaient-elles vivre dans un monde clandestin, dans les ténèbres du système ?
Quelques instant plus tard, après avoir consulté rapidement les offres, elles épinglèrent la leur et retournèrent dans la salle principale où leurs commandes les attendaient.
Rapidement, Nanashi s’attaqua à la nourriture, elle semblait avoir une capacité de engloutir des plats sans aucune limite, à se demander si ce n’était pas là son véritable pouvoir.
Alors même que Miyako allait demander à Rei ce qu’elle comptait faire à présent, attendre dans le bar ou rentrer à l’hôtel, une silhouette s’approcha de leur table.
— Votre attente sera sûrement très courte.
Les yeux des trois filles se rivèrent sur la nouvelle arrivante qu’elle scrutèrent.
C’était une femme pour le moins étrange. Mesurant un mètre soixante, elle avait de longs cheveux gris donnant légèrement sur le bleu. Ils étaient décoiffés et ses cheveux couvraient en partie son visage.
On pouvait voir des yeux vitreux gris-bleus derrière une paire de lunettes carrées, ils étaient anormaux même pour une mahou senjo, c’était comme s’il manquait l’iris.
À ses oreilles étaient suspendues de grandes boucles d’oreilles de forme triangulaire, alors qu’autour de son cou pendait un pendentif rond avec un symbole ésotérique complexe : ce n’était pas celui des forces occultes qui y ressemblait un peu. Ce n’était pas le seul bijou à son cou, des chaînettes s’y trouvaient également et des bracelets ornaient ses poignets.
Son style vestimentaire allait de paire avec la première impression mystique qui se dégageait d’elle. Sa longue jupe était simple et usée, les bords déchirés et sales. Son haut se composait d’un sweat large et usé à la couleur beige passée, par dessus un autre sweat gris, tout aussi large, mais aux manches courtes, il était aussi usé que le reste.
Cette femme dégageait une odeur forte, difficile à qualifier.
— Yo〜 ! Pose-toi, ma sœur ! dit Nanashi la bouche à moitié remplie de frites.
— Commandez ce que vous voulez et joignez vous donc à nous, dit Rei. Vous semblez vouloir nous parler.
L’inconnue portait un masque sanitaire qu’elle retira en prenant place.
— Oh, c’est bien urbain de votre part ! Dans ce cas, j’accepte volontiers l’invitation, dit-elle en affichant un sourire perturbant.
En effet, sa dentition n’était résolument pas normale. Ses dents étaient toutes en pointes, ce n’était pas une dentition humaine. On aurait dit des dents de requin. Le masque servait sûrement à cacher cette particularité.
— Qu… ?!
Miyako poussa malgré elle une exclamation mais se couvrit rapidement la bouche pour éviter le reste d’en jaillir.
L’inconnue lui jeta un regard subreptice, puis occupa la quatrième place autour du guéridon. L’imperturbable Rei héla le serveur et Nanashi proposa des frites à la jeune inconnue. Une fois de plus, elles ne vivaient pas dans le même monde : une telle apparence ne choquait nullement les deux mercenaires.
Miyako fit une dernière découverte sur le physique de l’inconnue : une membrane reliait ses doigts un peu comme des palmes. On aurait dit une femme-poisson…
— Profond hybride pour être précis…, dit l’inconnue en tournant son regard vers Miyako.
Sa réponse tomba si juste qu’on aurait pu croire qu’elle avait lu ses pensées.
Miyako ne put s’empêcher d’avoir peur. Ce n’était pas tant ce qui venait d’être dit — même si en soi c’était plus qu’inquiétant— mais l’attitude de son interlocutrice qui la glaça jusqu’aux os.
Le serveur vint prendre la commande et repartit aussitôt.
— Je suis Tokimoto Rei, ancienne officière des troupes du Kansai. Et voici Karasu Nanashi, ancienne soldate des troupes de Tohoku. Mais nous sommes à présent des mercenaires, comme vous. Je suppose que vous avez lu notre annonce ?
— Oui, en effet. Trois filles qui se rendent en même temps aux toilettes dont l’une d’elle armée d’un katana, voilà un mystère qu’il me plaisait à percer. Mon nom est Furumi Itsume et comme je l’ai dit, je suis une métisse de Profond, le fruit d’une union impie entre un séide de Cthulhu et une humaine. Si mon apparence vous gêne, je pense que nous pourrons couper court à la discussion.
— Nullement. Veuillez rester parmi nous, Furumi-san.
— J’peux t’appeler Itsume-chan ? Ou alors Itsu-chan ?
Itsume sourit à nouveau de manière énigmatique puis tourna son regard vers Miyako.
— Je… je ne suis pas une mahou… senjo, expliqua timidement la jeune femme. Je… je ne fais que les accompagner…
Impossible de cacher l’intimidation que produisait Itsume sur elle, elle n’arrivait pas à combattre ce sentiment de peur presque instinctif.
En entendant qu’elle n’était pas des leurs, le regard d’Itsume à son égard sembla légèrement changer, comme si elle avait soudain perdu tout intérêt pour Miyako. D’un autre côté, ce changement d’attitude arrangeait cette dernière qui remarquait qu’on ne lui tiendrait plus rigueur pour son comportement apeuré.
— Entre monstres, vous pouvez m’appeler comme vous voulez, même si j’ai une préférence pour Itsume. Et les honorifiques, vous pouvez les oublier, je ne les utiliserais pas.
— Pas de souci, Itsume ! Tu nous considères comme des « monstres » ? demanda Nanashi.
— Que sommes-nous d’autres aux yeux de gens normaux, dites-le moi ?
Rei sourit et plongea ses lèvres dans son verre de soda ; elle comprenait parfaitement ce que pouvait ressentir une sang-mêlée comme Itsume.
— En tout cas, tu es une fille bien spéciale. Tu es la première hybride que je connais.
— Parce qu’il n’y en a probablement pas dans l’armée, expliqua Itsume. En règle générale, les hybrides sont tués par les mahou senjo mais mon cas est un peu particulier. Et n’ayez crainte, l’Éveil a bloqué toute nouvelle évolution, ma forme est stable et je suis aussi incapable que vous d’utiliser les pouvoirs obscurs des Anciens.
— Moi, je t’aime bien déjà, déclara honnêtement Nanashi. Je te veux bien comme sœur d’arme. Hihihi !
Pour Miyako cette discussion était irréaliste. En soi, un monstre s’était installé à leur table et prétendait être du côté des gentils et les deux mercenaires la croyaient sur parole, sans aucune preuve. Pire encore, elles l’acceptaient déjà comme une vieille amie. Si Miyako s’était trouvée seule à seule avec Itsume, elle aurait fui, sans aucun doute.
Nanashi tendit la main à Itsume avec un grand sourire. Cette dernière, après l’avoir considérée un instant, la serra.
— Je n’ai pas encore accepté le contrat, cela dit.
— Je m’en fous du contrat. C’était pour marquer notre amitié, c’est tout. Même si tu décides de pas bosser avec nous, je t’aime bien et j’veux qu’on bosse ensemble à l’avenir.
Miyako était abasourdie. Qui réagirait de manière si amicale avec une inconnue ?
— Tu es une fille bizarre, Nanashi… mais je ne déteste pas ce genre de personnes.
Itsume afficha à nouveau son sourire énigmatique. Rei ne semblait pas plus perturbée par Itsume que ne l’était Nanashi : elle les observait en buvant son soda et en prenant quelques frites dans l’assiette devant elle.
— Eh bien ! Maintenant que les présentations sont faites, je vais t’expliquer la mission dont on nous a chargé et qui nous amène à chercher des renforts…
Rei se mit à expliquer précisément et méthodiquement la mission qu’on leur avait confié, n’hésitant pas à transmettre les informations qu’elles avaient recueillies. En réalité, elle n’était pas contrainte d’en dire autant, en général les mercenaires s’engageaient avec assez peu d’informations, mais Rei n’était pas le genre à vouloir tromper une sœur d’arme.
— Voilà où nous en sommes. Si nous voulons protéger efficacement le village, il nous faut être six et pour le moment nous ne sommes que deux.
