Magical Tankgirls – Épilogue

Les chanteurs entonnait l’hymne impérial. Une centaine de personnes étaient réunies dans le cimetière militaire de Kotlas, ainsi que deux chaînes de télévision nationales. L’événement était transmis en direct aux honnêtes citoyens.

Quatre tombes avaient été creusées. Quatre cercueils étaient ornés du drapeau impérial, de quelques fleurs ainsi que de bougies. Les cercueils étaient fermés et pour cause, ils étaient vides.

Le podpolkovnik Yartsev Kvetoslav Larionovich prit solennellement la parole alors que la musique s’interrompit :

— C’est avec regret que nous sommes tous réunis en ce jour pour célébrer la disparition et le passage vers l’au-delà de nos défuntes sœurs d’armes : Loseva Elisaveta Grigorievna, Garanina Ludmila Yevgenievna, Pimenova Anna et Lebedeva Nadezhda Innokentievna.

Il marqua une pause et inspira pour renforcer l’ambiance solennelle de la cérémonie.

Les spectateurs étaient composés principalement vedma de la base, certaines connaissaient les quatre filles mais ce n’était pas le cas de la majorité. Quelques soldats sans pouvoirs étaient également présents ainsi que nombre de sous-officiers. Il n’y avait pas de larmes, c’était une cérémonie militaire d’apparat.

Même la noble famille Loseva était là pour les funérailles de leur fille. À l’origine, Ils avaient demandé à ce que le cercueil vide d’Elisaveta soit amené dans le mausolée familial, mais cela leur avait été refusé. Elle avait rejoint l’armée.

Néanmoins, tout était question de préserver les apparences. La famille Loseva n’avait pas plus d’attachement envers Elisaveta que n’en avait l’armée. Aussi, le lieutenant-colonel s’était simplement arrangé avec la famille pour que le cercueil restât au cimetière quelques mois avant d’être transférer dans le mausolée familial en tant que héroïne de guerre.

Cet arrangement serait profitable par les deux camps.

Même si Ludmila n’était pas orpheline sa famille n’était pas présente. Le voyage était trop cher et on n’aurait pas laissé des « bouseux » assister à la cérémonie de toute manière. L’ironie du sort était que malgré ce qu’ils lui avaient fait subir, ils furent les seuls à pleurer sincèrement Ludmila lorsque la lettre de décès leur fut apportée par un soldat impérial.

— L’unité 54 était une idée de la soldate Pimenova, elle était encore en période de test. Les événements qui conduisirent à leur décès prématuré sont certes tragiques mais ne remet pas en cause leurs actes. Leurs faits d’armes ont toujours été exemplaires et leurs victoires se sont rapidement accumulés au cours des derniers mois. Ayant pris part à plus de vingt-trois batailles, leurs noms resteront dans nos cœurs et dans l’histoire de notre pays comme illustres.

Le lieutenant-colonel retira son béret avec dignité et poursuivit son discours.

— Même perdues en territoire ennemi, elles n’ont pas abandonné le combat, jusqu’à la fin. Leurs communications nous faisaient part de leur volonté de nous rejoindre pour retourner au front, prouvant leur dévotion éternelle à leur noble devoir. Leur courage n’a eu de cesse de brûler jusqu’au bout. L’ennemi a finalement eu raison d’elles, mais c’est avec bravoure qu’elles ont vécu et périt, dans les flammes de la bataille, les armes à la main. Puissiez-vous reposez en paix, chères sœurs, héroïnes de l’Empire !

Officiellement, les filles avaient livré bataille contre les forces Marrheg dans une base ennemie située dans l’Oural. Se voyant condamnées, elles auraient fait exploser le réacteur nucléaire, s’ensevelissant avec leurs ennemis.

Bien sûr, personne ne mentionnerait jamais que le cercueil de béton dans lequel elles étaient supposés reposer avait été creusé par le lieutenant-colonel lui-même.

— Grâce aux efforts de nobles soldates comme l’unité 54, le front se rapproche plus que jamais de Moscou. Le sang versé ne sera pas vain et le courage récompensé.

Sur ces mots, un assistant s’empressa de donner au lieutenant-colonel une boîte en bois dans laquelle il prit quatre médailles en forme de croix en or finement ciselée. L’officier s’en alla les épingler aux drapeaux disposés sur les cercueils.

