Dans la jungle tropicale, à l’intérieur d’un village en ruine.
Yotsuba heurta les parois d’une maison qu’elle traversa en levant un nuage de poussière. Des entailles affligeaient son corps alors qu’elle se releva ; son nodachi fermement entre ses mains.
Elle fit face à l’énorme créature qui rampait quelques dizaines de mètres plus loin.
Il s’agissait de Yig sous sa véritable apparence.
Cette fois, il n’était plus question d’utiliser un avatar aux pouvoirs réduits. Le Puissant Ancien affrontait les mercenaires avec son réel potentiel ; son honneur était en jeu.
Ce grand serpent aux écailles vertes, noires et grises avait les dimensions de deux bus articulés mis bout à bout. Sa gueule pouvait engloutir une maison entière. Sa tête, bien que serpentiforme, avait des traits évoquant ceux des humains, surtout ses yeux bleus qui brillaient de malveillance et de cruauté.
Deux bras armés de griffes sortaient de son torse de manière asymétriques ainsi que deux petites ailes à la portance insuffisante pour une telle masse. Sa queue se finissait par un dard qui rappelait celui des scorpions et qui suintait d’un liquide noire visqueux.
— Enfin un combat digne de ce nom. Il est l’heure de se donner à fond, dit Yotsuba en se remettant en position d’attaque.
L’affrontement avait commencé quelques minutes auparavant alors que les huit mercenaires étaient arrivées face au campement ennemi.
Yig n’avait pas attendu pour se montrer. Pour laver son honneur, il avait interdit à quiconque d’intervenir : il comptait s’occuper seul des huit mahou senjo.
Si elles perdaient, les troupes avaient reçu ordre d’attaquer le village, le mettre à sac et ramener les habitants en tant qu’esclaves dans la cité maudite de Yig.
Si le Puissant Ancien perdait, ils avaient ordre de battre en retraite et de ne plus jamais l’attaquer.
L’affrontement avait commencé sous leurs yeux, mais rapidement il s’était déplacé au cœur de la jungle. Aucun des guerriers-serpents ne les avait suivis, les sorcières-serpents le leur avaient proscrit et, pour cause, le pouvoir de Yotsuba. Les survivants du dernier affrontement lui avaient rapporté son étrange capacité de régénération, il avait bien compris le danger qu’elle représentait.
Le théâtre de l’ultime affrontement n’était autre que les ruines d’un village découvert par les filles non loin du temple d’Inari. D’ailleurs, les statues de renard semblaient comme darder leurs regards à travers les arbres et fixer sur le serpent géant.
— Feu !!
La voix de Rei résonna dans les airs. Aussitôt, les unités d’arrière-garde passèrent à l’offensive.
C’était le moment pour en profiter : grâce aux combattantes de corps-à-corps, la barrière réactive de l’Ancien venait de se briser.
Bahamut ouvrit sa gueule et tira son redoutable rayon de lumière arc-en-ciel. Inori, non loin, pointa sa baguette et un rayon de lumière rose en jaillit. Pour leur part, Nion et Miharu se mirent à tirer des multitudes de projectiles de lumière et de ténèbres, formant un barrage de tirs dense, impossible à esquiver.
Yig n’avait nulle intention de se laisser faire. Il ouvrit sa gueule et tendit ses deux mains et, sans recourir à aucune incantation, se mit à projeter une multitude de sphères de plasma. Elles ressemblaient à celle utilisées par les Yamh’agruth, mais leur puissance était bien supérieure.
Des explosions emplirent le ciel et la terre. Pendant quelques instants, il fut impossible de distinguer quoi que ce fût.
Les deux camps furent blessés : Yig commençait à accuser le coup, mais une sorte d’écume suintait de ses plaies et commençait à les refermer.
— On y va, les potes !
Cette fois, c’était Nanashi qui donna l’ordre d’attaque. Du point de vue de l’Ancien, c’était une guerre d’usure où il avait l’avantage, mais pour les mercenaires c’était une guerre éclair. Elles devaient continuer l’attaque et en finir le plus rapidement possible.
D’ailleurs, c’était ce qu’avait expliqué Rei avant la bataille :
« Les Puissants Anciens ont une réserve de magie illimitée. Ils ne seront jamais à cours de sorts, ne se fatigueront pas au combat et la restauration de leurs barrières magiques n’ont presque pas de temps de latence une fois détruites. Si, en plus, ils sont capables de se régénérer, c’est encore pire. En résumé, il faut frapper vite et fort et surtout ne pas lui laisser le moindre répit. »
Nanashi, le héros auto-proclamé, se mit à courir vers l’Ancien, arme au clair : elle se dédoubla, puis toutes les deux bondirent et portèrent un coup descendant à Yig. Deux entailles s’incisèrent dans les écailles de l’Ancien.
Plus ou moins en même temps, le trident d’Itsume s’enfonça et une explosion d’eau creusa un large trou béant dans les chairs.
Mais lorsque Rika et Yotsuba passèrent à l’offensive, le bouclier réactif de Yig était de nouveau en place et bloqua leurs attaques.
— Misérables !
La main griffue de l’Ancien tenta de trancher Nanashi qui bloqua en interposant son arme. La différence de force était notable, elle fut projetée en arrière sous la violence du coup. L’Ancien poursuivit son assaut, il porta une attaque circulaire de son imposante queue qui obligea ses trois ennemis à prendre de la distance.
— Évitez le feu et la glace, les jumelles ! J’ai l’impression qu’il y est immunisé ! À l’attaque !
Rei donna de nouveaux ordres en même temps que des recommandations. Sa position lui permettait d’avoir un meilleur point d’observation sur les batailles qu’elle pouvait analyser. C’était un des privilèges des invocateurs, ils se tenaient non seulement loin de la ligne de front mais n’agissaient pas directement en lançant des sorts.
Les écailles de Yig ne lui avaient paru résistante à ces deux éléments. La même stratégie d’utiliser la glace ne fonctionnerait pas deux fois.
Aussitôt les ordres reçus, Bahamut se mit à incanter et fit apparaître trois lances de pierre géantes. De leurs côtés, Inori, Miharu et Nion lancèrent leurs sortilèges : « Star Dust ☆ Rainbow ! », « Yomi Ongyoji » et « Ten Ongyoji ».
Le barrage de tirs des jumelles mirent à mal la barrière réactive que l’explosion de lumière rose détruisit en laissant le passage aux trois lances tirées par Bahamut. Ces dernières s’enfoncèrent dans la queue de l’Ancien et le clouèrent au sol.
— Bien joué, Bahamut ! Il ne bougera plus comme ça !
Mais la joie de Rei fut de courte durée, elle fut totalement prise au dépourvue alors qu’une quelque chose se déplaçant suffisamment vite pour que même son œil de mahou senjo ne parvint pas à le capter la prit pour cible.
Du sang gicla sur son visage, c’était celui d’Inori qui se tenait devant elle.
— Rei-san…
Une langue bifide lui traversait la poitrine et à la manière d’un harpon s’accrochait dans son dos.
Inori tourna son regard vers Rei : elle sourit.
Cette dernière n’eut pas le temps de lui tendre la main que le petit corps d’Inori fut tiré par la langue à une vitesse folle.
* Gloups *
Le serpent la goba sans que personne n’ait eu le temps d’intervenir. Les regards des mercenaires s’écarquillèrent, elles étaient remplies d’horreur.
— Qu’est-ce que… ?
— Comment ?
Elles n’eurent que le temps de se poser ces questions que tout à coup la tête de Yig explosa de l’intérieur. Une explosion de lumière rose les aveugla, tandis que les chairs de l’Anciens furent désintégrées.
