Magical Tankgirls – Chapitre 5

Deux semaines s’écoulèrent depuis l’explosion du bunker secret.

Les filles de l’unité 54 n’entrèrent plus en contact avec le QG et firent route lentement vers le sud comme l’avait proposé Nadezhda.

Les cartes, qu’elle avait prises juste avant l’explosion, indiquaient une dizaine de points, la plupart dans l’Oural, mais aussi dans les Plaines Sibériennes occidentales.

Leur progression était lente à cause de la pluie et du relief. Pour diverses raisons, les ennemis étaient plus nombreux dans les Plaines européennes que dans les montagnes de l’Oural, aussi les filles ne les quittèrent plus. Et de fait, elles ne rencontrèrent aucun ennemi.

Leur trajet longea la frontière est de cette chaîne de montagne longue de plus de 2000 kilomètres.

Et à nouveau, le problème des réserves d’essence s’imposa.

— On va se les geler cette nuit ! dit Ludmila en tremblant et en se blottissant dans une couverture.

— Je peux créer une climatiseur ou quelque chose du genre…, proposa sérieusement Anna.

— Non, économise tes forces, nous avons besoin de ta magie pour faire avancer le tank, dit Elisaveta également blottie dans sa couverture.

Elles se trouvaient dans une cabane de chasseur au milieu de nulle part. Pendant deux semaines, il avait beaucoup neigé et la progression était devenue difficile, rendant certains passages impossibles à franchir en tank.

— Moi, je dis qu’on devrait simplement se construire un abri souterrain et vivre en paix avec ce qu’Anna pourra nous créer, proposa Nadezhda sur un ton léger.

Ce n’était pas la première fois qu’elle le proposait depuis l’épisode du bunker.

L’idée de vivre loin de toute civilisation ne réjouissait cependant pas ses sœurs d’armes, surtout Ludmila et Anna.

— Arrête avec ça…, marmonna Anna en jetant une bûche dans la cheminée.

— Ce serait une solution. Si nous passons l’hiver, lors du dégel ça sera plus simple de circuler, non ?

— Non, c’est non…, dit Anna avant de gonfler les joues.

— Même si j’ai pas plus envie d’accepter ce plan… tu veux aller où, Anna ? demanda cette fois Ludmila. L’Empire a essayé de nous tuer, on va pas pouvoir se pointer la fleur au fusil et espérer qu’ils oublient tout.

— Je… je ne comprends toujours pas ce qui s’est vraiment passé…, dit Anna d’une voix pitoyable. C’est… impensable…

Parmi toutes, elle était la plus choquée. Son esprit refusait de croire qu’on ait pu sciemment les trahir. Un part d’elle s’était même mise à penser que le missile venait de Mharreg et non de l’Empire.

Les premiers jours, l’ambiance dans le tank avait été très maussade. Seule Nadezhda continuait de plaisanter et parler même si on ne lui répondait pas. Puis, finalement, les autres filles avaient fini par accepter la situation et aller de l’avant. Même Ludmila, qui médisait tellement sur l’Empire, avait été plus troublée que ce qu’on aurait pu penser.

— Je sais pas ce que tu ne veux pas comprendre, Anna. On s’est faites trahir ! dit Ludmila.

— Pas forcément. Le missile venait peut-être des forces de Mharreg. On ne peut pas savoir si les communications n’ont pas été interceptées…

Anna cherchait à rationaliser. Elle ne voulait pas croire que le pays qui l’avait recueillie et lui avait donné une chance de devenir autre chose qu’une prostitué alcoolique puisse l’avoir sacrifiée de la sorte, sans raison.

Elle avait considéré sa vie des milliers de fois, elle s’était demandée ce qu’elle serait devenue si elle n’était pas amenée à l’orphelinat militaire impérial. Elle n’avait pas de nom de famille, elle n’était l’enfant de personne, abandonnée dès sa naissance. Les perspectives de carrière étaient plutôt réduite hormis la criminalité.

À la place, on lui avait donné un toit sur la tête, la nourriture nécessaire à sa croissance et l’éducation nécessaire pour devenir une mécanicienne moteur de char d’assaut.

On avait même fini par lui offrir un tank ! Certes, pas du dernier cri, mais il s’agissait d’une merveille technologique utilisé jusque dans les années 2020.

En échange, tout ce qu’elle avait dû faire c’était travailler à la défense de son pays après avoir accepté l’éveil magique.

Elle avait beau chercher la faille dans son raisonnement, elle n’arrivait pas à croire que l’Empire fût le méchant de l’histoire.

Lorsque l’Invasion avait eu lieu, le Tsar avait défendu sa population et avait même accueilli des citoyens de pays limitrophes pour les empêcher de finir entre les pinces et tentacules des monstres.

Mère-Patrie avait besoin d’homme durs, le monde était en guerre et Ukrytiye, plus que les autres pays, affrontait des ennemis redoutables et disposait d’un grand territoire à défendre.

Le fait que les braves citoyens puissent se lever le matin, travailler honnêtement sans être dévorer ou écorcher vif par des monstres était simplement dû aux efforts de ses soldats, les vedma.

— T’y crois vraiment ? Sérieux ? demanda Ludmila avec une moue dubitative.

— Moi pas, on s’est fait avoir jusqu’au trognon. Fufufu !

— Vous n’avez pas plus de preuves que moi, toutes les deux. Arrêtez de ne pas vouloir prendre en compte mes idées !

Elisaveta posa la main sur l’épaule d’Anna pour la calmer.

Sur le feu de la cheminée, plusieurs brochettes de viande étaient en train de cuire. Grâce aux compétences de chasse insoupçonnées de Ludmila — qu’elle niait avoir—, elles avaient réussi à tuer une biche deux jours auparavant. Manger de la viande fraîche variait un peu des rations militaires que Nadezhda avait embarqué en quantité lors de leur visite du dernier bunker.

— Admettons que tu aies raison, le QG nous en aurait averties, dit Elisaveta. Pourquoi nous avoir demandé de rester sur place sans rien expliquer ?

— Peut-être que le lieutenant-colonel n’était lui-même pas au courant. Peut-être que le missile est passé sous les radars.

Ludmila soupira longuement et finit par totalement se blottir contre Nadezhda qui se laissa faire.

— T’es terrible quand même. Y a un truc qui cloche dans tes paroles, ma chère amie.

— Tu n’y connais rien en technologie…

— Ouais sûrement, mais je connais le cœur des hommes… et surtout celui de la KIYM.

— Malheureusement, il faut bien se rendre compte que Lyuda a sûrement raison. Ce laboratoire de recherche a été abandonné dans les années 70, après l’Invasion…

— … et on y menait des expériences tordues sur les vedma. Fufufu !

— Ton « fufu » était mal à propos ! Tu m’énerves quand tu fais ça ! Penses au fait que c’est nos sœurs qui servaient de rat de laboratoire, la réprimanda Ludmila en lui enfonçant l’index dans sa poignée d’amour.

Nadezhda ne sursauta même pas, elle se contenta de tourner un sourire amusé à Ludmila.

— Désolééééée

— Je vais te faire passer ton envie de faire des « fufu » à tout va, tu vas voir !

Ludmila, malgré le froid, se mit à chatouiller Nadezhda qui le lui rendit. De simple jeunes femmes, il était impossible de les voir autrement à cet instant. Seuls leurs uniformes militaires et leurs armes les trahissaient.

Anna sombra dans le mutisme. Elle se recroquevilla en ramenant ses genoux vers elle et observa fixement le feu. Elle était perdue. Complètement perdue.

Allait-elle mordre la main qui l’avait si longtemps nourrie ?

— Tu ne devrais pas t’embêter avec ça pour le moment, reprit la parole Elisaveta en continuant de tourner les brochettes. Nous sommes loin d’être tirées d’affaire. Nous nous inquiéterons de notre loyauté après avoir inspecté les autres bunkers de la carte.

Elle en avait déjà visité deux. Ces bunkers-là avaient déjà été détruits, elles n’avaient même pas pu y entrer. Anna avait même pu déterminer que les charges explosives avait été placée à l’intérieur des bâtiments, comme si on avait voulu ensevelir leurs secrets. Il y avait bien quelque chose derrière toute cette affaire…

— Oui, tu as sûrement raison. J’y pense depuis hier déjà… Si les forces de Mharreg ne sont pas si nombreux dans l’Oural, nous devrions pouvoir rentrer chez nous en passant par le nord.

— Il y aura sûrement un barrage à franchir, mais je suis du même avis que toi. Mais, allons prendre le risque de rentrer ?

— Avons-nous d’autre choix ? On ne va pas s’installer dans une cabane comme ça jusqu’à notre mort, non ?

Elisaveta retira les brochettes qui étaient à présent dorées et les distribua.

— Laissez-les un peu refroidir, sinon vous allez vous brûler la langue.

— Oui, maman ! s’écria Ludmila en plaisant.

— Et le papa c’est Annuska du coup ? Ce serait marrant. Fufufu !

Anna tourna son regard vers Nadezhda et la fusilla du regard.

— Sans façon. Lisa est une bonne amie, mais ça s’arrête là.

— C’était une plaisanterie, elle ne voulait pas dire ça, rassure-toi, la défendit Elisaveta avant de souffler sa brochette.

— Ou pas. Hihihi !

Pour sa part, Ludmila ne pensait plus qu’à manger. Son expression était joyeuse, elle dévorait par petites bouchées pour déguster.

De son côté, Anna plongea à nouveau dans ses pensées. Elle n’avait jamais été bavarde, mais depuis l’affaire du bunker ses silences étaient lourds.

Elisaveta finit sa brochette puis fixa le feu et dit :

— Nous avons le choix. Nous pouvons soit tenter de rentrer, au risque de nous faire exécuter par le KIYM. Soit nous pouvons refaire notre petite vie au milieu de nulle part…

— Et lorsque nous n’aurons plus de pouvoirs ? l’interrompit Anna.

— Ce sera un Game Over. Fufufu !

— Ce n’est pas sûr, des humains sans pouvoir survivent à des climats périlleux. Il suffira de nous habituer, c’est tout. Quoi qu’il en soit, c’est un choix qui se présente à nous malgré tout.

— Sinon, on pourrait pas se tirer dans un autre pays ? demanda Ludmila.

Elle posa sa brochette vide et en reprit une nouvelle. Les trois filles la considèrent un instant sans rien dire.

— Quoi ? J’ai dit un truc qu’il fallait pas ? Ah, j’y suis ! C’est que ma deuxième, Lisa a dit quatre par personnes, c’est bon, me matez pas comme ça !

— Au contraire, tu as dit quelque chose d’amusant, Lyuda. Kukuku !

— C’est techniquement possible, dit Elisaveta avec un regard soucieux. Nous pourrions soit tenter un long voyage vers l’est, soit vers l’ouest. Dans les deux cas, ce ne sera pas sans risque, il faut traverser plusieurs territoires ennemis.

— Les chances de mourir sont extrêmement hautes, dit Anna. Vers Amaryllis, il faut traverser le territoire de Mharreg puis celui des Mi-Go. Vers Kibou, il faut traverser celui de Mharreg, Azathoth et peut-être Ugoltho. Sans oublier la difficulté à travers la mer où se trouvent les forces de Chtulhu. C’est une mission suicide…

— J’ai entendu des rumeurs : certaines y arrivent, dit Elisaveta. L’armée ne l’affiche pas, mais chaque année un certain nombre de déserteuses partent dans les autres pays. Notamment Kibou, à ce qu’il paraît.

— Je me demande où tu as entendu ces rumeurs… ?

— J’ai entendu les mêmes, dit Nadezhda.

— À Kibou, paraît que les vedma se la coulent douce, dit Ludmila.

— En fait, à part moi, vous étiez toutes au courant de cette rumeur…

Anna se massa les tempes. Dans quel groupe était-elle tombée au juste ? Avant même leur errance, ces filles écoutaient déjà des propos anti-impérialistes…

Les filles ne répondirent pas, elles se contentèrent de manger.

— Niveau langue, Amaryllis serait sûrement plus facile pour nous, dit Elisaveta. On y parle anglais et français.

— Tu parles anglais et français ? s’étonna Anna.

Depuis l’Invasion, l’Empire, un profond isolationniste, n’enseignait pas les langues étrangères. Mis à part les étrangers qui continuaient de se les transmettre, notamment le finnois, le reste de la population ne parlait plus que le russe. Ce n’était bien sûr pas sans raison, cela permettait d’éviter l’échange avec autres pays.

— Ma famille est noble et le français encore plus que l’anglais est vu comme un prestige ancien. J’ai subi plus de coups de bâton que vous ne le pensez pour apprendre cette langue infernale, tant elle est difficile.

— Désolée d’avoir rappeler de mauvais souvenir, s’excusa Anna en baissant le regard.

— Ne t’inquiète pas, ce n’est rien. Au contraire, si ça peut se révéler pratique, cette douleur aura servi à quelque chose.