— Yume-Shingawa, c’est ça ? demanda Itsume en se frottant le menton d’un air pensif.
— Ouais, c’est là-bas, répondit Nanashi.
— Rappelez-moi la paie proposée…
Rei indiqua le chiffre correspondant à la somme consentie par le village.
— C’est une blague ?
— Malheureusement non. Je l’ai annoncé depuis le début que ce serait difficile avec si peu mais on dirait que les gens du haut village tiennent plus à leurs porte-monnaies qu’à leurs vies…
Rei leva les épaules et tourna son regard vers Miyako, qui honteuse baissa le sien.
— Désolée, je ne travaille pas pour des gens qui manquent de respect envers notre profession. Tiens, au fait, quel est l’intérêt au juste de vous avoir collé une espionne ?
Sans détour, elle désigna Miyako de la main.
— Je… je…
— Elle a sûrement été envoyée pour nous surveillée, mais j’avoue que je n’en comprends pas l’intérêt, répondit Rei. Pour le moment, nous n’avons pas encore obtenu d’argent, difficile de s’enfuir avec la caisse. Haha !
Le trait d’humour de Rei ne provoqua aucune réaction auprès de son auditoire, elle ravisa rapidement son rire. Miyako n’était pas à l’aise avec Itsume et les accusations qui pesaient sur elle n’étaient pas pour la mettre en meilleure disposition.
— Vous ne devriez pas travailler pour des gens qui se fichent ouvertement de vous. Personnellement, je passe. Il m’aurait bien plu de combattre à vos côtés, mais dans ces circonstances j’ai l’impression que mon employeur m’utilise comme chair à canon. Non merci !
— Comme dit, je te comprends parfaitement et si ça n’avait pas été à cause d’une certaine idiote, j’aurais refusé aussi.
Nanashi qui se sentit soudain visée sourit et se gratta l’arrière de la tête.
— Bah, je pouvais pas laisser une si belle bouille se faire tuer quand même !
Elle prit entre ses mains le visage de Miyako et se mit à jouer avec ses joues. Rei leva les épaules et grimaça.
Après un soupir, Itsume se leva :
— Ce sera pour une prochaine fois sûrement. Tenez ma carte. Vous parlez franchement, c’est une qualité que j’aime. Si à l’avenir vous avez quelque chose de bien à proposer, hésitez pas.
Sur ces mots, elle posa sa carte de visite sur la table et les salua de sa main palmée en s’éloignant. Quelques pas plus loin, les mains dans les poches, elle s’arrêta et tournant uniquement sa tête vers elles :
— Ah ! Juste une chose… Un remerciement pour m’avoir invité à votre table. Les créatures dont vous parlez, on dirait qu’il s’agit du Peuple Serpent, des Anciens qui vivent principalement dans les Contrées Oniriques. Si j’étais à votre place je m’intéresserais à la manière qu’ils utilisent pour franchir la brèche entre les deux mondes. À plus !
Sur ces mots, Itsume quitta le local.
— Quel dommage, elle m’avait l’air si cool…
— Ouais. Et elle semble connaître les créatures du Mythe, elle aurait pu être un alliée précieuse. Comme tu peux le voir, Miyako-chan, la rémunération est un vrai problème. Tu peux le transmettre aux doyens quand tu les contacteras.
Miyako était déboussolée, on la prenait vraiment pour une espionne à présent.
— Je…je ne suis pas une espionne ! Je voulais vraiment venir avec vous pour mieux vous connaître !
— Je sais, je sais, rassure-toi, dit Rei en lui posant la main sur l’épaule. Mais même si tes intentions sont louables et sans malice, tu es utilisée malgré toi. On ne manquera pas de t’interroger, crois-moi.
— Je… je…
— Ne t’inquiète pas, on le savait depuis le début. Nous avons accepté de t’amener en connaissance de cause.
Nanashi approuva en levant le pouce et en attaquant ce qui restait de nourriture sur la table.
— Je suis désolée…
Rei fit signe de la main de passer outre, ses excuses étaient acceptées depuis le début.
— Allez, les filles, partons. Nous avons d’autres pistes. Je doute qu’une seconde mercenaire se cache dans la salle en ce moment.
Rei se leva et remit son katana à sa ceinture pendant que Nanashi finissait de nettoyer les assiettes.
— J’aime pas le gâchis, se justifia-t-elle alors que Miyako lui jetait des coups d’œil.
Mais, Miyako n’était pas tant concernée par le goinfrerie de Nanashi que quant à ce qu’elle dirait aux doyens du village en rentrant. Devait-elle leur mentir et se révolter contre ces méthodes ?
La tête pleine d’interrogation, elle suivit les filles hors du local.
***
Cette fois les trois filles se rendirent dans un petit parc.
En raison du froid qui commençait à devenir de plus en plus intense, il n’y avait pas beaucoup de personnes. Un homme d’âge moyen leur passa à côté en faisant son jogging, tandis qu’une vieille dame promenait son chien. Un décor des plus calmes et paisibles qui faisait oublier que le pays était officiellement en guerre contre des monstres.
— C’est quoi le plan cette fois, Reicchi ?
— Nous devons trouver un vieil homme dans ce parc, expliqua Rei les mains dans les poches. C’est un indic’, il est au courant de nombreuses choses liées aux cultes, mahou senjo et tout ça.
— C’est une mahou senjo ? demanda Miyako.
— Non, un vétéran de l’armée.
— Hein ?
Les lèvres de Rei s’arquèrent légèrement : elle avait réussi à ménager son effet de suspens.
— Ouais, c’est un sans-pouvoir, un simple militaire à la retraite.
— C’est rare, en général ils meurent avant d’y arriver, dit Nanashi.
— Tu as raison, Nana-chan. Mais il s’agit d’un ancien officier, c’est pourquoi il a survécu. Je ne connais pas toute son histoire mais la rumeur prétend qu’il est un vétéran de la guerre d’Invasion. Il aurait quitté l’armée en 76 et depuis il aide les mahou senjo du Kantô en leur transmettant des informations sur les cultes et sur tout ce qui est paranormal.
— Ohhh ! C’est un héros ce mec ! Je l’aime déjà ! Hihi !
Nanashi affichait un sourire franc et plein d’entrain, tandis que ses yeux brillaient. Elle voyait déjà cet ancien soldat comme un héros de la guerre et s’imaginait mille batailles dans son esprit.
Mais Miyako était plus perplexe.
— Il arrive à survivre aux cultistes ? C’est pas dangereux d’enquêter sur eux sans être comme vous ?
— Bien sûr que ça l’est, c’est pourquoi il est devenu une légende urbaine. Son surnom est Pepper XIII, personne ne connaît son vrai nom. En général, il prend l’apparence d’un vieux et sûrement doit-il l’être puisqu’il a combattu il y a vingt-cinq ans au tout début de la guerre.
— Il se déguise ?
— Ouais, il se déguise. C’est un pro, il connaît ses limites. Combien de curieux meurent chaque année en mettant leurs nez dans les affaires des sorciers et d’Anciens ? Mais lui, il sait quand s’arrêter et laisser la place aux professionnelles, c’est pour ça qu’il est encore actif.
Même avec toute la bonne volonté du monde, mettre le nez dans les affaires des cultistes étaient dangereux pour de simples humains. Ce vétéran devait forcément être une personne très prudente.
— Pourquoi n’a-t-il pas continuer à commander dans l’armée ? À cause de son âge ? demanda Nanashi.
— Ça ne reste que des rumeurs, mais la théorie la plus récurrente serait qu’il aurait été licencié. Certaines autres pensent qu’il y bosse encore et qu’il utilise en secret les ressources de l’armée pour son travail d’indic’. Bref, nous en saurons plus en le rencontrant.
Tout en discutant, elles venaient de contourner un petit lac. Elles arrivèrent dans une zone où se trouvaient quelques lycéens assis sur un banc ainsi qu’un vieil homme un peu plus loin prenant le paysage en photo.
Rei se dirigea vers lui sans attendre, il correspondait à leur contact. L’homme était suffisamment vieux pour avoir besoin d’une canne et marchait voûté ; il avait un chapeau qui couvrait en partie son visage.
