Magical Syrens – Epilogue

Dans la cabine de la capitaine.

Assise sur le lit, enveloppée d’une couverture, les jambes ramenées vers elle, Maëwenn pleurait.

En face d’elle, affichant une expression sincèrement peinée et à la fois confuse se trouvait Iris.

— Désolée de t’avoir fait subir ça… Nous aurions aimé te sortir de là plus tôt, mais il nous fallait un plan…

Maëwenn continuait de sangloter sans répondre.

Iris voulut la réconforter en lui caressant la tête, mais sa vive réaction de dégoût et de rejet la fit se raviser.

— Je vais te faire un peu de thé chaud, ça te fera du bien. Ou tu préfères du chocolat chaud ?

— Cho… co…, répondit d’une voix à peine audible la jeune femme.

Les draps qu’elle utilisait pour couvrir sa nudité étaient sales : des traces de sang s’y étaient incrustées, ainsi que d’autres tâches suspectes.

Mais dans l’état de choc où elle se trouvait, Iris n’essaya même pas de lui en proposer un propre.

La cabine de la capitaine était équipée d’une bouilloire électrique, elle fit chauffer l’eau et prépara le chocolat dans une tasse en y ajoutant du sucre. Iris estimait qu’un peu de goût sucré ne pouvait faire que du bien à la jeune femme, après ce qu’elle avait subi.

— Tiens !

— Mer… ci…

Maëwenn tira timidement un bras de ses couvertures et commença à boire. Cela calma un peu les larmes qui ne cessaient de s’écouler et arrêta temporairement les sanglots.

Iris s’assit sur une chaise voisine et garda le silence quelques temps. Elle ne savait comment aborder le problème.

Elle avait dû rassembler tellement de courage pour en arriver déjà là qu’elle n’avait pensé à la suite.

— Elle… elle ne te causera plus de souci, finit-elle par dire d’une voix hésitante. Nous sommes bientôt arrivées à terre, nous irons expliquer tout cela à l’organisation. Je doute qu’Akemi puisse un jour naviguer sur un navire du conglomérat et encore moins continuer à exercer en tant que syren.

L’évocation de son prénom fit écarquiller les yeux de Maëwenn, des tremblements agitèrent son corps, elle manqua de renverser le chocolat chaud qu’Iris lui prit immédiatement des mains.

— Désolée, je n’aurais pas dû…

— Vous… vous… m’avez sacrifiée… Aaaaaahhhhh !

— Comprends que nous n’avions pas le choix ! J’aurais bien pris ta place, mais elle t’avait choisie ! Nous avons tout fait pour te tirer de là, la preuve, tu es libre à nouveau !

Maëwenn finit par crier plus fort encore et par sauter dans les bras d’Iris. Les couvertures glissant de son corps dévoilèrent son corps meurtris, couverts d’hématomes, d’entailles et diverses brûlures.

Iris, malgré l’odeur dégagé par Maëwenn et le dégoût que lui inspirait son état, l’enlaça avec tendresse et lui caressa la tête.

— Tout est fini à présent… Tout est fini…

Il fallut près d’une heure pour que Maëwenn cesse de pleurer et s’endorme. Iris l’habilla sommairement et l’amena à l’infirmerie de bord.

— Ne regardez pas aux moyens. Soignez-la ! Et faites disparaître ses cicatrices, je vous prie.

— Oui, bien sûr, capitaine !

Le docteur en chef lui fit un salut militaire avant de tirer le rideau et d’appeler les infirmiers en criant.

Iris quitta la pièce en soupirant longuement et en grommelant sa frustration. Une fois dans la coursive attenante à l’infirmerie, une petite silhouette s’approcha d’elle et entra dans le faisceau de lumière.

— Trois capitaines en une semaine… J’suis stupéfaite que cet équipage arrive encore à t’appeler comme ça.

Il s’agissait d’Isabel, elle était sortie de prison.

— J’avoue… Cela dit, peu m’importe si on ne m’appelle pas « capitaine » ou non, je veux juste conclure cette expédition infernale. Et, sincèrement, à leur place j’aurais du mal à le faire aussi.

— À leur place, tu le ferais sans hésiter. J’te connais, Iris. Tu aimes suivre les ordres et aimes la chaîne de commandement.

