Malgré ses blessures, Akemi se trouvait sur la passerelle de navigation scrutant l’horizon.
Son œil ne guérirait sûrement pas. Si elle avait pu bénéficier de soins magiques et si elle avait pu garder sa forme de combat pour améliorer la guérison, cela aurait pu être différent. Mais le combat contre Kayomi avait épuisé toutes ses forces et elle s’était évanouie.
Son bras était enveloppé dans des bandages accrochés à son cou, mais probablement qu’il serait à nouveau totalement opérationnel dans les prochains jours.
Quant à sa balafre, les colles organiques utilisées par le corps médical de l’armée l’avaient déjà refermée. En principe, il ne resterait même pas une cicatrice.
Autour d’elle, les différents opérateurs s’agitaient à leurs postes, elle les percevait à peine. Elle était perdue dans ses pensées.
— Capitaine ? La commandante des syrens souhaiterait vous parler. Elle demande à ce que vous la rejoigniez dans votre cabine.
— Merci beaucoup. J’y vais. Capitaine en second Tanigawa, je vous confie les opérations de routine.
— Entendu, capitaine !
Tanigawa avait conservé sa place dans le nouvel organigramme du navire. Même s’il n’avait pas pris part à la révolte contre Kayomi ses compétences n’étaient plus à démontrer et tout le monde avait désiré le garder à sa place.
Nagano, dont la jambe était dans une attelle, avait gagné de l’influence mais il était resté à sa position néanmoins. Étant commandant d’équipage, il ne pouvait viser que la place de capitaine pour s’élever, mais cette dernière ne lui était pas accessible puisqu’il n’était pas une syren.
De manière attendue, elle avait été octroyée à Akemi qui avait laissé son ancienne place à Iris.
Considérant leur situation, les nominations avaient été faites quelques heures à peine après la « disparition » de la capitaine. Akemi avait eu la surprise de son élévation hiérarchique à son réveil.
Iris, qui l’attendait paraissait tout aussi perdue dans ses pensées que ne l’avait été la nouvelle capitaine. Elle réalisa la présence de celle qu’elle avait demandé à voir lorsqu’elle arrive à quelques mètres d’elle.
— Ah… euh… Désolée de vous avoir fait demander, capitaine.
— C’est bon Iris, il n’y a personne d’autre que nous ici. Continue de m’appeler comme tu l’as toujours fait…
Akemi semblait fatiguée. Elle avait gardé le lit pendant presque une journée, mais plus encore que ses blessures c’était la mélancolie qui l’accablait.
À considérer les cernes sous les yeux d’Iris, Akemi n’était sûrement pas la seule en proie à ses sentiments.
— Pourrions-nous parler à l’intérieur… ? J’ai quelque chose de délicat à vous… te dire.
Akemi répondit en ouvrant la porte et elles s’installèrent rapidement à l’intérieur.
— C’est suffisamment discret si on s’assoit au fond, dit Akemi en lui tirant une chaise.
Les murs étaient faits de métal et il y avait toujours tout un tas de bruits inhérents aux moteurs, au remous et tangage, même quelqu’un qui se serait trouvé dans le couloir aurait eu du mal à les espionner.
— D’accord… En fait, nous avons un problème à bord. J’avoue que ça me laisse perplexe, je ne sais vraiment pas quoi en penser.
— Explique-moi ça.
— Un… meurtrier. Enfin, je… je ne parle pas de gens comme nous… enfin… il y a un marin qui a été retrouvé mort tout à l’heure. J’ai demandé à garder le secret pour éviter la panique, mais je me doute que ça finira par se savoir.
— Tu as bien fait. Un tueur ? Voilà qui est étonnant… Donne-moi les détails.
— Bien sûr… Il a été torturé avant d’avoir été tué. Je… je ne sais pas comment ça a pu se produire, il y a des gens partout à bord… Il avait les membres attachés et brisés, un bâillon dans la bouche pour l’empêcher de hurler et de nombreuses entailles et contusions partout sur le corps. Pourquoi faire ça, Akemi ? Je ne comprends pas. Nous faisons tous partie du même équipage…
— Ne me demande pas de comprendre ce genre de choses. Je suis comme toi, ça me laisse sans voix. Je vais charger Nagano de monter une équipe d’enquête. Je ne vais pas mettre le navire en alerte à ce stade, c’était peut-être qu’une vengeance personnelle et il n’y aura pas d’autres victimes du voyage.
— Tu… Je peux parler ?
— Bien sûr. Je ne suis pas l’ancienne capitaine, je ne te ferais pas couper la langue.
Iris esquissa un sourire douloureux puis baissant le regard et dit :
— Tu penses que c’est quelqu’un qui nous en veut pour la capitaine ? Qu’il va recommencer et tuer l’équipage pour nous faire comprendre qu’il risque de nous faire pareil ?
Akemi réfléchit aux questions. Certainement, après ce qui s’était déroulé, elles devaient avoir des ennemis à bord. En principe, ceux qui avaient le plus profité de ce changement de direction était l’équipage et non les syrens.
Cela signifiait-il que le coupable était l’une d’elles ?
— On ne peut rien exclure. La victime était-il un de ceux qui nous ont aidés ?
Iris acquiesça timidement. Akemi soupira longuement.
— Ne tirons pas des conclusions hâtives, mais restons sur nos gardes. Renforce les patrouilles des syrens.
— D’accord. J’espère que tout se passera bien…
— Ne t’inquiète pas. Je vous protégerai toutes.
Akemi posa sa main sur l’épaule d’Iris et essaya de la rassurer. Cette dernière afficha cette fois un triste sourire tandis que ses yeux devinrent humides.
— Iris ?
— Désolée, Akemi, je… je…
— Tu as encore peur ?
Elle acquiesça.
— Je n’ai pas réussi à dormir. J’entendais à chaque fois son cri dans mes oreilles. Est-ce que… nous… ?
Mais Akemi lui posa le doigt sur les lèvres pour l’empêcher de poursuivre.
— C’était nécessaire. N’y pense plus. Retournons à nos postes, nous y sommes attendues.
En silence, elles retournèrent à leurs postes.
***
Le soir, la lune brillait dans le ciel dégagé au milieu d’une myriade d’étoiles. En raison des nuages, cela faisait quelques jours qu’on n’avait pas vu une telle voûte céleste.
L’équipage était réuni au grand complet sur le pont principal et, pour cause, la capitaine Akemi devait tenir un important discours.
— Mes cama… Mes chers amis ! Je n’ai pas besoin de me présenter, je suppose. C’est en ma qualité de capitaine nouvelle que je vous ai réunis ici en cette soirée. J’ai un point important à aborder avec vous tous.
Elle marqua une pause et observa l’assemblée. À ses côtés se trouvaient les habituels officiers et Iris qui avait été nouvellement promue.
Elle n’était pas habituée à tenir des discours, elle était mal à l’aise, d’autant qu’il y avait nombreux regards peu amicaux dans la foule.
Elle se tourna vers Nagano qui hocha la tête.
— Kof kof ! Notre navire est actuellement presque entièrement opérationnel. Les réparations des moteurs tiendront sûrement quelques semaines à un régime normal. Les ingénieurs l’ont affirmé. Nous sommes actuellement en route vers le trésor de la carte trouvée sur le classe Oaxaca, toutefois…
Elle observa l’assemblée minutieusement.
