Magical Syrens – Chapitre 3

Dans le poste de navigation.

La capitaine Kayomi, la commandante Akemi et les autres officiers étaient assis autour d’une table où se trouvaient des cartes maritimes. Même si une grande partie de celles-ci était gérée par informatique, chaque navire disposait toujours d’un jeu complet de cartes en papier pour prendre le relais en cas de panne. C’était une mesure d’urgence à moindre coût dont tous les armateurs s’acquittaient.

Et le Akatsukiyami était précisément dans une situation où il ne pouvait plus compter sur l’informatique. Le destroyer se trouvait au bord d’une plage, tous ses moteurs étaient à l’arrêt ainsi que la majeure partie de son système électrique, à l’exception des chambres froides pour conserver la nourriture.

— Capitaine, ne devrions-nous pas essayer de prévenir le reste du convoi ? Restaurer les communications serait un atout… enfin, je pense, dit un jeune homme à la longue barbe.

Il s’agissait d’un des nombreux maîtres afférant à la logistique. Tous les officiers avaient été conviés à cette réunion qui visait à les informer de leur actuelle situation.

Aussitôt, une femme à l’air strict, Nakajima Chifuyu, se leva et tourna son regard vers le jeune homme.

— L’heure n’est pas aux propositions, veuillez rester à votre place.

Le visage du jeune homme se déconfit. Nakajima était la commandante logistique, dans la hiérarchie à bord elle était sa supérieure directe.

— C’est bon, ça ira pour cette fois, dit la capitaine Kayomi. En temps normal, je punirais cette insubordination d’une vingtaine de coups de trique, mais à situation urgente, mesures urgentes.

— Veuillez m’excuser mille fois, capitaine !

Le jeune homme comprenant qu’il venait d’échapper à une belle punition, se leva et s’inclina. Sa supérieure le fusillait du regard, derrière ses lunettes ses yeux étaient tous petits. La capitaine fit signe de la main de se rasseoir. Tous deux s’exécutèrent.

— Puisque la question vient d’être soulevée, reprit calmement la capitaine comme indifférente à la situation, je vais y répondre. Les avaries à bord ont touché principalement la poupe. La proue a subi aussi, mais les principaux problèmes sont les dégâts occasionnés au moteur et aux systèmes de propulsion.

— Comment une telle chose a-t-elle pu arriver ? Les syrens n’étaient-elles pas censées nous protéger d’une telle attaque ? demanda cette fois Tanigawa, le second.

Contrairement à un simple maître logistique, il faisait partie des personnes habilitées à prendre la parole.

La capitaine afficha un petit sourire en coin et, accoudée, tourna la tête vers Akemi qui réagit de suite.

— Euh… la défense apportée par les syrens n’est pas à remettre en cause. Personne n’aurait pu prévoir un tel piège. Je… je dirais même qu’il s’agit là d’une situation inédite : jamais dans un aucun registre il n’y a mention d’un Ancien utilisant des équipements humains.

— Comment nos redoutables sorcières n’ont-elles pas pu voir un champ de mine aussi grossier ?

Le commandant d’équipage Nagano, un homme strict et toujours propre sur lui, se leva et croisa les bras dans le dos.

— Comme je l’ai dit, personne n’avait prévu cette situation. D’ailleurs, même les radars n’ont pas détecté les mines, il me semble.

— Les radars étaient focalisés sur la tempête.

— Et les syrens sur nos ennemis.

Prenant un peu confiance en elle-même, Akemi se leva également et confronta le regard accusateur de Nagano. Ils étaient tous les deux des officiers très compétents et sérieux, mais leurs rôles se chevauchaient et entraient en conflit.

Ce n’était pas quelque chose de rare sur les navires affrétés par ONC. Les commandants d’équipage en chef ne s’entendent que rarement avec les commandantes de combat occulte. La raison résidait dans le fait que les syrens étaient techniquement des membres de l’équipage également, donc sous l’autorité du commandant d’équipage. Or, elles disposaient de passes-droits qui les mettaient uniquement aux ordres d’un commandant spécifique ne répondant qu’au capitaine.

C’était une problème inhérent à la hiérarchie particulière de cet armateur, mais d’autres rivalités du genre existaient également sur les autres navires.

— Du calme. Je pense que chacun a fait ce qu’il a pu dans cette bataille, dit le second. Tout le monde est fautif de la situation, en un sens, mais il vaut mieux voir les choses autrement : nous avons surmonté le piège avec simplement deux trous dans la coque, c’est admirable.

Akemi et Nagano tournèrent leur attention sur Tanigawa, puis inclinèrent leurs têtes pour s’excuser et se rassirent en même temps. La capitaine en bout de table n’était pas intervenue, dans son attitude lasse et indifférente, elle semblait prendre plaisir à cette altercation.

— Veuillez m’excuser de l’interruption, capitaine.

Cette dernière ignora les excuses de Tanigawa et prit une maquette de navire sur la table. Elle se mit à expliquer :

— La première mine nous a touchée ici. À cause des vagues, nous avons passé la première ligne de mines et c’est la seconde qui nous frappé la poupe.

Elle simula les mouvements du navire en pleine tempête.

— Comme l’a dit la commandante Akemi : les forces de Cthulhu n’ont jamais agi comme ça, ils ont toujours compté sur leurs seuls pouvoirs.

Une jeune femme leva la main pour demander la parole.

— Oui, pilote Marika.

— Ne… ne faut-il pas s’inquiéter pour nos alliés qui pourraient tomber dans le même genre de piège ?

— Ce n’est pas une possibilité à exclure, en effet. Mais, en principe, nous nous sommes jetés dans la gueule du loup pour éviter qu’ils ne le fassent.

Posant la maquette et se levant, la capitaine montra sur la carte le cap suivit par le convoi.

— Je doute qu’ils aient également miné ce passage-là. Mais si tel est le cas, on peut déclarer que plus aucune mer n’est réellement navigable.

Un jeune homme demanda la parole cette fois.

— Commandant ingénieur ?

— Si je peux me permettre, capitaine. Il s’agissait de mines abandonnées au cours de la guerre d’Invasion. Rien ne prouve que nos ennemis sachent en fabriquer eux-mêmes.

Une analyse des débris avait effectivement été menée depuis le naufrage qui avait eu lieu la veille.

— Au moins une bonne nouvelle. Quoi qu’il en soit, je reviens sur la question des communications. C’est inutile de consacrer notre priorité à la réparation des communications, même si nous parvenions à contacter le convoi, il a ordre de poursuivre sa route.

— Mais…

Quelques voix s’élevèrent, désemparées.

— Nous sommes un navire d’escorte, rappela la capitaine en se rasseyant. Pensiez-vous, pauvres sots, que nous avions une quelconque autre utilité ?

— Mais… si je puis me permettre, capitaine… ?

La capitaine fit signe au commandant ingénieur de poursuivre.

— Le bâtiment est une merveille technologique, son coût dépasse sûrement celui des marchandises acheminées.

— Sûrement, mais ce n’est pas la politique de notre conglomérat. Conserver les parts de marché est un profit à long terme qui est plus profitable qu’un simple destroyer remit à flot. Ils ne risqueront pas leur marché. Puis, des navires en réserves, le conglomérat en a un certain nombre.

Elle marqua une pause en fixant avec lassitude la maquette de navire qui représentait le classe Murasame dans lequel ils étaient.

— Remettre en état les communications n’est pas une priorité, mais nous le ferons dans un second temps. Même si le convoi continuera sa route, il n’est pas impossible qu’ils envoient une mission de récupération à un moment donné…

— Parce que vous êtes là, capitaine ? demanda Nagano.

Peu comprirent à quoi il se référait réellement. Seuls Akemi, Tanigawa et Nakajima savaient qu’il venait de faire allusion à sa qualité de syren de rang S. Contrairement aux autres à bord, Kayomi était célèbre, peu atteignaient son niveau de puissance. Envoyer des secours pour elle serait plutôt normal, avait simplement pensé le commandant d’équipage.

Mais Kayomi l’ignora et s’accouda à nouveau.

— Commandant ingénieur Otake, pensez-vous pouvoir faire quelque chose pour les machineries et la coque ?

Il y a eu un instant de silence, l’homme au crâne rasé et balafré fut pris de court et, par politesse tourna son regard se tourna vers Nagano, avant de répondre.

— En fait, capitaine, le majeur problème est que nous manquons d’une partie des pièces de rechange.

— Pourquoi donc ?

— Comprenez-bien que nous avons à bord des pièces, bien sûr…, dit l’homme en frottant son crâne nerveusement. Mais…

— Parle ou je te ferais fouetter jusqu’à t’arracher les chairs.

— Hiiii ! Oui, bien sûr ! Je… En fait, il y a certaines pièces un peu chères que nous n’avons pas embarquées… Je veux dire qu’il s’agit de composants qui ne tombent jamais en panne et qui ne sont jamais détruits, donc…

— Donc nous ne les avons pas à bord et ne pouvons pas réparer le moteur, c’est bien ça ?

L’homme s’inclina au point de presque toucher la table de son front. Il dégoulinait, sa sueur tombait en goutte de son menton. Il avait peur de la réaction de la capitaine.

En principe, son rôle était de faire en sorte que tout soit toujours opérationnel. En théorie, le navire emportait toujours suffisamment de pièces de rechange pour réparer pour réparer n’importe quel secteur. En théorie…

Dans les faits, cela aurait impliqué d’avoir l’équivalent d’un second navire à bord, ce n’était pas possible.

Une main se leva, il s’agissait d’une femme blonde cette fois, une amaryllienne.

— Maître coq ?

— Conformément aux dispositions actuelles, les cales ont été surchargée de nourriture pour ce voyage. C’est une situation un peu inhabituelle, mais le cours de certaines denrées était étonnamment élevé, nous avons compensé par d’autres plus volumineuses. Puis, en raison de certaines mesures sanitaires, nous avons augmenté le stockage de produits frais qui occupent plus de place… Tout cela pour dire qu’il y avait moins de place pour les pièces de rechange.

Le commandant ingénieur hocha timidement la tête.

Nakajima prit la parole :

— J’assumerai la responsabilité des cales. Il est vrai que l’espace alloué aux pièces était inférieur à la normal, ayant favorisé les munitions et la nourriture.

La capitaine soupira.

— Vous me fatiguez avec vos excuses… Je réfléchirais à votre sort plus tard. Avons-nous de quoi refermer les trous dans la coque au moins ?

— Un calfatage est possible, mais restaurer le blindage sera difficile avec les moyens de bord. Qui plus est, nous avons perdu nombre de nos réserves par les voies d’eau…

Cette fois, c’est Akemi qui prit la parole :

— Ne serait-il pas possible de mener une expédition pour les récupérer, capitaine Kayomi ? Nous avons une estimation de l’endroit où elles auraient pu couler.

— D’ailleurs, où sommes-nous précisément ? demanda cette fois Tanigawa.

Le chef des navigateurs tourna son regard vers la capitaine qui lui concéda la parole.

— Nous cherchons à faire le point actuellement… Nous sommes dans les Caraïbes, mais la densité d’îles présentes dans l’archipel ne nous permet pas encore de déterminer laquelle précisément.

Les Caraïbes, comme le reste du monde, était envahi par les Anciens. Cet ensemble d’îles se trouvant à l’est de l’Amérique Centrale échoyait à Shub-Niggurath à présent.

— Bah, si c’est les Caraïbes, nous trouverons pas mal du matériel pour retaper la bâtiment, dit la capitaine. Toute cette discussion m’insupporte, mettons-y un terme. Otake, vous m’apporterez une estimation du temps de réparation de chaque avarie. Nakajima, je veux une estimation précise de nos stock de nourriture, un rationnement sera peut-être de rigueur. Nagano, faites le rapport des pertes militaires, aussi bien matérielle qu’humaine et passez tout le monde en état d’urgence. Il sera sûrement nécessaire de former des équipes d’exploration de l’île. Akemi, tu restes là, nous allons organiser les syrens pour des missions de récupération. Rompez !

