Magical Syrens – Chapitre 4

Plus d’une semaine s’était écoulé depuis le naufrage.

À présent, leur position leur était connue : le destroyer avait échoué sur l’île de Barbuda. À son retour de l’exploration de l’épave, la capitaine avait fait l’annonce de leur trouvaille : un navire à mettre en pièces pour réparation et surtout une carte aux trésors.

— Il s’agirait de la légendaire cité d’Ys, avait-elle déclarée. Je pense que ce mythe ne vous est pas inconnu, vous autres qui êtes nés en Bretagne. Pour les autres, il s’agit d’un mythique cité engloutie. J’ai lieu de croire qu’elle est inexplorée, mes camarades. Et vous savez ce que ça veut dire ?

Les plus avides d’entre eux avaient tout de suite évalué la possibilité d’un grand profit, mais une partie y avait vu simplement une complication de plus alors qu’ils se trouvaient déjà dans une situation périlleuse.

Dans l’immédiat, le trésor ne changeait pas la nécessité de réparer le navire pour reprendre la mer et rentrer à Brest. De toute manière, rejoindre le convoi était inconcevable : trop de temps s’était écoulé. S’il s’en était sorti, il devait à présent mouillé à San Diego, l’escale qui avait été établie, avant de repartir dans le Pacifique.

Si trop de navires d’escorte avaient été coulés, les armateurs bloqueraient le convoi aux US Reborn et renverrait de nouveaux navires d’escorte, peut-être même le Akatsukiyami, une fois de retour en Bretagne.

Le commerce ne devait jamais s’arrêter, c’était la règle.

Les réparations se poursuivaient. Le raffut provoqué par les différentes machines étaient audibles à des lieues à la ronde.

Une partie des syrens se trouvaient sur la plage, allongées, en vacances.

Sous un parasol de fortune fait de branches et de feuilles se trouvaient Fulvia, Mégane et Isabel. Elles jouaient aux cartes. Des verres de bourbons, whiskey ou rhum se trouvaient devant elles, alors qu’elles fumaient cigarettes et cigares.

— Ah putain ! Encore perdu ! Tu parles que t’es une bonne sœur, t’as vendu ton cul aux enfers pour avoir une chance pareille !

Mégane jeta les cartes sur la table et écrasa sa cigarette avant de se resservir en rhum. Ses yeux étaient brillants, témoignant d’un état d’ivresse.

— Sache, pour ta gouverne, que le diable aime les religieux. Il aime voir leur chute de l’état de grâce à la corruption la plus infâme.

— Bah, toi, y a plus grand-chose à corrompre. Hahaha !

Fulvia se gaussa en se vautrant dans sa chaise longue.

Les trois étaient en maillot de bain ou tenues plus légères que de coutume. Mégane portait un pantacourt et un haut de bikini. Isabel juste une maillot de bain une pièce noir et Fulvia un bikini provocateur. Mégane et Fulvia portaient malgré des armes.

— Ouais, c’est peut-et’ ben vrai… En attendant, j’vous ai bien ramonées, mes jolies.

— J’hallucine, dit Fulvia. Si j’continue j’aurais plus une thune. Restons-en là pour aujourd’hui.

— J’ai du mal à m’en remettre… Elle a toujours eu de la moule, mais jamais autant qu’aujourd’hui.

— Mon horoscope disait que j’en aurais, expliqua Isabel.

Tout en fumant, elle rangeait les cartes.

— Menteuse, t’as pas pu lire ton horoscope.

— C’est Dieu qui me l’a soufflé à l’oreille. Tu crois qu’il a attendu internet pour communiquer à distance ?

— C’est tellement marrant de voir causer de Dieu avec ta clope au bec, dit Fulvia. Par chez moi, tu te ferais refroidir fissa. C’est quand même dingue qu’il reste autant de fanatiques religieux à cette époque.

— Ouais, les bonnes sœurs qui m’ont élevée feraient une crise cardiaque si elles me voyaient. Mais bon, comme tu dis, faut être un peu con pour croire qu’un vieux barbu viendra nous sauver. Y a plus de chances de se faire entendre en priant Azatoth…

Isabel écrasa sa cigarette et se gratta le dos.

— T’entendre parler de religion me fout les chocottes à chaque fois, confessa Mégane. Y t’es arrivé un truc pour que tu deviennes comme ça ?

— Ah ouais, j’crois que j’ai jamais entendue cette histoire non plus. Allez, raconte nous ça, carina !

Isabel jeta un regard blasé à ses deux interlocutrices, puis ralluma une cigarette.

— Franchement, ça n’a rien de si passionnant. J’ai été jetée par mes vieux alors que j’étais bébé. Y m’ont mise dans panier, comme un chiot ou un chaton, et m’ont laissée devant une église avec juste une médaille autour du cou. Un genre de bibelot en or avec mes prénoms « Isabel Judith ».

— Oh ! On dirait une histoire sortie d’un roman, dit Fulvia.

— Ouais, j’ai dû avoir les vieux les plus bourrés d’idées romanesques. Y étaient tellement dedans qu’y ont abandonné leur gamine. J’ai jamais demandé, mais j’parie que c’était une jour de neige et tout ça.

— Bah, facile à savoir, t’es née en hiver ? demanda Mégane.

— Nope.

— Bah, y avait sûrement pas de neige.

Isabel donna un petit coup de pied à Mégane, puis reprit.

— Bref, c’était un jour de neige. Vous voulez du romanesque, alors vos gueules. Du coup, le cureton qui a trouvé le panier m’a confié à un couvent en voyant que j’étais une meuf. Si j’avais été un mec, ça aurait été peut-et’ différent, mais bon.

— Ça aurait pu être pire, imagine s’il t’avait gardé.

Isabel donna un nouveau coup de pied à Mégane.

— La suite est assez classique : couvent miséreux, bonnes sœurs à côté de leurs pompes pensant qu’on est toujours au 16e siècle et pas au 21e. Baston avec les autres mômes du coin. Agression par des clodos pervers. Attouchements par les curetons. Bref, le classique.

— T’sais, même dans les orphelinats, ce que tu décris c’est pas vraiment normal…

— Bah ça l’est dans la ville où j’ai grandi. Enfin, j’ai pas tellement grandi que ça non plus, mais bon… Je m’en plains pas. Quoi qu’il en soit, les bonnes sœurs voulaient me garder parmi elles. En fait, elles voulaient même me forcer. Quand j’ai entendu ça, j’ai décidé de fuguer. L’une d’entre elle a essayé de m’arrêter, j’ai dû la planter au couteau pour me barrer.

— Hohoho ! C’était déjà passionnant, mais là y a en plus du sang ! T’es vraiment la meilleure, Isa !

Fulvia s’agitait sur sa chaise, on avait l’impression qu’elle regardait un film.

— Toi faut pas te faire chier… T’étais comme ça même avant d’avoir tes pouvoirs ?

— Bah, j’avais appris à m’en sortir… Faut dire que déjà venir d’un milieu religieux, c’est pas le top de la richesse, mais en plus la ville était pauvre de base. Après l’Invasion, peu d’argent a été investi dans la reconstruction et, à force, c’est devenu un repaire de truands en tout genre.

— Et après ? Que s’est-il passé ?

— Ouais, j’y viens… La suite est simple : j’ai rejoins une plus grosse ville avec le peu d’argent, que j’avais volé et extorqué à droite à gauche, et j’ai pu arrivé dans un comptoir de mercenaires. On s’est foutu de ma gueule, j’ai menacé d’ouvrir la gorge d’une pouffiasse, on m’a prit soudain au sérieux. Là, on a accepté de m’éveiller. J’ai payé ma dette en bossant plus d’un an pour le groupe, puis j’en ai eu marre de l’Espagne et j’ai voulu aller voir la France. C’est là que j’ai eu l’idée de m’engager chez les syrens et me voilà.

— Passionnant ! Grande ! Magnifica ! Sei micidiale, nel vero senso della parola !

— No hablo italiano, Miss. Reste en japonais ou français, tu veux ?

— Ah, désolée ! C’est sorti tout seul. En bref, je t’adore ! Même gamine, t’étais déjà une vraie dure à cuir.

— Ouais, on va dire ça…

— Et ce surnom de « Sister » ? demanda Mégane.

— C’est simple, tu as vu en quoi je me transforme ? C’est venu tout seul la première fois, j’ai pas pigé non plus. Sûrement parce que j’ai grandi parmi les bonnes sœurs. Toi ça doit être pareil, t’as une famille de marin et de pirates, si j’ai bien pigé.

Mégane, affichant une expression fière, leva le menton et répondit :

— Ouais, ma famille travaille avec la mer depuis des siècles. J’ai des boucaniers et des pirates dans mon arbre généalogique. J’ai toujours trouvé qu’ils étaient cool, sûrement pour ça que j’ai pris cette forme sans m’en rendre compte.

— Bah, pareil pour moi. J’ai sûrement pris cette forme parce que je trouvais ça amusant et ironique, expliqua Isabel. Tiens, au fait, c’est pas la première fois que je me pose la question : ton ancêtre boucanier aurait pas été noir ?

Mégane posa son bock de rhum vide et s’allongea sur sa chaise longue.

— T’es du genre à connaître plein de trucs, toi.

— Disons que j’ai pas mal étudié chez les nonnes. Faut au moins leur reconnaître ça. Entre deux séances de conneries théologiques et bourrage de crâne, on apprenait l’histoire et tout ça.

— Pourquoi c’est quoi le souci ? demanda Fulvia.