— Ce cap avait été décidé par la précédente capitaine. Un navire appartient à tout son équipage. J’aimerais connaître votre opinion : devons-nous maintenir le cap ou rejoindre au plus vite terre ferme ? Nous sommes actuellement à quatre jours de l’emplacement du trésor et, à notre régime, il nous faudra encore 13 jours pour rejoindre la côte espagnole. Le détour rallongerait notre retour d’à peine quatre jours.
Les réactions de l’équipage furent assez disparates. Personne n’osait prendre la parole mais il y avait quelques chuchotements de-ci de-là.
— Les réserves de nourriture devraient suffire pour presque un mois grâce au travail acharné que nous avons tous fait sur Barbuda.
— Pas grâce aux syrens ! l’interrompit une voix anonyme dans la foule.
— Veuillez garder le silence pendant le discours de la capitaine, réprimanda immédiatement Nagano.
Akemi s’arrêta quelques instants, puis reprit le fil de ses explications faisant semblant de n’avoir rien entendu.
— La nourriture n’est donc pas un problème. Parlons plus précisément du trésor… L’ancienne capitaine en avait un peu parlé, nous n’avons pas plus d’éléments que sa localisation. Il faut s’attendre à une ruine sous-marine que jamais personne n’a découverte. Je ne vous cacherai pas que j’ignore s’il y a de l’or ou du butin de valeur, il est possible que nous nous y rendions pour rien, mais je doute également qu’il y ait des Anciens dans le secteur. C’est situé assez loin des routes commerciales où ils nous attaquent habituellement.
Elle jaugea l’effet de ses paroles sur la foule et décida que tout avait été dit. Elle se tourna vers les officiers, Nagano hocha la tête.
— Procédons donc au vote, si vous voulez bien ?
Le vote à main levé fut effectué et, même si c’était de peu, le camp prônant le retour à Brest l’emporta.
— Soit ! Nous changerons de cap pour rejoindre le continent. Beaucoup de choses se sont passées, rejoindre terre ferme nous fera le plus grand bien, conclut Akemi.
Mais, de retour dans la salle de repos des syrens, qui était bien vide comparé à auparavant, Maëwenn lui fit face.
— Ce n’est pas ce qui était convenu, Akemi-san ! J’ai… j’ai accepté de t’aider en échange d’aller à la cité d’Ys !
Elle n’était pas le genre de personne irascible mais cette fois elle paraissait sincèrement contrariée. Celles qui connaissaient son rêve n’avaient aucun mal à en comprendre la raison.
Dans la salle de repos se trouvaient en plus des deux : Iris, Everly, Violaine et Yuna. Fulvia et Isabel étaient dans leurs cabines en train de boire et de jouer.
Maëwenn avait la tête enveloppée de bandages, son dernier combat ne l’avait pas laissée indemne. Quant à Yuna, elle avait été libérée de ses chaînes à peine Akemi sur pied.
Mais elle n’avait pas encore été présentée à l’équipage. Les événements s’étaient enchaînées et c’était la première fois qu’elle apparaissait dans la salle de repos des syrens.
— Calme-toi, Maëwenn. Je… j’ai bien conscience de tout ça, mais… Tu as vu comme moi la décision de l’équipage, non ?
— Pourquoi as-tu posé la question ?! Kayomi avait déjà décidé pour nous !
— Justement parce que c’est elle qui avait choisi pour tout le monde ! s’emporta Akemi en frappant la main sur la table. Tu veux que ce navire redevienne une tyrannie comme sous son commandement ?
Maëwenn avait les larmes aux yeux. La réponse était évidente mais pourtant…
— Je… Non… mais je veux… je dois aller à Ys…
— Pourquoi donc ?
— C’est lié à son passé, intervint Iris. Maëwenn t’en parlera si elle en a envie, Everly et moi connaissons déjà l’histoire et nous comprenons son envie de s’y rendre.
Everly approuva en hochant la tête.
— Le problème, c’est que l’équipage a voté, dit Akemi en se calmant et en se mordillant les ongles. C’est une décision démocratique, je ne peux pas revenir dessus…
— Tu… tu m’as trahie…
Maëwenn se mit à pleurer et se laissa tomber dans un fauteuil en se couvrant le visage. Iris vint tout de suite la réconforter en lui caressant la tête et les épaules.
— Ce… n’est pas réglo…, dit timidement Everly. Nous avons risqué nos vies… vous aviez promis.
C’était rare qu’elle prenne partie pour quoi que ce fût, même son engagement dans la mutinerie avait été très léger. Commençait-elle à s’attacher à Maëwenn ?
— Akemi-san, nous ne pouvons vraiment rien faire ? demanda Iris.
— J’aimerais préserver ma promesse mais cela me semble impossible… Toutefois, vous vous emportez trop, ce n’est pas la dernière fois que nous irons en mer. Si les coordonnées t’intéressent, je peux te les transmettre et à peine arrivées à terre, nous demanderons à l’organisation de nous autoriser à y aller.
— S’ils acceptent…, dit Iris. Rien n’est moins sûr. La chasse au trésor ne fait pas partie de nos attributions de syrens.
En effet, le but unique de l’organisation était de protéger les convois de marchandise.
— Vous vous inquiétez pour rien. S’il y a un trésor, ils voudront monter une opération pour le récupérer. Il suffira de négocier pour en faire partie. Maëwenn pourra se rendre là où elle rêve d’aller, je vous l’assure.
Le silence s’imposa, les filles réfléchissaient à ce qui venait d’être proposé et à sa faisabilité, lorsque le tintement métallique d’une cuillère se fit entendre.
Il y avait quelqu’un que les filles avaient oubliées dans la salle : Violaine. Elle buvait un thé qu’elle venait de saler au lieu de sucrer.
Everly grimaça de douleur.
— Gâcher un Earlgrey…
— Ce n’est du gâchis que s’il n’est pas bu, répondit Violaine. Délicieux !
Tous les regards se tournèrent vers elle. Elle n’était pas du tout affectée par ce qu’elle venait d’entendre, elle était à des lieues de tout cela.
— J’ai quelque chose sur le visage ?
Elle commença à se toucher la figure à la recherche de ce que cela pouvait être.
— Tu n’as rien, dit Akemi. Quel est ton avis sur tout ça ? Parle franchement… même si je sais que tu n’es pas du genre à tourner autour du pot.
— Traître un jour, traître toujours.
Violaine ne tourna même pas le regard vers son interlocutrice, elle laissa ces paroles sortir de sa bouche le plus naturellement possible. Par sa part, Iris se leva d’un coup et afficha une expression de franche colére.
— Eh oh ! Retire ce que tu as dit !
— C’est bon, calme-toi, Iris. Je lui ai demandé de parler franchement, elle l’a fait. Puis, on ne peut pas lui en vouloir, personne ne l’a prévenue. Et de base, elle n’était probablement même pas d’accord avec tout ça.
Iris se ravisa, elle s’assit sur l’accoudoir du fauteuil à côté de Maëwenn qu’elle chercha à consoler.
— Je suppose que tu nous gardes rancœur pour ce qui s’est passé ?
— Vous en vouloir… ? se demanda Violaine en posant son index sur sa lèvre. Je ne sais pas…
Elle affichait un sourire radieux pourtant nimbé de mystère. Changeant de position, elle s’assit en tailleur et commença à souffler son thé brûlant.