Elisaveta affichait un sourire bienveillant et sincère. Encore plus depuis leur trahison, elle prenait son rôle de mère ou grand-sœur protectrice de plus en plus à cœur. N’était-ce pas le vrai rôle d’une noble que de défendre les roturiers ?

— Bah, pourquoi pas Amaryllis, dit Nadezhda avec un regard rêveur. Tant qu’on peut avoir une nouvelle chance ailleurs, je suis partante. Fufufu !

— Tu détestes à ce point ta patrie ? demanda Anna en lui jetant un regard de côté.

— Je ne la déteste pas. Pas du tout ! Mais, je suis curieuse, j’ai toujours rêvé de visiter le monde et goûter toutes les cuisines militaires. Fufufu !

— Ça te ressemble bien…, dit en souriant Elisaveta.

— C’est quoi ce rêve en carton, dit Ludmila. Essaye au moins la haute gastronomie, la bouffe militaire est pas folle.

— Moi je l’aime.

— Il paraît qu’en France et en Italie, ils ont des restaurants incroyables.

Elisaveta se mit à rêver à son tour. On lui en avait parlé de nombreuses fois de la gastronomie française, mais aussi de celle italienne.

Ludmila, qui venait de finir sa brochette, reprit :

— À choisir, je préfère Kibou.

— Pourquoi Kibou ? demanda Elisaveta intriguée.

— C’est simple, on est plus proches. Puis, j’ai entendu parler de routes de passeurs qui nous relient à ce pays. Si on en trouve une, on aura une chance de pouvoir y arriver en un seul morceau.

— Une route de passeur ? s’étonna Anna.

— Ouais. Ce ne sont pas que des rumeurs, je connaissais une déserteuse en fait. Pas mal de vedma détestent l’armée, tu sais ? Et certaines ont trouvé le moyen de passer entre les rangs de l’ennemi et vendent le droit de passage à celle qui veulent se faire la malle.

— Tu parles sérieusement ?

— Pourquoi je mentirais ? C’est horriblement cher, il faut au moins économiser deux trois ans de solde pour s’attribuer les services d’une passeuse et ce n’est même pas fiable à cent pourcent, mais ma connaissance a pris le risque.

Les filles restèrent sans voix. Même pour Nadezhda et Elisaveta, tout cela n’était que des rumeurs de couloirs à la base, mais elles étaient loin de se douter que Ludmila en savait aussi long sur la question. Ludmila continua en jouant avec le pic de sa brochette.

— Certaines passeuses malhonnêtes larguent les vedma en plein territoire ennemi et se taillent avec la thune. D’autres, bah, elles se foirent tout simplement et une fois repérées tout le monde clamse. Puis, certains ont de bonnes routes, mais vu qu’elles n’ont pas actualisé les positions de l’ennemi, bah la route finit par être pourrie. Bref, c’est carrément pas fiable, mais beaucoup tentent le coup…

On pouvait lire dans son regard qu’elle se demandait si sa connaissance avait réussi le voyage ou non.

Anna plissa à nouveau les yeux et se tût. Elle apprenait encore quelque chose de choquant sur son pays. Des réseaux de déserteuses… l’unité 54 en était réduite à envisager de les contacter. Quelques semaines plus tôt, Anna aurait été prise de colère rien qu’en entendant ces mots.

Pourraient-elles encore s’appeler l’unité 54 après tout ça ?

Plus la discussion avançait, plus elle avait l’impression de marcher sur un chemin nocturne boueux où elle s’engloutissait.

— Tu n’as pas donné ton opinion encore, Annuska. Même si nous ne sommes pas d’accord sur la destination, je pense qu’on peut dire que toutes les trois on est d’accord pour chercher un pays où nous réfugier. Mais toi ? Que voudrais-tu faire ?

— Pourquoi me le demander ? Vous êtes trois contre un, mon vote n’a aucune importance.

— Il en a ! Ton avis nous est important !

— Puis, qui a dit que nous allons nous plier à la majorité ? Fufufu !

Ces filles étaient déraisonnables, parfois Anna ne savait pas que penser d’elle. Elle les aimait et leur faisait confiance comme à des sœurs, mais depuis le début de leur exil, elles entraient de plus en plus souvent en conflit d’opinion.

— Si je dois choisir… je préférerais rentrer à la base et m’expliquer avec le haut commandement…

— J’étais sûre de ta réponse, je voulais l’entendre, dit Elisaveta. Il me semble inutile de toute manière de nous disputer, nous avons encore un peu de temps avant la fin de l’enquête. Tout le monde pourra réfléchir aux options qui ont été données aujourd’hui lorsque le moment de réellement décider arrivera.

Elisaveta se leva, fixa sa couverture sur ses épaules avant de se diriger vers la sortie de la cabane.

— Je t’accompagne ! dit brusquement Nadezhda en se levant. Moi aussi je dois aller pisser !

Les deux femmes s’observèrent, puis, sans mot dire, Elisaveta ouvrit la porte et se dépêcha de sortir en courant. L’air froid qui entra subitement fit pousser un cri à Ludmila.

A l’extérieur, il ne neigeait plus, mais le vent la déplaçait pour former des petits tas de-ci de-là. La visibilité était vraiment mauvaise.

En courant, elles se rendirent jusqu’à une petite grotte voisine à la cabane, elles l’avaient désignée en arrivant comme leurs toilettes, mais l’espace était trop confiné pour l’intimité de deux personnes. C’est pourquoi, c’était devenu une course.

Bien sûr, Elisaveta arriva la première.

— Aaaahhhh ! Il fait froid !!

Nadezhda alluma sa lampe torche.

— Tu as de longues jambes… Allez, je surveille les environs. Fais-moi confiance et détends-toi. Fufufu !

— Je… je ne sais pas si j’ai réellement confiance. Tu devrais y aller la première, tiens ! Ce n’est pas urgent de toute manière.

— OK

Nadezhda s’enfonça dans cette petite grotte naturelle, ce n’était pas très profond et heureusement aucun ours n’y vivait.

Elisaveta jeta une œillade en direction du tank qui stationnait non loin, il était recouvert de neige ce qui le camouflait. Puis elle s’agenouilla et joignit ses mains.

— Mon Seigneur Tout Puissant qui êtes au ciel. Mes prières sont maladroites, mais je vous prie de veiller sur nous. Je m’en remets à votre bonté éternelle. Ô Seigneur, guidez-nous et permettez-nous d’avoir la force de surmonter ces terribles épreuves. Amen.

Elle resta quelques instants encore à prier dans sa tête, elle répéta quelques prières qu’elle avait mémorisé dans un missel.

Lorsque soudain elle se sentit observée. Elle se retourna et aperçut Nadezhda les bras croisés, sa lampe torche éteinte.

— Tu… Tu as fini ?

— Oui et toi ?

— Hein ? dit Elisaveta un peu étonnée.

— Tu voulais juste prier en vrai, non ?

Elisaveta la fixa un instant, puis soupira longuement. Elle leva les épaules et avoua :

— De toute manière, un jour il fallait que tu t’en rendes compte… Tu es trop perspicace. Vous connaissez déjà mes idées sur Dieu, mais je ne suis pas que croyante, je suis aussi une pratiquante. J’ai même une croix brodée dans mon soutien-gorge… Tu m’as démasquée.

Puisque la religion était proscrite à Ukrytiye et pouvait entraîne des peines allant jusqu’à l’exécution, les pratiquants se montraient très prudents et cachaient sur eux les symboles de leur foi.

Elisaveta risquait gros en avouant tout cela à Nadezhda, toute amie qu’elle fût.

— Tu l’as cousue dans la doublure ? demanda Nadezhda avec insouciance.

Son attitude était quelque peu décalée face à une telle révélation, mais c’était Nadezhda.

— Oui. Le risque d’être découverte par l’une d’entre vous était trop grand autrement. Puis, ainsi, ma foi est plus proche de mon cœur. Dis-moi… tu t’en es rendue compte quand ?

— Disons que ça me paraissait évident que tu fasses les deux. Mais ça ne fait que quelques semaines que je me suis rendue compte que tu allais prier avant de dîner. Rassure-toi, je m’en fous. Au contraire, je trouve ça mignon de ta part. Fufufu !

— Mignon ?

— Croire en un dieu bienveillant dans ce monde cruel, il faut être une âme innocente et gentille, non ?

Elisaveta grimaça un peu. Autrement dit, elle venait de se moquer d’elle et de sa naïveté. C’était sûrement ce que devaient penser la plupart des athéistes. Mais elle ne s’en offusqua pas, au fond elle avait peut-être bien raison. Avant l’Invasion, le doute était permis mais depuis lors…

— Tu es vraiment perspicace. D’autant qu’il y a de moins en moins de personnes qui savent réellement ce que c’est de prier.

— Merci, mais je ne suis pas la seule perspicace dans notre unité. Tu as depuis longtemps une question qui te pend aux lèvres, non ?

— Tu as lu en moi jusque là ? dit-elle en fermant les yeux et en affichant un sourire crispé. Dans ce cas, je vais formuler la question : est-ce que tu… tu es… tu aimes… Aaaah ! C’est trop gênant, désolée !

Elisaveta n’arrivait pas à formuler quelque chose d’aussi simple. Cela dit, c’était normal, dans son éducation aristocratique on ne lui avait jamais appris à parler directement des choses de l’amour.

— Je ne comprends pas la questionPourrais-tu la reformuler ? Kukuku !

— Est-ce que tu… Aurais-tu quelques goûts déviant quand à tes préférences… en matière de partenaire ?

Elisaveta était rouge comme une pivoine et n’osait pas regarder son interlocutrice. Elle qui était un peu la grande sœur de l’unité, elle venait de prendre un sacré revers dans son image de marque.

— Déviant ? Qu’entends-tu par là, Lisa ? Sois plus précise, s’il te plaît. Fufufu !

Elle allait expliciter sa demande, lorsqu’elle réalisa :

— En fait, tu es carrément en train de te moquer de moi…

— Je n’oserais pas voyons. Fufufu !

Elisaveta grimaça avant de reprendre son calme. Elle avait été menée en bateau.

— Peut-être bien que oui. Mais est-ce réellement un problème ? Est-ce que cela va à l’encontre de tes opinions, ma chère religieuse ? Fufufu !

Nadezhda posa son index sur la bouche d’Elisaveta en affichant une sourire énigmatique, voire presque diabolique. Bien sûr, ce genre de préférences étaient à l’opposé de la religion, mais elles l’étaient également à l’égard de la loi. L’Empire d’Ukrytiye punissait ce genre de tendances au même rang que les religions.

— Donc tu… Oh, Seigneur ! Que dois-je faire… ?

— Que cela reste entre nous, nous sommes toutes les deux de bien vilaines filles. Comporte-toi simplement comme d’habitude, cela ne change rien entre nous.

Elisaveta fut déboussolée quelques instants, mais reprit rapidement sa composition habituelle. Un secret contre un secret, Nadezhda avait eu la délicatesse de procéder à un tel échange. En tant que noble, elle ne pouvait trahir un marché aussi sacré.

— Au final, je plains la pauvre Annuska. Dès le début, cette unité était composée d’éléments à problèmes, dit-elle en affichant un sourire crispé.

— Les bizarres attirent les bizarres. Héhéhé !

— Euh… et Ludmila ? Elle est comme toi ?

— Je ne crois pas. Mais tout comme toi et moi serions condamnées au peloton d’exécution, elle n’y échapperait pas non plus. N’a-t-elle pas dit à demi-mort avoir eu affaire au KIYM à cause de ses désertions ? Et là, elle nous parle l’air de rien de passeurs. Je me demande si elle n’économisait pas pour quitter l’Empire avant de nous rejoindre ?

Elisaveta soupira longuement. Tout ce que soulignait Nadezhda était plus que probable. Elle ne serait pa étonnée que cette étrange fille ait vu juste une fois de plus.

— Veille bien sur Annuska. Elle risque de péter un câble si un jour elle se rend compte de tout ça. Il n’y a que toi pour lui faire entendre raison, elle te respecte beaucoup, dit Nadezhda en posant la main sur l’épaule de son interlocutrice. Rentrons, il fait vraiment trop froid et elles risquent d’avoir des doutes. Fufufu !

Elisaveta pourrait-elle réellement se comporter comme avant après avoir découvert de telles secrets. Elle soupira à nouveau en observant la buée qui sortait de sa bouche et suivit Nadezhda jusqu’à la cabane.

***

Le lendemain, les filles arrivèrent à quelques kilomètres de leur objectif.

Néanmoins un obstacle se dressa face à elles.

— À mon avis, nous ne passerons pas comme ça, dit Anna.

— J’en doute aussi. Lyuda, Nadya, vous pouvez tenter une sortie ? demanda Elisaveta.

— Hein ? Pourquoi nous encore ?

— C’est de l’exploitation. Fufufu !

— Facile : je dois rester au poste de pilotage et Elisaveta est plus efficace en restant aux aguets avec sa magie.