— À l’époque, la plupart des noirs étaient des esclaves, expliqua Mégane. Mes premiers ancêtres étaient blancs, c’est plus tard que des noirs sont entrés dans la famille. Mais, chose amusante, le premier ancêtre noir de l’arbre généalogique était un ancien esclave libéré par l’équipage de Bartholomew Roberts. Les écrits disent qu’il auraient navigué sous son jolly roger pendant un temps. Il a quitté l’équipage une fois bien enrichi et a réussi à faire sa vie à l’ombre des blancs. Finalement, bien plus tard ses descendants se sont liés à une famille qui avait investi de la poissonnerie. C’est ma famille actuelle. Mon père bosse actuellement dans l’ingénierie navale pour AFU, l’un de mes frérots est pêcheur, tandis qu’un autre s’occupe de la poissonnerie, notre héritage familial.

— Et toi tu joues les pirates, c’est ça ?

— Plutôt corsaire, reprit Isabel. Fulvia, les pirates ne voguaient pas sous les couleurs d’un pays. Les corsaires étaient bien plus proches des mercenaires que nous sommes.

— Eh ouais ! On est des corsaires avec des super pouvoirs. Si c’est pas cool la vie ! Haha !

Fulvia accompagna le rire de Mégane.

— Malheureusement, notre carrière ne durera qu’un temps, dit Isabel avec une pointe d’amertume.

— Comme celle des anciens pirates. « Une existence courte mais bonne sera ma devise », disait Roberts, justement.

Les trois filles, d’un commun accord, levèrent leurs verres et trinquèrent à cette devise.

— Et toi, Fulvia ? On a tout déballer, à ton tour.

— Si tu veux, mais mon histoire est moins intéressante que les vôtres. Ma mère était une pute qui est tombée amoureuse d’un maffieux qu’elle pensait être un mec bien, alors que ce n’était qu’une petite frappe. À sa mort, elle s’est retrouvée liée à des affaires louches à cause de lui. Je me suis retrouvée dans un orphelinat à Naples avant que j’ai pu pigé quoi que ce soit. Quand j’ai eu l’âge, on m’a transféré à Rome pour recevoir les tests et vu que ma compatibilité était bonne, y ont fait de moi ce que je suis.

— Enfin, pas banal non plus comme histoire, dit Isabel en allumant un cigare cette fois.

Elle en proposa aux deux autres filles qui acceptèrent.

— Bah, je t’assure que ça arrive souvent par chez moi. À l’armée, ça se passait bien au début, mais des pétasses m’ont cherché des noises et quand elles sont mortes en opération on m’a accusée de les avoir tuées. Faut dire que je m’emporte un peu une fois transformée.

Mégane sourit et avec ses doigts signifiait « un peu », se référant à la violence de Fulvia en combat.

— Du coup, j’ai fini par prendre le large. En Italie, j’ai pas mal d’ennemis. Mais un jour, j’y retournerais sûrement… enfin si je survis. On peut dire ce qu’on veut, mais la patria, c’est la patria.

Même si Mégane et Isabel n’approuvaient pas réellement, elles trinquèrent avec Fulvia qui venait de lever son verre.

— Vous aurez qu’à venir m’y rejoindre, je vous montrerais la beauté italienne. Limite, on pourra même monter notre propre organisation et on fera danser tous ces vieux cons pansus machistes.

— Alléchante proposition… Si on ne passe pas l’arme à gauche, j’y penserai, dit Isabel.

— Tant que je peux rester près de la mer, pourquoi pas ? Au fait, c’est quoi ces cigares que tu nous as amenés ? Ils sont vraiment top qualité, ma parole ! dit Mégane.

— Havane je crois bien.

Les trois filles soufflèrent la fumée au-dessus d’elle d’un air pensif, puis Fulvia se mit à rire.

— J’sais même pas où c’est la Havane ! Hahaha !

— Pour être honnête… moi non plus. C’est où c’tendroit, Isa ?

La fausse religieuse expira la fumée à son tour et prit un air grave.

— Aucune idée, quelque part dans les Caraïbes, j’crois. En fait, j’ai dit ça parce que gamine j’entendais les vieux dire que c’était les meilleurs cigares. Mais je pense que ceux-là viennent sûrement de quelque part en Europe.

— Espèce de menteuse !

— N’empêche, je me demande quel goût y devaient avoir les vrais…, dit Mégane.

— Tu veux qu’on aille jeter un œil dans leurs usines ? On est peut-et’ pas très loin.

— Comme si la capitaine allait vouloir, Sis ! Haha !

Leur discussion se poursuivit de la sorte pendant encore un bon moment.

***

À quelques centaines de mètres plus loin, sur la plage, se tenait une autre réunion de syrens.

Maëwenn, Iris et Everly se trouvaient également sous un abri fait de branchages, mais l’ambiance y était totalement différente.

Elles étaient toutes les trois en maillot de bain également, des bikinis assez simples, rien de provoquant ou tape-à-l’œil.

Maëwenn étalait de la crème solaire sur les épaules d’Iris qui avait défait son haut.

— Tu es très délicate. Tu me chatouilles.

— Désolée…

— Ne le sois pas. Ce n’est pas une critique : tu as es mains de fée.

— Haha !

Maëwenn sourit pour cacher son embarras. Son visage était rouge, c’était la première fois qu’elle faisait ce genre de choses. Ce n’était rien de si osé, mais elle n’avait pourtant pas l’habitude toucher le corps d’autrui.

Puis, il y avait une part d’elle qui se sentait attirée par Iris et d’autres filles, au point de s’être interrogée sur une homosexualité potentielle. Mais d’un autre côté, même si c’était totalement contradictoire, elle avait peur des femmes. Elle n’en comprenait pas la raison elle-même et devait se forcer au quotidien pour paraître normale. Pour le moment, aucune des syrens n’avait remarqué sa gynéphobie.

— Iris… tu as de très beaux cheveux… Comment tu fais pour les préserver du sel marin ?

— Oh ! C’est gentil ! Merci ! En fait, j’utilise une lotion spéciale, je te la montrerai plus tard.Elle est indiquée pour éliminer le sel marin des cheveux et ça les rend soyeux en plus. Et les tiens ? Tu n’utilises rien de spécial ?

— Euh non… juste du shampooing normal…

— Pourtant, ils ne sont pas abîmés du tout. Je trouve qu’ils sont bien plus incroyables que les miens, en vrai.

— Mer… ci…

Iris se retourna soudain, dévoilant sa poitrine. Elle le faisait en toute innocence, puisqu’elles étaient entre filles, mais Maëwenn détourna le regard en rougissant.

— Tu veux que je te passe de la crème aussi ? Avec ta peau super blanche, tu vas rapidement prendre des coups de soleil…

— Euh… c’est bon, pas la peine, je…

— Allez, te fais pas prier. Je ne vais pas te manger.

Maëwenn déglutit en fermant les yeux, puis tendit la crème à sa camarade.

— Tu… devrais te couvrir…

— Ça va, nous sommes entre filles. À moins que tu ne… ?

— Non, c’est pas à cause de moi ! Des soldats passent par là, tu sais bien ?

Iris avait des soupçons sur la sexualité de Maëwenn depuis quelques temps déjà. Elle lui en avait même parlé. Elle avait l’impression que cette dernière lui envoyait « des signaux », selon ses propres mots. Mais les réponses de Maëwenn sur la question étaient toujours évasives, aussi les soupçons n’étaient pas encore dissipés.

— Ils passent derrière notre abri, ils ne verront rien. Les seules qui peuvent voir quelque chose c’est toi et Everly.

Les regards se tournèrent vers cette dernière, elle était dans l’eau et caressait un dauphin. Même sans être transformée, elle semblait avoir un excellent instinct avec ces animaux. Elle lui parlait en anglais, lui racontait nombreuses choses et lui donnait à manger.

Aucun doute que dans l’équipage certains avaient déjà pensé à le manger, mais personne n’aurait osé de peur de subir le courroux de sa protectrice. Ce dauphin venait la saluer depuis quelques jours à chaque fois qu’elle mettait les pieds dans l’eau et Everly avait expliqué qu’il montait la garde pour lui rendre service.

— Oui, mais c’est pas une raison. On sait jamais…

— OK, OK, je vais couvrir tout ça… Mais tu me donnes chaque jour plus de doutes.

— Des doutes ?

— Laisse tomber.

— Non, dis-le s’il te plaît ! La dernière fois tu m’as fait le même coup.

Iris remit son bikini et au lieu de répondre força Maëwenn à se coucher sur le ventre. Puis, sans demander son consentement, elle défit les attaches de son haut.

— Kyaaa !

— Tu vas pas commencer à t’exciter pour si peu, si ? Sinon je m’arrête tout de suite.

— Non, j’ai rien dit. Tu m’as juste surprise.

Iris plissa les yeux et la fixa : Maëwenn était rouge comme une tomate. À peine Iris posa ses mains sur ses épaules pour étaler la crème qu’elle sentit immédiatement ses muscles se contracter.

— Au fait, non pas que ce soit mes oignons… Mais ce que je voulais dire, c’est que je pense que… à tout hasard… enfin, sans aucune prétention… et aucune preuve… qu’il se pourrait que tu aimes les filles.

— HEIN ?!

— Quoi, je me suis trompée ?

C’était une manière un peu trop abrupte de dire les choses, les yeux de Maëwenn devinrent humides.

— Non, je… je ne suis pas comme ça…

— Pourquoi tes épaules sont aussi raides du coup ? Pourquoi t’es aussi rouge ? Et pourquoi tu sembles te retenir de gémir ?

Iris avait beau dire qu’elle ne s’en souciait pas réellement, en vérité sa curiosité avait été piquée. Maëwenn ne serait pas la première syren avec ce genre d’attrait, mais le fait qu’elle niait avait éveillé l’intérêt d’Iris.

— Je… je ne suis pas habituée, c’est tout.

— Il n’y a donc pas d’arrières-pensées ?