Inori chuta, Nanashi la rattrapa dans ses bras et s’éloigna aussitôt du combat.
Même sans sa tête, Yig continuerait de bouger et de se battre.
— Eh oh ! Ma pote ! Tu vas bien ?
— Vous… avez de drôles de… questions… Nanashi-san…
Inori souriait malgré sa blessure et la bave qui la recouvrait. Plus encore que le trou dans son torse, c’était à présent le poison qui la parcourait qui était le principal problème.
— T’inquiète, c’est qu’une égratignure, dit Nanashi en continuant de la tenir dans ses bras.
Elle leva le regard vers Rei. Elles n’eurent pas besoin de parler pour se comprendre.
— C’est le moment où jamais ! Assaut total !
Rei grinça des dents au point de faire couler du sang des gencives et ses lèvres. Elle était inquiète pour Inori, elle voulut accourir, remercier sa sauveuse et tenter de la remettre sur pied, mais elle était la chef et l’occasion qui se présentait était idéale. Si les mercenaires ne la saisissaient pas, il n’y en aurait peut-être pas d’autres. Rei enfoui ses sentiments et endossa son rôle de circonstance.
Nanashi envoya son double rejoindre l’assaut, mais son autre elle resta auprès d’Inori.
— J’vais tenter de te soigner. Ch’sais pas si ça marche !
Elle lâcha son arme et serra contre elle le corps d’Inori. Elle activa son aura de rouille. Les particules les enveloppèrent toute les deux.
Si le poison était d’origine magique, il avait des chances qu’ils soit neutralisé par la rouille…
Nanashi y mit tout son cœur, elle maintint l’aura un certain temps, jusqu’à sentir la main d’Inori sur sa poitrine.
— C’est… bon… tu peux arrêter…
— Ça marche ?
— Ouais… Grâce à toi… ça va mieux…, dit Inori avec un sourire douloureux.
— Cool !
— Va les rejoindre, elles ont besoin de toi…
— Ça marche ! Mais j’reviens aussi vite que possible !
Le visage de la magical girl était pâle mais elle semblait tirer d’affaire. Elle sourit à Nanashi :
— Je… vais… me reposer un peu…
Sur ces mots, elle ferma les yeux et reprit sa forme normale.
Nanashi, fière d’elle, lui fit une caresse sur le visage, puis disparut pour réintégrer son corps principal. Toute cette opération lui avait malgré tout coûté une certaine quantité de mana.
***
Yotsuba portait une série d’attaques si rapides que Yig n’eut pas le temps de toutes les contrer. Le corps de l’Ancien se recouvrit de nouvelles entailles, son sang s’écoulait.
Dans un mouvement brutal qui lui coûta nombreuses écailles et morceaux de chairs, Yig tira sur sa queue la déchirant sur les pics rocheux qui la retenaient prisonnière. Puis, sans tarder, il l’abattit sur Yotsuba.
Cette dernière n’eut que le temps d’interposer son bouclier réactif, l’attaque était si rapide qu’elle fut projetée en arrière et détruisit une nouvelle maison en ruines.
Itsume tenta à son tour d’attaquer. Elle ignorait comment Yig pouvait encore les percevoir alors qu’il n’avait plus de tête. Probablement ne le pouvait-il plus, se dit-elle, il n’avait fait que contre-attaquer Yotsuba après avoir subi des dégâts.
Mais, alors qu’elle dirigeait son trident vers l’un des bras du serpent, ces derniers lui tirèrent deux sphères de plasma.
Elle dût interrompre sa progression. Elle s’apprêtait à faire apparaître son bouclier des Abysses lorsqu’une silhouette s’interposa :
— Je m’en occupe !
Nanashi fit apparaître une aura lumineuse entre ses mains : elle renvoya une des sphères à l’envoyeur, tandis que la second partit trop haut et le rata. L’Ancien fut carbonisé par sa propre attaque qui le prit par surprise.
De son côté, en raison de la puissance des sphères, les mains de Nanashi gardaient de légères brûlures qui remontaient sur ses avants-bras.
— Va-y !
Profitant de l’occasion, Itsume chargea le serpent géant. Ses trois lames perforèrent difficilement les écailles mais aussitôt l’eau s’infiltra dans la blessure et provoqua une explosion de l’intérieur. Un nouveau trou béant se creusa dans ses chairs et le bras gauche de Yig tomba au sol.
Aussitôt le droit s’abattit sur Itsume qui fut contrainte de reculer.
Apparaissant de nulle part, Rika engagea le combat au corps-à-corps. Après une rapide série d’attaques à l’aide de ses wakizashi, qui s’avéra moins efficaces que voulu, elle employa la clef d’argent pour libérer les attaques que Yotsuba avait mise en boîte avant la bataille.
Cette fois, elle infligea de lourds dégâts. Mais, immédiatement, un coup de queue circulaire vint la prendre pour cible. Rika se téléporta de justesse pour l’esquiver ; c’était l’une de ses défenses habituelles.
À peine réapparue, elle vit fondre sur elle une ombre gigantesque. D’une manière ou d’une autre, l’Ancien était parvenu à deviner sa localisation ; ses griffes s’abattirent sur elle.
Il était trop tard pour sa téléportation ou pour essayer de mettre en boîte l’attaque à l’aide de sa clef d’argent, elle ne pouvait plus qu’encaisser avec son bouclier réactif. Considérant la force, cela ne suffirait sûrement pas.
Mais, Yotsuba s’interposa et porta un coup ascendant pour bloquer la main griffue. L’impact provoqué par ces deux puissances titanesques provoqua une violente onde de choc, qui aveugla momentanément Rika.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle vit le corps de Yotsuba séparé en deux au niveau de la hanche, chaque partie gisant à quelques mètres.
Rika inspira pour prendre son calme, elle savait que Yotsuba n’était pas morte, et lança son sortilège :
« Clef d’argent ! »
Lorsque l’Ancien reprit l’assaut, les griffes percutèrent la barrière magique argentée qui protégea Rika en absorbant l’attaque. Elle fit pareil pour les deux coups suivants.
— C’est quoi cette puissance ?! s’écria-t-elle.
Normalement, elle pouvait stocker jusqu’à vingt attaques physiques, mais celle de Yig étaient si puissantes qu’au bout de la troisième elle venait d’atteindre sa limite. Sa magie n’était pas assez puissante pour faire face à un monstre pareil.
Elle les libéra immédiatement avant d’en perdre le contrôle. En même temps, Nanashi tira une onde d’énergie sur l’Ancien. Mais les deux assauts furent bloqués par la barrière réactive de Yig.
— On peut réellement en finir avec lui ?! s’indigna timidement Rika.
Elle commençait à perdre espoir. Le corps de Yig était en piteux état, mais il se battait encore comme un diable. De plus, il régénérait déjà, il ne faudrait pas plus de quelques secondes pour que sa tête soit à nouveau intacte.
À l’opposé de Rika, il y en avait une qui n’avait pas perdu espoir.
— Je vais briser sa protection !
Nanashi entoura son arme de particules de rouilles et frappa de toutes ses forces. Détruire des barrières était l’une de ses spécialités.
— Bahamut !
La voix de Rei se fit impérieuse. Un flash de lumière, puis un rayon multicolore s’abattit sur le serpent géant et le désintégra en partie, réduisant à néant les efforts de sa régénération.
En même temps, les jumelles s’embrassèrent et activèrent leur fusion. C’était la carte maîtresse des mercenaires.
Après avoir levé sa main en direction du soleil, leurs voix superposés prononcèrent le nom de leur sort :
« Bodai Ongyouji – 菩提・遠行地 !! »
Un rayon crépusculaire particulièrement puissant jaillit de ses mains et déferla sur l’Ancien.
