L’armée avait mis cinq jours à faire le trajet jusqu’au village, mais elle était là.
Après avoir établi un campement sommaire à quelques kilomètres, les troupes s’étaient divisées en trois groupes pour attaquer les trois quartiers en même temps.
Cette nuit, alors qu’ils décidèrent de passer à l’attaque, le ciel décida de déverser une pluie torrentielle. C’était le genre de précipitation digne d’un climat tropical : abondante et rapide, elle ne tarderait sûrement pas à s’arrêter.
Rei se trouvait sur le toit d’une des maisons aux abords de la ville haute. L’alarme sonnait à la mairie ; la secrétaire n’avait pas menti.
Trois abris souterrains avaient été aménagés conformément à ses demandes. Rei les avait visité et, sans surprise, le plus spacieux et le mieux aménagé était celui de la ville haute, puisqu’il s’agissait d’un ancien bunker antiatomique datant sûrement de la période de la Guerre Froide.
Dans la ville basse, il s’agissait du souterrain d’un gymnase utilisé à la base pour entreposer des affaires. Ce n’était pas vraiment spacieux et il était impossible d’y vivre plus de quelques heures, au maximum une journée.
Quant à celui du quartier riverain, on n’autorisa pas Rei à y entrer, mais le maire affirma qu’il s’agissait de la cave d’une grande maison. Bien qu’elle eût trouvé cette réserve étrange, Rei n’avait pas eu le temps d’enquêter plus à ce propos.
Elle observa la masse des troupes ennemis en approche du pont de la ville haute. Contrairement à ce qui était communément admis, les Anciens n’avaient pas tous la capacité de voir dans le noir.
À moins que ce ne fut une tentative de tromperie, les troupes avançaient en portant des torches et des lanternes dont les flammes vacillaient et grésillaient sous l’effet de la pluie torentielle.
— Honnêtement, c’est pas le bon jour pour une attaque, marmonna Rei.
Si elle avait commandé cette armée — ce qu’elle désirait ne plus avoir à faire—, jamais elle n’aurait engagé ses troupes avec un temps similaire.
Soit Yig les sous-estimait complètement, soit le réseau d’information ennemi était des plus incompétents.
Avant une telle attaque, il était recommandé d’envoyer des éclaireurs, mais l’armée serpentine ne paraissait pas en comporter. Ils étaient sûrement confiants quant à leur supériorité numérique.
Le régiment n’était plus très loin, il allait s’engager sur le pont, conformément aux attentes de Rei. Tout collait à ses prévisions, y compris les effectifs adverses.
Contrairement à ces derniers, elle avait envoyé les filles espionner le camp adverse pour établir un bilan des forces en présence.
Les troupes du Peuple Serpent étaient composée de plus ou moins 180 hommes-serpents, équipés d’armures et d’armes du même type que ceux que les mercenaires avaient déjà combattues.
Il y avait également nombre de hordes de serpents qui suivaient l’armée comme des chiens entraînés au combat. Les filles avaient dénombré pas moins de trente Yav’ollerh, ces serpents centaures aux multiples bras, mais également trois Yz’undith, ces énormes serpents à deux têtes.
Parmi les monstres inconnues figuraient six serpents-mille-pattes, une sorte de mélange inconcevable entre les deux espèces animales. Itsume les avait désigné sous le nom de Yamh’agruth. Si elle n’avait pas été là aucun des Anciens n’aurait eu l’honneur d’avoir son nom connu.
D’ailleurs, selon ses propos, ce qui était plus inquiétant encore était la présence d’une Hydre. Assez identique à celle de la mythologie, il s’agissait d‘une créature quadrupède avec une multitude de têtes de serpent. Itsume avait déclaré qu’il s’agissait d’un monstre de rang Élite, même pour un groupe de mahou senjo vétéran le combattre était très risqué.
Même si les Hydre était les plus puissantes créatures composant cette armée, malheureusement, leur intelligence inexistante ne les désignait pas à la fonction de chef. Ceux qui donnaient les ordres n’étaient autres que les dix sorciers-serpents dont quatre paraissaient être des lieutenants.
Rei avait remarqué que la composition des troupes ennemis s’articulait autour de multiples de trois (sauf l’Hydre) : chaque groupe d’Ancien était divisible par ce chiffre et, pour cause, ils comptaient attaquer les trois quartiers simultanément.
Les espionnes n’avaient pas relevé la présence du Puissant Ancien Yig, comme l’avait deviné Rei — ce dont elle avait fait part à ses collègues— il ne se déplacerait pas dès les premières offensives ; lors de la Guerre de Kyûshû, cela s’était déroulé de la même façon, Cthulhu n’était apparu sur le champ de bataille qu’à la fin. Même les Anciens savaient se montrer prudents.
Tout s’était passé conformément à ses plans, un tiers de l’armée avançait vers la ville haute. Seul un petit contingent de réserviste était resté en retrait, au camp.
Les troupes de Yig s’engagèrent sur le pont. Les guerriers et les Yav’ollerh en tête.
Il allait être l’heure de passer à l’action, Rei fit craquer les os de son cou.
C’est alors qu’un fracas retentissant déchira le silence nocturne. Des cris y succédèrent…
Jusqu’à deux jours auparavant, il n’y avait pas de pont à cet endroit pour la simple raison que la ville haute n’en avait pas besoin dans sa localisation normale.
En arrivant dans cet autre monde, transposé sur une autre colline que la sienne, le quartier s’était retrouvé bien plus proche du bras de rivière qui se détachait du fleuve. Rei avait eu la conviction de pouvoir attirer l’ennemi dans un piège, elle avait fait construire à la hâte ce pont préalablement saboté.
Nombre de serpents tombèrent à l’eau, ce n’était pas le courant de la rivière ou sa profondeur qui allait les tuer mais celle qui se cachait sous les flots prête à les recevoir.
En un instant, lLa rivière se teinta de rouge alors que les guerriers-serpents et Yav’ollerth se firent déchiqueter par une forme passant sous leurs pieds, se déplaçant sous l’eau comme un oiseau dans les airs.
C’est alors que Rei sauta du toit, s’enveloppa de sa tenue d’invocatrice alors que son corps se transforma. Elle fit immédiatement appel à ses dragons et ses pieds se posèrent sur les écailles de Cylzrurth, le dragon électrique.
À ses côtés apparut également Ilrysdor et dans le ciel quatre autres dragons plus petits, des dragons mineurs aux capacités orientés sur la magie.
— Que la fête commence, les amis !
Rei afficha un sourire carnassier révélant ses dents de prédatrices. Les six dragons rugirent en écho à sa voix.
***
Itsume sortit des flots ensanglantés tel une déesse de la mort. Devant elle, les guerriers-serpents reculèrent.
La destruction du pont avait causé la panique et le désordre dans les rangs, ainsi que des pertes d’effectifs. Une trentaine de guerriers Peuple Serpent, ainsi que quatre Yav’ollerh étaient tombés dans le piège pourtant très simple. N’était-ce pas une fois de plus la preuve de leur arrogance à sous-estimer les mahou senjo et les villageois ?
Dans l’eau, entraînées par les courants, ils n’avaient rien pu faire contre Itsume dont le sang hybride était lié aux abysses océaniques.
Parfois, selon la nature du pouvoir de la mahou senjo, il arrivait qu’un élément climatique ou matériel lui donne un avantage certain et une augmentation drastique de pouvoir. C’était un peu le cas d’Itsume. Même si elle était simplement de rang A, si son adversaire n’avait pas de disposition au combat aquatique, c’était la victoire assuré.
La mahou senjo aux cheveux couleur lapis lazuli et aux couettes-requins s’avança sur la berge après son massacre, son trident étrange à la main.
— Vous voulez envahir le village, non ? Si tel est le cas, il vous faudra passer par là. Prenez donc ce qu’il vous reste de courage et venez m’affronter, si vous l’osez. Sinon repartez laper les écailles de votre maître.
La provocation était une des stratégies privilégiées d’Itsume, elle savait que cela marchait aussi bien sur les humains que les Anciens. Toute créature disposant d’un ego, une conscience unique, avait une forme d’orgueil.
Malheureusement, ses ennemis ne semblaient pas comprendre sa langue, les insultes n’eurent pas raison de leur formation. Mais la peur fit reculer les guerriers-serpents qui furent arrêtés par les six Yav’ollerh ayant échappé au piège.
— Oh ? Les grands-frères viennent aider, c’est ça ?
Les épées des centaures-serpents brillaient à la lueur des torches et des lanternes, leurs yeux fixés sur Itsume.
Soudain alors que le casque d’un guerrier tomba au sol et que le bruit retendit, les Yav’ollerh s’élancèrent vers Itsume armes en avant.
Cette dernière s’enveloppa immédiatement d’une bulle d’eau abyssale qui bloqua efficacement les dizaines de lames en amortissant leurs vitesses cinétiques. Considérant leurs forces, elle savait que ce n’était qu’une mesure provisoire, sa bulle ne tarderait pas à éclater.
Aussi, elle se glissa hors de la bulle, fit une roulade et passa à côté de l’un de ses attaquants, trop surpris pour réagir et surtout aux mains bloqués à l’intérieur la bulle, puis leva la main et fit tomber une colonne d’eau qui en enveloppa cinq sur les six.
Même les Yav’ollerh avec leur force surhumaine eurent du mal à se mouvoir tant la pression était importante, mais contrairement aux guerriers ils n’étaient plaqués au sol, inertes.
Le sixième Yav’ollerh, qui n’était pas dans la zone du sort, attaqua Itsume avec toutes ses forces. Elle se défendit à l’aide de son trident qu’elle faisait tourner tel un bâton de majorette. Même si elle était plus rapide et puissante que son adversaire, avec ses huit bras, il avait une cadence d’attaque redoutable ; Itsume n’arrivait pas à trouver une opportunité de contrer.
Les Yav’ollerh les plus proches de la circonférence du sort « Portes de R’Lyeh » commençaient à s’en extirper tant bien que mal ; ceux les plus proches du centre commençaient à étouffer et manquer de forces.
S’ils se joignaient à la mêlée, Itsume serait vite dépassée par le nombre d’attaques, elle devait se débarrasser de son adversaire au plus vite.
Sacrifiant sa défense, Itsume entra dans la zone d’allonge de son adversaire, se laissa entailler et poussa de l’avant. Elle saisit son trident par l’avant, pour le rendre plus maniable à courte portée, et l’enfonça dans le torse de son adversaire. Tout de suite, les couettes-requins d’Itsume vinrent planter leurs crocs dans la gorge du centaure-serpent, mettant fin à son existence.
Itsume se tourna aussitôt vers les deux ennemis en approche, ses blessures étaient trop légères pour s’en inquiéter.
— Ce combat semble interminable, marmonna-t-elle en faisant apparaître autour de son trident une bulle d’eau.
Plus encore que les Yav’ollerh, la vraie force offensive des forces du Peuple Serpent étaient les sorciers et le Yz’undih. Itsume ne pouvait pas se permettre d’épuiser ses forces avec du menu fretin, elle se mettrait en péril pour la suite du combat.
Cependant, elle ne pouvait ignorer le menu fretin, il n’était pas si inoffensif. Elle n’avait pas le choix, elle devait en finir rapidement.
Les deux la chargèrent en agitant leurs armes vers elle. Elle intercepta le premier en orientant ses couettes vers lui et tirant deux jets d’eau sous pression ; en plus d’être violemment repoussé en arrière, deux blessures importantes l’empêchèrent de se relever.