C’est ainsi que s’acheva la réunion, tous sortirent à l’exception d’Akemi. Le silence s’imposa de lui-même dans la salle.

— Je déteste ce silence…, déclara soudain la capitaine. Et tu ne trouves pas insupportable d’être privée de la houle ?

Akemi ne répondit pas, elle pensait à d’autres choses que le mouvement des vagues.

— Comment vont les filles ?

— Tout le monde va plus ou moins bien, quelques blessures malgré tout. Iris s’en veut pour le navire, mais Fulvia s’en fiche. Isabel, pareil.

— Haha ! Il n’y a pas lieu de s’en faire, c’est arrivé, c’est tout.

La capitaine croisa les jambes et prit un air mystérieux.

— Et toi, tu en penses quoi ? Tu éprouves quoi ?

— Je… je ne sais pas. C’est malheureux, certes, mais nous sommes presque tous vivants. Il faut juste trouver le moyen de s’en sortir.

— Bien dit ! Advienne que pourra et s’il nous faut mourir, mourrons le sourire aux lèvres, car tel est la vie d’une syren ! Hahaha !

Akemi l’observa alors qu’elle se mit à rire face à la mort. Parfois, elle ne comprenait vraiment pas la capitaine. Akemi n’avait jamais eu l’intention de parler de mourir, juste de signifier qu’il fallait aller de l’avant.

— Je peux exprimer une pensée, Kayomi ?

— Nous sommes entre nous.

— Parfois… j’ai l’impression que vous favorisez trop les syrens par rapport aux autres membres de l’équipage.

— Et c’est un tort pour toi ?

Cela semblait évident à Akemi que ça l’était, mais elle ne pouvait le dire à la capitaine aussi franchement.

— Vous n’avez pas peur que les autres vous en veuillent ?

— Hahaha ! Tu crois vraiment qu’ils vont me faire peur ? Comme je l’ai déjà dit, je ne cherche pas à m’en faire des amis. Tant qu’on me craint et qu’on m’obéit, ils peuvent bien me détester.

— Je vois…

— Tu t’inquiètes vraiment pour eux ? Que sont-ils à tes yeux ? Aux miens, ils ne sont que des créatures remplaçables. C’est bien normal de favoriser les syrens, chacune d’elle à plus de valeur que cent hommes et dispose d’un éventail de pouvoirs uniques. À ton avis, combien faudrait-il de temps pour remplacer l’équipage tout entier ?

C’était une question étonnante qui ne manqua pas de surprendre Akemi. Elle n’en avait aucune idée à vrai dire. Pourquoi faudrait-il remplacer tout l’équipage pour commencer ?

— Je… je l’ignore…

— Le conglomérat nous fournirait un équipage complet et un navire en moins de vingt-quatre heures. Pour eux aussi, les syrens sont le pilier autour duquel s’articule toute la mécanique de ces convois. S’ils ont à choisir, ils préféreront sacrifier tout l’équipage et le navire qu’une équipe de syrens, d’autant plus si elles sont compétentes. Tu vois où je veux en venir ?

La capitaine joignit les mains et afficha un sourire diabolique. Avec la lumière déclinante du jour qui passait par la baie vitrée et le silence qui régnait, Akemi crut voir le diable en personne assit sur cette chaise. Elle n’était pas religieuse et, mis à part dans les livres d’école, elle n’avait jamais vraiment vu de représentation de ce personnage qu’on disait être des plus maléfiques, mais à cet instant elle se le représentait sous les traits de Kayomi.

— Vous voulez dire que… ?

— Que le capitaine est le dernier à quitter le navire. Que veux-tu que je dise d’autre, pardi ? Hahahaha !

Akemi était sûre que ces dernières paroles n’étaient qu’ironiques, elle déglutit en comprenant ce que Kayomi voulait réellement signifier.

— Seriez-vous prête à abandonner tout le monde… capitaine… ?

Kayomi leva les épaules avec désinvolture.

— Je n’ai rien dit de tel. Détends-toi, camarade ! Nous sommes aux Caraïbes, c’était un lieu de vacances fort apprécié avant l’Invasion, tu sais ?

Kayomi se leva, prit la maquette du navire entre ses mains et l’observa attentivement.

— Tâchons de remettre ce bâtiment à flot car telle est sa raison d’être. Au fond, les navires sont comme les syrens, ils ne sont pas fait pour échouer, mais pour envoyer leurs ennemis par le fond.

Sur ces mots, elle posa la maquette et passa à côté d’Akemi en lui posant la main sur l’épaule.

— Mets toutes les filles sur le pied de guerre, nous allons explorer l’île et ses environs.

— D… d’accord…

Elle en était sûre ! La capitaine ourdissait un sombre projet ! Quelque chose à laquelle Akemi aurait préféré ne même pas penser.

À cet instant, un autre élément inexpliqué et mystérieux lui traversa l’esprit. Elle l’avait oublié sous le choc que lui avait produit les paroles de la capitaine, mais elle avait une autre question qui lui pendait aux lèvres.

— Kayomi… ?

— Oui ?

Kayomi se retourna, une main sur le linteau de la porte qu’elle s’apprêtait à passer.

— Qui était cette syren qui n’est pas recensée dans le registre ? Elle a dit ne pas pouvoir se présenter et vous m’avez empêchée d’en savoir plus…

— L’heure n’est pas encore venue. Je t’expliquerai une autre fois, commandante Akemi.

Sur ces mots, elle salua de la main et laissa Akemi seule dans la cabine de commandement. Plus que jamais, elle était habitée par d’odieux doutes.

***

Le lendemain.

L’île où avait échoué le navire n’était pas bien grande. Depuis la vigie, on pouvait en voir le bout à une vingtaine de kilomètres. Mais la végétation était particulièrement dense, l’intérieur était une jungle épaisse et inhospitalière.

Trois syrens avaient été envoyées en exploration. Leur but était d’atteindre l’autre côté afin de tenter d’éclaircir le mystère de leur actuelle position. Avec les anciens satellites, une telle information aurait été immédiatement trouvée, mais ce n’était plus aussi facile.

Le ciel nuageux de ces derniers jours ne permettait pas de voir les étoiles pour se situer, il fallait des indices concrets comme des panneaux ou des habitations, à conditions qu’il y eut encore.

— J’ai tous les vêtements qui collent… même mes cheveux…, se plaignit Maëwenn.

— Pareil. J’ai la culotte qui dégouline comme si je m’étais pissée dessus. En plus, j’arrête pas de me faire bouffer par les moustiques.

— Merci pour ces précieuses informations, Sister…, dit Iris d’une voix agacée.

— J’espère au moins qu’on ne fait pas ça pour rien… han… han… Je déteste la jungle ! C’est vaseux… l’odeur est forte… c’est humide et plein d’insectes…

— Ouais, comme le fond de ma cha…

— Ooohhh ! Je veux pas savoir, sœur dépravée ! Bon sang, pourquoi la capitaine m’a fait faire équipe avec toi ?

Iris était de particulièrement mauvaise humeur. On avait eu beau lui prétendre le contraire, elle ne cessait de se penser fautive de leur situation. C’est à cause de ce sens de culpabilité qu’elle s’était d’ailleurs proposée pour faire partie de l’équipe d’exploration.

— Tu devrais vraiment apprendre à te détendre, Iris. Ouvre-moi un peu cette robe, tu dois crever là-dessous…

Isabel s’était furtivement glissée derrière elle. Ses petites mains soulevèrent les bords de la jupe d’Iris et se glissèrent sur sa poitrine.

— La… Lâche-moi !!

Iris s’agita, Isabel cessa de suite.

— Eh oh ! Du calme, tu veux ?

— Comment veux-tu que je me calme alors que tu tentes de me tripoter ?

— Justement, c’est ça qui aurait dû te calmer. Tu te prends vraiment trop la tête pour le moindre truc. Profite de l’instant.

Maëwenn les regardait en croisant les mains sur sa poitrine, elle voulait intervenir mais ne savait que dire. Puis, elle était la novice de l’équipage, elle n’avait sûrement pas son mot à dire.

— Et toi à l’opposé tu prends tout trop à la légère ! Nous sommes perdues au milieu de nulle part, avec un équipage entier à nourrir et protéger. Tu ne réalises donc pas ?

Isabel leva les épaules et prit son paquet de cigarette dans sa poche.

— Tu veux que je me mette à pleurer ? Faire pleurer les petites filles, c’est ton truc, c’est ça ?

— Une petite fille ne fume pas ces cochonneries !

Iris était rouge de colère. Cela ne lui ressemblait pas, mais à cet instant les sentiments débordaient. Isabel était un prétexte, elle vidait son sac, tout simplement.

— Désolé, je sais pas chialer comme une gamine, dit-elle en allumant sa cigarette avec un zippo. Écoute-moi bien Iris : les marins qui ont embarqué sur ce navire savaient dès le début dans quoi ils s’embarquaient. Personne n’a jamais dit que ce serait un voyage de plaisance.

— Cela ne nous dispense pas de faire notre mieux pour rétablir la situation !

— Tu penses qu’en criant on est plus efficaces ? Dans ce cas, va-y. Mais moi, j’pense qu’être consciente de la situation et rester calme aide bien plus. Les gens ont besoin de voir des syrens fortes et qui gèrent, pas qui paniquent et se sentent coupables comme toi.

Iris frappa Isabel de son poing… pour être plus précis, elle dévia le coup au dernier instant et toucha le tronc d’arbre à côté d’elle.

— Je… je sais ! Mais ton comportement m’est insupportable ! Tout comme celui de Fulvia…

Isabel ne parut pas du tout intimidée. Elle tira sur sa cigarette et cracha la fumée dans le visage d’Iris qui se mit à toussoter.

— Fulvia, c’est un autre cas. Du moment qu’elle a de le thune et des gens à déglinguer, elle se fiche même de nous. Bref, je suis une religieuse, non ? Je veux bien sûr sauver ces pauvres brebis égarées… enfin non, échouées, mais je vais pas non plus me sentir coupable. Nous sommes des syrens, pas des déesses. Et d’entre nous toutes, c’est envers toi que nos ouailles devraient se sentir redevables : tu as permis à notre bâtiment d’arriver jusque là. Sans ta barrière, glou glou.

— Maigre consolation… si je n’avais pas échoué…

Isabel soupira longuement et passa à côté d’Iris en lui donnant un tape sur les fesses.

— T’es incorrigible. Je te donne l’absolution et toi tu continues de te martyriser ? Tu te prends pour une sainte ou quoi ?

Iris ne put s’empêcher de rougir et de se toucher les fesses.

— Tu es vraiment… une petite perverse !

— Non, je suis une religieuse, je suis exempte de tout péché.

L’ironie n’était même pas dissimulée dans ses propos.

— Maëwenn ? demanda Iris en se tournant vers elle.

Cette dernière était blême. Elle dit d’une petite voix à son intelocutrice.

— Je… je crois que j’ai un truc qui se balade sous ma jupe…

— T’aurais dû porter un pantalon, je te l’avais dit.

Isabel souleva la jupe de Maëwenn sans ménagement, on pouvait désormais voir ses sous-vêtements roses. Elle attrapa l’insecte, un mille-pattes mesurant au moins six ou sept centimètres de long et l’éloigna de la jeune femme.

— Kyaaaaaaaa !!!! C’est immonde !

— T’as de la chance, il a pas eu le temps d’arriver où je pense.

— Arrête de brimer Maëwenn avec cet horrible insecte ! ordonna Iris.

Le mille-pattes s’agitait entre les doigts d’Isabel, il essayait de la mordre en refermant ses mandibules mais ne le pouvait pas dans la position où elle le tenait.

