Chapitre 3 : 人の振り見てみが振り直せ (Apprends la sagesse dans la sottise des autres)

Face à Hisano, le maire Amenomiya et Shibo se trouvait un groupe de six créatures plutôt grandes, atteignant presque deux mètres.

Pas assez humain pour être considérés en tant que tel, pas suffisamment aberrants pour être qualifiés de monstres. S’ils ne se tenaient pas voûtés, il auraient pu être encore plus hauts. Si de prime abord, on pouvait les voir comme un mélange d’humain et de serpent, en les analysant plus rigoureusement, ils avaient plutôt l’air de serpents qui auraient mutés pour avoir des jambes et des bras et une expression faciale humaine.

La couleur des écailles variaient d’un individu à l’autre, de même que la couleur de leurs yeux fendus allant du rouge au noir en passant par diverses teintes d’oranges et de jaunes. Leurs membres étaient fins et longs, bien trop chétifs pour soutenir leur corps épais et sinueux et pourtant leurs mouvements ne paraissait nullement en pâtir. La longueur de leur queue dépendait également de l’un à l’autre.

Cinq hommes-serpents portaient des armures faites de peau et étaient armés de lances ou de haches. Le dernier portait une tunique rouge sang marquée de symboles étranges qui apparaissaient tantôt dans les écrits du Mythe. Tous portaient des ornements et accessoires qui n’étaient pas sans rappeler certaines tribus d’Afrique.

— Mortels, vous refusez l’échange ? demanda d’une voix sifflante le sorcier serpent.

C’était sûrement le seul qui parlait la langue des humains, à chaque fois c’était lui qui avait négocié avec les responsables du village.

Le maire suait à grosses gouttes, il n’arrêtait pas de s’éponger le visage avec une serviette, tandis que Hisano tremblotait des genoux et des dents. Au final, comme les fois précédentes, c’était Shibo, le moine gérant du temple et du cimetière, figure spirituelle du village, qui prit la parole :

— Vos conditions ne nous ont jamais réellement convenues, noble homme-serpent.

Le sorcier grimaça avec colère et fit claquer sa langue bifide avant de fixer ses yeux terrifiants sur le religieux en face de lui.

— Vous n’avez pas le choix, mortels ! Sinon nous attaquer vous et prendre femmes et enfants en esclaves !

— Nous en sommes bien conscients, mais vous en avez déjà beaucoup pris. Nous ne pouvons pas vous laisser amener nos citoyens comme ça. En plus, vous nous prenez toujours une grande partie de nos provisions…

— C’était le marché, mortel bavard ! s’énerva le sorcier. Vous nous donner femmes et enfants inutiles et nous laisser les hommes solides.

— J’en suis conscient mais… ne pourrions-nous pas trouver un autre arrangement ?

Shibo essayait de gagner du temps. Il savait que les mercenaires étaient en route mais quand arriveraient-elles au juste ?

Les hommes-serpents étaient apparus directement dans le haut quartier pour venir négocier. En général, ils repartaient aussitôt avaient-ils obtenu ce qu’ils désiraient.

— Quel arrangement ? Je pourrais détruire vos pitoyables existences jusqu’aux dernières et prendre ce qui nous plaît ! Je pourrais commencer par vous, apprendre à respecter votre parole, vils traîtres !

Sur ces mots, le sorcier fit signe de la main à l’un des guerriers et lui dit quelque chose dans la langue des serpents.

Aussitôt le moine et les deux hommes derrière lui reculèrent, sentant une menace tangible.

— Je suis généralement plutôt de l’avis que l’honneur est primordial, mais peut-on appeler une extorsion une promesse ?

La voix venait des airs, c’était celle de Rei.

Immédiatement, les yeux du maire devinrent humides, tandis qu’Hisano soupira de réconfort. Shibo pour sa part retira son chapeau et s’essuya une fois de plus le front. Même s’il faisait des efforts de courage, il savait être un faible mortel face à des créatures surnaturelles.

Les hommes-serpents levèrent leurs regards et aperçurent Rei, fière et hautaine, sur la tête d’un dragon aux écailles noires, à la forme svelte et élancé et à la queue fourchue. Elle était sous sa forme de combat.

Ses petites cornes, à peine visibles, étaient à présent bien plus longues. Les écailles qui se limitaient à son dos s’étaient répandue sur tout son corps qu’elles recouvraient en bonne partie. Une queue reptilienne s’agitait dans son dos, tandis que sa dentition était devenue encore plus proéminente, la rendant encore plus intimidante.

Son physique n’avait pas changé, à l’exception de sa poitrine qui avait pris un peu de volume.

Une robe au tissu surnaturel et à la coupe fantaisiste évoquant un RPG couvrait son corps, elle rappelait la classe invocatrice de certains jeux. Dans sa main se trouvait une lance et, à sa ceinture, son katana qu’elle n’avait pas fusionné à sa forme lors de sa transformation (ce qui était habituellement le cas de toutes les possessions des mahou senjo au moment de ce faire).

— Reculez vous trois si vous ne voulez pas que vos vies chèrement monnayées s’achèvent ici.

Le dragon se posa au sol en provoquant de violentes bourrasques à chaque battements d’ailes. Rei descendit de sa monture, Kildorim, et s’approcha du sorcier-serpent.

— Je suis Tokimoto Rei, fière descendante des dragons et leur élue. J’ai été engagée pour défendre ce village.

Le sorcier tourna son regard vers les trois hommes qui avaient à peine reculé. Ils étaient encore sous le choc et n’osaient pas bouger.

— Rei ? Tu es bien courageuse, mortelle, pour venir défier nous.

— Si tu ouvrais un peu tes yeux, tu verrais que je n’ai rien d’une mortelle. Ne perdons pas notre temps, veux-tu ? Il n’y a pas une multitude de choix à votre disposition : soit vous retirez vos troupes et ne revenez plus jamais ici, soit…

Elle ne termina pas sa phrase qu’elle en ponctua d’un sourire menaçant qui révélait ses dents de prédatrice.

S’ils étaient des serpents, elle était un dragon. Dans la chaîne alimentaire, rien n’égalait un dragon.

Le sorcier l’observa de bas en haut, puis fixa le dragon derrière elle.

— Seule contre six. Tu ne penses pas être stupide, catin des dragons ?

Rei sourcilla un instant mais ne céda pas à la colère qui bouillait pourtant en elle. C’était son naturel, aussi puissante et furieuse qu’un noble dragon.

— Les insultes n’aideront pas ta cause, tu sais ?

— Toi être une insulte et une déclaration de guerre.

— C’était à prévoir qu’ils n’allaient pas continuer votre petit marché indéfiniment. L’argent est une valeur plus importante chez les humains que leur morale.

Elle jeta un regard en coin aux trois hommes qui ne réagirent pas.

Avaient-ils compris qu’elle les sermonnait d’avoir sauver uniquement leur vie à travers ce marché douteux ?

Probablement avaient-ils trop peur pour saisir le moindre mot.

Le sorcier du Peuple Serpent soupira en faisant siffler sa longue langue bifide puis écarta les bras.

— Une fois que toi morte, nous exposerons ton corps en morceau dans le village. Puis nous faire de même avec autres choses humaines. Faire passer message… Bon plan, toi pas penser ?

— Un excellent plan même qui repose malheureusement sur votre incapacité à me tuer.

Sur ces mots, les deux belligérants échangèrent un long regard puis les négociations cessèrent.

Le sorcier tendit les mains et projeta une boule de feu sur Rei ; il n’usa d’aucune incantation pas plus qu’il n’utilisa un objet quelconque, le sort quitta instantanément sa main.

Rei tendit la sienne et bloqua l’attaque à l’aide de son bouclier réactif.

Au même instant, les guerriers-serpents accoururent, lances en avant et visèrent leur ennemie, mais le dragon noir la protégea de ses ailes.

Les lances percèrent à peine la membrane de ces dernières, Kildorim referma en réponse ses mâchoires sur l’un des attaquants. Les crocs du dragon s’enfoncèrent dans son torse et en arrachèrent un large morceau. Le sang gicla, le guerrier-serpent s’effondra en déversant au sol une partie de ses organes.

Aussitôt, les autres renouvelèrent leurs attaques, cette fois, ils portèrent chacun un coup de queue ; elles fouettèrent l’air et heurtèrent les écailles avec bien plus de violence que les lances, leurs longues queues étaient pleines de muscles puissants et pouvaient déployer une force colossale.

Kildorim encaissa sans mal, en tant que dragon spécialiste du corps-à-corps, ses écailles étaient épaisses.

Le sorcier passa à nouveau à l’offensive. Autour de sa main droite griffue, il réunit des énergies vertes dégoulinantes tel un liquide. Il s’agissait, en effet, d’un puissant acide magique qu’il comptait décharger en touchant le dragon. Mais, à l’instant, même où il mit un pied devant l’autre pour s’approcher…

*Pfiouuuu*

Des flash de lumière l’aveuglèrent.

Les spectateurs de la scène virent deux rayons tomber littéralement du ciel et prendre pour cible le sorcier.

La douleur. Il ne la ressentit pas immédiatement.

