Magical Tankgirls – Chapitre 1

Après avoir repris leurs forces suite au dernier combat, le tank T-90 fut réparé et les filles se mirent en attente de nouveaux ordres de mission.

— Ils sont longs à nous recontacter, vous trouvez pas ?

— Je parie qu’ils sont en train de réfléchir au pire endroit pour nous affecter…. Tssss ! déclara Ludmila en faisant claquer sa langue.

— Toujours à te plaindre… et moi je travaille, dit Elisaveta.

Il avait fallu une bonne heure pour qu’elles reprennent suffisamment leurs forces pour réparer leur tank. Elles avaient bien sûr signalé leur situation au QG qui leur avait ordonné de reprendre leus forces et d’attendre leurs prochains ordres.

Elles ignoraient comment avait progressé le front, il n’y avait aucun allié dans les environs. À force d’attendre, l’après-midi était bien avancé.

— Tu devrais venir te détendre avec nous, lui proposa Nadezhda. Elle ne va pas s’enfuir ta radio.

— Je crois qu’il manque un concept à ta perception du poste d’un communicateur-radio, chère Nadya.

Sur ces mots, Elisaveta reprit une gorgée de sa fiole mystérieuse et remarqua quelle était malheureusement vide ; son ventre gargouilla soudainement, suffisamment fort pour être entendu à travers les communicateurs.

— Attends, Lisa, je vais t’apporter à manger…, dit Anna qui se trouvait avec les deux autres filles à l’extérieur.

— Non, c’est bon. Ça ira…

Malgré le froid, les filles préféraient profiter de l’air frais tant qu’elles le pouvaient. Mais Elisaveta était obligée de guetter les communications entrantes, elle ne pouvait quitter son poste.

— Encore perdu ! T’es trop balèze aux jeux de cartes, j’hallucine !

— Tout est question de logique. Il suffit de calculer les cartes. Même l’irrationnel devient rationnel avec un peu de mathématiques. Héhé !

— Y a que toi pour arriver à faire ça, tu sais ? demanda Anna à Nadezhda.

Elle posa ses cartes devant elle en soupirant. Nadezhda gagnait presque toujours, c’était devenu lassant de jouer contre elle.

Les trois filles utilisaient la carrosserie du T-90 comme table de jeu. Elles n’avaient malheureusement rien de mieux à faire.

Nadezhda posa ses cartes et tendit une boîte grise en plastique avec une étoile rouge peinte dessus à Anna. Il s’agissait des rations journalières de l’armée, la boîte était à moitié entamée. Nadezhda s’étira, prit un biscuit qu’elle enfourna dans sa bouche et prit la boîte.

— Je devrais te réprimander pour ça… mais grâce à toi, on a quelque chose à manger.

— Héhé ! Pas de quoi ! Je suis toujours là pour ça…

Puisque l’opération ne devait durer que quelques heures, tout au plus, on ne leur avait pas distribué de rations.

Le but de la bataille était de faire tomber des postes avancés ennemis pour établir une tête de pont qui servirait dans une offensive ultérieure pour conquérir Nizhny Novgorod et finalement se rapprocher de Moscou, le véritable objectif. Cela faisait des années que l’armée ukrytiyenne essayait de reprendre la ville aux mains des forces de Mharreg.

Pour des vedma comme elles, les plans à grande échelle de leur armée étaient totalement flous. Elles suivaient les ordres, même si certains étaient parfois contestables.

Comme celui de les laisser attendre au milieu de nulle part, tandis que leurs consœurs mourraient en se battant.

S’il y avait une chose qu’on apprenait dans l’armée du Tzar dès le début, c’était de ne pas remettre en cause les ordres de ses supérieurs. À ce titre, Nadezhda était une experte pour les contourner avec intelligence.

Encore en cette journée, sans que personne ne l’eut remarqué, elle avait réussi à récupérer diverses rations de survie qu’elle avait caché dans le T-90, à l’insu aussi bien de ses supérieurs que de ses alliées.

Elle ne volait pas les stocks de l’armée, ces rations devaient être jetées en raison de l’expiration des dates de conservation, Nadezhda connaissait les bonnes personnes et accomplissait un travail de récupération qui ne gênerait personne.

Cependant, emporter des provisions alors que les supérieurs l’avaient jugés inutile, leur vaudrait sûrement la détention si cela venait à se savoir.

— Moi, je suis bien contente que tu les as embarquées. Sans ça, on aurait pas pu reprendre des forces aussi vite, dit Ludmilla.

— Mais ça reste une entorse au règlement, ajouta Anna.

— Les règles sont faites pour être contournées, conclut simplement Nadezhda en souriant.

— Juste une question : c’était la dernière ?

— La dernière ? Quel drôle de concept. Je doute que ce soit la dernière fois que je mange des rations de combat de ma vie. Huhu !

Cette réponse évasive ne parvint pas à convaincre Nadezhda, mais elle reprit un biscuit. À les voir ainsi dévorer le contenu de cette ration, on aurait pu penser qu’elle était délicieuse, mais c’était uniquement la faim qui rendait son contenu meilleur. De l’avis général, les rations étaient immondes.

— Tu en as donc caché d’autres… ? T’es pas croyable ! Je vais apporter ça à Lisa, et quand je reviendrai j’espère que tu auras tout fait disparaître. Pas question de revenir à la base avec les preuves de ton crime.

— Hein ? Et si on en a besoin plus tard ?

— Nous allons rentrer à la base plus tard. C’est inutile et dangereux.

— Les jeter le serait encore plus…

Anna soupira longuement, ses épaules tombèrent en même temps que sa tête. Elle abandonna pour le moment. Elle savait à quel point Nadezhda pouvait être têtue.

— OK, OK, nous n’allons pas les jeter. Mais tu les sortiras du tank avant notre arrivée à la base. Si quelqu’un tombe là-dessus…

— Entendue, Annuska. Fuhuhu !

Après sa victoire, la jeune femme redistribua les cartes à son adversaire, Ludmila, qui grimaça :

— Je sais même pas pourquoi je joue en vrai… tu gagnes toujours. Si je n’avais pas vérifié un bon millier de fois que tu ne trichais pas…

— Tu sais que ça n’a rien d’une triche, les mathématiques sont toutes-puissantes.

— Toi et tes théories bizarres !

Anna les laissa, elle rentra dans le tank par la tourelle et s’en alla rapidement rejoindre Elisaveta qui tapotait ses doigts sur le tableau de bord agacée.

— Voici le service de chambre.

Anna lui tendit la boîte et ce qu’il restait de son contenu.

— Je ne crois pas avoir commandé ça… C’est immonde ces machins-là, tu sais ?

— Je peux comprendre, mais c’est nourrissant. Tu devrais en prendre, déjà que tu n’as pas beaucoup mangé ce matin.

Elisaveta grimaça. Elle détestait la cuisine militaire, elle avait été habituée à tellement mieux. Elle avait beau se forcer à manger, elle ne le faisait certainement pour le goût.

Néanmoins, son corps avait plus d’énergie que de raison, il réclamait à manger.

— Dire qu’au réfectoire c’est à peine meilleur…, se plaignit Elisaveta en faisant la moue.

— Tu exagères, c’est quand même carrément meilleur. En plus, Nadya n’a pris que des rations périmées.

— C’est pas ça qui va tuer. Enfin bon…

Elisaveta grimaça et prit la boîte.

— Merci, je suppose.

— Pas de quoi.

Anna lui sourit innocemment, puis posa sa main sur l’épaule de l’opératrice radio.