Ludmila fit la moue, puis se résigna et se contenta de se transformer et d’attraper un bonnet à fourrure qu’elle enfila. Le genre était assez particulier, le bonnet ne correspondait pas au style hightech de sa combinaison.

— T’en as vraiment besoin ? Tu es transformée, tu ne vas pas mourir de froid. Au pire, je te réchaufferais de mon corps. Kukuku !

— Je t’en pose des questions ! Transforme-toi qu’on s’en occupe fissa !

Mais en guise de réponse, Nadezhda lui désigna du doigt un casque avec un microphone.

— Ce bonnet là est plus utile, je pense. Hihi !

Ludmila fit de nouveau la moue, puis attrapa son casque de communication.

Suite à quoi les deux filles quittèrent le tank. Elles s’en allèrent de suite récupérer leurs fusils d’assaut dans les soutes du véhicule et considérèrent la vaste étendue couverte de neige. À bien y regarder, on pouvait voir par endroit des reflets luisants : une surface d’eau gelée par-dessus laquelle la neige s’était entreposée.

C’était un petit lac d’une centaines de mètres, mais avec le poids du tank, elles auraient fini au fond de l’eau si Anna n’avait pas eu l’intuition d’arrêter le véhicule.

Ludmila, avec un air un peu grognon, tapota du pied le bord du lac. La glace paraissait épaisse, elle ne se craquela pas même lorsqu’elle monta dessus. Nadezhda l’observa amusée.

— Quoi ?

— Je me demandais si tu allais nous faire un petit ballet sur glace. Fufufu !

— Tu te fiches de moi ?

— J’aimerais beaucoup en voir un. Tu es une diva, ça devrait le faire. Fufufu !

Ludmila lui jeta un regard noir avant de lui présenter un certain doigt, ce qui amusant encore plus son interlocutrice qui se mit à glisser sur la glace. Son apparence était en décalage avec le patinage artistique qu’elle essayait maladroitement d’imiter.

— Faut vraiment que t’arrête ça. On dirait une vieille perverse chelou.

— Tu vas appeler la police ?

— Idiote, je suis l’armée pourquoi j’appellerais les flics ?

— Pour me passer les menottes, peut-être ? Mais tu peux sûrement t’en occuper toutes seules, ça ne me dérange pas. Fufufu !

Nadezhda se rapprocha d’elle en lui tendant les bras.

— Je préférerais te faire des clefs de bras pour te jeter au sol.

— Pourquoi pas ? Ce n’est pas forcément déplaisant. Hihihi !

Mais alors que Ludmila allait mettre ses menaces en application, son pied glissa et elle tomba sur son interlocutrice. Rapidement, elles se retrouvèrent allongée sur la glace l’une sur l’autre.

— Oh ? Tu l’as finalement fait ?

— Tsss ! Saleté de glace, j’ai trop glissé… Euh… Pourquoi t’as pas l’air désolée ? Et pourquoi tu as un regard de vieille perverse ?

— Une jolie fille me saute dessus pour me culbuter, pourquoi devrais-je être en colère ? Fufufu !

— Sale perverse, va ! Allez, bouge ton gros cul ! On a autre chose à faire…

Ludmila se releva en l’écrasant sans ménagement. Elle était bien loin de se douter de ce que pensait réellement son interlocutrice. Elle tendit la main à Nadezhda pour l’aider à se relever.

— Oh ? C’est gentil.

— Tu le mérites pas…

— Probablement pas, je suis une vilaine fille avec des pensées perverses. Fufufu !

— Ouais, ouais…

Une fois encore, Ludmila ne se doutait nullement de la vérité qui venait de lui être révélée, seule Elisaveta était au courant à présent.

Quelques instants plus tard, les deux filles avaient fini de traverser le lac. Il était suffisamment stable pour leurs poids, aussi il ne restait qu’à revenir auprès des leurs camarades. Ludmila s’arrêta soudain au milieu du lac.

— Je propose qu’on teste l’épaisseur.

— Tu veux faire ça comment ?

— Attends, tu vas voir…

Elle empoigna son arme, sélectionna le mode coup par coup et vérifia qu’une balle était engagée. Puis, elle posa le canon à même la glace et enchanta son arme. Une lumière l’enveloppa, des marques s’inscrivirent dessus un bref instant avant de disparaître puis…

* BAM *

Le coup de feu retentit à des kilomètres dans ces vastes étendues vides.

<< Qu’est-ce qui se passe ? J’ai entendu un coup de feu… >>, s’inquiéta Elisaveta dans le communicateur.

— C’est bon, c’est moi.

— Lyuda s’ennuyait, elle a voulu tirer sur un lapin mais l’a raté…

— Eh oh ! Retire ce que tu viens de dire ! Déjà, je l’ai pas fait par ennui ! Et ensuite le lapin qui échappera à une de mes balles n’existe pas, OK ?

— Et si on rencontre un lapin Ancien ? Fufufu !

— Je te déteste !

<< Euh… je ne comprends pas tout. Vous pouvez me décrire la situation ? >>

Ludmila et Nadezhda s’accroupirent et observèrent le trou parfait qu’avait creusé l’arme.

— À vue de nez, on doit avoir au moins 20 centimètres d’épaisseur, dit Ludmila. Me faudrait un outil pour mesurer ça…

— Moi je dirais que ça s’enfonce de quatre cinq doigts au moins, ajouta Nadezhda.

<< Des doigts ? >>, commenta la voix troublée d’Elisaveta.

— Ouais. Tu veux qu’on enfonce quelque chose dans le trou pour être plus précises ? Kukuku !

<< Non, c’est bon. Revenez… >>

Depuis qu’elle avait appris la vérité, Elisaveta avait l’impression de comprendre mieux le double sens des propos de Nadezhda et ne pouvait s’empêcher d’être troublée au point de rougir parfois.

En retournant dans le tank, les deux filles reprirent leurs formes normales.

— Aaaah ! On gèle !!! On fout quoi alors ? On fait le tour ou on traverse ?

— Faire le tour risque de rallonger mais ce serait plus prudent, dit Elisaveta.

Au plus court, le lac ne faisait qu’une centaine de mètres, mais puisqu’elles étaient en montagne, le contourner les amènerait à des kilomètres de détour.

— Tu en penses quoi Annuska ? La glace supporterait le poids du T-90 ?

La réponse tarda à arriver.

— Annuska ?

— Ah euh… oui, désolée. J’étais ailleurs. Je vais me débrouiller pour qu’on passe. Au pire, je transforme la propulsion en maglev.

Elisaveta grimaça, puis rajusta sa position dans son siège :

— On te fait confiance. Allons-y.

Anna se transforma sans plus tarder et posa ses mains sur les parois du véhicule. Elle ferma les yeux et visualisa toute sa structure dans son esprit. Plutôt que de modifier toute sa structure, son blindage et sa forme, elle opta pour une solution bien plus simple : elle modifia le métal qui le constituait.

En le transformant entièrement en aluminium, elle réduisit drastiquement le poids de 49 tonnes du véhicule autour d’une quinzaine. À présent, il ne pesait pas plus qu’une petit camion.

Évidemment, ce n’était pas le moment pour tomber sur des ennemis, son blindage n’avait plus rien de comparable.

— J’y vais lentement. Indiquez-moi si vous voyez ou entendez quelque chose, OK ?

Les filles montèrent sur le véhicule pour observer les éventuelles craquelures, mais la traversée se fit sans encombre. La couche de glace était suffisamment solide.

Une fois de l’autre côté, Anna rendit au T-90 sa structure normale.

Quelques minutes plus tard…

— Arrête le véhicule ! Des ennemis !

Le véhicule s’arrêta non sans déraper.

— Coupe le moteur, je crains qu’ils ne nous entendent…

Une fois de plus, Anna exécuta les ordres docilement.

— Y sont combien et où ? demanda Ludmila en faisant tourner le tourelle à la recherche d’une cible.

— J’en détecte trois, derrière la colline… des morts-vivants…

— Je me disais que c’était trop beau…

— S’il n’y a que trois zombies, on devrait y arriver sans encombre, dit Anna.

— Justement, leurs auras… leurs présences… ce ne sont pas de simples zombies.

— Ce sont des vedma zombie, non ? demanda calmement Nadezhda.

C’était ce qu’elles craignaient le plus. Trois en même temps, selon leur puissance, serait un allé simple pour l’au-delà.

— Comment tu fais pour le savoir ? demanda Anna, sceptique.

— Les deux autres bunkers avaient été dévastés par des bombes de l’intérieur : on a voulu préserver leurs secrets. Puisque nous sommes toujours sur le territoire de Mharreg, s’il y a quelque chose d’important à garder, c’est normal qu’elle le confie à ses meilleurs unités.

C’était un raisonnement qui paraissait logique.

— Déjà une c’est coton, que fait-on ? demanda Anna inquiète.

— C’est vrai que trois en même temps…

— Ouais, mais si on se les fait pas on pourra pas entrer dedans, non ?

— Ou alors on pourrait faire une diversion. Fufufu !

— Expose ton idée, Nadya.

— Fufufufufufufu !

La jeune femme se mit à rire de manière maléfique alors qu’elle exposa son idée…

***

Deux ans auparavant, dans la base de Syklyvkar.

Anna avait demandé à s’entretenir avec son lieutenant. À cette époque, elle était déjà une vedma depuis quelques années et son dossier était des plus irréprochables : aucun retard, aucune accroche avec ses collègues, aucune remise en question des ordres.

Aussi, c’est avec une certaine curiosité que le lieutenant, un vieil homme de plus de la soixantaine au visage buriné et dur, l’accueillit dans son bureau.

Après les salutations d’usage, la jeune femme attendit qu’on lui laisse le soin de s’exprimer.

— Merci mon lieutenant du temps que vous m’accordez.

— Je vous écoute, soldate Pimenova. Que voulez-vous me dire ?

L’homme tira d’un étui un fin cigare qu’il alluma tout en invitant d’un geste la jeune femme à s’asseoir.

— Euh… J’ai un projet que j’aimerais vous montrer, mon lieutenant.

Ce dernier leva un sourcil. De quoi pouvait-il s’agir ?

— En fait, comme vous le savez, il y a tout type de vedma : certaines offensives, d’autres défensives et certaines avec des pouvoirs de support.

— Allez dans le vif du sujet, je vous prie.

— Bien sûr, mon lieutenant. Je voudrais proposer la création d’unité de vedma tankistes, résuma-t-elle rapidement, stressée par l’aura intimidante de son supérieur.

Ce dernier ne répondit pas de suite, il aspira une longue bouffée de fumée avant de la recracher. Puis, il leva les yeux au plafond : il semblait incrédule, mais malgré tout…

— Exposez votre idée en détail.

Il préférait écouter ce qu’elle avait à dire. Dans sa carrière militaire, il avait appris au moins une chose : ne pas sous-estimer les idées farfelues.

Pendant l’Invasion, lorsqu’on lui avait rapporté des créatures étranges capables de détruire des tanks à mains nues, il n’avait pas voulu y croire, de même que ses collègues de l’époque. Et pourtant…

Accorder quelques minutes à cette idée n’était pas cher payé si elle se révélait finalement utile.

Anna afficha une expression satisfaite et heureuse, elle ne pensait pas qu’on lui permettrait d’aller aussi loin. Ses sous-officiers l’avaient découragée et avaient déclaré de manière moqueuse de présenter cela au lieutenant, ce qu’elle avait fini par faire.

— En m’inspirant du système des tank noirs du KIYM, j’ai pensé qu’il était possible de combler les lacunes de certaines vedma en les unissant dans un tank. En tant qu’unité de combat, elles deviendraient capables d’abattre des ennemis qu’elles ne pourraient espérer vaincre autrement.

Elle se mit à exposer son idée d’avoir trois ou quatre vedma à l’intérieur d’un tank et de faire fonctionner l’unité comme des tankistes magiques. Elle insista sur le fait que les capacités de ces filles généralement peu utiles au combat les menait souvent à la mort et l’inefficacité, alors que bien employées elles pourraient terrasser des ennemis au nom du Tsar.

Le lieutenant ne l’interrompit pas, il attendit la fin de son exposé, puis ne posa qu’une simple question :

— Combien d’unité pensez-vous nécessaire à un test ?

— Test ? Un peloton de quatre tank serait suffisant, mon lieutenant.

— Mmm… je vais considérer votre idée. Vous pouvez rompre.

— Sauf votre respect, mon lieutenant. À la proposition de mes sous-officiers, j’ai préparé un dossier pour vous présenter en détail le projet.

— Posez cela sur mon bureau. Bonne initiative, soldate Pimenova.

— Merci, mon lieutenant.

Quelques semaines plus tard, le lieutenant approuva le test. Néanmoins, elle ne recevrait qu’un seul tank au lieu d’un peloton. En s’y incluant, elle avait gagné le droit de recruter trois autres vedma.

