<< … nous allons rester sur nos gardes… kshhh… Interférences trop importantes… ksshhhh… couper conversation… >>
La capitaine Kayomi installée dans son siège regardait les vagues tout en communiquant avec la capitaine Funabashi du Murashigure, le second navire de tête.
— Il vaut mieux couper la communication, en effet, dit la capitaine Kayomi. Nous nous rejoindrons au lieu convenu. Que la mer vous préserve.
<< Ksshhh… Vous aussi… yomi-san… ksshhh… stop. >>
— Terminé.
La capitaine fit signe à l’opératrice de couper la communication.
— À partir de maintenant, nous sommes livrés à nous-mêmes, dit Kayomi amusée.
— Ça n’a pas l’air de trop vous inquiéter capitaine Kayomi, fit remarquer Akemi qui se tenait debout derrière elle.
— Je n’ai pas peur de l’ennemi et encore moins de la mort. Puis, cette situation est loin d’être inédite.
— Euh oui… en pleine tempête, les communications radios peuvent être perturbées. Au moins, vous avez eu le temps de prévenir le reste de la flotte.
Kayomi s’abstint de répondre, elle plissa les yeux et continua de fixer les vagues qui devenaient de plus en plus hautes.
Elle avait effectivement eu le temps de transmettre le nouveau cap à tout le convoi l’empêchant de finir dans la tempête. Elle avait également transmis ses craintes quant à une attaque ennemie sous-marine.
Lorsqu’elle avait inspecté les cartes de plus près, elle avait même pu déterminé un petit archipel aux courants marins favorables, l’endroit idéal pour une embuscade. Cette tempête cherchait clairement à les y mener.
— Capitaine ! Les vagues atteignent actuellement une force de 6.
— Ce n’est que le début. Préparez-vous à en essuyer de force 9, camarades.
Les regards se tournèrent un instant vers la capitaine. On pouvait y lire la peur plus que la surprise. Personne ne faisant de commentaire, tous reprirent leurs tâches.
— Sauf votre respect, capitaine Kayomi, dit Akemi. N’aurait-il pas été plus avisé que notre navire reste avec le convoi principal ?
— Et décevoir ces pauvres enfants qui veulent nous couler ? Cela aurait été très impoli, ma chère Akemi…
Akemi dévisagea la capitaine à la recherche d’un indice lui indiquant s’il s’agissait d’une blague ou non, elle ne comprenait pas le sarcasme, aussi elle pencha la tête de côté d’une manière adorable.
Kayomi ne put réprimer un sourire :
— Nous aurions pu. Mais si l’ennemi ne voit personne tomber dans le piège, il va attaquer le convoi lorsque nous nous y attendrons le moins. Un homme averti en vaut deux, moussaillon !
Malheureusement, cette explication ne convint pas Akemi qui continuait à dévisager la capitaine. Cette dernière croisa les jambes et soupira.
— Quelqu’un doit servir de diversion pour que le convoi prenne de la distance. Et puisque notre équipage est le seul à avoir des couilles, j’ai décidé que ce serait nous. Tu as bien vu, Funabashi, elle n’a même pas fait esquisse de se proposer à notre place. Quelle bougre de gredin celle-là!
En effet, lorsque Kayomi avait proposé son plan de servir d’appât, aucun des autres capitaines n’avait fait opposition ou ne s’était proposé. C’était comme si ce rôle lui avait été assigné d’avance.
— Personne n’a envie de prendre un tel risque, fit remarquer Akemi non sans une pointe de reproche.
— Précisément. Ces pleutres sont de vils marins d’eau douce. Sur ce bâtiment, aucun des vieux loups de mer ne craint la mort et ne quittera le bord avant que nous ne donnions de la gîte jusqu’au dalot.
— Je pense surtout que personne n’a envie de mourir, capitaine.
Ignorant la remarque, Kayomi se leva et écarta les bras.
— Qui sur ce pont n’a pas confiance en son capitaine ? Qui pense que je ne suis qu’une folle qui va nous mener à la mort ? Qu’il parle ce mécréant où je le ferais taire à jamais en le livrant aux abymes de Poséidon !
Les activités des différents pilotes et navigateurs s’arrêtèrent soudain. Les officiers de commandement n’étaient plus sur ce pont, ils organisaient la situation d’urgence, il n’y avait donc que de simples marins.
Personne ne répondit. Le silence perdura, il n’était brisé que par les grincements du navire et les bruits des différents appareils à proximité.
— Tu vois, commandante Akemi ! Personne n’a peur ! Tout le monde ici hante la tempête et se rit de la Faucheuse. Nous apprendrons à ces raclures des océans à se tenir à leur place. Ils veulent la guerre ? Eh bien ! Parbleu qu’ils l’auront ! Hahaha !
Akemi croisa les mains dans le dos, tandis que quelques gouttes de sueur apparurent sur son visage. Elle ne répondait plus, ne faisait plus de commentaires. Ce plan n’était que folie, cela n’avait aucun sens de se jeter soi-mêmes dans un piège démasqué, mais elle n’était pas capitaine.
Après quelques instants, une fois Kayomi assise dans son fauteuil, Akemi se permit de demander d’une voix hésitante :
— Pour… pour la bataille… comment dois-je organiser les troupes ?
— Viens ! Allons donc dans les quartiers des syrens. Nous déciderons de cela avec les autres. Lieutenant de pont, je vous laisse la relève. Continuez de suivre le cap, je vous prie !
— Oui, capitaine !
Le lieutenant de pont, un homme assez jeune au visage poupin se raidit et la salua machinalement avant de transmettre les ordres aux différents postes. La capitaine et Akemi quittèrent la passerelle où l’agitation n’avait de cesse pour rejoindre la coursive où les lampes rouges indiquaient l’état d’urgence.
Le navire était agité en tout sens, malgré les compensateurs de houle, il était difficile de rester debout et encore plus de marcher bien droit.
Sous la lueur rougeoyante des lampes, Akemi crut voir le visage de la capitaine s’embraser d’une fureur infernale : elle n’avait pas peur, au contraire, elle était excitée.
Une fois de plus, Akemi ressentait au fond d’elle la terreur face à cette femme aussi violente et redoutable que ne l’était océan.
***
À présent, les vagues montaient à plus de dix mètres. Il tombait des cordes et le vent emportait tout ce qui n’était pas fixé sur le pont.
Les marins qui étaient affectés aux manœuvres étaient tous encordés mais la plupart se trouvaient sous le pont, affairés aux salles machines et aux armements.
Sur le pont, à la proue, où une nouvelle vague venait de frapper et de se répandre, se tenaient debout dix jeunes femmes.
La capitaine, celle qui était le plus à l’avant, sous sa forme de combat, scrutait l’horizon. Dans sa main se trouvait un talkie-walkie.
<< Capitaine ! L’ennemi a été repéré. Profondeur 4587m. Nous allons naviguer au-dessus de sa position dans moins de deux minutes. >>
La voix du second grésillait dans l’appareil, mais la capitaine n’eut aucun mal à discerner ces mots.
— Lâchez les charges de profondeurs. Nous plongerons juste après. Et comme convenu, vous en larguerez toutes les deux minutes pour que nous signaler votre position.
<< Entendu capitaine ! >>
— Faites attention aux vagues scélérates, elles devraient apparaître sous peu. Et n’oubliez pas, surtout pas, sans nous ce navire n’a aucune chance d’arriver à bon port. Vous en êtes conscient, mon brave ?
<< Euh… oui, capitaine. Fin de la communication. >>
— Fin de la communication.
La capitaine s’en alla fixer le talkie-walkie sur un poteau puis retourna auprès de ses subalternes en leur faisant face.
— L’ennemi est juste sous notre position. Nous allons plonger et lui faire comprendre qui règne sur ces mers. Suivez le plan, je n’accepterai aucun écart de conduite. Vous avez toutes une position qui vous a été assignée. La priorité est le navire, nous n’aurons pas le temps de repêcher celles qui tomberont. C’est bien compris ?
Pour se faire entendre, la capitaine criait. La réponse fut unanimement « oui ». Néanmoins, le regard de la commandante des syrens était concentré sur une silhouette au bout de la rangée bien plus que sur Kayomi.
— Équipe 3 et 4, avec moi. Nous serons les premières à plonger.
Les trois subalternes, dont Akemi, suivirent la capitaine sur la proue. À cet instant, des vagues firent secouer le vaisseau.
— Les charges ont sauté, c’est l’heure de plonger, camarades. Que la fête commence ! HAHAHAHA !
Kayomi ne prenait même plus la peine de cacher son excitation, c’est en riant aux éclats qu’elle plongea accompagnée d’Akemi, Violaine et Mégane.
Violaine était la seule à être sous sa forme normale et, pour cause, dès qu’elle atteignit la surface de l’eau, elle se transforma en monstre marin. La belle jeune femme avait laissé place à une créature reptilienne mesurant une bonne douzaine de mètres, à la longue queue. La comparaison qui venait le plus rapidement à l’esprit en l’observant était celle de Nessie, le Monstre du Loch Ness.
De son côté, Mégane, sous sa forme de combat, avait à présent des cheveux blancs détachés, aussi blancs que la neige. Ses yeux étaient jaune luisants. Sa tenue se composait à présent d’un soutien-gorge, d’un mini-short très court et d’un ceinturon auquel était accroché un sabre d’abordage.
L’eau était agitée et trouble, les dizaines de charges de profondeur, des sortes de lourdes grenades sous-marines employées par les navires jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour toucher les sous-marins adverses avaient fait leur office.
Avant l’Invasion, elles avaient été abandonnées au profit des torpilles bien plus destructrices et précises, mais dans le monde post-Invasion, elles étaient revenues équiper les navires. Et pour cause, elles se révélaient utiles contre les fantassins marins qu’étaient les Profonds. Si leur efficacité contre les sous-marins était contestable, la saturation de charges et leurs ondes de choc suffisait à terrasser ces monstres.
Évidemment, elles étaient sans effet contre les plus puissantes des Anciens, immunisés aux dégâts conventionnels pour leur part.
Dans le plan de la capitaine, les charges devaient simplement permettre de semer le désordre avant l’arrivée des syrens. À bord du navire, les ordres étaient de donner la priorité à la tempête et non aux Anciens, c’était aux syrens de s’occuper de ces derniers.
Les groupes 3 et 4 se séparèrent dans la strate mésopélagique, autour de 700 mètres de profondeur. Mégane et Akemi étaient chargées d’intercepter les ennemis qui franchiraient ce palier, tandis que la capitaine et Violaine descendraient plus bas encore, jusqu’à la strate bathypélagique autour de 3000 mètres. Elles joueraient le rôle d’avant-garde.
Les profondeurs de plongée variaient beaucoup d’une mahou senjo à l’autre, de même que leur vitesse, prendre en compte ces éléments pour le combat faisait partie du travail de la commandante des syrens. Mais Akemi s’était bien rendue compte que la capitaine connaissait son équipage bien mieux qu’elle. Au fond, elle se demandait parfois si son rôle à bord était réellement utile.
— La capitaine semble capable de tout pouvoir gérer seule… et elle n’a peur de rien…, pensait-elle en attendant l’ennemi son katana d’eau dans la main.
Elle avait du mal à oublier le sourire malsain de Kayomi, comme si tout ce qui arrivait n’était qu’un vaste jeu à ses yeux. D’ailleurs, même lors de l’exécution, elle semblait totalement indifférente.
— Pourquoi est-elle capitaine au juste ? Si elle veut juste se battre, elle n’avait pas besoin d’assumer un tel rôle.
Akemi observait distraitement le petit point de lumière au loin. La première charge de signalisation venait d’exploser, deux minutes s’étaient déjà écoulées depuis qu’elles avaient plongé. Ces charges, comme leur nom l’indiquait, avaient pour seule vocation de signaler la position aux plongeurs. L’explosif produisait une vive lumière par un procédé similaire au feu de Bengale, mais c’était surtout l’onde qu’il répandait qui était perceptible à des dizaines de kilomètres, voire plus. Avant l’apparition des syrens sur les navires, ces charges n’existaient pas puisqu’elles n’avaient pas d’intérêt. Lorsque ces combattantes étaient plongées à des kilomètres sous la surface en plein combat, elles ignoraient totalement la position de leur embarcation qui pouvait dériver à des kilomètres d’elles.