— Je connais les radios, tu peux manger dehors avec les filles. Il y a bien plus de place.

— Non, c’est bon. Je suis bien ici. Dehors il fait froid…

— Sûre ?

Elisaveta, agacée par l’attente qu’on leur imposait, hocha la tête. Elle appréciait le geste, mais elle ne voulait vraiment pas s’absenter.

— OK. Préviens-moi quand tu veux que je prenne la relève, j’ai les bases en communication quand même.

Mais, au moment où Anna s’apprêtait à ressortir, une notification sonore indiqua un appel.

Immédiatement, Elisaveta positionna son microphone devant la bouche et appuya sur divers boutons.

— Ici Loseva Elisaveta de l’unité 54, je vous écoute QG.

— Ici QG. Voici vos ordres de mission…

***

L’unité 54 n’eut pas vraiment le temps de se battre que soudain sur les canaux radios des différentes troupes en avant un nouvel ordre fut diffusé :

<< À toutes les unités : retraite. Je répète : retraite. Veuillez-vous rendre au point d’extraction prévu par vos compagnies respectives et attendre les nouvelles instructions. >>

Presque aussitôt, une pluie d’obus commença à s’abattre sur le champ de bataille. Ce bombardement d’artillerie visait les lignes arrières de l’ennemi afin de gagner du temps aux vedma engagées en première ligne. Contre les forces de Mharreg, une telle stratégie était un tant soit peu utile, ses troupes étaient simplement résistante aux armes conventionnelles, elles n’étaient pas immunisée ; il n’en allait pas de même avec les autres ennemis de l’Empire.

Toutefois, ce bombardement arriva un peu tard : une partie des combattantes étaient submergées en première ligne, n’arrivant pas à se défaire de leurs ennemis.

Le crépuscule était illuminé par les lueurs des explosions qui teintaient le ciel devenu blanchâtre. La neige se mélangeait à la boue et giclait en tout sens, formant une sorte de mur de fumée et de poussière. C’est au sein de ce chaos que le tank de l’unité 54 reculait, suivant l’ordre de retraite. Il n’avait eu de cesse d’enchaîner les batailles et, même dans sa fuite, son canon continuait de tirer derrière lui.

— Banshee à trois heures ! hurla Elisaveta. Bouclier !!

— Khorosho !

Une explosion d’énergie verte s’écrasa contre la puissante barrière de Nadezhda qui en chercha aussitôt l’origine du regard.

Entre les explosions, la poussière et l’obscurité, il était difficile de voir que ce fût. Malgré l’ordre, les combats se poursuivaient autour d’elles.

Une femme en armure de combat aux longs cheveux blonds et à la forte poitrine traversa un nuage de poussière et poursuivit le T-90. Il s’agissait d’un Banshee. Ce terme désignait l’une des redoutables troupes au service de Mharreg : des vedma morts-vivantes.

Si ce n’était pour sa peau grise et macabre, la lueur éteinte de ses yeux et les blessures ouvertes sur tout son corps, la poursuivante de l’unité 54 aurait pu passer pour une simple humaine. Pourtant, il n’en était plus rien, elle n’était plus qu’un pantin animée par les énergies nécromantiques. Celle qu’elle avait été jadis n’existait plus dans ce corps sans vie.

Le malheur était que les Banshee disposaient des mêmes pouvoirs qu’au cours de leur vivant. Elles gagnaient en plus la résignation d’une créature n’ayant plus rien à perdre. La magie qui les ramenait à la vie ne rendait pas leurs pouvoirs meilleurs, mais elles ne craignaient plus les blessures et se battaient avec toutes leurs forces, ce qui en faisait des ennemis redoutables.

Qui plus est, contrairement à nombre de morts-vivants composant les rangs adverses, les vedma mort-vivantes n’étaient pas décérébrées, elles pouvaient adopter des stratégies complexes et même battre en retraite.

On ignorait par quel procédé Mharreg parvenait à les relever, mais il avait été plus ou moins confirmé qu’elle ne le faisait pas en pleine bataille. C’était bonne nouvelle au milieu de mauvaises. Pour empêcher la naissance de nouvelle Banshee, l’Empire avait pris l’habitude de lancer des bombardements au napalm sur les ruines du champ de batailles, pour réduire en cendres les cadavres. Mais cette mesure n’empêchait pourtant pas d’en croiser encore sur les champs de bataille.

— Tu peux utiliser son sceau lunaire, Nadya ? demanda Anna en zigzaguant pour éviter des obstacles.

— Droit devant un barrage de zombies à 500 mètres, dit Elisaveta.

Elle observait les déplacements du sable sur son plateau pour effectuer sa divination.

— Je m’occupe de qui ? hurla Ludmila qui venait de charger un obus enchanté dans le canon.

— La Banshee ! Les zombies sont pour moi ! cria Anna en fermant les yeux l’espace d’un instant.

— Tiens bouffe ça, salope !!

Aussitôt, le canon du T-90 cracha des flammes et l’obus franchit rapidement le distance le séparant de sa cible. Mais, il vint se heurter à la barrière de la vedma mort-vivante, un mur d’énergie vert, qui désintégra l’obus enchanté.

— C’est quoi cette protection abusée ?! se plaignit immédiatement Ludmila.

— Elle est forte… Je pense qu’elle a des pouvoirs de type « plasma »… Mmm, au moins de rang A. Autant dire qu’on va toutes mourir, non ? Fufu !

— Nadya, ta gueule !! hurlèrent en chœur Ludmila et Elisaveta.

Leur ennemie volait dans les airs au moyen d’un réacteur dorsal, elle les prit en chasse. Elle fit apparaître entre ses mains deux sphères d’énergie vertes qu’elle ne tarda à leur tirer dessus.

Plutôt que faire apparaître une barrière de protection, puisqu’il s’agissait de pouvoirs de nature magique, Nadezhda employa un autre de ses « sceaux ». Elle posa ses mains sur la carrosserie du tank et fit apparaître autour d’elle un cercle magique avec des symboles ésotériques. Une magie blanchâtre enveloppa le véhicule et lorsque les projectiles entrèrent en contact avec celle-ci, aussitôt ils se dissipèrent.

C’était le sceau lunaire, une magie qui empêchait ou réduisait les manifestations magiques ennemis dans une zone de cinquante mètres autour de Nadezhda. Elle était active tant qu’elle se concentrait dessus. Grâce à sa maîtrise, elle était capable d’exclure ses alliées de sa zone d’interférence. Les attaques physiques n’étaient cependant pas affectées.

À l’approche du barrage effectué par de nouveaux ennemis, Anna finit de reconfigurer pile à temps le tank : une lame de bulldozer apparut à l’avant. Elle comptait forcer le passage plutôt que de le contourner.

Toutefois, ses adversaires ne comptaient pas en rester là. Dirigés par deux zombies évolués, le groupe de zombies se regroupèrent pour former un véritable mur humain. Pour leur part, les deux commandants épaulaient des lance-roquettes. Un peu à la manière de Ludmila, ces derniers étaient capables d’enchanter leurs armes.

— Ça va secouer ! prévint Anna dans son transmetteur.

Concentrant sa magie dans la lame de bulldozer, Anna épaissit et renforça autant que possible son blindage.

* BOOOOOOOOOMMMM *

Malgré tout, le choc fut brutal au point de creuser un trou dans la lame. Quelque chose heurta même le blindage de face du T-90, sans parvenir pour autant à le percer.