— Non… rien.

— Et tu n’es pas du tout attirée par moi ?

— Non… pas du tout…

Iris se sentit un peu vexée tout à coup. Même si elles étaient entre filles, elle aurait préféré entendre l’inverse. Néanmoins, elle ne trouvait pas du tout la voix de Maëwenn convaincante, elle avait du mal à croire qu’elle s’était trompée.

— Eh bien, c’est dommage ! Moi qui voulait aller un peu plus loin en faisant ça, par exemple…

Iris fit courir ses mains sur le dos de Maëwenn et les dirigea vers ses fesses. Mais aussitôt, Maëwenn blêmit et hurla.

Iris arrêta immédiatement. L’attitude de sa collègue avait changé radialement, il n’était plus question de plaisanterie à présent.

Maëwenn se recroquevilla sur la chaise longue, se mit à trembler et des larmes coulèrent de ses yeux.

— C’était… une plaisanterie. Je ne comptais rien te faire…

Iris ne mentait pas. Elle ne serait jamais aussi loin que ses mots le laissaient entendre.

— Je… je sais… je… désolée…, dit Maëwenn en sanglotant.

Elle n’arrivait pas à se contenir, elle continuait de trembler.

Everly s’approcha d’elles avec un regard plein d’interrogations.

— J’ai fait peur à Maëwenn. Rien de grave… enfin je suppose…

Maëwenn ne comprenait pas ses propres réactions. Pourquoi avait-elle agi aussi violemment ?

Iris ne la repoussait pas du tout, au contraire, et elle savait depuis le début que ce ne serait qu’une plaisanterie, mais pourtant…

Son corps avait réagi de lui-même, des images confuses étaient apparues dans son esprit.

Elle avait l’impression d’avoir déjà vécu cela. Mais elle n’en avait aucun souvenir. Dans son petit village côtier, sa vie avait toujours été si calme et paisible.

— Je… je reviens…, dit Everly en se retournant pour saluer son ami dauphin.

Iris s’en voulait, elle avait l’impression d’avoir réellement fait quelque chose de mal considérant l’état dans lequel elle s’était mise Maëwenn. Et l’attitude suspicieuse d’Everly, qui donnait l’air de ne pas la croire, ne l’aidait pas à se sentir mieux.

Cette dernière s’assit à côté de Maëwenn et lui caressa tendrement la tête, un peu comme s’il s’agissait d’un petit animal. Puis, elle se mit à chanter une berceuse anglaise.

Étrangement, ce chant apaisa Maëwenn qui cessa de pleurer et de trembler.

Iris mit sur les épaules de Maëwenn une serviette et s’en alla lui chercher à boire.

À son retour…

— Désolée ! Je ne pensais vraiment pas que tu le prendrais comme ça.

— Non, c’est rien… c’est moi qui ait réagi… trop réagi… Ne t’excuse pas.

— J’insiste ! J’ignore ce que j’ai fait de mal, mais lorsque tu iras mieux, j’aimerais que tu me le dises pour que je ne recommence pas.

— C’est gentil…

Everly prit la bouteille d’eau des mains d’Iris, la posa à ses côtés, puis prit la main des deux filles et les joignit en signe de réconciliation.

— Amies ?

— Hein ? Tu… Pourquoi tu décides pour elle ?

— Amies ! Je… je ne veux pas que tu t’en veuilles, Iris. Restons amies, comme avant.

Iris rougit involontairement. Le regard triste mais bienveillant de Maëwenn la toucha profondément. Elle se gratta la joue en détournant le regard et dit :

— Bon, d’accord, si tu es d’accord avec ça… Je… Ça me ferait vraiment plaisir que tu me pardonnes.

Everly caressa la tête des deux filles en même temps avec chacune de ses mains. Mais Iris la fixa droit dans les yeux.

— Eh ! Je suis pas ton animal de compagnie !

Quelques minutes plus tard, les trois filles étaient assises l’une à côté de l’autre sur les chaises longues et contemplaient l’océan.

Elles étaient silencieuses et suivaient le remous des vagues sur la plage.

Derrière elles, au-delà du mur formé par leur abri, elles entendaient les voix de soldats marmonner.

« Moi aussi j’aimerais être à la plage… »

« Comme c’est injuste ! »

« Si seulement je pouvais être une syren aussi. »

Elles les ignorèrent. Ce n’était pas la première fois depuis le début de la journée. La veille, elles avaient essuyé le même genre de remarques.

Techniquement, elles faisaient leur travail, elles étaient prêtes à combattre les Anciens qui sortiraient des flots. Elles suivaient les ordres de la capitaine, même si elles se détendaient et prenaient du bon temps. Contrairement aux autres marins, leurs compétences n’aidaient pas le navire, elles assuraient juste sa sécurité. Mais, les marins s’en étaient toujours plaints, ne les voyant utiles qu’en cas d’attaque.

Néanmoins, ces derniers jours leurs plaintes étaient plus manifestes, ils ne faisaient plus l’effort de le faire en cachette.

— Vous voulez que je vous mette du vernis à ongles ? proposa soudain Iris pour changer de sujet.

Maëwenn approuva la première, Everly hocha simplement la tête.

Après avoir préparer ses affaires, Maëwenn proposa :

— En fait, si on dispose les chaises en triangles, on pourrait faire chacun les pieds de l’autre. Ce serait un gain de temps et en plus ce serait plus convivial.

L’idée fut approuvée, chacune s’occuperait des pieds d’une autre.

Les minutes s’écoulèrent en discussions légères orientées sur l’esthétisme et la pédicure, puis lors d’une pause, Iris finit par demander à Maëwenn :

— Au fait, félicitations. Tu vas pouvoir accomplir ton rêve ?

— Son rêve ? répéta Everly.

— Oui… je… je n’en croyais pas mes oreilles lorsque la capitaine en a parlé. C’était tellement un hasard improbable.

— Maëwenn cherche la cité d’Ys depuis longtemps. Elle a embarqué pour cette raison.

La bouche d’Everly forma un cercle pour exprimer sa surprise, mais aucun son n’en sortit. Ses émotions étaient aussi timides qu’elle-même.

— Pour… Pourquoi tu la recherches ? Réussit-elle toutefois à demander.

— Bonne question. Tu veux le trésor ?

Maëwenn arrêta ses mains et baissa le regard. Ses yeux se perdirent ailleurs pendant un instant, puis elle expliqua :

— Je peux vous expliquer si vous me promettez de ne pas vous moquer de moi.

Everly et Iris tournèrent leur tête l’une vers l’autre, puis acquiescèrent.

— C’est un peu mon secret… Un matin, je suis allée sur la plage pour me promener. Et j’ai trouvé un beau coquillage. Un gros, d’une couleur rose claire… Désolée, je dérive un peu. Lorsque j’ai mis le coquillage sur l’oreille pour entendre le son de la mer, j’ai entendu à la place une voix.

— Sérieux ?

— Oui. C’était une femme. Elle appelait à l’aide. Elle m’a dit : « viens m’aider, dans la cité engloutie ». Je me suis évanouie juste après et…

Maëwenn s’interrompit soudain, ce qui impatienta rapidement Iris qui était pendue à ses lèvres.

— Et ?

— À mon réveil, j’étais transformée. Je suis devenue celle que je suis à présent… une fée… une Mari Morgane.

La fin de son récit ne provoqua pas réellement l’émoi qu’elle pensait produire. Les deux syrens restèrent de marbre, même si en réalité elles étaient confuses. Elles ne savaient si prendre cela pour réalité ou mensonge.

— Tu t’es éveillée à cause d’un coquillage ?

— Il semblerait, Iris. Je ne comprends pas non plus. C’était il y a un an. Je n’ai rien dit à ma famille pour ne pas les inquiéter. Je pense que… qu’en fait il s’agissait de la voix de Dahut, la princesse d’Ys.

Un nouveau silence, plus long encore.

— J’avoue que je ne sais pas quoi en dire…

— Je sais : ça paraît incroyable… Mais je ne mens pas.

— Tout est possible, dit simplement Everly. Le monde est rempli de magie.

Ces sages paroles remplirent les deux autres filles d’admiration.

— Tu as raison ! Je me montre trop terre-à-terre. Si Maëwenn dit s’être éveillée comme ça, c’est sûrement la vérité. Nous en saurons plus bientôt. J’ai hâte !

— Merci à toutes les deux !

Les yeux de Maëwenn devinrent humides à nouveau, mais cette fois c’était en raison de la joie d’avoir trouver deux personnes qui la croyaient. De plus, elle venait de se libérer d’un lourd fardeau.

Elle avait toujours pensé que ce secret lui apporterait des problèmes : elle n’avait pas été éveillée par une machine d’éveil de l’armée. En principe, c’était prohibé.

Maëwenn ignorait qu’Everly avait subi un éveil illégal, c’était pourquoi elle avait été prompte à la croire sur parole. Elle n’avait pas réellement cru l’histoire du coquillage, elle avait simplement pensé qu’on avait éveillé Maëwenn en passant par les machines du marché noir, comme elle.

Suite à quoi, elles reprirent les discussions badines, tandis que les marins passaient derrière leur abri pour se rendre à l’épave d’un navire un peu plus loin sur la plage. Il s’agissait du patrouilleur de l’armée mexicaine de classe Oaxaca qu’avait trouvé le groupe de la capitaine.

***

Violaine posa le pied sur la plage, elle était accompagnée d’Akemi.

— Je compte sur toi pour me protéger. Fufu〜 !

— Pourquoi ce ton ironique ? Bien sûr que je vais te protéger, tu es une camarade et une de mes subalternes.

Contrairement à Violaine, Akemi était sous sa forme de combat qu’elle venait à peine d’adopter.

