22 octobre 2092, Nagano.
Dans l’un des cimetières de la ville, Itsume, Rei et Nanashi se recueillaient devant quatre tombes.
— Désolée de n’avoir rien pu faire pour vous, dit Rei.
— Je suis sûre qu’elles ne t’en veulent pas. On savait toutes à quoi s’attendre en partant au combat.
— Puis, elles sont mortes en héros !
Cela faisait à peine quelques jours qu’elles étaient rentrées dans leur monde d’origine, toute cette aventure les avait épuisées. Elles avaient décidé de s’arrêter quelques temps à Nagano.
— Vous avez sûrement raison, mais je ne pourrais jamais m’empêcher de les regretter. J’en ai pourtant vu pas mal des morts dans ma vie.
Des images de ses années de service repassèrent dans son esprit. Puis, les images de ce jour tragique où par sa faute son amie Sakura avait été tuée. Elle s’était jurée ne plus jamais refaire la même erreur et était partie de l’armée pour cette raison.
En baissant le regard, elle demanda timidement :
— Vous pensez que je les ai négligées ?
— Hein ? Tu rigoles ? T’as été impec’, Reicchi !
— Pourtant… la moitié d’entre nous sont là, six pieds sous terre.
— Ce n’est pas ta faute ! Pendant la bataille, tu m’as même demandé de soigner Inori, mais j’ai rien pu faire. Si j’avais été plus douée avec ma magie, peut-être que j’aurais pu la sauver…
Rei ne savait pas que dire face à ce commentaire. Au fond, elle se disait la même chose : si elle avait été plus forte, elle aurait pu les sauver.
— Arrêtez de vous tourmenter toutes les deux. Aucune d’entre elles n’aurait aimé vous entendre vous lamenter ainsi. Elles ont combattu pour leurs convictions, jusqu’au bout, pour que nous emportions la victoire. Chérissez leurs noms et arrêtez de les préoccuper.
Rei et Nanashi l’observèrent un peu surprises, puis elles baissèrent la tête et joignirent à nouveau leurs mains pour prier.
— Vous avez été de vraies sœurs pour moi. Je continuerai d’emporter avec moi votre précieux souvenir. Puis, un jour, je vous rejoindrai et nous pourrons à nouveau nous amuser ensemble.
— Ouais, j’pense que j’viendrais avec Reicchi pour le coup ! Gardez-nous une place au chaud ! Hahaha !
— Vous passez vraiment du coq à l’âne… Vous êtes terribles toutes les deux.
Itsume secoua la tête et joignit à son tour les mains. Elle prononça quelques paroles dans la langue des Profonds.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— C’est probablement une des rares choses poétiques que ces sales poissons visqueux sont capables de dire : « Puisse les vagues te bercer dans le bonheur ». Une expression qu’ils utilisent très peu.
Grâce à elles, Itsume sentait qu’elle pouvait à présent accepter son héritage et même en éprouver une certaine fierté. Son sang mêlé était impur et son éducation impie, mais c’était ce mélange qui lui avait permis d’aider ses sœurs d’armes.
À cet instant, elle prit la résolution de ne plus avoir honte de son patrimoine génétique, tout souillé qu’il fût.
— Ce sont les actions d’une personne qui la définissent et non pas son héritage, pensa-t-elle. Aucune de nous trois n’est parfaitement humaine et pourtant nous avons accompli plus que celles qui se prétendent vertueuses.
Après avoir brûlé quelques bâtonnets d’encens, les trois filles quittèrent le cimetière.
— Tu vas emporter ce katana également ? demanda Itsume à Rei.
— Vous avez fait de moi votre chef, cette fois encore, j’emporte avec moi les reliques.
— Les quoi ?
— Les souvenirs des morts, répondit Rei. J’ai pris en compte ce que tu as dit, Itsume, je vais cesser de me blâmer. Mais, j’étais le chef de ce groupe, c’est à moi d’emporter les souvenirs de celles qui ont servi sous mes ordres.
Elle leur montra non seulement la lame brisée de Yotsuba accrochée à sa ceinture, mais également la barrette à cheveux d’Inori et les rubans à cheveux des jumelles.
— Elles ont combattu avec nous jusqu’au bout, elles seraient ravies de savoir que tu les emporteras dans ton prochain combat, dit Itsume qui préférait cette attitude.
— Mon prochain combat…, dit Rei songeuse.
— Tu ne vas pas arrêter ta carrière, n’est-ce pas ? demanda Itsume. Il y a encore tellement de gens à sauver…
— Je n’ai jamais songé à arrêter mais… je me disais que…
— On pourrait peut-être faire équipe encore un peu, non ? l’interrompit Nanashi.
Rei grimaça, c’était la question qu’elle voulait poser depuis un moment, mais elle hésitait à la poser.
Itsume observa le ciel en y réfléchissant.
— J’ai rien de spécial de prévu de spécial… On peut faire équipe encore un peu, je pense.
— Et toi, Reicchi ?