— Bonjour mon brave, dit Rei en s’arrêtant face à lui. Je cherche une photo capable de refléter l’eau. Sauriez-vous où en trouver ?
Le vieil homme leva les yeux et dévisagea Rei un bref instant. Courbé comme il l’était, sa taille était inférieure à celle de son interlocutrice.
— Suivez-moi, belle jeune fille… Je… connais un endroit… où en acheter. Hohoho !
Le vieil homme prit la tête du groupe et lentement s’éloigna en empruntant une petit chemin entre des arbres ; d’après les panneaux, il allait en direction du temple.
Quelques instants plus tard, au cœur de cette frondaison automnale qui commençait à se dépouiller, le vieillard s’arrêta et jeta des regards autour de lui, puis il finit par se redresser.
Il n’était plus aussi petit mais n’était pas un géant non plus, il avait une taille moyenne pour un homme.
— Jeunes femmes, je vous salue.
— Bonjour, Pepper XIII.
— Yooooo !!! salua Nanashi en levant le bras avec enthousiasme. On aurait vraiment dit un film d’espionnage, c’était trop cool !
— Moins fort, jeune fille, je vous prie.
Sa voix n’était plus la même non plus. Ses capacités de déguisement ne se limitaient pas qu’à son apparence.
— Nana-chan, laisse-moi parler, s’il te plaît.
— Mais euh ! Moi aussi j’veux parler avec ce vieux cool !
— Nous sommes ici pour affaire, pas pour plaisanter.
— Pfffffff ! T’es même pas drôle ! OK, OK !
Rei se tourna à nouveau vers l’informateur mystérieux et reprit la parole :
— Désolée, elle n’est pas habituée. C’est la première fois que nous nous rencontrons, je suis Tokimoto Rei et voici Karasu Nanashi. La fille qui nous suit s’appelle Miyako, ce n’est pas une mercenaire et n’a pas de pouvoirs.
Le vieil homme grimaça un instant puis balbutia :
— Je pensais avoir dit de pas amener des curieux…
— Désolée de ne pas y avoir pensé. Mais Miyako est une fille de confiance, croyez-moi sur mon honneur de dragon !
Dragon ? Miyako ne put s’empêcher de remarquer ce mot sans réellement comprendre. En quoi Rei était liée à des dragons ?
— Ce qui est fait est fait. Puisse-t-elle garder le secret au moins… Sinon, que puis-je pour vous mesdemoiselles ?
— Nous sommes actuellement sur une mission de protection d’un village, Yume-Shingawa, et nous recherchons des filles disponibles capables de nous aider. Est-ce que vous en connaîtriez dans le coin qui ne soient pas occupées en ce moment ?
— Il y en a quelques unes… Que vous faut-il comme profil ?
Ce n’était clairement plus le même vieux, son attitude donnait plutôt l’impression qu’il était pas si âgé.
— Des filles capables de travailler en groupe. Il va falloir une certaine coordination pour notre mission. Et aussi des filles qui ne soient pas trop gourmandes, la prime est assez basse. Je demande sûrement l’impossible, je m’en rends compte.
Pepper XIII se gratta le menton un bref instant, puis il fixa ses yeux sur ceux de Rei. Quelqu’un de normal n’aurait jamais pu soutenir la confrontation avec les yeux étranges de Rei, mais l’homme y cherchait quelque chose : la sincérité.
Pourquoi des mercenaires travailleraient pour une récompense ridicule ? C’était à l’opposé des principes même du métier… C’était cette réponse qu’il voulait déterminer.
Détournant le regard après quelques secondes, il afficha un bref sourire et baissa son chapeau.
— Je vois, je vois… Vous êtes digne de votre réputation, ex-colonelle.
— Merci bien.
Le vieil homme fit quelques pas en direction du lac. À raison des arbres on ne voyait rien, mais il était possible d’entendre les voix des jeunes s’élever par moment.
— Il y en a deux qui pourraient vous convenir mais il vous faudra gagner leur confiance d’abord. Ce sont des jumelles qu’on peut généralement trouver dans un night club du nom de Symphonic. Elles s’appellent Nion et Miharu, tout le monde dans le local les connaît.
— Merci beaucoup, ça nous sera très utile. Combien désirez-vous pour cette information ?
— Rien. Je ne travaille pas pour l’argent mais pour la justice, et c’est également votre cas, non ?
— Désolée, mais je travaille pour le pardon.
— Je vois… En tout cas, l’argent n’est pas votre mobile et vous œuvrez pour quelque chose de plus grand. Quel que soit votre but final, vos actions profitent au plus grand nombre, c’est tout ce qui m’importe.
— Comme les rumeurs l’affirment, vous êtes une personne bien. Je vous remercie du fond du cœur.
— Les remerciements d’un fier dragon, c’est plus qu’il m’en faut.
Rei se mit à rire amusée, puis fit signe de la tête aux deux autres filles de la suivre.
— Salut ! Ce fut un plaisir !
— Je vous remercie également.
Mais s’éloignèrent-elles de quelques pas que le faux vieil homme prit la parole :
— En fait, il y a un petit service que vous pourriez me rendre…
Les trois filles se retournèrent et écoutèrent sa demande.
Quelques minutes plus tard, elles revinrent sur leurs pas et s’approchèrent du banc où se trouvaient les jeunes lycéens.
Les armes que portaient Rei furent rapidement remarquées et les jeunes se turent en prenant une attitude crispée.
— Mahou senjo en patrouille, déclara Rei en tirant une plaque de sa poche et en la montrant rapidement. Nous aimerions contrôler vos affaires. Ouvrez vos sacs sans faire d’histoires, je vous prie.
Le regard froid et déterminé de Rei n’appelait pas réellement à la négociation mais les jeunes, composés de trois garçons et deux filles, ne semblaient pas réellement coopératifs.
L’un des garçons avec des cheveux ébouriffés et des grains de beauté sur le visage se mit à protester :
— Vous n’avez pas le droit ! Mon père est avocat, il m’a bien expliqué qu’il vous faut un mandat pour nous perquisitionner. Montrez-le nous !
Ses camarades derrière lui semblaient impressionnés ce qui fit enorgueillir le jeune homme qui afficha un sourire victorieux.
— Ouais, montrez-le nous ! déclara une des filles derrière lui, une bimbo au visage maquillé malgré l’interdiction de son école.
Rei tourna la tête vers Nanashi sans paraître le moins du monde intimidée.
— Eh, t’as entendu ça ? Il nous faut un papier…
— Ah bon ? J’ai jamais entendu parler de ça. T’es sûre, Reicchi ?
— Qu’est-ce que j’en sais moi ? C’est le fils d’un avocat qui le dit…
Mais l’instant d’après, sans crier gare, Rei empoigna le col du jeune homme courageux et posa la gueule de son pistolet sous son menton.
— Écoute, jeune pisseux, ce genre de choses c’est fini ! Je sais pas ce que t’as dit ton vieux, mais l’état d’urgence donne le droit à toutes mahou senjo d’intervenir en cas de problème surnaturel. Toi et ta clique, vous semblez cacher quelque chose de pas clair. Dépêchez-vous d’ouvrir vos sacs où on va vous les ouvrir de force !
Malgré son courage initial, Rei était très intimidante et son pistolet était d’une précieuse aide pour la seconder. Au même instant, Nanashi adopta sa forme de combat ce qui fit s’enfuir les quatre autres lycéens.
Quant au jeune homme saisit par Rei (qui peinait à ce faire étant donné qu’il était plus grand qu’elle), il se déconfit et blêmit. D’ailleurs, rapidement, il alla jusqu’à perdre sa dignité en se mettant à pleurer et en mouillant son pantalon.
— Je… j’ai rien fait… je vous le jure. J’ai pas encore… je… je…
Nanashi soupira et s’approcha des sacs qui avaient été abandonnés. Suivant les prescriptions de Pepper XIII elle chercha un objet spécifique.
Miyako, qui était restée à distance, tremblait face à la brutalité de la scène à laquelle elle assistait. À la base, elle aurait dû faire semblant elle aussi d’être une mahou senjo mais elle avait rapidement oublié son rôle.