Elles se trouvaient actuellement à Antigua, une île située au sud à une soixantaine de kilomètres. Pour des raisons de discrétion, elles avaient utilisé un zodiaque et des rames pour passer d’une île à l’autre.

Violaine n’était pas adaptée au combat terrestre, mais lorsque Akemi lui avait demandé de la suivre, elle n’avait pas refusé.

— Parce que si je n’étais ni l’une ni l’autre, tu m’abandonnerais ?

Violaine s’inclina en avant tandis qu’elle prit une expression difficile à cerner. Était-ce de la moquerie ?

— Probablement pas…, répondit Akemi timidement.

— Tu es un chevalier servant, ton rôle est d’aider autrui. Bien sûr que tu ne me laisserais pas tomber. Hihihi !

— Tu rigoles toujours pour un rien. C’est ta réelle personnalité ou alors tu fais ça pour nous tromper ?

Violaine tourna sur elle-même et fit dos à sa commandante.

— Qui sait ? Il y a des choses qu’il ne vaut mieux pas savoir et des choses qu’il vaut mieux ignorer dans le monde. L’ordre de l’univers est parfois bien agencé et la moindre poussière qui tombe dans l’engrenage a plus de répercussions que voulu.

Pour une question aussi simple, Akemi ne s’attendait pas à une réponse aussi philosophique. Mais c’était courant avec Violaine, elle était imprévisible et étrange. Si elle avait été une pièce du jeu d’échec, elle aurait été le fou sans hésitation. Si elle avait été une carte, elle aurait été le Joker. C’était justement pour cette raison qu’Akemi l’avait amené dans cette mission de récupération..

— Tu ne penses pas, Akemi-chan ?

— Je… ne sais pas. Je vais y réfléchir. Tu pourrais arrêter de m’appeler comme ça, je suis ta commandante quand même.

— Rhalàlà ! Avec Kayomi-chan, vous faites la paire. C’est si important d’exhiber vos titres ? Nous sommes toutes les sirènes qui engloutissons monstres et humains selon nos humeurs. Qu’importe l’organisation humaine.

Akemi ne put s’empêcher de la fixer un instant, puis elle poursuivit la discussion en attachant le zodiaque à un arbre et en le cachant sous un tas de fougères.

— À t’entendre parler, tu ne te sens pas vraiment humaine.

— Pourquoi penses-tu encore l’être ?

Akemi soupira. Décidément, elle aurait toujours du mal avec ce genre de fille.

Se dispensant de répondre, Akemi prit la tête et fut suivi de Violaine.

Au cours de la semaine passée, les syrens avaient sécurisé l’île de Barbuda où elles avaient fait naufrage. Avec sa taille modeste, il ne leur avait fallu que quelques jours pour traquer tous les monstres. Mais Antigua était bien plus grande et la capitaine avait préféré la laisser telle quelle.

Néanmoins, plusieurs expéditions y avaient été menées dans le but de récupérer des vivres ou d’autres matériaux utiles. Contrairement à Barbuda, Antigua avait été habitée et avait été un lieu de tourisme très fréquenté avant l’Invasion.

— Reste derrière moi, on ne sait pas ce qu’on va trouver.

— Entendu

Pendant quelques minutes, elles gardèrent le silence, mais Akemi vint soudain le rompre.

— Au fait, j’ai une question à te poser…

— Oui ?

— Qu’est-ce que tu penses de la capitaine Kayomi ?

C’était la question qui pendait à ses lèvres depuis leur départ. Elle avait besoin de savoir. Elle voulait confronter son avis à celui d’autres syrens.

— Kayomi-chan ? Mmmm… c’est une question compliquée je dirais…

— Tu cautionnes ses choix brutaux ?

— Le sont-ils réellement ?

— Tu ne les vois pas comme brutaux et cruels ?

Violaine se mit à rire, puis d’une voix ironique :

— Je ne suis pas capitaine, je ne peux pas les comprendre. Fufufu !

Cette réponse ne plut pas réellement à son interlocutrice qui grimaça.

— Tu as un cerveau pour réfléchir, tu as forcément un avis sur la question.

— Qui sait ? C’est étrange de me parler soudain de la capitaine et de ses décisions parfois arbitraires, mais très souvent nécessaires. Aurais-tu un souci avec Kayomi, commandante ?

Akemi allait répondre lorsqu’elle remarqua que pour la première fois Violaine l’avait désignée par son titre et non son prénom.

Pourquoi ? Qu’avait-elle cru comprendre à travers cette discussion ?

Quelques gouttes de sueur apparurent sur le visage de la commandante, Violaine ne pouvait les voir puisqu’elle marchait derrière Akemi. Heureusement pour cette dernière.

— Rien de spécial. Je trouve juste que parfois elle est un peu trop violente…

— L’océan est à la fois calme et délicat mais à la fois brutal et cruel. Un capitaine est au reflet de cet environnement, non ?

— Tu… tu as sûrement raison. Laisse tomber ce que j’ai dit, je voulais juste me plaindre un peu… Mais ça ne sert à rien, tout comme tu l’as dit.

— Ai-je dit que c’était inutile ? Fufufu !

Akemi grimaça à nouveau. Elle n’aurait jamais dû la choisir pour l’accompagner, elle regrettait déjà ce choix.

Dégageant des fougères devant elles, elles arrivèrent enfin en vue d’une ville. Elles ne connaissaient pas son nom mais elles y avaient précédemment trouvé des choses intéressantes.

— On y est ! Ton choix de m’amener m’a un peu étonné, Akemi-chan : tu sais bien que sur terre je ne suis pas si puissante. Mais peut-être avais-tu autre chose en tête, non ?

— Non, rien du tout… Regarde, une bonne partie est inondée, au pire tu pourras te jeter à l’eau.

— Que les dieux en soient loués. Hohoho !

Une dernière question taraudait l’esprit de la commandante. Elle hésitait à la poser, mais finalement ses lèvres s’ouvrirent d’elles-même et les sons sortirent sans trop y réfléchir :

— Tu connais Yuna ?

Violaine passa devant la commandante en se dirigeant vers un hôtel qui se trouvait en périphérie de la ville.

— Yuna tu dis… ? Il y a bien un fantôme qui porte ce nom sur le navire, il me semble.

— Un fantôme ? Tu étais au courant ?

— Au courant de quoi, Akemi-chan ? Ton cœur est tumultueux aujourd’hui. N’y aurait-il pas quelque problème en toi ? Nous pouvons en parler si tu veux. À mes heures perdues, je suis psychologue, tu sais ?

Akemi déglutit. Elle était de plus en plus sûre qu’amener Violaine avait été une erreur.

— Tu pourras même mettre ta tête sur mes cuisses, elles sont confortables, me suis-je laissée dire. Huhuhu !

Mais Akemi l’ignora et entra la première dans le bâtiment.

— Il n’y a rien de spécial. Oublie ma question idiote. Allez, dépêchons-nous. Il faut en avoir fini avant la tombée de la nuit.

— OK〜 ! Mais mon invitation tient toujours. Ça peut t’aider, j’en suis sûre, dit Violaine avec un sourire aimable.

— J’y… j’y penserais…

Akemi prit de la distance, tandis que Violaine l’observait ; elle commençait à craindre que cette dernière parvienne à discerner des secrets à travers elle. Jusqu’à quel point pouvait-elle être perceptive au juste ?

Violaine passa les bras derrière la tête et suivit Akemi en marmonant : « Ah là là là ! ».

***

La capitaine était assise sur sa chaise qui avait tout l’air d’un trône. Elle était sur le pont supérieur.

Un nouveau tribunal de justice se déroulait en cette matinée.

— Cambusier, veuillez nous rappeler quelles sont les charges, je vous prie.

De manière lasse, Kayomi posa sa tête dans sa main accoudée, tout en croisant les jambes.

À ses côtés quelques officiers se tenaient debout pour leur part, leurs visages étaient graves.

L’appelé s’avança d’un pas en serrant entre ses mains son béret : c’était l’homme chargé de la gestion de la cuisine et des stocks. Il n’était pas un officier à proprement parler, mais sa voix avait malgré tout une certaine importance.

— Euh… Capitaine, je… suis-je obligé de répéter ?

— Eh bien, ce bougre semble avoir quelque problème d’audition, voyez-vous ? Il me semble nécessaire de rappeler à l’assemblée les faits.

— Euh…

— Parlez je vous prie, ou je me mettrais à croire à quelque diffamation de votre part et je vous alignerai à ses côtés dans la liste des accusés.

Le cambusier blêmit.

— Oui Capitaine !

Les hommes d’équipage qui avaient pu arrêter exceptionnellement leur travail pour assister à la condamnation (ou plutôt qui y avaient été forcés) avaient tous des mines sévères et fatiguées.

Le cambusier, craignant pour sa propre sécurité, répéta minutieusement les faits : le dénommé Umeda Takahiro était accusé d’avoir volé dans les réserves deux miches de pains ainsi que trois boîtes de conserve. Le cambusier affirmait même avoir l’enregistrement des caméras de surveillance.

— Merci, Cambusier. Eh bien, l’exemple des précédents n’a-t-il donc servi à rien, Umeda-kun ?

La capitaine portait un regard condescendant à l’homme qui honteux baissait la tête.

— Désolé… désolé… désolé…

— Pourquoi répétez-vous tous la même chose lorsqu’on vous pose la question ? Ah quoi bon être désolé ? Nous n’allons pas pouvoir récupérer ce que tu as mangé, tu le sais bien ? Par contre…

Les yeux de la capitaine devinrent petits et malicieux.