Anna, qui occupait le poste de pilotage, le point le plus avant du tank, cogna sa tête à une des parois. Le choc n’était pas violent pour l’assommer, mais elle ressentit une certaine douleur, probablement plus provoquée par cette longue journée de combat qui commençait à lui peser.

Mais l’heure n’était pas au repos, il leur fallait à tout prix franchir ce barrage. Elle n’avait d’autres choix : elle recomposa la lame de bulldozer en grinçant des dents et en prenant sur elle, puis elle accéléra.

Les deux zombies évolués n’eurent pas le temps de recharger leurs armes que le tank s’enfonça à pleine vitesse dans le barrage de zombies. Malgré leurs forces surhumaines, ils n’étaient pas parvenus à bloquer les quarante huit tonnes du T-90MS.

— Nous avons passé le barrage… han han…

La respiration d’Anna était saccadée, elle était à sec, ou presque.

— La situation est assez nulle à l’arrière, signala Elisaveta.

— Pour pas dire pourrie, la reprit Ludmila.

— En tout cas, j’aime beaucoup sa tenue, elle est classe~

— Ça n’a rien à voir, imbécile !! Aaaaaahhhh ! Si seulement mes tirs pouvaient toucher !!

En effet, après plusieurs échanges de tirs, aucun des deux camps n’avait réussi à prendre l’avantage.

Nadezhda aidait Ludmila en utilisant la mitrailleuse en tourelle, mais aussi bien l’un que l’autre se heurtaient à la barrière d’énergie plasma de leur ennemis. Les tirs étaient immédiatement réduit en cendres.

De leur côté, tant que Nadezhda avait du mana, elles ne craignaient pas non plus les projectiles de plasma.

— Je peux alourdir les obus pour qu’une partie franchisse la protection, proposa Anna.

— On pourrait également utiliser Nadya comme leurre et dévier un missile pour l’attaquer de dos.

Cette idée venait d’Elisaveta qui se rongeait les ongles depuis le début du combat.

— M’utiliser de la sorte, je vous trouve bien cruelle comme fille, mademoiselle Lisa~

Nadezhda prononça sur un ton de chant le prénom de son bourreau ; bien sûr, elle se moquait.

— Tu vas prendre la situation au sérieux, oui ?! On essaye d’élaborer un plan, bon sang… euh merde !

— Elle a décidé de pas nous laisser le temps, elle vient au corps-à-corps ! dit Ludmilla.

La vedma zombie avait en effet décidé de changer de stratégie, voyant ses tirs annulés magiquement. Elle venait de faire apparaître dans sa main une lame de plasma et s’approchait en se défendant des munitions de la mitrailleuse.

* BOOOOMMM *

Un nouveau tir de Ludmila l’obligea à interrompre brièvement son avancée.

— Plan B ! hurla Elisaveta. Freine Annuska !

La pilote avait une idée de ce que comptait faire sa camarade : elle freina brusquement provoquant un dérapage du tank dans la boue enneigée du champ de bataille.

Prise par surprise, la Banshee rata le moment où le tank se retrouva à portée, elle finit par se retrouver devant lui.

À cet instant, une silhouette quitta la tourelle et sauta droit sur leur ennemie.

— Aaaaaaaaaaahhh !

Elisaveta frappa à pleine puissance la vedma zombie, tandis qu’au même instant l’épée de plasma disparut. Un peu plus loin, Nadezhda tendait ses mains, dans leur creux divers symboles magiques étaient apparus ; le « sceau de la terre » lui permettait d’affaiblir ou dissiper une magie à vue, plutôt que de créer une zone autour d’elle.

Le poing d’Elisaveta s’abattit contre la joue de son ennemie, elle enchaîna aussitôt avec un coup de genoux dans le ventre et un coup de coude à l’arrière du crâne.

Son ennemi encaissa sans broncher les coups. Mais, lorsque Elisaveta recula pour reprendre l’assaut, manqua de peu de la toucher en plein ventre. Bondissant en arrière, les deux combattantes étaient séparées de quelques mètres seulement.

Tandis que la Banshee allait repasser à l’assaut, Elisaveta s’accroupit juste à temps pour sentir les balles de la mitrailleuse siffler au-dessus d’elle.

Mais les projectiles furent immédiatement interceptés par la barrière réactive de la vedma morte-vive. On désignait par ce terme non pas les barrières défensives actives, comme celle faite de plasma, mais une protection basique et instinctive dont disposaient presque toutes les vedma. Bien sûr, même si les barrières réactives étaient plus rapides à s’activer, elles étaient bien moins résistantes.

Les munitions de 12,7mm s’écrasèrent sur la barrière, mais cela ouvrit une ouverture à Elisaveta qui s’apprêtait à charger l’ennemi lorsqu’elle se ravisa sans raison. À la place, elle esquiva de justesse un coup de pied.

— Tssss ! T’es plus coriace que je ne le pensais… fichtre ! Euh, je veux dire : merde !

Elles commencèrent à échanger les coups de poings à une vitesse et puissance surhumaine. Un seul de ces coups aurait suffit à mettre K.O., voire tuer, même le plus entraîné des soldats.

Elisaveta, contrairement aux autres filles de l’unité, n’était pas de type « magicienne » —on désignait par ce terme les vedma orientés sur l’utilisation de pouvoirs magiques plutôt que physiques—, elle était dans la catégorie « mixte », c’est-à-dire celle disposant à part plus ou moins égale des deux types de pouvoirs.

Aussi, elle était capable de se battre en combat rapproché en plus d’avoir des pouvoirs divinatoires. Cela impliquait également que son physique était bien supérieur à celui d’un humain, même très bien entraîné.

Bien sûr, en tant que mixte, elle n’était spécialisée dans aucun des deux domaines : ses divinations étaient moins précises qu’une devin de type magicienne, et ses compétences de combats étaient inférieures à celle d’une vedma « physique ».

Mais son adversaire paraissait être du même type qu’elle, ce qui équilibrait le rapport de force.

Les deux combattantes utilisaient le même art martial : le Systema. Elles l’avaient bien sûr apprit à l’armée, il était considéré comme redoutable.

Rapidement, la vedma zombie prit le dessus ; plusieurs attaques venaient de blesser Elisaveta, tandis que celle de celles de cette dernière semblaient inefficaces.

— Donne-moi le signal, dit Nadezhda.

Elle visait avec la mitrailleuse, mais à présent les deux combattantes étaient trop proches l’une de l’autre sans qu’elle ne prenne le risque de toucher sa camarade.

— Je suis prête aussi ! cria Ludmilla.

L’un des atouts d’Elisaveta au corps-à-corps était sa chaomancie. Cette divination, basée sur les mouvement de l’air, lui permettait de disposer d’une prescience et la rendait capable de voir le futur proche. Même s’il s’agissait d’une période de temps de quelques secondes au mieux, c’était un réel avantage en combat.

Toutefois, en raison de la fatigue, elle ne l’utilisait pas dans ce combat qui était devenu une pure confrontation de force brute. Le corps sans vie de son adversaire lui donnait un avantage certain et, sans la magie de Nadezhda qui l’empêchait d’utiliser son épée plasma, Elisaveta aurait été perdu.

— Maintenant !

Se dégageant de son adversaire d’un bond, la mitrailleuse et le canon firent feu en même temps. La vedma zombie interposa son bouclier réactif, le nuage de poussière levé par l’impact de l’obus empêchait les filles d’estimer le succès ou échec de leur offensive.

Nadezhda continuait de tirer.

— Remonte à bord, Lisa ! ordonna Anna.