Pendant quelques instants, toutes les filles furent repoussées en arrière par l’onde de choc et durent se couvrir le visage.
Le résultat de l’attaque était dévastateur : un large cratère profond de quelques mètres se trouvait à l’endroit où se tenait Yig auparavant.
— Nous avons réussi ? demanda timidement Rika.
— On dirait bien ! Héhé ! Rien ne nous résiste à nous aut’ !
— Si après ça, il n’est pas mort…
Dans les airs, les jumelles qui étaient toujours fusionnées prirent une pose de victoire.
— Vous avez vu notre puissance ? Haha haha !
— Nion, Miharu ! cria Itsume en tendant sa main vers elles.
Elle projeta deux jets d’eau par ses couettes pour les protéger, mais c’était déjà trop tard.
Une créature de taille humaine cette fois, un serpent ailé avec deux bras, assez similaires à ceux de Yig, planta ses crocs dans la jambe des deux filles.
« Bodai Fudouji – 菩提・不動地! »
Faisant apparaître une épée de lumière dans sa main, la forme fusionnée de Nion et Miharu trancha en deux le « petit Yig ».
Du moins, c’est ce qui aurait dû se passer, mais l’épée frôla le serpent et le rata.
La vue de la mahou senjo s’était troublée. Le poison qui coulait dans ses veines était des plus mortels. Il n’existait probablement pas de poison plus redoutable que celui-ci, même parmi les Anciens.
La fusion s’arrêta et les deux filles tombèrent du ciel à bout de force.
— Ce poison ! Bahamut ! Il faut l’amener à terre pour l’achever !
— Entendu, ma Reine !
Le dragon fonça sur le serpent ailé et faisant fi des coups de griffes qui lacérèrent son poitrail et de la morsure qui lui ouvrit la gorge, il saisit les ailes du serpent et les arracha avec brutalité.
Puis, il planta ses griffes et piqua rapidement vers le sol avec sa prise.
Rei sauta au dernier instant et se rattrapa en glissant au sol ; elle heurta le mur d’une maison.
— Je ne sais pas comment il a fait, mais ce petit c’est Yig ! Il faut l’achever et vite !
La crainte de Rei était qu’il ne finisse par reprendre sa précédente forme.
Ce n’était qu’une théorie, mais pour survivre à l’attaque des jumelles, Yig avait sacrifié son enveloppe principale pour en reformer un plus petit. Ou alors le petit Yig se trouvait depuis le début à l’intérieur du corps.
Quoi qu’il en fût, lui laisser du temps était prendre un risque important qu’elles ne pouvaient se permettre.
Les jumelles, en pleine chute, reprirent leurs esprits et activèrent leur pouvoir de vol. Collées l’une à l’autre, elles hochèrent de la tête :
— Notre dernière attaque !
— N’en ratez pas un seul instant !
Elles avaient compris les intentions de Rei. Bahamut retenait Yig pour que toutes puissent le cibler. Il n’était pas question d’épargner le dragon, quand bien même cela chagrinait sa maîtresse.
« Ten Fudôji – 天・不動地 ! »
« Yomi Fudôji – 黄泉・不動地. »
Aussi, les jumelles réitérèrent leur attaque par le biais d’un rayon de ténèbres et un autre de lumière. Il n’était pas aussi puissant que le précédent, n’étant pas fusionnées, mais ils frappèrent Yig et Bahamut de plein fouet en provoquant une nouvelle onde de choc terrible.
Après cette action d’éclat, elles s’écrasèrent dans une des maisons en ruine, l’une dans les bras de l’autre.
Nanashi et Itsume, remarquant une silhouette sortir du nuage de poussière, chargèrent toutes les deux en même temps. La première entoura sa lame de particules de rouille et commença à ruer la barrière réactive de Yig de coups. Rapidement, elle la brisa et laissa Itsume prendre la relève.
Sous sa petite forme, Yig était devenu très rapide et agile. Avant même qu’elle ne put frapper, Yig bondit sur Itsume et s’enroula autour d’elle.
— Saleté !
Les deux couettes mirent la tête en morceaux avant que l’Ancien ne put planter ses crocs, mais le reste du corps continua d’exercer sa force dans la constriction.
— Aaaahhh !
Serrant les dents, Itsume sentit ses os émettre des grincements douloureux. Yig était en train de lui broyer les os et de l’étouffer…
***
Au sol, Inori tourna son regard sur Yotsuba.
La fière guerrière morte-vive était allongée incapable de faire autre chose que de ramper. La moitié inférieure de son corps absente, elle ne pouvait pas se déplacer correctement.
Sans un cadavre à siphonner, elle ne pouvait pas se recomposer aussi facilement.
— Yo…tsuba…san…
— Vous semblez en piteux état, Inori-dono.
— C’est… le moins qu’on… puisse dire…
— Attendez, je vais vous aider.
— Inutile… je… n’en ai plus pour longtemps… Le poison… il est…
Malheureusement, le teint livide d’Inori ne laissait pas beaucoup de place au doute. Elle avait menti à Nanashi, elle s’était rendue compte qu’il était trop tard pour elle ; il valait mieux que cette dernière garda ses forces pour aider les autres à combattre Yig.
Yotsuba ne put que l’observer avec expression emplie de pitié.
C’était la première fois dans sa vie qu’elle éprouvait cet étrange sentiment. Elle avait mal au cœur et sentait sa gorge serrée. Elle avait toujours avancé en pensant que les faibles n’avaient pas à survivre, que seuls les forts devaient vivre.
Mais, auprès de ces filles, elle avait trouvé quelque chose de nouveau.
— Yotsuba…san… Vous… n’êtes pas seule…
— Vous devriez économiser vos paroles.
— Non… il vaut mieux… que quelqu’un m’entende avant… que je ne me taise à jamais… Je… j’ai vraiment été… heureuse…avec vous toutes… même si ce fut trop court… Je… Remercie les autres… pour moi…
— Elles seront plus heureuses si vous le faites vous-même.
— C’est impossible…
Les larmes se formèrent dans les yeux de la mourante même si elle affichait un sourire radieux.
— Yotsuba… va… les aider… Utilise-moi…
— Tu…
— Fais-le… J’espère… vous revoir… dans une autre vie…
Sa voix de plus en plus faible se tue et ses yeux se fermèrent pour ne plus jamais se rouvrir.
Yotsuba attendit quelques instants. Ces fines lèvres ne s’agitaient plus. Aucun souffle n’en sortait. Autour d’elle, le combat se poursuivait plus féroce que jamais. Elle entendait des cris, ceux de ses amies.
Les larmes ne montaient pas à ses yeux, mais la douleur dans sa poitrine devint plus lancinante.
— Je suis un cadavre… Mais, auprès de vous, j’ai appris à imiter les humains.
Elle baissa sa tête respectueusement et caressa la joue d’Inori.
— Vous ne serez pas seule longtemps, mon amie.
Sur ces mots, elle planta sa lame maudite dans son ventre du cadavre et commença à en aspirer les énergies mortuaires.
***
Nanashi leva son épée dans l’intention de l’abattre sur l’Ancien mais dût arrêter son mouvement à mi-chemin ; il tenait à présent un otage.
— Tssss ! Espèce de lâche !!
Elle lâcha d’une main son arme et frappa à main ouverte, plus précise qu’une épée. Mais elle réalisa bien vite que même sous cette forme les écailles de Yig étaient particulièrement solides. Elle les entailla à peine.
— Merde !
Elle voulut s’acharner dessus mais l’une des mains griffues de l’Ancien contre-attaqua et lui taillada le torse.