Quant au second, Itsume bloqua ses attaques à l’aide de sa barrière aquatique avant de lui enfoncer son trident dans le ventre. La magie, canalisée au bout de l’arme, provoqua une explosion d’eau abyssal et laissa un large trou. Les intestins du serpent-centaure se déversèrent au sol alors qu’il lâcha ses armes.
— Vous avez quand-même une sacrée force… à défaut d’avoir un cerveau. Aux suivants !
Elle confirma une fois de plus ce constat, sa barrière aquatique avait tenu bon, mais elle avait dû y consacrer beaucoup plus de magie que voulu.
Itsume bondit dans les airs en ciblant le dernier Yav’ollerh, qui glissait hors de la colonne d’eau —les deux autres ne bougeaient plus et du sang coulait de leurs gueules—, mais elle fut frappée par deux projectiles en provenance du sol. Elle s’écrasa aussitôt.
Deux guerriers-serpents, plus vétérans que les autres, avaient profité du saut pour lancer des javelots. En plein saut, impossible de les esquiver, puis Itsume n’avait pas vu venir l’attaque.
— Vous… avez du cran… j’admire. Mais ne pensez pas l’emporter, vils sacs à main !
Itsume se releva en retirant les javelots de son corps : l’un avait touché un de ses requins qui se recomposa immédiatement tandis que l’autre son épaule de laquelle coulait le sang.
Cette fois-ci, elle chargea en restant au sol et engagea le dernier Yav’ollerh avant qu’il n’ait le temps d’attaquer. Son visage semblait empreint de colère, ses coups n’avaient plus de retenus, elle fit voler immédiatement deux des épées des mains de son ennemi.
Profitant de la situation, une des couettes mordit le flanc de son ennemi tandis que Itsume trancha les bras droit d’un coup vertical de son arme, à nouveau entourée d’une bulle d’eau abyssale. Elle l’acheva en lui mordant le cou de ses couettes.
Pendant ce temps, les guerriers-serpents avaient repris confiance grâce à l’attaque des deux vétérans. Ils saisirent tous leurs javelots et pilum et les tirèrent sur Itsume.
Cette dernière utilisa le corps massif du Yav’ollerh comme bouclier.
Une colonne d’eau tomba sur les guerriers tandis que Itsume, prise d’une sorte d’euphorie du combat, fonça dans le tas. Malgré leurs efforts, ils ne purent enrayer le massacre, ils n’étaient pas de taille face à elle. Certains prirent même la fuite.
Libérée des simples soldats, Itsume fit face à une créature massive : le Yz’undih. Ce ne serait pas aussi facile contre lui…
***
Pendant ce temps, dans les airs.
À peine avait-elle prit son envol que des tirs prirent pour cible Rei et ses dragons.
Des sphères d’une énergie verte traversèrent le ciel obscur et malgré la pluie et le vent ne dévièrent pas. Mais elles ne touchèrent pas pour autant, les dragons esquivèrent.
— Ils ont une bonne portée de tir…, dénota Rei en continuant de croiser les bras
— Je crois l’avoir localisé, Princesse, dit Cylzruth.
— Ne m’appelle pas comme ça, je te l’ai déjà dit. Continuez de rester sur la défensive, il faut s’occuper de l’artillerie avant d’aider Itsume-chan !
— Comptez sur moi, Princesse !
— Tsss ! dit Rei en faisant claquer sa langue.
Cylzruth était le seul dragon des dragons majeurs à parler le langage humain. Depuis le jour de sa première invocation, il n’avait cessé de l’appeler « Princesse », elle le reprenait fréquemment à ce propos.
L’escadrille de dragons rugirent en réponse aux ordres et se mit à incanter dans un langage étrange qui devait être la langue des dragons ; des cercles magiques apparurent devant les dragons en plein vol, des barrières de protection à plusieurs couches, particulièrement solides.
Il était difficile de dire si la personnalité des dragons ainsi que leur langage étaient bien réels. Normalement, les invocations créées par les invocatrices ne s’exprimaient pas et n’agissaient qu’en suivant des ordres, quand bien même étaient-ils à même de les exécuter indépendamment.
Les dragons de Rei étaient bien plus vivants et complexe, même les analystes de l’armée n’avaient pas pu déterminer si c’était son inconscient qui les animait de la sorte ou si, comme elle le prétendait, Rei faisait réellement venir des véritables dragons d’une autre dimension.
— Cela devrait faire l’affaire. Droit sur les tireurs ! dit Rei en pointant leurs cibles.
— Affirmatif, Princesse ! Position ennemie à moins de 5 kilomètres.
— Ils ont une bonne portée de tir, même si ça ne vaut pas celle d’un M110 203mm.
En effet, ce canon d’artillerie datant d’avant-Invasion pouvait dépasser les 16 kilomètres de portée. Rares étaient les pouvoirs magiques à atteindre de telles distances puisqu’ils étaient généralement dépendants des perceptions de leurs utilisateurs.
Une nouvelle salve de sphères vertes, du plasma, se dirigea vers l’escadrille ; les tirs s’écrasèrent sur les barrières magiques. Certaines se brisèrent tant les projectiles étaient puissants.
— L’ennemi est puissant, Princesse !
— Je vois ça. Itsume-chan avait bel et bien raison, on dirait. Restaurez les barrières au plus vite !
— Entendu !
Mais alors que les dragons allaient reformer les barrières, des tirs partirent du sol sous leurs pieds.
Il s’agissait cette fois d’un boule de feu et d’une sphère d’acide liquide.
* BROOOMMMM *
Les dragons orientèrent leurs barrières pour s’en protéger, mais le vacarme fut intense. Les flammes emplissaient l’air, tandis que les barrières se brisèrent dans un tintement de verre.
— Nous sommes pris en feux croisés ? Pas bon ! dit Rei en faisant claquer sa langue et en posant la main sur la poignée de son katana. Ilrysdor, gagne-nous du temps : attaque les sorciers ! Cylzruth, lance un sort d’accélération tandis que vous autres vous continuez d’alimenter notre défense.
Les rugissements des dragons répondirent une fois de plus aux ordres. La situation ne laissait pas beaucoup de temps de réflexion, mais Rei se révéla rapide dans sa prise de décision, elle le devait à son expérience en tant que colonelle occulte de l’armée.
Une nouvelle série d’attaque ne tarda à cibler l’escadron de dragons, depuis le sol et depuis une position distante.
Ilrysdor, en sa qualité de dragon de feu, s’interposa entre les boules de feu qui provenaient du sol et sa maîtresse ; il se contenta de les encaisser sans utiliser de barrière magique, ses écailles rougeoyantes étaient résistantes aux sources de chaleur.
L’explosion de flammes et le nuage de fumée laissèrent à penser aux deux sorciers-serpents avoir vaincu leur cible, ils ne s’attendaient pas à la colonne de flammes qui leur tomba dessus.
Ils n’eurent pas le temps de protéger leurs subalternes, ils levèrent un dôme autour d’eux uniquement. Un torrent de flammes brûla vif les guerriers-serpents malgré leur résistance naturelle au feu ; leurs écailles se détachèrent de leurs peaux et la température détruisit des organes à l’intérieur de leurs corps. C’est des cadavres carbonisés qui s’effondrèrent, là où des humains auraient été réduits en cendres.
— Grooooaaaaaaa !!!
Le dragon rouge était à présent à quelques dizaines de mètres au-dessus des sorciers, il battait des ailes provoquant des bourrasques ; il les provoquait en les observant de ses yeux rouges furieux.
Grâce à leurs barrières, les deux sorciers-serpents en étaient ressortis indemne. Mais les guerriers, qui avaient eu la chance de ne pas être pris dans la colonne de feu, reculèrent de peur.
Rapidement les sorciers leur hurlèrent dessus dans leur langue sifflante et les guerriers reformèrent leurs rangs.
Pendant ce temps, dans les airs.
Rei agrippait d’une main la corne de Cylzruth. Elle donna soudain un coup de pied sur le côté droit du crâne du dragon. Il comprit immédiatement et virevolta à droite, juste à temps pour esquiver les deux projectiles de plasma.
— Il va leur falloir quelques secondes pour refaire feu, à vous de jouer !
Sur ces mots, Rei tira son épée du fourreau et la leva au-dessus de sa tête.
— Vos désirs sont des ordres, princesse !
Le dragon bleu se mit à incanter dans le langage des dragons, tandis que les quatre autres vinrent se placer devant lui en formant un carré ; chacun dressa une barrière défensive nouvellement créée.
Une énergie bleutée enveloppa les cinq dragons, puis disparut.
— Chargez !!!
Répondant par un rugissement en chœur, les dragons battirent des ailes et prirent une soudaine accélération ; c’était les effets du sort de « Vitesse » lancé par Cylzruth, il multipliait par deux le déplacement aérien des dragons à portée grâce à des courants d’air arrière qui les poussait.
Mais l’ennemi se trouvait encore à cinq kilomètres. Même avec leur vitesse accélérée, les dragons n’atteignaient que les 100 kilomètres heure. À cette allure, il leur faudrait plus ou moins trois minutes, mais encore fallait-il localiser les cibles, pour l’heure ils n’avaient qu’une direction approximative.
Rei tapotait du pied, elle était impatiente.
***
Au sol, Itsume faisait à présent face à un redoutable ennemi.
Grâce à Rei et ses dragons, les sorciers et les guerriers étaient occupés et ne la prenaient pas pour cible, elle n’avait donc qu’un seul ennemi à affronter. Malheureusement, ce n’était pas n’importe quel ennemi.
Faisant virevolter son trident entre ses mains, Itsume bondit en arrière pour esquiver l’une des gueules du Yz’undih. La blessure qu’elle lui avait infligé quelques instants auparavant venait de se refermer.
— Je ne peux pas triompher comme ça. Je n’ai pas assez de pouvoir offensif, pensa-t-elle en plantant son trident dans l’œil du serpent.
La respiration de la mahou senjo était saccadée, elle avait utilisé nombre de ses pouvoirs en peu de temps, son corps commençait à en ressentir les conséquences : ses muscles étaient faibles, sa respiration difficile et ses jambes engourdies.
Elle avait beau utiliser son « Trident de Chtulhu » et ses couettes-requins pour arracher de larges morceaux de chairs à son ennemi, c’était insuffisant. La réputation concernant la régénération incroyable des Yz’Undih n’était pas volée.
Elle n’avait pas le choix, elle devait gagner du temps et attendre les renforts. Mais tiendrait-elle jusque là ?
Esquivant une nouvelle fois la queue-massue, elle contre-attaqua. Le trou provoqué par l’explosion d’eau abyssale se referma presque instantanément. Même les morsures de ses couettes étaient guéries si vite. Sans canaliser sa magie dans son trident, sa force était à peine suffisante pour entailler les écailles.
Peu à peu ses esquives la ramenèrent au bord de la rivière où gisaient les nombreux cadavres des guerriers-serpents. Elle bloqua cette fois l’attaque conjointe des deux têtes à l’aide de son bouclier des Abysses : l’écran d’eau noir réduisit la vitesse cinétique au point de lui permettre d’esquiver.
Elle sentait ses propres mouvements de plus en plus lents. Ses esquives étaient de plus en plus risquées. Même son bouclier avait été moins efficace que la normale, elle avait failli être touchée à l’instant.