— Je me demande si nous serons forcées à bouffer ce genre de trucs une fois les cales vides.

— Gloups !!

Le visage de Maëwenn et d’Iris affichèrent un sincère dégoût tandis qu’Isabel faisait semblant de manger la créature en l’approchant et en l’éloignant de sa bouche.

— J’en peux plus de la jungle !! Aaaaaaaahhh !!!!

Maëwenn se mit à pleurer et tomba à genoux, en pleine crise de nerfs.

***

Il leur fallut une demi-journée pour traverser la jungle. C’était en milieu d’après-midi qu’elles trouvèrent ce qu’elles cherchaient : les restes d’une ville envahie par la végétation, se fondant si bien dans le décor que la vigie n’avait pas été en mesure de la voir.

Bien sûr, Maëwenn aurait également pu s’envoler pour atteindre l’autre flanc en vitesse, mais si on les avait envoyées à pied c’était justement pour ce genre de raisons.

Dans ces ruines, il ne restait des maisons en bois que des morceaux qui attestaient la vingtaine d’années écoulée depuis l’exode humaine.

— Oh ? Nous avons trouvé un truc intéressant ! Dommage qu’il y ait encore des arbres, j’en peux plus !

— T’es pas prête d’arrêter d’en voir, ma pauvre Maë. Nous sommes en territoire de Shub-Niggurath…, dit Isabel.

Il s’agissait de la Puissante Ancienne qui contrôlait l’Amérique Centrale et du Sud, ainsi que les îles avoisinantes. Là où s’étendait son influence la nature était abondante, luxuriante mais également inquiétante.

— J’en ai marre !! Je veux retourner en Bretagne et manger des crêpes !!

— Tu pourras nous en cuisiner ce soir en rentrant, c’est déjà ça.

— Ouais…

— Arrêtons de parler et allons explorer, les interrompit Iris. Nous trouverons peut-être quelque chose d’intéressant pour aider la réparation du navire.

— Permets-moi d’en douter…

Iris fusilla du regard Isabel avant de prendre la tête du groupe.

En soi, ce n’était pas une ville, sa taille laissait plutôt à penser à un gros village en bord de mer. C’était d’ailleurs cette proximité qui lui avait coûté une destruction presque totale face aux ouragans. Il avait été reconstruit maintes fois et attirait chaque année des touristes.

Mais tout cela était avant l’Invasion, l’arrivée de Shub-Niggurath avait tout changé.

En passant le coin d’une maison dans laquelle avait poussé un arbre aux formes étranges, rappelant un géant aux bras écartés, Iris s’arrêta et tendit le bras pour arrêter ses deux comparses.

Elle venait de voir quatre silhouettes se déplacer à quelques dizaines de mètres de sa position, autour ou dans les débris d’une église. Ses murs en pierre avaient tenu un peu mieux, la végétation y était moins dense.

Iris fit signe de la main, elle indiqua le chiffre 4.

Sans réfléchir, Isabel se transforma et adopta l’apparence qui lui avait valu son surnom. Les deux autres filles l’imitèrent assez rapidement.

À peine s’avancèrent-elles dans l’espace dégagé autour de l’église que les quatre créatures tournèrent leurs tentacules vers elles.

Il s’agissait d’énormes champignons de trois mètres de haut, se déplaçant sur leurs racines, ayant un seul œil central dans le tronc, ainsi qu’une gueule garnie de crocs. Sur son chapeau se trouvaient une demi-douzaine de tentacules avec des ventouses, mais surtout des bubons rouges vifs qui rappelait l’étrange hydnellum peckii.

— Qu’est-ce que c’est que ces trucs ?

— Des cadavres sur pattes. Je m’occupe des trois dans l’église, c’est mon devoir d’une nonne. Prenez celui-là.

Isabel pointa un seul de ces monstres qui traînait à l’extérieur tandis que, sans attendre, elle se mit en route vers les trois qui occupaient l’intérieur de l’église. Aussitôt, un cri strident s’éleva des gueules des monstres.

— Finalement, ils ont appelé du renfort. Va falloir se dépêcher.

— C’est toi qui a foncé dans le tas ! s’indigna Iris en soupirant.

— Allons-y, Iris !

Maëwenn semblait enthousiaste pour une raison inconnue. En réalité, elle voulait juste en finir au plus vite afin de retourner à bord et s’éloigner de cette horrible jungle.

Maëwenn tendit la main et visa celui que leur avait désigné comme cible. Une bourrasque de vent en jaillit et lacéra les branches, les feuilles, les arbustes, tout ce qui se trouvait sur son passage.

Lorsqu’elle atteignit le champignon géant, le Myconitoxikos de son vrai nom, elle le couvrit d’entailles. Des bubons rouges s’écoulèrent un liquide visqueux, accompagné d’un gémissement prouvant la souffrance de la créature.

— Bien fait pour vous ! Je vous déteste !!

Sa douce voix traversa la place, tandis que son visage devint rouge de colère. Elle n’en pouvait plus, elle avait envie d’exploser et de tout détruire. Ce n’était même pas tant envers l’étrange et monstrueux champignons géant vers qui s’exprimer sa colère qu’envers toute cet environnement végétal.

En plus combat, personne ne lui reprocherait un peu de destruction. Ses yeux devinrent vitreux comme privés d’émotions, tandis qu’un sourire apparut sur son visage. On aurait dit qu’elle venait d’entrer en transe.

— Toi alors ! Whaaa ! Ton visage… il fait peur…

Iris eut un instant d’hésitation en remarquant cette expression sur le visage de sa collègue. Elle ne l’avait jamais vue ainsi.

D’une voix qui semblait ne pas lui appartenir, calme, Maëwenn dit :

— Héhé ! J… je vais vous apprendre… saletés…

— Tu détestes à ce point ces champignons géants ? demanda Iris innocemment.

— Non… C’est la jungle que je déteste ! Prends une nouvelle bourrasque ! Aaahhhhh !!!

Le Myconitoxikos n’eut pas le temps de s’approcher qu’une nouvelle bourrasque tranchante vint le frapper, n’épargnant nullement la végétation sur son passage, bien sûr.

Le monstre était plus résistant que prévu, la force offensive de Maëwenn n’en avait pas encore eu raison. Prise d’une sorte de frénésie, cette dernière riait aux éclats en continuant d’alimenter son attaque.

Pendant ce temps, Isabel était entrée dans les ruines de la petite église en pierre.

— Au nom du père, je vais vous châtier, vils hérétiques. Si vous n’offrez pas de résistance, le Seigneur sera plus clément… Enfin je dis ça, mais je préfère que vous n’obéissiez pas. De toute façon, le Seigneur n’existe pas et puis il s’en fout pas mal de vous en plus…

Les Mykonitoxikos semblaient ne pas comprendre le langage humain, ils agitèrent leurs tentacules et s’apprêtèrent à passer à l’assaut. Isabel fit tourner son énorme croix entre ses mains et la brandit devant elle comme une épée.

Au lieu d’attaquer à l’aide de leurs tentacules, les trois champignons s’agitèrent et soudain des nuages de spore se dégagèrent d’eux. En un instant, l’église en fut remplie, des volutes se répandirent même à l’extérieur.

Isabel s’en défendit en faisant apparaître une bulle magique autour d’elle. C’était la même qu’elle utilisait pour évoluer dans les profondeurs marines, puisqu’elle était capable de l’isoler de l’eau, elle devait pouvoir la protéger d’un gaz inconnu, avait-elle estimé.

Et son raisonnement lui donna raison, les spores n’entrèrent pas en contact avec son corps.

— Si vous ne venez pas à moi, je vais venir à vous.

Sur ces mots, elle se propulsa sur un des ennemis et le trancha en deux de son immense épée. Les tentacules des deux autres déferlèrent sur elle, elle s’en défendit en interposant son arme.

— On dirait que vous n’êtes pas si forts que ça, finalement.

Pour tester leur force, elle décida de bloquer la seconde vague d’attaques par le biais de sa barrière magique plutôt que son arme. Même deux Mykonitoxikos en même temps ne parvinrent pas à l’esquinter.

— Décevant…

Elle abattit son épée dans un coup vertical qui trancha le champignon de haut en bas. Les bubons éclatèrent et un liquide rouge vif gicla partout autour.

Instinctivement, Isabel l’esquiva, même si elle aurait pu d’en protéger à l’aide de sa barrire. Elle avait suffisamment d’expérience pour se douter qu’il valait mieux éviter le contact avec certains fluides d’Anciens.

D’ailleurs, sa barrière grésilla un instant. Elle avait été légèrement touchée malgré l’esquive, cette réaction confirma ses doutes.

— Il n’en reste plus qu’un…

Mais Isabel remarqua à cet instant du mouvement derrière elle. Des tentacules la prirent pour cible et s’abattirent sur sa barrière défensive.

— Oh là ! On tente de m’attaquer par surprise ? Néanmoins, je le savais que les séides de Shubby auraient forcément une régénération.

Le premier Mykonitoxikos, tranché en deux, était de nouveau sur pied, presque intact. La régénération était la spécialité de Shub-Niggurath, l’Ancienne qui leur servait de déesse et de maître. Ses troupes en disposaient toutes.

— On dirait que je ne vais pas avoir d’autre choix que de vous découper en petits morceaux. C’est parti !

À l’extérieur, les renforts arrivèrent avant que Maëwenn n’en ait fini avec son ennemi. Son manque de puissance offensive d’une part et l’incroyable régénération de son ennemi de l’autre avait donné le temps nécessaire à d’autres Mykonitoxikos dispersés dans la jungle de rejoindre le combat.

Trois nouveaux ennemis apparurent dans une rue opposée à celle où se trouvaient Maëwenn et Iris.

— Je m’occupe de ces trois-là ! dit cette dernière. Tu devrais y aller plus sérieusement, tu sais ?

Sur ces mots, elle fit apparaître trois lances de corail autour d’elle et visa les trois nouveaux monstres. Les lances parcoururent les quelques dizaines de mètres et sans aucun mal s’enfoncèrent dans les chapeaux des champignons géants. En réaction à ces blessures, ils relâchèrent aussitôt des nuages de spores.

— C’est quoi ce truc ?

Concentrée sur ce qui arrivait en face, elle n’aperçut que tard le même genre de nuage à ses pieds ; il provenait de l’église où se battait Isabel. Pour s’en protéger, elle fit apparaître une barrière de corail devant l’église et une autre dans la rue où se trouvaient ses trois ennemis. Mais elle se rapidement rendit compte que le gaz débordait par le haut et par les fissures du bâtiment.

— Tsss ! Maëwenn, fais attention au…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle entendit un « bbzzzz » dans ses oreilles et sentit ses muscles se raidir. Une douleur dans le dos, l’électricité venait de la traverser.

Elle tomba à genoux et se retourna. Devant elle se trouvait Maëwenn avec un étrange sourire et des yeux comme en transe. Des arcs électriques courraient encore sur son corps.

— Où… où êtes-vous parties ? Pourquoi ? Pourquoi vous me laissez seule ? J’en ai marre de cette jungle !!

Cette fois, elle tendit les mains vers l’ennemi derrière elle et fit tomber la foudre sur le Mykonitoxikos.

— Qu’est-ce que tu fous… ?

Iris était encore engourdie, elle était sûre d’avoir une brûlure dans le dos. Mais elle n’avait pas le temps de réfléchir, son alliée semblait avoir perdu la raison : elle hurlait et faisait tomber la foudre à répétition, tantôt sur les Mykonitoxikos, tantôt sur des objets aléatoires. Elle ne cessait de divaguer et parler de choses qu’elle seule semblait capable de voir.

La situation devenait critique : en plus de Maëwenn, les trois nouveaux monstres s’étaient régénérés et attaquaient le mur de corail. Iris était prise en tenaille, ce n’était qu’une question de temps.