Les premiers convois avaient perdu bien des filles de la sorte et certains navires avaient été coulés faute d’avoir perdu leur escorte. Pendant quelques temps, les syrens s’étaient contentées de protéger les abords immédiats des vaisseaux, mais cela s’était avéré bien inefficace. Les Anciens avaient rapidement compris qu’il était préférable de couler les navires au lieu de poursuivre le combat. Privées de nourriture et d’endroit où se reposer, les syrens étaient mortes de déshydratation ou avaient été simplement achevées par leurs ennemis.
C’était la raison d’être de ces charges de signalisation. Quelques équipages préféraient passer par des communicateurs sous-marins, mais le procédé avait également révélé ses limites : les syrens les perdaient souvent en pleine bataille ou au cours du processus de transformation/détransformation. Au final, chaque armateur avait développé sa méthode de signalement.
Akemi observait ce point lumineux en se rappelant les feux d’artifices qu’elle avait observée enfant à Yamaguchi. Ces souvenirs étaient si lointains, comme s’ils appartenaient à une autre vie. Elle s’était à ce point habituée à sa vie de syrens que la période où elle vivait sur terre ferme lui paraissait une autre réalité.
Déjà enfant, elle aimait l’océan. Cette gigantesque étendue d’eau qui se perdait au-delà de l’horizon. Même après avoir rejoint l’armée officielle occulte de Kibou, elle n’y était pas restée très longtemps. Elle se sentait peu utile, incomprise, elle voulait retrouver les vagues qui berçaient son enfance.
Elle avait quitté sa famille, propriétaire d’une poissonnerie, et avait rejoint l’armée qu’elle avait également abandonné pour devenir une syren. Lorsqu’elle était montée sur le pont d’un navire la première fois, elle avait compris que telle était sa vocation. Aucune traversée n’était identique à l’autre. L’océan regorgeait d’imprévus, il n’était pas une autoroute figée, toujours identique à elle-même.
Elle aimait cette ambiance. Elle aimait se rendre utile et protéger autrui. Savoir que son existence, aussi insignifiante qu’une goutte dans cette immensité déchaîné pourrait sauver des vies lui suffisait à aller de l’avant.
Puis elle avait rencontré des personnes comme elle. Des filles attirées par l’appel de l’océan. Nombreux étaient les marins expérimentés à parler de sa voix, pour eux rejoindre les flots était plus qu’une métier, c’était une vocation, une destinée qu’ils embrasaient. Et les syrens étaient pareilles.
— Ce n’est pas nous qui choisissons l’océan, mais lui qui nous choisit.
Une voix l’interpella soudain la tirant de ses pensées.
— Eh oh ! Tu rêvasses, commandante ? J’te signale que l’ennemi approche !
Mégane lui secouait l’épaule.
— Ah euh… Désolée.
Akemi tourna son regard dans la direction que pointait Mégane. Même s’il faisait sombre, ses yeux lui permettaient de parfaitement distinguer de nombreuses formes.
— Est-ce que tu peux t’occuper du menu fretin et ensuite venir m’aider avec les Chtetli ?
— Pour qui tu me prends, Akemi ? Bien sûr que j’peux !
— Parfait.
Sur ces mots, Akemi plongea en direction de ses ennemis : deux énormes méduses monstrueuses garnies d’yeux et de bouches sur toute la surface de leurs corps. Des milliers de fin tentacules mesurant près de trente mètres leur servaient à se déplacer. Leurs tailles dépassaient les cinq mètres de rayon.
C’était des ennemis connus des syrens, d’excellents combattants aux multiples attaques. Leur niveau de menace était 3, soit « évolué », ce qui équivalait à une mahou senjo de rang A+ comme Akemi. Seule, elle n’avait presque aucune chance d’éliminer les deux Chteli.
Autour de ces deux monstres nageaient une dizaine de Profonds, ces Anciens ressemblant à des hommes-poissons, que Lovecraft avait décrit en détail dans ses œuvres, mais il y avait également quatre Itaobred, des créatures hideuses, évoquant lointainement des chauves-souris ou des insectes. Les membres des Itaobred étaient reliés par une membrane d’énergie leur servant de barrière défensive. Ils étaient aussi stupides que faibles, mais leur défense par contre était problématique.
Tout comme les syrens, ces Anciens se déplaçaient librement dans l’eau, c’était leur milieu naturel au fond. Il s’agissait des troupes du célèbre Puissant Ancien qui avait envahi les océans : le redoutable Chtulhu. C’était donc des ennemis courants pour des syrens.
Tandis qu’Akemi s’éloignait en prenant une soudaine accélération, Mégane tendit les mains et fit apparaître devant elle trois créatures. Elle était une invocatrice.
— Ondine, occupe-toi des Profonds qui sont à la traîne ! Lusca, prends à revers les Itao-machin. Kelpie, tu les prendras par devant ! C’est parti !
Les trois créatures, toutes différentes l’une de l’autre, exécutèrent les ordres de leur invocatrice. L’ondine parcourut une centaine de mètres et s’arrêta. Il s’agissait d’une femme constituée entièrement d’eau et à la longue chevelure ruisselante.
Elle tendit les mains et commença à tirer sur ses cibles. Des projectiles d’eau condensée jaillirent en rafale. Les deux Profonds qui se tenaient en tête du groupe furent touchés. Les impacts brisèrent plusieurs de leurs os et les repoussèrent.
Aussitôt, un Itaobred s’interposa en déployant ses sortes d’ailes d’énergie. Les projectiles d’eau vinrent s’y écraser dessus. Mégane l’avait deviné, c’était plus ou moins ce qu’elle attendait.
Le Kelpie, une créature dont la partie haute était celle d’un cheval et la basse celle d’un hippocampe, dépassa l’ondine. Au lieu de sabots, il avait des nageoires. Canalisant sa magie d’eau, il les renforça et les rendit tranchantes. Il heurta la barrière défensive de l’Itaobred de tout son poids et le projeta en arrière.
Aussitôt, profitant du déséquilibre, la silhouette du Lusca fonça sur sa proie tous crocs en avant. Il s’agissait d’un être à moitié requin et à moitié pieuvre. Utilisant ses tentacules, il se propulsa d’un coup, tandis que ses crocs s’enfoncèrent dans les chairs de l’Ancien. Il ne fallut pas longtemps avant qu’il le mit en pièces.
Privé de leur défense, les projectiles de l’ondine vinrent toucher trois autres Profonds qui essayèrent vainement de se protéger.
Trois autres Profonds chargèrent le Kelpie en pointant leurs tridents en avant, mais les mouvements du cheval-hippocampe étaient bien trop fluides et rapides pour être touché. C’est avec une grâce incroyable qu’il tailla ses adversaires en morceaux à l’aide de ses nageoires.
Pendant ce temps, deux Itaobred se mirent en position devant deux Profonds, leur servant de bouclier. Le but de ce nouveau groupe était d’abattre la tireuse, autrement dit l’Ondine. Mais Mégane transmit ses ordres mentalement à cette dernière qui cessa de tirer et commença à tourner autour du groupe. Profitant de sa vitesse, elle esquiva les tentacules des Itaobred et les tridents des Profonds, tout en leur projetant quelques tirs espacés.
Finalement, le Lusca saisit un des Itaobred dans ses tentacules, l’immobilisa puis le tua. Il s’en alla ensuite s’occuper du second tandis que le Kelpie vint en renfort à l’Ondine et s’occupa des deux Profonds qui essayent vainement de l’atteindre en tirant à son tour des projectiles d’eau.
S’approchant de ses invocations, Mégane dispensa un coup de coutelas sur un des Profonds à l’agonie avant de dire :
— Nous n’avons pas le temps de jouer avec des déchets : Akemi a besoin de nous !
Lorsqu’elle tourna son regard vers la commande des syrens, elle la trouva affairée à esquiver les nombreux tentacules qui l’attaquaient.
Conformément au plan, Akemi avait joué la défense en attendant Mégane.
Utilisant à la fois son incroyable vitesse et sa barrière réactive, elle tenait bon mais elle ne pouvait certainement pas tenir ce rythme éternellement.
Soudain, la défense se brisa.
Mégane ordonna à l’Ondine et au Kelpie de tirer. Leurs projectiles d’eau frappèrent les méduses géantes et attirèrent leur attention. Ce n’était pas suffisant pour les terrasser, même par surprise, mais…
— Merci pour l’ouverture ! s’écria Akemi. 神々疾駆・Kougou-Shikku !
Canalisant sa magie d’eau dans son katana, elle en agrandit la taille et le rendit encore plus tranchant. Elle se propulsa à une vitesse folle et passa entre les tentacules des deux monstres. Il s’agissait d’une de ses bottes, une attaque de tranche supersonique ; bien sûr, la vitesse sous l’eau n’excédait pas réellement celle du son, la résistance du milieu marin l’empêchait, il ne s’agissait que d’une appellation.
Toutefois, elle allait si vite qu’elle ne laissa derrière elle qu’une ligne blanche et les tentacules tranchés desquels s’écoulaient un étrange liquide blanc visqueux.
— Mégane ! Maintenant ! Attaquons avant qu’ils ne régénèrent !
Akemi n’avait pas envie de faire traîner le combat, elle savait qu’en guerre d’usure elles perdraient face aux Chtetli puisque ces dernier disposaient d’une régénération. De plus, ils étaient capables d’empoisonner les victimes prises aux pièges de leurs tentacules.
— OK !
Faisant disparaître l’Ondine et le Kelpie, Mégane les remplaça par deux Lusca qu’elle envoya à l’assaut en formation. Parmi ses invocations, les Lusca étaient celles avec le plus de pouvoir offensif.
Tandis qu’Akemi se rapprochait en esquivant les tentacules restants, les trois requins-pieuvres enfonçaient leurs crocs dans les chairs molles des Chtetli.
Malgré la diversion et sa vigilance, Akemi se fit toucher deux fois : une fois à la jambe et une autre à l’épaule. Les coups étaient accompagnés d’une redoutable puissance, mais c’était surtout le poison qui commençait déjà à engourdir ses membres qui inquiétait la commandante.
« Kaishin Seihenka・ 海神聖変化 !! »
Akemi relâcha à nouveau une attaque extrêmement rapide : une série de huit coups de tranche dessina un emblème à la forme de chrysanthème sur le plus proche des Chtetli. Malgré sa régénération, l’espèce de méduse géante vit son corps se séparer en huit morceaux.
— Et de un !
Le Chtetli relâcha la proie qu’il avait emprisonné dans ses tentacules, un des Lusca, qui se transforma aussitôt en bulle d’eau qui se dirigea vers Mégane et entra dans son corps. Lorsqu’une invocation disparaissait, il y avait toujours une manifestation qui retournait dans le corps de leur invocatrice. La raison tenait dans le fait que les invocations étaient en réalité chargée d’une partie des émotions de leur invocatrice, ce qui leur conférait leur autonomie ; il ne s’agissait donc pas de réelles créatures venues d’un autre monde, mais de créations magiques indépendantes.
Mégane grimaça, elle ressentit une vive douleur qui rapidement disparut.
Les deux Lusca étaient également immobilisés par les tentacules du dernier Chtetli. Akemi profita de leur sacrifice —qui empêchait le monstre de bénéficier de l’ensemble de ses membres pour attaquer— pour foncer sur le dernier ennemi.
Ce dernier projeta ses tentacules libres sur Akemi qui les bloqua à l’aide de sa barrière réactive. Elle tint juste suffisamment pour lui permettre d’arriver à portée d’attaque.
« Harou Hounou – 波浪奉納 !!! »
Cette fois, Akemi choisit d’utiliser une frappe à distance. C’était la seule attaque de loin dont elle disposait. Une lame d’eau entailla profondément le monstre, de haut en bas. C’était insuffisant pour le couper en deux morceaux, mais Akemi savait qu’elle n’était pas seule à se battre.
Faisant disparaître les Lusca, Mégane invoqua aussitôt trois Kelpies qui attaquèrent avec leurs nageoires en entrant dans l’entaille. Les tentacules, en grande partie coupés par le Harou Hounou d’Akemi, ne parvinrent pas à les arrêter.
Finalement, le corps du Chtetli se sépara en deux en répandant ses organes dans l’eau.
Pour s’assurer qu’il ne régénérerait pas, Akemi et les Kelpie passèrent encore quelques instants à s’acharner sur le cadavre, le réduisant en pièces plus fines.
— Tu vas bien, commandante ?
— Ça devrait aller… han… han… Je ne pensais pas que notre premier combat serait contre des Chtetli.
— Bah, y a jamais rien d’escompter sous les flots. Ah tiens ! Un nouveau signalement… il a bien dévié déjà.
— Oui, on dirait… C’était le combientième ?
— Troisième, je dirais.