La période de test n’était pas encore fixée, mais selon les résultats l’idée serait peut-être développée par la suite.

Anna était fière et heureuse de cette approbation, c’était un grand pas en avant pour elle.

Un matin, alors qu’elle épluchait les dossiers des candidates, une missive lui parvint de la part de l’État-Major. Il s’agissait de l’autorisation de réquisition d’un tank dans le cadre de son projet.

La missive était peu claire, on ne lui indiquait ni le modèle, ni son état, simplement de se rendre au hangar 31 de la base.

Sans tarder, elle s’y rendit avec une joie difficile à cacher. Elle allait avoir son propre tank, c’était son plus ancien rêve qui deviendrait réalité.

Bien sûr, elle pouvait en construire un à l’aide de sa magie, en le créant pièce par pièce — sa magie n’était pas suffisamment puissante pour le créer d’un seul coup—, mais de toute manière on ne lui laisserait pas le droit de le conserver.

Mais cette fois, il s’agissait d’une autorisation officielle ! Elle avait le droit d’avoir son propre tank !

Elle avait envie de sauter de joie et de hurler, mais elle se retint comme elle savait si bien le faire.

Au hangar 31, dont elle n’avait jamais entendu parler, un sous-officier l’attendait.

— Soldate Anna, bienvenue.

— Monsieur ! le salua-t-elle.

Elle dénota la familiarité par laquelle il l’avait appelée, mais décida de ne pas y prêter attention. Les sous-officiers aimaient généralement pointer du doigt leur supériorité hiérarchique.

— Le haut commandement t’a autorisé à prendre ce que tu veux là-dedans. Tu es bien chanceuse, ma parole. Haha !

Anna resta placide même si elle avait du mal à comprendre ce qu’il y avait de drôle.

Elle le découvrit lorsque le sous-officier ouvrit en grand la porte du hangar poussiéreux : c’était une décharge à véhicule. Il y avait de tout, de la jeep en passant par le véhicule blindé léger et même quelques hélicoptères. Mais tout était hors d’état.

— Je te donne la clef, amuse-toi bien… Hahaha !

Le sous-officier savourait sa victoire et ne cessait de rire en s’en allant.

En somme, même si son test était autorisé, elle devait fouiller les poubelles pour le réaliser.

Anna soupira, mais décida de ne pas se laisser abattre. Elle était une mécanicienne, elle pourrait sûrement en tirer quelque chose.

Un rapide coup d’œil lui permet d’établir qu’elle ne trouverait aucun tank opérationnel et dernier cri dans ce hangar. Un MBT de la Guerre Froide intact ce serait déjà un miracle.

— Je n’ai pas de médaille, pas de quoi attirer la confiance des supérieurs, c’est plutôt normal, se dit-elle en commençant à faire le tour.

Elle restait heureuse qu’on lui ai donné l’autorisation de se servir dans cette décharge, il y avait de très belle pièce de ingénierie, même si obsolètes. Il n’y avait pas besoin d’un MBT Omega Terminus, le dernier tank de l’Empire, pour prouver sa projet.

Elle inspira profondément et s’imprégna de l’air chargé de vapeurs de carburant et de poussière. Pendant quelques temps, cet endroit deviendrait son nouvel atelier de travail.

À la surprise générale, elle parvint à remettre entièrement à neuf T-90 modernisé qu’elle dota même de quelques améliorations.

Quelques semaines plus tard, elle recruta trois coéquipières avec qui elle forma l’unité 54, une unité magique motorisée.

***

Le T-90MS prit position.

Contournant la colline, il se cacha autant que possible dans la neige et laissa juste sortir du monticule son canon à âme lisse de 125mm 2A46 et long de 48 calibres. La lame de bulldozer à l’avant avait déplacé la neige pour accumuler ce tas de neige qui formait son abri.

Grâce à une modification apporté par Anna, le moteur était aussi silencieux qu’une voiture électrique, on ne pouvait l’entendre qu’à quelques mètres.

Face à elles se trouvait à flanc de montagne une lourde porte métallique qui indiquait l’entrée d’un complexe souterrain. À moins d’en connaître la localisation, il était impossible de la voir au sein de ce paysage enneigé.

Devant l’entrée, trois vedma revenantes, ou autrement nommées « Banshee ».

La première, la plus à gauche, portait un uniforme militaire noir avec un brassard bleu à son bras droit et un béret. Elle avait des cheveux châtains mi-longs et des yeux rouges luisants. Son teint de peau était grisâtre et ses yeux entourés de cernes particulièrement marquées. Contrairement aux autres zombies, elle ne portait pas de traces de blessures apparentes, mais son teint était malgré tout maladif.

La deuxième, celle du milieu, était une blonde plantureuse aux cheveux longs. Elle portait une robe en latex orange qui s’arrêtait à mi-cuisse et dont la fermeture éclair était ouverte jusqu’au-dessus du nombril, mettant en exposition sa poitrine généreuse. Elle aussi avait des yeux rouges et un teint de peau excessivement blafard.

La dernière avait une longue chevelure noire ruisselante. Sur le front elle portait un médaillon tenu par une ficelle. Sa tenue était noire : un corset en cuir sur lequel étaient accrochés des breloques ésotériques, un mini-short en cuir, des collants et des bottes qui montaient au-dessus des genoux. Ses yeux et son teint étaient similaires aux deux autres. Elle était armée d’un arc médiéval.

Toutes les trois se tenaient parfaitement immobiles à leur position, sans cligner des yeux, sans parler, une attitude d’immobilisme que seul un mort pouvait tenir.

— Au moins, nous savons que c’est le bon endroit, déclara Elisaveta en prenant une profonde inspiration et en posant sa main sur sa poitrine.

Elle ferma les yeux et implora dans sa tête l’aide de son dieu dans l’entreprise périlleuse qu’elles allaient mené. Selon la puissance de leurs ennemis, le plan pouvait facilement se transformer en échec et conduirait à leur mort.

— Elles semblent bel et bien garder quelque chose, dit Anna qui manœuvrait le tank.

Elle cherchait à lui faire faire demi-tour pendant que la tourelle continuerait de pointer dans la direction des trois Banshee.

— Je me demande ce qu’il y a dedans. Fufufu !

— Lyuda, tu es en position ? demanda Elisaveta dans son communicateur.

<< Ouais, ouais, je me les gèle par contre. C’est quand vous voulez… >>

Ludmila n’était pas à l’intérieur du tank. Elle se trouvait près du lac gelé.

— Le T-90 est en position, j’attends le signal, dit Anna en serrant ses mains sur le volant.

— Je suis prête aussi. Celle du milieu ?

— Pourquoi celle du milieu, demanda Elisaveta avec étonnement. Celle à gauche est la plus proche de nous.

— Quelqu’un dans cette tenue ne peut pas être une vedma physique. On a plus de chances sur elle. Fufufu !

— Toi et tes théories… OK, vise celle du milieu alors…

— Khorosho~ !

Elisaveta reprit une nouvelle inspiration, puis d’une voix ferme assuma son rôle de chef de tank.

— Feu !! cria-t-elle.

Immédiatement, le canon de la tourelle ouvrit le feu conformément aux ordres. Un obus HEAT 3BK31 quitta le canon et se dirigea sur la vedma zombie au centre, celle vêtue en latex. Il s’agissait d’un obus anti-tank provoquant un effet d’explosion, contrairement à l’APDS qui était une pointe perforante. Le but semblait de la brûler sur place.

Au même moment, depuis la position où se trouvait Ludmila plusieurs tirs se firent également entendre. Un mortier, un 2B9 Vasilek enchangé par ses soins. Elle fit pleuvoir sur la position ennemi quatre obus hautement explosifs.

* BOOOOOOOMMM *

En un instant, le silence de cette montagne s’interrompit alors qu’un enfer de flammes apparut devant l’entrée des souterrains.

Sans attendre, le T-90 se mit en route à pleine vitesse. Toute la stratégie pensée par Nadezhda reposait sur une précision et une vitesse d’exécution sans faille.

Suivant le tunnel dans la neige précédemment creusé, le tank se hâta de rejoindre Ludmila, avant qu’une vague de neige provoquée par les explosions ne les ensevelisse.

Ludmila eut à peine le temps de tirer une deuxième salve d’obus qu’elle vit le T-90 fondre sur elle. La trappe de la coupole s’ouvrit et Nadezhda lui tendit la main.

— Votre trône vous attends, princesse. Fufufu !

— Ta gueule, Nadya ! C’est pas le moment !

— Fufufu !

Le tank ne s’arrêta pas, Ludmila prit appui sur sa carrosserie basse, bondit et attrapa la main de Nadezhda. À peine entrée à bord :

— Elles arrivent ! cria Elisaveta. Comme tu l’avais pensé Nadya, elles se sont séparées. Celle du milieu arrive par les airs. Interceptez-la, j’active les mines !

Ce qui rendait le bunker bien caché était la présence de cette colline juste devant l’entrée, mais aussi les aplombs rocheux voisins qui formaient deux chemins assez étroits de chaque côté.

L’idée de Nadezhda était « d’utiliser le cerveau que leur ennemi n’a plus », selon ses propres paroles. Exploitant les capacités d’Anna, elles avaient placé des mines sur chaque passage en prévision de l’éventualité où elles en empruntent au moins un. Mais elles en avaient également placé là où Ludmila avait tiré Ludmila, position qu’elles rejoindraient certainement.

Bien sûr, il n’y avait aucune certitude quant au fait qu’elles ne puissent pas voler toutes les trois, mais Nadezhda avait prévu les mines « au cas où ».

Le vrai plan consistait à créer la confusion et de les attirer une à une vers le lac qu’elles comptaient exploiter comme piège.

Dans combat, fuir pour séparer les ennemis et les affronter un à un était une stratégie efficace. Le problème majeur demeurait dans le libre arbitre que les vedma zombie avaient perdu : peut-être ne s’éloigneraient-elles pas de la porte si leurs ordres étaient de la protéger.

Même si les Banshee n’étaient pas décérébrés comme de simples zombies, leurs stratégies étaient souvent simples et soumises aux ordres qu’elles avaient reçus.

— Tu vas prendre cher ma vieille ! Tu vas connaître mon canon !!

— Le retour du canon de Lyuda ! Fufufu !

Ludmila grimaça puis le dirigea vers la silhouette qui passait par-dessus la colline. Elle enveloppa tout le char grâce à sa zone d’enchantement.

Tout en riant de sa blague, Nadezhda se mit à tirer avec la mitrailleuse anti-aérienne. Sa cible était la zombie provocante. Une sphère multicolore apparut autour de la vedma zombie et les tirs ricochèrent dessus.

* BOOMMM*

Aussitôt, le canon du T-90 cracha des flammes. Malgré le déplacement du véhicule, le tir arriva à atteindre sa cible avec précision. Mais l’obus perforant enchanté se heurta à son tour à la barrière et fut renvoyé immédiatement vers le tank.

— Hein ? Quoi ?! s’écria Ludmila avec étonnement.

Ce n’était pas une barrière normale. En général, elles bloquaient les attaques, elles ne les renvoyaient pas. Avant que l’obus ne percute le blindage du char, Nadezhda fit apparaître sa propre barrière et le bloqua.

— Elle va être plus coriace que ce qu’on pensait. Fufufu !

— Tire au lieu de causer !!

Ludmila commença à recharger le canon avec un missile Refleks cette fois.

— Quelle est la position des deux autres ? demanda Anna.

— Leur vitesse est bien inférieure à celle qui vole, elles arrivent dans la zone des mines dans trois… deux… un…

Des explosions en chaîne retentirent à cet instant, elles étaient accompagnées par les coups de feu de la mitrailleuse utilisée par Nadezhda.

Bien sûr, c’était de simples mines, sans enchantement, elles avaient peu de chance de produire des dégâts à leurs ennemis. Le but était simplement de les ralentir.

La vedma volante fit apparaître deux sphères noires dans ses mains et les projeta en direction du tank.

— Si les tirs directs ne marchent pas…

Au même moment, la détonation du canon se fit entendre et le missile Refleks fila droit sur la vedma zombie.

Les deux attaques se croisèrent. Les sphères noires s’écrasèrent sur la barrière de Nadezhda, l’une produisant une explosion de flammes tandis que l’autre de glace ; l’apparence des projectiles ne laissait nullement entrevoir la nature de leurs dégâts.

Pour sa part, le missile explosa avant de percuter la barrière. Ludmila l’avait programmé pour exploser en vol. Si la barrière réfléchissait les dégâts cinétiques, il lui serait impossible de le faire avec une explosion. Le plan se révéla fructueux, la barrière encaissa certes le missile mais elle avait subi des dégâts.

— Faudra plus qu’un missile, mais ça a marché, dit Ludmila.

De son côté, les yeux de Nadezhda pétillaient :

— De l’entropie ? J’ai toujours voulu ce genre de pouvoirs ! Fufufu !