— Ce n’est pas fini !!!
Nanashi retourna à l’assaut pour sauver son amie qui commençait à manquer d’air au point de ne plus arriver à utiliser ses couettes-requins. La tête de l’Ancien avait fini par se régénérer à mesure que les morsures s’étaient estompées.
La main de Nanashi se heurta à une barrière réactive. De nouveau !
La vitesse de restauration de la barrière, mais aussi la régénération était vraiment incroyable, comme l’avait dit Rei, digne du Puissant Ancien qu’il était.
— Je… j’vais te tuer !
Nanashi entoura son épée de rouille et frappa de toutes ses forces la barrière qui vola en éclat. C’était l’instant qu’attendait Yig pour lui planter son dard dans le ventre.
Nanashi observa son ventre et sentit le poison foudroyant en elle…
Mais elle n’en avait pas fini : elle devait sauver Itsume, coûte que coûte !!
Elle ne la laisserait pas mourir sous ses yeux !!
Prenant la queue d’une main, elle la trancha à l’aide de son épée avant de tomber à genoux.
Elle cracha du sang et activa son aura de rouille. Puisqu’elle était la cible du poison, son aura agit plus efficacement et en dissipa entièrement la magie ; elle ne subirait pas le même sort que la pauvre Inori.
Néanmoins, même sans l’enchantement magique, le poison restait de taille à handicaper temporairement une mahou senjo. Ses muscles se raidirent et sa vue se troubla.
* Crac *
Plusieurs os d’Itsume finirent par se briser. Elle tenta de pousser un cri, mais aucun son ne sortait plus de sa gorge. Elle était sur le point de tomber inconsciente lorsqu’elle sentit l’étreinte se relâcher.
* Kling *
Un tintement métallique résonna sur le champ de bataille.
Yig tomba au sol tranché en plusieurs anneaux. Une attaque verticale l’avait coupé de haut en bas.
La lame noire de Shikabane Muramasa entra dans le champ de vue d’Itsume.
Elle venait de se briser, sa pointe partit en arrière en tournant sur elle-même tel un disque.
Yotsuba afficha un dernier sourire soulagé.
— Ce fut un honneur. Nous vous laissons la suite… mes amies.
Il n’y avait aucune tristesse dans son regard, ni aucune peur. Yotsuba était la digne détentrice du style Shinden Enshin Ittô-Ryû, elle ne connaissait pas ce sentiment et ne regrettait pas sa vie.
Elle s’effondra à terre et redevint un simple cadavre inanimé.
— Nana-chan ! Prends Itsume et Yotsuba !
Avec une expression pleine de colère, Rei donna cet ordre à son amie. Elle n’arrivait plus à se contenir.
Aussitôt, elle poussa un hurlement enragé digne d’un dragon.
Son corps entier se mit à émettre une lumière bleutée.
Puis…
Il commença à muter. Ses bras se recouvrirent entièrement d’écailles et des griffes poussèrent au bout de ses doigts. Une paire d’aile membraneuses poussa dans son dos. Une queue s’agitait à présent dans son dos et sa paire de cornes s’était considérablement allongées.
Rei n’avait pas pensé que la colère la marquerait à ce point, elle avait vu ses subalternes tomber les unes après les autres.
L’image d’une femme aux cheveux mi-longs attachés en queue de cheval était apparue dans ses rétines. Elle était un spectre du passé : Samukaze Sakura, l’amie qu’elle avait condamné par ses propres erreurs, par son incroyable orgueil et sa stupidité.
Rei ne se pardonnerait jamais cette mort, pas plus que celle des filles tombées avec elle, sous ses ordres.
Même si elle devait donner jusqu’au dernier souffle de vie, elle était décidée à détruire cet ennemi. Elle ne supporterait pas de voir encore d’autres tomber.
Rei battit des ailes et prit de l’altitude. Dans sa bouche aux canines proéminentes se concentra une lueur orange.
À une dizaine de mètres d’elle, Rika apparut en utilisant sa clef d’or qui lui permettait de se téléporter. Elle était en larmes, ses mains tremblaient et elle était à deux doigts de s’effondrer moralement.
— Rei… sama… Ensemble… Toutes les quatre !
Rei ne l’écoutait plus, elle avait eu à peine suffisamment de lucidité pour attendre que Nanashi s’éloignât avec les deux filles sur le dos.
— Groooooooooooooaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!
Avec un rugissement féroce, un rayon orange jaillit de sa bouche. Le son qu’il émit en traversant l’air était strident et désagréable, comme un cri venu d’une autre dimension.
En chute libre, Rika utilisa la clef de cuivre et relâcha un rayon de lumière et de ténèbres en même temps.
L’explosion qui en résulta finit de dévaster le village : les maisons furent balayées et les arbres les plus proches perdirent leurs branches ou furent déracinés. Le temple du dieu renard à distance accueillit ce vent de destruction qui le traversa sans l’emporter.
Devant les yeux en larmes de Rika, les derniers instants de jumelles furent rejoués.
***
Rika était allée voir leur état après leur chute.
Un puissant malaise lui faisait mal au ventre et à la poitrine avant même de les trouver à terre, derrière un mur en ruine.
Elles se tenaient l’une dans les bras de l’autre, leurs expressions faciales étaient sereines.
— Non… Non ! Nooooon !!!
Rika s’empressa de les rejoindre, elle s’attendait au pire.
Elle se souvenait des paroles d’Itsume et de Rei qui avaient qualifié ce poison de mortel « même pour des mahou senjo », c’était tout ce qu’il lui fallait pour prendre son calme.
— Ré… veillez-vous !
Elle les secoua et fut rassurée de les voir rouvrit leurs yeux.
— Rika… ?
— Ririko ?
— Vous… êtes en vie… je… suis si heureuse…
Elle sécha les larmes qui s’étaient mises à couler.
— Malheureusement… plus pour longtemps… Après avoir tellement fui, c’est ici que nous allons disparaître. Haha !
Le visage en sueur, Miharu essayait de garder contenance.
— Ce n’est pas grave. Ce monde n’était pas fait pour nous, Miharu.
— Héhé ! Tu as sûrement raison, Nion !
Elles approchèrent leurs lèvres et partagèrent un baiser au goût de sang.
Rika ne savait pas quoi faire. Elle pouvait essayer de sceller la magie du poison, mais ce n’était pas un sortilège, est-ce que cela pouvait réellement fonctionner ?
Elle se remit à pleurer avant même de s’en rendre compte. Ses yeux ne pouvaient plus se détacher des jumelles.
— Ririko. Nous avons une dernière faveur.
— Ne… dites pas… ça… je…
Le visage de Nion était aussi impassible que toujours. Elle ignora les contestations de son interlocutrice :
— Je veux que tu prennes notre magie.
— Oui, prends notre dernière attaque et ensemble, finissons ce combat !
— Je… je ne sais pas… si…
— Tu en es capable ! Tu es l’une des nôtres !
— Ce fut bref, mais tu as toujours été avec nous. Ririko !
— Ouais, je pense la même chose que Nion !
Même si elles maintenaient fièrement leur allure, leurs visages devenaient de plus en plus pâles et elles grimaçaient de temps en temps.
Rika était en panique, elle aurait voulu les sauver, refuser cette demande qui signifiait leur mort, mais… Elle n’avait aucun moyen de ce faire.
Son refus serait simplement les condamner à une mort vaine. Elle avait l’impression que son cœur allait exploser d’un instant à l’autre, mais elle se força à ouvrir les lèvres et leur dit :
— Je… Me… Merci à vous ! Je… ne vous oublierai jamais !!