Bien sûr, les papiers qu’avait montré rapidement Rei étaient des faux, elles étaient des mercenaires et pas des officielles, elles n’avaient pas de plaques. C’était uniquement du bluff.
De même, elles n’avaient pas le droit d’appréhender des suspects de cette manière. Les mercenaires étaient tenus de signaler les attaques d’Anciens, mais dans le cas des cultistes il leur fallait être sûres pour intervenir, faute de quoi l’erreur de jugement leur retomberait dessus.
Considérant cela, les mercenaires ne s’occupaient presque jamais des cultistes, au mieux vendaient-elles les informations aux agences, c’était le moins risqué et le plus onéreux pour elles.
— Trouvé ! C’est une copie des… Méandres Décrépits.
— Oh ? Mais qu’avons-nous là ?! C’est très mal, tu sais, pas vrai ? Ce livre est à l’index, en posséder un est passible d’emprisonnement.
— Je…je… je n’ai…
Mais il n’acheva pas la phrase qu’il s’évanouit de peur.
Rei poussa un long soupir et posa le jeune homme sur le banc.
— Quelle disgrâce de s’oublier dans son pantalon… Enfin bon, je suppose que ce sera le cadet de ses soucis à présent.
— Vous aviez vu juste, Pepper XIII.
Le vieillard sortit de sa cachette.
— Vous avez été parfaites. Merci encore à vous.
— Ça ira ? On ne le dépose pas au commissariat ?
— Je m’occupe du reste. Je ne pense pas que ce jeune abruti soit un cultiste mais il a failli en devenir un. Je vais m’enquérir de la provenance de cette horreur et faire en sorte qu’aucun autre jeune ne soit victime de ce trafic.
Rei et Nanashi s’échangèrent un regard, posèrent le livre et saluèrent Peper XIII de la main avant de s’éloigner. Miyako prit quelques instants pour s’en remettre et les rejoindre, elle était encore choquée par ce qui venait de se passer.
Une fois hors de vue du vieillard, elle leur demanda d’ailleurs :
— On peut vraiment lui faire confiance ? Je veux dire qui sait ce qu’il va faire à ce pauvre garçon…
Elle devait avoir approximativement le même âge que les jeunes, peut-être était-ce la raison de sa sympathie envers eux.
— Moi, je lui fais confiance. Il sait ce qu’il fait.
— Pareil. Puis, ne vois pas ce mioche comme une victime dans l’histoire, c’est quelqu’un qui a suffisamment peu de scrupules pour avoir acheter un livre dangereux en vue d’en apprendre sa magie. Il l’aurait pu l’utiliser sur une pauvre fille comme toi pour la contraindre à ses désirs, tu sais ?
Rei n’y allait pas de main-morte, elle était on ne peut plus franche, ce qui fit déglutir Miyako qui s’imaginait la scène.
— À une autre époque, je l’aurais fait jeté en prison. Mais bon, savoir que la ville a un ange gardien comme Pepper me rassure un peu.
— Ouais, c’est un bon gars.
À cet instant, alors que Miyako voulait faire un commentaire, le téléphone de Rei se mit à sonner. C’était une sonnerie sobre et aux allures militaires.
— Oui ? Qui est-ce ? dit-elle en décrochant.
Elle écouta son interlocuteur un certain temps en ponctuant simplement avec des « Mmmm » ou des « OK », puis elle salua et raccrocha.
— Changement de plan, on a un rendez-vous. Direction la gare.
— Qui c’était, Reicchi ?
— Surprise !
Les mains dans les poches, Rei prit à nouveau la tête du groupe en riant de manière amusée.
***
Une fois de plus, les trois filles prirent la direction de la gare centrale de Nagano.
En attendant dans le large hall de la sortie Zenkôji, Nanashi commençait à s’impatienter.
— Tu veux pas nous le dire, Reicchi ?! J’en peux plus d’attendre !
— Tiens, va t’acheter à manger, ça te fera passer l’impatience.
Sur ces mots, Rei lui donna quelques pièces, Nanashi les accepta sans faire d’histoire. L’usage aurait voulu de refuser mais il n’y avait pas de telles manières entre elles.
— Oh, cool ! T’es trop sympa ! Qu’est-ce que je peux bien me prendre avec ça ?
À présent, l’esprit de Nanashi était occupé à faire son choix entre les différentes boutiques qui s’alignaient dans l’allée : croissants, pains, pâtisseries traditionnelles kibanaises, il y avait tant de choix !
Elle s’éloigna et entra dans une boulangerie qui diffusait un parfum ravissant.
— C’est encore un indic’ ? demanda timidement Miyako.
— Nope, c’est une candidate. Elle fait le chemin depuis Toyama, m’a-t-elle dit.
— Ah ? Pourquoi ne pas nous l’avoir expliqué avant ?
— C’était juste pour faire mariner Nana-chan, c’est tout. Il n’y a pas vraiment de raison.
Miyako sourit, elles avaient donc une telle relation… Une fois de plus, malgré leurs différences physiques, elles étaient des filles normales.
— Ce ne serait pas elle ?
Miyako désigna une fille aux cheveux rouges avec nombre de bijoux, mais elle leur passa à côté sans s’arrêter, tout en traînant derrière elle une petite valise à roulettes.
— Raté !
— Vous ne savez pas à quoi elle ressemble ?
— Non, mais elle me reconnaîtra, j’en suis sûre.
Miyako jeta un coup d’œil au katana de Rei en se disant qu’en effet elle était facilement reconnaissable. D’autant que les personnes même autorisées qui portaient des sabres japonais étaient des plus rares ; l’ère des samouraï était depuis longtemps révolue.
Nanashi revint vers elles, un sachet en carton à la main ; il était rempli de différents types de petits pains. D’ailleurs, dans son autre main elle tenait un croissant qu’elle dévorait.
— C’était pas 300 yens d’achat ça…, fit remarquer Rei.
— Non, j’sais. Finalement, j’arrivais pas à faire mon choix, j’ai pris un de chaque… Macha pan, melon pan, anpan, kopepan et d’autres…
Elle cita une dizaine d’autres produits qui figuraient sur sa liste d’achat.
Après tout ce qu’elle avait déjà mangé, elle n’était toujours pas rassasiée. Miyako se demandait réellement si le plus surnaturel des attributs de Nanashi n’était pas son appétit.
— Espèce de goinfre !
— J’y peux rien, je suis jeune : je dépense beaucoup d’énergie ! Puis je me suis transformée avant, même si c’était court c’était au moins 500 kilocalories !
— Ouais, mais quand bien même, tu as là deux ou trois fois ta dépense journalière. Enfin bon, c’est pas comme si ça m’étonnait réellement, tu as toujours été comme ça depuis que je te connais. Je suspecte même que l’armée t’a viré parce qu’elle n’arrivait plus à te nourrir.
— Héééé ! T’es méchante ! Bah, c’est vrai que c’était un peu léger leurs repas, mais ils n’étaient pas mauvais. La cuisinière m’aimait beaucoup.
— Sale goinfre !
— Euh… Seriez-vous par hasard Rei-san ? demanda une petite voix timide qui s’immisça soudain.
Les trois filles se retournèrent pour découvrir la silhouette d’une jeune femme.
Elle avait plus ou moins la même taille que Miyako, des cheveux noirs mi-longs qui s’arrêtaient un peu au-dessus des épaules et des yeux marrons. Elle portait une tunique rose, une jupe noirs plissée et des collants blancs. En guise d’accessoires : une barrette avec des étoiles dans ses cheveux, à ses doigts quelques fins anneaux assez discrets et à son cou un ruban avec au centre une étoile en argent.
Son visage était harmonieux et beau, mais ce qui la rendait encore plus charmante était son sourire.
— Oui, c’est moi-même. Sasaoka-chan, je présume ?
— Oui ! Je suis Sasaoka Inori ! Vous pouvez m’appeler juste Inori, cela ne me dérange pas.
— Inori-chan, donc ? Enchantée, moi c’est Karasu Nanashi ! Tiens !
Sans même comprendre de qui il s’agissait Nanashi lui offrit un melon pan qu’elle tira de son sachet. Inori, surprise, prit la viennoiserie en faisant de gros yeux.