— Par contre, je trouve cela suspect de choisir cette quantité et ces produits-là… Tout cela me laisse à penser…, dit-elle en s’interrompant et en scrutant l’assemblée. Cela me laisse à penser que tu n’es pas le vrai coupable. Quelqu’un d’autre t’a obligé à le faire, n’est-ce pas ?

L’accusé sursauta involontairement. Il se mit à pleurer, à genoux.

— Non… je… c’est ma faute… j’ai tout mangé…

— Foutaises ! Veux-tu que je t’ouvre le ventre pour vérifier tes dires, pauvre sot ?

À présent les traits de la capitaine étaient féroces, il n’y avait aucune once de compassion et ils brûlaient comme des bûchers ardents.

— Je… je…

Elle se leva et s’approcha de l’accusé d’un pas lent. Elle écarta les bras tout en regardant l’assemblée.

— Que celui qui se reconnaît dans ce crime fasse un pas en avant… Ou devrais-je plutôt dire « ceux » ? Je saurais me montrer clémente pour faute avouée.

Personne ne répondit. Kayomi soupira et continua d’approcher le marin. Finalement, elle posa son pied sur son épaule et le poussa à terre et continuant de l’écraser.

— On dirait que tu n’es pas très aimé, Umeda-kun. C’est malheureux, je pensais que dans la marine il y avait une sorte de camaraderie, mais voir un pauvre bougre abandonné de la sorte me donne presque envie de pleurer…

Elle couvrit ses yeux de ses mains et fit semblant de pleurer avant d’éclater soudaine de rire. Elle tira son Desert Eagle chromé de sa ceinture.

— Vous me donnez envie de vomir ! Comment peut-on être aussi stupides ? Six autres ont été exécuté dans la semaine : tentative de viol, vol de matériel, maltraitance, insubordination. Vous êtes comme des adolescents ignares, vous pensez pouvoir défier l’autorité ou quoi ?!

Elle pointa son pistolet vers la foule tout en affichant un large sourire. Les marins réagirent par la peur, reculant et cherchant à ne pas être dans la ligne de mire du pistolet.

— Vos parents ne vous ont peut-être pas enseigné les bonnes manières, et je ne le ferais pas non plus, mais… contrairement à vos vieux, je ne vous ferai pas de quartier ! Ceux qui ne comprennent pas leur place à bord nourrirons les poissons des tréfonds, c’est bien compris ?

Un « clic » indiquait qu’elle venait de baisser la sécurité de l’arme.

Derrière elle, les officiers se regardaient sans savoir quoi faire. Akemi était absente, les seules syrens qui assistaient à la scène étaient Isabel, Mégane et Maëwenn depuis une position surélevée sur le pont supérieur.

Cette dernière était à deux doigts de sauter rejoindre le pont principal lorsque la main d’Isabel l’arrêta.

— Tu veux vraiment te mettre la capitaine à dos ?

— Mais… elle va…

Les yeux de Maëwenn étaient humides, elle était choquée. Elle n’avait pas assisté aux précédents procès, elle ne savait pas comment répondre à cet explosion de violence qui la révoltait.

— T’inquiète, la cap’taine va pas les descendre… enfin, pas tous. Et pas s’ils sont un minimum malins. C’est pour ça que j’t’avais dit de pas venir, dit Mégane en tournant le dos à la scène et en s’adossant à la rambarde.

Elle se mit à observer le vol d’une mouette.

— Ils l’ont cherché, ajouta Isabel. Serais-tu contente si nous t’obligions à enfreindre les règles en te menaçant ? J’ai bien connus ce schéma à l’orphelinat, y a toujours un tas de raclures qui aiment faire ça au plus faibles. Si la capitaine leur en colle une dans le crâne, elle aura même été trop clémente à mon goût.

— Comment peux-tu dire une chose pareille ?

Maëwenn et Isabel se fixèrent droit dans les yeux un long moment.

— Tu n’as jamais été une victime on dirait, tu n’arrives pas à comprendre.

— Je… je… l’ai été…

— Ah bon ? Raconte donc tout ça à la bonne sœur que je suis.

— Tu n’es pas une bonne sœur ! protesta Maëwenn en se mettant à pleurer. Je… je m’en vais ! Ce n’est pas un procès, mais une exécution programmée !

Elle se dégagea de la main d’Isabel et s’enfuit dans l’escalier qui entrait à l’intérieur du navire. Contrairement à la veille, le ciel était nuageux et il y avait de la pluie par intermittence, les syrens n’occupaient plus la plage.

— J’suis sûre qu’elle est blanc comme neige.

— Ouais pareil. Enfin bon… je les comprends pas certaines. La discipline c’est normal à bord d’un navire pirate.

— Ouais… sauf qu’on est pas des pirates.

— Corsaire, OK. Mais ça change rien…

Les deux femmes reportèrent leurs regards sur la scène plus bas qui avait à peine changée.

À présent, Tanigawa et Nagano se trouvaient aux côtés de la capitaine.

— Je répète, je vous donne deux minutes pour démasquer les coupables, faute de quoi je viderais mon chargeur aléatoirement dans la foule. Ceux qui chercherons à s’enfuir seront d’office jugés comme déserteurs et mutains. Eh, mes petits gars ! Vous avez de la chance : c’est un 50 Action Express, il n’y a que 7 balles ! Trois contre sept, ça me semble un bon ratio !

Les deux officiers se mirent à chuchoter à son intention.

— Vous n’y pensez pas capitaine, vous allez tuer des innocents.

— Je vous en prie, capitaine. Je comprends votre intimidation, mais vous allez un peu loin.

Elle ignora totalement leurs paroles et se lécha les lèvres tandis que les marins commençaient à paniquer.

— Taisez-vous tous les deux ! Vous commencez à m’insupporter. Allez plutôt me chercher mon fusil à pompe, il semblerait que j’ai en face de moi un troupeau de vermines désobéissantes. Cela fera des parts plus conséquentes pour les chanceux qui échapperont à mon juste courroux.

Le commandant d’équipage hésita longuement si appliquer cet ordre ou non, finalement il n’en fit rien.

— Je crois que deux minutes sont passées, pas vrai, cher second ?

L’homme se figea et regarda sa montre. Il n’avait aucune idée si effectivement le temps imparti était écoulé ou non mais sentant l’agressivité de la capitaine, il finit par dire en bégayant :

— Je… crois bien…

— C’est ce que je me disais…

Kayomi dirigea son pistolet devant elle avec un sourire dément, les marins réagissaient à chacun de ses mouvements ; il était clair pour tout le monde qu’elle allait tirer d’un instant à l’autre.

Puis…

* BAM *

La première balle quitta le canon de l’arme.

— Oups ! Je me suis trompée, j’ai touchée la jambe… Comment s’appelle ce bougre déjà, maître d’équipage ?

Elle se tourna vers Nagano tandis que les cris de douleurs de l’homme s’élevèrent sur le pont. Immédiatement, un homme et une femme paniquèrent et tentèrent de s’enfuir.

* BAM BAM *

Les lourdes détonations de l’arme résonnèrent. C’était un très gros calibre, les détonations étaient graves.

Les deux fuyards avaient été touchés à l’épaule et hurlaient de douleur.

— Oups ! Je croyais avoir dit que ceux qui fuyaient étaient d’office considérés comme coupables, non ? Vous l’avez également entendu, pas vrai, commandant en second ?

L’homme acquiesça tandis que son visage blêmit et se couvrit de sueur.

La capitaine passa les marins en revus, puis finalement rangea son arme en soupirant longuement.

— Mâitre d’équipage, voici ma sentence : Umeda-kun recevra 10 coups de fouet à exécution immédiate pour vol forcé dans la cambuse et 20 de plus pour avoir couverts les coupables.

— Oui, capitaine !

— Lui et lui…, dit-elle en pointant deux personnes dans le foule, deux hommes. Ils seront accrochés dans une cage sur le grand mât jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et tu rajouteras l’autre pleureuse avec son trou dans la jambe. Si vous pensiez que je ne vous avais pas découverts…

— Capitaine ! Je… je n’ai rien fait !

— Et il rajoute le mensonge à ses crimes. Maître d’équipage, tu lui feras coudre les lèvres question qu’on ne puisse pas l’entendre chouiner dans sa cage. Quant aux deux fuyards, fais les amener à l’infirmerie. Ils apprendront qu’un bon marin garde toujours son sang-froid.

Sur ces mots, la capitaine passa à côté du commandant et se dirigea vers son siège.

— Ah oui ! J’oubliais ! Puisque mes chers camarades économisent leur énergie en gardant le silence, je suppose qu’ils n’ont pas besoin d’un apport nutritionnel complet. Réduisons donc les portions de moitié au dîner.

— Vraiment, capitaine ?

— Ne me suis-je pas bien fait comprendre ?

— Euh oui…

Alors que les voix chuchotèrent dans la foule, Kayomi arriva au siège dans lequel elle s’assit.

— Quelqu’un aurait-il une plainte à exprimer, peut-être ? Le tribunal est fini, j’écoute vos doléances.

Le silence régna pendant un bon moment avant qu’un grand soldat au crâne rasé osa faire un pas en avant. Il salua la capitaine de manière protocolaire.

— Je vous écoute, moussaillon.

— Nous… Nous sommes beaucoup à trouver votre comportement injuste.

— Injuste ? Voyez-vous cela… Et en quoi l’est-il, je vous écoute ?

Le soldat, malgré sa carrure bien plus imposante que la capitaine tremblait. Il faisait preuve d’un sacré courage pour oser se tenir ainsi devant elle.

— Si je puis me permettre…

— Je viens de vous en donner l’autorisation.

— Les syrens… ne nous aident pas pour les réparations.

La capitaine leva les épaules et regarda droit dans les yeux le soldat.

— Quel est vôtre rôle à bord ?

— Fusilier marin.