Rika s’inclina pour les remercier, ses yeux étaient des torrents de larmes et elle sanglotait. Elle ne voulait pas les perdre ! Elle avait enfin trouvé des amies avec qui elle se sentait la force de devenir une personne meilleure.
— Haha ! Merci, Rika !
— Ne nous pleure pas… Nous sommes heureuse. Autrefois, nous avons été séparées, c’était pire que la mort, un horrible supplice. Nous sommes ensemble à présent… et nous resterons avec vous toutes.
— Oui, Nion. Vos sentiments pour nous survivrons bien après notre départ. C’est important pour nous qui avons été jetée par notre propre père.
— Finissons cette histoire, Ririko. Montrez à Yig de quel bois se chauffent les huit mercenaires qui ont défendu jusqu’à la fin ce misérable village.
— Ne sommes nous pas sept plutôt, Nion ?
— C’est vrai…
Elles tendirent leurs mains en direction de Rika. Cette dernière activa sa clef de cuivre et fit apparaître un cercle magique devant elle…
Comme l’avaient annoncé les jumelles, elles continueraient de survivre même après leur disparition.
L’attaque finale conjointe de Rika, Rei, Miharu et de Nion finit par avoir raison de ce qui restait de Yig, le Père des Serpent.
***
Un village de huttes se dressait au pied des collines. Il était entouré d’une palissade en bois sur laquelle se trouvaient des peintures primitives.
De chaque côté de la porte d’entrée, des cadavres de combattants du Peuple Serpents cloués sur les poutres en bois. Diverses écritures y étaient également gravées.
Les quatre mercenaires s’arrêtèrent et observaient les alentours. Il n’y avait personne d’autres qu’elles, l’intérieur du village était plongé dans un silence de mort.
Le soleil déclinait lentement en même temps que la chaleur étouffante s’amoindrissait.
Elles portaient encore les traces de leur dernier combat, elles étaient couvertes d’ecchymoses, de bandages et Itsume avait un bras dans le plâtre. Leurs mines étaient graves.
— C’est de l’aklô, expliqua cette dernière. Je ne maîtrise pas tellement, le R’lyehien est plus dans mes cordes…
— T’embêtes pas à décoder, je pense que ça doit être des prières de protections, dit Rei.
— Il reste juste à savoir à qui elles sont adressées…, dit timidement Rika.
— On dirait qu’y a personne.
Nanashi tourna sur elle-même en plissant des yeux : elle cherchait des personnes cachées, mais n’en trouva pas.
— En tout cas, il y a des signes de vie : la portes du village est fermée et semblent entretenue. Puis, regardez les champs autour.
Il y avait quelques champs de blés et de tubercules.
— C’est… quoi ?
Rika pointa du doigt un monticule qui se trouvait justement à côté d’un champ de tubercules. Les filles s’approchèrent et purent voir des patates douces empilées en train de moisir. Au centre, une statuette en pierre représentant un rat bipède, obèse, aux nombreuses mamelles proéminentes.
Accrochés sur les patates, des dizaines rats faisaient leur festin.
— Ça pue !
— Je crois que je commence à comprendre à qui sont destinées ces prières, dit Itsume en leur faisant signe de la suivre.
Laissant derrière elle cet étrange autel, elles revinrent à la porte où Itsume se mit à chercher parmi les écritures.
— Voilà ! C’est ce que je pensais ! Il s’agit de Yokthadhr’ku. On l’appelle aussi la Mère des rats ou la Déesse fainéante.
— C’est un Ancien ? demanda Nanashi en observant les écritures.
— Oui. C’est un Ancien dont on entend peu parler et, pour cause, il n’intervient pas beaucoup dans les affaires terrestres. Voir un culte qui lui est dédié est une réelle rareté.
— Et ça ? C’est du japonais, non ?
Les filles s’approchèrent de Rika qui en inspectant les cadavres venait de découvrir une étrange gravure sur la palissade :
— Whaaa ! On dirait des vieux kanji !
— Parce que c’en est…, dit Itsume. « Mu »… « Kami »… non, « Shin »… « ga » ? Mushinga ?
— Ce ne serait pas plutôt « Mushingawa » ?
— Sûrement. Tu penses la même chose que moi, Rei ?
— Je pense. Entrons pour éclaircir ce mystère.
Rika et Nanashi se jetèrent un regard perdu, puis les suivirent.
Les portes du village étaient fermées par une clenche en bois, mais après s’être transformées elle ne résista pas aux quatre filles.
À l’intérieur, c’était calme. On pouvait voir un peu partout des indices prouvant qu’il y avait eu de l’activité encore récemment.
Le village se composait d’une quarantaine de huttes en peau. Au centre, un puits entouré de piles d’ossements et surmonté d’une statuette similaire à celle à l’extérieur.
Quelques tentes au fond du village semblaient plus grandes et plus décorés, elles étaient ornées d’écritures.
Quelques grottes dans la montagne semblaient avoir été aménagées.
Les quatre filles, vigilantes, observaient les moindres détails.
— Allons vers les tentes du fond, dit Rei. Restez sur vos gardes, on ne sait pas ce qui peut nous attaquer.
Sa mise en garde semblait inutile, après le terrible combat qu’elles avaient vécu, les filles étaient toutes sur le qui-vive.
D’ailleurs, Nanashi fit apparaître son immense épée et prit la tête de l’expédition. Les autres filles la suivirent et Rei ferma la marche. Elle continuait de scruter attentivement les tentes, elle crut même voir une petite silhouette entre les pans de l’une d’elle. Puis, des yeux pitoyables.
Rei repensa à ce qui s’était passé quelques jours auparavant…
***
Après leur combat contre l’avatar, le jour suivant au matin, elles s’étaient toutes retrouvées dans le salon.
— Désolée d’être parties ! s’excusa Inori.
— Oui, nous aussi ! Nous aurions dû combattre à vos côtés depuis le début !
— Depuis le début, répéta Nion.
Les jumelles suivirent son exemple et s’inclinèrent en présentant leurs excuses.
Timidement, Rika s’inclina plusieurs fois sans oser dire quoi que ce fût.
Dans son cas, elle n’avait même pas réellement choisi de partir, on l’avait exhorté à le faire. Cela ne la dispensait pas d’excuses à ses yeux.
— Personne ne vous en veut, vous savez ? dit Rei en s’étirant. On était d’accord depuis le début. Je parle au nom de toutes, mais réellement il n’y a pas lieu de vous excuser.
— Ouais ! Puis vot’ arrivée, c’était la mega-classe ! Héhé ! On aurait dit les potes du héros qui viennent à la rescousse.
Rei grimaça avec gêne en observant Nanashi, mais ne fit pas de commentaire.
Itsume fit signe de la main en repoussant leurs excuses et Yotsuba fit simplement tinter son katana pour les approuver.
— Vous… vous êtes géniales !
— Merci d’avoir accepté nos excuses !
— On ne va plus en finir à ce rythme…, dit Rei. En tout cas, vous revoilà sur notre même bateau, prêtes à couler ?
— Si tel est le cas, nous le ferons volontiers, dit Nion en fixant Rei.
— Oui ! Comme le dit Nion !
Inori et Rika acquiescèrent.
Après un instant de silence, Inori prit cependant la parole :
— Sur notre route, nous avons trouvé quelque chose. Il y a un village au pied des montagnes.
— Un village ? Si proche ? demanda Itsume.
— Oui, il suffit de suivre la rivière, c’est à seulement une journée de marche à proximité du col montagneux.
— Il y a eu du combat là-bas aussi, ajouta Miharu.
— C’est vraiment si étonnant ? demanda Nanashi, perplexe.