Le sorcier avait été touché, son bras gauche avait été pulvérisé par un des tirs et, s’il n’avait pas interposé à temps sa barrière défensive, il aurait perdu le droit également.

Dans le ciel, à quelques centaines de mètres de hauteur, deux silhouettes apparurent brièvement avant que les ténèbres les avalent à nouveau. Il s’agissait de deux dragons plus petits que Kildorim, aux écailles jaunes. C’était des dragons mineurs.

Tandis que les ailes de Kildorim s’ouvrirent et qu’il se mit à abattre ses griffes sur les guerriers-serpents, la silhouette de Rei franchit la distance qui la séparait du sorcier et, avant qu’il ne put activer sa protection, lui perfora le ventre de sa lance.

— Il faut toujours avoir quelques atouts dans sa manche…

Elle poussa la hampe de son arme vers le haut, dans un mouvement en arc de cercle, et dessina une coupure nette du ventre jusqu’à l’épaule du sorcier. Le sang gicla abondamment, le cœur avait été touché et aussitôt le sorcier s’effondra. Les guerriers ne tardèrent à le rejoindre, ils furent mis en pièce par le redoutable dragon noir.

— Je pense qu’ils ont eu leur compte, dit Rei en faisant volte-face.

Elle se dirigea vers les trois spectateurs pétrifiés un peu plus loin.

— Restez pas planté là comme des piquets, il faut trouver la brèche qu’ils ont traversé. Vous ne pouvez pas combattre, mais vous avez des yeux, non ?

Mais alors qu’elle n’était plus qu’à quelques pas d’eux, elle vit leurs expressions encore plus paniquées. Son instinct lui fit dresser à temps sa barrière défensive ; une sphère d’acide s’écrasa dessus.

Le sorcier-serpent à l’agonie pointait encore sa main dans la direction de Rei en esquissant un sourire malsain.

— Vous… le paierez…

Au moment où il s’effondra, Rei se rendit compte de l’imprudence qu’elle avait commise en ne le portant pas le coup de grâce.

— Il a prévenu ses renforts, expliqua-t-elle en observant un petit cercle dessiné au sol avec le sang des hommes-serpents. Donnez ordre à tout le monde de s’enfermer, le vrai combat commence maintenant. Les rues du village deviennent un champ de bataille.

Les trois hommes terrifiés ne prirent pas le temps de répondre à son ordre, ils s’enfuirent immédiatement en direction de la mairie.

Quelques instants plus tard, toutefois, on put entendre une sirène résonner dans tout le village.

***

Ce n’était pas deux portails comme l’avaient pensé jusque lors les villageois mais bien six qui permettaient aux troupes du Peuple-Serpent d’entrer dans le village : il y avait un portail par quartier et trois autres dans la nature. Même Rei avait jusque lors penser à trois, en se basant sur les lieux d’apparition des précédentes attaques.

D’ailleurs, elle avait séparé leur groupe en trois, conformément à son projet initial ; elle s’occupait seule de la haute ville.

Les renforts passèrent les portails de la ville haute et celui du quartier riverain. Chaque groupe était composé de huit guerriers-serpents et de deux sorciers. Ce n’était plus des troupes de reconnaissance et négociation, mais des troupes d’assaut cette fois.

Inori et Nanashi étaient toutes les deux assises sur le linteau du torii qui siégeait devant un des temples du quartier (c’était celui où il y en avait le plus) ; aucun humain normal n’aurait pu y monter.

Sous sa forme de combat, les cheveux auburn de Nanashi devenaient châtains. Son physique mince et menu demeurait le même, mais sa tenue changeait radicalement. Elle était à présent vêtue d’une combinaison moulante futuriste, faite de matériaux composites et surmontée d’une cape à capuche qui couvrait sa chevelure à l’exception de sa longue mèche.

Ses yeux arboraient des motifs étranges qui n’avaient rien de naturels.

Une arme était apparue dans sa main droite : une épée imposante elle aussi à l’allure high-tech, sa surface recouverte de motifs de circuits imprimés et de diodes lumineuses.

De son côté, Inori ressemblait à une vrai magical girl. Ses cheveux noirs étaient devenus roses, ils étaient un peu plus longs et étaient à présent noués en deux couettes tenues par des rubans rouges.

Sa tenue rose et blanche était composées de plusieurs couches de tissus formant un ensemble à la fois complexe et mignon. On aurait dit une poupée avec ses décorations d’étoiles, ses rubans et volants.

Une paire d’ailes de lumière était apparue dans son dos et une baguette magique se tenait dans sa main.

— Vous êtes sûre que c’est le meilleur endroit ? demanda Inori à Nanashi.

Cette dernière balançait ses jambes dans le vide.

— Ch’sais pas, mais c’est le coin le plus haut pour voir les maisons d’ici.

— En pleine nuit, on risque de ne rien voir surtout…

— T’inquiète, Inori-chan ! S’y a un souci, on le verra de suite. J’ai le flair pour ça ! Héhé !

— Puissiez-vous dire vrai…

Il ne leur fallut pas attendre longtemps pour entendre la sirène se mettre à hurler dans tout le village. Le son partait de la mairie mais se diffusait dans l’ensemble des quartiers.

— Chouette de la baston !

Nanashi se leva avec enthousiasme. Le vent qui frappait plus fort à cette hauteur mettait en mouvement sa cape tandis qu’Inori était obligée de tenir baissée sa jupe.

— J’espère que je serais à la hauteur…

— T’inquiète !

— Vous êtes insouciante…

— Héhé !

— Ce n’était pas réellement un compliment.

Mais Nanashi n’en avait que faire, elle souriait en se grattant l’arrière de la tête de manière masculine.

C’est à cet instant que dans le ciel furent projetés des boules de lumière au-dessus des trois quartiers. Elles illuminaient à la manière de feux de Bengale. On put distinguer les silhouettes de deux dragons dans le ciel, les responsables de ce soudain éclairage.

Les rues étaient soudain éclairées comme une nuit de pleine lune dégagée, ce qui permettrait aux mahou senjo de se battre sans mal.

— Bah, v’là nos ennemis !

Nanashi pointa du doigt un groupe de guerriers-serpents qui se dirigeaient justement vers le temple.

— Ils viennent par ici ?

— Yep, on dirait bien. J’vais leur faire bon accueil, t’en dis quoi ?

— Que je serais incapable de vous en dissuader de toute manière. En plus, n’est-ce pas mon travail ?

— Ouais !

— Allons apprendre à ces vilains les bonnes manières !☆

Inori fit un clin d’œil et une étoile en jaillit. Sous sa forme de combat, ce n’était pas qu’une image, des petites étoiles et des paillettes jaillissaient réellement d’elle.

Sans attendre, Nanashi sauta et vint se placer les bras croisés au sommet des escaliers. Elle avait un sourire aux lèvres et un air fier. Inori descendit en planant et se plaça à ses côtés. Elles pouvaient voir les silhouettes de leurs ennemis se rapprocher des marches.

— Au moins, nous avons un avantage stratégique du terrain… C’est une bonne chose.

Mais, elle eut à peine le temps de finir sa phrase qu’elle vit Nanashi bondir depuis le haut de cette centaine de marches et atterrir pile devant les hommes-serpents, tout aussi étonnés que sa collègue.

— Un héros n’utilise pas le terrain ! déclara-t-elle en époussetant ses vêtements.

Inori resta les yeux ébahis et bouche bée quelques instants, elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Elles avaient un réel avantage, les guerriers-serpents étaient obligés de se battre dans les escaliers pour passer le portail, c’était une occasion idéale, mais Nanashi avait tout gâché.

— Qui… vous être ?! grommela l’un des sorciers.

— Heureuse que tu poses la question ! Je suis le héros de tous les espoirs, Nanashi ! Et là-bas, c’est ma pote, Inori ! Repartez d’où vous venez ou vous aurez affaire à nous !

Elle pointa fièrement du doigt le sorcier tandis que de son autre main elle tenait la poignée de son impressionnante épée.

— Mais… pourquoi tu révèles aussi ma position ?! Tu… tu es une idiote !!

Sous l’effet de la colère, Inori avait oublié de vouvoyer Nanashi. Cette dernière ignora complètement la plainte, elle fixait le sorcier le plus proche avec un air de défi. Elle savait qu’ils n’accepteraient pas de repartir, cela ne se passait jamais ainsi. Mais un héros ne tuait pas sans raison et laissait toujours l’opportunité d’une retraite à ses adversaires.

Assez rapidement, le sorcier donna des ordres dans leur langue serpentine et les guerriers saisirent leurs lances et leurs épées fermement.

— J’étais sûre que ça foirerait. Bah, vous l’aurez voulu. Mais faut pas affronter des héros, j’vous le dis !

Le second sorcier qui se préparait manifestement depuis le début, leva la main et soudain une colonne de flammes tomba du ciel. C’était une attaque soudaine, imprévisible, qui frappa Nanashi de plein fouet.

— Nanashiiiiii !! cria Inori en pointant sa main vers elle.

Remarquant qu’elle n’était pas à l’abri du même sort et que l’autre sorcier la prenait pour cible, elle essaya de le prendre de court :

« Cosmos Beam ☆ Miracle Star !! »

Un rayon de lumière rose jaillit de sa baguette magique et fondit sur sa cible. C’était une attaque rapide capable d’atteindre de longues distances. Mais le sorcier fit apparaître une barrière défensive et la bloqua complètement.