Nadezhda s’y connaissait un peu dans le domaine des pouvoirs des vedma. La branche « Entropie », également appelée « Chaos », constituait parmi les plus illogiques des pouvoirs. Les utilisatrices de cette branche pouvaient manifester des phénomènes absurdes, encore plus que les autres pouvoirs. Il n’y avait généralement aucun rapport entre l’aspect visuel et les effets de leurs attaques.

— Cependant… elle est plutôt faible, on dirait. On a une chance de s’en occuper avant d’arriver au lac, je pense, reprit Nadezhda.

Elle ressentait la puissance des impacts sur sa barrière et elle avait connu bien pire.

Cependant, Anna annula ses précédentes créations, devenues inutiles à ce stade du plan, et créa deux chenilles supplémentaires au T-90. C’était le même principe que l’Objekt 279 dont elle avait déjà parlé. Par ce biais, elle améliora l’adhérence du véhicule et sa stabilité, ce qui lui permit d’accélérer un peu plus en direction du lac gelé.

Pendant ce temps…

— Lyuda, arrête de tirer et laisse la se rapprocher. Quand elle sera dans la zone de mon sceau lunaire, tu pourras lui balancer un bon missile made in Lyuda. Kuku !

— Ça j’aime l’entendre ! Ça marche !

Ludmila chargea le canon, le pointa vers son ennemie et la tint en joue.

— Lisa, où sont les deux autres ?

— En approche rapide malheureusement, répondit cette dernière. Annuska, on est à combien du lac ?

— Quelques centaines de mètres, tout au plus…

— Khorosho ! C’est le moment de la contre-attaque. Fufufu !

Sur ces paroles, Nadezhda retira le bandeau oculaire de sa forme de combat et dévoila un second œil d’une couleur jaune. Une secousse fit vibrer le tank alors qu’elle se concentrait en silence, en faisant le vide autour d’elle. Une sphère entropique venait de créer une explosion électrique et cinétique à la fois sur un des flancs du véhicule.

— Eh ?! Nadya, tu fais quoi ? la réprimanda Anna.

Mais, un grand cercle magique ne tarda pas à apparaître au sol, autour du tank. Le sceau lunaire de Nadezhda qui réduisait drastiquement tous les pouvoirs magiques dans sa zone. Cette fois encore, il excédait les cinquante mètres habituels, il était aussi vaste que lors du combat dans la mine.

— Fais-toi plaisir, Lyuda. Hahaha !

Sous l’effet du sceau, la vedma en vol vit sa capacité réduite au point de manquer de s’écraser au sol. De même, lorsque le canon retentit en soufflant la neige par la puissance de son onde de choc, sa barrière entropique apparut dans une version si faible qu’elle se fit transpercer.

Le missile anti-char à charge tandem libéra sur elle sa charge explosive enchantée.

Et, sans lui laisser de répit, Nadezhda accompagna Ludmila avec sa mitrailleuse. La Banshee se retrouva percer de multiples trous béants en plus d’être de subir d’être carbonisée. Son cadavre coupé en morceaux s’effondra dans la neige.

— Achève-la, Lyuda.

— Ouais, c’est bon, c’est ce que j’aurais fait de toute façon !

Même si elle paraissait morte, il était préférable de s’en assurer. Un obus normal vint définitivement la mettre en miettes, sans lui laisser le temps de s’en remettre.

— Une de moins ! Yeah ! Bouffe ça !

— Je confirme sa disparition de mon radar, s’empressa de dire Elisaveta.

— Juste à temps, dit Anna. Accrochez-vous, cette fois je n’ai pas le temps d’alléger le véhicule.

Freinant juste à l’arrivée du lac, le tank se mit à déraper sur ses quatre chenilles et le traversa en tournant tel une toupie. Sur son passage apparurent des lézardes particulièrement prononcées.

Le t-90 finit sa course contre un monticule de neige de l’autre côté.

— Vous allez bien les filles ? s’enquit Elisaveta.

— Pas de souci

— Ouais, ouais…

— Je vous avais prévenues.

— L’ennemi approche ! Pas le temps de disserter, interrompit Elisaveta. C’est quoi la suite du programme ?

— Transforme le canon, je m’occupe de les allumer.

— Et moi je vais nous défendre. Comme toujours. Fufu !

— La conversion sera prête dans quelques secondes, c’est un peu complexe.

— Je sais, je sais…

Ludmila trépignait d’impatience malgré la peur. Elles n’en avaient éliminée qu’une sur les trois, elles n’étaient pas encore tirées d’affaire. Qui plus est, elles ignoraient les pouvoir des deux autres.

Anna était inquiète. En entraînement, elle avait déjà essayé ce genre de modification sur le tank, mais jamais en combat réel. Elle visualisa sous la forme d’un dessin technique tridimensionnel les moindres courbes du véhicule et commença à le modifier pour accueillir au lieu d’un canon de 125mm une mitrailleuse gatling, une Gsh-6-30. La puissance individuelle de chaque munition était certes inférieure à celle du canon d’origine du T-90, mais elle était capable de tirer jusqu’à 6000 munitions minute.

De l’autre côté du lac, une silhouette fit son apparition en courant à vive allure. C’était la vedma en tenue militaire noire. À présent, elle avait une paire de sabre de cavalerie dans ses mains. Considérant sa vitesse de déplacement, elle était assurément une vedma physique.

— C’est prêt ?

— Pas encore, attends un peu…

Soudain, des coups de feu se firent entendre au-dessus de la position de Ludmila : Nadezhda venait d’ouvrir le feu avec son pistolet. C’était une attaque futile, mais elle espérait gagner un peu de temps.

Quelques secondes plus tard…

— C’est bon !

— C’est partiiiiiiiiiiiiiiiii !!! hurla Ludmila en déployant son enchantement sur la mitrailleuse rotative uniquement.

Considérant sa cadence de tir, parvenir à enchanter toutes les munitions était un défi, mais elle y arriverait, leur survie à toutes les quatre en dépendait.

Couvrant les tirs de Nadezhda, l’arme commença à faire feu.

La rotation des tubes était si élevée qu’on ne voyait qu’une flamme continue à l’avant du canon et on n’entendait même plus les détonations de chaque tir. À la place, un simple « brrrrrr ».

Les munitions de plus de 390 grammes en uranium appauvri enchantées de surcroît traversèrent rapidement le lac pour ciblre la vedma zombie. Malgré le barrage de tir, elle continuait d’avancer en dressant sa barrière réactive.

Elle finit par lancer de toutes ses forces l’un de ses sabres sur le tank. La barrière défensive de Nadezhda qui intercepta le projectile se fractura sous la violence du coup.

— Elle est coriace celle-là ! cria Ludmila sans interrompre le tir.

Anna prit une profonde inspiration : maintenir une arme pareille lui demandait beaucoup d’énergie, elle ne tiendrait pas quelques minutes à ce régime.

La barrière ennemi finit par se briser. Mais, grâce à des réflexes de dernière seconde, la Banshee fit apparaître une dizaine de sabres qui formèrent un mur de métal.

La bataille devint soudain encore plus chaotique : des étincelles jaillirent de partout tandis que les balles se heurtaient à cette barrière de sabres incroyablement solide. Quelques balles ricochèrent et percèrent la couche de glace, levant un nuage de neige.

Rapidement, il devint difficile de voir quoi que ce fût. Ludmila marqua une pause dans son assaut.

— Elle est encore en vie ! cria Elisaveta dans son communicateur. Elle approche !

— Quoi ?! Vraiment ?

Anna, malgré la fatigue, prit les commandes du véhicule et sans demander conseil le poussa en avant à fond.

* Slash *

Avant que Ludmila ne put remettre en rotation les canons de la gatling gun, une attaque verticale s’abattit sur le tank. La barrière défensive de Nadezhda se brisa, elle était déjà affaiblie par les précédentes attaques. Une entaille se dessina à l’arrière du tank, dans le bloc moteur ce qui l’immobilisa immédiatement.

— Le moteur est touché ! Je… je ne vais pas pouvoir maintenir la mitrailleuse longtemps…, déclara Anna en sueur.

— Enfoirée !!!!

À travers le nuage de neige se dessina la silhouette de la vedma avec un bras manquant et la moitié de la tête arrachée. Ludmila hurla et se remit à faire feu.

Mais cette fois, un mur de glace se dressa devant la vedma zombie et bloqua les tirs : la dernière des ennemies était arrivée et la situation se compliquait déjà.

Ludmila grimaça sans interrompre son assaut, elle ne voyait pas quoi faire d’autre. La situation devenait désespérée.

À la surprise général, une ombre atterrit sur le mur de glace et bondit loin de l’autre côté, en direction de la troisième Banshee, de l’autre côté du lac.

— Aaaaaaaaaahhhh !!

Elisaveta concentra toutes ses forces dans son poing et l’abattit sur le visage de son ennemie. Le coup porta, la vedma zombie fut projeté en arrière dans la neige.

Elle venait de perdre sa concentration, le mur de glace s’effrita et vola en éclat sous la violence des tirs.

Au moment où la Banshee au sabre allait frapper à nouveau, une pluie de balle vint littéralement la réduire en charpie ; elle n’eut pas le temps de se défendre.

— Lisa ? Qu’est-ce que tu fous là-dehors ? Reviens !

— Tu es géniale, Lisa~ ! Si j’étais un mec je me marierais avec toi. Fufu !

— Héhé ! Merci… Enfin, je suppose que…, répondit la jeune noble avec un air gêné. Laisse tomber !

Je suppose que tu préférerais une fille, avait-elle eu envie de dire.

Au même moment, la tourelle reprit son apparence normale. Le moteur abîmé relâchait une fumée noire épaisse.

— Han… han… je… vais réparer tout ça…

— Reposez-vous toutes les trois, je m’occupe d’elle, déclara Elisaveta en s’avançant vers la Banshee restante.

— Attends on vient t’aider.

— Pas la peine. C’est une combattante à distance, je ne vais pas lui laisser de répit.

Sur ces mots, sans attendre de réponse, elle se mit à courir en direction de la troisième vedma qui venait de se relever.

Elisaveta utilisa sa capacité divinatoire de chaomancie et lut les mouvements d’air pour connaître le futur. Elle parvint à esquiver les missiles de glaces qui lui tirés sans trop de mal. Sa jupe de soubrette fut percée à divers endroits tandis qu’elle esquivait en effectuant des mouvements dignes d’une danse.

Avant que la Banshee n’ait pu bander son arc, Elisaveta enchaîna les coups ; elle brisa la barrière réactive de son ennemie en quelques instants. Comme elle l’avait deviné, elle n’était pas si puissante, elle était sûrement d’un rang inférieur à celui d’Elisaveta.

La barrière en morceau, elle allait abattre ses poings sur le corps de son adversaire… mais son œil lui permit d’entrevoir un danger imminent. Elle bondit en arrière de justesse, esquivant une vague de froid jaillie du corps de la zombie. Une colonne de vent glacé lui tournait à présent autour, tandis qu’elle portait ses yeux rouges malveillants sur Elisaveta.

— En fait, tu vas être un peu plus coriace que ce que je pensais…

La Banshee ne dit mot, elle banda l’arc et visa Elisaveta.

— Tu ne me toucheras pas, j’espère que tu en es consciente.

La zombie tira. Sa flèche enchantée par magie laissa une traînée de fragments gelée dans son sillage.

C’est avec aisance qu’Elisaveta l’esquiva. Grâce à sa divination, elle comprit le piège dissimulé derrière cette simple attaque : la flèche explosa derrière et projeta un shrapnel de fragments de glace.

Sans sa chaomancie, son dos aurait été criblé mais elle eut le temps de dresser sa barrière réactive juste à temps.

— Vicieux… mais bien joué.

Aussitôt, elle fonça à nouveau sur la vedma zombie. La barrière réactive de son ennemie mettrait un peu de temps à se restaurer, elle avait largement le temps de la terrasser.

À peine au corps-à-corps, la zombie fit apparaître une dague en glace et frappa. Elisaveta saisit le bras qui venait de porter le coup d’estoc et le brisa au niveau du coude, puis elle porta un coup de pied dans la poitrine de la Banshee et finit par un coup de poing en pleine figure. Au corps-à-corps, la Banshee était dépassée.

Elisaveta ne comptait pas laisser le loisir à son ennemi de tirer profit de la distance qu’elle venait de gagner en étant projetée en arrière, elle chargea aussitôt. In extremis de nouveau, elle évita les pics de glace jaillissant du sol à l’endroit et esquiva une nouvelle flèche.

* Ratatatata *

Des tirs criblèrent la Banshee. Les renforts étaient finalement arrivées : Ludmila et Nadezhda tiraient avec leurs AK-60.

— Va-y, Lisa !

Elisaveta sauta dans les airs et arma son poing avec toute sa force et l’écrasa son ennemi encore au sol. La tête ne manqua pas d’exploser sous la violence de l’impact.

— Tu vas bien, Lisa ?

— Ouais, ça va, rassurez-vous. Lancez-lui une grenade et mettons fin à ses souffrances.