— Et actuellement quelle sont vos tâches en ces temps de crise ?

— Je… j’aide au déchargement du patrouilleur.

— Rappelez-moi quel est le rôle des syrens ?

Le soldat déglutit, son visage était en sueur et ses mains tremblaient. Il sentait les yeux de ses camarades sur lui.

— Dé… défendre le navire contre les Anciens.

— Très bien. Et actuellement que font-elles ?

— Elles sont sur la plage…

— Pour intervenir au cas où une menace en sortirait. Et rappelez-moi aussi qui a tiré de la fange sous-marine le bâtiment que nous désossons actuellement pour réparer le nôtre ?

— Les syrens…

L’homme baissa le regard, honteux.

— Et qui a éliminer les monstres qui peuplaient l’île à notre arrivée ?

L’homme ne répondit pas, il n’osait plus regarder la capitaine. Il trouvait son intervention déplacée, d’un seul coup.

— Voilà ! Je pense que vous avez tous compris. Tout comme vous, les syrens n’occupent pas leurs fonctions habituelles. Elles ont dû extirper mille cinq cent tonnes de bâtiment des royaumes de Poséidon afin que nous puissions reprendre notre voyage. Et à présent, elles continuent de nous protéger. Quelqu’un aurait-il quelque chose à redire à cela ?

Cette fois, personne n’osait prendre la parole.

— À la bonne heure. Fusilier, retourne à ton poste et remercie les syrens de te permettre de revoir un jour la terre qui est tienne.

Le soldat salua la capitaine selon le protocole et réintégra les rangs. En vérité, son humilité lui avait sauvé la mise, s’il avait été impertinent la capitaine l’aurait rudement sanctionné.

Puisque tout semblait avoir été dit, Umeda subit immédiatement son châtiment avant d’être jeté en cellule.

Les trois coupables, pour leur part, furent suspendus dans des cages et moururent dès le lendemain alors que la forte chaleur les déshydrata.

***

Le jour du départ était enfin arrivé.

Grâce aux moteurs du navire classe Oaxaca qui avait été repêché, les ingénieurs avaient pu faire des adaptations de fortune qui tiendrait au moins jusqu’au retour en France. La coque avait été rebouchée. Seuls les systèmes de communications n’étaient pas opérationnels, mais la capitaine les avait jugés inutiles pour rentrer.

Malheureusement, le matin prévu pour le départ, il y avait eu du grain et de la houle. Le vent était particulièrement fort.

Malgré tout, l’ordre de lever l’ancre fut donné et rapidement les membres d’équipage, exténués, observèrent l’île de Barbuda s’éloigner de leurs champs de vue.

Depuis le dernier procès, il n’y avait eu aucun nouvel écart de conduite, mais il n’y avait pas besoin d’être fin psychologue pour sentir que l’ambiance n’était pas au beau fixe.

Le ciel était obscur même en pleine matinée. La capitaine Kayomi se tenait sur la proue, les bras croisés et observait l’océan devant elle. De temps en temps, elle posait son regard sur sa boussole.

Plusieurs dizaines d’hommes d’équipage montèrent sur le pont où elle se trouvait. Ils n’étaient pas à leurs postes.

— Que faites-vous donc là, moussaillons ? Vos quarts n’ont-ils pas été décidés ?

Un homme se détacha du groupe, il avait de longs cheveux attachés en queue de cheval et arborait une tenue strict ; il s’agissait du commandant d’équipage, Nagano Hisato.

— Maître d’équipage ? À la bonne heure ! Expliquez-moi le sens de ce regroupement. Nos hommes manquent-ils à ce point de travail qu’ils peuvent se permettre de venir perdre du temps sur le pont pour m’observer ?

La capitaine semblait intriguée, elle ne comprenait pas le sens de tout cela. Elle était bien loin de se douter des paroles qui allaient sortir des lèvres de son officier.

— Capitaine, nous aimerions vous parler de quelque chose !

L’homme ne paraissait pas très serein, son regard était fuyant et sa voix hésitante.

— Parlez donc ou je vous ouvrirais à tous la gorge de mon épée pour en extirper vos funestes manigances !

Commençait-elle à se douter un peu de la raison de ce regroupement ? Était-ce la cause de ces paroles violentes ?

— Nous aimerions vous demander de quitter votre poste, dit franchement l’homme après avoir pris une profonde inspiration. Nous estimons que vous n’êtes plus compétente pour occuper cette fonction.

Mais la capitaine se mit à se gausser, son rire dément s’entendait parfaitement, même au sein des vagues, qui s’écrasaient sur le coque du navire.

— Nous ? Et qui est donc ce « nous » ? Vous autres devant moi ?

— Tout l’équipage en fait. Veuillez obtempérer, je vous prie. Vous pourrez poursuivre votre voyage jusqu’à terre.

— Nagano-kun, je vous décerne le prix du meilleur comique à bord ! Je ne pensais pas cela de vous ! Vos paroles vous octroierai normalement la potence, mais puisque vous m’avez bien fait rire, je vais vous en dispenser pour cette fois. Allez ! Cette blague est finie ! Retournez à vos postes, bande de larves paresseuses, avant que je vous accroche tous par vos tripes au mât d’artimon !

L’invective de la capitaine ne laissa pas son auditoire sans réaction : plusieurs eurent si peur qu’ils reculèrent mais furent retenus par leurs camarades. Si individuellement ils étaient terrifiés, la masse tint bon, elle fit face à la capitaine qui les observait avec mépris.

Soudain ses yeux se plissèrent et son expression devint aussi hautaine que froide.

— Je vois qu’il me faut encore vous discipliner mieux que je ne l’ai fait jusqu’à présent. Commençons par celui qui vous donne donc tant de courage.

Elle tira son Desert Eagle de son holster et le pointa sur Nagano.

— Si vous appuyez sur cette gâchette, ce sera un bain de sang, ex-capitaine Kayomi.

— Capitaine Kayomi ! Ce bâtiment m’appartient et il n’incombe pas à un jeune blanc bec de remettre mon autorité en cause ! Un navire peut bien se passer de son commandant d’équipage et d’inutiles mutins, mais le capitaine est son âme !

— Votre âme est souillée et pleine de cruauté.

— La vôtre est aussi insignifiante qu’une merde d’insecte ! Si la discipline maritime n’était pas faite pour vous, il aurait mieux valu que vous restiez sur le plancher des vaches à récurer les sabots de vos bêtes, Nagano.

— Je n’ai jamais posséder de ferme. Ma famille travaille dans le business international.

La capitaine sourit et baissa son arme.

— Eh bien, me voilà bien en tort.

Mais aussitôt…

* BAAAM *

Elle tira dans le genou du commandant qui tomba à terre en se tordant de douleur.

— Aaaaaaaaaaahhhhh !!

— Vous auriez vraiment dû suivre leurs traces, vous n’êtes pas fait pour la vie en mer. Je vais retarder votre jugement à plus tard…

Son regard se tourna vers l’équipage, ses yeux cruels n’exprimaient plus que son désir de violence, le sang qui venait de couler et l’odeur de poudre n’avait fait que l’affermir. Elle était prête à mater en tuant jusqu’au dernier mutin, s’il le faudrait.

— Quelle erreur de votre part de vous penser si indispensable. Vous nourrirez les requins ! C’est le seul sort que méritent des traîtres de votre espèce ! Que votre mort soit lente et douloureuse.

Quelques marins tirèrent des armes de leurs vestes, ce qui était interdit à bord, et ouvrirent le feu. Kayomi se transforma et interposa sa barrière réactive.

— Ridicules chiots qui mordent la main qui les a nourri. Apprenez où se trouve votre place !

Faisant apparaître son fusil à pompe spécial à quatre tubes, elle le pointa sur le groupe et tira sans tarder. La gerbe de flammes laissa place à une demi-douzaine d’hommes qui s’écroulèrent en train de se tordre de douleur. Elle avait réduit volontairement la puissance de feu, elle ne leur réservait pas une mort rapide. En principe ces munitions étaient faites pour abattre des Anciens, aucun humain n’aurait pu y survivre.

— Aaaaaaaaaaaahhhh !

— Vite, aidez-nous !

Alors que les marins commençaient à paniquer face au monstre à qui ils faisaient face, une silhouette s’avança : Akemi sous sa forme de combat.

— J’en étais sûre ! Seul une véritable traîtresse pouvait fédérer ces pleutres impuissants. Aucun d’eux n’aurait eu assez de couilles pour me faire face, dit Kayomi en posant son fusil fumant sur l’épaule. Dire que celle qui me trahit n’est ni plus ni moins que la pauvre orpheline à qui j’ai donné une chance de commander… Ce monde est rempli d’ingratitude, décidément.

— Je ne saurais jamais assez vous en remercier, capitaine Kayomi.

Akemi passa à côté des marins, enjamba les blessés et se plaça debout à côté de Nagano qui menaçait de prendre connaissance d’un instant à l’autre.

— Néanmoins, vous avez montré votre vrai visage. Vous êtes devenue un monstre prêt à tout sacrifier pour ses désirs, n’ayant plus aucun respect pour la vie et tyrannisant par la peur tout ceux à son service ! La possibilité de clore cette histoire de manière paisible vous a été offerte, mais vous avez été égale à vous-même, vous avez préféré la violence et le sang !

Kayomi se mit à rire au point de se tenir les côtes d’un bras et d’avoir les larmes aux yeux. Il n’y avait aucune gentillesse ou innocence dans ce rire, juste de l’amusement face à l’ironie du sort et de la suffisance envers ceux qui l’accusaient.

Akemi garda son sang-froid. La pluie faisait ruisseler l’eau sur son visage lui donnant l’air de pleurer.