— Vous pensez que l’organisation ne vous en tiendra pas rigueur ?
La question de Violaine jeta un froid. Personne ne répondit. Même Maëwenn cessa de sangloter.
C’était pourtant une interrogation évidente.
— Le code des syrens n’apprécie pas beaucoup les conflits entre elles, ajouta-t-elle après peu.
Son ton de voix n’exprimait aucune animosité, aucun reproche, elle exposait simplement des faits évidents. Tout en parlant, elle continuait de fixer le liquide brunâtre contenu dans sa tasse.
— Quant à la question que tu te poses, Akemi, j’appréciais en effet Kayomi.
— Mais c’était une personne profondément cruelle et mauvaise !
— Tout comme tu l’es également. Chaque individu a une part d’ombre et de lumière, c’est les proportions qui différent de l’un à l’autre. Le cœur chavire comme un navire en pleine tempête.
Elle se mit à tanguer elle-même de droite à gauche tout en poursuivant.
— Le monde n’est composée que de gris. À certains endroits, le mélange de blanc et de noir n’est pas encore achevé, et s’entremêle jusqu’à décider quelle nuance il va avoir.
— Je vois ce que tu veux dire, mais ce qui est fait est fait. J’aimerais ton opinion sur les solutions à disposition pour que tout le monde y trouve son compte.
— Et tu le demandes à celle que tu n’as jamais consulté auparavant ? En plein naufrage, on tend la main pour attraper toute bouée à disposition, remarque… Mais je n’ai pas réellement d’opinion, cette fois.
Elle trempa ses lèvres dans la tasse puis leva deux doigts.
— À ce stade, tu n’as que deux choix : contenter les syrens ou l’équipage. Il a toujours été question de cela, en vrai. Kayomi était bien meilleure que toi pour gérer ce genre de crises, son autorité était incontestable…
Iris lui jeta à nouveau un regard froid. Everly avait ramené ses genoux à elle s’asseyant en position pharaon, elle semblait peu à peu s’éloigner de la discussion.
— Merci pour ton opinion sincère, Violaine, dit Akemi se remettant à réfléchir.
— Cela dit, il y a quelqu’un ici qui brûle de désir de s’exprimer. Le chevalier servant devrait lui prêter plus attention. Fufufu !
Akemi tourna soudain son regard vers Yuna. À la base, elle voulait la présenter aux autres et expliquer ce que la capitaine Kayomi lui avait fait subir, mais elle l’avait oublié en cours de discussion.
Les autres filles imitèrent la capitaine et fixèrent Yuna. Une partie d’entre elles la connaissaient de vue au moins.
— Je… je… Shirasagi Yuna… tout le monde m’appelle Yuna…
Elle rougit et baissa la tête intimidée par cette soudaine attention. Elle était assise sur une chaise à l’écart et buvait un café.
Elle était habillée d’une simple robe de couleur violette. Grâce à ses longues manches et sa longue jupe, on ne pouvait pas voir ses blessures.
— Yuna était la prisonnière de la capitaine, elle était enfermée dans une cellule cachée.
— Il y avait quelque chose du genre sur ce navire ? s’étonna Iris.
— Oui, je l’ai trouvée par pur hasard. La capitaine n’avait aucun remord quant au traitement qu’elle lui infligeait.
Akemi se leva et se dirigea vers Yuna. Elle lui saisit le bras et releva ses manches pour montres des entailles et des hématomes.
— J’ignore depuis combien de temps elle était sa prisonnière, mais elle n’avait le droit de sortir que pendant les batailles.
— J’ai déjà travaillé avec elle, dit Violaine.
— Moi je l’ai déjà vue aussi, j’étais intriguée mais j’ai préféré ne pas poser la question.
Iris tourna son regard vers Maëwenn qui avait cessé de pleurer un peu.
— C’est la première fois… que je suis à bord de ce bâtiment, je ne savais pas.
Everly se dispensa de répondre, mais elle avait déjà vu plusieurs fois Yuna mais ne lui avait jamais prêté la moindre attention.
— Je…je… ne me prenez pas en pitié, ce… c’est trois fois rien, dit Yuna en baissant les yeux. Je suis une syren aussi… je suis solide.
— Cela ne justifie pas d’avoir été le souffre-douleur de la capitaine. Elle t’en a fait tellement subir, ma pauvre.
— J’ai du mal à comprendre pourquoi la capitaine aurait fait cela à quelqu’un…, dit Iris.
— Elle était brutale, mais… elle nous aimait bien, ajouta Maëwenn.
Violaine afficha un large sourire tout en se mettant à dodeliner.
— Nous étions sa famille… Et il y a toujours un mouton noir dans chacune. Fufufu !
Tacitement, toutes se demandèrent si elle ne parlait pas d’elle-même.
— Ne… lui en voulait pas. La capitaine n’avait pas tort… j’ai été… j’ai fait de vilaines choses…
— Arrête de culpabiliser, Yuna-chan. Je te le répète, rien ne justifie ce qu’elle t’a fait.
— Merci Akemi-san…
Iris marmonna dans sa barbe.
— N’empêche tout ça m’intrigue… Qu’est-ce qu’elle a bien pu faire ?
— Qu’est-ce la capitaine lui faisait… ? marmonna à son tour Maëwenn.
Violaine affichait un sourire énigmatique. Connaissait-elle les réponses à ces questions ?
La connaissant, rien n’était moins sûr.
— Je… j’ai un plan mais… je… je n’en suis pas fière.
— Explique-nous.
— C’est…
Yuna attrapa Akemi par l’épaule et s’approcha de son oreille pour y susurrer sa proposition.
Akemi grimaça un instant, puis elle dit :
— C’est une éventualité… mais je n’aimerais pas y faire appel. S’il vous plaît, laissez-moi y penser toute seule. Je vous donnerai ma décision demain matin. Bonne nuit tout le monde ! Et, Maëwenn, ne t’inquiète pas : je ne compte pas te faire faux-bond. Je trouverais une solution…
Akemi quitta la salle de repos, suivie de Yuna qui s’excusa de partir si tôt. Elles se dirigèrent aussitôt vers sa cabine.
— Akemi… tu ne préfères pas la cabine de capitaine ? Elle est plus grande.
— Non, c’est bon. Tu peux continuer de l’occuper seule, ça ne me dérange pas.
Akemi allait ouvrit sa porte lorsqu’elle sentit Yuna lui attraper la manche.
— Je…je… j’ai peur…
— De quoi ?
— Elles ne m’ont pas acceptée… Et l’équipage non plus… Est-ce que tu… tu ne m’accepterais pas de…
Akemi cligna plusieurs fois de l’œil puis entendant du bruit en approche dans la coursive finit par instinctivement ouvrir la porte et y attirer Yuna. Elle ne comprenait elle-même pas son comportement : elle ne faisait rien de mal.
— Merci… Akemi-san… tu es la seule personne gentille avec moi. Je… je ne te mérite sûrement pas.
— Raconte pas n’importe quoi. Je suis sûre que tu te culpabilises bien trop. Écoute, ça me gêne un peu… d’autant que mon lit est petit, mais… pour cette nuit, c’est d’accord.
— Merci !
Yuna lui sauta dans les bras. Cette attitude détonait avec son habituel air de martyr. Akemi rougit jusqu’aux oreilles.