— Oui, j’arrive !

Mais alors qu’elle posa le pied sur la carrosserie du véhicule, un rayon de plasma jaillit de la fumée et lui transperça l’épaule.

— Salope !!! hurla Ludmila en refaisant feu.

Cette fois, même à travers la fumée, les filles virent la luminescence de la bulle de plasma protéger la Banshee.

Nadezhda cessa le feu, tendit la main à Elisaveta et l’entraîna à l’intérieur de la tourelle.

— C’était une bonne idée, mais bah non… Aïe…

— J’ai remarqué… Il vaut mieux essayer de fuir. On compte sur toi Nadya.

— Comme toujours. Fufufu !

Le tank se remit en route, plus vite qu’auparavant. Anna poussa les moteurs au maximum.

Mais, à cet instant, elles eurent une mauvaise surprise :

— Elle est accroché sur le tank ! déclara Nadezha. Je tente de la décrocher…

S’extirpant un peu plus un peu plus du corps métallique du T-90, la jeune femme saisit son arme de poing et ouvrit le feu. Bien sûr, un MP-443 avec ses balles de 9mm ne risquaient pas d’animer le blindage du tank, mais elles pouvaient blesser leur ennemie.

Mais, une fois encore, la défense adverse était bien trop importante. Sa barrière réactive arrêta toutes les balles.

Même réduite à un tronc avec deux bras à cause du précédent assaut, elle s’accrochait fermement au tank dans l’intention d’en tuer les occupantes.

— Attends, je m’en occu…

Mais Anna ressentit une vive douleur à la poitrine. Elle était synchronisée avec le T-90 afin d’améliorer sa réactivité, elle ressentait en partie ses dégâts. En effet, le canon venait d’être tranché par la lame plasma de la Banshee, dans une tentative de tuer Nadezhda. Cette dernière était à bout, elle n’utilisait plus son sceau de la terre pour bloquer les pouvoirs adverses.

— C’est quoi cette chose ?! Je suis pas assez payée !! cria Ludmila privée de son arme principale.

— Nous sommes même pas payée de toute façon, rétorqua Elisaveta.

— Whooo ! Elle est balèze en tout cas… Je lui fait rien… On fait quoi ?

— Protège-nous, Nadya !

Alors qu’un nouveau coup de lame allait entailler à nouveau le tank lorsque, dans ses derniers retranchements, Nadezhda fit apparaître une barrière magique à six couches.

Elle haletait, tandis que la Banshee continua de frapper d’une main tout en se tenant de l’autre. Des craquelures apparurent sur la barrière ; elle ne tiendrait plus très longtemps.

Ludmila quitta son poste et passa à côté de son alliée.

— Mange ça !

Debout sur la tourelle, concentrant sa magie d’enchantement dans son pistolet d’ordonnance, un Oudav-3, une arme de poing plus récente mais de même calibre. Elle tira à son tour sur l’ennemie.

La barrière réactive finit par céder dans un bris de verre. Les munitions chargées de magie électrique s’enfoncèrent dans le corps du zombie et sous l’effet des décharges la Banshee se décrocha du tank.

— Ouais ! Je t’ai eu, pouffiasse !!

Mais, à cet instant, tandis que Ludmilla criait sa victoire et que même Nadezhda poussait un soupir de soulagement, un dernier coup de la lame vint s’abattre sur la tourelle. La lame était bien plus longue qu’auparavant.

— Attention !!

Ludmila se jeta sur sa sœur d’arme, la barrière défensive de Nadezhda se fendit et la lame entailla la tourelle. Les deux filles qui étaient tombée à l’intérieur de l’habitacle du tank virent à quelques centimètres d’elle cette immense lame verte disparaître.

— Lyuda… je ne pensais pas que tu m’aimais à ce point. Fufufu ! se moqua Nadezhda.

— Idiote ! Comme si, ça pouvait arriver une telle chose !!

— Vous allez bien les filles ? demanda Anna.

Elle grimaça, son visage était en sueur. Même si ce n’était pas comme subir une réelle blessure, elle avait eu mal à la place du T-90.

— Elles sont blessée toutes les deux, répondit Elisaveta, mais elles vont bien.

Ludmilla avait été légèrement touchée à la jambe au moment où elle avait sauté pour sauver Nadezhda. Sous l’effet de l’adrénaline, elle ne sentait pas encore la douleur de la blessure.

— Il faut qu’on mette plus de distance avec elle, reprit Elisaveta en se tenant l’épaule. Elle n’est malheureusement pas morte…

— Je mets un coup de nitro, accrochez-vous les filles.

— Att…

Ludmila n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’elle se retrouva à rouler à l’intérieur du tank avec Nadezhda. L’une contre l’autre, elles s’accrochèrent à ce qu’elles purent, tout devient trop confus autour d’elles.

Le T-90 émit des sons désagréables, quelques piécettes quittèrent sa carrosserie, mais il fila droit devant et quitta le champ de bataille à présent plongée dans les ténèbres de la nuit.

Malgré l’intervention rapide de Ludmila Nadezhda avait subi également une blessure superficielle. Aucune des filles n’était ressortie de ce terrible combat réellement indemne.

***

Trois des quatre filles de l’unité étaient mal-en-point, même si elles pouvaient continuer de se battre. Mais le plus à plaindre était probablement le T-90MS qui avait perdu son canon, sa tourelle et ses chenilles.

Le calme était temporairement revenu. L’unité faisait une pause à l’abri d’un bosquet enneigé.

— Tu as pris cher, mon pauvre ami. Je vais t’apporter des réparations d’urgence, va !

D’entre toutes, Anna était la plus attachée au tank. Il lui arrivait fréquemment de lui parler. Les autres filles avaient trouvé cela étrange au début, puis elle l’avait mis sur le compte d’une tare fréquente des mécaniciens.

Anna caressait affectueusement le métal froid du T-90, ses yeux étaient sincèrement attristés par l’état de son ami. Une affreuse entaille l’avait défiguré et son canon était tranché en deux.

Elle ferma les yeux et posa ses mains l’une des plaques de métal.

Dans son esprit se dessinèrent les plans techniques du T-90, elle pouvait voir chaque pièce, chaque boulon, chaque vis qui le composaient ; sa précision égalait un ordinateur. Elle localisa les différentes défaillances : canon découpé, carrosserie abîmée, antenne radio endommagée, chenilles, roulements…

Elle inspira profondément et projeta sa magie semblable à un courant électrique. Les zones défectueuses se revitalisèrent, les trous se rebouchèrent, peu à peu le tank reprenait sa forme d’origine.

L’unité 54 n’avait pas de membre doué dans la magie médicale, mais Anna était celle qui guérissait le tank. Il y avait toutefois une limite à son pouvoir : la durée.

Normalement, ses modifications disparaissaient lorsqu’elle reprenait sa forme normale. Mais au prix de temps (allant de quelques minutes pour quelque chose de simple à quelques heures ou jours pour des choses complexes) et de grandes quantités de mana, elle pouvait rendre ses créations et réparations définitives.

En combat, tout ce qui était consommable pouvait se contenter d’être temporaire, puisqu’il était utilisé immédiatement : munitions, carburant, protoxyde d’azote… Mais les réparations devaient être rendus permanentes. Le problème résidait dans le fait qu’Anna et l’unité 54 n’avait pas beaucoup de temps.

Elles étaient séparées de leur unité, en territoire ennemi. Qui plus est, Anna, comme les autres, était épuisée, elle n’était même pas sûre de pouvoir avoir assez de mana pour les réparations.