— Et c’est donc toi, Akemi, ma commandante, qui va me juger ? N’as-tu jamais entendu dire que le capitaine est le seul maître à bord ? Il n’y a aucune autorité supérieure à celle du capitaine sur un navire, à l’exception de Dieu.

— Les dieux n’existent pas, pas plus que le paradis et l’enfer.

— Dommage ! Car tu aurais pu rejoindre Brutus dans la dixième strate infernale, prisonnière de la gueule de la Grande Bête. C’est une place de choix pour les traîtres et les mutins.

— La première à avoir trahi les autres c’est vous : Kayomi !

— Capitaine !!

— Nous nous sommes engagés pour voguer sous les couleurs d’un personne sensée qui assurerait notre protection et nous amènerait à bon port, mais à la place nous avons trouvé un tyran, une dictatrice cruelle.

— Foutaises ! Ils ont tous postulé pour venir à mon bord attirés par ma gloire ! Ils se fichaient pas mal de savoir qui j’étais du moment qu’ils pouvaient se vanter d’avoir naviguer sous ma bannière ! Quant à toi et les autres syrens, vous avez simplement fait ce que la guilde vous a ordonné de faire ! Mais en dépit de tout cela, je vous ai accueillis les bras ouverts !

— Je…

— Quoi ? Manques-tu à présent de mots, vile traîtresse ? Oses seulement te plaindre mon attitude envers vous autres ! Je ne vous ai jamais jamais traitée en subalternes, mais en amie ! Même toi, combien de fois avons-nous plongé ensemble et combien de courses avons-nous menées, toi qui oses me juger et m’accuser de tous vos maux ?

Akemi baissa le regard. Elle ne pouvait nier, la capitaine avait toujours parfaitement traité les syrens, mais uniquement elles, ce qui était la base de l’actuel problème.

— Néanmoins, c’est au détriment des autres marins… Ne comptiez-vous pas sacrifier nos hommes pour avoir plus de nourriture ? Pourquoi avoir envoyer cette équipe dans cette stupide mission d’exploration ?

— Tu veux m’entendre dire que je m’en fiche de l’existence de ces moins que rien ? De ces cloportes qui s’agitent à bord en pensant être des poissons ? Eh bien ! Sois heureuse, Akemi ! Oui, je me fiche de leur existence ! Ils ne servent qu’à faire avancer ce bâtiment, ils sont aussi remplaçables que ses boulons. Que ce soit les officiers ou les simples mousses ! Les vrais seigneurs de l’océan sont les syrens ! Qu’ils s’inclinent donc devant nous et nous supplient de les laisser traverser nos royaumes !

Kayomi gesticulait vigoureusement, son regard était toujours plus empli de colère, mais sa langue restait adroite.

— Vous vous trompez, Kayomi. Le but des syrens est de protéger la vie des plus faibles et leur permettre de travailler sur les cinq océans.

— Ridicule !! Notre but est de dominer les océans et de les reprendre aux Anciens !

C’était deux points de vue qui s’affrontaient chacune était bien campée sur ses positions. Voyant là une impasse, Akemi préféra passer à l’accusation suivante :

— Il y a néanmoins une syren dont la vie vous indiffère et que vous maltraitez depuis qui sait combien de temps. Allez-vous le nier ?

Kayomi afficha soudain un sourire victorieux.

— C’était donc de cette traînée dont il était réellement question… cette catin syphilitique que même les Profonds ne voudraient pas ?

— Je n’ai rien vu qui ressemble à cette description. Simplement une victime de plus de votre brutalité et cette fois il s’agit bien d’une consœur.

— Tu ne sais rien d’elle !

— Nul de ce qu’elle a pu faire ne saurait justifier votre comportement indigne à son égard.

— Si elle te plaît tant que cela, prends-la !! Culbute-la !! Et repens-toi ensuite ! Je te l’ai déjà dit, Yuna est un poison vicieux auquel tu n’es pas immunisée. D’ailleurs, c’est sûrement elle qui est l’origine de tout cela !Lorsque j’aurais ramené un peu d’ordre ici, je l’ouvrirai en deux et laisserai pourrir sa carcasse dans les jardins de Neptune. J’aurais dû le faire bien avant ! Mais j’ai sincèrement cru pouvoir la faire revenir parmi nous…

— Je ne vous laisserais pas faire ! En garde, Kayomi !

L’agressivité d’Akemi jaillit soudain. Elle tira son katana d’eau de son fourreau et se mit en position d’attaque.

— Hahaha ! Tu penses réellement pouvoir me battre ? En duel en plus ? Je vais devoir te remettre à ta place, pauvre folle ! Mais sois rassurée, je te garderais en vie pour te laisser admirer le sort des mutins derrière toi. Tu assisteras à chacun de leur cri, tu entendras chacune de leurs suppliques. Hahaha hahaha !

Akemi n’hésitait plus, elle lança de suite une de ses attaques spéciales. Kayomi n’était pas un ennemi à prendre à la légère.

« Kôgôshikku – 神々疾駆 »

Quittant immédiatement sa position, Akemi porta un rapide coup d’estoc en ligne droite qui se dirigea droit vers le cœur de la capitaine. C’était une attaque particulièrement rapide, un coup unique à une vitesse supersonique, mais…

* Grrrzzzt *

Sa lame ripa sur le sabre cranté de la capitaine qui contre-attaqua aussitôt en tirant à bout portant une salve de chevrotine dans le ventre d’Akemi. La violence de l’attaque la repoussa en arrière, du sang giclait de son ventre, mais elle n’eut pas un instant de répit : Akemi fit apparaître juste à temps sa barrière réactive pour bloquer la lame de Kayomi.

— Alors ? C’est tout ce que tu as ? Ne me fais pas rire !

Kayomi se mit à ruer la barrière de coups, obligeant Akemi à l’arrêter avant qu’elle ne soit totalement brisée. Une fois détruites, les barrières réactives prenaient un certain temps à se reformer, aussi il n’était dans l’intérêt d’aucune syren de la laisser se briser en plein combat. D’autant plus lorsque la situation était déjà désavantageuse.

Akemi bloquait les attaques habilement, elle était une redoutable combattante mais en face d’elle se trouvait un monstre. D’une seule main, Kayomi parvenait à la faire reculer. Ses coups étaient non seulement rapides mais particulièrement puissants.

À chaque fois que leurs lames s’entrechoquaient des ondes de chocs se répandaient sur le pont. Les marins se rendirent rapidement compte qu’ils ne seraient d’aucune aide dans ce combat de titans. Ils prirent les blessés et, sans demander leur reste, s’enfuirent sous le pont.

« Kaishin Seihenka —  海神聖変化 !!! »

La voix d’Akemi s’éleva soudain et elle porta une série d’attaques supersoniques qui formèrent un emblème de chrysanthème à huit pétales.

Mais à peine eut-elle achevée son enchaînement qu’elle tomba à genoux en se tenant le ventre.

Levant les yeux, elle vit Kayomi dans toute sa hauteur en face d’elle, un sourire aux lèvres. Quelques entailles peu profondes ornaient ses bras et une fine ligne rouge s’était dessinée sur sa joue. Elles ne saignaient même pas.

La crosse du fusil à pompe s’était enfoncée dans le ventre d’Akemi qui avait eu le souffle coupé au point de laisser tomber son arme.

— Com… ?

— Comment j’ai pu parer ton attaque ultime ? Simple, je l’ai vue tellement de fois.

Elle n’avait pas interrompu l’attaque, elle aurait sûrement pu, au lieu de cela elle avait ridiculisé Akemi en lui laissant porter l’enchaînement jusqu’au huitième coups. Elle avait simplement tout parer, sans aucune difficulté.

— Remarque, tu as réussi à m’entailler, je ne m’y attendais pas. Comprends-tu à présent à quel point ta tentative de rébellion contre moi était futile ?

Kayomi fit glisser le katana d’Akemi un peu plus loin, puis rengaina son épée et posa son fusil sur son épaule. Elle s’accroupit et s’approcha de son adversaire.

— Contrairement à ce que tu penses, je suis prête à te pardonner. Oublie toutes ces idioties, veux-tu ? Nous n’allons pas nous entretuer pour une traîtresse de la pire espèce, si ? Ta rébellion n’est même pas comparable aux torts de cette truie des mers. Je suis prête à te garder à ton poste et faire comme si rien ne s’était passé. Au fond, tu es ma précieuse commandante…

Kayomi, le visage trempé par la pluie, les cheveux au vent, secoua la tête. Elle se reprit :

— Non, Akemi, tu es mon amie. Oublions tout ça. D’accord ?

Elle lui tendit la main.

Les yeux d’Akemi s’écarquillèrent. Jamais elle ne se serait attendue à entendre un tel mot sortir de la bouche de celle qu’elle avait elle-même condamnée, celle qu’elle avait rabaissé au rang de simple monstre de cruauté.

Est-ce qu’elle le pensait réellement ?

Était-ce réellement ainsi qu’elle la percevait ?

Akemi ne s’était-elle pas fourvoyée à son propos depuis le début ?

Kayomi avait toujours insisté pour être appelée « capitaine Kayomi » et non pas simplement « capitaine ». N’était-ce pas la preuve de son amitié ?

Mais alors qu’elle allait tendre la main et que les larmes allaient quitter les yeux, le sang jaillit sur le visage d’Akemi.

Des lames transperçaient la poitrine de Kayomi.

***

Quelques jours avant leur départ.

Dans un ancien hôtel d’Antigua se trouvaient un groupe de personnes dans une grande salle qui avait dû servir jadis à des conférences.

Chose amusante, sans le savoir, Akemi l’utilisait à nouveau dans ce même but.

Sur des chaises devant elle se tenaient quelques personnes nappées dans l’obscurité.