— Nous… nous sommes dans les Contrées Primitives, expliqua Rika. Il y existe de nombreux villages primitifs du genre…
— Y avait des gens ? Vous avez parlé avec eux ? l’interrompit Nanashi.
— Non, nous avons simplement observé depuis les hauteurs, répondit Miharu.
— Ce qui nous a étonné, continua Nion, c’est surtout que sa proximité avec la ville de Yig. Pourquoi n’a-t-il pas été détruit ?
C’était en effet une réflexion qui avait déjà traversé l’esprit d’Itsume au moment où elles en avaient parlé.
— Peut-être qu’ils lui offrent des sacrifices pour acheter leur sécurité, dit cette dernière.
Rei soupira, elle venait de comprendre quelque chose :
— Dans ce cas, il se peut que nous soyons ce sacrifice. N’est-ce pas ta pensée, Itsume-chan ?
Itsume avait acquiescé.
***
En arrivant à proximité du puits, Itsume commença à l’inspecter. Il était si profond qu’il ne semblait pas y avoir de fond. Des simples techniques primitives n’auraient jamais pu permettre de creuser un tel trou.
Le regard qu’elle échangea avec Rei indiquait qu’elles pensaient la même chose.
Le groupe finit par arriver devant les tentes les plus richement décorées. Elles avaient entraperçu des formes dans les tentes et entendu des bruits, mais personne ne s’était manifesté.
Nanashi en tête écarta les pans de l’une des tentes et entra.
À l’intérieur, il y avait nombre de décorations accrochées de-ci de-là. Au centre, une statue plus importante de Yokthadhr’ku, en bois laqué.
Des braseros brûlaient de l’encens et leur éclairage donnait au lieu une ambiance particulièrement mystique. L’encens couvrait des senteurs bien moins agréables : celles de la charogne.
En effet, au pied de la statue pourrissait un cadavre de lièvre.
— Je présume que cette rencontre était inévitable, dit une voix en provenance du fond de la tente.
Il n’y avait pas une seule personne mais un groupe de six hommes et femmes, assis sur des chaises dans la partie la plus reculée. Tous étaient vêtus de tenues simples, des toges, et portaient nombre d’objets de culte tel que des dagues, des crânes réduits et autres. Il ne planait aucun doute quant à leur qualité de cultistes.
— Qui êtes-vous au juste ? demanda sèchement Itsume en pointant son arme vers eux.
— Du calme, jeune fille. Nous avons certes des pouvoirs, mais si nous avions la force de nous opposer à vous, nous vous aurions déjà attaqués.
— Vous ne cachez même pas votre hostilité envers nous ? demanda Rei.
— À quoi bon ? dit le vieillard qui était le seul à parler. À ce stade, nous ne pouvons que nous en remettre qu’à votre clémence et votre jugement.
— Certes, nous sommes des sorciers, dit une femme qui avait la quarantaine, mais nous avons agi dans l’intérêt des villageois. Je vous en prie, ne leur faites pas de mal : ils n’y sont pour rien.
— Prenez nos vies, mais laissez-les vivre ! les implora un troisième interlocuteur.
Les quatre filles se regardèrent sans mot dire. Toute cette affaire avait coûté la vie de leurs consœurs, on ne pouvait dire qu’elles fussent dans les meilleures dispositions. Toutefois, sans rien comprendre à la situation, il leur était difficile de leur en vouloir également.
— J’pige rien, perso. Vous parlez comme des coupables, mais ch’sais pas encore de quoi.
— C’est à cause d’eux que le village a été amené dans les Contrées Oniriques, dit Itsume. Comme l’a dit Rei, l’autre jour, il y a de fortes chances que nous soyons le sacrifice qu’ils ont donné à Yig pour acheter leur survie. À présent qu’il n’est plus…
— C’est donc à cause d’eux que tout ça à commencer ? demanda Rika en affichant une expression de reproche.
— Mais je suis sûre que vous allez vous expliquer, n’est-ce pas ? leur intima Rei avec un regard féroce.
Les six doyens du village se fixèrent en gardant le silence un instant, puis celui qui avait pris la parole le premier :
— Ce que vous dites est en partie vrai. Nous n’avons jamais passé d’accord avec Yig. Toute négociation entre nous est impossible, puisque nous vénérons la Déesse.
— Je peux vous confirmer qu’il y a bel et bien un antagonisme entre Yig et Yokthadhr’ku, dit Itsume.
— Nous nous sommes contentés de vous amener ici en espérant gagner du temps.
— À la base, nous pensions vous sacrifier, expliqua non sans quelques craintes la femme. Mais quand nous avons vu que des magiciennes étaient au village, nous avons changé nos projets.
— Tu veux dire qu’ils ont complètement capotés, oui ! dit une seconde femme. Je l’avais dit que nous aurions simplement dû fuir.
— Je t’en prie, Akiho, nous n’allons pas revenir là-dessus ! Nous avons voté, je te rappelle.
— Kof kof ! Vos petites disputes, je m’en cogne un peu, dit Itsume. Permettez-moi de vous le dire franchement. Continuez vos explications, même si à ce stade je pense avoir tout compris.
— C’est très simple : soit Yig vous tuait et, lassé, il nous laisserait tranquilles jusqu’à l’arrivée de la Déesse, soit nous sacrifions des villageois pour l’invoquer et nous protéger.
— Mais la déesse n’a pas répondu, rétorqua Itsume. Je connais un peu votre culte, vous avez la main lourde sur les sacrifices. Avant d’élaborer ce plan, combien de vos propres villageois y sont passés, sans résultat ?
— Ils étaient tous volontaires !
— Le volontariat à la mort, vous savez ce que j’en pense ?
Itsume commençait à s’énerver, Rei lui posa la main sur l’épaule pour l’inviter à se reprendre.
— Il y a une chose que je voudrais confirmer, dit Rei. Vous êtes des kibanais ?
— Je crois que c’est ainsi que vous appelez notre terre natale à présent. Des voyageurs nous ont parlé de la Terre : l’Invasion, les magiciennes humaines et Kibou. Oui, nos ancêtres venaient du Japon.
— Ah ! C’est pour ça que vous causez japonais ! dit Nanashi. Je pige pas toutes vos vieilles tournures, par contre, mais bon…
— Vous êtes des anciens habitants de Mushigawa ?
Les six acquiescèrent.
— Je vois… Vos ancêtres sont ceux qui ont amené le village ici à l’époque. Ce sont les ruines dans lesquels nous nous sommes battues, dit Rei. Le village qui a été reconstruit de notre côté, sur Terre, a simplement changé les kanjis et la lecture.
— Ah oui ! Le kanji de « Yume » peut aussi se lire « Mu ». T’es trop forte, Reicchi !
— Ce que je ne m’explique pas, par contre, c’est l’état du temple, dit Rei en ignorant la remarque de Nanashi. Quel intérêt d’en reconstruire un alors que vous vénérez Yokthadhr’ku ?
— À l’époque, la Déesse avait répondu à notre appel. Tout le monde fut sacrifié à sa gloire, seuls ses vrais croyants survécurent. Nous avons découvert ce temple encore intact des décennies plus tard, une étrange magie nous maintient éloignés et nous ignorons de qui elle émane. Nous n’aurions jamais bâti un édifice aussi blasphématoire de toute manière.
Itsume afficha un sourire narquois.
— Il semblerait que les cultistes si fidèles n’aient pas pu rentrer non plus. Pas vrai ? Votre déesse est réputée être capricieuse, c’est une vérité manifestement.