Prenant sur elle, elle rendit le tank tout juste opérationnel. Pendant ce temps, Nadezhda et Ludmila fouillaient dans les soutes du véhicule à la recherche de bandages et de désinfectant.

Ayant fini de remettre l’antenne en état, Anna transmis dans son communicateur :

— C’est bon, radio réparée. Lisa, tu peux contacter le QG.

— Bien reçu.

Avec un regard triste, Anna considéra le T-90, puis s’essuya le front en sueur malgré le froid. Elle jeta un regard à ses deux camarades et demanda :

— Vous n’avez pas encore fini ? Lisa en a vraiment besoin…

— Je trouve que dalle ! Y a trop de fardas la-dedans…, se plaignit Ludmila. Puis, on y voit foutre rien avec cette obscurité.

Afin de n’être pas repérées, elles avaient en effet éteint tous les feux de position du véhicule. Il n’y avait que la faible lueur de la lune qui filtrait à travers les nuages chargés de neige pour les éclairer un peu.

— Même à la guerre, les filles ont leurs coquetteries. Fufufu !

— Rho, tais-toi ! En plus, toi tu fais qu’embarquer de la bouffe, tu parles d’affaires de coquetterie !

— Bien manger permet d’avoir un joli corps, non ?

— Eh oh ! La trousse médicale ne se trouve pas dans ce compartiment-là, les interrompit Anna. Elle est de ce côté-là. D’ailleurs, vous savez que vous n’avez normalement pas le droit d’embarquer vos affaires personnelles dans une véhicule de l’armée, non ?

Les deux filles ne répondirent pas à la question de suite, Ludmila se mit à siffler avec un air gêné, tandis que Nadezhda souriait bêtement. Anna soupira et secoua la main avant d’ouvrir un coffre accroché à la tourelle. Par chance, l’attaque ne l’avait pas touché.

— Au fait, il y en a une à l’intérieur également, expliqua-t-elle en tendant la trousse de soin. Vous êtes sorties pourquoi au juste ? C’est dangereux là-dehors…

Une fois de plus, elles ne répondirent pas, elles se contentèrent de prendre la trousse. Anna soupira à nouveau et referma le coffre.

— Celle à l’intérieur, j’ai oublié de la changer, finit par confesser Nadezhda. Avec un pouvoir aussi pratique que le tien, en vrai nous n’avons besoin de rien. Hihi !

Elle s’empressa de se coller affectueusement à Anna qui la repoussa en faisant la moue.

— C’est bon, j’ai compris, c’est encore ma faute…

Avec une certaine complicité, Nadezhda et Ludmila se jetèrent un bref regard puis sourirent à pleines dents à leur interlocutrice. C’était leur réponse.

L’ambiance était un peu moins pesante, elles oublièrent même un instant leur situation périlleuse. Mais la pause fut de courte durée, bientôt elles entendirent des explosions au loin, à quelques kilomètres.

— Pas le temps de lambiner, dit Anna. Je m’occupe de Lisa. Nadya, fais un bandage à la jambe de Lyuda.

— Khorosho ! répondit Nadezhda avec un salut militaire.

Préoccupée par l’insouciance de ces deux, Anna remontant dans le tank, passa la trappe de la tourelle à présent réparée et rejoignit Elisaveta au poste de communication. À son arrivée, cette dernière venait d’établir un contact avec le QG. Elle se tenait l’épaule d’une main, son habit de soubrette gorgé de sang, tout en appuyant divers bouton avec l’autre.

— Unité 54, j’attends vos instruction. Terminé.

<< Ici QG. Nous avons bien pris en compte votre demande. Veuillez reconfirmer votre position exacte. >>

Elisaveta grimaça, leva les yeux au plafond —cela faisait la troisième fois qu’elle répétait les mêmes coordonnées— mais elle le répéta une quatrième fois, se conformant au protocole.

Pendant ce temps, Anna s’approcha silencieusement d’elle et retira délicatement la main pour de la blessure pour l’examiner. Sa patiente se laissa faire.

Les os composant l’épaule avaient été légèrement touchés. Sur un humain normal, cette blessure aurait été plutôt grave, mais les vedma recomposaient jusqu’à leurs os avec du temps. En quelques jours, il n’y paraîtrait plus, selon l’estimation d’Anna.

Cette dernière commença donc par appliquer un spray désinfectant, puis elle nettoya la plaie avec un chiffon humide. Elle prit un tube de colle chirurgicale avec laquelle elle boucha le trou et finit par bander le tout.

Après une attente assez longue, la voix de l’autre côté de la ligne reprit :

<< Unité 54, nous allons vous fournir un nouveau point d’extraction ainsi que les données actualisées des positions ennemis. Veuillez limiter les communications au minimum. Terminé. >>

— Bien reçu. Nous reprendrons contact au point d’extraction. Terminé.

<< Bonne chance, Unité 54. Puisse Mère-Patrie vous protéger. Terminé. >>

Elisaveta retira son casque et leva les épaules en direction d’Anna.

— Avec de telles prières, nous n’avons pas du tout l’impression d’être condamnées à mourir, n’est-ce pas, Annuska ?

Anna sourit légèrement et acheva méticuleusement sa tâche.

— L’opérateur est juste là pour nous donner des ordres et des informations, c’est à nous de nous débrouiller pour survivre.

— N’empêche qu’ils se déchargent bien de toute responsabilité. Le point d’extraction est à 15 kilomètres d’ici et si j’en crois les positions ennemis ce sera loin d’être une promenade. Surtout avec un tank…

Anna referma la trousse et quitta le poste de communication, elle resta dans l’ouverture pour continuer de discuter. Elisaveta essaya de bouger son bras, elle ressentait bien sûr de la douleur, mais rien qu’elle ne pût tolérer.

— Merci bien, tu es un ange.

Anna répondit par un simple geste de la main, indiquant que c’était normal, puis s’adossant contre la paroi voisine.

— Tu sais bien que nous n’avons plus le choix. Si le QG nous envoie là-bas, c’est qu’il y a de bonnes raisons. En fait, tu te disputes sans cesse avec Lyuda, mais tu es un peu comme elle : si méfiante !

— Eh oh ! Tu ne peux pas me dire ça ! Disons juste que… elle n’a pas totalement tort sur toute la ligne. J’ai souvent l’impression qu’on se fiche de notre sécurité.

— Tu connais bien notre situation. Mère-Patrie est entourée d’ennemis : Mharreg, Azathoth, Ugotlho, sans oublier les forces maritimes du Chtulhu et les Mi-Go à l’ouest. Les sacrifices sont nécessaires pour la survie du plus grand nombre.

— En attendant, on nous traite quand même comme de vulgaires chiffons à usage unique. Le pays avant le retour du tsarisme était sûrement différent et plus respectueux de pauvres filles comme nous… Je ne cite pas mon cas, mais la plupart d’entre vous n’avez pas choisi de devenir des sacrifices. Tu trouves vraiment cela justifié ?

En effet, l’Empire utilisait nombre de moyens frauduleux pour attirer de nouvelles recrues. C’était le seul des quatre pays à disposer de pelotons disciplinaires composés uniquement de prisonnières à qui on offrait des réductions de peine en échange de leur enrôlement dans l’armée.

En réalité, très peu de ces prisonnières avaient réellement le choix et encore moins survivaient jusqu’à la fin de leur service.