Il vociféra quelque chose dans cette langue sifflante du Peuple Serpent et fit apparaître dans sa main une sphère verte liquide.

À cet instant, la colonne de flammes disparut et révéla non pas le cadavre de Nanashi mais la jeune femme parfaitement intacte.

— Ouf !! ne put s’empêcher de soupirer Inori, rassurée.

Nanashi était entourée d’étranges particules qui ressemblaient à des cendres en train de tourner autour d’elle, mais une observation plus attentive permit à Inori de se rendre compte qu’il s’agissait de particules orangées métalliques : de la rouille.

— Je m’occupe des sorciers, dit Nanashi. Fais le ménage parmi les autres.

— Hein ? Mais… comment… ?

Nanashi chargea le sorcier qui s’apprêtait à lancer son sortilège, il était protégé par ses guerriers ; elle continua sans se soucier d’eux, son épée était entourée d’une étrange rouille ; elle comptait sur l’appui d’Inori à qui elle faisait déjà confiance.

— Je déteste qu’on me fasse ça ! Magical Fire Prism Hope !! cria cette dernière.

Une boule de flammes roses jaillit de la pointe de sa baguette et traversa rapidement la distance qui la séparait de ses cibles : à peine le sort atteignit-il son point d’impact qu’il produisit une violente explosion de flammes roses. Les guerriers furent soufflés, brûlés et les projetés en tout sens, désorganisant totalement leur défense.

Il s’en était fallu d’un cheveu que Nanashi ne fut touchée par l’explosion, le timing était réellement trop serré et Inori pestait intérieurement.

Nanashi ne s’arrêta pas même un instant. Le sorcier, se voyant pris pour cible, projeta la sphère en l’air, elle explosa en répandant dans une très vaste zone une pluie d’un liquide vert ; même Inori était prise dans la zone d’effet du sortilège.

Avant même les premières gouttes, le bras du sorcier-serpent vola dans les airs. L’épée géante de son adversaire venait de le trancher d’un coup net et précis.

Il avait pourtant dressé une barrière réactive ! Comment avait-elle fait pour la franchir aussi rapidement ?

C’était une des propriétés de la magie de « rouille » de Nanashi : un pouvoir capable d’éroder tous les autres pouvoirs magiques. Un élément magique des plus rares et prisé.

Une barrière de ce niveau n’offrit pas de réelle protection face à la redoutable mahou senjo.

Inori afficha une expression de surprise, ce qu’elle avait vu n’était pas normal, même selon les critères des mahou senjo.

— Cette magie…, grommela-t-elle en grimaçant.

Elle l’avait reconnue, malheureusement.

Lors de leur présentation, Nanashi avait déclaré utiliser l’élément « Lames »,il n’avait jamais été question de « Rouille ». Pourquoi avait-elle menti ?

Mais l’heure n’était pas aux interrogations, la pluie acide retombait sur elles. Inori fit apparaître sa barrière réactive et s’éloigna pour sortir de la zone d’effet.

De son côté, Nanashi s’entoura à nouveau de particules de rouilles qui l’en protégèrent et poursuivit le combat. Le sorcier-serpent blessé porta un coup de queue. La jeune femme la bloqua à l’aide de son épée géante ; elle profita de l’ouverture laissée dans la défense ennemie suite à ce large mouvement et abattit son épée verticalement cette fois.

Le corps du sorcier se sépara en deux de haut en bas, tandis qu’une vague d’énergie s’en alla trancher, en poursuivant une trajectoire droite, un des guerriers plus loin. Inori, de plus en plus surprise, remarqua que ces derniers commençaient à reprendre leurs esprits et reprendre le combat. L’autre sorcier préparait quelque chose également.

Aussi, Inori pointa sa baguette dans la direction lorsqu’elle se rendit compte que sa vue devenait trouble. Elle voyait son ennemi en double, sentait ses paupières lourdes et ses yeux brûlants.

— Qu’est-ce… ?

Son regard s’arrêta sur sa main, elle était couverte d’un liquide verdâtre qui pénétrait les pores de sa peau.

Du poison.

Même en quittant la zone d’effet de la pluie, lorsqu’elle avait retiré sa barrière une partie lui était tombée dessus. Elle n’y avait pas prêté attention, distraite par les capacités de Nanashi. Les guerriers-serpents avaient également été touchés, mais ils ne semblaient pas être affectés ; étaient-ils immunisé au poison ?

— Nanashi-san ! L’atta… l’attaque d’avant, c’était… du poison…, dit-elle péniblement.

Mais pour sa part, Nanashi n’avait pas été affectée en raison de sa protection de rouille.

— Retire-toi pour le moment, Inori-chan. Je m’occupe d’eux.

Inori se mordit la lèvre avec frustration et décida d’obéir aux ordres ; elle s’envola. Tirer avec des problèmes de concentration et de vue pouvait être dangereux pour son alliée.

— Peut-être qu’en nettoyant à l’eau, pensa-t-elle en luttant contre la fatigue et le sommeil.

Repérant la rivière, elle plongea directement dedans depuis les airs.

Pendant ce temps, Nanashi enjamba le cadavre du sorcier et porta un coup d’épée horizontal en direction des guerriers qui lui barraient la route. Ayant vu les effets de sa magie à l’œuvre, ils se baissèrent tous en même temps ; il n’y avait pas que le contact direct de sa lame qui était mortelle.

Nanashi était effectivement une utilisatrice de la magie de « Lame », elle pouvait porter des attaques tranchantes à distance.

Même si l’attaque ne toucha aucun des guerriers, elle frappa la barrière défensive du sorcier.

Immédiatement, Nanashi profita de la position de ses adversaires pour trancher la tête d’un des guerriers avant qu’il n’ait eu le temps de se relever. Mais aussitôt,les autres la frappèrent à l’aide de leurs armes et de leurs queues. Dansant au sein d’une déferlante d’attaques, elle fut à peine blessée par ses adversaires.

* Slash *

D’un coup d’épée, elle coupa en deux un des guerriers-serpents, déversant son sang et ses entrailles à terre.

Sans tarder, elle abattit son arme sur un second qui, même s’il eut le réflexe d’interposer son arme, ne résista pas à la brutalité du coup : la pointe de l’épée de Nanashi l’entailla de l’épaule au ventre. Ce n’était pas une blessure mortelle, mais il n’eut pas le temps de s’en remettre qu’une vague d’énergie vint le couper en deux.

Se tournant vers le sorcier-serpent qui s’apprêtait à lancer une attaque magique sur elle, une pluie de rochers venus de nulle part vinrent le percuter. Chaque rocher était entouré d’une fine pellicule d’énergie rose qui était la signature d’Inori.

— Nous sommes deux, ne l’oubliez pas !

Inori subissait encore les effets du poison mais elle en avait nettoyé la majeure partie. La tête du sorcier finit par éclater lorsque deux gros rochers l’écrasèrent de chaque côté.

— Merci, Inori-chan !! Héhé ! C’était classe !

Nanashi, enthousiasmée par cette intervention héroïque, s’empressa de s’occuper des trois ennemis restants ; elle s’en occupa sans ménagement.

Les cinq guerriers-serpents qui avaient été blessés par Inori en début de combat se relevèrent pour trouver leurs chefs et compagnons morts, ils essayèrent de prendre la fuite, mais furent rapidement rattrapés par Naanshi ou abattus par les projectiles magiques d’Inori.

Inori posa les pieds au sol et fit un signe de victoire à sa collègue :

— Victoire !!☆

— Ouais !! Mais reste quand-même sur tes gardes, j’sens qu’on en a pas fini. Et le poison ?

Honteuse Inori détourna le regard et dit simplement :

— Je ne vais pas me laisser abattre pour si peu…

Nanashi lui donna une frappe amicale dans le dos avant de lui offrir sa petite épaule pour se reposer dessus.

— À la bonne heure ! Dans le doute, ne reprends pas ta forme normale… on sait jamais.

Sous ses airs de brute, Nanashi s’inquiétait pour ses collègues et pensait à pas mal de détails. C’était une mahou senjo impressionnante.

En tout cas, elle aussi avait des choses à cacher, se rendit compte Inori. Mais, c’était sûrement le cas des autres également : personne ne se dévoilait complètement dans le monde des mercenaires.

— J’ai sûrement mal compris, se força-t-elle à penser. Ce n’était pas vraiment de la rouille… Ou alors, il y a autre chose… C’est forcé…

Ce n’était pas l’heure pour démêler ce mystère, mais Inori se promit de s’en occuper au plus vite.

***

Grâce aux boules de lumière dans le ciel, Nion et Miharu virent rapidement un groupe de guerrier-serpents commandés par un sorcier ; il y avait également deux nuées de serpents qui rampaient au sol suivant ses ordres et par deux créatures étranges ressemblant à des centaures serpents. Elles l’ignoraient, puisqu’elles n’avaient pas les connaissances requises, mais il s’agissait de Yav’ollerh. Le terme de centaure était sûrement le plus approprié pour les décrire, néanmoins.