— Tu… tu es trop proche…
— Dé… désolée…
Mais en cherchant à se séparer d’elle, dans cette toute petite pièce, Yuna finit par être déséquilibrée et tomber en arrière. Akemi chercha à l’attraper et finalement toutes les deux s’étalèrent sur le lit, l’une contre l’autre. Le cœur d’Akemi battait à tout rompre.
— Yu… Yuna…
Cette dernière détourna le visage qui s’était empourpré et d’une petite voix :
— Si… si c’est ce que tu veux… je…
Akemi cligna quelques fois des yeux, elle n’arrivait pas à se séparer de Yuna, elle ressentait un puissant attrait. Finalement, cette dernière attrapa le visage d’Akemi entre ses mains, l’attira à elle et le posa contre sa poitrine, dans un geste réconfortant.
Cette nuit-là, elles séjournèrent dans la même cabine.
***
Le lendemain à midi, les syrens étaient réunies dans la salle de repos.
L’ambiance n’était plus la même qu’autrefois, même si au demeurant rien n’avait changé. Sister et Fulvia passaient du temps de leur côté, à fumer, boire et jouer comme toujours mais il y avait comme une tension à l’égard des autres filles, qui se montraient particulièrement méfiantes.
Lorsque la capitaine et Yuna entrèrent, Sister ne tarda pas à quitter la salle.
— Tu ne manges pas, Isabel ? demanda Akemi.
— Je n’ai pas faim.
Elle n’en dit pas plus et leur passa à côté en refermant la porte.
Fulvia s’installa à table en jetant des regards de travers à Yuna. Elle n’était pas du tout étonnée de la présence de cette femme et, pour cause, elle en connaissait l’existence depuis quelques voyages déjà.
Elle ignorait pourquoi on ne la voyait que pendant les combats, mais peu lui en importait. Dans sa tête, elle l’avait simplement cataloguée comme « la fille de joie de la capitaine » ; ce qui impliquait que c’était une personne qui changeait de main en fonction du capitaine au commande.
Cette fois, les corvées incombaient à Maëwenn, c’était donc des plats typiquement bretons qui étaient servis sur la table.
— J’ai pris ma décision, annonça Akemi une fois toutes installées. Nous allons aller voir ce trésor.
— Mais, l’équipage ? demanda Iris.
— Ce n’est pas très honnête mais… puisqu’il y a des risques qu’il me soit difficile de remonter en mer une fois de retour au port et puisque je me suis engagée auprès de vous avant même d’être capitaine, je vais changer le cap sans rien dire.
— Tu vas vraiment faire ça ?
— Oui. J’ai pris ma décision. Je ne serais capitaine que jusqu’à notre retour, je demanderais à la guilde de me retirer de tout poste de commandement à jamais. Puis, j’assumerai entièrement la responsabilité de la mutinerie. Je ferais en sorte qu’il ne vous arrive rien.
Les filles se regardèrent l’une l’autre ne sachant que dire face à cette gentillesse presque suspecte.
— Ah ! Eh bien c’est cool…, dit Fulvia en commençant à manger. Perso, vu que je dormais, je comptais pas prendre pour vous, mais bon… Ça passera sûrement mieux comme ça : les guildes aiment bien désigner un coupable plutôt qu’un groupe, c’est pas très « commercial ».
Elle insista sur ce dernier mot. C’était rare qu’elle parle sérieusement, en général elle se limitait à des choses futiles. L’air de rien, elle avait su parfaitement définir la situation : la guilde préférerait un coupable qu’un groupe. Les syrens n’étaient pas assez pour en punir quatre d’un coup.
— Merci…, dit timidement Maëwenn. Je… Ça me gêne quand même un peu… Non, beaucoup ! Et je ne veux pas que tu sois condamnée seule, nous t’avons suivie.
— Pareil ! Cette solution ne me convient pas non plus. Au pire, pour le trésor, nous pourrions y aller juste nous en prenant un canot.
— C’est impossible, Iris. Le navire a besoin de protection. En deux semaines, il peut arriver tout un tas de choses, dit Akemi. Le plus simple est simplement de prétexter que les orages nous ont déviés et rapprochés du trésor.
— Violaine ? demanda Iris pour avoir son opinion.
— Hein, Iris ? Je suppose que tu veux savoir s’il y aura du mauvais grain, c’est ça ?
Iris acquiesça. Violaine était parfois appelé « Miss Météo » par l’équipage.
— Tout dépendra de la direction que nous suivrons.
— Ça ne me donne pas une vraie réponse, ça.
— Inutile de demander à Violaine, dit Akemi. Le ciel est couvert, cela ne saurait tarder. Que tout cela reste entre nous, d’accord ? Je le fais uniquement pour vous toutes, ne m’attirez pas plus d’ennuis.
Le repas se déroula sans encombre. Fulvia s’intégra d’une manière ou d’une autre, même si elle était toujours considérée comme une pro-Kayomi par les autres et donc regardée avec méfiance.
Akemi quitta la table la première.
— Je m’en vais mettre le plan en application. Prenez vos quarts normalement. Ah oui ! Iris, inclus s’il te plaît Yuna dans la rotation. Qu’elle soit considérée comme un membre d’équipage normal à partir de maintenant.
— Entendu ! Bienvenue parmi nous, Yuna !
Les filles saluèrent Yuna qui se montrait gênée, tandis que la capitaine referma la porte derrière elle. Elle était satisfaite, c’était les premiers pas de leur rapprochement.
Lorsqu’elle se tourna, elle se rendit compte que quelqu’un l’attendait dans la coursive : Isabel.
— Sister ?
— Je veux te causer, Akemi.
— Oui ? Tu ne veux pas le faire dans ma cabine ?
— Inutile.
Isabel avait une cigarette éteinte pendue aux lèvres, son regard était grave.
— Je ne te reconnaîtrai jamais comme capitaine. Et je ne te pardonnerais jamais ce que tu as fait. Qu’on soit bien claires là-dessus, OK ?
— Je m’en doutais un peu. Tu cautionnais donc les actions de la capitaine ?
— Ouais. Et j’sais aussi que tu mens à tout le monde, tu sais que c’est juste une putain d’excuse à la con.
— Une excuse ?
— Ouais. J’suis habituée aux mensonges. J’ai vu les curetons et les bonnes sœurs afficher leurs masques d’hypocrisie depuis gamine. Et j’sais reconnaître un enfoiré d’une bonne personne.
— Donc tu me considères dans la première catégorie.
— Tout à fait. Tu fais genre que tu t’importes de l’équipage, mais quand la capitaine a bousillé la rotule de Nagano, tu faisais quoi ? Tu as gentiment attendu que tous la voient exécuter ses menaces avant d’intervenir et prendre le beau rôle, hein ?
— Je n’étais pas encore là, tu ne peux pas m’en donner la faute.
Akemi restait étonnamment calme malgré les accusations. C’était comme si elle avait attendu depuis le début le moment où quelqu’un lui reprocherait ce qui s’était passé.
— Tu étais derrière l’écoutille à attendre le bon moment : les premiers coups de feu.
— Tu n’étais même pas là, comment tu pourrais savoir ?
— Tout ce que tu voulais, en vrai, c’était reprendre l’autre pute à la capitaine. Tu t’es monté le bourrichon en pensant qu’elle est une pauvre et adorable victime, mais c’est juste une crevure qui aurait mérité mille fois la mort.