Mais elles n’étaient pas les seules victimes du système. En effet, comme l’avait dit Elisaveta, la propagande attirait nombre de jeunes femmes en leur promettant argent et gloire, mais aucune n’était préparée à ce qu’elle allait subir. Il était de reconnaissance générale que les vedma étaient des monstres, mais ce qui se passait réellement à l’intérieur du corps militaire restait scrupuleusement dissimulé. Nombre pensaient que ce serait différent pour elles… elles se trompaient.

Puis, il y avait un troisième cas de figure : les volontaires forcées. Ces deux termes contradictoires reflétaient bien l’hypocrisie du processus. En effet, certaines jeunes femmes étaient portées volontaires par leurs responsables légaux en échange d’une contrepartie monétaire.

Ceux qui n’avaient pas les moyens de donner à manger à tous leurs enfants, envoyaient souvent leurs filles rejoindre les rangs de l’armée. Celles qui avaient une compatibilité étaient éveillées, les autres travaillaient dans la logistique militaire.

C’était le cas de Ludmila qui avait été vendue par ses parents, qu’elle méprisait au plus haut point, mais également de Nadezhda, qui ne s’en plaignait jamais.

Elisaveta avait pour sa part choisi cette carrière afin de s’opposer à sa noble famille qui ne cessait de planifier sa vie. Quant à Anna, elle restait assez évasive sur le sujet, mais elle avait confessé être une orpheline de guerre passionnée par les machines, elle s’était donc portée volontaire pour travailler sur les tanks. Le hasard avait voulu qu’elle eût une forte affinité magique, ce qui lui valut d’être éveillée.

La quatrième méthode de recrutement était les orphelinats. Ces établissements appartenant tous au gouvernement, il en faisait d’honnêtes « enfants du pays », ce qui revenait à dire de futurs soldats. Les garçons devenaient des soldats de rang, les filles des vedma ou des bureaucrates de l’armée. On ne leur laissait pas réellement de choix, on les affectait aux postes les plus nécessaires pour le pays et souvent les plus ingrats.

Qu’Anna eût pu choisir son poste était quelque chose de rare qui contribuait à la pointe de mystère entourant son passé.

— Tu penses que l’extermination du genre humain aurait été davantage justifié ? En période de crise, mesures de crises. Mère Patrie a besoin de nous, Lisa.

— Mais nous ne sommes plus réellement en période de crise et tu le sais aussi bien que moi. Les fronts se sont stabilisés, on pourrait consolider la défense de frontière. Mais à la place, on nous envoie mourir pour reprendre la grande Moscou, dit Elisaveta avec un dédain évidant. Soyons honnêtes deux minutes : reprendre cette ville n’a aucun intérêt stratégique, c’est juste de l’orgueil mal placé.

Aucune des filles ci-présentes n’avait connu l’ancienne capitale, Moscou était tombée avant leur âge de conscience. Ce qui ne les avait pas empêché d’en entendre parler encore et encore.

— Ça n’a pas d’intérêt pour nous, mais pour l’État-Major voit plus loin. Elle doit avoir une utilité, crois-moi.

— Foutaises ! Le pays a ouvert des fronts sur toutes ses frontières et n’avance dans aucune direction. Ce serait plus stratégique de reprendre déjà le nord : l’ancien territoire de la Suède, Norvège et Finlande. Il y a pas mal de ressources là-bas et les Mi-Go sont tournés vers l’Amaryllis.

— Tu es drôlement bien informée…

— Ma famille est riche, je te signale. J’ai bien écouté… Non, j’ai bu tous les discours du partie, toutes les semaines alors qu’ils se réunissaient dans l’un de nos salons.

— Et c’était ce qu’ils disaient ? demanda Anna, curieuse.

— Non, c’est ce que j’en ai déduis. Tu penses bien que personne ne dirait du mal des décisions de l’Armée du Tsar. N’empêche… Nous nourrissons les forces de Mharreg en nous obstinant à reprendre Moscou. En plus, on le sait bien qu’il n’y a rien à en tirer. La ville est déserte, tout est dévasté.

— En temps de guerre, les soldats ont besoin de victoires autant que de pain, déclara à cet instant la voix Nadezhda.

Elle se tenait derrière Anna, sa veste ouverte où on pouvait voir ses vêtements tâchés de sang.

— Ça va, c’est pas trop grave ? demanda Anna en tournant la tête.

— Pas de problème, t’inquiètes pas.

Nadezhda fit un signe de victoire de chaque main en souriant innocemment.

— Elle est plus solide qu’un Puissant Ancien, je vous le dis.

Ludmila venait à sa suite de rentrer dans le tank où on se sentait de plus en plus à l’étroit. Elle reprit la parole, son expression paraissait contrariée.

— Je suis de l’avis de Lisa… pour une fois. On se fout ouvertement de notre gueule ! Je veux pas être juste un pantin dans leurs mains.

— Encore une fois, vous êtes négatives. Nous sommes importantes pour Mère-Patrie. Vous voyez, on nous a tout de suite trouvé un point d’extraction.

— Encore heureux qu’ils nous en aient trouvé un ! Déjà qu’on se tape tout le boulot, manquerait plus qu’on nous abandonne ! Tssss !

Bien que Ludmila était la beauté et la douceur incarnée, ses propos étaient à l’inverse toujours durs et crus. Seules les filles de l’unité connaissaient cette facette de sa personnalité.

— De toute manière, ils n’ont pas de pouvoirs. Ils ne peuvent pas nous apporter plus d’aide, dit ironiquement Elisaveta.

— Quand il s’agit de battre en retraite en lançant du napalm sur nos cadavres, ils sont pourtant des champions. Fufufu !

Anna finit par soupirer longuement :

— Vous tenez toutes les trois des propos bien dangereux. Bien sûr, je ne répéterais rien, mais faites en sorte que ça ne vous échapper pas, OK ? Sur ce, à vos postes ! Et ménagez-vous.

Elle passa à côté de Nadezhda et Ludmila, dans cet espace confiné, et se glissa jusqu’au poste de pilotage.

Même si elles étaient toutes fatiguées de leur dernier combat, elles se remirent en route.

Utilisant les données transmises par le QG et les affinant avec les divinations d’Elisaveta, elles franchirent les kilomètres jusqu’au point d’extraction à une allure lente et prudente. Pour éviter de se faire repérer, Anna prit sur elle et modifia légèrement les moteurs pour en réduire l’émission de son et de fumée.

Finalement, elles parvinrent sans encombre à destination.

Devant elles se dressait une vieille usine dévastée pendant l’Invasion. Dans l’obscurité, elles purent voir les plantes et la neige qui l’avaient envahie. La présence ennemi la plus proche était à quelques kilomètres d’après les rapports du QG et la divination d’Elisaveta ne détecta pas d’ennemis cachés dans un rayon d’un kilomètre.

Par contre, elle localisa deux présences humaines à l’intérieur d’un véhicule derrière le bâtiment principal de l’usine. Elisaveta chercha aussitôt à entrer en communication radio avec eux.

— Ici Unité 54, nous sommes en approche. À qui avons-nous affaire ?

<< Vorona 21. La situation est sous contrôle, mais ne tardez pas. Terminé. >>

— Nous serons là dans une ou deux minutes. Unité 54, terminé.

Vorona, qui signifiait en russe corbeau, était généralement le nom donné aux unités d’hélicoptères. Malgré les risques inhérents aux déplacements aériens, l’Armée du Tsar utilisait parfois des Mil Mi-24, surnommés Hind, ou encore des Mil Mi-17 pour transporter ou extraire des vedma.