Aucun des cultistes ne répondit, mais leurs expressions agacées en disait long. Après avoir festoyé, la déesse était repartie et les avait abandonnés dans ce coin des Contrées Oniriques. Ils avaient fondé un village, avaient continué leurs prières et avaient accueilli des autochtones.
— Je crois que j’en ai assez entendu, déclara Rei. Ramenons-les au village. Les exécuter ne fait pas partie de notre contrat, c’est le village qui décidera d’eux.
— Attends, Reicchi ! S’ils ont pu nous faire venir ici par magie, ils peuvent pas aussi nous renvoyer sur Terre ?
Rei observa les six cultistes, l’un d’eux approuva.
— Ça jouera en votre faveur pour le procès, mais n’espérez pas vous en tirer avec la vie sauve.
— Nous le savons bien, dit l’une des femmes. Nous vous renverrons chez vous, du moment que vous consentaient à laisser la vie sauve à nos villageois…
Rei observa Itsume puis acquiesça. Avec leurs six prisonniers, elles retournèrent au village de Yume-Shingawa.
***
— Malgré leurs actions plus que répréhensibles, le village de Shin-Yumegawa statue sur leur libération, dit le maire le visage en sueur. En échange, ils s’engagent à nous renvoyer dans notre monde.
Ce matin-là, dans la salle de réunion, le procès des sorciers de Mushingawa venait de se conclure avec le jugement du maire.
Les juges avaient été les doyens de la ville haute, une fois de plus, mais aussi quelques notables des autres quartiers dont le père Shibo.
Mais ce jugement ne fut pas au goût de tous, il fut rapidement remis en question :
— Quoi ?! On va les laisser partir comme ça ? s’indignèrent quelques personnes.
— Qu’on les pende ! s’écrièrent d’autres.
Le maire n’avait pas assez d’autorité pour s’imposer, peu à peu les voix devinrent de plus en plus nombreuses dans l’assemblée.
Le père Shibo se proposa pour prendre la relève, il s’adressa à la foule.
— Pensez-vous que des condamnés à mort accepteraient de nous rendre service ? Leur promettre la vie sauve est un gage de notre bon retour chez nous !
Sa voix forte et déterminée réprima les autres. Tous l’observaient.
— Tant que nous demeurons dans ce monde de cauchemar, les mercenaires gênent leurs projets. Ils ont donc intérêt à nous renvoyer au plus vite. Mais s’ils n’ont aucune garantie, ne vont-ils pas tout simplement nous tromper ?
C’était des propos remplis de bon sens et qui touchaient l’intérêt personnel de chacun. Rapidement, l’opinion publique s’inversa et se rangea du côté du prêtre.
Les condamnés, attachés à des piloris de fortunes et bâillonnés assistaient à leur procès. Les mahou senjo se tenaient non loin, en spectatrices de tout cela.
On leur demanda d’amener les prisonniers dans des geôles improvisées, un entrepôt possédé par l’un des riches de la ville, puis on les invita à se reposer. Le village s’occuperait du reste.
Aussi les mercenaires rentrèrent chez elles. Le départ était prévu pour le lendemain.
***
La nuit, à la lueur de cette lune particulièrement brillante des Contrées Primitives, les prisonniers menottés et bâillonnés furent tirés de leurs cellules. Amenés dans la cour d’une autre grande maison du haut quartier, ils furent tous les six disposés à genoux sur les pavés.
Autour d’eux, un grand cercle magique avait été tracé à l’aide d’un liquide rouge composé notamment de sang. Chaque sorcier se trouvait au centre d’un plus petit cercle dessiné à l’intérieur du premier.
Les bougies qui éclairaient ce jardin leur permettait de voir les silhouettes d’une vingtaine de personnes encapuchonnées et portant des soutanes noires.
— Mes enfants ! L’heure est venue de répandre le sang ! Puissent nos paroles être entendues par Yokthadhr’ku et ses privilèges s’étendre sur nous !
Celui qui prononça ce discours et assuma le rôle de chef de cérémonie n’était autre que Shibo.
— Je pense que nous n’aurez pas d’autres privilèges que la mort, dit une voix en provenance du ciel.
Debout sur le dos de Cylzruth, Rei croisait les bras.
— Que… ?!
Les cultistes réagirent tout de suite à la voix. Certains commencèrent à regarder autour d’eux à la recherche d’une voix d’échappatoire.
— C’est inutile. Aucun de vous n’en réchappera vivant.
Son trident posé sur l’épaule, Itsume sortit de l’ombre et s’avança vers eux.
— Yep. J’avoue que j’vous aurais pas captés, mais Itsu-chan et Reicchi sont des têtes.
— Que… que faites-vous ici ? demanda Shibo agacé.
— Tu pensais qu’on irait sagement au lit pendant que vous faisiez votre petit rituel ? Désolée, mais j’ai des doutes sur toi depuis quelques temps déjà et grâce à Inori-chan… (elle marqua une pause) j’ai eu la confirmation quant à ce que je pensais.
— Comment ?
Rei tendit un téléphone portable dans sa direction.
— Lorsqu’elle a lu l’annonce que j’avais postée pour cette mission, Inori a fait des recherches sur le village de Yume-Shingawa et elle a enregistré une page qui parlait de la purge menée il y a douze ans par les officielles. Une partie du culte de Yokthadhr’ku qui s’y trouvait aurait été éradiqué, mais ceux qui se terraient plus profondément dans l’organisation s’en sont manifestement sortis.
— Bien joué en tout cas. Je suis pourtant une experte dans la chasse aux cultistes mais là, je vous avais pas vu venir…
Itsume s’inclina respectueusement cependant qu’elle afficha un sourire dédaigneux.
En effet, leurs activités depuis la venue des mahou senjo avaient été si discrètes qu’elles n’avaient rien remarqué.
— À quel moment avez-vous… ?
— Lorsqu’il y a eu les émeutes pour nous faire partir. Honnêtement, considérant la situation, quelqu’un d’influent devait tirer les ficelles. Qui irait croire que Yig aurait accepté des négociations sinon ceux qui auraient voulu nous éloigner du village ? Puis, l’issue forcée du procès n’a fait que nous donner confirmation : normalement, vous auriez voté pour leur exécution.
Rei soupira longuement, puis continua :
— Je suppose que derrière tout ça se cache une simple rivalité entre votre culte et celui de Yig. Au début vous aviez besoin de nous pour vous protéger, puis vous avez estimé qu’en sacrifiant les villageois vous pouviez vous en sortir et nous sommes devenues gênantes…
— Ces cercles et ces mots de pouvoirs, vous ne cherchez même plus à rentrer sur Terre en vrai, poursuivit Itsume. Vous voulez verser le sang de ces vieux cultistes afin d’attirer la déesse paresseuse et vous octroyer ses grâces, pas vrai ?
— Ils ne veulent plus rentrer ? s’étonna Nanashi.
— Ici Shibo exerce un contrôle total à l’abri du regard des mahou senjo. Si nous avions suivi ses prescriptions en allant simplement dormir, la déesse serait arrivée…
— Peut-être ! la rectifiat Itsume. En réalité, il n’y a aucune garantie, cette Ancien est très capricieuse.
— En admettant qu’elle se soit manifestée, elle nous aurait combattues, puis aurait dévoré les villageois. Ceux qui sont là espèrent être choisis pour régner à ses côtés, je pense.
— À présent que Yig n’est plus, c’est une occasion en or !
Si Shibo et les siens étaient restés sages, c’était simplement parce que leurs projets coïncidaient avec les mercenaires. Ils ne s’étaient pas attendus à ce qu’elles détruisent leur antique ennemi.
Sans Yig, cette portion des Contrées était à prendre.