Pour mieux se défendre d’adversaire qui finiraient par arriver au contact, Iris fit apparaître son armure de corail, puis chercha à s’éloigner autant que possible de Maëwenn. Mais à cet instant, deux tentacules s’enroulèrent autour de ses jambes et la soulevèrent. L’attaque la prit totalement au dépourvu.

Un ennemi se cachait dans les ruines d’une maison voisine.

— Vous… êtes combien au juste ?!

D’autres tentacules vinrent percuter son armure de corail qui amortit les chocs. Reprenant un peu le contrôle, Iris fit apparaître sa barrière réactive pour bloquer totalement les nouvelles attaques.

Néanmoins, les tentacules agrippées à ses jambes tiraient chacun de son côté, essayant d’arracher ses jambes.

— Scheiße !!

Tout en criant, elle créa une dizaine d’épées de corail autour d’elle avec lesquelles elle trancha les tentacules avant qu’il ne fut trop tard. À peine tombée au sol, elle envoya les épées débiter en morceaux le champignon géant alors qu’elle baissa le regard sur sa tenue : elle était couverte d’une substance poisseuse qui avait giclé des tentacules tranchés.

— C’est vraiment pas mon jour de chance… Déjà que je dois faire équipe avec la sœur perverse…

— Alors comme ça on ne m’aime pas ?

Iris blêmit et se retourna pour découvrir Isabel qui se tenait derrière elle.

— Tu… tu as fini ?

— Comme tu le vois. T’inquiète, je m’en fous d’être aimée.

— Je ne disais pas ça…

Isabel agita la main devant elle, puis reprit :

— T’as bien fait de mettre ton armure, leur sang provoque la nécrose de la peau.

Isabel lui montra la main qui avait été touchée pendant son combat : la peau était devenue grisâtre, comme si elle pourrissait.

— Mon visage… ?!

Iris s’empressa de l’essuyer, c’était la seule partie que son armure ne couvrait pas.

— Tu auras quelques tâches quelques jours durant, mais c’est tout. Le vrai souci c’est plutôt l’autre fragile…

Iris eut peur et grimaça, elle ne voulait pas se couvrir de cicatrices, son projet était de se marier un jour quand même. Mais ce qui était fait était fait, elle ne pouvait que faire confiance au jugement d’Isabel.

— Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

— Ce sont les spores, je suppose. Ils doivent provoquer des hallucinations ou un état de confusion. Son esprit est trop faible et elle y a succombé… contrairement à toi.

Iris ne pensait pas qu’une forme de compliment sortirait un jour des lèvres d’Isabel. Force était de constater qu’elle avait sûrement raison : Iris avait également respiré les spores, mais ne ressentait rien de particulier.

— Bon, je vais m’occuper d’apporter la lumière de la rédemption à la jeunotte. Tu peux montrer la voie du purgatoire à ces trois pécheurs ?

— T’es pas obligée de parler comme ça ? Je sais très bien que tu es la pire des pécheresses donc arrête ton flan !

Isabel ne répondit pas, elle la salua de la main en s’éloignant.

Iris se tourna vers la barrière qui retenait les trois Mykonitoxikos et qui était prête à s’effondrer d’un instant à l’autre, tant il y avait de fissures.

— Bon, je ne vais pas me retenir, vous commencez à me gonfler ! Arschloch !

Elle fit apparaître dans le creux de sa main une boule de corail noir qui se mit à grandir jusqu’à prendre la forme d’un tube.

Au moment les trois monstres champignons franchirent le mur en miettes, Iris projeta son attaque.

À peine le corail noir quitta-t-il ses mains que de fins tentacules jaillirent de l’espèce de tube. En tournant sur lui-même, ils se mirent à tourner également un peu comme des lames d’un mixer. La comparaison était sûrement la plus à même de décrire cette attaque.

Le tube tournoyant perfora et trancha tout ce qui se trouva sur sa trajectoire. Il s’enfonça dans le sol entre les trois champignons géants et continuant de tourner et découper tout ce qui se trouvait à cinq mètres de sa position.

Il s’agissait de l’une des plus redoutables attaques d’Iris. En un instant, les Mykonitoxikos furent réduits en petits morceaux. Éparpillés au sol, l’un d’eux essaya de se régénérer, mais Iris s’en approcha et l’acheva de ses épées.

— Si personne ne veut me marier… je… je le ferais payer à votre maîtresse ! Enfin, c’est stupide, car je n’aurais plus mes pouvoirs… je pourrais sûrement rien lui faire… Pffff !

Elle soupira tandis que ses épaules tombèrent. Il fallait espérer que les blessures partiraient d’elles-mêmes, comme les autres qu’elle avait déjà subies.

Maëwenn était en pleine frénésie. Sa foudre tombait un peu partout. Puisqu’elle ne s’acharnait pas sur son ennemi, ce dernier avait le temps de se régénérer entre chaque attaque.

— Pathétique… D’accord que tu n’es que rang B, mais bon…

Isabel s’approcha d’elle. Une foudre lui tomba dessus, elle la bloqua à l’aide de sa barrière magique.

— Crevez !!!

Alors qu’une seconde foudre allait tomber, Isabel jeta son épée qui, en tournant sur elle-même, passa à côté de Maëwenn pour aller s’enfoncer dans le corps du Mykonitoxikos.

Puis, elle courut en avant, porta un coup de genou dans le ventre de Maëwenn et, sans s’arrêter, s’en alla récupérer son épée.

Elle aussitôt trancha le champignon à l’horizontal, séparant le pied et le chapeau du reste. Tandis que l’un continuait de se mouvoir, l’autre agitait ses tentacules en direction de la religieuse. Elle l’acheva en prenant garde de ne pas laisser le sang l’éclabousser, puis…

— On dirait qu’on en a fini. Merci, Dieu Tout-Puissant. Grâce à toi, j’ai pu réduire à néant des raclures de chiotte dégénérées.

Elle joignit les mains dans une attitude religieuse, puis chercha son paquet de cigarettes, avant de se souvenir qu’en se transformant il avait fusionné avec sa forme de combat.Il y avait encore bien trop de spores dans l’air pour qu’elle reprenne sa forme normale.

Elle grimaça et s’approcha de Maëwenn qui se tenait le ventre à terre.

— Si.. Sister ?

— Ouais, c’est moi. Tu as repris tes esprits ?

Elle acquiesça, les larmes aux yeux : elle avait mal. Iris s’approcha de deux et avec une expression perplexe demanda :

— C’était ta technique pour la faire revenir à elle ? La ruer de coups ?

— C’était juste un coup de genou. Puis, ça a marché, non ?

Isabel tendit la main à Maëwenn qui la saisit.

— J’ai… mal…

— Faut dire que tu n’étais pas en état de te protéger. Bah, ça passera bien vite… Bosse un peu plus ton mental, ma grande. Si tu viens prier avec moi, j’suis sûre que la prochaine fois tu leur feras des doigts d’honneur.

— Tes prières ? s’étonna Iris. Boire, fumer et roupiller ?

— Et s’envoyer en l’air, ajouta Isabel. Ouais, toutes les bonnes choses de la vie.

Iris secoua la tête en levant les épaules.

— Faisons comme si j’avais rien entendu. Juste t’imaginer… Beurk…

— Ne vous disputez pas… toutes les deux, dit Maëwenn au prix d’un grand effort.

L’attaque l’avait touchée sous le plexus solaire et lui avait coupé le souffle, elle avait failli tomber évanouie.

— On ne se dispute pas, dit Isabel. On confronte nos points de vue, c’est tout. Je n’ai rien contre la normalité et la simplicité d’Iris. C’est une bonne fille… même si elle est un peu coincée du derche.

— Lai… laisse mon postérieur hors de tout ça, tu veux ?

— Moi, je dirais pas non pas le décoincer un peu.

Isabel se lécha les lèvres tandis qu’Iris rougit jusqu’aux oreilles et recula instinctivement de quelques pas en arrière, tout posant ses mains sur ses fesses.

— Reprenons les recherches. Tu peux t’appuyer sur mon épaule, Maëwenn, proposa Iris.

— Ou la mienne. Sous cette forme, je fais plus ou moins ta taille.

— Oui, mais avec toi on ne sait jamais ce que feront tes mains. Je ne te la recommande pas.

Maëwenn sourit maladroitement et finalement refusa les deux :

— Je suis une syren aussi. Je vais prendre sur moi. Désolée de vous avoir attaquer…

Elle s’inclina à la kibanaise pour s’excuser, c’était quelque chose qu’elle avait appris en travaillant pour le conglomérat ONC.

Iris sourit avec gentillesse, tandis qu’Isabel lui posa la main sur l’épaule. Les excuses étaient acceptées.

Toutes les trois entreprirent donc la fouille du lieu.

Elles ne trouvèrent pas d’autres ennemis mais simplement quelques animaux mutants qui soit ne cherchèrent pas à les affronter, soit ne représentaient pas de vraies menaces.

Après quelques heures à passer de maison en maison, le soleil commença à décliner et menaçait de disparaître sous la ligne d’horizon.

— J’ai trouvé quelques boîtes de médicaments, sûrement périmés, dit Maëwenn. Et des vieux livres en lambeaux… Mais je n’arrive pas à lire ce qui est écrit dessus.

Ses deux camarades se rapprochèrent pour faire le point sur leurs découvertes.

— On va ramener ça au navire, au cas où ces livres auraient de l’importance. De toute manière, il n’y a plus assez de lumière pour lire, dit Iris. De mon côté, j’ai trouvé des pièces mécaniques dans un entrepôt en ruines à l’est. Je suppose qu’il y avait un aérodrome ou quelque chose du genre.

Chose étonnante : même si la plupart des syrens étaient capables de voir dans l’obscurité des profondeurs marines, elles ne pouvaient rien contre l’obscurité à la surface. Bien sûr, certaines avaient des yeux capables de s’adapter aux deux environnements, mais la majorité était frappée de cette particularité malgré tout.

— Quand à moi, j’ai trouvé une épave dans le port, dit Isabel. Et surtout, j’ai choppé ça dans l’ancienne capitainerie.

Une cigarette en bouche, elle ouvrit une vieille carte devant ses camarades.

— Oh ! Voilà une bonne découverte !

— Tu es incroyable, Sister !

— Ouais, enfin, calmez-vous les cocottes. Matez bien ce plan : c’est un trou paumé. À part ce village, y avait rien ici. Mais, au moins maintenant on sait où on se trouve : Barbuda. Allez, sur ce, rentrons. Porte-nous jusqu’au navire, Maë. Ça fera office de remerciements pour tout à l’heure.

Maëwenn se transforma à nouveau, saisit les deux femmes par les hanches et s’envola. Depuis les hauteurs, il était possible de voir l’île dans sa totalité.

— Je vais y aller tranquillement puisque vous n’êtes pas habituées.

— Ouais, je préférerais aussi…, dit Iris. Je… je n’ai jamais volé de ma vie… C’est flippant !

— Moi je trouve ça cool. Allez, en avant toute poupée !

Il fallut quelques minutes aux trois syrens pour rejoindre le destroyer par voie aérienne.

***

À bord du navire se trouvait un duo inattendu : Everly et Fulvia. Elles étaient toutes les deux appuyées au bastingage et regardaient l’océan. Le paysage était digne d’une carte postale.

— J’aurais peut-être dû suivre la commandante…, marmonna Everly avec une mine démotivée.

Autour d’elles, l’équipage était affairé. Les réparations de la coque prendraient sûrement quelques jours encore. Il faudrait sûrement mettre le navire en cale sèche, puis vider de toute l’eau qui s’était infiltrée. Il faudrait également jeter tous les débris causés par les mines et ensuite seulement commencerait le colmatage des trous.

Une fois sorti de l’eau, sur des supports, le navire deviendrait inutilisable pendant quelques temps, ce serait une période de vulnérabilité pour l’équipage.