À l’oppose, les attaques de son adversaire étaient toujours aussi efficace.
Les pieds dans l’eau, elle vit la queue-massue tomber sur elle une fois de plus ; elle se jeta en arrière. L’impact fut si violent que la gerbe d’eau s’éleva à une dizaine de mètres de hauteur. Itsume fut même projetée en arrière sous l’effet de l’onde de choc.
— Saleté ! Tu veux jouer dans l’eau ?
Elle leva la main et fit tomber une colonne d’eau abyssal sur son ennemi. Contrairement aux guerriers, il se releva bien vite et de quitta la zone au prix de quelques blessures rapidement guéries.
— Tu es vraiment pénible, tu sais ? marmonna Itsume. Si seulement j’avais une attaque de zone pour t’envelopper entièrement…
Alors qu’elle fit claquer sa langue de mécontentement ses yeux vitreux se tournèrent soudain vers la rivière. Elle réalisa soudain : elle avait un arme à sa disposition. Elle aurait dû s’en rendre compte avant.
Un nouveau coup de queue déferla sur la mahou senjo inattentive. Elle eut à peine le temps d’interposer sa barrière réactive, mais elle ne tint pas le choc, elle fut percutée et projetée en arrière. Quelques-uns de ses os venaient de se briser. Son corps ricocha sur la surface de l’eau quelques fois avant de s’enfoncer dans le lit de la rivière.
Tandis qu’elle coulait en proie à la douleur, emportée par le courant, le sang s’écoula de sa bouche. L’os de son bras gauche était brisé, deux côtes avaient perforé son poumon et elle avait perdu connaissance.
Ses yeux semblaient encore plus vide que d’habitude lorsque soudain une étincelle de vie s’y ralluma. Ses paupières clignèrent.
Les lèvres d’Itsume s’arquèrent non pas pour exprimer la douleur, mais la colère et la haine. Son sourire était particulièrement inquiétant.
Elle nagea jusqu’au fond de la rivière et récupéra le trident qui était tombé de sa main. Elle distinguait la silhouette du serpent qui la cherchait sans la trouver.
Utiliser le trident à une main s’avérerait possible mais peu efficace, elle le saisit donc par l’avant à la manière d’une dague ou d’un couteau.
Ses couettes prirent une posture agressive tandis qu’elle s’accroupit et prit appui dans le sol vaseux. Elle s’élança d’un seul coup tel un espadon et jaillit de la rivière à pleine vitesse, son trident entouré d’eau abyssale.
Elle était assurément en mauvais état mais l’hypophyse sécrétait une telle quantité d’endorphine qu’elle ne ressentait plus rien. Elle était aveuglée par sa rage. Devant elle se dressait quelqu’un qu’il lui fallait vaincre, à tout prix !
Les trois lames du trident s’enfoncèrent dans l’œil du serpent avant de provoquer une explosion d’eau, creusant un vaste trou dans la tête. Lorsque la seconde tête se tourna vers Itsume, cette dernière prit appui sur le museau de celle blessée et lui bondit dessus. Il n’était plus question de se défendre, elle ne pensait plus qu’à l’attaque.
Lorsque le Yz’Undih referma ses mâchoires sur elle, une nouvelle explosion d’eau se produisit et détruisit une partie de la mâchoire supérieure.
Le regard furieux d’Itsume encore dans les airs se fixa sur celui de son ennemi ; ses couettes s’allongèrent et vinrent gober les globes oculaires du monstre.
Il se mit à s’agiter en tout sens, aveuglé.
De retour au sol, Itsume saisit le corps du Yz’Undih et, de toutes ses forces, le tira dans le fleuve. Si elle ne pouvait le démembrer, il ne restait plus qu’à le noyer…
***
Pendant qu’Ilrysdor combattait ardemment les deux sorciers-serpents, à quelques centaines de mètres du combat d’Itsume, Rei et son escadrille continuaient leur approche en direction de l’artillerie ennemie.
À force d’essuyer des tirs, les dragons avaient fini par localiser la position des deux tireurs : ils étaient entre le camp à l’orée de la jungle et le village sur une colline, cachés dans la végétation.
Il s’agissait de deux Yamh’agruth. Itsume en avait parlé aux filles suite aux rapports des espionnes.
Il s’agissait d’un mélange entre un mille-patte géant et un serpent. Leurs corps devaient mesurer plus d’une vingtaine de mètres de long et hautes de plus de trois mètres. Outre leurs nombreuses pattes, la partie avant de leur corps était recouverte de longues épines alors qu’à l’extrémité de leurs queues se trouvaient deux antennes.
Leurs gueules bien que serpentine était garnies de plusieurs rangées de crocs. Leurs yeux pédonculaires étaient placés au sommet de leurs crânes. Outre les deux antennes à l’avant également, il avait de chaque côté de leurs mâchoires deux pinces buccales capables de se planter sur sa victime, la capturer et permettre aux crocs de la déchirer.
Itsume avait bien indiqué que leur principale particularité était leurs tirs à distance qui en faisait des troupes d’artillerie.
Deux des dragons mineurs d’escorte avaient disparu, les boules de plasma avaient fini par détruire leurs barrières et les tués. Mais étant des invocations, leurs corps s’étaient simplement dissipés à leur décès.
Rei fit des signes de la main pour indiquer aux deux dragons mineurs de s’éloigner de Cylzruth, ils prirent de l’altitude et suivirent les ordres.
— À toi de jouer, l’ami. Fais tomber la foudre !
— À vos ordres, princesse !
L’ennemi n’était plus qu’à quelques centaines de mètres, le sort d’accélération n’était plus nécessaire. Cylzruth se mit à incanter et deux foudres tombèrent du ciel, chacune sur un ennemi. Les deux dragons mineurs piquèrent au moment moment sur les ennemis confus. Mais deux lames lames d’énergies les interceptèrent et les dématérialisèrent.
— Ils ne sont donc pas que deux ?
Rei avait vu les lames jaillir d’une position derrière la colline, cette attaque d’interception n’avait pas émané des milles-pattes-serpents qui étaient encore sonnés.
— Dois-je déclencher une réelle tempête, princesse ?
— Oui, bonne idée. Tu as mon autorisation.
Esquivant deux sphères de plasma, Cylzruth acheva son sortilège et piqua vers ses ennemis. Il s’arrêta tout à coup d’un battement d’ailes, s’entoura d’arcs électriques et tira de chaque patte avant un large rayon électrique sur chacun d’eux.
C’était son sort le plus puissant, chacun de ces rayons avait la puissance d’une dizaine de foudres simultanées.
Mais alors que le premier rayon atteignit sa cible, un bouclier magique protégea le second.
— Achève le premier ! ordonna aussitôt Rei.
Bien que surpris, le dragon tourna sa gueule vers le premier ennemi qu’il venait de transpercer et cracha un souffle électrique dans sa direction. Le mille-pattes fut touché de plein fouet, son corps se tordit sous l’effet du choc électrique tandis que l’arrière de son corps se désintégra.
Toutefois, la contre-offensive ne tarda pas à se faire entendre : une sphère rouge apparut devant le dragon et explosa.
* BOOOOOOOOOMMM *
La gigantesque explosion illumina le ciel nocturne et pluvieux.
Le dragon aux écailles bleues disparut, ayant encaissé trop de dégâts, tandis que la silhouette de Rei commença à chuter.
Sa barrière réactive était fissurée, elle l’arrêta. Quelques traces de brûlures recouvraient son corps. L’attaque l’avait prise au dépourvu et sans Cylzruth elle aurait été bien plus blessée encore.
— Merci, mon cher ami…, pensa-t-elle.
Avant de s’écraser au sol, elle invoqua un nouveau dragon mineur qui la rattrapa et lui permit de reprendre son envol. Cette fois, c’était un dragon taillé pour le combat rapproché, ses mouvements aériens étaient rapides et agiles.
— J’ignore ce qui est au sol, mais ce n’est pas un ennemi banal, marmonna Rei tout en continuant de s’éloigner à dos de dragon.
Elle plissa les yeux et se mit à chercher dans l’obscurité et la pluie l’ennemi qui avait provoqué cette explosion. Elle était persuadée une fois de plus qu’il ne pouvait s’agir des monstres mille-pattes, il y avait quelqu’un d’autre.
Au sol, l’un des mille-pattes-serpent s’agitait étrangement. Quant au second, gravement blessé, ne semblait pas en état de reprendre le combat de suite.
— Monte et tout de suite !
Le dragon monta aussi vite que possible jusqu’à entrer dans un cumulonimbus qui était descendu plus bas que les autres. À cet instant, le mille-pattes-serpent cessa de s’agiter et à la manière d’un porc-épic projeta les centaines de dards qu’il avait dans le dos.
Rei l’avait deviné à son comportement, elle avait réagi à temps. Néanmoins, ils ne ressortirent pas indemne de l’attaque : quelques dards se trouvaient encore plantés dans les écailles du dragon et l’un d’entre eux était encore fiché dans l’épaule de la mahou senjo.
— Du poison… Tssss ! Quelle infecte manière de se battre… Le temps est désormais compté…
Rei sentait la blessure brûler même après avoir retiré le projectile, c’était sans aucun doute l’œuvre du poison. Quel en était son effet précis ? Combien de temps lui faudrait-il pour agir ?
Elle ne pouvais le déterminer, mais une chose était sûre, il n’était plus question de ménager ses forces.
— J’aurais voulu le garder pour plus tard, en tant qu’atout dans ma manche…, exprima-t-elle d’une voix exaspérée. Tant pis, l’heure n’est plus à la demi-mesure.
Cette fois, elle fit appel à sa plus puissante invocation.
Les nuages au-dessus d’elle s’écartèrent alors qu’une sphère de lumière violette apparut et prit forme : un dragon bien plus imposant que les précédents. Ses écailles étaient blanches et dorées et il avait trois paires d’ailes dans le dos. Son rugissement en lui-même dégageait quelque chose de puissant et de majestueux.
— Désolé pour l’attente, ma reine ! dit le dragon d’une voix puissante, rauque et impérieuse.
— Vous avez tous un souci : je suis ni une princesse, ni une reine et encore moins une commandante.
— Nous ne pouvons courber l’échine et écouter les ordres d’une roturière. Vous êtes notre reine bien-aimée, prenez-en conscience.
Rei fit signe de la main et sauta sur le dos du dragon qui venait d’apparaître.
— Bref, laissons tomber pour cette fois… Bahamut, nous avons un combat à mener.
Bahamut tourna sa tête vers ses ennemis à quelques centaines de mètres en contrebas.
Les épines s’étaient réformées dans le dos du monstre et il s’apprêtait à nouveau à faire feu. Même le second, à moitié amputé, venait de reprendre ses esprits et pointait à présent ses dards de la même manière que le premier.
Les sphères de plasma étaient assurément une attaque plus puissante mais demandait un temps de recharge plus élevé, et l’ennemi était bien trop proche. D’autant que les attaques de piquants couvraient une zone plus difficile à esquiver.
— Ils ont osé vous blesser ma Reine, ils le paieront de leurs vies.
— C’est pourquoi je t’ai appelé. Je compte sur toi, Bahamut !
Le fier seigneur dragon poussa un puissant rugissement et se mit à incanter un sortilège qui le démultiplia. Plus précisément, lui et sa cavalière furent clonés en quatre fois. C’était des illusions particulièrement fidèles.