— Au fait, si Miyako-chan et Reicchi vous en voulez…
Nanashi leur tendit le sachet, mais elles refusèrent.
Inori prit quelques instants à sortir de ses pensées, puis secoua légèrement la tête et se tourna à nouveau vers Rei.
— Je suis là pour la mission.
— Ah bon ? La chance qu’on a aujourd’hui, Reicchi ! En allant à la gare on trouve une candidate comme ça. Héhéhé !
Les regards se fixèrent sur Nanashi qui n’avait manifestement pas du tout compris la situation. Elle croqua un pain rond fourré de anko et arbora une expression satisfaite.
Ignorant Nanashi, Rei fit signe à Inori de la suivre.
— Allons parler dans le café là-bas, nous serons plus tranquilles qu’en plein dans le passage.
Inori acquiesça et la suivit en portant un gros sac en cuir dans lequel devaient se trouver ses affaires.
Rapidement, les quatre filles s’installèrent dans le local voisin dont la baie vitrée donnait sur le hall de gare qu’elles venaient de quitter.
L’endroit n’avait rien à avoir avec le bar où elles s’étaient précédemment rendu, il n’y avait ni odeur de cigarette, ni le même genre de clientèle. C’était principalement des voyageurs de passage et quelques personnes qui venaient profiter de l’accès à internet.
— Inori-chan. Tout d’abord, merci de t’être déplacée jusqu’ici. Je vais te donner les informations plus détaillées et tu me donneras ton engagement ensuite. Comme je le disais déjà, c’est bien mal payé.
— J’ai cru comprendre. Mais ce n’est pas grave ! Puis Nanashi-chan m’a payé donné une avance, non ? Dit Inori en plaisantant et en faisant un clin d’œil.
Inori semblait être une fille plutôt mignonne et adorable, pleine d’énergie et amicale. Son sourire radieux ne la quittait jamais, c’était son arme de séduction des plus redoutables.
— J’apprécie ton enthousiasme, Inori-chan, mais attends que je te donne les explications.
— Vous avez sûrement raison, Rei-san.
— Pas besoin de formules de politesse, nous sommes entre mercenaires, tu sais ?
— Je n’oserais pas, vous êtes…
Elle ne finit pas sa phrase et conclut par un sourire qui devait l’en dispenser ; ce qui ne paraissait pas satisfaire Rei.
— OK, je vois le genre… Bon écoute quand même la mission…
Sur ces mots, Rei lui expliqua en quoi elle consistait, qui étaient les ennemis et pourquoi il lui fallait six mercenaires. C’était les mêmes explications qu’elle avait déjà donné à Itsume auparavant.
— D’accord, je comprends… De mon côté, je n’ai pas vraiment de contrats en ce moment donc même si c’est mal payé, c’est mieux que de ne rien faire. Puis, c’est la première fois que je travaille vraiment avec des consœurs. J’avoue être toute excitée. Héhéhé !
Inori rougit légèrement et se gratta la joue. Si Rei continuait de l’observer en silence, Nanashi pour sa part se leva et l’enlaça.
— Yeah !! On en a recrutée une ! Bienvenue dans notre groupe, Inori-chan !
Inori fut surprise, paniqua un instant, mais finit par accepter la tendresse qu’on lui témoignait. Miyako se rendit compte que nombreux étaient ceux qui les observaient à présent.
— C’est un raisonnement assez logique, finit par déclarer Rei. Mais que feras-tu si un nouveau contrat s’offrait à toi et que tu n’as pas fini notre mission ?
— Je resterais avec mes nouvelles amies, répondit Inori sans hésiter. Tant que je peux manger et avoir un toit sur la tête, l’argent n’est pas ma priorité. Sauver les innocents, c’est la vraie mission d’une mahou senjo !
— Ouiii ! Bien dit ! Tope cinq ma sœur !!
Nanashi se laissa entraîner par son enthousiasme et leva ses mains pour qu’Inori les frappa des siennes, ce qu’elle fit assez maladroitement.
Les serveuses tournèrent leurs regards vers leur table, on pouvait aisément lire sur leurs visages qu’elles auraient voulu plus de silence de leur part, mais la peur les retint de leur en faire part. Les mercenaires mahou senjo étaient connues pour être brutales…
— Et sinon, quel est ton pouvoir et ton curriculum ? demanda Rei.
Elle ne paraissait pas très convaincue par l’attitude d’Inori, Miyako pouvait aisément en comprendre les raisons : elle avait accepté trop facilement. L’attitude d’Itsume, précédemment, correspondait plus à celle d’une mercenaire.
— Mon curriculum ? Vous voulez dire les missions que j’ai eu par le passé ?
— Non, je ne te demanderais pas de telles choses, les contrats sont généralement confidentiels. Je voulais simplement savoir de quel régiment tu viens, quel grade tu avais, ton rang avant de quitter l’armée, dans quelle ville tu travailles en général, ce genre de choses…
— Ah euh… je vois…
Inori semblait d’un seul coup quelque peu embarrassée. Nanashi rapprocha une chaise et s’assit à ses côtés.
— Reicchi, tu poses trop de questions ! La pauvre Inori-chan est toute gênée !
— Je ne vois pas en quoi ces questions sont problématiques. À titre personnel, j’étais une officière dans l’armée du sud-est, colonelle 3e classe. Mon pouvoir est de type [dragon] et mon orientation « invocatrice ». Quand j’ai quitté l’armée j’avais un rang B, mais je n’ai pas fait de tests depuis quelques années.
— Bah si on est aux présentations… J’étais dans l’armée du Kantô, rang soldate 2e classe…enfin, combattante surnaturelle 2e classe. J’étais aussi rang B et je ne sais pas actuellement, expliqua Nanashi. Mon pouvoir je lui ai pas donné de nom, à la base je voulais l’appeler « Choco Melonpan » mais l’armée me l’a refusé…
Miyako ne comprenait pas réellement quelle était cette question de nom de pouvoir mais elle supposait qu’une désignation aussi ridicule avait dû faire hurler ses supérieurs.
— Sinon mon pouvoir principal est de type [Lames] et mon orientation « physique », conclut Nanashi.
Elle but d’un trait son verre avant de le lever pour signifier à la serveuse proche de lui en apporter un autre.
— Ah d’accord… Vous voulez savoir ce genre de choses…, dit Inori comprenant soudain. Eh bien, eh bien… Je ne suis pas restée longtemps dans l’armée, j’étais dans le Kantô aussi. Pareil que Nanashi, combattante surnaturelle 2e classe. Mon pouvoir est de type [Etoiles], je l’ai nommé « Angel Heart ✩ Purple Star ». Je suis de type « magique ». Mon rang était assez nul, j’étais juste une C avant mon départ mais j’ai fait beaucoup de progrès ! Je suis sûre de pouvoir vous aider…enfin sûrement… peut-être… Héhéhé !
Elle se mit à rire de manière naïve tout en se caressant l’arrière de la tête.
Miyako ne connaissait pas les classements des mahou senjo mais elle comprenait que plus la lettre était proche du A, plus elles devaient être puissantes. Le rang C n’était pas si bon de toute évidence.
— OK, je vois. Merci bien, Inori-chan. Il ne reste plus qu’à signer le contrat, en fait.
— Le contrat ? s’étonna Miyako.
En effet, Rei n’était qu’un intermédiaire, ce n’était pas la vraie commanditaire. Avait-elle autorité à faire signer un contrat ?
Elle fut ignorée. Rei tira de sa poche un contrat plié en quatre sur lequel figurait sa signature et celle de Nanashi ; c’était le contrat qu’elles avaient signé en présence de Fujimoto et de Hisano.
— Pas de problème !
Mais lorsque Inori saisit son hanko, son sceau personnel, puisqu’il était toujours d’usage d’utiliser un tampon plutôt qu’une signature manuscrite, il lui glissa des mains et roula par terre.
— Oh ! Quelle gourde que je suis ! Désolée !
Après s’être excusée, elle chercha l’stylo par terre, il avait roulé un peu plus loin.
Pendant le temps où elle était éloignée, Miyako demanda à basse voix :
— Elle est réellement fiable ?