— Ce ne sera certainement pas un combat facile. La capitaine Kayomi est incroyablement forte, je suis bien placée pour le savoir. Mais il faut absolument que nous fassions quelque chose ! Sa cruauté est arrivée à un point…

Elle se rappelait des différents procès qui avaient eu lieu récemment. Les trois derniers étaient morts dans des cages suspendues à un mât.

— Le commandant Nagano nous soutient. Les membres d’équipage seront de notre côté, même si on ne va pas pouvoir compter sur eux pour combattre. Néanmoins, les savoir de notre côté est important.

Personne ne répondit, aussi elle poursuivit.

— Le pire scénario serait de suivre la capitaine Kayomi dans l’eau. En combat sous-marin, personne ne pourra la battre, c’est assuré. Je suis aussi rapide qu’elle en vitesse de pointe, mais ses mouvements sont bien plus fluides et elle peut me semer facilement dans les profondeurs.

— Je suis d’accord sur ce point…, dit une voix féminine.

— Tout se jouera sur la surprise et la vitesse. J’ai localisé parmi nous celles qui seraient susceptibles de se ranger de son côté et celle qui m’inquiète le plus est Sister. Violaine ne s’est pas prononcée, mais je crains qu’elle ne nous soutienne pas.

— Et Fulvia ?

— Elle est attirée par la violence et le gain, elle est favorable à la capitaine mais ne lui est pas fidèle. Si elle n’est pas présente au moment de l’attaque, elle ne se déplacera sûrement pas. Enfin, il y a Mégane… il se peut qu’elle se range de son côté, mais je vais m’arranger pour mettre tous ces éléments dans le dernier quart de nuit pour qu’elles dorment au moment de l’attaque, le matin. Il vaut mieux les mettre face aux faits accomplis. Si elles venaient à se joindre à la capitaine…

— Ce serait fichu. Entendu, Akemi ! J’espère que nous pouvons réellement te faire confiance, sinon c’est notre tête qui y passera.

— Je comprends votre inquiétude. Dans le pire des cas, abandonnez-moi et sauvez vos vies. Je ne veux pas être celle qui vous aura entraîné dans la mort. Parlons des détails du plan…

Ainsi s’était tenu la réunion stratégique visant à destituer la capitaine Kayomi. Akemi n’avait jamais douté que Kayomi refuserait la proposition de réddition. Le combat serait inévitable.

Seule elle n’était pas de taille, mais avec des alliées…

***

— Aaaaaaaaahhhh !

C’était la première fois qu’Akemi et ceux présent sur le pont entendaient Kayomi hurler de douleur.

Cette dernière se releva, se tourna et chercha l’origine des attaques qui l’avaient prise par surprise. Deux épées de corail avaient transpercée sa poitrine, huit autres s’étaient à peine enfoncé dans ses muscles.

— IRIIIIIIIIIIIISSS !!

Il n’y avait à bord qu’une seule utilisatrice de ce genre de magie, c’était Iris.

La syren se trouvait une dizaine de mètres plus loin, la main tendue, les jambes tremblantes.

— Toi aussi ?! Traîtresse !

— Je… je…

Elle s’était préparée à ce qui arriverait, elle avait accepté la proposition d’Akemi qu’elle voyait comme une personne gentille et plus à même de diriger, mais à présent qu’elle faisait face à ses actes, elle était horrifiée.

Kayomi finit d’extraire la dernière lame. Ses yeux injectés de sang étaient terrifiants, Iris recula de quelques pas puis tira deux lances de corail dans sa direction. Elle ne ferma les yeux qu’un bref instant, mais elle vit aussitôt la silhouette de la capitaine apparaître devant elle.

Elle interposa sa barrière réactive juste à temps pour bloquer le coup de sabre qui lui arriva dessus.

— Aaahhhh ! hurla-t-elle désemparée.

Elle fit apparaître une dizaine d’épées de corail de l’autre côté de sa protection et les dirigea vers la capitaine qui eut tôt fait de les détruire en les contrant de sa lame. La colère de la capitaine se déchaîna sur la barrière défensive d’Iris dont elle était pourtant si fière.

Malgré sa solidité, il ne fallut que quelques coups de sabre pour qu’elle vola en éclats.

Les yeux d’Iris s’écarquillèrent tandis que des larmes en coulèrent.

À cet instant, un éclair tomba sur la capitaine.

Quelqu’un attrapa Iris et l’emporta.

— Ne… perds pas ton sang-froid…, dit Everly.

Sur une partie plus élevée, à l’opposé, se tenait Maëwenn, c’était elle qui venait de sauver Iris.

Le corps de la capitaine fumait encore, des arcs électriques la parcouraient encore, mais elle se tourna vers son nouvel adversaire avec des yeux emplis de fureur.

— C’est une bel et bien une conspiration, en fait… J’ai été bien sotte de croire que j’étais immunisée à ton poison, Yuna…

Lorsqu’elle fonça sur Maëwenn, un ouragan se forma sur le pont et s’interposa. La capitaine le trancha sans mal et bondit à une vitesse hors du commun même pour une syren sur son ennemie.

* Cling *

Akemi s’interposa.

— Désolée, Kayomi, je… je ne peux pas te laisser faire.

— Dire que je vous aimais toutes comme mes sœurs !!

Le combat entre les deux s’engagea à nouveau. Maëwenn qui, était juste à côté, tomba en arrière et atterrit sur ses fesses en se rendant compte qu’elle venait d’échapper à la mort.

— Vous… Vous êtes toutes folles ! cria la voix de Mégane.

Son souffle était saccadé, elle était encore sous sa forme normale et venait à peine de remonter de l’entrepont.

— Qu’est-ce que vous foutez, bon sang ?! Il est interdit de s’en prendre à la capitaine !

Sur ces mots, Mégane se transforma.

Selon le plan d’Akemi, elle n’aurait pas dû avoir le temps de venir au secours de la capitaine, mais tout ne se passait pas comme prévu.

Mégane fit apparaître trois ondines. Ses pouvoirs n’étaient pas les plus adaptés au combat en surface, ses invocations évoluaient dans l’eau, pas sur terre ferme.

Immédiatement les trois ondines se mirent à tirer sur Maëwenn, Iris et Everly. Cette dernière les bloqua à l’aide d’une barrière d’eau, protégeant aussi bien Iris qu’elle-même.

De son côté, Maëwenn en appela à son bouclier réactif qui céda rapidement ; elle fut frappée par deux projectiles d’eau qui la projetèrent contre une paroi métallique. Elle perdit conscience en reprenant sa forme réelle.

— Iris ! invectiva Everly en maintenant sa barrière face aux assauts des trois ondines.

— Je sais… JE SAIS !!!

Tout en hurlant, Iris fit apparaître deux lances de corail qu’elle tira sur Mégane. Malgré sa barrière réactive, les deux projectiles perforèrent le corps de la pirate qui tomba à genoux.

Pendant ce temps, le combat contre la capitaine et Akemi se poursuivait.

Les coups de Kayomi étaient un peu plus lents et moins puissants, mais la différence entre leurs puissances respectives était loin d’être comblée.

Akemi n’avait plus le temps : le risque de voir arriver Sister et Fulvia en renfort augmentait à chaque seconde qui passait.

Elle devait jouer sa dernière carte même si elle risquait gros.

Changeant de position de combat, elle ouvrit volontairement sa garde. Un coup de fusil lui brisa les côtes et perfora en partie ses poumons, tandis qu’un coup de sabre lui balafra le visage, lui trancha l’œil gauche et lui laissa une profonde entaille dans un bras.

« Suihôku Kugyô —  水泡苦行 ! »

C’était le dernier atout dans la manche : une technique de contre-attaque. Son principal défaut était qu’elle ne pouvait éviter les blessures, mais l’avantage était qu’elle prenait de court ses adversaires en leur infligeant une terrible contre-attaque.

Le katana d’Akemi décrivit une trajectoire en croix, laissant derrière elle simplement une image réminiscence bleue.

Le sang s’écoula abondamment au sol. Celui de Kayomi mais aussi celui d’Akemi à présent à genoux, une main sur son œil.

Deux entailles très profondes formaient une croix sur la poitrine de la capitaine qui venait de laisser tomber ses armes.

— Capitaine !! hurla Mégane qui était elle-même dans un piteux état.

— Ha… ha… HAHAHAHA !! se mit à rire Kayomi en reculant d’un pas maladroit. Bien joué… tu as vaincu l’horrible monstre qui hantait tes pensées… mon amie… mais… tu découvriras bientôt… la malédiction qui pèse sur les mutins… Kof kof… ! Le pire est encore à venir… Un capitaine est indissociable de son bâtiment… Vous me rejoindrez tous dans les tréfonds… Hahahaha !

Sur ces mots, la capitaine déséquilibrée bascula par-dessus le bastingage en riant aux éclats. Bientôt, on l’entendit tombée à la mer.

— Capitaine !!

Malgré les blessures que lui avait infligé Iris, Mégane, en pleurs, observa la capitaine sombrer. Puis, elle jeta aux syrens un horrible regard rempli d’une haine éternelle.

— Vous… le paierez… Puisse les dieux… vous maudire un millier de fois !

Sur ces mots, rassemblant ses dernières forces, elle se jeta à son tour à la mer.

Everly, qui était la moins investie dans la mutinerie —n’ayant au final que protéger Iris—, s’approcha du bastingage dans la ferme intention de poursuivre Mégane.

— Non… c’est bon… Arrêtons-la cette folie…, dit Iris en tomba à quatre pattes en sanglotant.

— Mais… elle pourrait vouloir…

Everly ne finit pas sa phrase. Akemi venait de tomber au sol et de reprendre son apparence normale. Son état était critique.

Lire la suite – Chapitre 5