Iris se mit à marcher, Isabel la suivit en se plaçant à ses côtés.

— Tu n’as sûrement pas tort… Cette idiote aurait mieux fait de s’en tenir à notre première hiérarchie au lieu de trahir la capitaine Kayomi.

— Elle a été empoisonnée par cette traîtresse, au fond ce n’est même pas vraiment sa faute…

— Pour quelqu’un qui était en prison, tu es bien informée.

Isabel alluma une cigarette.

— Je l’avais prévenue en plus : Yuna était toxique. Elle a pas voulu écouter. J’ai jamais demandé à la cap’taine Kayomi mais j’sais qu’elle avait de bonnes raisons de faire ce qu’elle a fait. Elle nous aimait vraiment comme sa famille, à nous autres syrens.

— Tu n’as jamais douté d’elle ?

— Bien sûr que oui… J’ai grandi dans un milieu de pourris, j’ai appris à me méfier de tous. Mais c’est justement les fruits qui semblent les plus moisis en surface qui se révèlent parfois les meilleurs et les plus sains. Quoi qu’il en soit, je plaiderai en ta faveur auprès de la guilde.

— Merci beaucoup… J’hésite cela dit à arrêter ce métier.

— Tu aurais tort, les syrens ont besoin de filles stables comme toi.

Iris grimaça et dit ironiquement :

— Stable, c’est une manière polie de dire « normale » ou « sans personnalité », c’est ça ?

— Interprète-le comme tu veux, mais moi j’t’aime bien. J’pourrais même passer quelques nuits avec toi.

— Sans façon ! Les filles ne sont pas trop mon truc…

— Hahaha ! Quand tu changeras d’avis, l’invitation tiendra toujours. En tout cas, j’pense que tu as pris la meilleure décision : tu n’aurais pas pu régler ça autrement.

— Merci.

Même si elle avait son approbation, Iris se sentait coupable et misérable d’avoir fait endosser le mauvais rôle à Maëwenn. Elle n’avait pas menti, elle aurait préféré être à sa place que de supporter cette souillure qui collait à présent sur sa peau. Les paroles d’Isabel la réconfortèrent un peine après ce qu’elle venait de vivre avec Maëwenn.

Tout en discutant, les deux syrens finirent par atteindre le pont supérieur. Une soudaine bourrasque les obligea à se tenir accrochées, mais elle cessa aussitôt.

Le ciel était dégagé et le soleil brillait comme jamais. Dans quelques jours, elles seraient de retour à Brest.

***

Couchée sur son lit d’hôpital, à demi-consciente, Maëwenn ressassait pour la énième fois son passé.

La brutalité qu’elle avait subi quelques jours durant des mains d’Akemi lui avait fait retrouver la mémoire.

Elle n’était pas une fée. Il n’y avait jamais eu de coquillage, pas plus qu’elle n’avait entendu la voix de Dahud.

Au contraire, c’était la voix du diable qui lui avait chuchoté à l’oreille et c’était ses pouvoirs qui l’avaient transformée.

Tout était flou, remplit de mystères.

Elle avait vécu dans un petit village côtier en Bretagne. Elle ignorait son nom, malgré les années qu’elle y avait passé.

Son enfance fut heureuse, ses parents l’aimaient, les villageois l’aimaient. Mais elle avait une santé fragile, elle avait dû se soumettre parfois à des examens et opérations médicales.

Heureusement, une certaine société pharmaceutique avait installé un laboratoire de campagne non loin, elle avait pu bénéficier de tous les soins dont elle avait pu avoir besoin.

Mais un jour, son fragile bonheur prit fin alors que des Profonds jaillirent des flots et tuèrent tous les villageois : femmes, enfants, personnes âgés, personne ne leur échappa.

À l’exception de Maëwenn.

Cachée sous le plancher, elle avait entendu des heures durant les cris autour d’elle. Prostrée dans cet espace restreint, sombre, poussiéreux, elle avait entendu les voix de ses parents torturés par ces horribles créatures.

Elle était tombée inconsciente.

Mais à son réveil, tout était redevenu normal. Elle avait mal compris la situation, les villageois avaient lutté et avaient repoussé les Anciens.