— Je l’ignore. En tout cas, elle n’est pas très regardante sur les détails.
— Je trouve ça bizarre…
— C’est parce que tu as vu la réaction d’Itsume avant la sienne.
Sur ces mots, Inori revint à la table avec le tampon et l’appliqua sur le contrat.
— Parfait, dit Rei.
— Bienvenue parmi nous ! Yeahhh !!
— Yeah !!
L’enthousiasme des deux filles ne déteignait pas sur Rei qui reprit en disant :
— Nous partirons sûrement après-demain. Nous avons deux doubles chambres, tu peux venir loger avec nous si tu le souhaites.
— Euh… merci beaucoup. J’avoue que j’ai plus beaucoup d’argent… ça m’arrangerait.
Inori confessant sa pauvreté rougit en jouant avec ses index l’un contre l’autre. Miyako se rendit compte que c’était sûrement la raison qui l’avait poussée à accepter si facilement la mission. Les mercenaires avaient également besoin d’argent.
— Trop cool ! On pourra parler toute la nuit, Inori-chan ! dit Nanashi. En plus, la mission c’est tout frais payés, on nous loge et nourrit. Limite, ça donne envie que les méchants prennent leur temps pour venir attaquer le village.
— Ne t’accroche pas à cette idée, Nana-chan : la prochaine attaque est pour bientôt.
— Comment tu fais pour savoir ?
— Simple intuition… mais j’ai l’impression qu’ils viennent au village les nuits de croissant de lune.
— Depuis quand l’avez-vous remarqué ? l’interrogea Miyako.
— Depuis ce matin. J’ai regardé sur un calendrier les jours où les monstres ont débarqué et ça m’a sauté aux yeux. Bref, nous n’avons pas de temps à perdre. Retournons à l’hôtel et dînons avant de sortir en boîte ce soir.
— Yeah !!
— En boîte ? s’étonna Inori en penchant la tête de côté.
Rei lui rendit un simple sourire énigmatique en levant ses sourcils, puis elle se leva et s’en alla payer l’addition.
— Dire que personne n’avait fait le lien encore…, marmonna Miyako. C’était pourtant si simple…
— Héhé ! Elle est intelligente, Reicchi. Une vraie tête ! Parait qu’elle n’était pas comme ça avant, c’est son instructrice qui l’a formée qu’elle m’a dit une fois…
— J’aimerais bien rencontrer son instructrice, elle doit être intéressante, dit Inori en souriant.
— Ouais, moi aussi je veux la rencontrer !
Peu après ces mots, elles quittèrent le café et prirent la direction de l’hôtel.
***
— Vous êtes sûres que ça va aller ? demanda Miyako avec une expression crispée.
— Je te dis que ça passe. Nana-chan n’a pas vingt ans non plus, mais on nous demandera rien en tant que mahou senjo. Au pire, tu attendras à l’entrée.
Il faisait nuit et la température avait bien chuté par rapport à la journée. Les filles portaient des vestes plus lourdes et, inconsciemment, Miyako s’était maquillée de manière à paraître plus adulte.
Elles se rendaient dans la boîte de nuit du nom de Symphonic, Inori qui les avait accompagnées à l’hôtel et qui avait mangé avec elles les avait suivi également.
— Au pire, je resterai avec toi, dit Inori avec un sourire innocent. Je n’ai pas vingt ans non plus. Tehee !
— Merci, Inori-san…
Rei s’arrêta devant un immeuble et leva la tête vers une enseigne bleue qu’elle avait repérée à distance.
— C’est ici… Au deuxième sous-sol.
Miyako déglutit. Elle savait entrer en territoire interdit, elle n’était que lycéenne et n’était pas le type à braver l’interdit. En tant que présidente du conseil des élèves, au contraire, elle avait toujours suivi les règles à la lettre. Son rythme cardiaque accéléra, elle se mit à suer à grosses gouttes et sentit un nœud se former dans son ventre.
— Euh… je vais attendre dehors peut-être…, finit-elle par proposer en perdant courage.
— Comme tu veux, mais je suis pas sûr que ce soit mieux dehors.
Dans les environs, il y avait des groupes de jeunes patibulaires, des salarymen ivres qui rentraient chez eux ou s’en allaient s’enivrer dans des bars, mais aussi des filles qui invitaient les passants à monter dans leurs izakaya et bien dans leur centre de massage…
Il n’était que vingt-deux heures, l’activité nocturne n’en était certes qu’à ses débuts mais pour une mineure comme Miyako cela pouvait être dangereux malgré tout.
Miyako pâlit d’un seul coup. Que devait-elle faire au juste ?
Elle tourna son regard implorant vers Inori qui sourit en penchant la tête de côté.
— OK, je vois. Je pensais que tu voulais voir notre monde, c’est pour ça que je t’ai proposé de venir avec nous mais si tu n’en as pas envie je ne t’obligerais pas, dit Rei. Puisque Inori-chan s’est proposée, vous pouvez rentrer à l’hôtel toutes les deux…
— C’est dommage d’avoir fait le chemin quand même, fit remarquer Nanashi les bras derrière la tête.
Nanashi donnait l’air d’être la plus jeune du groupe et pourtant elle était également la plus détendue du groupe.
Miyako avait non seulement peur de cet endroit, mais avait aussi peur d’enfreindre les lois. D’un autre côté, elle les avait suivi à Nagano pour observer le monde des mercenaires, rentrer à l’hôtel serait un échec.
Qui plus est, même si on ne lui l’avait pas clairement dit, on attendait d’elle qu’elle surveille les mercenaires et rapporte leurs faits et gestes, les quitter quelques heures iraient à l’encontre de sa mission… ou du moins aimait-elle à s’en persuadé.
— Je… je vous suis. Bien sûr, si on ne me laisse pas entrer, je vous attendrais avec Inori-san.
— À ta guise. Tu peux te rassurer malgré tout, nous n’y allons pas faire la fête mais pour le travail. Et je ne te laisserai pas boire d’alcool.
Rei afficha un sourire en coin qui était loin d’être rassurant ; elle entra la première dans le bâtiment. Nanashi la suivit en se mettant à rire.
— Comme tu te la joues, Reicchi ! On t’a appris ça à l’armée ? Hahahaha !
— Comme si on nous avait appris des choses pareilles. Tsssss !
— J’sais pas moi ! J’étais pas officière.
Rei lui donna un petit coup sur le sommet du crâne et descendit l’escalier où étaient affiché des tas de publicités d’alcool et d’événements qui auraient lieu prochainement.
C’était un décor différent de tout ce que connaissait Miyako, même dans la petite ville où elle allait en cours elle n’avait pas vu de semblables endroits. Il n’était pas exclus qu’il y en ait — et raisonnablement elle admettait qu’il en existât—, mais en dehors des heures d’école elle n’avait pas eu beaucoup le temps de s’y promener.
Les attaques sur le village avaient un peu changé son mode de vie. Ses parents avaient prévenu le directeur et au lieu de dormir à l’internat elle avait eu obligation de rentrer tous les soirs au village pour se réfugier chez elle. À cause de cette dérogation, elle avait dû mettre fin à ses activités extra-scolaires depuis quelques semaines.
Ses parents s’étaient excusés auprès d’elle, la décision émanait en quelques sortes de plus haut. Miyako n’avait pas tardé à se douter que les doyens du village étaient dans le coup. Elle n’avait pas compris de suite quel en était l’objectif, elle aurait été plus en sécurité à l’internat, pourtant. Puis, le village avait rendu publique la décision d’engager des mercenaires et c’est là que le rôle de Miyako avait été dévoilé. Actuellement, elle était dispensée d’aller au lycée, les doyens de la ville haute avaient résolument le bras long.
Arrivant au deuxième sous-sol, le plus bas de l’édifice, Rei poussa la porte vitrée avec le nom du local inscrit dessus. Immédiatement une musique industrielle électronique se fit entendre ; les basses faisaient trembler le sol.
Dans une sorte de vestibule sombre éclairé par des lampes bleues, donnant une étrange ambiance, il y avait des vigiles.