— Suivons les ordres, dit Akemi en rangeant son katana. Suivons le bâtiment en restant à cette profondeur et attendons le septième signalement pour remonter.
Mégane croisa les bras derrière la tête en cachant sa fatigue.
— C’est toi qui décide chef ! Ch’suis pas commandante moi. Héhé !
Akemi l’observa brièvement, puis soupira et hocha légèrement la tête. Elle ouvrit le chemin en espérant ne pas rencontrer d’autres ennemis de cet acabit. Si elle-même pourrait s’en tirer, malgré le poison que son corps commençait à combattre, Mégane, qui n’était que rang B, ne tiendrait pas un second combat du genre.
***
Dans la strate épipélagique, celle la plus proche de la surface, Everly et Maëwenn se tenaient aux aguets.
Si sur terre, il y avait souvent des éléments qui canalisaient les déplacements des personnes, tel que des bâtiments ou les arbres, sous l’eau la menace pouvait venir de tous les côtés, y compris de sous les pieds.
La mission de ces deux syrens était de protéger la coque du navire, aussi elles étaient restées directement en-dessous et continuaient de le suivre. Elles nageaient à une centaine de mètres de profondeur seulement, avec leurs visions surnaturelles, elles n’avaient aucun mal à voir le destroyer même en pleine tempête.
Sous sa forme de combat, les cheveux d’Everly devenaient bouclés et blonds cendrés. Ils se nouaient en deux couettes. Sa tenue, pour sa part, devenait bien plus légère : un veston ouvert au niveau du ventre et dans le dos, une mini-jupe et des collants. Sa poitrine si impressionnante était réduit à néant, sous sa nouvelle forme.
Mais, ce qui était notable était surtout la couleur de sa peau gris-bleutée luisante et l’apparition d’un aileron dans le dos. Elle adoptait les traits des dauphins qu’elle aimait tant.
— Je… je ne détecte rien…
Un peu à l’instar de ces animaux, elle avait un sens de l’ouïe très développé agissant comme un sonar.
— Je ne vois personne non plus pour le moment… Déjà trois signalement…
Maëwenn, une fois transformée, ne changeait que très peu. Ses cheveux gardaient la même couleur blonde, ses yeux la même couleur saphir si étonnante. Sa coupe de cheveux était un peu différente, elle avait à présent des couettes hautes qui s’écoulaient sur son dos et s’agitaient en suivant les courants marins. Elle portait un bikini noir et des sandales.
Maëwenn prétendait être une Mari Morgane, une fée aquatique du folklore breton. C’est pourquoi sur ses identifiants militaires on l’avait classée dans l’archétype « bizarre », même si en réalité son apparence était parfaitement humaine. Les archétypes de mahou senjo servaient juste à définir l’apparence que prenait cette dernière en se transformant, mais n’avait aucune incidence sur sa puissance ou ses pouvoirs.
— D’ailleurs, ces balises sont très gênantes… Elles me cassent les oreilles.
— Je peux te comprendre, Eve. Mais il faut l’endurer, pour que nos camarades puissent nous retrouver.
— Ce serait plus simple de mettre en panne et d’attendre qu’elles nous retrouvent plutôt que de faire fuir toute la faune locale…
Maëwenn afficha un sourire crispé, elle comprenait les plaintes de sa camarade mais, à l’entendre, elle donnait l’impression de penser que ses consœurs avaient moins de valeur que les animaux aquatiques. Everly était d’entre toutes celle qui avait le moins l’esprit d’équipe. Maëwenn, tout comme les autres, le lui pardonnaient, elles pensaient tout qu’un jour elle finirait par s’ouvrir et s’attacher.
— Allons, allons, ce n’est pas si grave non plus. En plus, avec cette tempête, on ne risque pas vraiment d’embêter plus la faune locale.
Everly gonfla ses joues et se tut. En effet, avec le chaos qui régnait dans la tempête, ce n’était pas leurs feux de signalement qui dérangeait le plus les animaux.
— J’entends des créatures en approche… par là…
— Hein ? Je ne vois encore rien.
Everly pointa une direction et rapidement des silhouettes commencèrent à se distinguer. Elles ne se dirigeaient pas vers les deux syrens, mais vers le navire.
— A… Allons les arrêter.
— C’est chiant… Pourquoi c’est à nous de faire le sale travail ?
— Je pense que la capitaine et la commandante se battent aussi actuellement, tu ne devrais pas dire ça. En plus, c’est notre travail. On ne va pas laisser le navire se faire couler.
Everly ne répondit pas, mais on pouvait aisément lire dans ses yeux qu’elle s’en fichait complètement.
Maëwenn soupira longuement :
— Je compte sur toi pour l’avant-garde. Tu devrais vraiment être plus positive, tu sais ?
Mais l’intéressée ignora la remarque et se mit en déplacement vers l’ennemi. Même si elle reproduisait des mouvements similaires à ceux des dauphins, en vérité, sa capacité à se mouvoir sous l’eau était purement magique.
Rapidement, elles arrivèrent en vue d’un groupe d’une dizaine de Profonds, dont deux à la peau plus claire que les autres, ce qui indiquait en général qu’il s’agissait de Sorciers Profonds. Il y avait également quatre Mhazes qui inquiétèrent les deux syrens.
Ces êtres ressemblaient à des limaces géantes, à peine plus haut qu’un humain. De leurs corps grisâtres et luisants s’extirpaient des pattes d’araignée. La partie antérieur de leurs corps était dressée et munie de tentacules à ventouses et ergots. Leurs yeux étaient pédonculaires et ils disposaient de quatre gueules aux multiples rangées de crocs.
Parmi les troupes de Cthulhu, les Mhazes tenaient le rôle d’éclaireur, ils étaient aussi agiles que rapides et particulièrement fourbes. Leur principal pouvoir était de commander des nuées d’insectes qui leur servaient d’yeux et d’oreilles, mais sous l’eau ils ne pouvaient déployer une telle capacité.
Les deux filles se jetèrent un regard complice et se mirent en position. Everly se plaça devant sa camarade prête à la défendre, tandis que cette dernière joignit les mains et ferma les yeux.
Écartant les mains, Maëlwenn créa une sphère d’eau tournoyante qu’elle lança en direction de ses adversaires. À peine à une dizaine de mètres de distance de son utilisatrice, elle changea de forme et se transforma en un petit maelstrom. Plus il progressait vers l’ennemi, plus il devenait gros.
Finalement, lorsqu’il atteignit les premiers Profonds, le tourbillon mesurait plus de 50 mètres de diamètres. Trois d’entre eux furent aspirés avant même de pouvoir réagir et furent mis en pièces avant d’atteindre le cœur du maelstrom.
Un Mhaze commença à être aspiré également, mais il accrocha ses tentacules à un de ses voisins qui l’aida à se retenir. Malgré cela, plusieurs entailles se dessinèrent sur leurs corps à mesure que ce mixer géant les lacérait.
Les deux Profonds à la peau clair, pour leur part, tendirent leurs mains et firent apparaître des barrières magiques pour se protéger. Ils englobèrent également les autres Profonds.
L’attaque de Maëlwenn dura quelques secondes encore, elle fut insuffisante pour détruire les deux barrières magiques, mais peu s’en fallut.
Tous les regards se tournèrent aussitôt vers les syrens.
— Ils nous ont repérés…, dit Everly avec un sourire en coin.
— J’avais remarqué, merci ! C’est parti pour le second round !
Maëlwenn relança sans tarder la même attaque tandis que leurs adversaires se réorganisaient. Cette fois, elle ne fut pas aussi efficace, seul un malheureux Profonds fut aspiré et tué par le tourbillon.
— Ils sont rapides…
— Ce ne sont que des Profonds… c’est nous qui sommes nulles.
— Dis ? Tu ne veux pas m’aider au lieu de nous rabaisser, Eve ?
— Pfff ! OK…
Sur ces mots, Everly se tourna vers un Mhaze en approche, en tête du groupe, ouvrit la bouche et un projectile d’eau condensée en jaillit. Le monstre eut à peine le temps d’esquiver qu’un second projectile le heurta en pleine poitrine. Son corps spongieux amortit en partie les dégâts de nature contondants, mais il fut suffisamment sonné pour arrêter sa progression.
Changeant de tactique de combat et s’adaptant à la nouvelle distance de ses ennemis, Maëlwenn tendit ses mains et projeta un courant d’eau dense, rapide et tranchant sous la forme d’une ligne droite. Le Profond ne fut pas capable de l’esquiver à temps, son corps fut tranché en deux.
Cependant, la réelle cible de Maëlwenn se trouvait bien plus loin : un des sorciers Profonds en retrait. Ce dernier était en pleine incantation, dans la langue de son maître, le r’lhyenien. La déferlante d’eau poursuivit sa trajectoire et s’abattit sur le sorcier qui interposa une barrière magique assez similaire à celle des syrens. Il ne s’arrêta pas dans sa tâche.
— Eve ! Ils… ils préparent quelque chose !
— À toi de t’en occuper.
La syren anglaise était aux prises avec deux ennemis déjà : les Mhazes, plus rapides que les Profonds. Elle avait pris le partie de les intercepter pour laisser le champ libre à Maëwenn.
Agitant son corps à la manière d’un dauphin, elle se propulsa sur l’un de ses ennemis à pleine vitesse.
Le coup de poing parvint à toucher le monstre limace et creusa même un trou dans son corps mou.
La douleur et la surprise passée, les tentacules et pattes du monstre s’agitèrent et convergèrent sur Everly, mais cette dernière était préparée à cette éventualité. Elle interposa un mur d’eau dense qui les bloqua, puis, aussitôt, elle profita de l’ouverture pour contre-attaquer. Cette fois, elle enchaîna les coups de poing et les coups de pied.
Everly était une utilisatrice d’un style de combat assez particulier qu’elle avait nommé le « Kenpô du dauphin ». Même si vaguement ses gestes évoquaient cet animal, elle lui avait donné ce nom par simple affection. La particularité de ce style, impossible à imiter par un artiste martial sans pouvoirs magiques, était basé sur des attaques aussi rapides à l’air libre que dans un milieu aquatique, défiant ainsi la résistance de l’eau. Avec ce style de combat, Everly pouvait faire face à des monstres absurdes qui semblaient tout aussi peu se soucier des contraintes d’un tel milieu.
Le corps du Mhaze se constella d’un ensemble de trous, mais il parvint malgré tout à bloquer la main gauche d’Everly dans l’une de ses gueules. La jeune femme grimaça sous l’effet de la douleur, son poing saignait, percé par de nombreux crocs.
Son autre poing vint immédiatement briser les crocs qui la retenaient et elle acheva le monstre d’un coup de pied. Elle n’eut pas le temps de s’occuper de sa blessure que le second Mhaze la prit pour cible en déployant ses tentacules. Cet ennemi était celui qu’elle avait précédemment blessé à l’aide de ses projectiles d’eau.
Everly bloqua les attaques avec sa barrière d’eau et se mit à chercher les deux autres Mhazes ; elle les suspectait de fomenter une attaque-surprise, c’était leur spécialité.
— Je déteste me battre pourtant…, marmonna-t-elle démotivée.
Sur ces mots, elle sectionna un des tentacules du monstre d’un rapide coup de pied.
Tandis que le combat au corps-à-corps se poursuivait, Maëlwenn venait d’abattre le premier Profond sorcier, mais le second achevait déjà son incantation. Pour leur part, les Profonds survivants déferlaient sur la syren en groupes, armes et griffes en avant.
Une aura violacée se dégagea du sorcier, l’eau autour de lui devint noire. Ses alliés s’écartèrent alors que cette eau telle une tâche d’encre se répandit en direction de Maëwenn.
— Je veux pas savoir ce que ça fait… Je suis sûr que c’est un redoutable poison… Brrr ! dit-elle en frissonnant.
En effet, elle avait vu juste, il s’agissait bien d’un poison magique particulièrement virulent. Même la syren qu’elle était en mourrait si elle entrait en contact. Un si long sortilège impliquait forcément de puissants effets, c’était quelque chose que Maëwenn avait appris au cours de ses combats.
Néanmoins, encore fallait-il que le nuage atteigne sa cible.
— C’est bien tenté, mais…
Elle tendit sa main droite et projeta un nouveau maelstrom magique. Ce dernier franchit la zone d’eau empoisonnée et finit par atteindre le sorcier qui interposa sa barrière magique.
C’était un vain effort. Rapidement le tourbillon commença à aspirer toute l’eau environnante, poison y compris. Même si sa barrière du Profond le protégeait contre le contact direct du maelstrom, le sorcier et un autre Profond à proximité furent enveloppé par les eaux noirâtres.