Chaque Yav’ollerh mesurait plus de trois mètres de haut. Il avançait en glissant sur sa partie postérieure serpentine ; la partie antérieure était celle humanoïde. Le buste était fait de peau et non d’écaille, bien que de teinte verte mouchetée et tachetée. Sa musculature proéminente était identique à celle des humains (pour sa partie antérieure), mais le rapprochement s’arrêtait là.

En effet, les Yav’ollerh avaient huit bras avec une tête serpentine. Des petites tentacules sortaient de leurs boîtes crâniennes, tandis leurs petits yeux noirs étaient emplis de malice et cruauté. À la place de cheveux, une queue de scorpion terminée par un dard s’agitait à l’arrière du crâne. Enfin, leurs bouches garnies de crocs souriaient avec cruauté.

Pour leur part, les nuées de serpents paraissaient normales, mais il ne fallait pas s’y tromper : c’était bel et bien des créatures du Mythe, des Anciens de rang inférieur. Agissant en groupe de quelques milliers d’individus comme sous l’effet d’une intelligence collective, chaque serpent avait des écailles noires avec des reflets violets, des yeux rouges luisants et disposait d’une collerette de pointes le long de son dos. La taille de chaque serpent était proche d’un boa.

Les deux jumelles se tenaient par la main, elles étaient assises sur le rebord du socle d’une statue.

— Miharu, il y a des visiteurs.

— J’ai bien vu, Nion. Il est l’heure de mériter son salaire, tu ne penses pas ?

Sous leur forme de combat on ne pouvait s’y tromper : elles étaient identiques. Leurs cheveux s’étaient allongés et étaient devenus violets. Ils étaient noués en une queue de cheval latérale, à gauche pour Nion, à droite pour Miharu.

Elles n’avaient plus de franges sur le front à présent dégagé. On distinguait de fait bien mieux leurs yeux qui avaient pris la couleur de l’or.

Quant à leur tenue, elles portaient toutes les deux des kimonos noirs et blancs, mais quelque peu modifiés : en effet, il y avait de la dentelle dessus et d’autres décorations qui n’étaient pas sans rappeler un style plus victorien. Chaque était armée d’un tantô passé dans leur obi, leur ceinture.

Les deux filles se tournèrent l’une vers l’autre et s’observèrent. Elles paraissaient dans leur petit monde. Les ennemis les avaient repérés, elles ne faisaient rien pour se cacher de toute manière.

— Allons les exterminer, Miharu.

— Tu utilises toujours de vilains mots, vilaine petite sœur, dit Miharu en lui saisissant le menton. Nous allons les mettre en pièces, tu veux dire.

— Désolée, ma langue s’emporte parfois.

— Utilise-là pour des choses plus utiles.

Sur ces mots, Miharu rapprocha son visage jusqu’à coller ses lèvres à celle de Nion. Leur baiser dura un long moment, elles entremêlèrent leurs doigts en laissant à leurs ennemis le temps de se rapprocher.

En tête des troupes les encerclèrent mais ne les attaquèrent pas. Le sorcier, passablement énervé, prit la parole :

— Vous allez cessssssssser ! s’indigna-t-il d’une voix sifflante. Perssssssonne n’ignore le sorcier Siasssyasszzzssst !

Son nom présentait des variations de sifflements qu’aucun humain n’aurait pu prononcer correctement.

Les deux filles éloignèrent leurs visages l’un de l’autre alors qu’un filet de salive les relia encore un bref instant. Leurs joues rouges, elles tournèrent leurs yeux dorés vers le chef des ennemis. Les yeux de Miharu exprimaient une certaine colère à son encontre, on venait de l’interrompre. Ceux de Nion était mornes et inexpressifs.

— Dire qu’on avait une si belle ambiance ! Un village romantique, un éclairage tamisé, une petite brise nocturne… Vous avez tout gâché ! Tsssss !

— Miharu ? On l’active pour le génocide ?

— Je t’ai déjà dit que ce n’est pas une charmante façon de parler. Nous allons leur sortir les entrailles de leurs corps, ce n’est pas un génocide non plus, la gourmanda Miharu en agitant son index.

— Désolée, Miharu.

— En tout cas, ça me semble du gaspillage pour eux, tu ne penses pas ?

— Ils n’ont pas l’air si fort, c’est vrai. Miharu est sage.

— Héhé ! Je ne suis pas ta grande sœur de quelques secondes pour rien !

Plus aucun doute n’était permis, elles étaient bien jumelles.

Les traits du sorcier-serpent se déformèrent dans une expression difficile à qualifier par son caractère inhumain. Il fulmina au point de frapper du pied.

— Asssssssssssssssezzz ! Je ne vais pas sssssseulement vous tuer, je vais vous torturer ! Essssspèce de petites sssssssottes ! Attrapez-les vivantes !!

Les troupes aux ordres de sorcier acquiescèrent d’un simple sifflement de leurs langues serpentines, et s’apprêtaient à passer à l’assaut lorsque les deux filles les prirent de court.

« Yomi Ongyouji – 黄泉遠行地 

« Ten Ongyouji – 天遠行地 

Les deux filles scandèrent le nom de leur attaque et des mains de l’une jaillirent des projectiles de ténèbres et de l’autre des projectiles de lumière.

C’était un véritable barrage de tirs qu’elles tirèrent tout autour d’elle en se plaçant dos à dos . Il ne restait que très peu d’espace non couvert par leur ligne de tir.

Miharu qui se trouvait du côté des guerriers en abattit rapidement cinq les criblant de rayons de lumière, tandis que Nion obligea les deux centaures à bras multiples à se mettre à couvert. Malgré leurs muscles qui formaient une armure corporelle robuste, les rayons de ténèbres avaient laissé des blessures.

Les maisons alentours subirent également quelques dégâts, les deux filles parurent faire attention, malgré tout.

Le sorcier quant à lui se recroquevilla en activant sa barrière réactive, il ne s’attendait pas à une telle résistance. Les nuées de serpents furent largement touchées, mais il y avait tellement de serpents qui la composaient qu’une grande partie survécu. D’ailleurs, ils commencèrent à glisser en direction de Nion et Miharu.

— On y va, Nion !

— D’accord, Miharu.

Les rangs dégrossis, Miharu attrapa la main de Nion et l’entraîna en courant à travers les guerriers-serpents blessés ou à l’agonie.

« Yomi Nanshouji – 黄泉・難勝地 »

« Ten Kangiji – 天・歓喜地 »

Tout en courant, Miharu tendit sa main et un cône de flammes en jaillit, embrasant tout ce qui se trouvait sur son passage. Cependant, Nion visa une des nuées avec une sphère de glace ondoyante qui quitta sa main. À peine toucha-t-elle le sol qu’elle explosa en gelant tout ce qui se trouvait dans sa zone d’effet. Les serpents entremêlées formèrent une bien étrange statue de glace.

Néanmoins, l’attaque de Miharu se révéla moins efficace qu’escompter : si une partie des guerriers-serpents, déjà à l’agonie, périrent, une autre se protégea simplement en couvrant leurs visages de leurs bras. Il semblait que leurs écailles avaient des propriétés ignifuges, ce qui n’était pas le cas de leurs vêtements.

— Mes attaques de feu ne fonctionnent pas ! se plaignit Miharu.

— Il t’en reste d’autres, Miharu.

— Mais euh !!

Avant que les rangs adverses ne purent se reformer, Nion lança un sort et ses poings se recouvrirent de deux gantelets géants de pierre. Elle les utilisa pour frapper deux des guerriers-serpents survivants qui s’apprêtaient à les attaquer de leurs lances.

« Yomi Genzenji – 黄泉・現前地 »

Les gantelets de pierre furent projeté des poings de Nion ; les deux ennemis furent projetés au loin tandis que leurs squelettes et leurs organes furent brisés.

Nion échangea sa place avec Miharu qui visa la seconde nuée de serpents, à peine à deux mètres.

« Ten Genzenji – 天・現前地 »

Une bourrasque quitta la paume de sa main et lacéra les serpents qui glissaient au sol ou qui bondissaient déjà sur elles. Aucun n’y réchappa, Miharu ne laissa qu’une traînée de sang et des morceaux de chairs devant elle.

Les deux sœurs observèrent le champ de bataille autour d’elles, elles avaient d’un seul coup un peu plus d’espace vide. Elles repérèrent le sorcier prit de panique face à cette résistance imprévue, mais aussi les deux Yav’ollerh qui utilisaient leurs corps serpentins pour glisser sur les toits de maisons voisines, prêts à passer à l’attaque.

— Bien joué, Miharu.

— Tu es la meilleure, Nion !

— Non. C’est toi.

— Tu es si gentille〜 ! Merci, Nion !

— Miharu…

Leurs yeux se croisèrent, elles se rapprochèrent sans trop y prêter attention et s’apprêtaient à nouveau à s’échanger quelques baisers, lorsque la voix sifflante du sorcier vint les interrompre une fois de plus.

— Tssssssss !!! Vous m’énervez ! Vous m’énervez ! répéta-t-il. C’était une erreur de vouloir vous capturer, tuez-les ! Sssssssaignez-les comme des porcs !

Les deux filles, qui avaient déjà les mains sur les hanches l’une de l’autre, tournèrent leurs visages agacés vers le sorcier.