— C’est au nom du Tsar Avandeyev Maksim Vsevolodovich que je transmets le présent message à nos sœurs : « Puissiez-vous monter aux champs d’honneur avec tous les hommages qui vous sont dus. L’Empire est fier de vos actes et n’oubliera jamais vos noms, synonymes de prestige et de gloire ».

Marquant une pause, les applaudissements vinrent remercier le témoignage du Tsar, absent à la cérémonie, cependant.

Le lieutenant-colonel fit signe de tête à des soldats qui firent descendre les cercueils dans leurs trous respectifs, puis il allait lui-même saisir une pelle et symboliquement déposa déposa la première pelleté de terre sur les quatre cercueils, en commençant bien sûr par celle d’Elisaveta. Après les avoir rendu la pelle, il effectua un salut militaire et les soldats finirent de reboucher les trous.

Aussitôt fini, une mélodie funèbre fut jouée et le lieutenant-colonel donna le discours de clôture :

— La mémoire de l’unité 54 restera avec nous à jamais et leur influence marquera dès aujourd’hui notre corps d’armée. Avec l’accord du Tsar Avandeyev Maksim Vsevolodovich, nous avons considéré le projet d’unité de tankistes vedma proposé par la soldate Pimenova et c’est avec grand plaisir que nous vous informons qu’il a été retenu. À compter de ce jour, notre fière patrie comptera des unités de vedma spécialisées dans l’utilisation de chars d’assaut, suivant le modèle laissé par l’unité 54.

Les applaudissements retentirent suite à cette nouvelle et l’événement s’arrêta sans plus tarder.

Il fallut encore une bonne heure au lieutenant-colonel pour s’extirper des salutations d’usage et revenir dans son bureau avec un aspirant officier, un jeune homme à la chevelure bouclée et à la moustache évoquant l’ancienne noblesse du 19e siècle.

— Mon lieutenant, c’était un discours magnifique. Les filles de l’unité 54 auraient été très contentes de le recevoir de votre illustre personne.

— J’en doute fort…, grommela le lieutenant en se laissant tomber dans sa chaise de bureau.

— Pardon ?

— Ne vous occupez pas de cela. À la place, il me semble vous avoir entendu évoquer d’excellents cigares que vous auriez amené ce matin-même, n’est-il pas ?

— Oh, oui ! Bien sûr, mon lieutenant-colonel ! Je vais m’empresser de vous les apporter.

Il salua son supérieur puis se retira en vitesse récupérer le précieux bien.

Le lieutenant laissé seul soupira longuement. Toute cette fausse cérémonie l’avait passablement fatigué. Devoir faire preuve de toute cette hypocrisie n’était malheureusement pas une tâche si aisée, contrairement à ce que tous pensaient.

L’aspirant revint rapidement avec d’excellents cigares qu’il était parvenu à avoir par le biais de sa noble famille, il les offrit à son supérieur sans hésiter.

Ce dernier l’invita à s’asseoir et à accompagner ce luxe avec un verre d’alcool bien mérité. Les deux hommes s’assirent dans de fastueux fauteuils un cigare dans une main et un verre de cognac de qualité.

— Alexei, que pensez-vous de ce genre de cérémonie ? demanda le lieutenant entre deux bouffées de fumées. Parlez franchement, nous ne sommes que tous les deux.

— J’ai trouvé cela très beau mais… je n’ai pas réellement compris l’intérêt. Si je peux me permettre…

Le lieutenant lui intima de la main de poursuivre.

— … leurs cadavres n’ont pas été retrouvés. Nous avons officiellement perdu contact avec elles il y a quelques semaines de cela, mais il n’est pas impossible qu’elles continuent d’errer à la recherche d’un moyen de nous rejoindre.

L’aspirant avait une version incomplète de la vérité, différente encore de celle des médias. Il savait qu’elles n’étaient pas mortes comme on l’avait annoncé, mais simplement qu’elles avaient disparu.

— Croyez-moi, elles sont bel et bien mortes, quoi qu’en disent les sous-officiers. Toutefois, qu’elles vivent ou meurent n’est pas le plus important, Alexei. Ce qui importe lorsqu’on gouverne un pays, c’est le symbole.

— Le symbole ? Vous voulez dire l’exemple qu’elles vont donner aux futurs recrues.