Maëwenn coupa son sort, il n’était pas nécessaire de le prolonger. Déjà, le poison colla sur la peau de ses victimes telles une gelée gluante. Ils eurent beau de débattre pour s’en débarrasser, il était déjà trop tard. Le poison entra en eux et bientôt ils cessèrent de bouger.
Les autres Profonds assistèrent à l’horrible exécution, ils se mirent à communiquer entre eux dans leur langage. Trois décidèrent de prendre la fuite sous les insultes (du moins, c’était ce que devinait Maëwenn) des deux autres.
Maëwenn souffla un instant, mais ce moment d’inattention failli lui coûter cher. Elle remarqua au dernier instant une forme derrière elle. Elle interposa son bouclier réactif juste à temps pour bloquer les tentacules et pattes d’un Mhaze.
Elle se retourna en écarquillant les yeux :
— Ça crainnntttt !! pensa-t-elle.
Le corps-à-corps n’était pas son fort, elle devait se débarrasser de cet ennemi rapidement avant que les deux Profonds n’en profitâssent. Mais le Mhaze était décidé à en finir, il se mit à marteler la barrière encore et encore.
À ce rythme, elle ne tiendrait pas longtemps.
Maëwenn tendit ses mains devant elle et, acceptant de se blesser elle-même, elle recouvrit ses mains d’électricité. La majeur partie de l’arc électrique se propagea devant elle, se répandant dans l’eau et électrocutant le Mhaze qui ne s’y attendait pas.
Mais l’utilisatrice de ce pouvoir ne s’en tira pas indemne. Elle grimaçait en serrant les dents. Cette attaque n’était pas destinée à être utilisée sous l’eau, c’est pourquoi les arcs électriques la parcouraient également ; elle n’entendait plus qu’un « bzzzzzz » désagréable.
Elle aurait pu couper son attaque aussitôt, mais elle venait de prendre l’avantage : le corps spongieux de cette espèce de limace supportait bien moins l’électricité que le sien. D’autant qu’elle ne subissait qu’une part minime de la décharge contrairement à son ennemi.
Après quelques instants, il finit par littéralement éclater, répandant ses organes autour de Maëwenn.
— Dégueuxxxxx !!!
Mais elle n’eut pas le temps de se plaindre de son corps engourdi, les deux Profonds arrivaient au corps-à-corps…
Quelques instants auparavant, Everly avait porté le coup de grâce à son adversaire. Son pied s’était enfonçé dans son corps et l’avait repoussé de quelques mètres. Par précaution, Everly elle avait ouvert la bouche et avait tiré trois sphères d’eau sur l’agonisant.
Elle n’était cependant pas sortie indemne de cet affrontement. Si elle avait pu se débarrasser facilement du premier —sûrement grâce au fait qu’il l’avait sous-estimée— celui-ci n’avait pas commis la même erreur. En combat singulier, la puissance et la vitesse d’un Mhaze équivalait celle d’Everly, leur échange avait donc duré un moment. Elle avait des contusions, des hématomes et des entailles à différents endroits de son anatomie. Et, en plus, elle était essoufflée.
Néanmoins…
— Il y en a encore deux… Reste sur tes gardes, Everly.
Elle eut à peine le temps de la prévenir qu’elle en trouva un aux prises avec sa camarade. Elle vit un rayonnement électrique, puis une explosion de sang. Elle comprit ce qui s’était passé.
Maëlwenn était dans de beaux draps : deux Profonds venaient d’arriver au contact. Contrairement à Everly, elle n’était pas du tout taillée pour le combat rapproché. Même si c’était du menu fretin, ils pouvaient arriver à la vaincre.
Ouvrant la bouche à nouveau, Everly tira sur chacun d’eux.
Les deux Profonds, concentrés sur Maëwenn n’eurent pas le temps d’esquiver. Une première salve vint les étourdir et leurs briser quelques os, tandis que la seconde mit fin à leurs existences.
Maëwenn qui s’apprêtait à faire apparaître sa barrière se tourna vers l’origine des tirs et leva le pouce en affichant un sourire bienveillant. Everly resta de marbre, néanmoins.
Mais à cet instant, les yeux de la Mari Morgane s’écarquillèrent.
— Derrière toi !
Dans une scène qui avait l’air de se dérouler au ralenti, Maëwenn tendit les mains et projeta une trombe d’eau tournoyante.
Everly s’y attendait. Elle se doutait que le dernier ennemi profiterait de cette occasion pour passer à l’assaut. Attaquer par surprise était leur marque de fabrique.
Aussi, Everly se propulsa d’un coup en avant en esquivant à la fois l’attaque de son alliée que celles de son ennemi. Elle sentit malgré tout deux tentacules lui percuter le dos, mais elle prit sur elle et poursuivit sa manœuvre d’évitement.
Lorsqu’elle fut suffisamment distante, elle se retourna, fit apparaître deux vrilles d’eau autour de ses bras, assez similaires à des perforeuses, et accompagna l’attaque de Maëwenn en les projetant sur le dernier Mhaze.
Dépassé par le nombre d’attaques simultanées — qui plus est de puissantes attaques— , le monstre ne parvint pas à s’en protéger. Son corps fut perforé, puis découpé en morceaux.
— Han… han… Bien joué, Eve.
— …
Cette dernière resta silencieuse, elle reprenait son souffle en observant les alentours.
— La première vague est passée. Nous… nous devrions pouvoir souffler un peu…
— Le navire… Il a dérivé…
— Ah oui !!! Tu as raison ! Vite rattrapons-le !
Les deux filles observèrent le nouveau feu de signalement, sûrement le cinquième, et se mirent en chasse du destroyer.
***
Dans l’épipélagique un second groupe évoluait derrière le navire.
La capitaine craignait que les machineries ne soient attaquées, elle avait donné tâche à Isabel et Yuna de s’occuper de le défendre. Elles avaient plongé à une profondeur de 50 mètres environ et le suivaient tant bien que mal. Aucune des deux n’était particulièrement rapide, mais le destroyer ne pouvait pas tourner à plein régime en raison des vagues, de toute manière.
Sous sa forme de combat, Isabel faisait hommage à son surnom de « Sister ». Mesurant à présent quelques dix centimètres de plus, elle était vêtue d’une robe noire qui sans être identique à celles des religieux l’évoquait malgré tout. À son cou était suspendu une croix en or et son arme était une croix gothique géante qui faisait plus ou moins sa taille. Ses cheveux gardaient la même couleur rose, mais ils étaient plus longs. Et de même ses courbes étaient plus prononcées. On aurait dit une version « adulte » d’Isabel.
Son regard était toujours aussi imperturbable et froid. Elle était entourée d’une bulle aux parois ornées de croix chrétienne faites d’énergie.
Et pourtant, malgré ton apparence.
— Foutre Dieu ! Ils vont se pointer ces cons ? Déjà trois signalement et toujours que dalle…
— Tu ne devrais pas jurer de la sorte, Isabel. Tu risques de nous attirer les foudres du ciel, dit Yuna.
— Tsss ! Ce que j’en ai à foutre. Puis, s’il y avait un dieu, ça fait une plombe qu’il m’aurait châtiée, tu penses pas ?
Yuna baissa la tête et resta silencieuse.
Isabel fit claquer sa langue et jeta un regard noir à sa camarade.
— Je pense que moins on cause toutes les deux, mieux c’est. À la base, j’ai même pas besoin de toi, pantin.
Yuna ne dit mot, son expression était triste. Elle ne savait pas pour quelle raison Isabel lui en voulait autant, mais leur relation avait toujours été comme ça.
— Oui…
Yuna était une femme au corps particulièrement voluptueux. Elle mesurait un mètre soixante-dix environ, avait de très longs cheveux blancs, des yeux rouges et une poitrine opulente. Elle portait une tenue noire légère particulièrement évocatrice. Sur sa tête se trouvaient deux petites cornes de démon.
Si leurs apparences étaient opposées, leurs attitudes l’étaient tout autant. L’ange et le démon avaient inversés leurs rôles.
Au moment du quatrième signalement, elles remarquèrent des silhouettes qui se rapprochaient du vaisseau, elles étaient de l’autre côté, à l’opposé d’elles.
— Diantre ! Ils font chier ces hérétiques de mes deux ! T’as vu comme ils sont loin ?
— Euh oui… Même en accélérant, nous sommes trop lentes.
— Ouais, merci Miss-Génie. Comme si j’avais pas remarqué… Bon, tu vas me gagner du temps. Kayomi va être furax si on les arrête pas à temps. Et j’ai pas envie de me faire engueuler.
— Je… je vais tenter de les retenir en leur tirant dessus.
Isabel grimaça avec un air mauvais.
— Tenter ? J’espère un peu plus que ça, tu sais ? Si tu n’y arrives pas, je t’enfonce cette croix où j’pense, OK ?
— Hiiiiiiiiiiii !
Sans aucune once de regret à l’égard de ses menaces, Isabel accéléra en empoignant fermement sa croix géante.
Pour sa part, Yuna s’arrêta. Elle prenait les menaces d’Isabel très au sérieux. À cette distance de quelques centaines de mètres, seulement quelques sortilèges avaient la portée d’attaque nécessaire pour toucher.
Elle inspira profondément et, d’un seul coup, deux sphères de glace noire apparurent dans ses mains.
Yuna était une utilisatrice d’une branche de magie rare que les spécialistes avaient désignée sous le nom de « cocytus » en hommage à la mythologie infernale. Et pour cause, il s’agissait d’une mélange de glace et de ténèbres, une source de dégâts à la fois gelante et désintégrante. Elle avait nommé son propre pouvoir « Yamata no Nureonna » en référence au serpent à huit têtes du folklore japonais.
Elle tira sans plus tarder sur la grande silhouette qu’elle reconnaissait être un Chtetli. Le groupe d’ennemis était composé d’un seul de ces êtres, accompagné d’une vingtaine de Profonds, de quatre Itaobred et de deux Ebhaddrosh.
Ces derniers étaient des monstres absurdes qui ressemblaient vaguement à des crabes géants, hauts de quatre mètres et demi. Néanmoins, leurs têtes se rapprochaient plus de celle des moustiques avec un long aiguillon au centre. Ce dernier était cerné par une paire de mandibules et surmonté par de gros yeux à facettes. Le corps des Ebhaddrosh était terminé par une queue où se trouvait une gueule munie de crocs acérés.
Les sphères de glace passèrent à grande vitesse au-dessus d’Isabel et se ruèrent sur l’énorme méduse. Sur la zone d’impact, le corps de l’Ancien se gela et les tissus commencèrent à se désintégrer à mesure qu’ils se régénéraient. C’était une attaque idéale contre des créatures disposant d’une régénération biologique comme les Chtetli.
Le groupe s’arrêta soudain pour leur faire face. C’était exactement ce qu’Isabel attendaient qu’ils fassent.
Tout en relançant la même attaque, Yuna grimaça. Cette fois, les deux Itaobred interceptèrent les sphères avec leurs ailes d’énergie. Simultanément, les Profonds se mirent à charger la religieuse, tandis que les deux Ebhaddrosh ouvrirent le feu sur Yuna. De leurs queues jaillirent des trombes d’eau sous haute pression.
— Hiiiiiiiiiiii ! Désolée ! Désolée !!
La démone se recroquevilla derrière son bouclier réactif, elle semblait apeurée. Son corps était endolori, chaque utilisation de ses sphères lui provoquait d’horribles douleurs. Tous ses pouvoirs avaient des contrecoups, mais en échange sa capacité offensive surclassait son rang.
— Ramenez-vous bande de glands ! Je vais vous refaire le portrait !! Aaaaaaaahhhh !
À l’opposé, Isabel provoquait ses ennemis. Elle arriva enfin à portée du premier Profond. Elle bloqua son trident à l’aide de sa croix qu’elle utilisait comme une épée à deux mains disproportionnée et, sans s’arrêter, elle saisit la tête de son adversaire qu’elle lança de toutes ses forces sur un second Profond.
Les deux se heurtèrent l’un l’autre et se retrouvèrent confus par l’attaque. À peine reprirent-ils leurs esprits l’arme géante d’Isabel vint les trancher en deux au niveau de la taille, d’un seul coup.
Isabel, surnommé Sister, n’avait pas de pouvoirs très complexes, sa spécialité était le combat rapproché et la défense magique. En effet, son pouvoir « Santa Crux », la sainte croix, avait pour attribut les « sceaux ». Dans les faits, elle n’était capable d’utiliser que deux pouvoirs : l’un pour créer cette bulle imperméable autour d’elle qui lui permettait de se mouvoir sous l’eau et le second était son bouclier de la foi.