— Ça fait deux fois !

— Ça fait bien deux fois, Miharu.

— Je vais le transformer en charpie ce serpent à sonnettes !

— Je ne suis pas sûre que ce soit une insulte.

— Un serpent avec une clochette sur la queue, c’est pourtant ridicule, non ?

— C’est parmi les serpents les plus dangereux, Miharu.

— Ah boonnnn ?! Eh bien ! Je retire ce que j’ai dit !

Mais le sorcier ne les écoutait déjà plus, il était furieux et avait fini de concentrer sa magie. Il commença à vociférer dans la langue des Anciens une incantation pour projeter du poison magique mais…

Les mains des deux sœurs se pointèrent vers lui, elles furent plus rapides.

« Yomi Fudouji – 黄泉・不動地 »

« Ten Fudouji – 天・不動地 »

Un rayon de ténèbres jaillit des mains de Nion, tandis qu’un rayon de lumière des mains de Miharu. La barrière réactive du sorcier-serpent ne tint qu’un bref instant sous la violence de cette attaque combinée d’une puissance offensive redoutable.

Nion et Miharu étaient toutes deux des mahou senjo de rang A, elles étaient des filles dangereuses et étaient parfaitement synchrones dans leurs mouvements. Elles partageaient pensées et émotions par un lien mal défini qui pouvait s’apparente à une magie gémellaire.

Leurs pouvoirs étaient symétriquement opposées mais à la fois identiques. Le plus étrange était sûrement le fait qu’elles avaient choisi le même registre de mots pour leurs appellations, alors qu’à cette époque elles étaient séparées, dans villes distantes, dans deux bases militaires différentes.

La magie de Nion était le Kuro Magatama – 昏禍弾, une magie qui mêlait à la fois les attaques de ténèbres, de glace et de terre et qui représentait le concept de Yin.

Celle de Miharu était le Shiro Magatama – 皓魔弾 et lui permettait de disposer de sorts de lumière, feu et vent. Elle était le Yang.

Elles avaient toutes les deux dix sorts nommés chacun en fonction d’une des dix terres de bodhisattva, la seule différence était le préfixe qu’elles y ajoutaient : enfer ou paradis selon l’une ou l’autre. Les pouvoirs des deux jumelles étaient particuliers mais c’était surtout cette symétrie qui les rendait uniques.

Le sorcier fut littéralement désintégré par les deux jumelles.

Sans se séparer, elles tournèrent leurs mains vers les deux Yav’ollerh qui bondissaient depuis les toits voisins. Leurs rayons, qui s’étendaient à plus de trente mètres, étaient toujours actifs, elles n’eurent pas à les incanter à nouveau mais simplement à les orienter vers leurs nouvelles cibles.

Les Yav’ollerh vinrent s’empaler dessus, un large trou se creusa dans leurs torses et ils s’écroulèrent au sol.

— Finissons-en, Miharu.

— Oui, Miharu !

Elles ne prirent pas de risques et achevèrent les deux Yav’ollerh en les coupant en deux de leurs longues lames d’énergie. Les adversaires n’étaient pas faibles, c’était simplement les jumelles qui étaient bien plus fortes qu’eux.

Le calme revint soudain, on entendait plus que quelques débris, causés par les inévitables dégâts collatéraux du combat, qui roulèrent au sol.

— Et si nous reprenions, Miharu ?

— Volontiers, Miharu.

Sans prêter nulle attention aux cadavres qu’elles venaient de laisser un peu partout, sans considérer les regards qui les observaient depuis l’intérieur des maisons, elles retournèrent s’asseoir et se fixèrent amoureusement sous le clair de lune.

***

En attendant l’arrivée de la nouvelle vague d’ennemi, Rei s’était assise sur la tête de Kildorim et observait le ciel.

Aux fenêtres, les yeux étaient rivés sur elle, elle les sentait mais n’y prêtait pas attention.

— Oui nous sommes des attractions, Kildorim, mais c’est normal : ils n’ont jamais vu de mahou senjo et encore moins de dragon.

Le dragon lui répondit par un bref rugissement, un peu comme s’il était un chien aboyant suite à la remarque de son maître.

— Haha ! T’es toujours aussi marrant ! Oui, c’est un peu ça !

Rei était la seule à pouvoir le comprendre.

— Si les attaques se limitaient à ça, on aurait pu régler ça tous seuls… Mais j’ai quand-même un mauvais pressentiment.

— Groooaaaaa ! Groaaa !

— Tu penses vraiment que je m’inquiète pour rien ?

— Groaaa ! Grrroooooaaa !

— Bah, en même temps si elles n’étaient pas là, les autres quartiers auraient été touchés, non ?

— Groaaa !

— Ouais, j’aurais pu appeler les autres dragons pour les protéger, c’est pas faux. Mais bon, ça fait plaisir d’être avec des collègues humaines parfois, tu sais ?. Au pire, je le prendrais comme ça.

— Grrrooooooaaaaaa !

— Ehh ! Dis pas des choses perverses, non mais !

Rei donna un petit coup de poing sur la tête du dragon puis se mit à rire de la remarque qu’elle trouvait drôle malgré tout. C’était un curieux spectacle qui rompait avec la tension palpable qu’on pouvait ressentir.

Elle ne donnait pas l’impression d’être inquiète, en tout cas. Il fallait dire qu’elle en avait vu d’autres.

Malgré elle, ses souvenirs retournèrent des années en arrière lorsqu’elle avait combattu les forces de Cthulhu dans la Guerre de Kyûshû. Cela avait été un sale massacre, d’un côté comme de l’autre.

La première expédition avait été éradiquée et la seconde avait failli l’être également. C’était à cette époque qu’elle avait appris une chose fort simple pourtant : il y a toujours plus fort que soi.

Elle avait été si imbue de ses capacités qu’elle s’était aveuglée elle-même et avait fait des erreurs horribles. Elle avait fait tué des milliers de filles à cause de ses erreurs de jugement et de son orgueil stupide.

Mais elle avait fait la meilleure chose à faire : avant que la situation ne soit pire encore, elle avait laissé le commandement à une personne compétente. Depuis lors, elle considérait cette personne comme son maître spirituel. Cette femme modeste était la guerrière qu’elle aspirait à devenir et la personne qu’elle respectait le plus au monde.

Ce n’était pas tant ses pouvoirs qui étaient impressionnants que sa capacité d’analyse et de jugement. Rei s’était depuis lors efforcée de ne plus jamais reproduire le même genre d’erreur, elle ne sous-estimait plus ses adversaires et elle avait refusé de commander des troupes à nouveau.

— Curieusement, je me retrouve malgré moi à la tête du groupe actuel…

Mais contrairement à cette époque, ce rôle lui incombait pas grâce à son grade, mais grâce à la confiance qu’on lui portait. Les filles l’avaient choisie et elles ne comptait pas les décevoir.

De plus, il s’agissait de mercenaire et non d’officielle, leur forte indépendance n’en faisait pas des suiveuses bien disciplinée. Rei n’avait pas à s’inquiéter qu’on ne lui oppose aucune contestation et si elles s’élevaient, elle les prendrait en compte, cette fois.

— Une unité de mercenaires… c’est un peu comme une meute de chien errants…

Elle sourit ironiquement. Bien sûr, ce n’était pas une comparaison flatteuse, mais c’était ainsi qu’on les considérait, malheureusement.

C’est avec un peu en retard sur les deux autres groupes que deux sorciers, accompagnés de cinq guerriers-serpents et de deux Yav’ollerth, débarquèrent par un portail à proximité de Rei et de Kaldorim.

Elle ne tarda pas à tourner sa tête vers les nouveaux arrivants. Ils étaient bien plus surpris qu’elle, ils ne s’étaient pas attendus à tomber nez à nez avec un dragon.

— On fait quoi ? Vous voulez parler ou on commence de suite le combat ? Demanda Rei en se levant et en croisant les bras.

Les hommes-serpents l’observèrent sans trop comprendre d’abord, puis l’un des sorciers prit la parole :

— C’est toi qui… ?

— Qui a éliminé le précédent groupe ? Oui, c’est moi. Je suis une mahou senjo, un de vos ennemis mortels. Vous voulez des sacrifices et je suis là pour les éviter. Nos missions sont totalement opposées.

Le sorcier en chef paraissait plus calme et sage que le précédent, il croisa les bras et se mit à discuter avec ses subalternes dont l’autre sorcier.

Finalement, il expliqua :

— Nous allons repartir. Notre préparation était insuffisante, femme-dragon. Nous nous rencontrerons à nouveau, soyez-en assurée.

— Je n’en doute pas.

Les troupes commencèrent à faire volte-face à la plus grande surprise de Rei qui s’attendait à devoir les affronter.

Au-dessus d’elle, dans le ciel, les deux silhouettes de dragons mineurs tournaient en cercle et surveillaient les déplacement au sol. On pouvait les apercevoir tantôt alors qu’ils passaient à proximité des sphères lumineuses.

Les hommes-serpents commencèrent à s’éloigner lorsque Rei soupira :

— Votre comédie ne marchera pas, j’ai déjà repéré votre stratagème.

Kildorim tourna sa tête et souffla tout à coup un nuage violacée dans une zone d’obscurité à proximité.