Rei soupira longuement. Finalement, Nanashi lui avait ôté une épine du pied.
— Ouais, faisons ça.
— Yeah !! Ch’suis trop contente ! C’est sûrement la mission la moins bien payée que j’ai eu, mais j’ai été payée autrement… Puis, c’est cool de ne plus être seule.
— C’est sûr que ne rien recevoir, on peut difficilement faire pire, dit ironiquement Itsume.
— Ils auraient pu essayer de nous faire payer les repas et les réparations, dit Rei en affichant un sourire tout aussi ironique.
— Rigole pas, je suis sûre qu’ils y ont pensé en plus ! J’en ai vu des villageois, mais des pinces pareilles…
— Bah, on s’en fout au final ! On a quand même battu Yig, on est des super héros, non ? Non ?
Nanashi se mit à marcher à reculons devant elles. Elle était excitée et pleine d’énergie malgré la tristesse qui l’avait accablée quelques instants auparavant.
Itsume et Rei se jetèrent un regard entendu, un peu comme deux parents face à leur enfant. Puis, elles dirent :
— Personne n’est au courant, tu sais ? Puis, même si on le raconte, on nous croira même pas.
— C’est sûr qu’une équipe de mercenaires qui tue un Puissant Ancien, c’est pas très commerciale pour les officielles…
— Rhoo ! Vous êtes négatives, toutes les deux ! Mais bon, nous, on connaît la vérité… Toutes les huit.
— En effet, nous le savons… toutes les huit.
Elles continuèrent de marcher dans la rue en direction de leur hôtel.
— Y aussi Miyako qui le sait ! J’espère qu’on la reverra un jour.
— Oui, c’est sûrement une des seules à sauver dans ce village de dégénérés, dit Itsume.
— Ses potes aussi sont sympas. À l’occas’ faudra qu’on repasse faire la fête avec eux.
— Pourquoi pas… ?
À leur retour des Contrées Oniriques, tout le monde avait accueilli les mercenaires comme des héroïnes. Le soir, il y avait eu une grande fête.
Bien sûr, la nouvelle de la corruption de certains citoyens avait été reçue avec choc et effroi, mais le maire avait assuré qu’ils feraient tout pour qu’un nouveau culte ne voient pas le jour.
Rei avait fouillé les affaires du prêtre Shibo et y avait trouvé un certain nombre d’écrits impies, sûrement la source des pouvoirs des cultistes du village. Elle les avait confiés à Itsume.
Au lendemain de cette grande fête où Haruto avait passé son temps à pleurer la mort d’Inori, les filles étaient allées voir le maire pour toucher leur récompense et quitter le village.
Un conseil avait été organisé d’urgence avec des personnes influentes des trois quartiers cette fois. La réunion avait duré bien trois heures au terme desquelles, il était ressorti qu’il n’y avait plus d’argent à donner aux mercenaires.
Les réparations, les perturbations économiques des commerces mais aussi les maladies qu’avaient attrapés nombre de citoyens demanderaient de l’argent que le village ne pouvait pas mettre à disposition.
En guise de paiement, on leur paya simplement le trajet jusqu’à Nagano ainsi qu’une nuit à l’hôtel. Bien sûr, une âme charitable proposa qu’on leur donnât la maison du quartier riverain qu’elles avaient occupé et qui s’appellerait dorénavant « la maison des mercenaires ».
Le conseil la leur avait accordée en guise de paiement.
Les trois mercenaires n’avaient même plus eu l’envie de débattre et de quémander leur dû, elles étaient simplement parties.
— N’empêche, dit Nanashi. Ça leur ferait les pieds si nous fondions une agence et que nous nous installions là-bas.
— Raconte pas n’importe quoi, comment veux-tu qu’on fasse une agence avec toi qui est recherchée ?
— Puis, qui irait jusqu’à ce patelin paumé pour nous engager ?
— C’est vrai… Bah, on aura qu’à y squatter lorsqu’on retournera voir Miya-chan.
Les réverbères s’allumèrent soudain. La nuit commençait à tomber.
— Nous repensons à tout cela demain, Nana-chan.
— Ouais !
— Nous avons du pain sur la planche, dit Itsume. Si vous voulez trouver un moyen de redonner un corps à Rika, ça va pas être facile, c’est moi qui vous le dis.
— Une promesse est une promesse !
— J’ai hâte en tout cas. Héhé !
Les mains derrière la tête, marchant au centre, Nanashi se mit à rire de manière désinvolte.
Rei et Itsume se lancèrent des regards presque maternels, puis levèrent les yeux vers la lune qui apparaissait à peine dans le ciel crépusculaire.
Protéger les faibles, honorer les morts et chérir leur honneur, tel était la voie de mercenariat qu’elles avaient embrassé. Leur combat ne s’achèverait qu’avec leur propre mort.
MAGICAL SEVEN – FIN
Merci d’avoir lu jusqu’au bout. J’espère que cette histoire vous aura plu.