Les cinq dragons piquèrent aussitôt sur l’ennemi qui répondit en projetant ses innombrables dards. Immédiatement les dragons s’enveloppèrent d’une puissante barrière réactive et, sans dévier de leurs trajectoires, foncèrent sur leurs ennemis.
Le premier Yamh’agruth avait perdu les antennes à l’arrière de son corps, elles servaient à la visée ; il ne visa que les illusions. Le second, quant à lui, parvint à cibler le bon Bahamut : ses dards se heurtèrent à la barrière défensive qui céda sous la quantité de tirs.
Mais, c’était trop tard. Les griffes du dragon blanc s’enfoncèrent dans les chairs du milles-pattes-serpents, tandis que sa gueule vint arracher une vaste portion de chair à la base de son cou.
Avant même de pouvoir réagir d’ailleurs, Bahamut ouvrit la gueule et un rayon de lumière multicolore en jaillit, enveloppant entièrement le Yamh’agruth et le réduisant en cendres.
— Trouvé !
Grâce à la soudaine illumination offerte par le souffle, Rei était parvenue à localiser l’ennemi embusqué.
Il s’agissait d’un sorcier-serpent, mais d’un niveau de compétences supérieures à ceux rencontrés jusque lors.
Dévoilé, il tendit ses mains en direction de Bahamut et créa devant lui une sphère d’énergie noire striée de lignes blanches.
— Bahamut n’essaye pas de la bloquer. Attaque !
Le dragon inspira profondément et souffla à nouveau. La sphère noire projeta un rayon d’énergie crépusculaire qui se heurta au souffle. L’onde de choc provoquée par la confrontation des deux attaques se répandit à des centaines de mètres à travers la plaine.
Pendant quelques instants, les deux belligérants alimentèrent leur attaque pour submerger celle de l’autre.
Le dernier Yamh’agruth essaya de profiter de la situation pour mener une attaque à revers sur le dragon immobile mais deux dragons mineurs s’interposèrent. Rei était à sa limite d’invocation : un seigneur dragon et deux mineurs.
Ces derniers entrèrent en combat rapprochés contre le Yamh’agruth, prit de court. Pendant ce temps, l’affrontement entre les deux rayons titanesques s’acheva sur un match nul, les deux se dissipèrent sans causer de blessures.
Mais Bahamut ne laissa pas de temps de répit à son adversaire qu’il engagea au corps-à-corps. Le sorcier fit apparaître autour de ses mains des sphères d’acide, un sort de corps-à-corps particulièrement efficace, et s’apprêtait à les décharger sur Bahamut lorsqu’une silhouette bondit du dos de son ennemi.
Au ralenti, il leva la tête et aperçut Rei au-dessus de lui. Il n’eut pas le temps de réagir, la lame du katana s’enfonça dans ses écailles. Au même moment, profitant de son inattention, les griffes du dragon vinrent le déchiqueter.
— Vous pensez tous que les invocatrices ne peuvent pas se battre… Quelle grossière erreur !
Rei nettoya sa lame et remonta sur le dos de sa monture.
En finir avec le dernier ennemi ne fut pas difficile, aussi elle put rapidement se mettre en route vers le village pour porter assistance à Itsume.
Lorsqu’elle la rejoignit, quelques minutes plus tard, Itsume et son adversaire jaillissaient des flots après une lutte acharnée. Bahamut n’eut aucun mal à achever un ennemi à moitié noyé, à peine conscient, qui peinait se régénérer.
Le combat fini de ce côté-ci, les deux filles s’assirent sur la berge et observèrent autour d’elle le massacre.
— Nous sommes dans un tel état après juste une bataille, dit Itsume en se couchant les bras écartés.
Elle respirait difficilement et se tenait les côtes. Un humain normal aurait dû être emporter d’urgence, mais elle était une mahou senjo : ces blessures guériraient d’elles-mêmes en quelques jours.
— Ouais, je sais que ça n’augure rien de bon… Mais, avons-nous le choix ?
— Abandonner ces ingrats à leur sort ? En plus, c’est leur obstination à vouloir rester dans leur village miséreux qui est la cause de tout ça.
Itsume n’aurait pu mieux résumer la situation.
— Bah, nous serons plus efficaces la prochaine fois. Nous avons appris des choses sur leur manière de se battre, nous ne pourrons que faire mieux. Han… han… Bien joué en tout cas.
— Ouais, pareil, tu te défends bien pour un dragon.
Elles frappèrent leurs poings l’un contre l’autre dans une sentiment de reconnaissance réciproque. Cette nuit-là, sous cette pluie qui les trempait, était née leur amitié.
***
Dans un dojo à l’ancienne se tenait une silhouette féminine, une adolescente.
Elle était nue et son corps couvert de sang.
Quelques rayons lunaires entraient par la fenêtre voisine et illuminaient un long objet métallique dans sa main : un tantô, une dague, ruisselant de sang.
Le visage de la jeune femme était vide de toute émotion, il ressemblait à un masque de cire éternellement figé.
— La lune est magnifique… On dirait que l’Œil du Démon qui m’observe, marmonna-t-elle. Viens donc, esprit maléfique, montre-toi !
La fille écarta les bras invitant cet être invisible à se manifester.
— Emporte sur ton sillage ton cortège de créatures outre-tombales et affronte-moi ! Ce combat risque de devenir digne des épopées du Ragnarök. Hihihi hihihi !
Son rire était la seule chose démoniaque dans cette pièce, son regard était empli de folie.
Aucune réponse. Un silence de mort régnait dans toute la bâtisse qui l’avait vu grandir. Le cliquetis du sang qui s’écoulait de la pointe de sa lame noire et le bruit sec du shishi-odoshi dans la cour étaient les seuls bruits qui venaient le rompre…
Yotsuba ouvrit les yeux. Elle se trouvait dans les branches d’un arbre où elle s’était endormie. Sur son visage se trouvait une grosse araignée qu’elle chassa de la main. Elle s’étira et s’assit en tailleur.
À quelques kilomètres de là, elle entendait les bruits de combat et pouvait voir les luminescences de différentes explosions.
Elle avait été chargée d’une missions spéciale qui l’avait amenée à prendre position dans la jungle, derrière les lignes ennemies.
— On dirait que c’est le moment de passer à l’action, se dit-elle en se levant sur la branche et en faisant craquer les os de son cou et de ses doigts.
Elle jeta un regard au camp ennemi où il ne restait que des réservistes, soit une quarantaine de guerriers-serpents tout au plus ; les unités les plus faibles de l’armée. S’il n’y avait pas eu un peu plus loin la silhouette de l’immense Hydre de Yig, Yotsuba serait rentrée au village se plaindre auprès de Rei.
Puis, il y avait également un autre ennemi qui se trouvait sur le dos de l’Hydre, une personne que Yotsuba avait identifié comme la chef du régiment, une sorcière du Peuple Serpent.
Il s’agissait de Zellaztla, la commandante de cette troupe. Bien sûr, Yotsuba n’en connaissait pas le nom.
Elle bâilla brièvement, puis bondit de son arbre et atterrit au sol.
Elle n’était qu’à une cinquantaine de mètres du campement, dans le dos de l’ennemi, personne ne regardait dans sa direction.
Elle aurait pu en profiter pour lancer une attaque-surprise, mais à la place, elle baissa son chapeau et tira de sa manche une flûte, une kagurabue, et se mit à en jouer tout en s’avançant. Ce n’était pas tant une question d’honneur, Yotsuba ne voulait pas d’une victoire facile, c’était tout.
Les petits yeux serpentins se tournèrent tous dans sa direction, le camp fut en état d’alerte. Les guerrières tirèrent leurs armes et la sorcière pointa ses doigts vers l’inconnue.
Yotsuba cessa de jouer, rangea son instrument et les observa sans aucune expression sur son visage. Elle était prête au combat, à vrai dire elle l’était toujours.
Dans son esprit, il n’y avait rien d’autre que le combat de toute manière.
Elle posa la main sur l’un de ses katana, celui sans la garde tandis qu’un groupe de cinq guerriers-serpents la chargèrent. L’arme de Yotsuba fut la première à toucher : quatre bras et une tête tombèrent accompagnés d’une pluie de sang.
— Si vous ne faites pas mieux que ça, je risque de m’ennuyer, déclara-t-elle en posant son sabre ensanglanté sur son épaule. Kurotsubaki a soif de votre sang.
Elle parlait de son arme. Son nom signifiait « le Camélia Noir », c’était un nom élégant qui se référait à sa lame noire de jais. Son tranchant dégageait des reflets rouges. En réalité, son allure avait somme toute plus l’apparence d’une lame maudite que d’un « camélia ».
Les guerriers-serpents blessés hurlaient de douleur derrière elle, mais elle les ignorait totalement. Elle n’était pas une samouraï qui devait respecter l’honneur des vaincus en leur donnant une mort rapide, elle tenait plus du rônin sans loi ni foi.
Les autres guerriers, malgré leur surnombre, hésitèrent avant de passer à l’assaut, mais la voix sifflante et aiguë de leur chef, Zellaztla, vint remettre de l’ordre dans leur pensées. L’hostilité à l’égard de Yotsuba devint immédiatement palpable, elle couvrait la peur des guerriers-serpent mais ne l’étouffait pas.
L’Hydre de Yig, une créature imposante mais stupide, tourna une partie de ses têtes vers la mahou senjo mais ne semblait pas encore disposer à passer à l’attaque.
Yotsuba soupira, puis se mit en garde haute, une posture de combat la plus offensive dans laquelle la lame était tenue au-dessus de la tête.
On ne pouvait lire aucun doute dans ses yeux, aucune peur sur son visage, juste une froide détermination. C’était le principe fondateur de son style de combat, dérivé du Shinden Enshin Ittô-Ryû : « Ne connais pas la peur ».
Cette doctrine obligeait ses pratiquants à remettre en cause un sentiment des plus naturels et primordiaux, un mécanisme de défense du corps. Autrement dit, ce qui rendait les pratiquants de ce style de combat si redoutables était leur renoncement à la survie, ils misaient tout sur l’attaque et non la défense.
Lorsque les premiers guerriers-serpents arrivèrent à une quinzaine de mètres, Yotsuba se propulsa en avant, seule contre trente. Son esprit était parfaitement calme et lucide, aucune pensée ne le parasitait. Lorsqu’elle se battait, le monde se réduisait à sa plus minime définition : tuer ou être tué.
Le premier guerrier tenta de l’arrêter à l’aide de sa lance, mais Yotsuba l’esquiva avec une facilité déconcertante et lui trancha la gorge.
Sans marquer de pause, elle se rua sur son voisin et, dans un enchaînement de coup à une vitesse fulgurante, elle lui trancha les bras et lui entailla profondément le torse.
Les trois guerriers proches réagirent : l’un porta un coup de glaive, l’autre abattit ses griffes et le dernier porta un rapide coup de queue qui produisit un bruit aussi sec qu’un fouet.
Mais aussitôt leurs mouvements menés à terme, ils tombèrent tous les trois en même temps, coupés en deux.
Yotsuba se tenait au centre du groupe, son arme sur l’épaule : ce n’était plus le même katana qu’auparavant, il était bien plus long que la normale, c’était un nodachi.
La brutalité de cette offensive refroidit l’ardeur des guerriers restants, elle avait massacré leurs camarades avec une facilité déconcertante. Quel était donc ce monstre ?