C’était ce que leur avait expliqué Akemi, de simples syrens ne connaissaient pas assez la mécanique pour connaître tout ce processus.

Différentes équipes travaillaient en préparation de tout cela. Entre les dispositifs pour accueillir un navire de guerre de 4500 tonnes et les installations temporaires pour accueillir l’équipage sur l’île, il y avait une sacrée quantité de travail.

Et dans tout ça, il ne fallait pas pour autant relâcher son attention : le navire était en territoire hostile, à n’importe quel moment des créatures pouvaient sortir des flots pour les attaquer. C’était la tâche qu’écopaient actuellement les deux syrens.

— T’es pas heureuse d’être avec moi, c’est ça ? Allez, fais pas cette tête !

Sur ces mots, Fulvia se rapprocha d’elle et passa un bras autour de son épaule.

— Tu… Vous sentez l’alcool…

Même si elles étaient toutes habiles en kibanais, pour des amarylliennes l’anglais et le français étaient plus naturels. Dans leur cas, elles parlaient en français.

— Normal puisque je suis en train de picoler ! Haha !

Dans son autre main, Fulvia tenait une bouteille d’un liquide transparent. Même l’étiquette était à moitié décollée.

— C’est… si amusant de boire ?

— Ouais ! Tu d’vrais essayer, Miss !

— Non… merci… je passe.

— Hahaha ! Vous aut’anglais ! Vous êtes toujours si… comment qu’on dit déjà ?

Everly grimaça. L’haleine de Fulvia puait réellement et elle n’avait pas la décence de s’éloigner d’elle.

— Flegmatique ? Je crois que c’est ce que vous dites de nous autres anglais.

— Ouais, v’là. Vous êtes so british, en gros. Allez, décoince-toi un peu, ma jolie !

— Comme je l’ai déjà dit, je préfère passer mon tour.

Sur ces mots, Everly repoussa diplomatiquement Fulvia qui n’opposa pas résistance.

— Bah, tant pis pour toi ! J’peux même pas te dire que c’est bon, au contraire ce truc est infecte. Haha !

Everly grimaça à nouveau, mais reprit aussitôt son flegme.

— Pourquoi le boire dans ce cas ?

— Un pari que j’ai perdu contre la petite. Ah ! Cette teigne ! Me v’là à boire ce tord-boyau de mes deux. Y a même pas de goût ! Ce truc est juste fait pour décoller du papier peint, j’te jure. Hahaha !

Everly soupira longuement, tandis que Fulvia ne cessait de rire.

— Donc vous avez essayé de m’utiliser pour réduire le volume de votre infecte breuvage, sans respecter votre pari, c’est bien ça ?

Fulvia se tourna vers Everly, fit un clin d’œil et la pointa de l’index.

— Démasquée ! T’es une maligne, toi… Héhéhé !

— Pour… Pourriez-vous retirer votre doigt, je vous prie.

Estimant mal les distances à cause de l’ivresse, le doigt de Fulvia s’était enfoncé dans la poitrine d’Everly.

— Oups ! Pas fait exprès… Faut dire que ça prend de la place, y sont tellement gros.

Everly croisa ses mains sur sa poitrine. On ne pouvait pas dire que la remarque lui faisait plaisir, au contraire.

— Je… je préférerai qu’on parle d’autre chose.

— Comme tu veux, ma chérie. Eh ! Si j’t’ai vexée, tu peux toucher les miens. Y sont gros aussi, t’sais ?

Sur ces mots, Fulvia se pencha en avant et rapprocha ses coudes pour faire déborder sa poitrine de son décolleté. C’était clairement une invitation.

— Je passe.

— Quoi ? Y sont pas assez bien pour toi ? Tu peux même y mettre un truc entre si tu veux. Regarde, la bouteille tient… Eh hop ! Une p’tite gorgée à la tienne. Hahaha !

— Vous… vous… vous essayez encore de me faire boire votre boisson infecte ?

Fulvia ne répondait plus, elle ne cessait de rire sans raison, tandis que Everly maudissait tous les dieux des panthéons qu’elle connaissait de l’avoir mise en équipe avec elle.

Après une nouvelle lampée d’alcool, Fulvia dit :

— Y a pas à dire, c’est dégueux ! J’préférerais boire du bon vin… ou une grappa. T’as déjà bu du vin italien ?

— Je ne bois pas d’alcool.

— T’sais pas ce que tu rates.

Everly ne semblait pas très convaincue, elle dévisagea son interlocutrice un instant avec un regard qui n’exprimait aucune sympathie. Elle finit par détourner les yeux et fixer à nouveau la surface de l’eau.

— Si je peux me permettre… ?

— Ouais, pas de souci. Tu veux savoir quoi ? Mes mensurations ? Ma position préférée ?

La main de Fulvia se posa sur la hanche d’Everly, tandis qu’elle affichait un regard pervers.

— Arrêtez de plaisanter avec ça, je vous prie ! dit-elle en repoussant violemment la main.

C’était rare qu’Everly s’emporte, elle qui s’exprimait toujours de manière si douce. Quelques marins qui passaient derrière elles ne purent s’empêcher de leur jeter des coups d’œil interrogateurs.

Fulvia reprit un peu son sérieux et s’appuya au bastingage. Elle jeta la bouteille à la mer du mieux qu’elle put dans son état. Everly se retint de lui faire de remarques, elle les savait inutiles. À la place, elle préféra s’accouder au bastingage également et retourner sur la question qu’elle avait initialement essayéde lui poser :

— Pourquoi être devenue une syren ? Vous semblez aimer l’Italie et ses produits, non ? Choisir de prendre la mer, chez un armateur kibanais, c’est étrange.

— Qui sait ?

— Vous ne voulez pas répondre ?

Fulvia se retenait plus au bastingage qu’elle ne s’accoudait dessus, on avait l’impression que d’un instant à l’autre elle allait basculer par dessus et tomber en mer.

— Tu te poses trop de question dans ta tête, Miss… Hic ! C’est simple : j’veux utiliser mes pouvoirs. Tuer et m’éclater, c’est ma devise. En devenant syren, j’peux facilement… Hic ! …atteindre les deux… Hic ! Par contre… c’est vrai que le pays me manque. T’as déjà été en Italie ?

Everly secoua la tête pour répondre par la négative.

— Bah tu d’vrais… C’est le plus beau des pays du monde ! Ses paysages… sa nourriture… les gens… Un jour, si j’meurs pas, j’y retournerai. Hic ! Mais pour le moment, j’peux pas…

— La rumeur serait donc vraie : vous êtes une maffieuse recherchée par ses confrères ?

— Hahaha ! Suffit qu’on vienne d’Italie pour devenir maffieuse ? Vous êt’ trop fort vous autres les rosbif ! Hahaha !

Everly gonfla les joues mécontente d’être appelée de la sorte, mais elle comprenait d’une certaine manière qu’elle avait aussi manqué de tact. Néanmoins, contrairement à Fulvia, elle n’en avait que faire de sa patrie, il n’y avait rien en Angleterre qui lui faisait ressentir de la nostalgie.

— Communiquer avec vous est difficile.

— Tu trouves ? Perso, j’aime bien causer avec toi… Hic ! Tu me rappelles la p’tite sœur que j’ai pas.

— Ah ?

— T’sais, j’évite de me prendre la tête… Tant que j’suis en vie et que j’peux m’éclater, tout va bien〜 ! Et si demain je meurs…

Sur ces mots, elle cracha par terre et se signa, même si elle n’était pas croyante.

— Bah, si j’clamse : tant pis ! Aujourd’hui encore j’me serais éclatée, c’est ce que j’me dirais…

La voix de Fulvia devenait plus faible et ses yeux plus petits.

— Je… j’ai du mal avec ce genre de mentalité. Mais cela ne répond pas vraiment à ma question. Même en intégrant les agences ou les mercenaires, vous auriez pu mener ce genre de vie, non ? Vous n’avez réellement aucun attrait pour la mer ?

— Ch’sais pas, moi…. j’entends pas vot’truc d’appel de l’océan ou ch’sais pas quoi … La mer est belle et incompréhensible, c’est tout ce qui compte. Puis, elle est grande… ça permet d’éviter de rencontrer ceux qu’on veut pas voir…

Elles restèrent silencieuses un petit moment, puis Everly finit par dire :

— Finalement, vous fuyez bien des maffieux. Je le savais.

— Hahaha !

Fulvia se laissa tomber par terre et s’adossa au bastingage.

— Je… je vais juste me reposer un peu…

— Mmm… De mon côté, je vais jeter un œil sous l’eau.

Fulvia lui répondit par un simple geste maladroit de la main, elle luttait pour ne pas s’endormir. Everly soupira : Fulvia n’était vraiment pas la meilleure des vigies, mis à part se battre, elle n’était pas très utile à bord.

Everly se transforma et sauta du pont. Immédiatement, deux dauphins qu’elle avait repéré plus tôt dans la journée s’approchèrent d’elle. Elle leur caressa la tête avec gentillesse.

— C’est vous les meilleurs, dit-elle en tournant son regard vers le navire. Je risque pas de m’entendre avec elle un jour… Heureusement que vous êtes là, les amis.

Après quelques câlins, ils se mirent à patrouiller tous les trois dans les eaux environnantes.

***

Plus tôt dans la journée.

Akemi, restée à bord également, se sentait mal à l’aise de simplement rester là en surveillance, à regarder les autres marins travailler.

Parfois son rôle de commandante des syrens lui pesait. Elle aurait voulu les aider à remettre à flot le navire le plus vite possible, mais son rôle d’officier primait sur ses propres désirs.

Son esprit était perdu dans de nombreuses interrogations lorsque les deux soldats vinrent lui faire face. Après un salut d’usage :

— Commandante des syrens, nous… nous voudrions vous parler.

— Allez-y, je vous écoute.

Les deux hommes lui expliquèrent qu’un groupe de soldats partis à la recherche d’indices sur la jungle ne donnait plus de réponse radio. D’ailleurs, le maître d’équipage qui les avait accompagné ne répondait pas plus.

Ils suspectaient des créatures surnaturelles d’être à l’origine du problème. C’est pourquoi ils avaient pris l’initiative de venir lui en parler directement au lieu de se référer à leur supérieur hiérarchique Nagano. Si on intervenait rapidement, il y avait peut-être encore des chances de sauver quelqu’un.

La mission d’Akemi était de protéger le navire, elle le comprenait bien, mais elle ne pouvait abandonner des marins de leur équipage. Si elle agissait vite, comme l’avaient dit les deux soldats, il y avait une chance de les sauver.

— Amenez-moi jusqu’à l’endroit où ils ont disparu, leur dit-elle avec détermination.

— Mer… Merci beaucoup, commandante !

Les deux soldats, inquiets, étaient émus jusqu’aux larmes. Probablement qu’il leur avait fallu beaucoup de courage pour prendre l’initiative de venir lui en parler. Ils étaient conscients d’avoir mis en échec la chaîne de commandement.

Akemi s’empressa d’ordonner à Everly et Fulvia, restées à bord, de monter la garde, puis elle suivit les deux soldats dans la jungle.

Tout en marchant…

— Vous avez bien fait de venir me voir directement, mais évitez de le faire à l’avenir. Lorsque le commandant Nagano l’apprendra, il ne sera pas très content.

— Oui… désolé… commandante. Mais je… nous…

— Nous avons vraiment pensé qu’il y a des monstres derrière tout ça !

Les deux soldats se jetèrent un coup d’œil, ils partageaient la même idée quant à la situation.

— Bah, je comprends. De toute manière, soit Nagano vous aurait cru et il serait venu m’en référer, soit il aurait envoyé d’autres soldats à leur recherche.

— Mais dans ce cas, il y aurait eu un risque de…

— D’augmenter le nombre de victimes, c’est sûr.