Le sang monta au cerveau d’Akemi qui était calme jusque là : elle plaqua Sister contre la paroi voisine alors qu’elle affichait un regard menaçant.
— Pèse un peu tes mots ! Tu n’as pas le droit de parler d’elle comme ça !
Mais Isabel n’était pas du tout intimidée, elle la fixait droit dans les yeux.
— Tu n’es qu’une gamine. Tu ne sais rien d’elle. Tout ce que tu veux c’est son cul, c’est tout.
— Ta gueule ! Ou je t’éventre ici-même !
— Hohoho ! Voilà donc ton vrai visage ? Je pensais que la capitaine Kayomi était brutale, mais peut-être est-ce une tare qui se transmet d’une capitaine à l’autre. Tu ne penses pas ?
Le visage impassible d’Isabel afficha un rare sourire qui exprimait toute sa moquerie. Ces paroles refroidirent les ardeurs d’Akemi qui se rendait soudain compte ce qu’elle venait s’apprêtait à faire.
— Non, je ne suis pas comme ça ! Je sais me maîtriser, contrairement à Kayomi ! pensa-t-elle.
Elle relâcha Isabel et s’éloigna de quelques pas.
— Si tu n’as rien d’autre à dire, je préfère que tu te taises.
— Tu as pensé à demander à l’autre trainée ce qu’elle a fait de mal au fait ? Moi, je pense savoir, j’ai été aux côtés de la capitaine Kayomi depuis bien plus longtemps que n’importe laquelle d’entre vous. Je sais que c’est une traîtresse.
Isabel articula particulièrement ce dernier mot, ou alors était-ce Akemi qui eut cette impression. Cette dernière resta sans voix. Elle était confuse, pleine de colère qui lui donnait envie de tuer ici-même Isabel, mais sa raison lui disait de résister.
Puis, au fond, Isabel n’avait-elle pas raison ? Akiemi avait-elle été séduite ?
— Remarque, vous allez bien ensemble. Une traîtresse et une mutin. La réunion des enfers.
Isabel tendit ses mains en avant.
— Mets-moi aux fers. J’ai manqué de respect à la capitaine du navire. Si tu ne me punis pas parce que je suis une syren, tu ne vaudras pas mieux que la capitaine Kayomi. Mais si tu veux mon avis, quoi que tu fasses tu ne lui arriveras jamais à la cheville. Tu aurais pu apprendre d’elle et t’épanouir, à la place t’as foutu ta merde partout… Récolte ce que tu sèmes, pécheresse. J’espère que la guilde te fera payer ce que tu as fait.
Isabel garda le silence un instant, puis afficha un sourire forcé.
— En fait, c’est tout décidé : tu prendras cher. Trahir une camarade est un fait, mais Kayomi avait nombre de relations et de contacts. Tu aurais dû t’informer avant de la tuer. Tu t’en tireras bien si on t’exécutes simplement.
— Je… je ne vais pas te faire cette faveur. Et je suis disposée à payer pour mes actes. Il est des choses qui doivent être faire pour le bien général, dit Akemi en reprenant du poil de la bête. Mais je doute qu’une personne dépravée comme toi comprenne des concepts comme le bien et le mal.
— Normal que j’peux pas les biter, c’est des concepts de merde inventés par des gens trop fainéants pour juger les actions autrement que par un système dual. Le bien et le mal, c’est des fables de gamin pour se donner bonne conscience.
Isabel la fixa droit dans les yeux une fois de plus. Elle ne montrait aucune peur, pourtant Akemi avait un rang supérieur à elle et elle était plus forte.
— De toute manière, si tu ne le fais pas, je ferais un truc horrible que tout le monde verra et qui te fera perdre ton autorité. Je te fais une fleur en venant comme ça, au nom de notre ancienne camaraderie.
— Y a-t-il jamais eu une telle chose dans ton cœur noir comme les enfers ?
Isabel ne répondit pas, elle tendit à nouveau ses poignets.
— Entendu. En ma qualité de capitaine, je te mets aux fers jusqu’à notre arrivée à terre ou tu seras jugée par la guilde.
— Parfait. Je n’aurais pas à écouter tes ordres. Je connais le chemin, t’inquiète j’ai aucun intérêt à me barrer.
Isabel s’éloigna de la capitaine en se dirigeant vers les geôles, un coin dans les cales aménagé pour cette fonction. Lors des combats contre les Anciens, il n’y avait pas de prisonniers, aussi sa seule utilité était bien d’être un outil de réprimande pour l’équipage.
— Au fait…
Akemi tourna sa tête vers Isabel qui s’était arrêtée de marcher.
— Tu as bien fait de me tenir à l’écart, j’aurais aidé la capitaine Kayomi de toute manière. Et sûrement que Fulvia m’aurait suivie, même si elle ne lui était pas aussi fidèle. Et au final, j’avais raison depuis le début : Mégane était une brave fille, la meilleure d’entre vous toutes.
Elle reprit la marche, ses petits pieds traînant au sol sans motivation.
***
La capitaine avait fait changé le cap en secret. En pleine mer, sans autre repère que les étoiles, il était difficile de s’en rendre compte. Même s’il y avait des marins confirmés, des vieux loups de mer, cela faisait à présent deux jours que les nuages n’avaient pas quitté le ciel, la pluie tombait presque sans discontinuité.
Plus le navire avançait, plus le vent et la pluie devenait forts.
La capitaine et une poignée d’hommes dont le commandant d’équipage Nagano se trouvaient sur le pont principal, leurs mines sévères ou blêmes. Akemi avait à présent un cache-oeil pour couvrir celui qu’elle avait perdu au combat, ce qui la rendait encore plus stricte.
Au sol, trois cadavres baignaient dans leur sang. Il s’agissait de trois marins qui étaient de quart cette nuit-là.
Même si leurs corps avaient été mutilés, ils étaient facilement reconnaissables.
— Trois en même temps… On dirait qu’ils n’ont pas réussi à se défendre…
— On dirait bien…
— C’est… c’est l’œuvre d’une syren ! déclara un marin.
Immédiatement, Nagano lui jeta un regard noir lui intimant le silence.
— Ce n’est pas complètement impossible, confirma néanmoins Akemi. C’est un peu tôt pour le déclarer, mais qu’ils puissent avoir été tués sans que personne ne les entendent, sans pouvoir se défendre, c’est suspect.
— Il y avait une tempête cette nuit, capitaine. Même s’ils avaient hurlé, personne ne les aurait entendu, dit Tanigawa les mains dans le dos.
Il venait d’arriver sur le pont et n’avait saisi que la fin de la discussion.
— En effet…, ajouta Nagano.
— Pourquoi étaient-ils dehors pour commencer ?
— Désolé, capitaine, je l’ignore également. Les ordres que j’ai donné indiquaient de ne pas sortir. Peut-être qu’un maître leur avait donné une tâche à y effectuer. Je m’informerai à ce propos, capitaine.
— Faites donc commandant Nagano. Néanmoins, j’attends de vous de meilleurs résultats, l’enquête ne fait pas que piétiner : c’est le cinquiète cadavre en trois jours et nous n’avons aucun indice.
— Désolé capitaine ! Nos enquêteurs ont fait le nécessaire, mais c’est difficile pour eux de devoir suspecter leurs camarades. Puis…
— Parle, commandant.
La capitaine avait les mains croisées dans le dos et fixait les cadavres.