L’un d’eux, un grand aux cheveux courts avec une oreillette et un costume noir s’approcha.
— Cet endroit n’est pas autorisé aux mineurs, commença-t-il par dire avant que son regard distrait ne finisse par se poser sur l’épée à la ceinture de Rei.
Cette dernière leva les sourcils et se contenta de dire :
— Nous sommes là pour parler avec Nion et Miharu. On nous a assuré que c’était ici que nous pourrions les trouver.
— Euh… Oui, elles sont là en général. Vous leur voulez quoi ?
— C’est confidentiel, il s’agit de business.
— Vous ne leur voulez pas de mal ?
— Si c’était le cas, est-ce que je vous le dirais ? Ce serait déraisonnable. Haha !
Rei rit de sa propre blague mais l’homme était tout sauf amusé, au contraire il était confus. Finalement, deux de ses compagnons s’approchèrent pour saisir la situation.
— Soyons logiques, Messieurs, si nous avions vraiment envie de semer le chaos, vous n’auriez aucun moyen de vous opposer à nous. Il suffit de nous faire confiance, ce sera le plus simple pour tout le monde.
— Euh… vos armes. Laissez-les ici.
Rei fixa un instant l’homme avec qui elle parlait depuis le début, il avait beau être plus haut d’au moins deux têtes, elle ne paraissait nullement intimidée, contrairement à Miyako dont les genoux tremblotaient ; elle était une jeune femme normale, élevée loin des champs de bataille et de la violence.
Leur échange de regard dura quelques instants, puis Rei leva les épaules avec un sourire plein de défi.
— J’accepte mais s’ils ne me sont pas rendus dans leur état, je vous poursuivrai jusqu’aux confins de l’enfer, qu’on soit clairs.
Elle défit le ceinture où était accroché son katana et le tendit au vigile. Puis, elle retira son holster avec son pistolet et enfin elle tira un couteau de sa botte.
Les trois vigiles n’étaient pas habitués à une clientèle mahou senjo, personne n’amenait des armes dans un tel endroit. Ils déglutirent, peu rassurés, puis se tournèrent vers les trois autres filles.
— Vos armes…
— J’en ai pas ! répondit sans hésitation Nanashi. Miyako-chan non plus. Inori-chan, t’as une arme ?
Cette dernière nia de la tête en affichant un sourire amical.
— Vous pouvez entrer mais pas d’esclandre, indiqua l’un des autres vigiles.
Rei salua de la main en ouvrant la porte, Nanashi la suivit de près avec enthousiasme et Inori remercia les vigiles en s’inclinant avant de pousser Miyako à moitié paralysée par la peur.
C’était l’ouverture, le local n’était pas encore bondé mais il y avait déjà pas mal de monde dont une partie commençait à peine à s’échauffer sur le dance floor. Les décorations étaient abondantes et donnaient à cet endroit un mélange entre une manufacture du XIXe siècle et un conservatoire de musique.
Bien sûr, c’était enfumée et on ne s’entendait pas tellement la musique était forte. Les usagers, assis aux tables et au comptoir, consommaient tous des boissons alcoolisées, discutaient et riaient dans un volume sonore approprié à celui de la musique.
Les yeux de Miyako se perdaient sur les multiples détails de la décoration, émerveillée par ce monde nouveau qui s’ouvrait à elle, tandis que Rei fit un geste de la main, un de ceux utilisé par l’armée : elle leur donnait ordre de la suivre.
Arrivant au comptoir, Nanashi prit les devants et s’adressa au barman :
— Yo, mon brave ! Nous aimerions parler à Nion-chan et Miharu-chan. Elles sont où ?
L’homme arrêta son service pour les dévisager, puis demanda franchement :
— C’est pour quoi ?
— Affaires, cria Rei qu’on entendit malgré tout à peine.
Le barman leur désigna de la tête une table et appela un serveur qui passait de table en table.
Quelques minutes plus tard, assises dans un coin, sous un éclairage violet, elles virent arriver vers elles deux jeunes femmes qui semblaient elles aussi bien trop jeune pour se trouver dans un tel endroit.
La première était rousse aux cheveux mi-longs qui frôlaient les épaules. Son visage était doux et délicat. Dans sa chevelure se trouvait un nœud en dentelle. Ses yeux étaient gris foncé. Elle était habillée d’une robe à froufrous dans un style gothique victorien, de couleur blanche avec quelques rubans et pièces de tissus noires et rouges. Elle portait des collants et d’imposantes bottes en cuir.
À ses côtés se tenaient une fille qui avait exactement le même visage, la même taille et la même corpulence à l’exception de la poitrine ; celle de la première fille était imposante alors que la sienne était modeste. Sa coupe de cheveux était différente : la seconde fille avait des cheveux noirs longs qu’elle portait noués en une queue de cheval latérale. Sa robe était du même genre que la première mais de couleur noire. Mis à part ces détails, elles étaient parfaitement identiques, des jumelles à n’en point douter.
— Bonsoir. Vous nous avez appelées ?
— ‘Soir.
— Nion et Miharu ?
— Oui, c’est nous-mêmes, déclara la première des filles en s’asseyant sur la banquette en forme de « U » qui faisait le tour de la table. Que nous voulez-vous ?
Tout en posant la question, elle leva la main pour appeler le serveur qui se tourna vers elles.
— Amène à boire, s’il te plaît, articula-t-elle de manière exagéré sans crier.
Le serveur, habitué, parvint à lire sur ses lèvres et fit un « OK » de la main puis partit au comptoir.
— Venez ! On va aller parler ailleurs ! Ici il y a trop de bruit !
Rei acquiesça et elles passèrent toutes dans l’arrière-boutique où se trouvait une salle de repos du personnel qu’on leur mit à disposition avec quelques verres de soda sur une table.
— Ce sera mieux pour parler.
— Merci à toutes les deux d’avoir accepter de nous recevoir. Je suis Tokimoto Rei, anciennement des forces du Kansai. Voici Karasu Nanashi, ancienne de Tohoku, et voici Sasaoka Inori et Asakura Miyako. Mis à part Miyako-chan, une lycéenne normale, nous sommes des mercenaires actuellement engagées pour une mission de protection pour le compte d’un village. Nous aimerions vous proposer de nous rejoindre.
Immédiatement, elle se mit à leur expliquer les informations détaillées relative à la mission. Elle ne cacha pas la maigre rémunération qu’on leur proposait et s’en excusa même.
— Je comprendrais que vous refusiez et je ne vous supplierai pas de nous joindre si vous ne le souhaitez pas, conclut-elle.
Après avoir tant parler, elle prit son verre et en but une longue gorgée.
Les jumelles s’observèrent en silence un instant, puis reportèrent leurs regards sur Rei, elles semblaient un peu confuses.
— Nous comprenons le problème et pour être honnête, pour un travail de cinq jours seulement cela nous conviendrait, mais….
— Nous avons des obligations.
— En effet, comme le dit Nion. Nous avons des engagements avec cet endroit, nous ne pouvons pas partir comme ça.
— Vous bossez ici ? demanda abruptement Nanashi.
— Pas vraiment, mais disons qu’on nous permet de loger gratuitement avec pour seule obligation d’agir en cas de problème avec du surnaturel.
— Le boss profite de notre publicité, avoua Nion.
Miharu avait une voix douce et amicale mais Nion avait une voix à peine audible et blasée. Elles avaient beau être jumelles, il n’y avait pas que leur look qui différait. Au-delà de leurs voix, leurs regards et leur attitude générale n’était pas identique.
D’ailleurs, chose amusante : Miharu parlait avec un accent de Kyoto qui ressortait sur certains mots, tandis que Nion, pour le peu qu’elle parlait, avait l’accent de Nagoya.
— Je vois, c’est pour ça qu’on vous autorise à rester… Je comprends votre situation et je ne vous forcerai pas la main.
— Merci, Tokimoto-san.
— Rei suffira.
— Si je puis me permettre, Rei, comment nous avez-vous trouvées ?
Rei et Miharu s’observèrent un moment, si long que Nanashi finit par répondre à sa place :
— C’est un informateur. Il a dit que vous pourriez être intéressées.