— Nous ne voulons pas que des frères meurent stupidement ! dit l’autre soldat.

— Je vous rejoins à cent pourcent sur la question. Bref, espérons que tout se passera bien, je dirais à Nagano que c’est de mon initiative que je suis venue vous aider.

— Mer… Merci, commandante ! dirent les deux soldats en même temps, encore plus émus.

Connaissant la rigueur à bord et les punitions expéditives de la capitaine, ils s’étaient attendus au pire en prenant une telle initiative. Mais Akemi était une commandante censée, manifestement.

Cette dernière respectait le courage des deux soldats et trouvait que la capitaine manquait de sensibilité avec les « normaux », ceux sans pouvoirs. Au fond, elle l’avait elle-même dit lorsqu’elles étaient toutes les deux seules : « les syrens sont plus importantes que les soldats ».

Mais quand Akemi observait les visages reconnaissants des deux jeunes hommes, elle ne pouvait pas voir les choses de cette manière. À quoi servaient les pouvoirs des syrens sinon à protéger les personnes normales ?

Les soldats faisaient face au danger alors qu’ils ne disposaient d’aucune magie, Akemi les trouvait franchement courageux et admirables. Sentant le moment propice, elle leur posa une question qu’elle se posait de longue date :

— Au fait, pourquoi vous vous êtes engagés tous les deux ?

Il n’y avait aucun autre officier aux alentours et ils se sentaient redevables envers elle, c’était le moment rêvé pour les questionner.

— Euh… la paie est pas mal…, répondit le premier en cherchant ses mots. Mais je pense avant tout que c’est une question de vocation. Quelqu’un doit protéger les autres et, à notre échelle, nous faisons ce que nous pouvons.

— Oui, c’est un honneur pour nous de pouvoir aider les syrens et de ravitailler les différents pays avec des matières premières. C’est en s’entraidant tous que nous parviendrons à traverser cette crise, ajouta le second.

— Je… Merci pour vos réponses. Je comprends mieux…

Peut-être était-elle tombée sur des anges, peut-être tous ces soldats cachaient ce genre de motivation. Le cœur d’Akemi fut satisfait par ces réponses qui transpiraient la sincérité et la bienveillance, elle le sentit plus léger d’un seul coup.

— Je vous trouve admirables, dit-elle à basse voix.

— Hein ? Commandante, vous avez dit quelque chose ?

— Rien. Merci pour vos réponses, vous faites du bon travail. J’espère que nous résoudrons cette affaire de disparition et que nous ramènerons vos compagnons à bord.

Ils sourirent contents d’avoir noué des relations amicales avec une syren d’une telle importance. Les officiers supérieurs étaient souvent si hermétiques, mais Akemi leur faisait bonne impression.

Quelques heures après avoir quitter le navire, le groupe de récupération entra dans le secteur que de disparition. Akemi fit signe aux deux soldats de rester derrière elle, puis se transforma.

Quelques minutes plus tard, à peine, ils trouvèrent du sang sur les fougères mais aussi sur les troncs d’arbre. Puis, des cadavres… une dizaine de soldats, éventrés, à demi-décorés, putrescents et remplis de vers.

Non loin d’eux, un arbre à l’écorce noire avec de nombreuses bouches et yeux. Son tronc tortueux était monté sur de courtes pattes robustes et ses branches étaient semblables à des tentacules.

— Un Serviteur de Shub…, marmonna Akemi dans sa barbe. Reculez ! Je me charge de lui !

Si elle avait immédiatement repris ses esprits suite à ce spectacle, qui ne la surprenait guère, malheureusement, ce n’était pas le cas des deux soldats. Ils étaient pétrifiés par la vision de ce monstre cauchemardesque.

Les syrens avaient tendance à l’oublier, mais la vue des Anciens étaient à même d’induire la folie dans l’esprit des humains normaux.

Akemi se plaça entre eux et le monstre. Les traits de son visage étaient soudain tirés par la colère.

— Pourquoi leur avoir demandé d’enquêter si loin, Nagano ? C’était évident qu’il y aurait des monstres, nous sommes en territoire ennemi, bon sang ! pensa-t-elle.

Les branches-tentacules s’agitèrent et fondirent toutes sur Akemi. Avec des mouvements agiles et précis, elle dévia les attaques à l’aide de son katana d’eau. Elle aurait préféré esquiver, mais les deux soldats étaient toujours derrière elle, ce serait trop risqué pour eux.

Pendant quelques instants, elle se contenta de rester en défense. Les soldats finirent par reprendre leurs esprits simplement pour passer dans un état de terreur qui leur fit prendre la fuite.

— Je préfère ça…Maintenant, je vais pouvoir être sérieuse.

Sans plus tarder, elle se mit en mouvement et fonça droit à travers le faisceau d’attaques. En un instant, elle arriva au contact et porta un coup d’estoc droit dans un des yeux du monstre-arbre.

La lame s’enfonça sans problème, un liquide visqueux et malodorant s’écoula de la blessure tandis que la pointe continuait de s’enfoncer plus profondément.

Mais, le Serviteur ne ressentait pas la douleur comme un être humain, il ignora sa blessure et essaya de la mordre. Akemi avait anticipé ce genre de réaction, elle rendit sa lame liquide et bondit en arrière. Puisqu’il s’agissait d’eau, elle pouvait la solidifier ou la fluidifier à sa guise.

Retournant dans la zone d’allonge des tentacules, elle se remit à parer et esquiver ; le flot d’attaque était tel qu’elle avait du mal à contre-attaque.

— Tu es lourd…

Elle finit par interposer sa barrière réactive qu’elle économisait depuis le début. Les tentacules se heurtèrent à ce mur solide qui donna à Akemi l’occasion de passer en position d’attaque et de lancer une des bottes secrètes.

« Shinen Saidan・深淵裁断 ! »

Tout autour d’elle, un motif complexe se dessina dans l’air. En réalité, il s’agissait simplement de l’image rémanente des mouvements supersoniques de son katana d’eau. Dans un rayon de dix mètres autour d’elle, ses attaques tranchèrent tout ce qui s’y trouvait.

Les tentacules découpées en rondelles au sol tombèrent au sol, tandis que des flots de sève verdâtre aspergea les environs.

Akemi plongea dans cette pluie de sang monstrueux, arriva au contact avec le Serviteur et lui porta un enchaînement d’attaque qui lacérèrent le tronc.

Dans un dernier râle d’agonie, le Serviteur de Shub-Niggurath s’écroula, levant un nuage de poussière et écrasant la végétation sur son passage.

— Tsss ! Que de morts inutiles… Pourquoi avoir donner cet ordre, capitaine Kayomi ? C’est notre rôle…

D’un seul coup, dans son esprit il apparut évident que ce n’était pas Nagano qui avait donné un tel ordre, mais la capitaine directement.

Elle rengaina son arme et avec une mine mécontente inspecta les cadavres des soldats.

Ils étaient si malmenés…

Son regard se durcit encore plus, puis son cœur s’emplit de peine et de colère.

Elle détestait voir des innocents souffrir et mourir par la faute des syrens, ce n’était pas ainsi que les choses auraient dû se passer.

Plongée dans ses pensées, quelques minutes s’écoulèrent. Elle ne vit pas que la silhouette du monstre se redresser. Sa régénération avait refermé la plupart de ses blessures.

Deux tentacules s’enroulèrent autour de ses jambes et la soulevèrent.

— Hein ?

Alors qu’elle allait réagir, un tentacule la frappa en plein ventre. La violence du coup fut telle qu’elle cracha immédiatement et manqua de lâcher son arme.

— Enfoiré ! Je…

Lorsqu’elle voulut contre-attaquer, elle se rendit compte que son corps était engourdi. Elle luttait pour serrer sa main autour du pommeau de son arme.

Du poison !

Mais quand avait-elle été en contact avec lui ?

Akemi réalisa soudain : la sève, elle en avait été recouverte.

S’agitant malgré l’engourdissement de ses membres, le monstre l’attira à lui et deux nouveaux tentacules vinrent s’enrouler autour de ses bras.

— Qu’est-ce que… ?

Retenue prisonnière, elle vit ce qui devait être la langue du monstre sortir d’une de ses bouches. Elle était humide et visqueuse.

À cet instant, elle comprit les intentions du monstre : il n’avait pas l’intention de la tuer en la dévorant, mais de lui inoculer cet espèce de liquide infecte qui la rendrait totalement inerte, plus encore qu’elle ne l’était.

Akemi n’était pas experte en monstres, mais elle avait entendu d’horribles histoires d’Anciens qui pondaient dans les corps humains.

Elle ignorait comme le monstre comptait s’y prendre précisément, mais quoi qu’il en fût, elle devait réagir et vite !

Fermant les yeux et prenant une profonde inspiration, elle essaya de se calmer. Elle repensa à l’océan, aux vagues, aux bancs de poissons qui lui passaient parfois autour lorsqu’elle plongeait.

Elle fit le vide dans sa tête. C’était les pensées perturbatrices qui l’avaient mise dans cet mauvaise passe, elle devait s’en défaire.

Puis, elle demanda gentiment à son corps de réagir, de concentrer tout ce qu’il lui restait de forces pour un unique coup.

Tout cela n’avait duré qu’un bref instant. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, la langue n’était plus très loin de ses cuisses…

« Kaishin Seihenka – 海神聖変化 »

Tirant ses mains de toutes ses forces, elle parvint à les libérer de leur étreinte. Elle agita le katana qu’elle n’avait pas lâcher et porta huit attaques supersoniques qui formèrent un emblème de chrysanthème à huit pétales.

Cette fois, le tronc ne fut pas que lacéré, il se sépara en de nombreux morceaux. Tout comme elle avait fait l’erreur de se laisser distraire, le Serviteur avait fait l’erreur de la penser paralysée et inoffensive.

Akemi tomba à terre en même temps que son ennemi. Cette fois, il ne se régénérerait pas.

— Tel est prit qui croyait prendre…

Akemi haleta quelques instants, puis se releva tant bien que mal. Le poison commençait à se dissiper un peu, ou plutôt son corps le combattait de toutes ses forces. Elle se souviendrait à l’avenir de ce genre de monstres qu’elle espérait ne plus croiser.

— Nous pouvons revenir ? cria un des deux soldats.

— Oui ! Aidez-moi à transporter les corps… ils méritent sépultures décentes…

La réaction des deux hommes à la vue des cadavres de leurs camarades lui serra le cœur. Elle détestait assister à la souffrance d’autrui, elle avait un cœur fragile..

Elle serrait les dents et les poings et, dans son for intérieur, renouvela sa promesse de faire de son mieux pour protéger l’équipage.

***

Le trio composé de la capitaine Kayomi, Mégane et Violaine explorait les fonds marins.

Autour de l’île il y avait nombre d’épaves et de débris. Le groupe était à la recherche du matériel perdu par son propre navire au cours du naufrage.

— Ça à l’air rempli d’épaves dans le coin, C’ptaine. On devrait pas y jeter un coup d’œil, juste à cas où ?

Mégane qui avait la piraterie dans le sang affichait un large sourire en désignant un navire de pêche qui gisait au fond d’une crevasse.

— C’est pas dans ce rafiot que tu vas trouver quelque chose de valeur ! En plus, si près de la côte, tout a déjà dû être pillé.

— Ils ne les auraient pas remonté si ça avait été le cas ?

La capitaine se tut un instant suite au commentaire de Violaine.

— Pas bête… Au retour, alors. Notre priorité sont les caisses de pièces. Et si mes souvenirs sont bons, c’était dans cette direction…

Mais Violaine et Mégane ne semblaient pas convaincues.

— C’est vraiment par là ?

— Moi j’aurais dit plutôt de ce côté.

— Ordre de la capitaine, on va par là.