Une sphère rouge apparut devant Yotsuba qui n’eut que le temps de dresser sa barrière réactive : une explosion se produisit.
Pendant quelques instants le combat fut interrompu par le nuage de fumée et les débris qui jaillirent en tout sens. Les têtes de l’hydre se mirent à rugir d’impatience, l’explosion avait excité la bête qui désirait à présent du sang et des entrailles pour se repaître.
Lorsque la silhouette de Yotsuba fut à nouveau visible, elle était blessée. L’explosion l’avait prise par surprise, sa barrière réactive n’avait pas tenu le coup. Son visage et ses vêtements avaient brûlés, il y avait encore de la fumée qui s’échappait de certaines parties carbonisées de son corps.
Mais son regard n’avait en rien perdu de sa suffisance.
— Je m’occupe de toi après avoir exterminé tous tes sous-fifres, dit Yotsuba. Que le grand nettoyage commence !
Aussitôt, elle se mit à charger le guerrier le plus proche.
La sorcière lui lança des boules de feu, Yotsuba les esquiva tout en courant, sa chair était parfois léchée pa les flammes mais elle ne s’arrêta pas et ne paraissait pas en souffrir.
Mais sa course fut interrompue au moment où une des boules de feu la frappa de plein fouet et la fit rouler au sol. Profitant de l’occasion de se démarquer, un des guerriers abattit son hallebarde sur elle et lui trancha le bras gauche, tandis que trois autres vinrent la saisir et enfoncer leurs crocs empoisonnés dans son corps.
Leur poison paralysant était particulièrement virulent, impossible qu’elle pût encore se battre après tout ça.
La situation semblait pour le moins désespérée, le combat de Yotsuba s’achèverait de la sorte… c’est ce que pensait tout le monde à cet instant.
Kurotsubaki changea de forme : c’était à présent un tantô.
* Slash slash slash *
Les trois serpents accrochés à Yotsuba tombèrent soudain au sol, leurs corps couverts d’entailles. Le quatrième guerrier, celui à la hallebarde, recula sous l’effet de la surprise : Yotsuba se relevait, toujours aussi impassible. Son moignon avait cessé de saigner. Couverte de sang et de blessure, on aurait bien plus dit un cadavre qu’un être humain.
— Qui… qui es-tu ? demanda dans un japonais hésitant la sorcière.
La lame entre les mains de Yotsuba reprit la longueur d’un katana. Elle se dirigea d’un pas lent vers celui qui lui avait tranché le bras. Le guerrier-serpent était pétrifié par la peur. Il n’y avait aucune explication logique pour qu’une humaine puisse encore se mouvoir après avoir reçu une telle concentration de poison.
Et il ne s’agissait pas que ce cela, les crocs des guerriers avaient arraché de larges morceaux de chair dont une partie de la gorge. La tête de Yotsuba paraissait tenir maladroitement sur un cou à moitié sectionné.
Avant d’avoir la possibilité de réagir, la lame noire se planta dans le cœur du guerrier. Le cadavre se dessécha, l’épiderme craquela et, lorsqu’il s’écroula, il ressemblait à une vieille momie abandonnée depuis des siècles.
— Je suis Muroya Yotsuba, héritière du clan Muroya et du style du même nom, se présenta-t-elle en tournant son visage vers la sorcière. Je suis la porteuse de Shikabane Muramasa et celle qui vous apportera le tenchu.
Tous constatèrent à cet instant qu’une partie des blessures de la guerrière avaient disparues. S’approchant des cadavres de ses trois précédents adversaires, Yotsuba planta sa lame dans l’un d’eux. Le cadavre se dessécha comme s’il avait été vidé de toute substance interne.
C’était le vrai pouvoir de Kurotsubaki, ou plutôt de Shikabane Muramasa, de son vrai nom. Comme toutes les lames Muramasa, il s’agissait d’une épée maudite. Elle était capable de s’abreuver des cadavres et de repousser les limites de la mort de son porteur.
En un sens, on pouvait dire que Yotsuba n’était pas plus vivante que les cadavres dont elle se sustentait. Son corps était celui d’un zombie : sans fonctions biologiques, capables de se régénérer uniquement grâce à la substance prélevée sur d’autres cadavres.
Son bras perdu se recomposa par magie, Yotsuba était prête à reprendre le combat.
Un rônin zombie porteuse d’une épée maudite, tel était Yotsuba. Sa magie très particulière portait en réalité le nom de « Rafflesia » en référence à la plante carnivore dont l’odeur de charogne attire les insectes dont elle se nourrit.
Lorsque le combat reprit, le moral des guerriers-serpents était au plus bas, rien ne semblait capable d’arrêter ce shinigami assoiffé de morts…
***
Sur le pont en pierre qui reliait la partie riveraine du village à la partie basse se trouvait une fille. Debout en plein centre, elle faisait face à un régiment de monstre, les bras croisés, le sourire aux lèvres.
— Bloquer un pont ça fait tellement scène héroïque, déclara Nanashi en tournant la tête vers la fille derrière elle.
Il s’agissait d’Inori.
— Vous… vous ne prendriez pas tout cela à la légère, Nanashi-san ?
— Héhé ! Ch’sais pas ! En tout cas, je sens qu’on va bien s’éclater !
— S’ils ne finissent pas plutôt par nous éclater, rétorqua Inori tout en blêmissant. Pitié, j’ai pas envie qu’ils me fassent subir ce genre de choses… Ouinnnn !!!
Elle se recroquevilla sur elle-même et cacha son visage en s’imaginant d’horribles tortures.
Nanashi pencha la tête de côté et l’observa un petit instant, puis décida de l’ignorer et s’avança vers ses ennemis.
Devant elle, des guerriers-serpents formaient l’avant-garde, mais des Yav’ollerh les suivaient, ainsi qu’un imposant Yz’Undith et trois sorciers qui fermaient la marche. Quelqu’un de sensé n’aurait pas choisi un affrontement direct.
— Eh les gars ! J’sais pas si vous bitez un truc de ce que j’vous dis, mais j’espère que vous serez pas décevant. C’est mon moment de gloire, faut que vous soyez au top, OK ? Dit Nanashi avec un clin d’œil. Sinon, on s’y met ?
Sur ces mots, elle fit apparaître son épée disproportionnée et massive.
— Na… Na… Nanashi-san !! Pou… pourquoi vous les provoquez ?! s’indigna Inori les larmes aux yeux.
Inori s’était presque collée à Nanashi sous l’effet de la peur, on ne sentait pas du tout la volonté de se battre en elle.
Après un temps de silence, où les deux camps s’observaient en chien de faïence, l’un des sorciers vociféra des ordres dans la langue incompréhensible du Peuple Serpent.
Les guerriers chargèrent sur la fille sans plus d’hésitation. Ils savaient bien que c’était une mahou senjo, donc une ennemie.
— Hiiiii !!! Ils arrivent !!! s’écria Inori.
Nanashi courut vers eux et, à peine fut-elle à une vingtaine de mètres, elle abattit sa lame géante. Une vague d’énergie s’en libéra et trancha tout ce qui se trouvait sur la ligne droite devant elle jusqu’à une distance de cinquante mètres.
Quelques guerriers eurent le temps d’esquiver de justesse mais une autre demi-douzaine subit l’attaque. Qui perdit un membre, qui fut couper entièrement.
Nanashi ne leur laissa pas le temps de reformer leurs rangs, tout en riant aux éclats, elle se jeta dans la mêlée. Ses attaques étaient rapides et puissantes, rien que son apparence ne pouvait laisser présager.
Ses premiers opposants n’eurent même pas le temps de réagir, ils furent vaincus avec facilité. Les suivants tentèrent vainement de lutter mais ne tardèrent à suivre leurs collègues dans la tombe.
Nanashi n’avait plus rien à voir avec celle qu’elle avait été jadis. Elle avait quitté l’armée avec un rang B, mais elle était sûrement bien plus proche d’un rang A+ à l’heure actuelle. Trois ans de combat hors de Kibou lui avaient permis de découvrir la pleine étendue de ses pouvoirs, ainsi qu’un certain nombre de révélations à son propos.
Nanashi n’était probablement pas humaine, elle l’avait découvert en Corée du sud en portant assistance à un groupe de résistantes.
L’une d’elle lui l’avait révélé :
— Mes yeux peuvent voir nombre de choses mais ton existence est nimbée de mystères, avait-elle dit dans un japonais parfait. Tu n’es pas humaine. Ces yeux ne se trompent jamais.
Mais si elle n’était pas humaine, qu’était-elle donc ?
C’était pour trouver la réponse à cette question qu’elle était revenue à Kibou. Depuis lors, elle n’avait de cesse d’œuvrer pour devenir un héros, espérant par un travail de dépassement découvrir la vérité.
Mais un certain nombre d’anciens problèmes refirent par la même surface : l’organisation secrète, qui se cachait au sein de l’armée et que Nanashi avait refusé de joindre, continuait de la poursuivre depuis son retour. Elle n’était plus la faible mahou senjo d’autrefois, elle était devenue puissante et ne les craignait plus.
Suite aux pertes qui commençaient à s’accumuler, les sorciers-serpents finirent par donner des ordres plus concrets, ils cessèrent de sous-estimer leur adversaire.
Les guerriers-serpents en tête se mirent en défense, retardant l’avancée de la furie à l’apparence humaine, tandis que la deuxième ligne utilisa des lances pour l’empaler. Le principe ressemblait à une phalange sumérienne ou grecque.
Accompagnant la formation, deux des trois sorciers commencèrent à incanter des sphères d’un liquide vert empoisonné. Ils les lancèrent sur Nanashi qui venait à peine d’esquiver la pointe d’une lance.
Elle n’avait plus le temps d’esquiver, elle ne pouvait qu’interposer sa barrière réactive.
Mais…
« Purple Melody !! »
Une barrière magique étoilée apparut devant Nanashi et intercepta les orbes empoisonnées.
Inori à quelques mètres derrière elle pointait sa baguette magique devant elle.
— Je… je protège vos arrières, Nanashi-san.
— Héhé ! Thank you, Inori-chan !! Je peux retourner à la castagne sans m’inquiéter de ma protection. T’es géniale !
Aussitôt, elle chargea en activant un pouvoir qu’Inori lui voyait pour la première fois : elle se dédoubla.
En effet, ce n’était pas une Nanashi mais bien deux qui retournèrent affronter les guerriers-serpents.
Et toutes les deux en même temps.
— Aaaaaaaaaaahhhhh !!
Elles abattirent leurs lames verticalement et projetèrent à nouveau cette vague d’énergie qui trancha tout sur son passage. Le premier rang adverse fut brisé, les sorciers à l’arrière qui incantaient à nouveau furent surpris au point de devoir s’interrompre.
Immédiatement, les deux Nanashi entrèrent par cette brèche dans la formation et commencèrent à semer mort et chaos.
Les Yav’ollerh décidèrent de passer à l’action et foncèrent sur les Nanashi en agitant leurs huit bras et huit épées.
Mais avant d’arriver au contact, une sphère verte tomba du ciel en silence et frappa de plein fouet l’une des Nanashi.
La surprise fut telle qu’elle n’eut pas le temps de dresser sa barrière réactive.
Son petit corps fut projeté en arrière dans les airs. Le clone disparut au même instant. Un second projectile allait la frapper derechef lorsque Inori hurla de toutes ses forces :
« Purple Melodyyyyyyyyy !!! »
La barrière rose, dressée à la hâte, sauva Nanashi mais fut également détruite par l’impact.