Un râle se fit entendre puis une contre-attaque. Le dragon esquiva en se jetant en arrière malgré sa masse imposante, quelque chose s’écrasa au sol.

Au-dessus d’une maison qu’il détruisit en partie, un monstre plus imposant que les autres fit son apparition : un serpent géant mesurant plus de trente mètres de long avec deux têtes difformes. Des pics sortaient le long de sa colonne vertébrale, il avait une multitude d’yeux rappelant un peu une araignée, tandis que ses crocs suintaient d’un liquide venimeux. Sa queue se terminait par une queue-massue à pointes qui n’était pas sans rappeler celle d’un Ankylosaure ou un fléau d’arme à chaîne.

Le monstre tourna ses deux têtes dans la direction du dragon et de sa chevaucheuse, on ne pouvait trouver de trace d’intelligence dans ce regard, juste un appétit féroce.

Rei avait eu confirmation que cette mission n’impliquait plus de combattre quelques pilleurs isolés, mais bien une armée capable d’attaquer sur plusieurs fronts à la fois. Les bruits de combat dans les autres quartiers l’avaient prouvé.

Fort de cette confirmation, elle avait déduit que le sorcier mentait, l’échange avait été trop bref, de surcroît.

— Grrooooooaaaaa !

— Oui, Kildorim, ce sera un combat difficile. D’autant qu’il faut faire attention aux maisons. C’est ça que je déteste à la campagne, ils sont pas fichus d’établir un abri isolé du champ de bataille…

Rei soupira et tourna la tête pour voir que les deux sorciers et leurs troupes essayaient de la prendre dans une attaque en tenaille.

— Il va falloir sortir le grand jeu, je crois bien, Kildorim.

— Groooaaaa !

— Yep, il va falloir l’appeler.

Mais à cet instant, une voix se fit entendre derrière le groupe des guerriers-serpents.

— Les Yz’undih sont coriaces mais incroyablement stupides. Ne les prends pas à la légère, Rei. Je me charge de ceux-là, je viendrai t’aider à peine fini.

Sur un toit se trouvait une femme inconnue.

Haute de près d’un mètre soixante-dix, elle avait une chevelure bleue « coiffés » —si tant est que ce terme put s’appliquer à sa coiffure— en deux couettes. Si les racines des cheveux paraissaient de composition normale, rapidement ils s’entremêlaient et se congloméraient pour devenir de la chair et former deux gueules de requins à chaque extrémité. Ces dernières se mouvaient comme des créatures vivantes, bien loin d’être de simples cheveux.

La peau écailleuse de cette femme avait par endroit une teinte blanc-grisâtre. Ses yeux étaient vitreux d’une couleur gris-bleu et paraissaient espiègles. La jeune femme à la généreuse poitrine était vêtue d’un bikini, d’un paréo bleu avec des symboles ésotériques marqués dessus. Ses mains et ses pieds étaient couvertes d’écailles de poissons et étaient palmées.

En guise d’arme, elle arborait un trident d’allure assez spécial également. On aurait dit un mélange entre un trident et un naginata : au bout d’un hampe en métal, au lieu des trois fers de lance, se trouvaient trois lames de katana. C’était une arme inédite sortie de l’imagination d’une mahou senjo.

— Oh ? Merci du tuyau. Je ne sais pas qui tu es et comment tu connais mon nom mais merci pour ton aide.

La nouvelle venue sourit et se mit à faire tourner son trident entre ses mains.

Rei ne pouvait pas reconnaître son apparence, mais sa voix lui rappelait celle d’Itsume, rencontrée quelques jours auparavant à Nagano. Néanmoins, elle n’avait aucune certitude à ce stade.

Pendant que Rei entamait son combat contre le Yz’undih, le serpent géant à deux têtes, Itsume fit face à ses nombreux opposants sans montrer le moindre signe d’inquiétude.

Les premiers à agir ne furent autres que les deux Yav’ollerh. Glissant sur leurs corps serpentins, ils levèrent leurs épées et les abattirent sur leur nouvelle ennemie.

« Shogg nnn’drn » (Bouclier des Abysses)

Itsume fit apparaître autour d’elle une bulle d’eau à la couleur particulièrement sombre ; avec un meilleur éclairage il aurait même été possible de remarquer qu’elle avait la couleur bleu foncée des eaux abyssales.

Les épées furent rapidement bloquées par cette protection qui en ralentit drastiquement la vitesse, au point qu’Itsume n’eut aucun mal à les parer.

Elle contre-attaqua en portant un coup d’estoc à l’un de ses adversaires. Contrairement à leurs épées, son trident traversa sans difficulté la bulle et vint s’enfoncer sur le flanc d’un des Yav’ollerh.

L’armure corporelle était si épaisse que les lames s’enfoncèrent à peine et n’atteignirent aucun organe important.

— Vous allez être pénible, je le sens…, marmonna la jeune femme en réarmant son coup.

En jetant un bref regard de côté, elle vit le groupe de guerriers courir dans sa direction. S’ils arrivaient au corps-à-corps, il finirait par y avoir trop d’ennemis, même pour une mahou senjo de son rang.

Les Yav’ollerth se remirent à attaquer dans l’espoir de détruire la bulle. Leurs armes s’enfoncèrent péniblement dans l’eau au point de ralentir presque à néant leur force cinétique. Leur force demeurait démentiel, des coups moins puissants ne seraient pas arrivés jusqu’à la mahou senjo à l’intérieur, il fallait réellement être surhumain pour pousser aussi loin ses attaques. De fait, Itsume ne pouvait les ignorer, elle devait s’en débarrasser avant l’arrivée des renforts.

Afin de pouvoir employer une autre capacité, elle fit disparaître sa bulle d’eau et apparaître son bouclier réactive à la place. Les attaques multiples s’écrasèrent dessus et le détruisirent. Mais au même instant :

« Mgahnnn shuggnglui ot r’lyeh ! » (Ouvrez les portes de R’lyeh )

Itsume tourna son attaque vers le groupe en approcha. Ses paroles étaient en r’lyhien, la langue de l’ennemi. Soudain, tombant du ciel, une colonne d’eau écrasa les guerriers-serpents en approche. Ils avaient commis l’imprudence d’avancer en groupe, Itsume avait saisi l’opportunité pour tous les englober dans son sortilège.

Outre l’impact direct qui brisa leurs os, la force de cette attaque résidait principalement dans la pression sous marine qu’elle exerçait. Même si la colonne d’eau n’atteignait qu’une dizaine de mètres de hauteur, la pression au sol était identique à celle de plusieurs kilomètres sous la surface des océans.

Il existait certes des serpents de mer, mais le Peuple-Serpent n’était pas amphibies, le milieu aquatique n’était pas son domaine. Les guerriers commencèrent rapidement à sentir leurs poitrines se compresser, ils crachèrent du sang et commencèrent se vider de leur oxygène.

Cependant, le combat contre les deux Yav’ollerth se poursuivait. Même sans sa barrière réactive, Itsume ne se laissa pas faire : avec une rapidité impressionnante, les gueules de ses deux couettes s’ouvrirent et vinrent mordre chacune l’un des opposants.

Ils hurlèrent de douleur, malgré leur armure corporelle épaisse les dents garnies de plusieurs rangées de dents pénétrèrent leurs chairs et arrachèrent un large morceau, provoquant une abondante aspersion de sang.

Aussitôt, cessant d’alimenter la colonne d’eau, Itsume chargea l’un des deux Yav’ollerth et enfonça son curieux trident dans le trou laissé par la morsure. Les lames ne rencontrèrent pas la même résistance qu’auparavant, elles s’enfoncèrent profondément jusqu’à atteindre son cœur.

— Voilà qui en fait un de moins.

Elle se tourna vers le second après avoir fait tourner son arme entre ses mains. Elle passa à l’offensive, attaquant conjointement avec son trident et ses couettes-requins.

Le centaure résista à l’aide de ses huit épées, mais il finit par les perdre une à une à mesure qu’Itsume le désarmait. Puis, finalement, les deux gueules de requins attrapèrent le centaure à la gorge.

Dans une tentative désespérée, le dard à l’arrière de la tête du Yav’ollerh s’enfonça dans la couette-requin qui venait de lui arracher une partie du visage.

— Bien tenté, avoua la jeune femme avec honnêteté.

La couette se sectionna d’elle-même, la tête de requin tomba au sol et se transforma en eau, emportant avec elle le poison qui venait de lui être injectée.

Itsume reforma sa couette et prit la peine d’enfoncer son arme dans le cadavre du serpent-centaure pour s’assurer de sa mort.

Il restait encore deux ennemis et non des moindres, puisqu’il s’agissait des deux sorciers.

Si Itsume l’avait pu, elle aurait aimé leur régler leur compte dès le début, puisqu’ils étaient potentiellement les plus dangereux de tous. Mais, le nombre de ses adversaires ne le lui avait pas permis.

À la place, ils avaient eu le temps de se préparer et d’achever leurs incantations en attendant le bon moment pour les utiliser.

Et ce moment venait d’arriver : l’un fit tomber du ciel une colonne de flammes tandis que l’autre projeta une sphère de liquide violacée, qui devait être du poison magique.