Mais elles avaient vu à travers son jeu, à la toute fin, et elles venaient de le mettre en échec.
Shibo grinça des dents, puis se tourna vers les prisonniers et tira sa dague de cérémonie. S’il pouvait les prendre en otage, les mercenaires seraient obligés de les laisser partir.
Ils avaient mené le rituel pour amener le village, ils pouvaient également l’inverser pour le faire repartir. Ils étaient la clef de leur retour, des pièces indispensables sur cet échiquier.
Mais à cet instant, tout espoir quitta son visage alors qu’il vit apparaître Rika de nulle part. À l’aide de sa clef d’or, elle venait de se téléporter devant lui.
— Désolée… c’est la fin…
Au même instant, les bras de Shibo se détachèrent de son corps, il n’eut même pas le temps de se défendre.
Les cultistes tentèrent tant bien que mal de prendre la fuite, mais les mercenaires n’en épargnèrent aucun. Le combat ne dura que quelques instants, les sorts des sorciers ne parvinrent même pas à les blesser ; de toute manière, ils étaient bien trop paniqués et désorganisés pour représenter une réelle menace.
Une fois la poudre retombée, Itsume retira les capuches des cadavres pour révéler leurs identités : la majeure partie provenaient de la haute ville, parmi eux Hisano.
— Le maire n’en faisait pas partie, tiens… ? s’étonna Itsume.
— Je pense qu’il n’a pas assez de personnalité pour avoir été convié parmi eux, expliqua Rei. Mais peut-être était-il au courant qu’il y avait quelque chose d’étrange malgré tout.
Toutes les quatre se dirigèrent vers les prisonniers qu’elles libérèrent.
— J’espère que vous serez plus malins qu’eux. On a disserté entre nous et nous consentons à vous laisser la vie sauve en échange de notre retour immédiat.
— Mer…
— Ce n’est pas de gaieté de cœur, l’interrompit Itsume. S’il n’en tenait qu’à moi, je vous aurais tous exterminés, je vous déteste tous autant que vous êtes. Prier les Anciens… Tsss ! Mais tant que vous limitez vos actions à ce monde, je vous épargnerai.
— Ouais, on aimerait que vous retourniez simplement vous occuper de vos villageois. Et, arrêtez vos conneries avec la déesse des souris, OK ! dit Nanashi les mains sur les hanches.
— Sans votre savoir, les villageois mourront, expliqua Rei. Il faut parfois faire des compromis pour un plus grand bien. Si ça vous va, préparez-vous de suite à nous renvoyer chez nous.
Les sorciers se regardèrent puis s’agenouillèrent en guise de remerciement.
***
Le rituel se déroula sans encombre. Puisqu’il s’agissait de faire revenir les choses dans leur ordre naturel, ils n’eurent pas besoin de sacrifices supplémentaires.
Les effets n’étaient pas immédiat, il faudra une dizaine de minutes pour que le village retournât dans le monde matériel.
Les sorciers avaient été escortés par les mahou senjo jusqu’à la sortie de la bourgade.
Sans retourner dans le village où diverses voix s’élevaient, les mercenaires firent face à Rika dont le visage exprimait une profonde tristesse.
— C’est ici… que nous nous séparons…, dit-elle.
— C’est nul que tu peux pas venir avec nous ! Moi j’voulais qu’on aille faire la fête ensemble !
Nanashi grimaça et gonfla les joues.
— Rika-chan n’a pas de corps, tu ne voudrais pas la tuer en la forçant à revenir dans notre monde, si ? demanda Rei.
— J’y ai pensé à tout ça, ce n’est pas un cas normal, expliqua Itsume. D’autres créatures naissent ici et sont capables d’envahir le monde matériel. Je pense que c’est une spécificité de tes pouvoirs. Chaque corps a une multitude de reflets dimensionnels, mais le tien n’en a plus sur Terre.
— Et en résumé ? dit Nanashi qui ne comprenait rien.
— En gros, si avec un pouvoir magique on parvient à lui composer un corps matériel ou si on arrive à réprimer ses pouvoirs pour qu’elle retrouve une forme normale, elle pourrait retourner dans le monde matériel.
Rei tourna son regard vers Nanashi.
— Si un jour tu deviens plus compétente dans ta magie de « rouille », tu pourras peut-être annuler sa transformation.
— Ah bon ? Cool !! Je pourrais la ramener chez nous ! Rika-chan ! J’te promets de revenir !
— Me… Merci à vous toutes ! dit-elle en s’inclinant. Vous m’avez beaucoup apporté, je… je ne vous oublierai jamais !
Les larmes commencèrent à couler de ses yeux, elle n’arrivait plus à les retenir.
— J’y compte bien ! De toute manière, j’reviendrais te voir, tu as ma parole de héros !
Sur ces mots, Nanashi la prit dans ses bras chaleureusement. Rika se mit à sangloter. Ces instants passés avec elles avaient été brefs, mais si intense. Comment pourrait-elle retourner à sa précédente solitude ?
Itsume et Rei restèrent à distance et se jetèrent un coup d’œil.
— Promis, nous reviendrons te voir. J’engage ma parole de dragon !
Rei s’approcha des deux filles à présent séparées et tendit la main à Rika.
Arrêtant d’essayer de sécher ses larmes, cette dernière la saisit et la serra avec tendresse.
— Merci beaucoup !
Ses larmes se mirent à couler encore plus abondantes.
— T’es trop sentimentale, ma parole, dit Itsume. Nous avons combattu ensemble et vaincu un Puissant Ancien, tu seras à jamais une sœur pour nous.
Itsume lui caressa la tête de sa seule main valide.
— C’est donc décidé ! L’an prochain, au même endroit !
Nanashi ferma son poing et le tendit devant elle.
— Un dragon ne revient jamais sur sa parole !
Elle tendit son poing et le cogna contre celui de Nanashi.
— Comme si on avait besoin d’un tel rite, ma parole suffit.. Je ne vais pas mentir à mes sœurs, bon sang !
Itsume ferma sa main palmée et suivit l’exemple.
Les regards se fixèrent sur Rika qui n’avait de cesse de pleurer à grosses gouttes.
Cette dernière essuya ses larmes et prit une longue respiration. Elle avait vécu seule pendant des années, mais à présent qu’elle avait goûté les joies d’une vie communautaire avec des sœurs d’armes capables de l’aimer, elle n’avait vraiment plus envie d’être seule.
— Ce… ce ne sont pas des adieux, mais un au revoir ?
— Bien sûr, idiote !
— Eh ? Tu l’appelles aussi comme ça ? Je croyais que c’était que pour moi, ton bro ! s’indigna Nanashi.
— Sois prudente, Rika. Et n’hésite pas à nous contacter si tu as besoin d’aide.
Les yeux vitreux d’Itsume semblaient plus humide que la normale.
— Eh ! C’est de la triche ! Même si tu pleures, on peut pas le voir !
— Je pleure pas, raconte pas n’importe quoi !
Face à l’attitude d’Itsume, les quatre filles se mirent à rire à la place de pleurer.
Puis, alors que les bâtiments devenaient de plus en plus transparents autour d’elles, elles firent un pas en arrière et revinrent dans le village.
Les larmes emplissaient leurs yeux à toutes les quatre, même ceux d’Itsume et de Rei. Elles secouaient leurs mains pour saluer Rika.
Leurs lèvres remuaient mais on ne pouvait plus entendre aucun son en sortir. Le transfert avait commencé.
— Je vous attendrai !! cria Rika de toutes ses forces.
Elle qui était née esclave, elle n’avait jamais eu le droit de crier si fort et ne l’avait jamais appris.
Après un dernier salut de la main, les filles et le village disparurent.