Son ordre n’était pas vraiment appuyé, il était presque sur le ton de la plaisanterie. Mais les deux filles la suivirent sans faire opposé de résistance.

Toutefois, après deux heures, toujours rien.

La plancher océanique n’était pas assez profond pour correspondre à l’endroit où elles s’étaient battues.

— Cap’taine, t’es sûre que c’est bien par ici ?

— Il faudrait plonger pour être sûres, répondit cette dernière.

— La profondeur n’est que de 1000 mètres, à vue de nez, dit Violaine. C’était pas ici, c’est sûr.

— On dirait bien…

— Bref, on est paumées, Cap’taine !

Kayomi jeta un regard aux environs. Il était évident qu’elles avaient toutes les deux raisons, elle s’était trompée.

— Normalement, ça aurait dû être la bonne direction. Je me suis basée sur les coordonnées de navigation de l’ordinateur de bord… Étrange…

— Je ne ressens pas la même aura… mais on dirait que quelque chose de mystique traîne dans les environs.

— Si tu pouvais être plus précise, Violaine…

— Eh, Cap’taine ! Là-bas, c’est pas un truc brillant ? J’peux aller voir ?

Mégane indiqua un endroit où le plancher océanique formait une colline plus haute que les autres.

— Je vois rien de brillant.

— Mmmmm… J’ai comme une drôle d’impression…

— Mal au ventre ? se moqua Kayomi.

Mais Violaine n’y prêta nulle attention. Elle fixait à présent l’endroit désigné par Mégane et soudain :

— Ah ! J’y suis ! Ce truc brillant… c’est un mât porte-antenne ! Un navire est caché sous le sable…

Mégane et Kayomi plissèrent les yeux en fixant cette chose brillante. C’était trop loin encore pour déterminer si elle avait vu juste ou non.

— C’est pas ce que nous cherchions, Cap’taine, mais ça me semble être une bonne prise, non ?

— Avec un peu de chance, il y a des pièces de rechange pour notre bâtiment… OK, c’est décidé ! Violaine avec moi. Mégane, tu montes la garde.

— OK, Cap’taine ! Mais ch’suis quand même rudement déçue de pas pouvoir plonger avec vous.

— À charge de revanche.

Les trois plongèrent en direction du mât présupposé. Mégane se sépara des deux autres une centaine de mètre avant de l’atteindre. Outre l’ordre de la capitaine, elle sentait d’elle-même arriver à sa limite de plongée ; même si elle l’avait voulu, elle n’aurait pu les accompagner.

Lorsque la capitaine et Violaine atteignirent l’objet métallique, elles commencèrent à déblayer le sable.

— On dirait bien que tu as raison, camarade.

— Héhé ! Merci, Kayomi.

— Par contre, ce sera capitaine quand même.

— Mais on est que toutes les deux.

— Comme si ça changeait quelque chose pour toi… Raconte pas n’importe quoi espèce de monstre chelou !

— C’est pas gentil, Kayomi, à l’intérieur il y a le cœur d’une femme sensible et aimante. Sniff ! Snifff !

— J’ai du mal à le voir… Mais peut-être qu’en ouvrant un peu cette cage thoracique…

Kayomi posa la main sur le pommeau de son épée ce qui fit tressaillir (faussement) Violaine.

— Allons, Kayomi ! Pas besoin de me trucider, je suis pas comestible en plus !

— Tu sais bien que je peux tout manger. Mais bon, j’ai encore besoin d’un larb… d’une subalterne de valeur (enfin on se demande) pour porter le butin au cas où.

— Eh oh, je suis pas un larbin ! Je préférerais que tu m’appelles : « la belle maid incroyablement talentueuse et mignonne ». C’est plus juste je trouve.

— Désolée, j’ai pas de vêtements de soubrette à ta taille. Je vais continuer avec larbin, je crois bien…

— Mais euh !!

Après cet échange, elles se mirent à chercher dans les alentours. Elles cherchaient une ouverture leur permettant d’entre dans le navire ou simplement un indice permettant de l’identifier.

Il leur fallut plus de temps que ce qu’elles avaient pensé pour délimiter l’épave et trouver un moyen d’entrer ; elles déblayèrent un trou dans la coque, celui qui avait fait couler le bâtiment.

Par chance, le navire ne s’était pas brisé en deux en coulant. Peut-être que son équipage avait même eu le temps de s’enfuir considérant le débit estimé de la voie d’eau.

— C’est trop petit pour toi, je vais y aller seule, dit la capitaine. Continue de chercher dans les environs.

— Cette fois, c’est moi qui suis abandonnée… Sniff ! Sniff !

— Tu peux toujours reprendre ta forme normal, faire exploser tes poumons et venir saigner à l’intérieur du navire, si tu veux.

— Sans façon !

— C’est ce que je me disais.

Kayomi entra seule dans les cales du navire. Elle se rendit rapidement compte que sa théorie avait été juste : l’équipage avait en partie réussi à se sauver en prenant les pneumatiques d’urgence. Quelques cadavres décomposés, devenus comme savonneux, flottaient malgré tout de-ci de-là.

À l’intérieur de deux cabines, Kayomi trouva même des bulles d’air qui avaient dû être consommées par les squelettes qui s’y trouvaient.

— Ceux-là sont morts de faim. Leurs tenues sont conservées, par contre.

Même si elle avait de solides connaissances maritimes, elle ne reconnut pas les uniforme, simplement le drapeau au-dessus de leurs têtes.

— Mexique… je crois bien… ou alors Panama ? J’suis plus sûre…

Dans le doute, elle décida de récupérer la veste de l’un d’eux. À cet instant, un objet tomba à ses pieds : un tube métallique.

— Qu’est-ce que c’est que ce machin ?

Elle répondit rapidement à cette question : une carte. Elle n’avait aucun doute là-dessus. Ce genre de tubes hermétiques étaient utilisés pour protéger des cartes de navigation. Cet usage s’était perdu à l’époque des satellites où la majeure partie avait été numérisée, mais était revenu depuis la fin de l’Invasion.

D’une main experte, elle ouvrit le tube et déplia la carte.

— Ce n’est pas les Caraïbes… mais on dirait l’Atlantique quand même…

La latitude et longitude lui permettait même d’en être sûre. Mais ce qui arrêta son regard était une marque et une inscription manuscrite difficile à lire.

— Pas de l’anglais ou du français… sûrement de l’espagnol, vu le coin. Qu’est-ce que tu as bien pu protéger de si important pour venir crever ici, camarade ?

Le visage de Kayomi exprimait un vif intérêt.

Elle jeta un œil à l’intérieur du tube et découvrir une autre feuille. Cette fois, il ne s’agissait pas d’une carte de navigation mais bien plus d’un parchemin authentique sur de la peau tannée.

Des écritures s’y trouvaient dans une langue qu’elle ne comprenait pas.

— On dirait l’une des langues de l’envahisseur…

Quelques mots attirèrent néanmoins son attention, ses yeux s’écarquillèrent un bref instant avant que ses lèvres ne s’arquassent pour exprimer sa satisfaction.

— Voilà qui est un trésor des plus intéressants… J’ignore encore ce qu’il cache mais je compte bien le découvrir, parbleu.

Elle referma soigneusement le tube et le mit dans l’une des poches de la veste qu’elle enfila. Après avoir salué le squelette de la personne qui avait donné sa vie pour ce tube, elle reprit l’exploration.

Une demi-heure plus tard, elle revint auprès de Violaine.

— J’ai fait une bonne découverte. Laissons tomber nos caisses de ravitaillement. L’intérieur de ce bâtiment est en bon état, on trouvera ce qu’il nous faut.

— Oh, cool ! J’en avais marre de chercher…

La capitaine la fusilla du regard, mais passa outre très rapidement.

— Le navire a sûrement été attaqué par des Anciens. Une partie de l’équipage est mort mais une autre a évacué avec les pneumatiques. Les moteurs semblent intacts.

— Héhé ! Les dieux des abysses semblent nous avoir à la bonne.

— Tu peux le dire ! J’ai trouvé même une carte au trésor. Il me tarde d’en savoir plus.

— Que de bonnes nouvelles, Kayomi !

— Ouais. J’ai aussi récupéré le journal de bord. Avec ça, nos ingénieurs trouveront plus d’informations sur cette épave. Rejoignons Mégane et rentrons ! C’est une bonne prise, on peut le dire.

— Oui ! Et rien ne serait arrivé sans notre naufrage. Je suis si contente

— Eh oh ! Calme tes ardeurs ! C’est une bonne journée MALGRÉ le naufrage.

— Je sais que tu ne le penses pas, Kayomi. Je le vois, tu es aussi excitée q’une gamine devant un cadeau d’anniversaire.

— Je pourrais bien décider de manger du sashimi de monstre chelou si tu n’arrêtes pas de dire n’importe quoi.

— Gloups ! J’ai peur ! J’ai peur !

Mais la voix de Violaine n’en exprimait aucune. Elle était sûrement la seule personne au monde à ne pas prendre les menaces de la capitaine au sérieux.

Sur ces mots, elles rejoignirent Mégane dont la réaction fut assez similaire à celle du capitaine.

— Une chasse au trésor ? Yahou !! Voilà, ça c’est excitant de sa mère ! J’ai trop hâte !

Satisfaites, toutes les trois prirent le chemin de retour.

***

En remontant sur le navire, Akemi salua Everly et Fulvia, puis s’empressa de prendre des nouvelles. Fulvia semblait avoir la gueule de bois, elle n’avait sûrement pas fait son devoir mais Akemi, épuisée mentalement bien plus que physiquement (le poison s’était complètement dissipé chemin faisant), passa l’éponge.

Aucun Ancien n’avait pointé le bout de son nez de la journée. La mer semblait plus calme que la jungle.

— Et la capitaine Kayomi ?

— Elle est rentrée… Ch’sais pas où qu’elle est par contre, dit Fulvia en se tenant la tête.

— Je vais la chercher. Continuez à garder votre poste, on sait jamais.

— À force on va prendre racine… Bah, patience ma pote Eve !

La parole « racine » fit réagir Akemi qui grimaça en se rappelant le monstre qu’elle venait de combattre. Mais elle n’avait pas le temps, elle devait parler avec la capitaine.

Pourquoi ces ordres absurdes ? Pourquoi avoir envoyé une autre équipe d’enquête en plus de celle d’Isabel ?

Elle commençait à se demander si tout cela n’était pas prémédité.

Les paroles de la capitaine ne cessaient de la hanter, de se répéter en boucle dans sa tête : « … S’ils ont à choisir, ils préféreront sacrifier tout l’équipage et le navire qu’une équipe de syrens, d’autant plus si elles sont compétentes. Tu vois où je veux en venir ? »

Elle parlait du conglomérat, des hommes d’affaire qui n’avaient jamais mis les pieds sur un navire et ne connaissaient pas les affres de la mer.

Mais… qu’en est-il de sa propre opinion ?

En admettant que les réparations prissent plus de temps que prévu et que la nourriture commençât à manquer… qui choisirait-elle ?

La réponse paraissait si évidente pour Akemi. La capitaine n’avait jamais témoigné la moindre compassion pour ses marins, elle les punissait durement, tandis qu’elle se montrait clémente et compréhensive avec les syrens.

Cette attitude était injuste. Un navire était composé aussi bien de sa structure matérielle que de son équipage et, à ce titre, ces marins étaient au moins aussi indispensable que les syrens. Puis, il s’agissait de vies innocentes. Contrairement à elles, ils n’avaient pas les moyens de se défendre en territoire ennemi.

Les abandonner, les sacrifier, c’était des choses impensables auxquels aucune syren ne devrait jamais se rabaisser ! À quoi bon combattre les monstres si c’était pour soi-même en devenir un ?

Toutes ces pensées érodaient son moral, elle se sentait de plus en plus agitée et en colère.