Le lieutenant expira une longue bouffées puis posa son cigare et croisa les mains.

— Nous sommes en guerre. Quoi que dise l’opposition, nous avons besoin de mesures drastiques pour continuer à survivre et aller de l’avant. Bien sûr, nous aurions pu simplement passer sous silence leur disparition comme les dizaines de vedma disparues au cours de la même bataille, mais les gens ont besoin d’extraordinaire. Des unités de tankistes vedma… Je n’aurais pas eu l’idée, sincèrement. Mais la soldate Pimenova m’a montré ô combien cette idée était pleine d’intérêt. Survivre en territoire ennemi si longtemps n’était pas une mince affaire.

— Mais n’était-ce pas simplement l’unité 54 qui était forte, mon lieutenant ?

Le lieutenant s’enfonçant dans son fauteuil et esquissa un bref sourire qui disparu aussitôt.

— Au contraire, c’était des filles inutiles à l’origine. L’une avait le pouvoir de créer des objets, l’autre pouvait seulement enchanter des armes, une autre dresser des barrières et la jeune Elisaveta était une piètre combattante malgré son pouvoir divinatoire. Ce n’est qu’ensemble qu’elles ont commencé à enchaîner les succès, soyez-en assuré.

C’était un avis courant dans l’armée que les vedma sans pouvoirs offensifs, incapables d’affronter seule un Ancien, étaient défaillantes, inutiles au mieux.

C’était d’ailleurs sur ce même aspect qu’Anna avait insisté dans son dossier montrant qu’il était possible de magnifier leurs pouvoirs dans un contexte approprié.

— Mais le KIYM ne le verra pas d’un mauvais œil ? Jusqu’à présent, c’était dans leurs rangs qu’étaient envoyés les vedma inutiles.

Seule une part minime des vedma du Commissariat provenaient effectivement des rangs de l’Armée du Tsar. En réalité, les deux armées étaient en rivalité, leurs échanges souvent tumultueux. Pour la façade, ils échangeaient des vedma selon leurs besoins respectifs : offensives pour l’Armée du Tsar et défensives ou support pour le KIYM. En effet, ces derniers avaient réputation d’équiper tous leurs tanks noirs de deux vedma au moins, l’une défensive et l’autre enchanteresse. Mais, ils disposaient également de vedma offensives dans leurs rangs, quoi qu’en pensait le peuple.

Les scientifiques militaires cherchaient depuis des décennies le moyen d’influencer l’apparition de pouvoir ciblés sur les sujets, mais à ce jour ils n’étaient parvenus à aucun résultat probant. Les filles s’éveillaient à un pouvoir aléatoire.

Nadezhda et Ludmila auraient sûrement fini tôt ou tard par être léguées au KYIM, considérant leurs pouvoirs respectifs.

— Justement, c’est la meilleure partie du plan. Ils pensaient avoir le monopole des tanks dans le conflit, mais à présent nous allons pouvoir recycler non seulement les vedma inutiles mais également nos vieux chars d’assaut. Et puisqu’il n’y aura plus besoin d’échange, nos prix auprès du KIYM vont monter en flèche. Pimenova vraiment eu une idée de génie, sans même s’en rendre compte. Hahaha !

C’était très rare, mais le lieutenant se mit à rire. La joie de cette victoire était trop grande pour qu’il puisse se retenir. En face de lui, l’aspirant ne savait comment réagir, il afficha un sourire gêné. Néanmoins, il ne jugeait pas en mal son supérieur, au contraire il le trouvait impressionnant pour avoir penser un tel stratagème.

La cérémonie avait simplement servi à légitimer leur nouveau projet et à lancer un appel à l’investissement. De plus, le message était passé : aucune vedma ne serait inutile à présent. Cela risquait sûrement d’influencer positivement les recrutements volontaires.

— À notre belle Patrie ! déclara le lieutenant en levant son verre.

— À Mère Patrie ! répondit l’aspirant.

Après avoir avalé une longue lampée d’alcool, ils se remirent à fumer nonchalamment. C’est quelques instants plus tard, pour relancer la conversation, que l’aspirant dit :

— Le discours du Tsar était magnifique aussi. Elles ont réellement eu de sacrés honneurs.

— Petite confession : c’est moi qui l’ait écrit. Le Tsar a donné son aval, mais il n’avait pas envie d’écrire quoi que ce soit et m’a demandé de le faire à sa place.