Leur plan était habile, ils s’attendaient à ce qu’elle utilisât à nouveau sa bulle d’eau pour se défendre, son bouclier réactif ayant été brisé quelques instants auparavant. Si elle se défendait de la sorte, le poison allait simplement se mélanger à l’eau dans laquelle elle se trouvait et qu’elle respirait et elle serait atteinte irrémédiablement.

D’un autre côté, elle ne pouvait ignorer la colonne de flammes, quelle que fût sa puissance.

Comment allait-elle se sortir de cette impasse ?

Itsume sourit brièvement. Elle avait parfaitement deviné leur plan pour la simple et bonne raison qu’elle connaissait bien leurs pouvoirs magiques des Anciens. Elle les avait étudiés.

Ses couettes-requins se redressèrent et crachèrent chacune un jet d’eau à haute pression. Le trident s’entoura d’une bulle d’eau à son extrémité.

« Cthulhu’s ah’n’ghaor » (Trident de Cthulhu)

Au lieu de faire apparaître une quelconque défense, elle misa tout sur l’attaque. Lorsque la sphère de poison arriva à portée, Itsume la frappa à l’aide de son arme.

Puisqu’elle était d’orientation mixte, elle savait à la fois utiliser les arts martiaux et la magie. Canalisant ses pouvoirs dans son arme, elle disposait d’un style de combat redoutable.

À peine le trident toucha la sphère qu’une explosion d’eau dispersa et désintégra le poison ; l’eau abyssale avait des propriétés particulières, proche des ténèbres.

Le pouvoir d’Itsume qui se nommait « Shogg Ah’lloigshogg », qui signifiait : peur des abysses. En effet, elle maîtrisait la magie des « Abysses », un mélange d’eau et de ténèbres des profondeurs marines. C’était une magie rare, mais qui correspondait à sa nature d’hybride Profond.

Les couettes-requins dissipèrent la colonne de feu et créèrent un nuage de vapeur qui masqua Itsume.

Profitant de cette occasion, elle chargea le sorcier le plus proche. Le sorcier-serpent eut à peine le temps d’opposer sa barrière défensive, sous l’effet de la surprise, qu’un enchaînement de coups de tridents et de gueules de requins s’abattit sur lui.

Tellement focalisé sur la défense, il ne put incanter de nouveau sort, mais son collègue était là pour en profiter.

Toutefois, alors qu’il commença à réciter sa formule, les deux têtes de requins se tournèrent vers lui et crachèrent à nouveau un jet d’eau sous pression.

« Myl’dri’s nwnglui, lllln’gha! » (Gueules de Myl’dri)

Outre les os brisés et le sang qu’il crachait, deux trous étaient apparu sur son corps. L’eau abyssal était particulièrement dangereuse. Il s’écroula en criant de douleur, puis quelques instants plus tard, tandis que la combat se poursuivit il cessa de s’agiter.

— Ta magie est plus lente que la mienne. Et si je te noyais sous une colonne d’eau ?

Itsume provoqua son ennemi pour l’inciter à l’erreur. Alors qu’il leva la tête pour se préparer à l’attaque, le trident détruisit la barrière et la tête du sorcier-serpent se sépara de son corps.

Il n’y avait plus de mouvement autour d’elle, Itsume n’avait été qu’à peine blessée mais elle était était fatiguée. Cependant, l’heure n’était pas au repos : le combat de Rei se poursuivait dans le bosquet voisin.

Quelques minutes auparavant…

Rei s’était bien rendue compte que le principal problème du combat qu’elle allait mener était l’environnement.

— Si je me bats ici, il va y avoir des morts, grommela-t-elle.

Kildorim répondit par un de ses habituels rugissements.

Il approuvait l’analyse de sa maîtresse, ce n’était pas un endroit propice au combat. Comme elle l’avait souligné, normalement les civils allaient s’abriter dans des refuges, les avoir à l’intérieur des bâtiments était contraignant dans le cadre d’un combat.

D’autant plus que la magie des dragons de Rei faisait appel à des créatures massives qui avaient besoin d’espace, ce qui était également le cas de son adversaire.

— Oui, attirons-le ailleurs.

Kildorim souffla une nouvelle fois son nuage de gaz empoisonné, qui semblait sans effet sur le Yz’Undih mais qui le provoqua suffisamment pour le pousser à les suivre.

Serpentant entre les bâtiments et empruntant autant que possible les rues les plus larges, le dragon et sa maîtresse parvinrent à l’orée de la forêt dans une zone où il n’y avait plus de constructions. C’est là qu’ils s’arrêtèrent.

Leur ennemi n’avait bien sûr pas prêté attention aux dégâts matériels dans sa poursuite, c’était inévitable. Il ne restait qu’à espérer qu’il n’y ait eu d’habitants à l’intérieur.

— Bon, nous pouvons enfin passer aux choses sérieuses, dit Rei.

Elle sauta de la tête de Kildorim et fit craquer ses os. Le sourire satisfait et orgueilleux qu’elle affichait à cet instant était semblable à celui de ses années de service.

Rei aimait le combat. Lorsque l’adrénaline lui montait facilement au cerveau, ses gènes de dragon (qu’ils fussent réels ou pas) se réveillèrent et son sang ne fit qu’un tour.

Il n’y avait personne, plus aucune raison de se retenir, elle pouvait se battre sans se ménager.

Le Yz’Undih s’arrêta et fit face au dragon, il poussa un cri de rage et chargea.

Kildorim, bien plus intelligent, vit l’attaque arriver sur lui. Comme tous les serpents, les morsures étaient incroyablement rapides en raison des nombreux muscles affectés aux mouvements du cou, mais son mode d’attaque était prévisible.

Keldorim bondit dans les airs et retomba avec ses pattes avant sur les têtes. Ses griffes s’enfoncèrent dans les écailles du serpent tandis qu’il l’écrasa de tout son poids, tout en le mordant à la base d’une des têtes. Le dragon des ténèbres et sa maîtresse constatèrent rapidement que la résistance de leur adversaire était incroyable, supérieure au dragon même, les griffes et les crocs s’enfonçaient à peine.

Le serpent bicéphale se releva et repoussa Keldorim de sa force tout aussi incroyable. Sans aucune difficulté il aurait pu soulever des camions remplit de marchandises et les utiliser comme des jouets.

— Ce ne sera pas du gâteau. Apparaît, Cylzruth !

Levant la main, Rei projeta dans les airs une sphère électrique de laquelle s’extirpa rapidement la silhouette d’un dragon aux écailles bleues parcourut d’arcs électriques.

Venant en aide à Kildorim, qui se défendait à présent contre les morsures, Cylzruth piqua et mordit le corps du serpent non sans se blesser en retour, en raison de diverses pointes.

Kildorim profita de ce moment de distraction pour saisir dans chaque pattes un des cous, limitant ainsi les mouvements des têtes.

Les dragons, contrairement à des wyverns ou drake, étaient dotés d’une vive intelligence mais également de pouces opposables sur les pattes avant. Ils pouvaient se déplacer aussi bien à deux qu’à quatre pattes. En combat, c’était de réels atouts.

— Va-y, Cylzrurth !

Le dragon d’électricité se mit à lacérer le serpent de ses pattes avant alors qu’il concentra dans sa gueule son souffle. Les dégâts sur le serpent étaient bien moindre, ses écailles étaient trop résistantes. Puis, malgré la constriction, son corps agile ne cessait de s’agiter.

D’ailleurs, soudain, la queue-massue du monstre frappa Cylzruth qui amortit partiellement le coup en prenant de l’altitude. Son épaule avait été touchée une des pattes avant était inutilisable.

Sans l’aide de Cylzruth, Kildorim perdit la prise et le serpent géant se libéra.

— Maintenant ! cria Rei.

Keldorim n’était plus au contact, c’était le moment idéal. Cylzruth ouvrit sa gueule et un rayon électrique bien plus puissant que la foudre traversa le serpent géant.

Malgré ses écailles et sa résistance, l’électricité circula dans tout son corps avec une violence telle qu’il convulsa quelques instants, tandis que des arcs électriques finissaient de crépiter.

Il avait assurément subi des dégâts internes.

Pendant ce petit instant de pause, Rei fit descendre Cylzruth et monta sur sa tête, les bras croisés. Elle paraissait satisfaite, jusqu’au moment où elle remarque que les précédentes blessures commençaient à se refermer.

— De la régénération ? Tsssss ! C’est un adversaire trop puissant pour juste vous deux… Apparaissez : Ilrysdor ! Sthilna !

Un monticule de terre se forma au sol et un dragon aux écailles minérales d’améthystes s’en extirpa. Contrairement aux deux précédents dragons il n’avait pas d’ailes, sa forme générale était plus trapue et sa gueule plus large.

Une boule de flamme se forma également à proximité et rapidement un dragon aux écailles rouges et orange se forma. Ses yeux brillaient et sa gueule vomissait des flammèches.

C’était la limite actuelle de Rei, elle pouvait invoquer et contrôler quatre dragon majeurs à la fois. Jadis, à l’époque où elle était à l’armée, sa limite était de deux.

Les dragons de Rei s’échelonnaient entre trois niveaux de puissance : mineurs, majeurs et seigneur.