Même avec une grande partie de sa tête en morceaux, le corps continuait de s’agiter. La résistance de ces zombies allait au-delà de ceux des films d’horreur.

Les deux filles attendirent qu’Elisaveta se fut éloignée puis lancèrent une grenade enchantée chacune. Cette fois, le combat était réellement fini.

Les trois filles revinrent rejoindre Anna et le T-90 et s’assirent sur les chenilles du tank. Elles topèrent cinq avec satisfaction.

***

L’intérieur du bunker était désert. Mis à part le comité d’accueil à l’entrée, il n’y avait personne.

Les filles avaient pris quelques heures de repos avant d’y pénétrer, réparant le tank au passage.

Contrairement au précédent bunker exploré, il n’y avait plus de cadavres qui jonchaient le sol, mais les traces de sang séchées et imprégnés à même les murs de béton ou de métal étaient bel et bien présentes.

L’autre élément qui différait était la présence d’électricité. Le complexe était actif, la ventilation fonctionnait correctement, de même que la lumière et la climatisation.

Cette fois, ce n’était pas un bunker récupéré de la Guerre Froide, aucun symbole communiste n’ornait les murs ou les portes, et l’architecture très moderne laissait plus à penser à la dernière période précédant l’Invasion.

— J’ai un sale pressentiment, déclara Elisaveta.

Elle jetait des regards inquiets autour d’elle.

— Ouais, pareil.

— Nous pouvons toujours faire demi-tour et retourner vivre dans la cabane. Fufufu !

— Du coup, on aurait combattu pour des prunes, c’est ça ? Pas question !

— J’étais sûre de ta réponse, Lyuda. Fufufu !

Elles se trouvaient à présent au quatrième sous-sol.

— Vous pensez que c’est un laboratoire comme l’autre fois avec un mutant ? demanda-t-elle avec un frisson.

— J’espère pas, putain !

— En tout cas, tu es plus préparée que la fois précédente. Fufufu !

En effet, alors qu’Anna et Nadezhda tenaient entre leurs mains leurs habituelles AK-60, Ludmila avait sorti d’une des soutes deux armes plus massives : une mitrailleuse lourde, normalement destinée à être utilisée avec un bipied, et un lance-grenade, ayant plus l’allure d’un fusil à pompe, accroché par une lanière de cuir dans son dos.

— Vos têtes étaient amusantes quand j’ai sorti ma petite Pecheneg et mon GM-94. Vous pensiez que je sortirais à poil ou quoi ? La dernière fois j’étais pas sûre de ce qu’on avait dedans, mais là je vais pas me laisser avoir.

— Je… je me demande juste comment vous faites toutes les deux pour avoir toutes ces choses prohibées ? demanda Anna. Entre les rations et les armes à feu, si on avait une inspection…

Nadezhda jeta une œillade amusée à la pilote.

— Les officiers ne sont pas insensibles à l’argent, tu sais, Annuska ? Puis, je vois pas ce que mes rations ont de mal et elles nous ont sauvé la vie. Fufu !

— Pareil pour mes flingues. Sans eux, on aurait été tuées depuis un moment. C’est pas les deux chargeurs d’AK et d’Oudav qu’ils nous donnent qui vont nous sauver les miches. Et je te signale que mon arsenal a été approuvé par nos officiers, j’ai payé pour avoir le droit de les avoir.

— Ah ouais ? s’étonna Nadezhda. Dimitri ?

— Yep ! En tant qu’unité spéciale, il a dit qu’on pouvait avoir du matériel, du coup il a approuvé. Bon, par contre, j’ai pas le droit d’acheter du matos étranger, mais ça me dérange pas, nos produits sont les meilleurs. Regarde donc les courbes des AK et de ma Pecheneg ! Quel intérêt de prendre autre chose ?

Nadezhda se mit à rire. Le spectacle qu’offrait une fille si petite avec une arme aussi imposante l’amusait. Anna pour sa part prit son visage dans sa main et soupira.

— Espèce de fana d’armes… Vous êtes toutes les deux corrompues, en plus.

— Ouais, et de canons aussi…, plaisanta timidement Elisaveta.

— Surtout le sien. N’oublions pas que le canon de Ludmila est un 125mm long de 38 calibres. Hahahaha !

Les trois filles ne purent s’empêcher d’éclater de rire, seule Ludmila, après tout ce temps, n’avait toujours pas compris. Elle sourit par politesse ou plutôt pour ne pas se sentir seule, mais en vérité elle ne voyait qu’un seul problème à cette blague…

— C’est un canon de 48 calibres, tu t’es gouré ma vieille.

— Oups, désoléeQuel étalon notre Ludmila. Fufufu !

Ce souci du détail lança une nouvelle vague de rire. L’ambiance était bien trop détendue considérant les dangers mais c’était justement parce que le stress était à son comble qu’elles avaient besoin de se détendre.

Elles reprirent leur exploration et découvrirent des lieux de vie abandonnés : des dortoirs, des petits laboratoires et elles la salle de communication.

Dans cette dernière, Anna confirma que les radios étaient réparables, même si les données contenues dans les ordinateurs avaient été intentionnellement sabotées des années de cela. D’ailleurs, il y avait encore des marques aux murs qui attestaient de la présence jadis de cartes dans la salle. À présent, tout avait été réduit en cendres.

L’endroit avait été sûrement attaqué de l’extérieur et les occupants avaient eu le temps de tout détruire avant la chute, ce qui n’avait pas été le cas de l’autre bunker qui avait été attaqué par un ennemi déjà à l’intérieur. Anna exposa cette théorie.

— Ce qui m’intrigue, dit Anna perplexe, c’est pourquoi le QG n’a pas activé l’auto-destruction du précédent bunker et de celui-ci à distance ? Je n’ai pas eu le temps de l’examiner la dernière fois, mais si on veut réellement faire disparaître des informations, on peut équiper un système de déclenchement à distance.

Nadezhda s’assit sur une table, prit un biscuit et répondit à la question :

— Selon moi, une partie de ces recherches étaient secrètes même pour l’État-Major. Connaissant le goût pour le mystère de notre pays, je suis sûre que seul le grand Voïvode ait été au courant. Peut-être même pas le Tsar, pour ne pas qu’il soit compromis en cas de découverte.

Le grand Voïvode était le titre qui désignait le général de toutes les armées du pays.

— C’est fort possible en plus, poursuivit Elisaveta. Je vous rappelle que dans les années 70, l’un des grand Voïvode est tombé au combat… ou assassiné, je ne crois pas au fait qu’il se trouvait sur le champ de bataille. Mais bref ! Et s’il n’avait pas eu le temps de transmettre à ses successeurs ?

— Lorsqu’on a parlé du bunker, le lieutenant-colonel a dû réaliser de quoi il s’agissait : un ancien projet de recherche secret. Puisqu’on lui a gentiment donné la localisation, il a dû penser faire disparaître les traces à jamais. Ça ressemble bien à nos officiers de se couvrir au nom de l’Empire. Fufufu !

Elles n’avaient malheureusement aucun moyen de confirmer leurs théories, aussi elle reprirent la marche jusqu’à arriver devant une lourde porte marquée des symboles « biohazard ». Elles marquèrent une pause, craignant ce qui pouvait se trouver derrière.

— J’ouvre…, dit Elisaveta après peu.

Toutes épaulèrent leurs armes et se préparèrent à la couvrir.

La porte s’ouvrit sans aucune difficulté, les vérins et autres pistons se mirent en marche et rendirent l’ouverture facile malgré son poids. Derrière, un sas de décontamination.

Mais, à peine entrèrent-elles qu’elles se rendirent compte que la porte à l’autre extrémité était ouverte : plus précisément, elle avait été forcée et laissée telle quelle.

<< Suite à un dysfonctionnement de la procédure de décontamination, la porte d’accès aux laboratoires de recherche est momentanément verrouillée. Veuillez revenir sur vos pas et contacter le personnel technique approprié. >>

C’était le même genre de message que dans l’autre bunker. Cette fois, quelqu’un avait déjà préparé le terrain à l’unité 54 en forçant la porte d’accès.

Elles se jetèrent un rapide coup d’œil, puis Elisaveta prit la tête du groupe.

— Je parie que c’est aménagé comme la dernière fois…, dit Nadezhda sur un ton léger.

Lorsqu’elles entrèrent dans les laboratoires secrets, elles se rendirent compte qu’il s’agissait exactement de la même pièce qu’elles avaient visité quelques temps auparavant. Le reste du complexe était agencé différemment, mais le laboratoire était identique au précédent : les ordinateurs, les lumières, les marches, tout était similaire.

— Ouais, c’est carrément pareil, dit Ludmila en observant attentivement autour d’elle.

— Les cadavres et la destruction en moins…

En effet, l’endroit était parfaitement conservé. L’absence de traces de sang prouvait qu’il n’y avait pas eu de combats dans cet endroit.

— Les machines d’éveil ! s’exclama Elisaveta. Allons voir ça !

Puisque c’était une salle identique à la précédente, cela voulait dire que les deux machines d’éveil devaient également se trouver au même endroit. Elles descendirent rapidement les marches de cet espèce d’amphithéâtre et entrèrent dans l’une des ailes de la pièce. Les deux imposantes machines, identiques à celles de l’autre bunker, y siégeaient.

— Elles sont en état. C’est incroyable quand même qu’on les ait abandonné, dit Elisaveta en posant sa main sur l’une d’elle.

— C’est pire que ça, dit Anna en observant rapidement l’écran d’un ordinateur proche. Quelqu’un continue de s’en servir !

— Hein ? Comment ?

— Elles ne sont pas simplement fonctionnelle, elles sont utilisées, je vous dis, répéta Anna. Regardez les données sur ces écrans, elles datent d’il y a un mois.

— J’ai du mal à croire que l’Empire continue d’exploiter cet endroit qui semble abandonné depuis belles lurettes.

— Lisa, ce n’est peut-être pas l’Empire, tu sais ?

Les regards se tournèrent vers Nadezhda qui avait posé son fusil d’assaut sur son épaule tout en affichant une expression énigmatique. Les filles attendirent qu’elle en dise plus, mais à la place elle demanda à Anna :

— Tu peux en dire plus sur les éveils qu’on y a pratiqué ? Leur fréquence et tout ça ?

Anna grommela brièvement de mécontentement, puis se mit à tapoter sur le clavier et la souris pour chercher les informations demandées. Elle aurait bien aimé savoir ce que sa camarade avait à l’esprit…

Il lui fallut quelques minutes pendant lesquelles Ludmila monta sur une table et surveilla la zone avec un regard inquiet— son instinct lui faisait dire qu’elles avaient mis le doigt sur quelque de vraiment gros. Nadezhda grignotait un biscuit et Elisaveta ses ongles.

Finalement, cette dernière reprenant un peu de calme décida de lancer un scan divinatoire de la zone. Elle prit sa gourde de sable et commença à le faire couler au sol. Toutes les présences apparurent à un kilomètres à la ronde.

— Il y a une dizaine d’humains dans la prison… en vie…, déclara-t-elle choquée.

Les regards des trois filles se tournèrent vers elle et le tapotement du clavier s’estompa. Elles n’étaient pas allées voir, elles s’attendaient à retrouver la même horreur que la fois précédente. Inconsciemment, elles avaient décidé d’ignorer les prisons.

— En vie ? Des humains ? répéta Ludmila.

— Oui, je confirme dix présences humaines et également six morts-vivants séparés d’elles.

— Et ils ne sont pas venus nous arrêter ? s’étonna la diva.

— En effet, c’est louche… Fufufu !

Anna se leva de la chaise et reprit son arme en main, puis se rapprocha.

— De mon côté, j’ai découvert que les machines d’éveil sont utilisées depuis un bon moment. Il y a tout un long rapport de tentatives d’éveil sur les dix dernières années.

— Tentatives ?

— Oui. En gros, il y a des vagues d’éveil tous les trois mois environ, une cinquantaine de filles à chaque vague. Je parle de tentative, expliqua Anna en grimaçant, parce que le taux de réussite est très bas. J’ignore comment ils s’y prennent vraiment, mais ils le font mal de toute évidence. Dans ma promotion à l’orphelinat, seule une fille n’a pas supporté le traitement pré-éveil et a été hospitalisée. Là, le taux de réussite doit être de même pas dix pourcent.

— C’est absurde ce que tu nous dis…

— C’est la vérité pourtant. D’ailleurs, j’ignore s’ils s’en rendent compte, mais la machine numéro 2 doit avoir un dysfonctionnement, son taux de réussite est bien plus bas que la numéro 1. J’ai pas les détails, mais c’est assez visible sur les statistiques.

L’explication laissa place à un long silence, les filles réfléchissaient à ce que tout cela impliquait.

La première à reprendre la parole fut l’impassible Nadezhda.

— La vraie question est de savoir qui les utilise. Mais j’ai l’impression qu’on le découvrira en allant voir les prisonnières.