— Nanashi-san !! cria Inori en courant vers le corps allongée. Vous… vous… c’est…
Son visage ne cachait pas sa panique. Elle finit par s’agenouiller et inspecter le corps encore fumant.
La combinaison de Nanashi avait été en partie brûlée par la sphère qui l’avait frappée en plein torse, révélant ainsi sa peau blanche et soyeuse. Même si elle agissait comme un garçon, même si elle se prétendait un peu comme tel, c’était bien la poitrine d’une femme qui fut exposée à cet instant.
Les traces de brûlures la marquaient assez profondément.
— Nana… Vous… vous…
Inori commença à pleurer, ses larmes coulèrent sur le visage de sa collègue inconsciente. Son épée géante se trouvait quelques mètres plus loin. Elle avait réussi toutefois à garder sa forme de combat, ce qui était une bonne chose.
En face, les guerriers-serpents hésitaient, une sorte de trêve temporaire eut lieu alors qu’ils reformaient leur formation et reprenaient leurs forces.
— Héhé ! J’suis vivante… Kof ! Kof !dit péniblement Nanashi en toussotant du sang.
— Nanashi-san !! cria Inori. Vous allez bien ?
Nanashi se releva péniblement en se tenant le torse. Les dégâts occasionnés par cette attaque-surprise étaient considérables, une autre mahou senjo ne se serait sûrement pas relevée.
— Bien sûr ! Héhé ! Tu me prends pour qui ?
Son visage était en sueur et elle respirait profondément, mais elle ajusta fièrement sa capuche sur la tête.
— Vous… êtes sûre ? Je peux me battre seule.
— T’inquiète, je ne mourrais pas pour si peu.
À cet instant, Nanashi se retourna vers Inori, qui était encore blême, et leva le pouce en souriant à pleines dents. Malgré elle, Inori ne put s’empêcher de ressentir un pincement au cœur. Des larmes montèrent à ses yeux et elle se mordit la lèvre inférieure.
Ce n’était pas simplement de l’émotion, mais une remise en question.
Nanashi était son opposé.
Inori avait jeté l’éponge depuis fort longtemps.
Elle ne faisait que mentir aux autres et à elle-même.
Elle n’était pas une magical girl d’amour et de lumière.
Se redressant à son tour, elle serra sa baguette avec vigueur et baissa le visage.
— Je m’occupe des sorciers… Nanashi-san…
Les forces ennemis avaient commencée à se remettre en marche. L’un des guerriers-serpents foulait à présent l’énorme épée de Nanashi ; il n’y avait plus qu’Inori pour se battre dans cette situation.
Elle ne le voulait pas… Elle ne l’avait jamais voulu, par ailleurs.
Elle était une victime de ce monde de magie, y ayant été traînée de force, contre son gré.
Trahie, forcée à accomplir de mauvaises choses, elle avait perdu son innocence et sa pureté.
Inori se considérait comme un être immonde et sale.
— Si seulement j’étais morte bien avant, n’arrêtait-elle pas de penser.
Gagner ou perdre l’importait peu au fond, elle n’était qu’un petit animal apeuré et perdu qui cherchait à s’accrocher à son existence un jour de plus.
Elle était persuadée de mourir des mains de l’ennemi un jour ou l’autre, elle espérait simplement ne pas trop souffrir.
Le combat des mahou senjo était perdu d’avance. Les Anciens triompheraient tôt ou tard, elles n’opposaient qu’une résistance inutile.
— En toute honnêteté, j’aurais mieux fait de me suicider ce jour-là, pensa-t-elle en cet instant, ressassant soudain de bien funestes pensées.
L’ennemi avançait, Nanashi semblait à peine tenir sur ses jambes.
Pourquoi avait-elle décidé au juste de rejoindre ce groupe ?
Avait-elle espérer un instant que cette mission serait facile ?
Elle avait accompli trop de mauvaises actions par le passé, son âme irait sûrement en enfer ou dans un lieu similaire. Un instant, elle envisagea le baroud d’honneur.
Mais à présent que la mort approchait, elle se rendit compte qu’à travers cette mission elle avait juste chercher à tromper sa solitude. Elle voulait juste des amies, des filles qui la comprendraient.
Elle avait vagabondé tellement de temps, seule, toujours si seule, c’était la première fois que des personnes sans préjugés l’acceptaient et lui faisaient confiance.
Elle avait l’impression d’appartenir à une famille. La famille chaleureuse qu’elle avait perdue et qui l’avait trahie.
Les larmes coulèrent sur ses joues tels des torrents.
— Je devrais sûrement m’enfuir, pensa-t-elle une nouvelle fois. Mais…
Elle se positionna devant Nanashi et tendit sa baguette vers les monstres.
Elle avait changé de plan.
— Je vous protégerai ! Vous n’êtes plus en état de vous battre, laissez-moi faire !
— Ne vends pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué, Inori-chan.
La main de Nanashi se posa sur son épaule et la tira derrière elle.
— Mais…
— C’est ici que l’épopée du héros commence, Inori-chan.
Nanashi était plus petite qu’elle, mais Inori crut voir à cet instant un géant. Son dos était large et puissant. Sa volonté écrasante. Elle n’était pas une simple mahou senjo, il y avait quelque chose en elle de différent, Inori en fut convaincue.
— Il se peut qu’elle soit réellement un héros… Avec elle… même quelqu’un comme moi pourrait…
Elle étouffa les larmes qui menaçaient à nouveau de couler et secoua la tête.
— T’es une fille bien, Inori-chan. Le héros que je suis va s’occuper des sorciers et du gros vilain, je te laisse le reste…
— Mais pour les tirs des Yam’agruth ?
Elles avait déduit l’origine de la précédente attaque, Itsume leur avait expliqué. Malheureusement, la connaissance de l’ennemi ne leur permettait pas d’éviter ses tirs.
— T’inquiète. On s’occupera d’eux après avoir réglé leur compte à ceux-là.
Sur ces mots, Nanashi fit apparaître dans sa main une nouvelle épée en tout point similaire à celle qui se trouvait au sol.
Puis, activant un nouveau pouvoir, elle se mit à exhaler d’elle des particules de rouilles qui formèrent une aura autour d’elle.
Les ennemis n’étaient plus qu’à quelques mètres. Nanashi comptait sur Inori, tout ce qu’elle avait besoin était d’un passage. Elles ne se connaissaient pas depuis longtemps, mais Nanashi lui faisait déjà confiance comme à une sœur.
Ces sentiments envahirent le cœur dévasté d’Inori qui sécha ses larmes et inspira profondément.
— Nanashi ! Va-y !
Sa baguette s’entoura d’une vive lumière rose.
« Cosmos Beam ☆ Miracle Star !! »
Un rayon de lumière en jaillit et dévasta tout sur une ligne de quelques centaines de mètres. C’était l’une de ses attaques les plus redoutables de la jeune femme. L’attaque mis en péril le pont sur lequel elles se battaient, mais Nanashi sourit avec insouciance. Inori venait de lui donner ce qu’elle attendait.
— Merci, Inori-chan !
Mais Inori ne l’écoutait plus, elle était concentrée au maximum de ses capacités.
« Magial Love Wind ! »
Deux Yav’ollerh qui allaient fondre sur Nanashi se virent soudain touchés par des bourrasques tranchantes.
Sans tarder, Inori enchaîna un nouveau sortilège et une explosion de lumière rose vint pulvériser un groupe de guerriers.
Autour de Nanashi qui courait vers les sorciers, on entendait que des des explosions et des râles d’agonie. Inori donnait le meilleur d’elle.
Nanashi bondit par-dessus l’arrière-garde des guerriers, elle n’était plus qu’à une dizaine de mètres des sorciers lorsque deux sphères de plasma firent leur apparition dans le ciel. C’était le moment qu’attendaient les Yam’Agruth pour faire feu. Dans les airs, elle devenait une cible facile.
Mais cette fois, une explosion de lumière rose les intercepta en pleine course.
— Je… je ne vous laisserai pas toucher à un seul cheveux de Nanashi-san !! cria Inori en sueur.
Les trois sorciers ne comptaient cependant pas se laisser intimider pour si peu, ils projetèrent simultanément une boule de feu sur Nanashi.
— Un héros ne s’arrête jamais ! Aaaaaaaahhhh !!
Nanashi croisa les bras devant elle et décida d’encaisser les sorts.
À peine les boules de feu entrèrent-ils en contact avec l’aura de rouille que les flammes ardentes se réduisirent à de simples flammèches que Nanashi traversa sans subir de blessure.
Cinq mètres…
Les torches et autres éclairages portés par l’armée d’envahisseurs permettait à Nanashi de distinguer les silhouettes des trois sorciers, mais une masse gigantesque tomba devant elle.
Esquivant de justesse, elle vit dans son champ de vision périphérique l’Yz’Undih qui venait d’abattre sur elle sa queue-massue.
Elle contre-attaque d’un coup descendant qui coupa sans mal la queue. Puis, concentrant sa magie, elle porta un coup horizontal chargé d’énergie. Une large entaille sépara le serpent géant bicéphale en deux morceaux.
Les sorciers étaient paniqués, leur dernière ligne de défense venait d’être éliminée. Bien sûr, le Yz’Undih se restaurerait rapidement, mais les quelques instants qu’il mettrait à ce faire leur seraient fatal à tous les trois.
— Aaaaaaaaaahhhhh !!
Nanashi leva son épée et s’apprêtait à frapper l’un des sorciers lorsqu’un rayon noir jaillit des mains d’un autre sorcier plus confirmé. L’aura de rouille amoindrit un peu le choc mais le rayon crépusculaire était bien trop puissant pour être complètement annulé. Elle bloqua avec sa lame et fut repoussée en arrière de quelques mètres.
L’épée tomba en morceaux. Nanashi se trouvait à présent de nouveau devant le Yz’Undih à mains nues ; les deux parties du monstre s’étaient déjà recollées.
— Vous croyez arrêter un héros comme ça ?
Le serpent bicéphale s’approchait d’elle pour la dévorer.
Nanashi croisa les bras, les chargea de magie puis les déplia avec vigueur pour former une sorte de croix dans l’air devant elle. Son pouvoir de type [Tranchant] ne la limitait pas à l’utilisation d’épée, tout ce qui était assimilé à une attaque tranchante pouvait être utilisé.
Deux vagues d’énergie se croisèrent pour former un X et tranchèrent le torse du Yz’Undih. Le monstre déstabilisé s’effondra au sol.
— Inori-chan, je compte sur toi ! cria Nanashi en bondissant dans les airs.
Une fois de plus, les sphères de plasma la prirent pour cible. Et une fois de plus, elles furent interceptées par Inori.
L’attaque qui fit suite laissa tout le monde pantois.
Nanashi tendit les mains devant elle et tira un rayon noire crépusculaire. Le tir désintégra une grande partie du corps du serpent bicéphale, c’était une blessure sévère dont il ne régénérerait pas si vite.
Cette attaque… C’était la même que le sorcier avait utilisé quelques instants auparavant. Elle ne figurait pas dans l’arsenal d’une mahou senjo, c’était un sort d’Ancien.
De plus, Nanashi n’avait pas eu besoin de l’incanter ou de prier un Ancien.
Inori resta les yeux écarquillés quelques instants.