— Ooohhh !

Du début à la fin, cette cérémonie n’avait été qu’une simple mise en scène menée par l’assassin de l’unité 54.

***

Dans le hangar dépotoir qu’utilisait Anna depuis quelques semaines se tenaient ce matin-là les entretiens pour composer son équipe test.

Trois filles seulement avaient répondu à l’appel d’offre qu’elle avait passé dans la base.

Uniquement trois filles.

C’était bien peu, Anna avait pensé touché plus de monde avec ses affiches. Néanmoins, elle n’avait besoin que de deux recrues, une canonnière et un commandant de char, en soi elle avait même une candidature de trop.

Elle observa les trois filles en uniforme qui se tenaient devant elle, en ligne : elles étaient mignonnes, bien trop être soldates à vrai dire.

L’une laissait paraître une éducation supérieure, une autre avait l’air particulièrement gentille et la dernière avait un regard fuyant et amusé. Anna pensait même que cette troisième fille venait simplement se moquer de son projet comme d’autres vedma l’avaient fait déjà.

Toutefois, elle décida d’agir avec professionnalisme. Elle commença par les saluer.

— Merci à toutes les trois d’avoir répondu à mon offre. Je suis Pimenova Anna, l’ingénieur et la pilote du T-90 modernisé que vous voyez juste derrière moi.

Elle avait tenu à faire son discours devant leur futur véhicule.

— J’aimerais que vous vous présentiez à tour de rôle en me disant quel est votre pouvoir et quel est votre niveau de connaissance des tanks. Ah oui ! Si vous pouvez également dévoiler votre motivation principale d’intégrer l’unité, ce serait parfait.

Anna avait révisé son discours plusieurs fois mais elle avait quand même failli oublier ce dernier point.

Sa voix était froide et distante, mais c’était surtout pour couvrir son stress. Elle n’était pas douée dans les relations humaines, elle le savait fort bien, c’est pourquoi elle préférait de loin les machines.

La première à commencer ne fut autre que Nadezhda.

Elle resta à sa place et après avoir toussoté un peu, elle dit d’une voix nonchalante :

— Je suis Nadezhda, mais puisque nous avons toutes le même grade, vous pouvez m’appeler Nadya. Alors, pour mon pouvoir, je l’ai appelé les « Sceaux inférieurs de Salomon », parce qu’il s’agit d’une magie de scellement. En gros, je peux créer des barrières de protection et bloquer les déplacements dimensionnels et les pouvoirs magiques.

Elisaveta et Ludmila ne purent empêcher un « ooh ! » d’échapper de leurs lèvres. Expliqués de la sorte, ses pouvoirs semblaient particulièrement puissants.

— Ah ouais, par contre, je ne suis que rang B. Pour les tanks, désolée, mais j’y connais rien par contre. Ce sera tout. Fufu !

Elle sourit avec amusement en fixant la réaction d’Anna. Cette dernière était perplexe, elle n’arrivait pas à discerner le personnage.

Même si sa présentation manquait un peu de rigueur et de formules de politesse, elle ne semblait pas être une mauvaise fille. Et son pouvoir était réellement intéressant.

— Et votre motivation ?

— Ah oui, j’ai oublié ! Je n’ai pas de motivation particulière, le projet semble amusant et j’ai envie de tenter. Tant que j’ai de quoi me nourrir, ça me va. Fufu !

Par contre, cettee réponse n’était pas au goût d’Anna. Elle cherchait des filles motivées et qui auraient une réelle raison d’intégrer l’unité, pas simplement envie de « s’amuser ».

La suivante fut Elisaveta.

Elle s’avança d’un pas et alors qu’elle porta avec élégance sa main à sa poitrine.

— Je me nomme Loseva Elisaveta Grigorievna. J’ai 18 ans. Je suis une pratiquante du Systema et mon pouvoir est la divination. Je pratique notamment la vitréomancie, la chaomancie, la sternomancie et la psychomancie. Je suis ainsi capable de voir le futur proche lors d’un combat rapproché, de percevoir les ennemis distants dans une vaste zone autour de moi, de voir les points faibles d’un organisme en observant son ventre et également de voir les souvenirs qui sont chargés dans un objet.