Elle arriva à la passerelle de commandement, mais la capitaine n’y était pas. De même, elle n’était pas dans la passerelle de navigation.

Akemi décida de se rendre aux machineries, pensant que la capitaine serait allée jeter un œil, mais personne ne l’y avait vu.

Il ne restait que deux endroits logiques : la salle de repos des syrens et sa propre cabine.

Elle décida de commencer par la salle de repos, où Iris lui dit :

— Elle est passée mais aussitôt repartie. J’ai cru comprendre qu’elle a un truc important à annoncer. Au fait tu sais que…

— Désolée, je n’ai pas le temps. Nous en discuterons plus tard.

Akemi ne laissa pas le temps à son interlocutrice de poursuivre, elle retourna dans la coursive et se dirigea vers la cabine de la capitaine qui se trouvait plus loin.

Elle toqua plusieurs fois, mais aucune réponse.

— Où a-t-elle bien pu passer ? C’est la capitaine quand même…

Mais alors qu’elle allait abandonner, elle crut entendre du bruit à l’intérieur. Ce n’était pas une voix, plus comme quelque chose qui venait de tomber.

— Capitaine ? C’est Akemi ! S’il vous plaît, veuillez m’ouvrir. C’est important !

Aucun bruit. Aucune réponse.

— Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? On dirait que rien ne va comme cela devrait…

Akemi soupira et toqua à nouveau.

Finalement, elle décida de faire ce qu’elle n’aurait jamais fait si elle avait été dans son état normal : elle entrouvrit la porte.

— Capitaine ? Je me permets de…

La capitaine n’était pas là. En réalité, c’était étrange que la porte n’était pas verrouillée, la capitaine la fermait systématiquement. Peut-être avait-elle fait un malaise ?

L’idée était certes absurde considérant le personnage, mais les traces de sang qu’elle aperçut sur le sol métallique à cet instant laissaient planer le doute.

— Capitaine… ?

Elle entra d’un pas décidé, il y avait un problème ici. Elle approcha les traces au sol et se rendit compte qu’elles se dirigeaient vers un meuble.

Tout cela l’intriguait de plus en plus.

Elle l’ouvrit et trouva les affaires de la capitaine, mais plus intriguant encore, elle découvrit une porte dissimulée dans le fond ; elle n’avait pas été correctement refermée.

— Un passage secret ?

Elle déglutit et approcha la main. À cet instant, elle entendit à nouveau du bruit : il venait de l’autre côté, c’était une évidence à présent.

— Je me permets d’entrer…

Elle pénétra l’armoire et franchit la porte.

Derrière se trouvait une seconde cabine qui n’avait aucun accès depuis le couloir, comme si on avait voulu la dissimuler depuis le début, depuis la création du navire. Peut-être qu’un ingénieur naval se serait rendu compte que l’espace occupé par les cabines ne correspondait pas au nombre de portes, mais aucune des syrens n’avait ce genre de compétence.

La pièce était plongée dans l’obscurité. Akemi tendit la main sur la côté et découvrit, comme elle l’espérait, un interrupteur.

C’est là que l’horreur se déploya sous son regard.

Une cabine un peu plus petite que celle de la capitaine, avec seulement un lit double place qui en occupait presque tout l’espace. Sur les murs, suspendus à des crochets, des outils de torture : tous sales.

L’odeur du sang était forte dans la pièce, une odeur ancienne.

Et couchée sur le lit, attachée par tous les membres, une jeune femme nue, bâillonnée.

C’était une métisse asiatique, à en juger par ses traits. Ses cheveux étaient violet sombre qui pouvait passer pour noir sous certains éclairages. Sa peau était blanche de nacre, mais marquée d’entailles, de marques de coups de fouet et autres.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Les yeux d’Akemi s’ouvrirent en grand, elle se mit à trembler incapable de s’arrêter. Elle croisa le regard accablé et surpris de l’inconnue qui se mit immédiatement à remuer et marmonner sous son bâillon.

Akemi mit quelques instants à se reprendre. Le bon sens aurait dû lui dicter de partir sans chercher à en savoir plus, mais ses mains se dirigèrent malgré elle vers les liens qui retenaient la fille.

L’inconnue secoua la tête pour lui signifier de ne pas le faire ; elle ne souhaitait pas être détachée ?

Akemi se ravisa, mais retira le bâillon pour l’interroger. Son esprit était de plus en plus confus.

— Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi la capitaine te garde captive ?

Elle avait sûrement d’autres questions à poser, mais c’était celles qu’elle parvint à formuler.

La jeune prisonnière détourna les yeux timidement.

— Je… je suis Shirasagi Yuna… mais tout le monde m’appelait Yuna.

— Yuna… je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un portant ce nom dans l’équipage. Est-ce que… ?

D’un coup, deux pièces du puzzle s’emboîtèrent dans l’esprit de la commandante. Il y avait quelqu’un à bord dont elle ne savait rien.

— Tu ne serais pas la fille que j’ai croisé après la bataille ? Celle avec les cheveux blancs ?

Yuna acquiesça.

— Je… je ne comprends pas ce qui se passe ici, mais je ne peux pas te laisser comme ça. Je vais te libé…

— Non, surtout pas !

Akemi s’arrêta soudain, paralysée par la véhémence de cette réaction.

— Si… Non, il ne faut pas. Si la capitaine l’apprend, je… tu… tu seras blessée aussi… Puis… je suis bien ici… ce n’est pas ce que tu penses…

Akemi observa les blessures sur le corps de Yuna, elles n’étaient pas profondes mais elles devaient faire mal. Son regard tourna dans la pièce et plus précisément sur les objets de torture qu’elle passa en revue. Elle rougit soudain en remarquant qu’il y avait également des objets d’un autre registre.

— C’est… des jeux sexuels ? demanda-t-elle timidement.

— Je… je… suis gênée… je préfère ne pas en parler. S’il te plaît, laisse-moi ici. Remets mon bâillon et oublie-moi. Ce sera mieux pour tout le monde.

Sa voix paraissait triste et embarrassée.

D’une certaine manière, les paroles de Yuna ne parvenaient pas à convaincre Akemi qui tenta pour la troisième fois de défaire les liens.

— Non, vraiment… s’il te plaît…

Cette fois sa voix était implorante, pleine de terreur.

— Si elle apprend que… elle va me faire très mal… et sûrement toi aussi… J’apprécie le sentiment, mais… je suis à ma place… ici…

— Je ne peux pas croire que ça te convienne, Yuna. C’est scandaleux ! Horrible ! Indigne de la capitaine ! Je suis outrée !

— Indigne de la capitaine ? Je… Tu…

— Akemi.

— Akemi-san… Connais-tu réellement la capitaine ?

Cette question tomba tel un couperet. Akemi s’immobilisa à nouveau, incapable de répondre.

Non, elle ne connaissait pas bien la capitaine. Telle aurait dû être sa réponse, mais à la place, elle garda le silence.

— Je… je pense que tu devrais y aller. Elle est sûrement plus forte que quiconque à bord… c’est la redoutable capitaine Kayomi, non ? Ne… ne me prends pas en pitié, j’ai mérité mon sort. La capitaine n’est pas aussi injuste que tu le penses.

Akemi déglutit alors que des sueurs froides parcoururent son dos.

Yuna n’avait malheureusement pas tort : Kayomi était rang S, le gouffre qui séparait Akemi et la capitaine n’était pas à prouver. Elle l’avait remarqué lors des combats, Kayomi ne faisait que jouer.

Que ce fût sur le plan de la sauvagerie, de la force brut ou de la hiérarchie, Akemi était incapable de lui tenir tête.

— Être capitaine ne lui octroie pas le droit de faire ça…, rétorqua-t-elle avec une voix peu rassurée.

— Justement, c’est le seul maître à bord. Capitaine est synonyme de « roi » ou de « dieu » à bord d’un navire. Je ne suis qu’un déchet à qui on donne une seconde chance… je n’ai pas à m’en plaindre. D’ailleurs… elle me donne même du plaisir… Pars d’ici, Akemi-san, je t’en prie…

Le visage timide et peureux de Yuna avait rougi suite à cette confession.

Akemi avait la nausée, elle avait envie de vomir. Elle ne pouvait accepter d’être aux ordres de quelqu’un qui avait de telles pratiques et qui était parvenue à faire penser à sa victime que c’était normale, qu’elle ne représentait plus rien.

Mais en l’état, elle était seule face à la capitaine, elle ne pouvait espérer l’emporter. Surtout dans une situation critique comme celle où se trouvait le bâtiment actuellement. Elle ne pouvait pas invoquer un conseil pour porter l’ignominie devant un tribunal.

De plus, n’y avait-il pas un risque que le conglomérat donne raison à la capitaine malgré tout ?

Elle devait se calmer et penser à tout cela.

— Je… je te laisse… mais je reviendrais te sauver. Sois-en assurée.

— Tu ne devrais pas… Je n’ai pas besoin d’être sauvée.

Akemi remit le bâillon, dégoûtée de sa propre faiblesse, puis elle ressortit en vitesse.

Dans la coursive, elle frappa le mur métallique à côté d’elle. Elle bouillonnait de colère.

Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ?

Elle n’eut pas le loisir de se questionner bien longtemps, la silhouette de la capitaine Kayomi s’approcha d’elle.

— Paraît que tu me cherchais pour me parler d’un truc ?

Akemi pâlit. Elle tremblait intérieurement de colère, mais prit sur elle pour ne pas la laisser éclater. À la place, elle dit d’une voix déterminée :

— Libérez Yuna !

Kayomi ne parut pas réellement surprise, au contraire elle se mit à rire.

— Hahaha ! Tu l’as donc trouvée ? Tu as du cran pour me demander ça, tu sais ?

— Libérez-la, s’il vous plaît !

Elle réitéra sa demande en y adjoignant plus de politesse.

Elle ressentit soudain la stupidité de son acte. Elles étaient seule dans un couloir. Si un combat venait à éclater, Kayomi la tuerait loin de tout témoin, sans aucune difficulté. D’autant qu’Akemi était encore un peu affaiblie par son dernier combat.

Même en admettant qu’Akemi triomphât, elle ne pourrait jamais justifier son acte devant l’équipage.

Ses yeux croisèrent ceux de la capitaine qui gardait le silence.

Akemi frémit. Elle avait peur, peur du monstre qui se tenait devant elle.

— Elle te plaît ? demanda Kayomi nonchalamment. Si tu veux, on peut la partager, je ne suis pas jalouse, tu sais ?

Akemi répondit en écarquillant les yeux. Ce n’était pas la réponse qu’elle attendait.

— Je…

— Hahaha ! Tu es vraiment trop sérieuse comme fille ! Tu ne peux même pas admettre tes pulsions ?

Mais soudain, l’expression souriante de Kayomi passa du rire à une froideur glaciale.

— Désolée, je ne peux pas relâcher cette diablesse. Yuna est une forme de poison humain. Mais je t’assure que tu n’as rien à gagner à te rapprocher d’elle. Comme les carcasses puantes, je suis la seule à pouvoir les dévorer sans indigestion. Oublie-la, tu vivras bien mieux. Crois la parole de ta capitaine.

Kayomi posa sa main sur l’épaule d’Akemi avec camaraderie.

Cette dernière était encore plus confuse qu’auparavant. Tous ses sentiments s’entremêlaient. Elle se figea, incapable même de lever les yeux sur son interlocutrice.

— Allez, viens. La première journée a été fort enrichissante, nous avons eu une bonne pêche, camarade. Nous savons où nous nous trouvons et j’apporte même un petit bonus. Allons annoncer ça à l’équipage.

Kayomi lui tourna le dos en souriant. Elle n’avait pas peur d’Akemi. Elle le démontrait, une fois de plus.

Elle emboîta le pas vers le pont, suivie d’Akemi toujours perdue dans ses pensées.

Lire la suite – Chapitre 4