— Ouais, t’as raison. Pas de temps à perdre, cet endroit me fout les jetons.

— Tu risques de te faire pipi dessus ?

— Tu veux que je t’en colle une, Nadya ? Non, mais…

— Fufufufu !

Les deux autres filles étaient trop absorbées dans leurs pensées pour s’immiscer dans la plaisanterie. Avant de se rendre vers la prison, Nadezhda saisit le poignet d’Anna et lui demanda :

— Tu peux poser du C4 avec une détonation retardée ?

— Pourquoi ?

— Quoi qu’il se passe ici, quelqu’un massacre des pauvres filles pour avoir des vedma. Nous devons mettre un terme à tout ça.

— Oui, tu as raison.

Anna acquiesça et fit apparaître dans ses mains des pans de plastique.

— Combien de minutes pour la détonation ?

— Une vingtaine ? De toute manière, ça ne détruira pas tout le complexe, non ?

— Aucune chance. À part les machines, rien d’autre ne sera touché.

— Parfait !

— Je ne sais pas si c’est la bonne chose à faire, mais je te fais confiance. Je n’ai pas envie que d’autres meurent par la faute de ces machines.

— Tu es adorable quand tu dis des choses comme ça. Fufufu !

Anna ne put s’empêcher de rougir. On ne lui disait pas souvent ce genre de choses. Avec elle, Nadezhda était plutôt « calme », c’était surtout avec Ludmila qu’elle faisait des plaisanteries déplacées.

Après avoir installé les explosifs, Nadezhda et Anna rattrapèrent les deux autres et entrèrent dans la prison à cobaye. Le lieu était identique au précédent bunker, à l’exception de l’odeur qui était bien plus forte.

Au rez-de-chaussée, attendant dans une posture parfaitement immobile, se tenaient six zombies. Lorsqu’ils aperçurent les quatre filles, ils tournèrent leurs têtes et un simulacre de vitalité les anima.

Mais, ils n’offrirent malgré tout pas une grande résistance, les balles de Ludmila, Nadezhda et Anna vinrent rapidement leur offrir une seconde mort, dispensant même Elisaveta d’intervenir.

Le bruit des détonations attira bien sûr tous les regards et les prisonnières se collèrent aux vitres pour voir ce qui se passait.

— Ce n’est pas la Mère ?

— Qui sont ces personnes ?

— Des ennemies ?

— De la nourriture ?

Des voix confuses s’échappèrent des cellules.

À peine la poudre retombée, l’unité 54 put inspecter les lieux. Les dix prisonnières étaient enfermées par binôme, elles étaient maigres et leurs yeux hagards. Elles dormaient au milieu d’ossements et de mouches. La plupart portaient les traces de leur maltraitance, mais certaines avaient des vers dans leurs chairs nécrosées.

Les autres cellules étaient remplies de cadavres à la putrescence plus ou moins avancé.

— C’est horrible ! s’exclama Elisaveta en mettant ses mains devant la bouche.

— Libérons-les sinon je vais massacrer quelqu’un et de suite ! s’énerva Ludmila en posant son arme sur l’épaule.

— Je ne peux pas croire que le gouvernement fasse ça…, marmonna Anna.

Elle baissa le regard avec honte, tandis que des larmes s’écoulèrent sur ses joues.

Nadezhda, pour sa part, resta silencieuse, son regard était sérieux. Elle s’approcha d’une des cellules occupées. Les filles s’éloignèrent de la vitre aussitôt et se colla au mur opposé.

Pendant un long moment, elles se fixèrent l’une l’autre, puis Nadezhda soupira pour cacher sa colère.

— Je déconseille de les laisser sortir, déclara Nadezhda sans détour. Nous n’avons pas les moyens de nous en occuper…

Ludmila accourut et l’attrapa par le col.

— Qu’est-ce que tu racontes ? s’indigna Ludmila.

— Tu parles sérieusement ? demanda à son tour Elisaveta.

— Je ne plaisante jamais. Fufufu !

Sa déclaration laissa les trois filles perplexes. Ludmila la relâcha et l’ignora : elle se remit à chercher avec l’aide d’Elisaveta la serrure permettant d’ouvrir la cellule voisine.

Anna ne bougeait plus.

Nadezhda soupira à nouveau, puis allait reprendre la parole lorsqu’elle fut interrompue par Anna. Cette dernière baissait le regard et serrait ses poings si forte qu’elle se perça la chair avec ses ongles.

— Elle a raison… Nous n’avons pas les moyens de les sauver. Nous avons très peu de chances de revenir entière dans l’Empire et dix personnes réduiraient nos propres possibilités de survie.

Nadezhda, surprise, leva un sourcil et scruta le visage de son amie. D’entre elles, c’était Anna qui se rangeait le moins souvent de son côté.

Anna était une fille logique. Elle avait toujours favorisé les raisonnements pragmatiques à ceux émotionnels.

— Tu rigoles ?!

— Malheureusement non. Nos vivres sont limités et nous ne savons pas combien de temps nous allons errer encore. Puis, la place dans le tank manque et nous ne pouvons pas les laisser sur le toit avec ce froid. Sans compter que nos combats sont trop dangereux. Nous pouvons affronter ces horreurs uniquement parce que nous sommes des vedma. Et même si elles survivaient, leurs esprits seraient détruits.

— Vous foutez pas de moi toutes les deux !! s’énerva Ludmila. Je refuse d’abandonner ici des survivantes ! Pourquoi t’as donné cette idée débile à la base ?

Elle ressaisit Nadezhda par le col et la poussa contre une vitre de cellule avec agressivité. Nadezhda se laissa faire, elle ne résista aucunement.

— Je rejoins un peu Lyuda. Les abandonner ici c’est un sort pire que la mort.

— Dans ce cas, il serait peut-être mieux de les tuer à la place. Fufu !

Immédiatement, un coup de poing vint heurter sa mâchoire. Elle tomba mollement au sol.

Ludmila était furieuse, elle se tenait devant elle les larmes aux yeux et paraissait prête à lui sauter dessus au moindre mot supplémentaire.

— Tu me déçois ! Non, tu me dégoûtes ! Comment tu peux dire des choses pareilles ?! Je vais te coller une raclée jusqu’à te faire entendre raison, tu vas voir !

Mais Elisaveta s’empressa de la retenir.

— Calme-toi Lyuda, laisse-la s’expliquer ! Tu sais bien que Nadya ne ferait pas une chose stupide comme ça.

Nadezhda se releva en souriant et en touchant sa blessure, on ne pouvait lire sur son visage aucune animosité, peut-être même le contraire.

— Mettez de côté vos sentiments et observez-les un instant…, déclara-t-elle. Ne voyez-vous pas que c’est déjà trop tard pour elles ? D’où viennent ces ossements dans leurs cellules selon vous ? C’était simplement les autres filles qu’on leur a donné à manger… Leurs esprits ont perdu tout bon sens et retenue sociale, elles se réintégreront plus à une société normale, pas après tout ce temps…

Même si Ludmila s’apprêtait à lui cracher des insultes au visage et la frapper de son pied, elle se tourna vers la prisonnière proche : ses yeux étaient emplis d’un appétit privé de toute retenue, elle bavait en observant les cuisses de Ludmila et la poitrine d’Elisaveta.

Les dix filles restantes étaient toutes comme elle. La vue du sang de Nadezhda et ses paroles avait fait tomber les masques d’innocence.

Nourries pendant des mois avec d’autres humains, parfois des cadavres, parfois vivants, elles avaient perdu la raison. À l’origine, c’étaient leurs voisines de cellules, mais rapidement, lorsqu’elles avaient compris qu’on ne les nourriraient pas, elles étaient devenues de la nourriture.

Elles ne comprenaient que la peur et la faim à présent.

En observant avec plus d’attention, Ludmila découvrit des vêtements dans un coin de la cellule ainsi que des traces de sang. Nadezhda, qui avait jadis vécu une expérience similaire, l’avait tout de suite remarqué. Elles portaient l’odeur même péché.

Ludmila cessa de résister et tomba à genoux, abattue. Elle se sentait souillée et honteuse. Elle avait trahi la confiance de son amie sans même vérifier ses propos.

Elisaveta pour sa part frappa du pied un mur et se mit à pleurer en criant.

— Qui… ? Qui a fait ça ? Et pourquoi ?

La réponse s’imposa traversa l’esprit d’Anna dont les yeux s’écarquillèrent :

— Pour… pour augmenter le taux de réussite de l’éveil… Ils ont voulu les filles avec le plus d’instinct de survie… Les plus fortes… pour avoir les vedma les plus puissantes…

C’était sûrement la véritable raison derrière ces agissements.

— Et se débarrasser des prisonniers inutiles aussi. Ils sont pratiques, ces petits pourceaux, vous savez ?

Ce n’était pas la voix de l’une d’elles.

***

Les filles se retournèrent soudain avec un frisson dans le dos. Elles pointèrent leurs armes en direction de la porte d’entrée où une femme toute de noir vêtue se tenait dans l’encadrement.

Elle était magnifique. Même sans éprouver d’attirance particulière envers la gente féminine, il était difficile de ne pas ressentir le charisme qui se dégageait d’elle. Sa présence la rendait sexuellement attirante, même pour des filles parfaitement hétérosexuelle, cela tenait sûrement d’un effet magique.

Ses longs cheveux noirs étaient attachés en tresse. Ses lèvres étaient peinte d’un rouge vif, tandis le maquillage de ses yeux approfondissait son regard. Elle portait une robe victorienne, ancienne, comme issue d’un livre d’histoire du XIXe siècle avec un corset qui remontait sa poitrine et affinait ses hanches. Des gants en soie recouvraient ses mains et elle tenait entre ses mains une ombrelle ouverte.

La femme sourit avec toute l’élégance du monde. Malgré toute sa sensualité érotique, il se dégageait d’elle un quelque chose d’indéfinissablement dangereux qui paralysait les filles de l’unité 54.

— Que venez-vous donc faire dans ma demeure, gentes vedma ?

Sa voix était suave et enivrante, aussi belle que celle de Ludmila.

— Ce… ce n’est pas possible… Comment ?

Elisaveta déglutit avant de pâlir.

— T’es qui au juste ? Réponds où je te truffe de plomb ! ordonna Ludmila en réprimant le charisme écrasant de l’inconnue.

De toute évidence, les horreurs présentes ici étaient de sa faute, il n’y avait aucune raison d’être aimables, pensait Ludmila.

— Que voilà des manières… Voyons, voyons…

Soudain, l’inconnue changea d’attitude : son visage doux devint aussi menaçant qu’un océan déchaîné. Ses yeux devinrent rouges luisants et son sourire carnassier, révélant des canines prononcées, ne laissait plus aucun doute sur sa nature prédatrice.

— Je déteste les petites effrontées, vous savez ?

Les filles reculèrent instinctivement et empoignèrent leurs armes plus fermement.

Tout aussi soudainement, la femme reprit son allure douce et se mit à marcher d’un pas léger et joyeux.

— Je ne vous en veux pas, au final vous avez toutes votre charme, chères enfants. Que vous soyez petites ou grandes, que vous soyez timides ou au contraire courageuses et hardies, vous êtes toutes si intéressantes vous autres les vedma ! Je nourris une véritable affection à votre endroit, vous savez ?

Sur ces mots, elle laissa tomber son ombrelle et leva les bords de sa jupe tout en inclinant un genou en guise de salutation.

— Celles qui résistent sont les plus jolies. Leurs visages plein d’horreur… Miam ! Je ne m’en lasserai jamais. Lorsqu’on les met à nue, elles se mettent à trembler et implorent le pardon ravalant leur fierté. Kyaaaa ! Je vous aime ! Je vous aime toutes ! Hahaha Hahaha Hahaha !

La femme se mit à rire de manière démente tout en se tenant les épaules et en s’agitant de manière obscène. Les filles de l’unité 54 l’observaient avec autant d’horreur que d’interrogations.

— Je crois que j’ai compris de qui il s’agit…, chuchota Elisaveta.

— Mharreg ? demanda sans détour Nadezhda.

— Oui… son avatar… Lamia la Sombre…

— Quoi ?! S’exclamèrent les deux autres filles.

Si jusqu’à présent leur principal interrogation était de savoir quoi faire avec les prisonnières, leurs priorités venaient à l’instant de changer : comment allaient-elles se tirer de ce mauvais pas ?

Les Puissants Anciens agissaient généralement dans le monde à travers leurs avatars. Il s’agissait de corps crées par magie et leur servant de projection à distance. Même s’ils n’accueillaient pas toute la puissance de l’Ancien, les avatar étaient plus puissants que des monstres de niveau de menace « Elite » qui agissaient en tant que lieutenants des armées.

Leurs chances de survie étaient drastiquement proches du zéro.

— Enchantée de faire votre connaissance, mes amies ! dit Lamia en reprenant sa composition. Et à présent, mourrez et rejoignez ma collection ! Je vous promets de bien vous traiter. Je m’occuperai de chaque parcelle de votre corps avec respect et passion.