Les premiers n’avaient pas de personnalité, pas de noms, ils avaient une orientation de combat et c’était tout ; soit ils étaient des guerriers au corps-à-corps, soit des magiciens à distance.

Les seconds avaient tous des noms et des personnalités qui leur étaient propres et même s’ils pouvaient à la fois utiliser la magie et le combat rapproché, ils avaient des particularités qui les faisaient exceller dans l’un ou l’autre. La dernière catégorie était une version supérieure encore.

Les quatre dragons majeurs encerclèrent le serpent géant.

— Sthilna, emprisonne-le. Kildorim, Ilrysdor, Cylzruth, affaiblissez-le avec votre magie !

Le dragon d’Améthyste, Sthilna, dont le nom signifiait dans la langue des dragons (une langue que seule Rei parvenait à comprendre, manifestement) « Cornes d’Améthyste », rugit et soudain la terre se mit à se mouvoir. Une conque de terre attira l’arrière-train du serpent sous terre et l’y emprisonna.

Avec sa force, ce piège ne serait que provisoire, mais Rei n’en demandait pas plus.

Kildorim, qui était blessé par les morsures du serpent et qui sentait un poison essayer d’affecter ses pensées, se mit à incanter et tendit ses pattes avant. Deux rayons de ténèbres en jaillirent et s’écrasèrent sur les écailles de son ennemi.

Au même instant, Ilrysdor, « Écailles de flammes », relâcha un souffle de flammes. Rapidement, le feu changea de couleur et passa de l’orangé au bleu.

Et enfin, Cylzrurth incanta à son tour et fit s’abattre un enchaînement d’éclairs dont le tonnerre se fit entendre à des kilomètres de distance.

Le serpent géant s’agita sous l’effet des attaques combinées, toutes provoquèrent de profondes blessures. Même s’il était résistant au feu, les flammes du souffles d’Ilrysdor étaient si intense qu’elles passèrent outre ses écailles et brûlèrent les chairs qui se trouvaient au-delà.

Mais le Yz’Undih n’avait pas dit son dernier mot. Le corps fumant et en sang, il s’extirpa de sa prison de terre et chargea droit vers le dragon d’améthyste. Il porta un violent coup de queue horizontal de tout son poids qui repoussa en arrière le dragon aux écailles minérales.

— Cylzrurth, Kildorim, on s’envole ! Ilrysdor, soutien Sthilna !

Les dragons rugirent et exécutèrent les ordres de leur maîtresse.

Les deux dragons au sol affrontaient la fureur du serpent bicéphale dont les blessures commençaient déjà à se refermer. Leur travail d’équipe était exemplaire et compensait leur infériorité physique face à si puissant ennemi.

Lorsque le serpent frappa Ilrysdor de sa queue-massue, Sthilna le chargea pour le distraire. L’un et l’autre des dragons se protégeaient de la sorte, exploitant les ouvertures que l’autre provoquait.

Cette stratégie dura quelques instants, sans la régénération les dragons auraient eu l’avantage, mais celle-ci était bien trop rapide.

— OK, on va neutraliser sa régénération, décida Rei en observant depuis les airs. Suivez mes directives !

Suivant les ordres qu’elle leur donna à cet instant, le dragon rouge saisit la queue du serpent entre ses dents ; ce dernier le souleva et l’envoya voler par-dessus son propre corps. Ilrysdor se rattrapa en battant des ailes et souffla immédiatement son redoutable souffle de flammes bleues.

Le feu était si intense qu’il vitrifia une partie du sol.

À cet instant, le dragon d’améthyste employa un sortilège et fit se lever des pics de terre du sol qui empalèrent à divers endroits le serpent géant.

Kildorim piqua depuis les airs et visa avec précision la partie du corps encore fumante ; de ses griffes et de ses crocs, il arracha de larges morceaux de chairs.

— Maintenant, immobilise-le !

Cylzruth fit tomber la foudre à nouveau, elle traversa le corps de l’ennemi et le paralysa temporairement.

Le corps raide et dressé, le serpent perdit sa capacité à se défendre pendant quelques instants.

— Il ne reste plus qu’à lui injecter ton poison, Kildorim.

Le dragon obéissant aux ordres de sa maîtresse mordit le serpent à l’endroit où les écailles avaient été retirées et souffla à bout portant son souffle empoisonné.

Rei savait que cela ne durerait pas très longtemps, leur adversaire avait une forte résistance au poison, encore plus que ses dragons, mais c’était le seul moyen de temporairement réduire les effets de la régénération biologique.

Face à des cellules qui se recomposaient très rapidement, il fallait quelque chose qui les nécrosait à égale vitesse. Le poison hémostatique de Kildorim n’était sûrement pas assez puissant mais il réduirait le renouvellement des cellules.

— Attaque totale ! ordonna Rei.

Le premier à réagir ne fut autre que Sthilna : ses crocs plus puissants que les autres dragons se refermèrent sur l’endroit déjà blessé. Il arracha encore plus de chairs et on vit apparaître les os du serpent.

Ce fut ensuite le tour de Kildorim qui déchargea au corps-à-corps un sort de ténèbres, désintégra les os mis à nus et sépara le corps immense du serpent en deux.

À ce moment-là, Cylzrurth incanta à nouveau et fit tomber de multiples éclairs du ciel visant les deux parties qui convulsèrent en cherchant à se réunir.

— OK ! Il est temps de lui montrer les vrais pouvoirs des dragons !

Ilrysdor, toujours dans les airs, créa devant lui des cercles magiques. Il souffla au travers de ces derniers et ses flammes devinrent presque blanches. Il embrasa non seulement le corps du Yz’Undih mais également une large portion de terre qui vira au rouge.

Accompagnant cet assaut, le dragon d’améthyste lança également un sortilège et engloutit le serpent dans la terre brûlante. Le souffle de feu n’ayant de cesse, le sol se transforma rapidement en une sorte de magma au sein duquel le serpent baignait.

L’effet du poison réduisit la régénération au point que le serpent commença à se dissoudre dans le magma, bientôt il ne resta plus que des os et des cendres et une terre vitrifiée.

Rei fixa quelques instants le cadavre de son adversaire et reconnut qu’il était particulièrement coriace. Une silhouette apparut à distance, celle de sa mystérieuse alliée.

— Merci les amis, ça devrait aller à présent.

Rei se posa au sol et congédia les dragons qui la saluèrent en rugissant. Puis, elle se tourna vers l’inconnue :

— Merci à toi pour ton aide.

Rei lui tendit la main, Itsume l’observa un instant, puis sourit et la saisit.

— Je suis Itsume, dit-elle en reprenant sa forme normale.

— J’avais bien reconnu la voix. Je croyais que tu avais refusé de nous aider, que tu ne voulais pas travailler avec des personnes irrespectueuses ?

Rei reprit à son tour sa forme normale.

— C’est le cas. Je suis venue vérifier quelque chose, tout simplement.

— Quelque chose ?

— Je préférerais en parler en présence des autres, je n’aime pas me répéter.

— Allons les rejoindre et explique-nous cela.

Tout en marchant…

— Contente de t’avoir parmi nous en tout cas. Tu vas accepter la mission ?

— Je pense qu’il est trop tard pour ce faire. Penses-tu que le village accepterait de me payer, de toute façon ?

Rei sourit légèrement :

— J’en doute… Je ne peux pas m’engager pour les autres, mais puisque tu m’as aidée, je veux bien partager ma part. Mais je suis sûre que Nanashi acceptera également.

— C’est fort gentil de votre part à toutes les deux, cependant ce n’est pas l’argent qui m’attire en cette nuit…

— Ah bon ?

— Et qu’est-ce donc alors ?

— Il y a des forces à l’œuvre dans cette affaire qui nous dépassent. Un Puissant Ancien tire les ficelles.

— J’en ai bien peur aussi. C’était des troupes d’invasion, pas de vulgaires pilleurs.

— J’ai peur qu’il ne soit bientôt trop tard. Il faut évacuer le village au plus vite.

Mais, à peine eut-elle achevé sa phrase que le sol se mit à trembler.

Les maisons, les arbres, les poteaux électriques, tout vibrait.

— Un tremblement de terre ? s’étonna Rei.

— Non, c’est autre chose… de pire… je le crains.

Bien plus que le sol, c’était l’air qui tremblait, ce n’était pas phénomène naturel, assurément pas.

Les deux femmes tombèrent à genoux, leurs corps devinrent incapables de soutenir le phénomène. Les autres filles dispersées dans les autres quartiers subirent le même genre de désagrément.

Pendant quelques instants tout devint particulièrement confus, les mercenaires gisaient au sol impuissantes.

Lorsque Rei leva les yeux, elle remarqua immédiatement que le ciel avait une teinte différente. De même, les montagnes qui entouraient le village avaient disparues et la température était soudainement chaude.

— Qu’est-ce qui s’est passé, bon sang ?!

— C’est trop tard, je ne suis pas arrivée à temps…, dit Itsume. Le plan de l’ennemi a abouti. Je peux d’or et déjà t’annoncer que nous ne sommes désormais plus sur Terre.

— Hein ? Mais dans ce cas, où sommes-nous ?

Lire la suite – Chapitre 4