Lorsque six Profonds déferlèrent sur elle en même temps, elle le fit d’ailleurs appel à ce dernier. Cette barrière magique à six couches était une protection d’une rare solidité. Aucune des attaques de ses ennemis ne parvint ne serait-ce qu’à l’ébrécher.
— Misérable menu fretin ! Que les enfers accueillent vos âmes poisseuses !
Elle porta un coup horizontal à presque trois-cent-soixante degrés. Avec sa force surhumaine, elle trancha quatre des Profonds en deux sans aucun effort. Autour d’elle, le sang et les tripes flottaient tel une couronne rendant hommage à sa reine. Elle esquissa un sourire satisfait et sadique, puis se tourna vers les deux qui avaient survécu.
Ces derniers, voyant la facilité avec laquelle se battait la femme, hésitèrent et se figèrent. Tandis que leur bourreau s’apprêtait à en finir avec eux, elle remarqua du coin de l’œil, une seconde vague de Profonds qui arrivaient sur elle.
— Que la fête commence !
À distance, Yuna recroquevillée subissait les tirs de Ebhddrosh. Sa barrière réactive tenait bon, mais la défense n’était pas sa spécialité aussi des fissures commencèrent à apparaître. Elle remarqua que plus loin le Chtetli et son escorte d’Itaobred ignoraient Isabel et se dirigeaient à présent vers la coque du navire.
— Non, non… je n’ai pas envie d’être punie… Il ne faut pas que vous alliez plus loin ! Aaaaaaaaaaaahhhhh !
Elle se mit à hurler alors que de son dos s’extirpèrent huit serpents géants. La douleur était telle qu’elle était pliée en deux et se tenait la poitrine. Aussitôt, ces nouveaux membres se tournèrent vers les ennemis, qui n’avaient de cesser de la harceler avec leurs trombes d’eau, et se mirent à tirer en rafale des missiles de glace noire.
Les missiles étaient si puissants et perforants qu’ils filèrent droit à l’intérieur des trombes d’eau et atteignirent les queues dont ils provenaient. Le nombre de pics de glace augmenta encore, rapidement les deux Anciens ressemblant à des crabes géants se retrouvèrent acculés sous le nombre de tirs. Malgré leurs solides chitines, les tirs perçaient et désintégrèrent leurs chairs. D’abord leurs queues, puis le reste de leurs corps furent réduits en pièces.
Mais lorsque Yuna dirigea ses tirs vers le Chtetli, elle se rendit compte qu’il était trop loin, hors de portée de ses attaques.
— Ça… ça fait mal… Ouin !!
Elle avait les larmes aux yeux, elle se serait bien passée de se battre, mais son regard se tourna vers la brute qui découpait les Profonds sans état d’âme et plus précisément sur son arme. Yuna blêmit.
— Je veux pas… un truc pareil en moi… Hiiiiiiiiiiii !!
Elle s’agita, paniqua et finalement décida de redoubler d’efforts. Isabel avait presque fini de s’occuper des Profonds de toute manière, elle ne tarderait pas à s’attaquer aux autres.
Le véritable problème était le Chtetli, il devait être arrêté.
Reprenant son calme, Yuna tendit les mains devant elle, inspira et tira un rayon noir. Ce dernier parcourut la distance la séparant de sa cible à une vitesse folle. Mais la garde d’Itaobred s’interposa aussitôt pour leur chef.
— Dis… disparaissez !! S’il vous plaît !!
Yuna avait affreusement mal aux mains. Le rayon lui gelait les doigts jusqu’ à l’os. Mais elle devait faire quelque chose. Et vite !
Elle mit à crier tout en rassemblant encore plus de magie dans son attaque. Submergés, les deux Itaobred et leur barrière d’énergie finirent par être totalement gelés. Aussitôt, la glace noire commença à littéralement les dévorer.
Se détournant d’eux, Yuna tourna son rayon vers le Chtetli. L’énorme méduse interposa ses tentacules qui subirent aussitôt une grande quantité de dégâts. Ils avaient beau se régénérer à une vitesse, la capacité offensive de Yuna était encore plus importante.
Puis, soudain, alors que tout semblait perdu pour le Chtetli qui voyait le rayon se rapprocher de lui, Yuna cessa l’offensive.
Ses bras étaient entourés d’une couche de glace qui la faisait horriblement soufffrir.
— Je… je n’en peux pluuuuus !!!
— Tu as fait ton devoir, pantin. Heureusement pour toi.
Au-dessus du Chtetli se trouvait la silhouette de la fausse religieuse. Son regard était féroce.
L’Ancien projeta sur elle les tentacules qui avaient eu le temps de se recomposés, mais elle les bloqua à l’aide de sa barrière magique.
— Excite-toi autant que tu veux, mais c’est moi qui fera tomber ton ordalie.
Elle fonça droit devant elle en ignorant les coups répétés. Sa barrière finit par céder, mais aussitôt son épée s’enfonça dans le corps mou de la méduse géante. Elle dessina une large entaille dans toute la hauteur.
Même si le contact avec le corps de cette créature était empoisonné, son sang n’était pas assez virulent pour affecter la syren.
Isabel fit tourner autour d’elle sa croix et trancha un faisceau de tentacules. Puis, sans laisser un seul instant de répit au monstre, elle enchaîna les coups. Rapidement, le corps du Chtetli fut découpé en tellement de morceaux qu’il fut incapable de se soigner.*
Isabel considéra le massacre autour d’elle avec satisfaction, puis elle leva le nez en direction du navire.
— On dirait qu’on en a fini avec ces raclures. Eh oh ! Suis-moi, pantin ! C’est bientôt l’heure de remonter. Essaie de pas être trop inutile d’ici là.
— OUI !!
Yuna répondit machinalement, sans hésiter, par pur réflexe induit par la peur. Elle se mit à suivre Isabel en observant ses mains qui commençaient à peine à dégeler.
***
Pendant ce temps, le groupe dans la strate la plus profonde…
Après avoir terrassé quelques dizaines de Profonds à deux, Kayomi et Violaine aperçurent des formes massives se rapprocher. Un Chtetli, quatre Ebhaddrosh et deux Myll’dri également.
Ces derniers mesuraient un trentaine de mètres de long. Leurs peaux était grises à la manière des requins qu’ils évoquaient lointainement. Mais il ne fallait pas s’y tromper : comme tous les Anciens, il s’agissait d’êtres absurdes. Leurs nageoires ressemblaient davantage à des ailes. L’extrémité de leurs corps étaient finis par des dards, tandis que le crâne était muni d’une gueule à membrane extensible similaire à un requin pèlerin. Une poche translucide verdâtre se trouvait d’ailleurs au niveau de leurs gorges.
Au sein des troupes de Cthulhu, les Myll’dri étaient des troupes d’élite, aussi redoutables mais plus versatiles que les Chtetli.
— Kayomi c’est pas un peu trop pour juste nous deux ? demanda Violaine.
Même sous sa forme de monstre, sa voix demeurait inchangée.
Kayomi, son fusil à pompe quadritubulaire posé sur l’épaule, fit face au groupe qui déboulait. Elle esquissa un sourire.
— Tu peux toujours remonter si t’as les chocottes. Mais je te préviens : tu passeras en jugement pour désertion.
— On ne dirait pas trop un choix… Mmm, tu es vraiment d’une infinie bonté…
— Je sais, certains m’appellent même « l’ange des océans ».
— C’était pas plutôt la « folle des profondeurs » ?
Certaines syrens qui n’aimaient pas Kayomi l’avaient en effet surnommée ainsi à une époque, mais le surnom avait été rapidement abandonné.
— Hahahaha ! C’est vrai aussi ! Bref, si tu veux remonter, ce sera à toi de voir. Ça ne me déplairait pas de te punir un peu…, dit Kayomi en se léchant les lèvres. Puis, j’ajouterais au procès ton habituelle insubordination.
— Gloups ! Sadique des profondeurs serait plus juste comme surnom… Quoi qu’il en soit, je suis à tes ordres, Kayomi. J’ai confiance en tes capacités.
— À la bonne heure ! Même si tu n’as pas confiance en moi, au moins tu reconnais avoir confiance en ma force. Ça me va ! Comme le disaient les anciens : « Oderint, dum metuant ».
— Les Anciens ? Tu communiques avec eux ? C’est une nouveauté… Je pensais que tu serais tellement à cran que tu les découperais en morceaux pour les manger… voire que tu les dévorais tout cru… Beurk !
— Je vais te frapper, Violaine. Bref ! Occupe-toi du Myll’dri de droite et des petites merdes autour. Je m’occupe des deux autres.
— Cinq ennemis pour moi ? C’est…
— On échange si tu veux.
— Sans façon. Je vais m’occuper des cinq.
— Tente de ne pas te faire tuer, sinon je m’occuperais de te manger. Hahaha !
— Gloups ! J’ai un sale goût de toute façon ! Et je rends l’esprit des gens fous ! Me mange pas, capitaine〜 !
— Voyez-vous ça ! Ce n’est qu’à travers les menaces que j’obtiens un peu de respect de ta part ? Je m’en souviendrais. Hahaha !
Sur ces mots, la capitaine se propulsa à pleine allure sur ses ennemis, laissant la pauvre Violaine choquée par sa propre erreur.
Les Anciens étaient séparés en deux groupes : le premier remontait vers la surface par la droite, tandis que le second par la gauche.
Aucun des deux ne prêtait attention aux syrens, elles avaient d’ailleurs pu parler sans être dérangées. Leur but était manifestement le navire.
Kayomi était rapide. Bien plus rapide que ses ennemis. Elle se déplaçait dans l’eau comme certaines mahou senjo volaient dans les airs. Elle n’agitait qu’à peine ses pieds et pourtant elle atteignait presque la vitesse des plus rapides poissons et dépassait celle des plus rapides navires de guerre.
Rapidement, elle se plaça devant ses deux ennemis et écarta les bras. Elle aurait pu profiter de leur inattention pour les attaquer par surprise, mais ce n’était pas ce qu’elle avait choisi.
— Eh, les deux puants ! Vous pensez aller où comme ça ? Là haut, c’est mon bâtiment à moi. Y a pas moyen que je vous laisse l’esquinter. En plus, j’ai pas encore fini de payer la peinture. Hahaha !
Elle se mit à rire de sa propre blague, tandis que les deux Anciens s’arrêtèrent. C’était un spectacle incroyable qu’une seule femme puisse tenir en respect deux créatures si énormes, mais pourtant les deux Anciens prirent la menace très au sérieux. Et pour cause, son sourire n’avait rien de charmant ou d’amusant, ses traits ne reflétaient que la brutalité.
Communiquant par des sons étranges, les deux Anciens se mirent en position de combat.
— Eh bien, eh bien ! On cherche donc à me faire du mal ? Je suis outrée ! Tellement ou… Tellement heureuse, oui !! Si je pouvais je me battrais toute la journée contre des raclures dans votre genre ! C’est tellement jouissif de vous voir tomber de vos piédestaux ! De faire tomber votre soi-disant supériorité ! Allez !! Amusons-nous donc ! Suivez-moi jusqu’en enfer, vils forbans ! Hahaha hahaha !
Lorsqu’elle était à bord, la capitaine était certes dure, mais elle n’était en rien comparable à ce qu’elle devenait une fois immergée. Les profondeurs étaient son domaine, c’était là qu’elle se sentait réellement à son aise et qu’elle s’exprimait pleinement.
Les deux Anciens hésitèrent même un instant avant de lancer l’offensive, mais finalement le Myll’dri pointa ses yeux pédonculaires vers Kayomi et ouvrit le feu. Des rayons magiques partirent dans sa direction. Elle les esquiva en riant aux éclats.
Simultanément, les innombrables tentacules du Chtetli se tendirent et la prirent pour cible. Ils étaient si nombreux qu’il n’y avait aucune possibilité de les esquiver.
C’est pourquoi, avec des mouvements agiles et rapides, Kayomi se mit à les découper en utilisant son sabre. C’était une arme spéciale, sa lame était dentée et d’une couleur bleue claire. C’était un métal qui n’existait pas sur Terre, une création magique qu’elle faisait apparaître en se transformant.
La première vague de tentacules se mirent à flotter autour de la furieuse capitaine en répandant un nuage d’une substance blanchâtre qui était le sang de la créature. Une seconde vague ne tarda pas à la prendre pour cible, accompagnés des rayons magiques.
— Ne me faites pas rire !