À peine Nanashi toucha-t-elle terre qu’elle profita de la surprise pour foncer sur le sorcier le plus proche et faire appel à une nouvelle capacité.
Défaisant son aura, elle entoura sa main de particules de rouilles et frappa son adversaire avec sa main comme si elle était devenue une épée.
Ce dernier essaya bien de se protéger avec sa barrière réactive mais la main la traversa sans difficulté et s’enfonça dans son torse, en plein cœur.
— Et de un !
Sans laisser de répit à ses adversaires, Nanashi se tourna vers le suivant. Il tremblait et dressait sa barrière défensive, injectant autant de magie que possible pour la rendre épaisse et solide, mais une fois de plus la main de la jeune femme la traversa sans mal. Cette fois, Nanashi frappa de taille et laissa une profonde blessure allant du torse à la tête.
Il ne restait plus qu’un lanceur de sortilège.
— Petite voleusssse !! vociféra-t-il. Que va-tu faire contre ça ?!
Il fit apparaître une petite sphère rouge à côté de Nanashi. C’était l’annonce d’une violence explosion, un sort de haut niveau qu’utilisaient uniquement les meilleurs sorciers du Peuple Serpent.
La jeune femme ne se laissa pas déconcerter, elle frappa de la main ouverte la sphère et lorsque l’explosion se produisit, à la grande surprise du sorcier, elle fut orientée dans sa direction. Elle ne se propagea pas à trois cent soixante degrés comme les précédentes mais forma un cône qui se retourna contre son expéditeur.
C’était une autre capacité de Nanashi découlant de son pouvoir de type [Miroir]. Tout comme elle avait pu en copier un, elle pouvait prendre le contrôle des sorts que sa main touchait. Disposer de quatre types de pouvoirs était la plus grande particularité de la jeune femme et qui en faisait un monstre même au sein des mahou senjo.
Le sorcier n’eut pas le temps de dresser une protection qu’il fut lui-même victime de son sort.
Lorsque le nuage de fumée se dissipa, il rampait à l’agonie au sol.
Deux pieds se placèrent devant lui, dans son champ de vue. Il leva les yeux pour voir le visage souriant de Nanashi et ce fut sa dernière vision.
Dans une dernière tentative de vaincre Nanashi, le stupide Yz’Undih, qui venait de plus ou moins se régénérer, se redressa et abattit ses mâchoires, mais…
« Magical Fire Prisme Hope ! »
Une boule de flammes roses explosa à la base de ses têtes et se répandit sur tout son corps.
— Je ne vous laisserai pas faire, j’ai dit !!
Nanashi vint achever l’ennemi en le sort de son alliée. Le serpent bicéphale s’écrasa carbonisé et ne se releva plus cette fois.
Mais elles n’eurent pas de répit : des sphères de plasma ciblèrent Inori dans les airs. Elle absorba en partie le choc en interposant sa barrière défensive, qui se brisa, et elle s’écrasa au sol non loin de Nanashi.
— Aïeeee !!
Ses vêtements étaient en lambeaux et son épaule saignait.
— La situation est fichue, dit-elle à basse voix en considérant le champ de bataille autour d’elle.
Il y avait encore beaucoup d’ennemis et l’artillerie étaient bien trop loin pour leurs pouvoirs. Le temps qu’elles parviennent à l’atteindre, elles auraient épuisé leur magie et seraient tombées victimes des sphères de plasma.
Mais contre toute-attente, lorsqu’elle considéra plus attentivement la situation, elle constata qu’en réalité l’ennemi était en déroute.
Avec la défaite des sorciers et du Yz’Undih, les guerriers survivants et les Yav’ollerh prenaient la fuite, ils avaient bien trop peur des deux filles.
S’ils avaient pu savoir à quel point les deux étaient à bout, probablement auraient-ils revu leur position, d’autant plus avec un appui d’artillerie si redoutable, mais la situation ne leur apparut pas de la sorte.
— Ils fuient… ? Vraiment ?
— Héhé ! On dirait qu’on a eu de la chance, Inori-chan ! Hihi !
La magical girl tourna son regard vers Nanashi qui souriait à pleine dent malgré la douleur. Elles restèrent sur leurs gardes quelques minutes encore, mais aucun tir d’artillerie ne les cible. D’une manière inattendue, elles étaient sauves.
L’ennemi avait disparu depuis un moment, lorsque finalement Nanashi s’écroula au sol.
— Na… Nanashiii !
Inori accourut immédiatement et malgré ses propres blessures inspecta le corps.
Elle n’était pas morte, mais avait repris sa forme normale. Sa main droite était brûlée de même que sa poitrine, mais ses jours n’étaient pas en péril.
— Vous en avez trop fait…
Inori s’assit au sol et soupira de soulagement. Puis elle prit la tête de son amie et la posa sur ses cuisses.
Nanashi dormait à présent paisiblement, un sourire satisfait sur ses lèvres : celui de l’accomplissement. La premier chapitre de son épopée héroïque venait de s’écrire.
— Sérieusement, je te jure ! Jusqu’où va votre insouciance au juste ?!
Elles étaient antagonistes : l’une pensait toujours à mal tandis que l’autre souriait face à la mort. Mais pourtant, Inori la trouvait si belle en cet instant.
Elle sourit avec tendresse tout en caressant les joues de Nanashi. Ce n’était pas un sourire de façade cette fois, mais ses vrais sentiments.
— Est-ce le salut existe encore pour moi ? Est-ce qu’une horrible personne comme moi à le droit de suivre une héroïne comme toi ?
Au fond d’elle, elle espérait que les réponses fussent positives : elle voulait croire en Nanashi.
***
Deux boules de feu se dirigèrent vers les deux silhouettes perchées sur le toit d’une maison à la sortie du quartier riverain.
Aussitôt, un haut mur de terre vint s’interposer et bloqua les deux projectiles de flammes.
— Ça n’en finit plus, Nion ! se plaignit Miharu.
Autour des deux filles, quelques bâtiments partiellement détruits. Devant elles, des cratères et des cadavres de guerriers-serpents et de Yav’ollerh. Les sorts de zone des jumelles s’étaient révélés très efficaces dans la première partie du combat, mais à présent elles faisaient face aux trois sorciers-serpent et à l’immense Yz’Undih.
— Ne te déconcentre pas, Miharu.
— Je sais ! Je sais !!
Dans le ciel deux sphères de plasma firent leur apparition et se dirigèrent aussitôt vers elles.
Miharu tendit la main et intercepta par le biais d’un cône de vents magiques tranchants. Les explosions embrasèrent le ciel au-dessus de leur tête, une fois de plus.
Les jumelles n’étaient pas tant blessées que fatiguées, elles avaient utilisé bien trop de mana…
Mais le combat était loin d’être terminé, elles devaient prendre sur elles.
Sans leur laisser de répit, le sorcier-serpent chef du régiment tendit ses mains et fit apparaître autour de lui des centaines de petites sphères d’une énergie verte liquide.
Elles heurtèrent le mur de pierre de Miharu. L’acide généré par l’attaque ne tarda pas à creuser des trous béants par lesquels les autres sphères d’un vert plus sombre s’engouffrèrent.
« Ten Hakkôji – 天・発光地 ! »
Miharu s’interposa devant sa sœur alors qu’une aura blanche maculée l’entoura. Elle utilisa son propre corps pour la protéger des attaques empoisonnées.
Le « Ten Hakkôji » était une barrière d’énergie yang, l’énergie de la vie. Outre sa qualité défensive contre les attaques cinétiques, elle stimulait l’organisme en le gorgeant de yang et le rendant bien plus enclin à résister aux poisons et autres toxines.
Quelques sphères d’acide parvinrent à causer quelques blessures à Miharu, mais le poison n’eut aucun effet sur elle.
Nion profita immédiatement de la fenêtre de tir offerte par sa sœur : elle posa ses bras sur les épaules de Miharu et scanda le nom de son attaque :
« Yomi Ongyôji – 黄泉・遠行地. »
À la manière de leurs ennemis, elle se mit à tirer en rafale des petites sphères noires de ténèbres, obligeant les trois sorciers à se mettre en défense et activer leurs barrières réactives.
Miharu inspira profondément et tendit à son tour les mains vers les ennemis à présent immobiles.
« Ten Nanshôji – 天・難勝地 ! »
Une tornade apparut au centre de la formation ennemi. Elle enveloppa les trois sorciers, détruisit leurs barrières défensives et les entraîna dans les airs tout en les tailladant à répétition.
Le timing de leur défense et contre-attaque avait été parfait, il n’avait pas permis à l’ennemi d’ériger de solides défenses. Seules ces jumelles pouvaient atteindre un tel niveau de synchronisation.
Il ne restait plus que le Yz’Undih, désormais à une dizaine de mètres de leur position.
Les deux filles descendirent de leur position élevée, tout en se tenant la main, et s’enfuirent dans les ruelles étroites de la partie riveraine.
— Si seulement, il n’y avait pas le serpent !!
— Il n’y a que des serpents, Miharu.
— Pffff ! C’est bien là le problème !
Elles s’engouffrèrent dans une ruelle perpendiculaire et se cachèrent dans un petit canal étroit.
Elles étaient collées l’une à l’autre, sentant leurs souffles mutuels tandis que leurs regards s’entrecroisèrent.
— Il va nous trouver ?
— Sans aucun doute.
— Nous devrions continuer de courir.
— Il n’y a pas d’endroit où nous serons à l’abri.
Miharu afficha un rictus crispé.
— Oui, tu as raison, Nion. Et tu as un plan ?
— Un seul : te défendre au péril de ma vie.
— Tu es un ange, ma Nion.
Sur ces mots, Miharu rapprocha ses lèvres et les colla contre celles de sa jumelle. Toutes les deux savaient qu’elles n’avaient pas beaucoup de temps pourtant, mais elles ne pouvaient réprimer ce besoin de tendresse au cœur d’une tempête de violence.
La pluie torrentielle cliquetait sur la surface d’eau voisine, tandis que de plus en plus de torches s’éteignaient et plongeaient le quartier dans les ténèbres et la dévastation.
— Fais-moi confiance, Miharu, dit Nion une fois le baiser fini.
— Tu n’as pas besoin de le demander, tu le sais bien. Tu es tout pour moi, Nion.
Miharu sourit à sa sœur dont le visage demeurait impassible. Cette dernière ne répondit que par une caresse sur la joue. Deux corps pour une même âme, c’était ainsi qu’elles se considéraient toutes les deux. Leur lien était bien plus profond que celui de deux sœurs, même de deux jumelles, et aucun couple ne pouvait espérer cette compréhension mutuelle.
Décidées à repasser à l’action, elles bondirent hors du canal et atterrirent sur le toit d’une maison voisine. Le Yz’Undih n’était plus qu’à quelques mètres, elles n’avaient eu qu’un bref répit. Le monstre ouvrit grandes ses mâchoires en direction des deux filles.
Nion observa le ciel nocturne, puis entraîna sa sœur en arrière pour esquiver les morsures géantes. Ce faisant, deux sphères de plasma, qui tombaient sur elles au même instant, touchèrent les deux têtes des serpents géants.
Nion l’avait plus ou moins prévu. Elle se doutait que l’artillerie ferait feu à peine réapparaîtraient-elles dans leur champ de vue ou radar.
Son pari s’était avéré gagnant. Les dégâts causés furent considérables, des morceaux entiers des têtes furent réduites en cendres, laissant le Yz’Undith se convulser de douleur.