— Puis… ils ne peuvent pas enquêter sur les syrens. Cela limite les possibilités.
— Je vois.
— Rien ne dit néanmoins que le coupable se trouve parmi elles, déclara à nouveau Tanigawa. Ne nous hâtons pas en déclaration sans fondements.
— Certes, dit Nagano d’un air peu convaincu.
Lui qui n’aimait pas les syrens avait déjà statué quant à leur culpabilité. Il ne pensait pas qu’un marin à bord puisse être suffisamment fou pour commettre ce genre d’acte et encore moins avoir la force de les perpétrer.
— C’est en tout cas une femme, dit la capitaine. Chaque cadavre a été mutilé aux parties génitales… et ce sont toujours des hommes. On dirait un message qu’on veut nous faire passer…
Un murmure derrière elle attira l’attention de la capitaine.
— La malédiction de la capitaine…
— Qui a dit cela ? demanda Akemi brusquement.
Instinctivement, certains regards se tournèrent vers un marin assez vieux à la longue barbe. La capitaine vint lui faire face.
— Cesse donc de raconter de telles sornettes. Elle n’avait pas ce genre de pouvoirs.
— Sauf votre respect capitaine… Ce sont d’ancienne croyance de la marine… Les capitaines sont tous capables de ce genre de choses…
— Balivernes ! Comme tout ce qui a précédé l’Invasion. Cessez de colporter ce genre de rumeurs stupides ou je vous fais descendre au trou. Compris ?
— Oui, bien sûr, capitaine !
Akemi retourna près de Nagano et lui ordonna :
— Faites nettoyer tout ça. Je vais mener mon enquête au sein des syrens. Continuez de votre côté également.
— Il sera fait selon vos ordres, capitaine !
En rejoignant sa cabine d’un pas de plus en plus las, commençant à se rendre compte des difficultés du rôle qu’elle avait endossé, Akemi croisa Yuna.
Elle paraissait vouloir parler, aussi l’invita-t-elle dans sa cabine.
— Il y a une bouteille dans l’armoire, si tu veux boire quelque chose…
— Je m’inquiétais surtout pour toi, Akemi. Tu… Tu as l’air si tendue.
— Normal avec ce tueur qui se cache parmi nous ! Diantre ! Mais quel intérêt de faire ça ! Nous allons débarquer dans peu de temps, il ne pouvait pas calmer ses ardeurs et les remettre à plus tard ?!
Yuna s’approcha d’Akemi et la prit dans ses bras.
— Je connais une bonne méthode pour se détendre.
— Laquelle ?
— Des massages. Si… si tu as le temps… et que ça ne te dérange pas… je peux…
— C’est mon quart de repos. Si tu arrives avec ta magie à me détendre, ça ne sera pas du temps perdu.
Akemi, d’une manière désinvolte qui ne masquait pas entièrement sa colère, s’allégea de quelques couches de vêtements.
— Si tu… enfin si tu veux… ce serait mieux sans vêtements…
La capitaine fixa un instant Yuna, puis soupira et finit par tout retirer avant de se coucher sur le lit. Yuna vint de placer à califourchon au-dessus d’elle, puis commença à passer ses mains sur son dos.
— Ça… va ?
— Tu as des mains très douces. Oui, j’ai l’impression que ça fait de l’effet juste là.
— Ici ?
— Oui. Oui !
La capitaine rougit et enfoui sa tête dans un coussin alors que Yuna appuya sur son flanc. Le silence dura quelques minutes, entre-coupés de quelques gémissements discrets ; Akemi réagissait aux massages.
— Tu… tu es très tendue. Tu iras mieux après…
— Merci, Yuna. Ton aide m’est précieuse. Je ne regrette pas un seul instant de t’avoir libérer.
— Mer… ci…
Sur ces mots, Yuna se pencha en avant, le visage empourpré. Son imposante poitrine écrasa sur le dos d’Akemi, elle déposa un bisou sur sa joue en passant par l’angle mort de son œil blessé.
Cette attaque-surprise prit de court la capitaine qui sursauta.
— Désolée… je t’ai surprise…
— Non, c’est bon. Pas grave… Mais…
— C’était un remerciement.
Akemi soupira et enfonça à nouveau sa tête dans le coussin. Yuna sourit timidement et reprit sa tâche.
— Si ça peut t’aider… je peux écouter tes soucis… peut-être que j’aurais quelque conseil… Enfin, des idées qui t’ont échappées…
— Pourquoi pas ?
Akemi lui expliqua ce qui se passait à bord, elle lui parla du tueur, en lui donnant les détails et lui expliquant les suspicions qui pesaient sur les syrens.
— C’est… peu probable que ce soit… une d’entre nous…
— Sur quoi tu te bases pour dire ça ?
— Ce sont toutes de gentilles filles.
— C’est un peu léger comme argument, Madame l’Avocat de la défense.
Yuna sourit gentiment, elle était consciente que ce n’était pas une preuve.
— Les syrens ne sont… presque jamais seules. Elles sont par binômes. Difficile de faire quelque chose comme ça sans être vue…
— C’est vrai. Donc ce ne serait pas une syren… ?
— Ou alors une qui puisse évoluer seule.
Akemi réfléchit à cette idée. Depuis le changement de pouvoir à bord, la répartition des chambres avait un peu modifié.
Iris partageait sa chambre avec Isabel auparavant, mais devenu commandante, elle avait sa propre cabine. Pour sa part, Isabel avait pris la place de Mégane dans la chambre de Fulvia.
Iris était donc seule.
Everly avait déménagé ses affaires pour rester avec Maëwenn qui était blessée. Tout le monde avait compris que cela n’avait été qu’une excuse, elle voulait éviter de rester avec Violaine dont personne ne comprenait réellement les intentions.
À l’heure actuelle, Sister était en prison, Fulvia était donc seule également.
Au final, Violaine, Fulvia et Iris pouvaient être des suspectes.
Néanmoins, Iris était la commandante, les probabilités qu’elle veuille se venger des mutins à travers ces odieux crimes était impensable. Akemi avait confiance en Iris, elle était mentalement la fille la plus stable à bord.
Fulvia… elle adorait la violence et le meurtre, elle ne s’en était jamais cachée. Elle avait embarqué pour tuer des monstres et se défouler, c’était ce qu’elle avait toujours mis en avant. Mais les premiers meurtres avaient commencé avant même l’emprisonnement d’Isabel, donc la période où elles étaient en binôme.
La possibilité qu’elles se fussent couvertes l’une l’autre n’était pas à exclure, mais Isabel avait eu le cran de demander son propre emprisonnement, cela aurait été incroyable qu’elle veuille cacher une chose aussi sournoise.
Il restait donc Violaine.
— Quelqu’un de mystérieux et solitaire… Mais pourquoi Violaine ferait une telle chose ? se demanda à haute voix Akemi.
— Violaine… ? Oui, c’est vrai qu’elle est… je n’ai pas envie de médire sur elle, elles sont toutes gentilles…
— Dis-le, s’il te plaît.
— Elle est bizarre. L’autre soir… je l’ai vue parler toute seule… En fait, elle parlait… aux vagues.
— Ouais, elle a toujours fait des choses du genre.
— C’est donc normal ?
— Bien sûr que ça ne l’est pas ! Mais je veux dire, ça ne m’étonne pas trop. Elle affirme entendre la voix des océans.