Le tank ne tarda pas à contourner le bâtiment où le Hind les attendait en faisant tourner ses rotors. Il s’agissait d’un vieux modèle conçu en 1969, soit presque un siècle avant l’Invasion, mais les entrepôts militaires en avaient encore beaucoup en stock et l’armée impériale savait recycler les engins et les talents.

Le T-90 s’arrêta. Nadezhda sortit la tête par la trappe de pilotage et salua les deux pilotes de la main. Ces derniers pointaient leurs phares dans leur directions. Ils ne semblaient pas enchantés de devoir risquer leurs vies pour secourir de viles sorcières monstrueuses, mais les ordres étaient les ordres.

— Les filles, sortez de là, dit Anna. Je vais réduire le tank et nous pourrons y aller.

Il n’était pas question d’abandonner leur T-90, il était le cœur de l’Unité 54. Si l’hélicoptère n’avait pas les moyens de le transporter, Anna le pouvait. Ce n’était pas la première fois la première fois qu’elle étaient extraites de la sorte, le QG savait qu’Anna pouvait miniaturiser le tank.

— OK, sortons…

La première a posé le pied au sol était Nadezhda, puis Ludmila passa la trappe à moitié. Mais, à cet instant précis, quelque chose d’imprévu se produisit : une forme obscure jaillit du sol, sous le Hind, et le souleva.

Brusquement, l’hélicoptère fut projeté sur le tank qui se trouvait encore à une dizaine de mètres.

Nadezhda eut à peine le temps de se transformer et de faire apparaître une barrière de protection que leur véhicule d’extraction explosa. Sans le dôme magique érigé à la hâte, nul doute que non seulement le T-90, mais également Ludmila, aurait été pris dans l’explosion. Sous sa forme normale, autant dire qu’elle serait morte.

Leurs yeux terrifiés des deux pilotes restèrent quelques instants imprimés dans les rétines de Nadezhda qui les avait indirectement tués. Son visage impassible ne paraissait pas toutefois pas troublé, contrairement à ses camarades qui étaient sous le choc de la violence et de la surprise.

Devant le tank, au-delà de l’écran de flammes et de fumée produit par l’explosion du Hind, se dressait une longue silhouette sinistre.

***

Comparer un Ver Macabre à un lombric était probablement qu’une vue de l’esprit, un simple raccourci mental, puisque cette créature n’avait de comparable à l’animal que son allure longiforme et sa capacité à creuser.

L’être qui se tenait de l’autre côté du rideau de fumée était un immense assemblage de crânes et d’ossements formant un corps long d’une trentaine de mètres et large de plus ou moins quatre mètres de diamètres. Démuni de pattes, le Ver Macabre avait quatre tentacules à l’avant de son corps qui se terminaient chacun par une gueule remplie de crocs acérés et dégoulinants d’acide.

Dans les registres de l’armée ukrytiyenne, cette créature était classée au rang de menace trois (sur cinq), elle n’était donc pas à prendre à la légère. Comme nombre de morts-vivants, elle faisait partie des forces de Mharreg.

— Groaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!

Poussant un hurlement féroce, le Ver se redressa et domina le champ de bataille par son impressionnante taille. Sa présence terrifiante et son cri bestial aurait été à même de faire sombrer dans la folie la majeure partie des êtres humains, mais les vedma se contentèrent de déglutir.

— Ah, putain ! s’écria Ludmila en rentrant immédiatement dans le tank.

— Toutes à vos postes ! Au combat ! cria Elisaveta avant de faire claquer sa langue et d’afficher une expression profondément irritée.

À l’extérieur, Nadezhda, impassible, fixait le monstre avec un air pensif.

— Oh ! Nadya ! Grouille-toi ! lui hurla Anna.

— Ah~ ? Désolée~

Sur ces mots, elle courut escalader le tank et prit position.

— Direction sud-est ! Vite, l’explosion semble avoir attirer quelques patrouilles.

— Bien reçu !

Le tank, dont les moteurs tournaient encore, se remit aussitôt en déplacement, s’éloignant rapidement de leur ennemi.

Mais le Ver Macabre n’était pas décidé à laisser partir une proie aussi intéressante : il cracha un acide particulièrement corrosif dans leur direction. Ce dernier était en mesure de dissoudre en quelques dizaines de secondes aussi bien les matières organiques que les métaux ; le T-90 n’était pas à l’abri.

Nadezhda fit apparaître son dôme de protection et bloqua le liquide.

— Fufufu ! Tu penses pouvoir passer ma barrière aussi facilement ?

Même si elle avait l’air détendue, son visage était en sueur. Non seulement, elle puisait dans ses derniers retranchements, mais l’acide n’avait de cesse de corroder sa protection. Elle ne pouvait pas la relâcher, de crainte que le liquide s’écoule sur le tank. Qui des deux disparaîtrait le premier ?

— Enchantement terminé ! déclara Ludmila. Truffons de plombs cet enfoiré de mes deux !!

— Lyuda, tu as décidément une anatomie particulière. Je vais devoir mener mon enquête plus tard. Fufufu !

— Rhooo ! C’est juste une manière de parler ! Feu à volonté et fais pas chier !

— C’est pas le moment de plaisanter toutes les deux ! les réprimanda Elisaveta.

Mais sa voix fut rapidement couverte par le vacarme des coups de feu. Avant que le Ver Macabre ne pût repasser à l’offensive, la mitrailleuse et le canon enchantés ouvrirent le bal. Dans la nuit, les balles traçantes dessinaient des lignes lumineuses vertes.

Le premier obus rata sa cible, à cause d’une bosse de dernière minute.

Le Ver se mit à les poursuivre et, tout en se déplaçant, les deux postes de tirs faisaient feu. Bien sûr, tirer en mouvement était plus difficile, malgré les systèmes informatisés d’ajustement de visée, mais elles étaient des vedma : le second obus frappa le Ver Macabre en plein dans le mille.

— Alors t’aimes ça, connard ?!

Insulter ses adversaires était une attitude fréquente chez les soldats, Ludmila avait parfaitement adopté ce travers.

— Il s’enfonce dans le sol. Bien joué l’ami. Fufufu !

— Arrête de t’amuser et tire-lui dessus !

— Mes balles ne suffisent pas, elles lui font juste des petits trous. Puis, je crois que je suis à sec…

— Désolée, Nadya, j’aurais dû refaire le stock. Attends, je vais t’en créer, dit Anna en cachant sa propre fatigue.

— Garde tes forces, Annuska, s’opposa Elisaveta. Nous allons bientôt être encerclées. Il faut en finir rapidement avec lui ! J’ai un plan…

Sans s’arrêter de rouler, le T-90 se dirigea vers le seul endroit où Elisaveta ne détectait encore aucune présence d’ennemie. Au sein de leur unité 54, il n’y avait pas réellement de chef, sauf pour la forme. Elles n’étaient que quatre et se faisaient confiance, il n’y avait pas besoin de hiérarchie. Celles qui avaient une bonne idée prenaient généralement la tête des opérations.

Le plan d’Elisaveta fut accepté par ses sœurs d’armes qui tacitement lui laissèrent prendre la direction.

— T’es au moins sûre qu’il arrive à nous suivre, Lisa ? Si ça se trouve, on l’a déjà semé…, demanda Ludmila.

— D’après ce que j’ai lu, il dépasse les 100 km/heure sous terre.

— La vache !

— Je confirme, j’ai entendu un truc du genre, dit Nadezhda. Inutile d’essayer de tirer les moteurs, garde tes forces Annuska.