C’était ce qu’elle avait cru dans sa bonne foi d’enfant. Son esprit avait refusé de croire la dure réalité et avait créé cette illusion.

Pendant des semaines, elle avait vécu seule au milieu de cadavres avec qui elle avait interagi comme s’ils avaient été vivants.

Son rêve avait pris fin alors qu’une mahou senjo était arrivée au village.

Les premières heures, elle s’était montrée compréhensive et aimable, elle était même entrée dans le « jeu » de Maëwenn, interagissant avec ces villageois illusoires, mais soudain elle avait fait tomber son masque.

— Tu vas cesser ces pitreries ? Ouvre donc les yeux ! Accepte la douleur et va de l’avant !

— De… quoi parlez-vous ?

— Tu ne vois pas qu’il n’y a ici que des cadavres ? Ceux-là sont remplis de vers et d’asticots. N’étaient-ils pas ta famille ?

Maëwenn avait eu beau regardé, elle ne voyait que ses parents souriant.

— Je ne comprends pas… Je vous remercie d’être venue, mais pour les affaires compliquées, il vaut mieux que vous alliez voir avec les adultes…

La mahou senjo avait soupiré longuement, exaspérée. Puis, passant d’un sentiment à l’autre, elle s’était mit à rire, un rire forcé et malsain.

— Je vois… Il faut donc te forcer un peu la main… Si ce drame n’est pas assez pour que tu ouvres les yeux, je vais arrêter les civilités.

Maëwenn avait été impuissante à lui faire face. Contre cette femme dont la force la dépassait complètement, elle n’avait pu que serrer les dents, subir la douleur et l’humiliation en attendant qu’elle s’arrêtât.

Pendant qui sait combien de temps, elle avait subi les tortures de cette mahou senjo. Elle était tombée inconsciente plusieurs fois, était revenue à elle pour être torturée à nouveau.

Puis, une chose inattendue s’était produite.

Elle s’était réveillée nue sur la plage, son état totalement amoindri.

Elle avait contemplé longtemps les vagues, incapable de réagir. Elle avait essayé de recomposer sa personnalité.

Quelque chose avait changé en elle.

Elle avait des pouvoirs. Elle était devenue une mahou senjo.

Mais si son corps s’était métamorphosé et avait accepté ses nouveaux pouvoirs. Mais son esprit n’était pas remis des tortures : il enfouit profondément la souffrance et remplaça le vide par des pensées positives.

C’était ainsi que le coquillage qu’elle avait vu hors de portée de main était devenu la raison de sa transformation. C’était ainsi qu’était arrivée à son oreille la voix de Dahud.

— Tout cela était faux…, pensa-t-elle dans son rêve. Que… qu’ai-je fait pour mériter tellement de douleur ?

Pendant l’opération qu’elle subissait ses yeux déversèrent tellement de larmes.

***

Sur une plage, sur une île inconnue de l’Atlantique.

Akemi était assise et observait les vagues.

Le soleil brillait au-dessus de sa tête. Elle avait soif. Elle était seule à l’ombre d’un arbre et, à ses pieds enfoncé dans le sable, un Glock 18.

— Enfoirée d’Iris, la prochaine fois que je te vois je te ferais comprendre ta trahison !

Furieuse, elle se leva et frappa l’arbre où elle était adossé.

Il n’y avait rien sur cette île, elle ne mesurait que quelques centaines de mètres et, mis à part quelques arbres et fougères, on ne pouvait aucune végétation.

Elle était loin d’avoir atterrit sur l’île de Robinson Crusoé, toute la bonne volonté du monde et les meilleurs compétences de survie ne permettrait pas à un être humain d’y vivre bien longtemps.

Bien sûr, elle n’était pas un simple être humain, elle était une syren.

Elle avait toujours la possibilité de se transformer et partir loin de là, mais…

— Ils sont là… je le sens… Ils sont partout.

Un peu plus loin gisait le cadavre d’un Profond. Elle était persuadée que l’île était entourée d’ennemis. Ils devaient se regrouper pour une attaque massive.

Elle se rassit et observa à nouveau ce pistolet. Il n’avait qu’une seule balle, celle chargée dans la chambre. Il ne servait pas à se défendre.

— Comment as-tu pu ? Je… je n’aurais jamais assez de haine pour toi, traîtresse !!!!