Yuna garda le silence un instant.
— Et que lui dit-elle ?
— Ah ça ! À part elle, personne ne le sait.
— Je… je… je me trouve bien impertinente de le penser, mais… Akemi… aimerais-tu que je t’expose mon idée ?
— C’est juste une idée, ça ne veut pas dire que je vais la suivre. Nous sommes entre nous, n’hésite pas autant.
— Merci pour ton infinie gentillesse, ma Akemi. Tu… es la seule qui tienne à moi… je ne sais pas ce que je ferais sans toi…
— Tu es une fille sensible et fragile, c’est normal que je vienne à ton secours. Inutile de me remercier autant.
Yuna se coucha à nouveau sur le dos d’Akemi et posa sa tête entre ses omoplates.
— Tu… tu es obligée de porter tellement de choses sur ces pauvres épaules… Si seulement je pouvais t’aider à mon tour.
Le rythme cardiaque d’Akemi accélérait. Quel était donc cet étrange sentiment en elle ?
— Et cette idée ?
— Ah oui ! Et si… j’insiste sur le « si »… Et si la voix de l’océan lui disait que la muti… le changement de capitaine était une mauvaise chose… ? Et si elle lui demandait de verser le sang au nom des dieux des océans… ne le ferait-elle pas ?
Akemi resta sans voix. Elle ne s’était jamais interrogée sur ce qu’entendait Violaine. Elle l’avait classée dans son esprit en tant qu’originale sans chercher à creuser davantage.
— En plus… il n’est pas impossible qu’elle entende la voix de quelque Puissant Ancien. Cette voix, c’est un peu comme ceux qui… entendaient Dieu, non ?
— Et qui entendaient en réalité des Anciens… Oui, tu as raison ! Violaine est suspecte, assurément !
— Ce n’est peut-être pas elle quand même…
— Bien sûr ! Mais c’est une piste qui mérite d’être creusée. Merci, Yuna !
Sur ces mots, Akemi se retourna et fit face à sa masseuse. Elle lui renvoya un sourire délicat et timide.
— De rien, Akemi.
Akemi lui posa le doigt sur les lèvres, puis lui caressa le visage.
— Désolée, je vais devoir aller voir Iris de suite, il faut que je lui en parle.
Yuna s’approcha des lèvres d’Akemi et colla les siennes contre. Le baiser dura un long moment, puis Yuna s’écarta et laissa Akemi se rhabiller.
— Je ne veux pas que tu partes…
— Je n’ai pas le choix : je suis la capitaine.
— Je sais… J’espère que vous trouverez le coupable rapidement, tu me manques déjà.
— Nous le trouverons, je te le promets ! Tu peux rester ici si tu veux, fais juste en sorte que les autres ne te voient pas, OK ?
Yuna hocha la tête et s’approcha d’Akemi qui allait partir. Elle lui prit la main.
— Bonne chance !
Akemi sourit tendrement, puis quitta la cabine avec la tête légère, cotonneuse. Une fois dans la coursive, elle passa ses doigts sur ses lèvres avec un sourire songeur.
— J’ai… J’ai du travail !
Elle s’empressa de remonter chercher Iris en enfouissant dans ses souvenirs ce qui venait de se passer.
Il fut décidé que Violaine serait sous surveillance cachée et dormirait à partir de là dans la cabine d’Iris. Bien sûr, rien ne fut expliqué à la suspecte qui ne posa même pas de question.
***
Le soir-même, une forte tempête frappa l’Akatsukiyami.
Dans la passerelle de navigation, l’ambiance était morose. Le tueur courait toujours et les hautes vagues n’étaient pas pour rassurer. La dernière fois que le navire avait essuyé pareille tempête, ils étaient tombé dans une embuscade des Anciens et avaient manqué de tous mourir.
— Pourquoi Violaine ne m’a rien dit ? marmonna la capitaine.
À ses côtés se trouvait Yuna. Les autres syrens étaient dans la salle de repos.
— Vous… vous ne lui faites pas confiance… elle a dû le prendre mal, capitaine.
— Je n’ai pas dit que c’était la coupable non plus.
— Mais tout le monde a remarqué qu’Iris la suit comme son ombre… La rumeur a vite circulé… À bord tout le monde la pense coupable. Certains marins lui ont même craché dessus…
— Je ne pensais pas que ça prendrait de telles proportions.
Le bruit dans la passerelle était si fort que seules les personnes les plus proches entendaient la conversation.
— Bah, traversons déjà cette bourrasque et nous aviserons après. Je présenterai mes excuses à Violaine…
— Néanmoins, à ce stade, rien ne dit que vous ayez eu tort non plus. Je répondais simplement… à votre précédente question…
Akemi leva les épaules et soupira.
— Capitaine ! La commandante Iris vous appelle ! Dois-je vous la transmettre ?
— Iris ? Oui, passez la moi.
Iris utilisait les nombreux téléphones à bord pour communiquer. La capitaine prit son propre combiné et demanda :
— Il y a un problème ?
— Oui… en un sens… Violaine s’est échappée. Je l’ai accompagnée jusqu’aux toilettes et elle a profité d’un moment de relâchement de ma part pour s’enfuir. Je ne sais pas où elle est actuellement.
— Pfff ! Pars à sa recherche, je vais faire de même !
— Et si… Si elle se jette à l’eau ? Dois-je la poursuivre ?
— Tu es incapable de la suivre. Je te préfère à bord. Fouille les cales, j’ai peur que par vengeance elle ne cherche à nous couler. Je m’occupe des ponts.
— Entendu !
Elle raccrocha.
Akemi se tourna vers Tanigawa un peu plus loin et lui cria :
— Second, prenez la relève. J’ai une affaire urgente à régler.
Le second acquiesça et Akemi se dirigea vers la sortie lorsque la main de Yuna la saisit.
— Je… je peux aider à quelque chose ?
— Non, c’est bon. Reste ici et téléphone-moi si quoi que ce soit de neuf se produit. J’ai besoin que tu sois mes yeux et mes oreilles sur cette passerelle, OK ?
Yuna l’observa un bref instant, puis hocha la tête.
Rapidement Akemi se rua vers l’escalier pour descendre. Elle avait le pressentiment que quelque chose allait se passer cette nuit… un mauvais pressentiment.
À peine à l’extérieur, le vent manqua de l’emporter et le tangage du navire de la faire tomber. La pluie était si forte que le pont était devenu glissant. La visibilité était particulièrement mauvaise aussi.
Elle décida de se transformer pour palier à tout cela et se mit à courir à la recherche de Violaine.
Elle ne tarda pas à la trouver à l’extrémité de la poupe, elle était prête à sauter.
— Alors c’était toi la coupable ?
Violaine se retourna avec un sourire énigmatique. Ses cheveux collaient à sa peau, elle était trempée.
— Si je te disais « non », me croirais-tu ?
Akemi se dispensa de répondre, elle mit sa main sur le pommeau de son katana à la place. Au cœur de cette tempête, toutes les deux criaient plus qu’elles ne parlaient pour s’entendre.
— Lors d’une chasse à la sorcière, les bons arguments ne servent à rien. Le coupable est déjà désigné !
— Ce n’est pas une chasse à la sorcière !
— Non, c’est une descente dans la folie ! Tout a commencé quand tu as rencontré Yuna ! Cette fille a un mauvais fond !