— C’est n’importe quoi ! Comment un truc aussi gros peut faire ça ?! s’indigna Ludmila.

— Ludya, tu oublies que nos ennemis se fichent de la logique, dit Anna sur un ton résigné.

La seule réponse de Ludmila fut un grognement.

— Du coup, suivons ton plan. Tout repose sur toi !

— J’espère qu’il va fonctionner…, marmonna Elisaveta avec peu de confiance en elle.

Elle redisposa le sable sur la planche en métal installée sur ses genoux et se concentra en fermant les yeux. Après quelques instants…

— Maintenant ! cria-t-elle de toutes ses forces.

Le tank émit des bruits sinistres tandis que ses passagères fut secouée. Le freinage fut à tel point brutal que le tank tourna sur lui-même comme une toupie. Les chenilles manquèrent une nouvelle fois de se briser.

La gueule du Ver Macabre jaillit de terre, ses mâchoires remplies de crocs, son haleine fétide se mélangeait aux vapeurs acides. Mais, grâce à la divination d’Elisaveta, ses mâchoires se refermèrent sur du vide, sa proie n’était plus là il l’avait localisée.

À la place, un missile jaillit de la gueule du tank et le percuta en provoquant une explosion.

— Tiens, bouffe ça !!

Cette fois, c’était au sens littéral : le missile venait de toucher le Ver en pleine gueule, brisant ses crocs et projetant une charge explosive dans le conduit tubulaire qui lui servait de gorge. C’était l’environnement idéal pour une explosion amplifiée par la magie d’enchantement de Ludmila.

* Boom *

L’explosion fut peu bruyante, étouffée.

À peine le mouvement rotatoire du T-90 s’arrêta que les filles purent se rendre compte de l’efficacité de leur attaque : la moitié supérieur du Ver Macabre avait été mise en morceaux, il s’échappait encore de la fumée et des flammes de son corps.

— Je crois que dans la confusion, il a perdu la tête. Kukuku !

— C’est qui papa, hein ?! Hein ?! dit Ludmilla.

— Bien joué les filles !

— Ne vous relâchez pas. L’étau se referme sur nous ! les rappela à l’ordre Elisaveta.

Au même instant, elles entendirent une alarme à l’intérieur du tank, puis une explosion le secouer. Une roquette venait d’être interceptée par le système de protection active, elle avait été détruite en vol à quelques mètres seulement par le dispositif d’interception indépendant.

— Nadya, rentre dans le tank ! J’enclenche le turbo !

Son cœur battait la chamade, son corps était gorgé d’adrénaline. Si elles ne parvenaient pas à s’échapper de suite, ce serait la fin.

— Tant que nous sommes toutes les quatre, nous pouvons gagner, pensa-t-elle en injectant sa magie dans le véhicule.

Elle renforça les chenilles et injecta le protoxyde d’azote. Nadya eut à peine le temps de rentrer dans le véhicule qu’il repartit à pleine vitesse.

— Aucune de nous ne mourra, c’est mon devoir !

Anna inspira profondément, plissa les yeux et fit appel à toutes les forces à sa disposition. Même si elle paraissait habituellement calme, elle était particulièrement stressé. En plus, contrairement à Elisaveta, elle ne voyait pas l’ennemi, elle le savait proche sans pouvoir le localiser.

Mais, malgré son avantage, Elisaveta n’était pas mieux lotie, elle paniquait intérieurement en voyant le nombre d’ennemis augmenter d’instants en instants. Voir un futur incontournable était sûrement pire encore.

— Si on meurt, ce sera ma faute…, se dit-elle intérieurement en espérant avoir choisi la bonne direction.

C’était le seul endroit où elle ne détectait pas encore de forces ennemies, mais sa portée de perception n’était que d’un seul kilomètre. Qu’est-ce qui les attendait réellement ?

Elisaveta tremblait et ne quittait pas des yeux son plateau, tout ce qu’elle pouvait faire était de miser sur leur réussite.

L’accélération soudaine du véhicule obligea Nadezdha et Ludmila, bien moins angoissées, à s’accrocher.

Le T-90 dépassa largement ses capacités normales, sa vitesse vint à dépasser les cent vingt kilomètres heure. Si elle n’avait pas été si fatiguée, Anna aurait pu faire encore mieux.

— Je ne vais pas pouvoir tenir ça longtemps, marmonna-t-elle après quelques minutes à ce régime.

— Je sais, je sais…, dit Elisaveta. Dévie à quatre heures…

— OK…

Elisaveta tapotait convulsivement le plateau, tandis que Ludmila, frustrée par son impuissance dans cette situation, faisait de même avec son pied.

Seule, Nadezhda bâillait et s’était assise. Même si elle était détendue, elle était prête à faire apparaître ses protections à tout instant.

Finalement, elle prit une barre énergétique et se mit à rire.

— Highway to Hell… Fufufu !

Il leur fallut encore quelques minutes avant qu’Elisaveta ne signale :

— Nous ne sommes pas tirées d’affaire, mais il semblerait que nous soyons passées entre les mailles du filet. Tu peux ralentir, Annuska. Garde la même direction, s’il te plaît. Ouf !

Elles étaient toujours en territoire ennemi, mais la menace proche n’était plus. Tous leurs problèmes se trouvaient derrière pour le moment.

Elles continuèrent de rouler en silence, l’adrénaline retombait. Lorsqu’elles virent le soleil commencer à poindre, le ciel devenant peu à peu plus lumineux, elles se rendirent compte avoir perdu la notion du temps.

Bien sûr, les tentatives d’établir une communication radio avec le QG avait échouée. Elisaveta avait essayé à plusieurs reprises. Finalement, à l’aube, Ludmila et Nadezhda finirent par s’écrouler sur leurs sièges.

Elles n’avaient plus croisé de troupes ennemies depuis un moment et même Anna avait finalement repris sa forme normale. Elle bâillait de plus en plus fréquemment et ses yeux peinaient à rester ouverts.

Seule Elisaveta était encore dans sa forme de combat afin de profiter de sa divination, mais sa respiration devenait de plus en plus lourde.

— On devrait faire une pause, proposa Anna. Tu dois être à bout.

— T’occupes pas de moi…

— Pourquoi ne le ferais-je pas ? Tu es mon amie, non ? De toute manière, ce n’est pas une situation qu’on pourra régler en quelques minutes. Dans notre état, le prochain combat sera le dernier.

Il fallut quelques instants à la fière Elisaveta pour admettre la réalité :

— Tu as sûrement raison… Faisons une pause.

— Entendu.

Le tank décéléra, il roulait dans une vaste plaine enneigée et boueuse, mais on pouvait voir par intermittence des bâtiments en ruine.

— Je propose cette ancienne usine, elle devrait être assez grande pour y accueillir notre T-90.

— Aucun ennemi en vue. Pourquoi pas ? Han… han…

Le temps que le tank arrive dans l’usine, la respiration saccadée d’Elisaveta s’arrêta dans le communicateur. Anna comprit qu’elle s’était endormie malgré elle. Elle était la dernière consciente à bord.

Il ne fallut pas longtemps pour qu’Anna la rejoigne dans les bras de Morphée.

Le moteur s’arrêta de gronder. Les systèmes de ventilation également. Et les réparations de fortune disparurent faisant réapparaître la large entaille dans la tourelle. Au demeurant, le tank ressemblait à présent à une épave dans un bâtiment en ruine.

Après toute cette agitation, le T-90 et ses occupantes se fondirent dans le silence et l’immensité de la tundra enneigées.

Lire la suite – Chapitre 2