Kayomi interposa sa barrière réactive qui était si puissante qu’elle aurait pu rendre jalouse certaines syrens spécialisées en défense. Les rayons s’écrasèrent et les tentacules furent repoussés. Il ne fallut pas plus que cette minime ouverture d’une fraction de secondes pour que Kayomi se propulsât à travers le faisceau de tentacules.
Agitant son sabre devant elle, elle déblayait un chemin jusqu’à atteindre le corps principal du Chtetli.
Arrivée à bout portant, elle posa son fusil sur le corps spongieux du monstre. Immédiatement, en réponse à son approche, une gueule s’ouvrit et essaya de mordre l’arme, mais…
— Idiot ! Tu penses pouvoir le détruire comme ça ? Hihihi !
Les crocs n’arrivèrent pas à avoir raison des tubes métalliques de l’arme. Ce n’était bien sûr pas un simple fusil.
Elle pressa la gâchette en continuant de rire aux éclats, ses yeux emplis de folie et ses traits étirés de manière disgracieuse. Quatre chevrotines enchantées entrèrent directement dans le corps du monstre et le ravagèrent.
Même si c’était chose impensable à l’égard des lois de la physique, Kayomi était capable de tirer des munitions solides sous l’eau avec une vitesse, certes réduite par rapport à une détonation à l’air libre, mais qui dépassait malgré tout les fusils à harpons.
D’ailleurs, avec son fusil magique, Kayomi disposait de la capacité de tirer également des harpons à la place des chevrotines, accélérant encore la vitesse et la capacité de perforation.
Puisqu’elle venait de tirer à l’intérieur même du corps de son adversaire, les chevrotines n’eurent aucun mal à répandre leur faisceau de billes qui creusèrent et ravagèrent le Chtetli.
Même après avoir subi les dégâts de ces quatre cartouches, les tentacules du monstre déferlèrent sur la capitaine. Elle bondit pour les esquiver et entra involontairement dans la zone de tir du Myll’dri qui l’attendait un peu plus loin.
Changeant de stratégie, il tira cette fois un crachat acide au lieu des rayons, c’était un des modes d’attaques favoris des Myll’dris et également un des plus dangereux.
À cette distance, Kayomi n’eut aucun mal à l’esquiver. S’éloignant du Chtetli en piteux état, qui essayait de l’atteindre avec ses tentacules, elle fonça sur son autre adversaire qui se remit à tirer des rayons oculaires à la cadence plus rapide que le crachat.
Esquivant en pleine course, Kayomi contre-attaqua en tirant des harpons qui n’eurent aucun mal à s’enfoncer dans le corps du Myll’dri et attiser encore plus sa colère.
Un nouveau crachat se dirigea sur Kayomi. Cette fois, elle ne l’esquiva pas mais le bloqua à l’aide de sa barrière réactive. Elle sentit l’acide la ronger, elle ne tiendrait sûrement pas très longtemps. Mais elle n’en avait que faire puisqu’elle était à présent au corps-à-corps avec son ennemi.
Faisant disparaître sa protection, elle esquissa un sourire qui partait d’une oreille à l’autre.
— Nous y voilà… Hihihi !
Elle commença par trancher une nageoire, puis dessina une entaille sur toute la longueur du corps du monstre à une vitesse qui la rendait impossible à arrêter. Le Myll’dri poussa un hurlement de douleur, il tenta de se défendre en la frappant de son dard caudale. Kayomi lui opposa un habile coup d’épée qui sectionna la queue d’un bout à l’autre.
Contrairement à d’autres mahou senjo, Kayomi n’avait pas de pouvoirs magiques incroyables, elle avait simplement des capacités physiques hors normes. Ce coup de dard aurait pu sans mal percer le blindage d’un tank ou d’un navire de guerre, mais elle avait la force suffisante pour lui tenir tête.
— C’est tout ?! Hahaha !
Au cours de sa carrière, elle avait si souvent affronté les forces de Chtulhu qu’elle en connaissait les schémas d’attaque par cœur. Bien sûr, il ne s’agissait pas de machines mais d’êtres vivants, il y avait toujours quelques variations, mais rien qui ne la surprenait réellement ; surtout en un contre un.
De fait, elle savait déjà quelle attaque allait suivre.
La gueule du Myll’dri s’ouvrit en grand et aspira tout ce qui se trouvait devant lui. L’aspiration était encore plus forte sous l’eau qu’à l’air libre, il était presque impossible de s’y soustraire. Et une fois à l’intérieur de sa gueule, ce qui attendait ses victimes était des sucs gastriques si puissants qu’il n’en restait même pas des os. Cet Ancien pouvait manger des requins et des baleines de cette manière.
Kayomi se remit à rire comme une démente, elle se laissa aspirer sans résister.
Contrairement à d’autres animaux, les parois intérieures du monstre étaient tout aussi solides que son épiderme externe, son corps était adapté à son mode de déprédation. Y entrer en espérant le détruire de l’intérieur était généralement fatal.
Néanmoins, que ce soit l’intérieur ou l’extérieur, cela ne faisait aucune différence pour Kayomi. Elle connaissait son anatomie et au moment où la gueule commença à se refermer, l’aspiration se fit un peu moins forte. Elle n’avait pas encore atteint l’estomac.
C’était le moment qu’elle attendait, un des points faibles du monstre d’elle seule connu. En réalité, elle faisait également partie des rares élus à pouvoir l’exploiter.
Elle sortit des courants d’attraction en se propulsant brusquement, puis ouvrit le feu avec son fusil à pompe. Le choc secoua le monstre qui réduisit encore plus son aspiration. Les impacts perforèrent sa gorge, à un endroit où la paroi était plus fine.
Un liquide verdâtre commença à s’écouler à travers les petits trous, il s’agissait de l’acide contenu dans la poche située au niveau de son cou. Le liquide fut rapidement entraîné vers le fond de l’estomac, la créature n’était pas immunisé à son propre acide de combat (qui était différent de ses sucs gastriques), elle commença à se tordre de douleur.
Kayomi attendit que la poche d’acide soit vide pour finir de trancher la paroi de son sabre, puis s’engouffra par le passage. Elle découpa la glande à acide et ressortit du corps aussitôt.
Le monstre à l’agonie, Kayomi pointa son fusil sur lui et tira plusieurs fois d’affilé, chaque pression de la gâchette était accompagnée de fous rires.
Finalement, le monstre cessa de s’agiter, elle le trancha en deux de son sabre.
— Et de un… Hihihi !
Elle plissa les yeux et se tourna vers le Chtetli à l’agonie sans quitter son sourire sadique.
Pendant ce temps, contrairement à Kayomi, Violaine ne se battait pas en combat rapproché. En effet, elle avait un profil de magicienne, malgré ce que laissait suggérer sa forme monstrueuse imposante.
Lorsqu’elle avait vu les Ebraddrosh se ruer sur elle tandis que le Myll’dri leur offrait une couverture à l’aide de ses rayons, elle avait douté de son aptitude à pouvoir gérer une telle situation.
Elle avait commencé par prendre la fuite en plongeant, elle pouvait supporter une profondeur de 3000 mètres au maximum, mais elle se rendit rapidement compte que ses adversaires étaient aussi rapides qu’elle.
— Comment je vais faire ? se demanda-t-elle.
À cet instant, son regard se perdit sur les nombreux coraux recouvrant le plancher océanique. Ils étaient beaux. Réellement, elle adorait l’océan, que ce soit à la surface ou dans ses abysses. Cette faune marine ornait un trou béant descendant encore bien plus profondément, c’était de là qu’étaient sûrement arrivés les Anciens.
Quelques tirs vinrent la tirer de sa rêverie, elle ressentit une vive douleur là où les décharges énergétique avaient brûlé ses chairs. Passant sous une arche naturelle dans sa fuite, elle s’éloigna du fossé en frôlant le fond marin. C’est alors qu’une idée lui traversa l’esprit.
Agitant fortement ses nageoires, elle leva une nuage de sable dans lequel entrèrent ses poursuivants.
Leurs yeux à facettes similaires à deux des mouches ne pouvaient se fermer, les morceaux de silice y entrèrent et les déstabilisèrent quelques instants.
— Maintenant !
Elle se retourna, pointa sa gueule dans la direction de ses ennemis et créa une sorte d’explosion sous-marines à l’aide de son pouvoir. L’écume occupa un espace d’une dizaine de mètres de rayon, englobant tous les Ebhaddrosh d’un seul coup.
— Ce n’est pas assez, se dit Violaine en se remettant en mouvement.
De nouveaux rayons oculaires se remirent à fondre sur elle puisqu’elle était trop éloignée pour le crachat acide du Myll’dri. Cependant, bien qu’inférieurs en puissance, les rayons représentaient une dangereuse menace. Violaine interposa sa barrière réactive juste à temps.
Son corps de dragon aquatique était capable de se régénérer tant qu’elle était immergée, mais considérant la cadence de tir, elle n’aurait sûrement pas le temps d’en profiter pleinement.
— Si seulement, je pouvais me débarrasser de ces quatre là…
C’est alors que son regard se perdit dans le lointain. Elle recevait une vision. Ce n’était pas quelque chose qu’elle contrôlait réellement, mais bien plus un pouvoir qu’elle subissait.
Tandis que ses poursuivants blessés se remirent en mouvement, elle continua de nager en levant un nuage de sable. La même stratégie n’allait pas fonctionner deux fois, les Ebhaddrosh restaient à distance.
Accompagnant les rayons du Myll’dri, ils se mirent à tirer à l’aide de leur queue. Les projectiles d’eau condensée passaient autour de Violaine qui zigzaguait et se protégea avec sa barrière réactive.
— OK, nous y sommes~ ! Merci, mère Nature !
À cet instant, un geyser sous-marin jaillit du plancher océanique. C’était ce que son pouvoir d’hydromancie lui avait permis de l’anticiper. Ses ennemis n’avaient rien vu venir.
Même si c’était insuffisant pour leur infliger de sérieux dégâts, ils furent surpris et interrompirent leur poursuite.
Violaine en profita pour relancer la même attaque qu’auparavant, les quatre ennemis accusaient le coup cette fois, ils n’avaient vraiment pas pu s’en protéger. Qui se vit amputer des pattes, qui vit sa carapace chitineuse se fissurer.
— Finissons-en !
Violaine ouvrit à nouveau sa gueule et se mit à tirer des projectiles d’eau en rafale. Grâce à la surprise du geyser, personne ne l’interrompit et elle finit par avoir rapidement raison des quatre.
Cependant, un problème persistait : cette immense créature semblable à une baleine qui nageait au-dessus d’elle et qui lui dit avec dégoût :
— Meurs, misérable mortelle !
— Je pensais un peu la même chose~ ! Nous devons être liés par le fil rouge du destin, puisque nous pensons de la même manière. Smack !
Le monstre Violaine envoya un baiser à son ennemie, puis elle se mit à sourire. Ce n’était pas des expressions qui allaient bien à un monstre, elle avait d’un seul coup l’air aussi effrayante qu’étrange.
Le Myll’dri ne réagit que par un grognement, elle avait manifestement réussi à l’irriter. Même si la plupart de ces Anciens savaient parler le langage des hommes, ils ne l’employaient que rarement, faute d’intérêt pour ces créatures viles et éphémères.
— Même si ton apparence siérait à mon maître Tout-Puissant, l’esprit qui réside dans ce corps est celui d’un vulgaire humain et une de nos ennemies de surcroît.
Le dragon d’eau se mit à se trémousser de manière frénétique :
— Kyaaaa ! Tu vas me faire rougir~ ! Je me fais même draguer dans les profondeurs de l’Atlantique ! Je crois que j’ai atteint une sorte de record !!
On pouvait presque voir des gouttes de sueur apparaître sur le visage du Myll’dri qui se figea.
— Tu… tu as un problème…
— Je ne vois pas de quoi tu parles ? Petite question : ton maître accepte des cultistes tout nul et ne voudrait pas d’une belle et charmante jeune femme comme moi ? En plus, je suis bien plus puissante que ces cultistes au rabais.
Le Myll’dri prit un certain temps de réflexion, puis déclara :
— C’est une question digne d’intérêt… Si tu acceptes de nous suivre et que tu jures fidélité au Dieu des Océans il t’acceptera peut-être parmi nous.
— Vraiment ?!
— Sans doute…
— Oh ! Voilà une bonne nouvelle ! Je vais donc vous rejoindre !
Le Myll’dri était de toute évidence pris de court par ce soudain changement de camp. Il fallait dire que cela n’arrivait pour ainsi dire jamais. Les Anciens et les syrens étaient antagonistes, en principe.