— Maintenant, Nion !
Tendant chacune une main tout se tenant avec l’autre, elles concentrèrent une grande quantité de magie :
« Ten Fudôji – 天・不動地 ! »
« Yomi Fudôji – 黄泉・不動地. »
Un large rayon de lumière et de ténèbres jaillirent de leurs mains et brûlèrent ou désintégrèrent tout ce qui se trouvait sur leur passage, y compris les deux maisons qui se trouvaient derrière le monstre. Cette fois, il était bien trop blessé pour se régénérer, les morceaux qui restaient tombèrent mollement au sein des débris.
— Yeah !! On est trop forte, Nion !
Cette dernière ne répondit pas mais hocha la tête. Elle prit la seconde main de sa sœur et lui fit face comme si elle attendait une récompense.
Miharu l’entendit comme tel mais avant que leurs lèvres ne pussent se joindre, elles entendirent des cris et des coups de feu.
Leurs têtes se tournèrent dans la direction des bruits, elles distinguèrent dans la pénombre quatre phares de voitures. À l’intérieur de deux jeep décapotables se tenaient une dizaine d’hommes tous armés de fusils. Tout en se dirigeant vers les guerriers-serpents et les Yav’ollerh survivants qui avaient fui les jumelles, ils ouvrirent le feu.
— Hein ? C’est qui ?
— Je ne sais pas. On dirait des villageois.
— QUOI ?! Qu’est-ce qu’ils fichent là ?!
Faisant déraper leurs jeeps à quelques mètres de leurs cibles, ils concentrèrent les tirs sur le plus proche. Contrairement à des humains ordinaires, mêmes les guerriers les plus faibles du Peuple Serpent pouvaient encaisser des chargeurs entiers avant de mourir.
Il ne fallut pas loin de cinq personnes par guerrier pour en venir à bout.
— Montrons-leur de quel bois on se chauffe ! cria un homme qui apparut être le chef.
Il s’agissait de Kumagai, le vieillard vétéran de l’Invasion. Contrairement aux autres, il n’était pas armé d’un fusil de chasse mais bien d’un fusil d’assaut, un Howa 89. De même, il portait une tenue camouflage de l’armée.
— OUAAAISSS !!
Ayant abattu deux guerriers, les hommes confiants pointèrent leurs armes vers deux autres cibles. Mais, rapidement, deux Yav’ollerh profitèrent de l’occasion pour se glisser jusqu’aux voitures.
— Changez de cibles !!!
Malheureusement, même si Kumagai avait eu une formation militaire, les autres n’en l’étaient pas. Sa voix fut couverte par les bruits de tirs et nul ne put empêcher les deux centaures de retourner les jeep avec une facilité déconcertante. Face à leur force inhumaine, quelques tonnes n’étaient pas grand-chose.
— Il faut agir, Nion !
Nion acquiesça et les deux filles bondirent d’un toit à un autre en se rapprochant de la zone de combat située à plusieurs centaines de mètres.
Mais cette instant d’inattention leur coûta cher : deux sphères de plasma tombèrent du ciel et les prirent totalement au dépourvu.
— Kyaaaaaaaaaa !!!!
Elles roulèrent au sol, fumantes. Elles avaient subi diverses brûlures et saignaient.
Pour la première fois depuis le début du combat, elles étaient séparées l’une de l’autre, elles pouvaient se voir mais quelques mètres les tenaient à distance.
Pendant combien de temps étaient-elles restées allongées au sol ? Elles l’ignoraient.
Mais à peine eussent-elles repris leurs esprits qu’elles virent les véhicules en feu et les silhouettes serpentines emporter des corps humains inanimés.
— Nion ? Tu vas bien ?
— Rien de mortel.
— Il… il faut les sauver !
Miharu se tenait le bras qui avait été le principal membre touché et qui pendait mollement sur son flanc, elle se rapprocha de sa sœur. Cette dernière avait du sang sur le visage et fermait un œil.
À cet instant, s’interposant entre les voitures et les filles apparurent les deux précédents sorciers-serpents, prêts à en démordre. Leur chef s’enfuyait avec le reste des troupes, mais tous les deux comptaient bien venger la débâcle qui avait eu lieu dans leur régiment.
— Les villageois…, marmonna Miharu en tendant la main.
— Occupons-nous d’eux d’abord.
Les deux camps étaient blessés, elles n’avaient pas pris le temps d’achever les sorciers et elles s’en mordaient les doigts. Ces derniers décidèrent de changer de tactique : ils entourèrent leurs mains de magie d’acide et chargèrent les deux filles.
Cette action désespérée était motivée par le fait qu’elles ne semblaient pas être à l’aise au corps-à-corps. Mais lorsqu’ils arrivèrent à une dizaine de mètres.
« Yomi Genzenji – 黄泉・現前地 »
« Ten Genzenji – 天・現前地 ! »
Toutes les deux scandèrent le nom de leur sort en même temps. Même distantes, leurs pensées étaient toujours liées.
Nion entoura ses poings d’énormes gantelets de pierre qu’elle projeta sur son ennemi, tandis que Miharu, d’un geste de la main, projeta une bourrasque de vents tranchants.
Les deux sorciers-serpents prit de vitesse et suffisamment blessés pour ne pas interposer leurs barrières défensives s’écroulèrent aux pieds des filles.
— Idiots…
— Pas le temps, Nion ! Courons leur après !
Miharu rejoignit Nion, lui prit la main et l’entraîna à la poursuite des guerriers-serpents.
Malgré l’obscurité, elles pouvaient facilement les suivre grâce aux torches qu’ils utilisaient pour s’orienter.
Toutefois…
« Yomi Enkôji – 黄泉・焔光地 »
Nion poussa Miharu à terre sans qu’elle n’ait eu le temps de comprendre. Un mur de pierre se dressa devant elles.
Des tintements multiples, comme de la pluie sur une vitre, retentit. Nion concentrait toutes sa magie face aux milliers de dards empoisonnés qui les prenaient pour cibles.
Après quelques secondes, la barrière de pierre se brisa et une rafale d’air vint prendre la relève.
— Ni…on… Je… je te défendrai…, dit péniblement Miharu.
— Ce n’est pas ton rôle…, protesta Nion à bout de souffle.
— Nous ne sommes qu’une… je ne peux pas vivre sans toi.
La barrière de vent tenait à peine contre cette attaque discontinue.
Pourquoi l’ennemi n’avait-il pas utilisé cette attaque auparavant ? se demanda Nion.
La réponse résidait simplement dans la portée : elles s’étaient suffisamment rapprochées.
L’attaque prit fin, Miharu avait tenu bon, mais elle était en sueur et respirait de manière saccadée.
— Il faut en profiter pour contre-attaquer ! cria-t-elle à sa sœur.
— Certes, mais nous ne savons pas où ils sont.
— Zut ! Par là ! C’est forcément par là !
Miharu se basait uniquement sur la direction laissée par les dards autour d’elle. Elle indiqua le nord-est.
— Et les villageois ?
— Zut zut zut ! Nion ! On fait quoi ?!
Dans la direction à laquelle elles faisaient face, une série d’explosions illumina les ténèbres. Les jumelles s’observèrent avec surprise un instant, puis décidèrent de foncer à pleine vitesse dans la direction.
Un kilomètre plus loin, la première chose qu’elles virent ce furent les deux serpents-mille-pattes brûlés et mutilés par les explosions dont les nuages de poussière finissaient à peine de se disperser.
En se basant sur la description d’Itsume, il s’agissait sûrement des artilleurs.
Un peu plus loin, une silhouette de femme qui dessinait grâce aux flammèches résiduelles des explosions. Elle acheva les Anciens avant que leurs régénérations ne fassent effet. Elle utilisait deux wakizashi, un dans chaque main.
Rengainant ses armes dans ses fourreaux, elle se tourna vers les jumelles et avança dans l’auréole de lumière formée par de la végétation feu et dit calmement :
— Je me nomme Towatari Rika. Je suis venue vous aider.
***
Le combat de Yotsuba contre les guerriers avait été un massacre plus qu’un réel affrontement. Ses capacités les outrepassaient à tel point qu’ils n’avaient rien pu lui faire.
Elle combattait à présent contre l’Hydre. Les mâchoires de deux des têtes se refermèrent mais Yotsuba esquiva. Prenant appui sur elles, Yotsuba bondit dans les airs et atterrit sur le dos du monstre. Elle porta un coup de nodachi horizontal qui entailla deux têtes.
Mais l’Hydre était un ennemi coriace, la coupure, insuffisante pour les faire tomber, se referma aussitôt tandis que deux autres têtes se tournèrent vers Yotsuba et se mirent à souffler des flammes. L’Hydre, immunisée à cette source de dégâts, peu lui importait de se toucher soi-même.
Sa stupidité n’avait d’égal que son potentiel de destruction et sa rage.
Yotsuba bondit en arrière en interposant une barrière réactive et atterrit au sol couverte de flammèches. Elle planta son arme dans un des cadavres au sol pour restaurer les blessures qui lui avait été dispensées.
C’était une bataille entre immortels. Tant qu’il y avait des cadavres à consommer, Yotsuba ne craignait pas la mort.
La sorcière Zellaztla observait le combat avec une moue peu satisfaite. Elle finit par frapper le sol avec sa longue queue en vociférant quelque chose dans le langage sifflant du Peuple Serpent.
Elle était en contact magique avec les sorciers chef de détachement : elle connaissait la situation du champ de bataille et la débandade des ses troupes. Elle avait perdu.
Quelle chose insupportable ! Une armée aussi nombreuse mise en déroute par une poignée de filles, c’était la première fois. Elles n’étaient pas des Puissants Anciens, juste simplement des filles avec des pouvoirs. Elle aurait dû mal à se justifier auprès de son seigneur Yig…
Zellaztla n’avait jamais mis les pieds sur Terre, elle avait toujours servi Yig dans les Contrées Oniriques et ignorait totalement le potentiel de la caste des mahou senjo. Les autres Anciens l’avaient appris à leurs dépens, mais elles n’étaient si inoffensive qu’ils l’avaient pensé.
— Pour cette fois, ce ssssera tout ! dit-elle à l’intention de Yotsuba. Nous nous reverrons, mais la prochaine fois, notre combat te sssssera mortel !
Elle intima des ordres à l’Hydre qui tourna ses têtes vers sa supérieure hiérarchique avec une pointe de regret. Sa colère n’était pas encore épanchée, mais elle décida d’obéir.
— J’ai hâte du moment où je pourrais te faire ravaler tes paroles, sorcière.
Yotsuba rengaina son arme et échangea un long regard avec son ennemie. Leurs visages ruisselaient d’eau de pluie et, en raison de l’obscurité, elles ne distinguaient pas à cette distance les détails. Mais leurs intentions se heurtaient : la prochaine fois l’une d’elles mourrait, leur déclaration de duel était ferme.
Sans prendre gare à ses arrières, la sorcière remonta sur le dos de l’Hydre et tous deux quittèrent le champ de bataille en ne laissant que Yotsuba au milieu des cadavres.
— Partez donc la queue entre les jambes. Allez donc lécher les pieds de votre sire et subissez l’humiliation de votre défaite. Et que la prochaine fois, votre colère vous donne la force de m’offrir un combat digne de ce nom.
Sur ces mots, Yotsuba tira sa flûte de sa manche et se dirigea vers le village en jouant.