La dernière chose dont se souvenait Akemi était d’avoir bu au point d’être ivre morte.

Après la mort de Yuna, son esprit s’était brisé. Elle avait pris Maëwenn comme souffre-douleur, l’avait torturée des jours durant. Elle avait passé son temps à boire, manger, avait laissé la direction du navire au second Tanigawa et était restée dans la cabine de la capitaine Kayomi, bien équipée pour ce qu’elle souhaitait accomplir.

Iris et Fulvia s’étaient pliées à la situation, elles n’avaient eu d’autre choix, Akemi était plus forte que toutes les deux réunies.

Elle avait songé à les tuer, elle ne supportait plus de voir leurs visages hypocrites. À cause d’ellse, Yuna n’était plus…

— Yuna… tu étais la seule qui comptait pour moi… Ce monde a perdu sa saveur…

Son cœur était vide. Ou plutôt, les bons sentiments l’avaient déserté. La rage et le mépris l’emplissaient entièrement à présent.

— Où est-ce que vous êtes ? Ou plutôt où suis-je ? Si seulement, je le savais, je me mettrais à vous traquer et je vous ferais comprendre la gravité de vos actes, sales mutins !

Quelque chose avait été mélangé à son alcool, sans aucun doute. Peut-être même que le but initial avait été de la tuer avec ce poison, mais son corps de syren avait résisté.

À son réveil, elle était couchée sr le sable, sur cette minuscule étendue de terre, au milieu de nulle part.

Si elle avait au moins une vague idée de l’endroit où elle se trouvait, elle pourrait tenter de rejoindre la côte à la nage, mais…

— Je n’ai pas le choix. Je vais partir vers l’est et j’arriverais où j’arriverais.

Prenant cette décision, elle esquissa un sourire cruel. Elle saisit le pistolet, l’observa un instant, puis le jeta au loin.

— Je n’ai pas besoin de ta pitié, salope ! Tu aurais dû me tuer quand tu en avais l’occasion, je ne te ferais pas de quartier !

Son visage était horriblement déformé, elle ne ressemblait plus du tout à la même personne qui avait embarqué sur l’Akatsukiyami quelques semaines auparavant, cette femme sérieuse, mesurée et bienveillante.

Elle se dirigea d’un pas décidé vers la pointe est de l’île tout en se transformant.

— Voyons voir qui me tuera la première : la soif, la faim ou bien ces enfoirés qui rôdent autour de l’île ?

Elle se tourna pour faire face au soleil. La nuit ne tarderait pas à tomber, ce qui voulait dire qu’il se trouvait à l’ouest. En prenant la direction opposée, elle était assurée de se diriger vers l’Europe.

Mais combien de centaines de kilomètres la séparait encore de la terre ferme ?

Si elle épuisait tout son pouvoir en pleine mer, forcée de reprendre sa forme normale, elle mourrait déshydratée ou dévorée vive par des requins.

— Ça vaut toujours mieux que de laisser Iris gagner. Je ne mourrais pas où tu l’aurais décidé.

Son pied foula quelque chose d’enfoui dans le sable.

Une pierre ? Un coquillage ? Une bouteille ?

Akemi s’arrêta et creusa pour le déterrer. Elle découvrit un petit objet tubulaire vert. Aussitôt, ses yeux s’écarquillèrent et elle éclata de rire.

— HAHA HAHA HAHA HAHA HAHA HAHA HAHA !!!

Elle serra dans sa main cette imposante douille, du calibre 12 utilisé par les fusils de chasse ou les fusils à pompe.

— Tu es donc encore en vie ? MONSTRE !! Hahahahaha !

Personne n’aurait pu observer Akemi et la penser saine d’esprit à cet instant. Sa manière de se contorsionner, son rire, tout révélait sa démence.

— Changement de plan : Iris la salope, tu attendras. La saison de la chasse au monstre reprend ! On va bien s’amuser : KAYOMIIII ! Hihihihi !

Le soleil commençait à disparaître sous la ligne d’horizon. Le ciel se teintait d’une lueur rouge sang. Le rire se mélangeait au bruit des vagues et se perdait dans l’immensité de l’océan.

MAGICAL SYRENS – FIN

Merci pour votre lecture !