Quelle récompense lui donnerait donc son maître s’il parvenait à ramener une syren dans leur camp ?
Dans une guerre les traîtres avaient toujours une valeur importante, Cthulhu serait ravi d’en apprendre plus sur l’organisation ennemie. D’autant que contrairement à d’autres Puissants Anciens il prenait cette menace très au sérieux.
— Euh… il reste juste une dernière formalité. Prouve-moi que tu es sincère.
— Genre en coulant le navire ou en allant attaquer la capitaine là-bas ?
— Oui.
— Mmmmm… Désolée ! Je ne peux pas. La capitaine est complètement folle, j’ai bien plus peur d’elle que de toi.
C’est avec un sourire qu’elle répondit de la sorte. Sur son visage de monstre, c’était particulièrement perturbant.
— Hein ? Qu’est-ce que tu as dit ?
— Je refuse. La proposition est alléchante, mais il faudrait qu’on se connaisse un peu mieux avant. Je ne suis pas une fille facile, tu sais ?
Le Myll’dri ne chercha plus à l’écouter, il orienta ses yeux hostiles sur Violaine et reprit aussitôt le combat.
Néanmoins, tout cette comédie avait permis à Violaine de se soigner, c’était son unique intention depuis le début.
Cette fois, elle répondit aux tirs par des tirs. Ses projectiles d’eau compacte étaient très rapides et leur cadence de tir était importante, même si leur puissance offensive était inférieur à celle des rayons de son adversaire. Néanmoins, l’avantage majeur dont elle disposait en comparaison au Myll’dri était son agilité et la taille de son corps qui lui permettaient d’esquiver bien mieux que lui.
Après quelques échanges de tirs, l’avantage pencha clairement du côté de Violaine, aussi le Myll’dri commença à fuir. Utilisant la même méthode que Violaine, il ouvrit grand sa gueule, aspira le sable des alentours avant de le recracher dans sa direction sous la forme d’un nuage.
Grâce à cette diversion, il se dirigea vers la fosse marine et y plongea.
Violaine essaya de le poursuivre, même si en réalité, elle n’en avait que faire qu’il survive ou non, il n’était déjà plus une menace à ses yeux, mais…
— Si je dis à Kayomi que je l’ai laissé partir… elle va me torturer…
Les gouttes de sueur apparurent sur son visage.
Mais elle entrait en territoire ennemi, dangereux. Puis, une douleur lancinante à la poitrine la rappela à l’ordre : elle était à plus de trois mille mètres, au-delà de sa limite. Elle n’eut d’autre choix que de remonter en observant son ennemi s’éloigner.
— Tant pis… je pourrais lui dire qu’il m’a échappé…
Elle soupira.
— … et passer pour une incompétente… Elle va me lyncher, me jeter des pierres, m’empêcher de dormir… ou pire encore ! Vite il faut que je le tue !!
Paniqué, le monstre Violaine se mit à s’agiter à nouveau avec des mouvements bien trop humains pour sa forme. Finalement, elle soupira et baissa les épaules (ou l’équivalent dans sa forme) :
— Je ne voulais pas l’utiliser contre toi mais…
Elle inspira profondément jusqu’à remplir son estomac, puis visa le dos du Myll’dri. Elle recracha toute l’eau qu’elle avait emmagasiné sous la forme d’un projectile si dense qu’il était similaire à de la roche. Le projectile fila à la vitesse d’une flèche à la surface, il avait une portée approximative de deux kilomètres et sa précision était irréprochable. C’était l’un des atout de Violaine.
En seulement quelques seconde, le projectile rattrapa sa cible et la perfora dans toute la longueur avant de ressortir par son crâne. Le Myll’dri cessa de se mouvoir et se mit à dériver comme un cadavre.
— Ouf ! Je me suis sauvée…
— Comme tu dis.
Une voix répondit à sa remarque, celle de la capitaine, elle croisait les bras croisés. Violaine se retourna en criant de surprise et de peur.
— Euh… tu… tu as entendu à partir de…
— Plus ou moins tout. Dire que j’ai raté une occasion de te fouetter. Tssss !
— Gloups !
— Allez, remontons, je pense qu’ils ont compris le message avec tout ça.
— D’accord〜 !
Tout en remontant, Violaine demanda :
— Eh, Kayomi ? T’as vu comme je l’ai eu avec mon tir ?
— C’est capitaine, je te rappelle.
— Mais euh… pourquoi ? On est amie, non ?
Les yeux de Kayomi s’écarquillèrent un bref instant, puis elle éclata de rire au point d’en avoir les larmes aux yeux.
— Tu es bien la seule à me considérer comme ça. T’es vraiment la plus louche de cet équipage, pas parole !
— Haha ! Merci, Kayomi〜
Le monstre se mit à raconter son combat et un tas d’autres choses qui lui passaient par la tête sans aucune considération pour le rang hiérarchique de la capitaine. Au fond, cette dernière n’en avait que faire, elle devait tenir ce rôle mais cela ne lui déplaisait pas d’être parfois juste « une amie ».
***
Le pont du destroyer tanguait horriblement.
Les vagues s’écrasaient contre sa coque et se répandaient à sa surface.
Seules deux filles parvenaient à se tenir debout face à ce chaos : l’une était Iris.
Ses couettes s’agitaient au gré du vent. Même sous sa forme de combat, son apparence était sensiblement la même. La couleur de ses cheveux était passé au violet foncé au lieu de noir et ses yeux rouges luisants, mais pour le reste seule sa tenue différait : elle portait à présent une robe légère, noire, qui était fendu à partir de ses cuisses et laissait voir des cuissardes.
Achevant un Profond qui était monté sur le pont d’un étrange épée faite de corail, elle se tourna vers Fulvia :
— Il y en a d’autres qui arrivent !
— Ch’sais ! Tu vas pas m’apprendre mon job, Mam’zelle !
Elles communiquaient en français.
Iris était d’origine allemande, mais son pays n’existait plus déjà à sa naissance. De plus, elle n’était même pas née dans une concession allemande amaryllienne puisqu’elle venait de Nevers.
Mais à la maison, ses parents ne communiquaient qu’en allemand et n’avaient eu de cesse de lui répéter la terrible tragédie qui les avait privé de leur patrie.
Malheureusement, c’était un concept qui la dépassait. Elle ne se sentait pas plus redevable envers l’ancienne Allemagne que l’actuelle Amaryllis. Elle pouvait juste comprendre la douleur que ses parents avaient ressenti sans réellement la partager.
Sa famille était nombreuse, c’était à la base pour alléger les dépenses qu’elle s’était engagée. Elle n’avait jamais eu de talent particulier, mais il s’était avéré qu’elle avait une affinité avec la magie. C’est pourquoi on lui avait proposé l’éveil magique.
Elle avait combattu sur le front est parmi d’autres filles comme elles. Amaryllis y affrontait les Mi-Go, ces créatures venues de Pluton, disait-on. C’était l’affrontement le plus actif que menait le pays et il durait depuis plus d’une décennie.
Iris ne répondit pas à Fulvia. Elle ne l’aimait pas beaucoup de toute manière. Elle se sentait mal à l’aise auprès d’elle, mais les ordres étaient les ordres ; Iris devait faire son travail.
Fulvia lui ressemblait si peu, elle vivait dans une sorte de volonté d’auto-destruction permanente, comme si demain n’existait pas. À l’inverse…
— Je veux en finir avec ce métier et prendre ma retraite…
En effet, contrairement à d’autres syrens, elle ne désirait qu’une chose : décrocher avec ce monde de violence. Elle voulait finir sa carrière en un seul morceau, se marier et vivre une vie ordinaire. C’était ce qui l’avait fait quitter l’armée pour devenir syren, la promesse de gagner rapidement de l’argent en courant moins de risques.
Elle soupira et fit apparaître autour d’elle une armure faite de corail. C’était la nature de son pouvoir : le « corail ». Dès le début, son pouvoir était plus adapté au combat côtier qu’au front est.
Contrairement aux autres syrens, elle ne pouvait pas s’immerger profondément et ne tenait en apnée qu’une dizaine de minutes, mais lorsqu’elle s’équipait de son armure elle pouvait descendre à cinquante mètres pendant une bonne heure.
Avec Fulvia, elles étaient les deux à bord les moins adaptées au combat sous-marin, c’est pourquoi elles protégeaient en général le pont.
Et il y avait toujours une menace qui finissait par y monter dessus.
Jaillissant des flots, une dizaine de Profonds se posèrent à bord. Les cadavres de leurs camarades jonchaient déjà le sol métallique, mais ils n’en avaient cure. Ils observaient les deux syrens de leurs yeux noirs globuleux.
— J’aimerais me trouver sur une plage en train de faire bronzette…, murmura Iris.
Le Profond le plus proche bondit vers elle avec un trident en avant. Iris tendit simplement la main et projeta dans la poitrine de son adversaire une lance en corail qui le projeta en arrière, dans l’eau, en pleine tempête. Les autres fous de rage hurlèrent avant de charger.
Aussitôt, un barrage de tir les faucha.
Depuis sa position surélevée, Fulvia venait de tirer avec sa mitrailleuse à bande M60.
Sous sa forme de combat, elle n’était plus la même personne : ses cheveux devenaient blonds paille, ses yeux bleus clairs et sa poitrine rapetissait. Elle était vêtue d’un débardeur court, d’un treillis militaire et de mitaines. À la voir ainsi, on aurait pu simplement la prendre pour une soldate débraillée.
Elle affichait un large sourire tandis que ses yeux pétillaient. Fulvia était l’incarnation de la folie meurtrière et ne s’en cachait absolument pas. Chaque douille qui était éjectée de son arme était une promesse de bonheur pour elle ; chaque ennemi qui tombait une extase. Au combat, elle était aussi indisciplinée qu’un chien enragé, elle ne voyait que l’ennemi devant elle et n’entendait plus la voix de ses alliées.
Iris soupira à nouveau en voyant les Profonds tomber comme des mouches. Fulvia était forte, certes, son dossier militaire indiquait qu’elle était rang A, mais elle avait été congédiée après s’en être prise à ses propres collègues. On disait que quelques-unes étaient même mortes dans l’incident. L’affaire avait été suivie par les médias, mais elle n’avait pas abouti. D’une manière ou d’une autre, elle avait été acquittée.
Lors de son entretien auprès des syrens, lorsqu’on lui avait posé la question concernant ses motivations à les rejoindre, elle avait simplement répondu :
— Pour tuer. Je veux massacrer encore plus d’ordures ! Sur terre, en mer, peu m’importe !
Les raisons précises de son admission restaient aussi floue que le reste. Malgré le caractère sélectif de l’organisation, les syrens avaient besoin de chiens fous pour se battre et elle avait été retenue.
— HAHAHAHAHA !
Le rire dément de Fulvia entra dans les tympans d’Iris avant de se perdre dans la tempête.
Les épaules d’Iris tombèrent de dépit : elle avait vraiment du mal avec Fulvia.
Puisque cette dernière pouvait gérer seule les Profonds, Iris se mit à inspecter les alentours en faisant le tour du navire. Un pont de cent cinquante mètres à protéger n’était pas une mince affaire. Iris parvint juste à temps à bloquer l’assaut d’un nouvel assaillant : une trombe d’eau l’avait prise pour cible à l’improviste, elle n’avait eu que le temps de la bloquer avec sa barrière réactive.
Déjouant l’attaque, elle vit un Ebhaddrosh se posa sur le pont, à quelques mètres d’elle.
— C’est vil ! Si j’avais pas été aussi rapide à réagir…
Le monstre la chargea et se mit à attaquer sa barrière avec ses pattes et ses mandibules.
Iris grimaça, le corps-à-corps n’était pas son fort, pas plus que l’offensive, à dire vrai. Sa spécialité était la défense normalement, un ennemi qui arrivait aussi proche d’elle n’était pas à son avantage.
Malgré tout, elle fit apparaître une demi-douzaine d’épées de corail en lévitation. Elle les commandait par la pensée et les envoya s’attaquer d’abord aux pattes du monstre, moins solides que le reste de sa carapace.
Elle parvint à trancher quatre pattes juste avant que sa barrière réactive ne se brise. Le monstre chercha à la mordre malgré ses blessures, mais une nouvelle barrière plus solide encore fit son apparition.
— Je ne suis pas la plus forte, mais ne me sous-estime pas !
À l’abri derrière sa barrière de corail, elle fit apparaître une demi-douzaine d’épées supplémentaires avec lesquelles elle finit de trancher toutes les pattes du monstre. Ce dernier s’écroula maladroitement. Il orienta, tant bien que mal sa queue la direction de son adversaire et tira une trombe d’eau.