Akemi grinça des dents. Encore une partisane de Kayomi qui médisait sur Yuna, cette fille adorable, victime du sort.
— Trêve de bavardages !! Ne m’oblige pas à venir te chercher, Violaine !! Je suis transformée, tu ne l’es pas, je peux te transpercer en moins de temps qu’il ne te faudrait pour prendre ta forme de combat.
Violaine écarta les bras et fixa Akemi.
Cette dernière hésita, un simple petit instant : une vague plus haute que les autres frappa la poupe et passa par-dessus le bastingage, recouvrant aussi bien Violaine qu’Akemi. Le navire entier chavira un instant, il s’agissait sûrement d’une vague scélérate.
Lorsque Akemi rouvrit les yeux, Violaine n’était plus là : elle avait été emportée par les flots. Instinctivement, elle courut jusqu’au bout de la poupe pour jeter un coup d’œil dans l’eau, mais elle ne put distinguer aucune silhouette.
— Tu le savais… Merde !
Violaine, même sans se transformer, paraissait disposer d’une aptitude à détecter la météo. Hasard, intuition ou réels pouvoirs, personne n’avait réellement pu le déduire.
L’ancienne capitaine lui prêtait souvent l’oreille, la tenant pour une sorte d’oracle des océans.
Si elle avait réellement prévu une telle vague à cet instant, aucun doute qu’il s’agissait de pouvoirs magiques.
— Qu’est-ce que je dois faire ?
Akemi était suffisamment rapide pour la suivre dans les profondeurs, mais cela signifiait abandonner le navire avec le risque de ne plus le retrouver.
Elle grinça des dents et décida d’abandonner la poursuite.
Plus tard, lorsque le navire sortit de la tempête, la capitaine tint un rapide discours devant l’équipage :
— Il semblerait que la personne à l’origine de ces odieux meurtres n’était autre que Violaine. Elle a prit la fuite pour échapper à sa sentence. C’est regrettable, mais nous n’aurons plus à nous en inquiéter à présent.
Les réactions des marins exprimaient leur soulagement, mais également leur indignation. Rapidement, les murmures accusaient les syrens d’être instables et folles. Mais la capitaine ne prêta nulle oreille à ces allégations et, pour cause, elle avait encore quelque chose à déclarer à l’équipage.
— Il vaut sûrement mieux annoncer une bonne nouvelle… puis la mauvaise, lui avait conseillé Yuna avant son discours.
Elle prit une profonde inspiration et un air autoritaire.
— J’ai néanmoins une autre nouvelle à vous annoncer. En raison de la tempête et des différents orages de ces derniers jours, notre cap a été modifié. Nous sommes actuellement à moins d’une journée de la localisation du trésor…
Quelques exclamations s’élevèrent pour exprimer leur mécontentement, mais la capitaine poursuivit.
— Il faut attribué cette dérive à une malédiction plus qu’à notre incompétence. La cité d’Ys nous appelle, nous ne pourrons nous soustraire à son attraction.
C’était la première fois qu’elle inventait un tel mensonge. Bien sûr, elle était la seule responsable du fait que le navire s’en fut autant rapproché, mais seule une poignée de personne étaient au courant. Parmi elles le maître de navigation, Nagano et Tanigawa, mais aussi les syrens.
Tanigawa avait tout de suite compris la nécessité de satisfaire à la fois les syrens et les membres d’équipage. Motivé soit par la peur soit simplement désireux d’éviter encore plus de conflits à bord, il avait assuré qu’il valait mieux faire ce détour.
Nagano s’était montré plus réticent à l’idée de mentir à l’équipage, mais lorsque Akemi avait proposé de donner une part conséquente du butin aux trois commandants présents en échange de leur silence, il avait abandonné sa résistance.
Akemi s’était entraînée à ce mensonge avec Yuna. Elle lui avait fait remarqué que tout mettre sur la faute de la tempête était suspect, alors que le paranormal se justifiait bien plus facilement dans le monde actuel. De plus, c’était le domaine d’autorité des syrens, les marins seraient obligés de leur prêter autorité.
— Nous ne nous en débarrasserons pas avant d’en avoir trouver la source. La capitaine Kayomi nous avait bien caché tout cela. Lorsqu’elle a ouvert la carte, elle a scellé le destin du navire et de son équipage ! Mais je vous promets de vous ramener à bon port ! Nous allons visiter la cité engloutie, lever la malédiction et retrouver notre liberté !
Cette version fut facilement acceptée, les marins se mirent à hurler leur joie d’avoir des syrens à bord pour les sortir de ce mauvais pas, ils les encouragèrent même.
Bien sûr, ils avaient tous peur, personne ne pouvait réfuter qu’une malédiction était possible dans ce monde rempli d’Anciens ; les syrens étaient leur seul espoir de survie, le seul auquel ils pouvaient se raccrocher.
Cette nuit-là, en allant rendre visite à Yuna pour la remercier de ses conseils qui avaient permis de faire en sorte que le discours se passe bien, cette dernière lui tendit un parchemin plié en quatre.
— J’ai… trouvé ça dans les affaires de la capitaine. C’est dans la langue des Anciens… je ne sais pas la lire.
Akemi inspecta la page, c’était celle qui accompagnait la carte au trésor et qui avait été cachée par Kayomi.
— Qu’est-ce qu’elle faisait avec ça ?
— Je pense que c’est lié au trésor de la cité d’Ys. Regarde ce symbole, c’est le même que sur la carte…
— En effet… Je verrai demain si quelqu’un en sait plus. Merci Yuna, pas seulement pour ce parchemin mais pour tout. Tu m’es vraiment d’un grand secours.
— Allons, ce n’est rien… Celle qui m’a sauvée, c’est toi et uniquement toi…
Akemi sentit une certaine fierté en elle, mais elle était de plus en plus fatiguée ces derniers jours. Elle commençait à sincèrement détester le rôle de capitaine. Cependant, c’était le seul qui lui permettait de protéger ceux qui devaient l’être.
Elle s’endormit une fois de plus aux côtés de Yuna ou plutôt dans ses bras.
Le lendemain après-midi, toutefois, un nouveau cadavre fut retrouvé. Pour ne pas propager la panique, surtout après l’annonce concernant la malédiction, Akemi ordonna de faire taire cette découverte.
Elle profita de la capture d’un voleur dans les cales pour lui faire porter le chapeau.
— Pour ces odieux crimes envers l’équipage, je te condamne à la planche. Ne reviens jamais à bord, malheureux !
— Mais… je n’ai rien fait ! Je… ne veux paaaaas !!
Poussé par-dessus le bastingage, le marin tomba dans des eaux infestées de requins et rapidement l’eau se tinta de rouge.
L’Akatsukiyami n’était plus qu’à quelques mille marins de la cité engloutie. Le ciel était noir comme charbon, la mer déchaînée et de plus en plus de requins tournaient autour du bâtiment.
Les marins étaient terrifiés, à tel point que la culpabilité du pauvre malheureux ne fut même pas un instant remise en cause, pas plus que la cruauté de son châtiment.
Toutes les syrens présentes sur le pont scrutaient l’horizon.
— Ce sera bientôt à nous de jouer. Je compte sur vous, mes chères amies.
Elles n’étaient plus très nombreuses à présent : Iris, Yuna, Maëwenn, Everly et Fulvia en plus de la capitaine.