— Informateur ? demanda Nion en penchant la tête de côté.
Mais toute crédule et naïve qu’elle semblait, Nanashi leva les épaules et répondit :
— Désolée, je peux pas te donner son nom, Nion-chan. Mais c’est une bonne personne, pas d’inquiétude.
Miharu jeta une œillade à Nanashi, puis soupira.
— C’est normal, tout le monde garde ses sources. En tout cas, nous allons y réfléchir, pour un travail de cinq jours la récompense peut nous suffire. Mais il y a une question que j’aimerais te poser, Rei.
— N’hésite pas.
— Penses-tu réellement qu’il faille six mercenaires ? La menace que tu décris me semble assez dérisoire, Nion et moi pourrions nous en occuper seules. Si vous êtes déjà trois, ça devrait passer.Il y a autre chose que tu ne dis pas ?
Rei afficha un sourire énigmatique.
— Oui, en effet. Je ne vais pas vous mentir : ne partez pas du principe que cette histoire sera simple. Si nous avons de la chance, nous les éliminerons à la prochaine attaque et repartirons chacune de notre côté, mais…
— Tu n’es pas sûre et tu penses à quelque chose de plus gros ?
— On va dire que c’est juste une intuition. Si j’avais des preuves, je vous les donnerai sans hésiter. Il se peut que je sois juste trop négative mais, avec les Anciens, j’ai appris à mes dépends qu’il ne faut pas s’arrêter à ce qu’on voit.
Miharu l’observa longuement, puis grimaça un instant.
— Je m’attendais pas à ça ce soir…
— Moi non plus…
— Pouvons-nous avoir un peu de temps de réflexion ? demanda Miharu en se grattant l’arrière de la tête.
— Bien sûr ! Nous restons encore demain à Nagano. Vous pourrez me donner votre réponse par téléphone.
— Je le ferais même si elle doit être négative.
Rei tendit sa carte de visite, Miharu la saisit à deux mains en remerciant, tandis que Nion la lut par-dessus son épaule.
— Et les autres ? Vous n’avez pas de cartes de visites ? demanda cette dernière.
— Euh… attendez…
Inori se mit à chercher dans son sac à main qu’elle fit tomber. Une partie de son contenu se répandit au sol.
— Quelle gourde je suis ! Désoléééeeeee !
Elle se mit à chercher par terre tandis que Nanashi leva les épaules :
— Pourquoi vous voulez la mienne aussi ? Vous avez déjà le numéro de Reicchi.
— Pour connaître les kanji…, confessa Miharu.
Mais Nion lui donna un coup de coude dans les hanches pour l’interrompre.
— Comme ça. Ça peut être pratique pour travailler ensemble à l’avenir, dit-elle à la place de sa soeur.
Nanashi ne parut pas réellement convaincue mais Rei lui donna un tape dans le dos.
— Bah, comme si tu étais à une carte près.
— Figure-toi que ça coûte cher à la longue… Enfin bon…
Plus ou moins en même temps, Nanashi et Inori tendirent leurs cartes.
— Je suis enchantée de faire votre connaissance… Ah zut ! C’était avant que j’aurais dû le dire…
— Déstresse, Inori-chan. Inspire… expire… Un peu comme les femmes enceintes. Hahaha !
— Vous moquez pas de moi, Nanashi-san !!
Mais Nanashi continuait de rire, aussi Inori se mit même à lui marteler l’épaule de petits coups de poing qui ne faisaient qu’alimenter encore plus les rires.
Ce duo comique dérida quelque peu les jumelles qui finirent par sourire légèrement à leur tour.
Finalement, Rei se leva et les salua.
— Nous allons y aller. Nous étions venues juste pour ça. J’espère que nous serons amenées à travailler ensemble, mon intuition me fait dire que vous êtes des personnes intéressantes.
— Pareil ! Puis c’est pas tous les jours qu’on croise des jumelles mercenaires !
Les deux filles clignèrent en même temps des yeux et objectèrent d’une seule voix :
— Nous ne sommes pas jumelles.
Cette déclaration sema la confusion parmi leurs quatre interlocutrices.
— Ah bon ?
— Oui, nous sommes juste des amies d’enfance.
Personne n’osa les contredire mais toutes pensèrent la même chose : « comment est-ce possible ? »
Leurs visages étaient en tout point identiques, c’était difficile de penser qu’il n’y avait pas de lien de parenté.
En marchant vers la gare après avoir quitter le nightclub, Rei finit par dire, comme si cette réflexion l’avait perturbée jusque-là :
— Évitez de leur parler de leur ressemblance. Il y a sûrement une sombre histoire là-dessous…
— Sombre histoire ? s’interrogea Miyako qu’on avait pas entendu depuis leur entrée dans le local.
Même si tout s’était bien passé, elle était contente de repartir. Elle ne ferait pas l’expérience d’y retourner avant d’en avoir l’âge.
— Admettons, ce n’est qu’une théorie mais… Vu leur ressemblance, il est possible qu’elles aient le même père et qu’elles ne soient juste pas au courant. Elles ont grandi en pensant être des amies d’enfance mais au final elles sont demi-sœurs.
— Whaaa ! Ce serait une histoire plutôt cool !
— Je vois pas en quoi ce serait cool…, marmonna Miyako en grimaçant.
— Ce serait plutôt triste pour elles, ajouta Inori.
— Y a que toi pour dire ça, Nana-chan…
— Eh eh ! Reicchi ! Si ça se trouve on est aussi des demi-bro aussi. Ça te ferait quoi si on t’annonçait ça maintenant, tout de suite ?
Nanashi se plaça devant son interlocutrice et se mit à marcher à reculons.
— C’est pas possible.
— Joue le jeu ! Admettons que ça soit vrai !
Rei soupira longuement et leva les épaules :
— Qu’est-ce que j’en sais ? À mon avis, j’irais me pendre. Avoir une demi-sœur aussi stupide me ferait honte.
— Méchante !!! C’est méchant ce que tu dis là !
— Calmez-vous, les filles, ne faites pas de scandale en pleine rue…, s’immisça Inori.
— Voilà, c’est décidé ! C’est Inori-chan ma demi-sœur ! Dit Nanashi en tirant la langue et en enlaçant la jeune femme en question.
— Hein ?Mais je…
— Oh zut ! Je viens de perdre une demi-sœur hypothétique… Quel dommage〜 ! Hahahaha !
Nanashi se mit à rire à la suite de Rei. Inori et Miyako les suivirent emportées par l’hilarité de groupe.
Le lendemain, elles dormirent jusqu’à tard. Au petit-déjeuner en commun, Rei leur avait proposé de se reposer et faire un peu de tourisme, à ce stade, elles ne pourraient rien faire de plus. Il leur fallait attendre les réponses à leur offre.
— J’ai épuisé les pistes à notre disposition, confessa-t-elle assise à table. Les dés sont lancés, il ne reste plus qu’à croiser les doigts que Nion et Miharu acceptent…
Àl’évocation des deux filles, Nanashi lui demanda :
— Au fait, pourquoi tu m’as demandé de leur donner ma carte ? Elle leur sert à rien et j’ai trouvé qu’elles avaient l’air louche…
— Elles veulent sûrement s’informer sur nous, c’est évident. Tu sais, Nana-chan, il n’y a que toi qui accepte les missions sur la simple base de la confiance.
Rei afficha une expression réprobatrice et ironique. Mais, en effet, Nanashi était un cas particulier, les mercenaires étaient habituellement méfiantes.
— Ah, c’était pour ça ? Bah, elles auraient dû me le dire tout simplement…
La journée s’écoula plus rapidement que voulu. Contrairement à la veille, elles avaient évolué dans le monde normal, elles ne firent rien que des filles normales n’auraient pu faire. Miyako retrouva un peu l’ambiance de ses sorties avec ses amies de lycée.
Finalement, le soir, pendant leur dîner dans un restaurant, le téléphone de Rei se mit à sonner. Miharu, de l’autre côté de la ligne, lui annonça leur décision : elles acceptaient.
Le rendez-vous fut fixé à la gare centrale le matin suivant. Toutes les six montèrent dans le bus qui passait par Yume-Shingawa.