Mais, à cet instant, Fulvia lui sauta sur le dos et posa le canon encore chaud de son arme dans son œil.
— Fuhuuuu〜 !
Folle de joie, elle se mit aussitôt à tirer. Bientôt de la bouillie de monstre lui gicla au visage, elle en recouvrit tout le pont.
— Ne te relâche pas ! Deux Mhazes ! cria Iris en pointant une direction.
Deux énormes créatures semblables à des limaces atterrirent sur le pont.
— Quand y en a plus, y en a encore ! HAHA ! Che gioia !!
Sans hésiter, Fulvia en chargea un. Même si elle était une experte des armes de tir, elle restait une mahou senjo de type physique, aussi elle avait des capacités physiques incroyables même à mains nues. Attrapant un des tentacules du monstre qui se dirigeait vers elle, elle tira dessus et l’utilisa comme un élastique pour se propulser sur son ennemi.
Son coup de poing le heurta de plein fouet et le sonna. Mais, à peine remis, le Mhaze ouvrit ses gueules et tenta de mordre Fulvia.
— Alors on s’agite mon bonhomme ? Tu ne serais pas un peu trop excité ? Schifoso ! HAHAHA !
Elle esquiva avec adresse les tentacules et tira à l’aide d’un revolver. Elle n’eut aucun mal à les abattre.
La magie de Fulvia était les « vecteurs de force ». Elle venait d’accélérer drastiquement la vitesse de ses propres balles au point de les rendre bien plus puissante encore. Elle avait deux utilisations de sa magie : soit diriger les balles individuellement, soit créer un couloir d’accélération. À la mitrailleuse, elle ne pouvait utilisé que la seconde utilisation en raison de la trop forte cadence de tir.
Le Mhaze, privé de son mode d’attaque principal, recula avec hésitation, mais la syren ne comptait pas le laisser s’en tirer. Sans recharger son arme (qui n’en avait pas besoin), elle tira une balle par patte et le démembra.
— Hihihihi !
Elle était mue par sa seule volonté malsaine de faire souffrir. Lorsqu’on observait sa manière de se battre, il était difficile de douter des accusations de son passé.
Au lieu de l’achever rapidement, elle se mit à frapper le Mhaza à coup de pieds ou à coups de crosse avec sa M60.
Pendant ce temps, Iris était en affrontement contre le second. Elle n’avait pas le même goût pour la violence, elle se contentait de bloquer les tentacules avec sa barrière de corail, puis de les trancher à l’aide de ses douze épées.
Le Mhaze comprit bien vite qu’elle n’était pas un adversaire à sa mesure, sans demander son reste il se jeta à la mer. Son rôle était essentiellement de servir d’éclaireur, il n’avait pas la capacité de s’en prendre à une syren de rang A.
— Pfiou ! On dirait qu’on en a fini pour le moment.
Elle considéra le pont couvert de sang, d’entrailles et de chairs et se dit, avec positivisme :
— Au moins la tempête va laver tout ça… Hahaha !
Son rire était crispé. Dans quel monde pouvait-on être heureuse de se trouver en pleine tempête ?
Elle s’approcha de Fulvia qui était en pleine action et lui dit :
— C’est bon, il est mort. Tu devrais arrêter…
Fulvia tourna la tête vers Iris avec une regard particulièrement mauvais.
— Hein ?!
À cet instant, dans un dernier souffle de vie, le Mhaze mordit le mollet de Fulvia.
— Aaaaaahhh ! Figlio di… !!!
Aussitôt, une rafale de balles et deux épées de corail se plantèrent dans son corps pour l’achever.
— C’est à cause de toi ! cria Fulvia en tenant sa blessure.
Les crocs du Mhaze avaient profondément pénétré son muscle, ils étaient encore planté dedans d’ailleurs.
— À cause de toi, oui ! Si tu achevais tes adversaires au lieu de jouer avec…
— Je t’en pose des questions, pouffiasse ?
— Pffff ! Je préfère ne pas relever… Mets un bandage, tu guériras bien vite de toute manière.
— J’vais t’en foutre un bandage où j’pense et tu le sentiras passer.
Iris et Fulvia se dévisagèrent un long moment. Iris se retourna et laissa tomber la confrontation :
— OK, fais ce que tu veux, je m’en fiche. Je vais inspecter la poupe. Reste sur tes ga…
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase que le navire tout entier se mit à trembler. Plus ou moins au même instant, une colonne d’eau jaillit à la proue du navire.
— Qu’est-ce qui… ?
— Qu’est… ?
Les deux syrens à bord étaient prises par surprise. Elles devaient veiller à la sécurité à bord, mais le problème semble provenir de sous la coque.
Les autres équipes avaient manqué à leur devoir ?
Accompagnée d’une sirène, une voix annonça que le navire avait subi des dégâts importants.
« … Les radars semblent confirmer qu’il s’agirait de… mines… »
Même l’annonceur était surpris par ce rapport et, pour cause, les Anciens n’en utilisaient pas. Ils avaient des pouvoirs magiques, pourquoi utiliseraient-ils du matériel technologique humain ?
Personne n’avait jamais entendu parler d’Anciens qui agiraient de la sorte.
Soudain, une nouvelle explosion sous-marine, cette fois à la poupe.
Le navire ralentit brusquement.
« Alerte ! La salle des machines a été touchée ! Je répète : nous sommes actuellement dans un champ de mines. »
Iris attrapa le combiné accroché au poteau à proximité.
— Ici Iris ! J’aimerais en savoir plus sur la situation ! Comment une telle chose est-elle possible ?
La voix féminine qui lui répondit était en panique.
— Nous… nous ne comprenons pas non plus. À cet endroit, il ne devrait pas y avoir de mines…
— Peut-être ont-elles dérivées ?
— Peut-être… À la demande de la capitaine, nous avions omis de surveiller les profondeurs pour nous concentrer sur les vagues…
— Ce n’est pas le moment de chercher le fautif ! Vous dites qu’il y en a d’autres ?
— Droit devant… Une dizaine.
Iris réagit de suite, elle se tourna vers Fulvia et cria :
— Fulvia ! Il y a une dizaine de mines droit devant ! Détruis-les !
— Et toi, tu vas foutre quoi ? Te toucher ?
— Tssss ! C’est pas le moment ! Je vais défendre le navire !
Fulvia lui jeta une nouvelle fois un regard mauvais, puis, faisant fi de sa blessure, se jeta à l’eau.
Le navire n’avançait plus, il dérivait.
— Quel est la situation des moteurs ? Nous n’avançons plus…
— Les moteurs principaux ont été endommagés. J’ignore leur état actuel, Rauschenberg-sama. Nous allons activer les moteurs auxiliaires, mais cela prendra un peu de temps et le rendement sera moindre.
— Faites-le quand même. Je prendrais la responsabilité auprès de la capitaine. Il y a des fuites ?
— Oui, plusieurs voies d’eau. Nous avons confiné les zones mais cela affecte la stabilité du bâtiment. Avec la tempête, j’ai peur que…
C’était une situation critique.
Personne n’avait envisagé des mines, malheureusement. Si le navire n’avait pas été un robuste destroyer de classe Murasame, peut-être aurait-il déjà était entraîné par le fond.
— Je… je vais faire ce que je peux pour renforcer le blindage. Envoyer un double signalement pour indiquer à la capitaine de revenir à bord.
— Bien reçu !
Iris raccrocha le téléphone et s’éloigna de quelques pas. Puis elle s’accroupit et posa les mains par terre, sur le pont, et ferma les yeux. Elle se concentra. Ce qu’elle s’apprêtait à faire, elle n’était pas sûre d’y arriver.
En théorie, ses pouvoirs avaient évolué depuis son dernier essai, mais si elle n’y arrivait pas ce serait peut-être la fin du navire.
Faisant disparaître son armure, elle fit appel à tout son pouvoir.
Le métal autour de ses mains se recouvrit de coraux qui se propageait et se déplaçaient. Rapidement le pont en fut envahi. Mais Iris ne s’arrêta pas là.
Elle en créa plus, toujours plus. Il lui fallut quelques minutes seulement pour envelopper toute la coque du destroyer, un bâtiment de 150 mètres de long. C’était un pouvoir qu’elle cherchait à maîtriser depuis un long moment, une extension de sa barrière défensive appliquée à tout le navire.
Pendant ce temps, sous l’eau, Fulvia retenait sa respiration. Elle était la moins indiquée pour le combat sous-marin, mais quand il fallait le faire… Avec son physique surhumain, elle pouvait malgré tout tenir en apnée plus d’une quinzaine de minutes, même en se battant.
Elle ne pouvait pas descendre très profond, mais de toute manière les mines flottaient à la surface où à peine immergée sous le niveau de l’eau. Avec la tempête, elles étaient éparpillées un peu partout.
Pourquoi personne ne les avait remarquée ?
Fulvia en repéra une demi-douzaine droit devant. Leur positionnement était bien trop précis pour que le hasard les ai fait dériver à cet endroit, c’était forcément l’œuvre d’une créature vivante. Mais qui ?
Mais l’heure n’était pas à la réflexion, et ce n’était pas son fort, elle pointa son arme et ouvrit le feu. Grâce à sa magie des vecteurs, les munitions n’étaient pas du tout gênée par la résistance de l’eau ; c’était également le cas de Fulvia qui se déplaçait librement.
Les mines explosèrent sous la surcharge de tirs, Fulvia se remit en déplacement à la recherche d’autres.
Au total, elle en détruisit pas loin d’une vingtaine avant de retourner à bord.
À son retour, la capitaine était revenu ainsi que d’autres syrens. Le navire se remettait doucement en mouvement.
***
— Maëwenn, même si c’est un peu difficile, trouve-nous un coin où mouiller dans les environs.
— Euh oui, capitaine !
Maëwenn dont les pouvoirs étaient afférant à la « tempête » était la seule à bord capable de voler. Aussi, elle prit de l’altitude en résistant sans mal aux bourrasques de vent.
— Iris, tiens le coup encore un peu, dit la capitaine. Il nous faut ton surblindage, ne serait-ce que pour limiter les voies d’eau.
— Bien… sûr… capitaine…
Iris grimaçait. Son pouvoir n’était pas fait pour être utilisé aussi longtemps. Elle consommait bien trop de mana. Son corps hurlait de détresse, elle aurait du mal à se remettre d’une telle utilisation prolongée.
— Mégane, envoie tes invocations en éclaireurs et évite-nous de tomber sur d’autres mines…
— M’en suis occupée, intervint Fulvia. Y en avait une vingtaine. J’pense que c’est les Anciens qui les ont foutues là, même si ça paraît difficile à croire.
— À la bonne heure, Fulvia ! Depuis quand ces minables se mettent à utiliser nos propre armes au juste ? Je savais qu’un jour ou l’autre ça finirait par arriver. Tssss ! Ils sont loin d’être stupides…
À cet instant, Maëwenn reposa le pied à bord :
— Terre à l’horizon, capitaine ! Direction nord-nord-est.
— Parfait ! Akemi, je te laisse la direction des syrens. Divise le groupe en deux et restez sur le qui-vive.
Sur ces mots, passant à ses côtés, elle lui donna une tape amicale sur l’épaule et s’en alla transmettre les ordres à l’équipage en utilisant l’un des téléphones les plus proches.
Conformément aux indications de la capitaine, Akemi sépara les syrens en deux groupe : les unes protégeraient la proue et les autres la poupe. Elle envoya Fulvia se faire soigner à l’infirmerie avec ordre de revenir aussi tôt que possible.
Alors qu’elle observait elle-même les environs à la recherche de quoi que ce soit d’étrange, elle vit Isabel sortir des flots.
— Désolée, y avait des hérétiques sur le chemin.
— Euh… L’important c’est qu’ils soient morts, dit Akemi. Si vous vous sentez encore d’attaque, vous pourriez renforcer la surveillance à la proue ?
— Il s’est passé quoi ici ?
— Des mines ont touché le navire. Ce sont sûrement les Profonds qui les ont placées devant nous. Nous mettons le cap sur une île proche.
— Comme c’est sacrément louche… ‘fin bon, j’y vais, commandante.
Isabel s’éloigna au moment où une seconde silhouette s’extirpa des flots agités et grimpa sur le pont.
Tombant à quatre pattes, épuisées, blessées par sa propre magie, Yuna leva la tête pour croiser le regard d’Akemi. Elles se fixèrent un long moment, puis la commandante finit par lui demander :
— Au fait… qui es-tu ?