Elle se lécha les lèvres avec appétit et perversion. Ses paroles ne laissaient que peu de doutes quant au destin qu’elle leur réservait.

Mais à cet instant…

* Ratatatatatatata *

Ludmila ouvrit le feu avec sa mitrailleuse lourde.

— RETRAITE !!!

Malgré la cadence incroyable de l’arme, Lamia dansait entre les balles en disparaissant de sa position et en réapparaissant ailleurs. Sa vitesse était si rapide qu’il était impossible de savoir si elle était malgré tout touchée ou non.

Nadezhda jeta un regard à Elisaveta, elles se comprirent immédiatement.

— Annuska, ouvre la marche. Retraite !

— Et Lyuda ?

— Je m’en occupe !

Elisaveta s’approcha de Ludmila et, sans lui demander son avis, la chargea sur son épaule.

Le barrage de tirs s’interrompit un bref instant, mais penchée par-dessus l’épaule, Ludmila empoigna son arme tant bien que mal, avec toute la fureur de vaincre et de survivre, et se remit à faire feu.

Aux côtés d’Elisaveta courrait Nadezhda.

Elisaveta aurait pu prendre de l’avance, mais elle tenait à rester avec ses sœurs d’armes.

— Il faut que je les protège, se dit-elle en activant sa chaomancie.

Nadezhda tirait également, simplement pour ajouter du volume au barrage de tirs. Alors que son chargeur fut vidé, elle remarqua dans le dos de Ludmila une arme qui pendouillait et qui invitait à être prise : le lance-grenade. Elle le chaparda d’une main leste.

— On l’utilise comment ?

— Arg ?! L’utilise pas si… non, va y plombe-lui le cul à cette pouffiasse !

Ludmila lui expliqua en quelques mots le fonctionnement simple de l’engin et Nadezhda se mit à tirer dans le couloir qui reliait le laboratoire aux prisons. Rapidement, sous l’effet de deux grenades thermobarriques le couloir se remplit de flammes.

Les filles n’attendirent pas de savoir si leur ennemie les poursuivait ou si les grenades avaient fait de l’effet, elles continuèrent de courir à travers le laboratoire et sans tarder elles se dirigèrent vers le sas de décontamination.

* Booommm *

Nadezhda tira la dernière grenade jusqu’à l’entrée du couloir des prisons, elle espérait au moins retarder leur ennemie.

— Tiens, les cartouches à fragmentation !

Ludmila interrompant ses tirs lança une ceinture avec des cartouches pour recharger le lance-grenade.

Mais avant qu’elle ne put l’attraper, Elisaveta cria :

— Barrière !

Nadezhda fit apparaître sa barrière défensive à six couches devant elle. Presque immédiatement, un choc impressionnant retentit.

La vampire frappa un simple coup de poing contre la barrière, mais avec sa force incroyable elle brisa quatre des six couches.

— Quelle puissance ?! Tssss !

Ludmila éjecta son chargeur et le remplaça par un nouveau. Nadezhda continuait de maintenir sa barrière, elle la restaura même tout en les suivant.

Lamia répéta son attaque sur la barrière qui se brisa au troisième coup seulement.

Pendant ce temps, Anna avait pris la tête. En combat, ses pouvoirs étaient les moins utiles de toute manière. Puis, il fallait qu’elle arrive la première pour démarrer le tank en urgence et leur permettre de fuir. Elle était en panique. Cette fois, elles ne s’en tireraient pas avec quelques blessures : il s’agissait de l’avatar d’un Puissant Ancien.

Jetant un regard derrière elle, elle se rendit compte que la barrière de Nadezhda n’était plus là. Lamia pouvait les rattraper à tout instant.

Dans leur malheur, elles eurent un peu de chance.

A cet instant, la sonnerie de sa montre sonna : le C4 allait exploser et détruire les machines d’Eveil. L’explosion retentit immédiatement, elle était suffisamment loin d’elles pour ne pas les affecter mais elle attira l’attention de l’Ancienne.

— Vous n’auriez pas osé quand même ? s’interrogea-t-elle à haute voix.

Ludmila ne rata pas cette occasion, elle tira une salve non pas sur la vampire mais à ses pieds : sur la ceinture de grenades du GM-94 qui était précédemment tombée des mains de Nadezhda.

* BOOOOOOOOMMMM*

Le sol et les murs tremblèrent, Nadezhda protégea les filles à l’aide d’une barrière bloquant les débris projetés dans toutes les directions : le sas du laboratoire s’effondra pour de bon.

— Vite ! C’est le moment d’accélérer !

Elisaveta attrapa Nadezhda et la mit sur son autre épaule. Puis, elle se mit à courir plus vite en emportant ses deux amies. Anna les attendait un peu plus loin dans l’ascenseur.

— Grouillez-vous ! cria-t-elle en agitant ses bras.

Les trois portes se refermèrent à peine entrées. Elles reprirent leur souffle pendant la courte pause imposée par l’élévation de l’ascenseur, mais elles étaient toutes sûres que c’était loin d’être fini. Lamia serait furieuse à présent.

Arrivées au rez-de-chaussé, elles eurent à peine le temps de sortir dans le couloir qu’une nouvelle secousse eut lieu.

— Une explosion en chaîne ? s’interrogea Ludmila.

— Non, c’était un cadeau d’adieu, dit Anna. J’ai détruit la cage d’ascenseur avec du plastique.

— Oh ! Bien joué ! dit Nadezhda.

— Ne chantez pas victoire trop vite ! Pourquoi fallait que ce soit-elle qui vienne ici au juste ? se plaignit Elisaveta.

— Je pense avoir compris le fin mot de l’histoire…, affirma Nadezhda sur un ton calme. Mais ce sera pour après.

Les filles n’étaient plus très loin de la sortie. Contrairement au bunker précédent, celui-ci fonctionnait entièrement, l’ascenseur reliait donc tous les étages. Ainsi, elles avaient pu passer du dernier sous-sol au rez-de-chaussé en un instant.

La porte métallique qu’elles avaient laissée ouverte se profila dans leur champ de vue. Elles sentaient l’air froid de dehors déjà.

Quelques mètres seulement.

La lumière qui réfléchissait sur la neige les éblouissait déjà.

Lorsque…

Un bruit sourd derrière elles.

Un mur en métal venait de voler en éclats et une silhouette noire le traversa.

— Même si je vous aime, vous m’avez mise en colère. Détruire mes jolis jouets, comme ça ! Vous méritez une punition exemplaire…

Ludmila se mit à tirer, mais la silhouette arriva à ses côtés si rapidement qu’elle eut à peine le temps d’interposer sa barrière réactive face au coup de poing qui fondit sur lui. Et malgré cela, elle fut projetée violemment contre le mur voisin.

— Lyuda !!

Elisaveta se retourna et fonça sur leur ennemie. Mais avant que son poing n’atteigne Lamia, elle n’était déjà plus à sa position.

Sa divination lui permit de deviner une attaque dans son dos. La limite de son pouvoir était simplement la capacité de son propre corps à réagir. Or, son adversaire avait une vitesse incroyable, bien supérieure à la sienne. Voir l’attaque, ne lui donna que le temps d’interposer sa barrière réactive qui encaissa avec grande peine. Les contre-attaques d’Elisaveta échouèrent toutes, ses attaques ne touchèrent jamais.

Lamia lui porta un coup dans le ventre, Elisaveta fut projetée dans le couloir en direction de la sortie. Elle cracha du sang et en se relevant, elle avait terriblement mal. L’Ancienne, en colère, se rapprochait d’elles.

Nadezhda fit apparaître dans le couloir un mur de protection les coupant de leur ennemie, elle avait mis toute sa puissance dedans. Elle savait que, malgré tout, il ne tiendrait pas, aussi elle attrapa Ludmila encore sonnée sur son dos et invita Elisaveta à la suivre dehors.

Anna en avait profité pour sortir la première. Le T-90 était déjà allumé lorsque les trois filles la rejoignirent. Le moteur était prêt à vomir toute sa puissance. Quelques secondes à peine avaient suffit à l’allumer et le rendre opérationnel, sans les pouvoirs magiques de la pilote une telle prouesse aurait été impossible.

— Toutes à vos postes ! cria Elisaveta. Nous ne pouvons pas la vaincre, il faut fuir !

— Je vais passer en mode maglev aussitôt que possible ! cria Anna qui n’avait pas eu le temps de mettre son communicateur sur la tête.

Ludmila et Nadezhda eurent à peine le temps de s’installer que le véhicule partit en trombe.

— Putain ! Putain ! Putain ! Elle m’a pété une côte cette conne ! D’où qu’elle sort cette salope ?!

— C’est une Puissante Ancienne, je te rappelle. Fufufu !

Nadezhda soutenait encore Ludmila, elles étaient collées l’une à l’autre, secouées par l’accélération du véhicule.

— Ouais, je sais ! Bon, il me faut mon canon.

— Je vais m’installer à la mitrailleuse. Même si ça sert à rien. Kukuku !

Les deux filles s’installèrent à leurs postes respectifs tandis que le tank à plein régime glissait tant bien que mal sur la neige. Sans les capacités de pilotage d’Anna, nul doute qu’elles seraient sorties de route et auraient percuté une des falaises ou un rocher.

— Il me faudra deux minutes, je pense. Essayez de me gagner du temps ! hurla Anna.

— On va faire ce qu’on peut ! répondit Ludmila en hurlant à son tour.

Le tank s’éloigna. Les battements de cœur des filles se superposèrent au lourd bruit du moteur. Lamia n’était pas en vue. La moindre seconde comptait, c’était bon signe si elles ne la voyaient pas. Tout Ancien qu’elle fut, elle ne pourrait pas suivre un tank lancé à plus de 150 kilomètres heure.

Mais…

— On va sûrement mourir, vous savez ? dit Nadezhda sur un ton calme et sérieux. Mais je suis contente de disparaître avec vous trois, vraiment.

Par habitude, on aurait pu entendre son « fufufu » habituel, mais pas cette fois. Elle était encore plus sérieuse que lors du combat contre sa défunte mentor où elle avait failli mourir également.

— Ne dis pas ça, tu vas nous porter la poisse ! la gourmanda Ludmila les larmes aux yeux.

Elle cherchait sa cible dans son outil de visée.

Elisaveta ferma les yeux et dit à son tour :

— Je vous aime comme mes sœurs. Si c’est notre dernier combat, eh bien, je veux que vous sachiez que j’ai été fière de me battre à vos côtés. J’espère que le Seigneur nous permettra de rester ensemble, dans l’au-delà.

— Putain, tu t’y mets aussi aussi maintenant ?!

— Moi aussi, je vous aime, dit Anna qui avait enfin mis son casque de communication. J’espère qu’on s’en sortira, mais… mais… même si j’ai douté de vous par moment, je voulais que vous le sachiez…

— Grrrrr ! Vous faites chier ! Si on meurt ce sera votre faute, tiens ! Et je vous dirais même pas que je vous aime, même si je le pense tellement à fond qu’il n’y a pas de fond plus profond !

Nadezhda ne put s’empêcher de se mettre à rire, les autres filles l’imitèrent.

Mais cet interlude fut de très courte durée, Elisaveta cria soudain :

— Ennemie à six heures !

Immédiatement, Ludmila fit feu avec un missile Refleks sans même localiser précisément sa cible. L’explosion fit voler de la neige à des dizaines de mètres d’altitude et résonna à des kilomètres de là.

Le temps semblait s’écouler au ralenti. Les tirs de mitrailleuse et de canon cherchaient à atteindre une cible si rapide qu’elles n’entrevoyaient que vaguement sa silhouette dans le blanc immaculé de la neige.

Elisaveta avait beau leur indiquer sa position exacte, c’était comme chercher à percer une mouche avec un couteau.

Lamia allait même jusqu’à dévier les obus en les frappant à mains nues.

Que pouvaient-elles faire contre une tel monstre ?

Soudain, dans le désespoir des derniers instants, la voix de Ludmila s’éleva dans le communicateur. Elle se mit à chanter :

« Расцветали яблони и груши…(Les pommiers et les poiriers fleurissaient…) »

Même si en général, elle parlait en utilisant nombre d’insultes et de termes vulgaires, sa voix était ravissante à l’extrême. Douce, céleste, elle fit disparaître en un instant les doutes qui emplissaient les cœurs de ses amies. Elles étaient loin des champs de batailles, dans une verte prairie en train de pic-niquer comme de simples filles.

C’est accompagné de ce chant qu’un terrible impact fit trembler le tank. Il fut suivi rapidement d’un second.

Anna perdit le contrôle du véhicule. Elle n’avait pas eu le temps de le passer en maglev. Le T-90 et 48 tonnes décolèrent du sol pour faire un tonneau.

Les flammes envahirent l’habitacle alors que la voix d’ange de Ludmila se tût.

Lire la suite – Épilogue