Sa présentation plus protocolaire était également plus précise. Anna avait un aperçu exact de ses capacités. Les pouvoirs de la jeune femme étaient versatiles, elle pouvait même se battre en combat rapproché.

— J’ai des connaissances rudimentaires en véhicules de combat, mais je dispose de connaissances solides sur les monstres. Quant à ma motivation, je ne cacherais pas que je le fais pour la gloire. En tant que vedma mixte, je suis incapable d’affronter les Anciens les plus puissants en combat rapproché, aussi si ce plan audacieux me permettrait de m’illustrer.

— Merci pour votre présentation, elle était très détaillée.

Anna avait plus ou moins déjà décidé de l’engager. Elle occuperait sans mal le poste de commandant de char avec son charisme, ses pouvoirs de détection et son éloquence.

Vint ensuite le tour de la dernière, la fille la plus à gauche.

Elle s’avança d’un pas, effectua un salut militaire élégant et prit la parole. Sa voix était encore plus douce que son apparence, elle n’avait assurément pas sa place dans une armée ; c’était une poupée et non une soldate, pensait Anna.

— Je me nomme Garanina Ludmila Yevgenievna. Mon pouvoir est l’enchantement d’armes. Je peux l’étendre à toute une zone, jusqu’à une dizaine de mètres ce qui permettrait d’envelopper toutes les armes du tank…

Cet argument fit mouche. Anna avait dû étudier différents pouvoirs pour établir son dossier et savait que la plupart des enchanteuses étaient limitées à ce qu’elles touchaient. Aussi, elle n’avait même pas espérer que la mitrailleuse du tank puisse être enchantée en même temps que le canon.

— Je n’ai aucune connaissances en tank, je le reconnais, et je n’ai jamais tiré avec un canon de ma vie. Néanmoins, j’aime les armes à feu. Mon score lors de la dernière évaluation était de 98 %. Quant à ma motivation…, dit-elle en baissant le regard avec honte. Je veux des amies !

Cette déclaration laissa perplexe les trois filles. Personne n’était supposé dire une chose pareille lors d’un entretien, encore moins dans un univers aussi rude que l’armée.

Toutefois, les yeux d’Anna s’humidifièrent soudainement : elle comprenait ce sentiment, elle qui était orpheline.

Au fond, ne recherchait-elle pas à la base la même chose ?

Composer une unité de vedma tankistes était quelque chose qu’elle avait initialement pensé en guise de cellule familiale.

Contre toute-attente, Ludmila marqua favorablement le jugement de son examinatrice.

— Je… je comprends. Je vais réfléchir à vos candidatures rapidement, laissez-moi quelques secondes, s’il vous plaît.

Toutefois, Nadezhda leva la main pour demander la parole.

— Est-ce que nous pourrions avoir une présentation de ta part également ? Disons que ça pourrait nous intéresser. Hihi !

Décidément, Anna avait du mal avec cette fille, malgré son pouvoir très intéressant.

— Euh… je n’y avais pas pensé. D’accord, si vous voulez, dit-elle en éclaircissant sa voix. Je suis Pimenova Anna. Mon pouvoir est la création, je peux créer des objets à ma guise, mais aussi les réparer et les modifier. Par contre, ils n’ont pas d’enchantement et ils sont temporaires à moins d’y injecter beaucoup de magie dedans, ce qui me demande du temps. Sans enchantement, impossible de combattre les Anciens, comme vous le savez. Je suis une ingénieuse mécanique diplômée par le service d’Etat. Et ma motivation…, dit-elle en inspirant et en se demandant quoi dire, je veux une famille.

S’inspirant de Ludmila elle confessa ses vrais sentiments. D’ailleurs, cette dernière lui jeta un regard affecté et bienveillant.

— Hoho ! Toi aussi tu as une motivation hors du commun, commenta Nadezhda. Tu ne sembles pas être une fille commune de toute manière. C’est cool, ça me donne envie de travailler avec toi. Je peux poser une autre question ?

— Oui, je vous en prie.

— Tu peux me tutoyer, je préfère.

— Euh, oui, pardon.

— Tes seins sont naturels ?

Anna rougit d’un seul coup, de même qu’Elisaveta et Ludmila. Ce n’était pas le genre de question qu’on posait à un entretien et encore moins à son examinateur.

Anna ne put s’empêcher de réagir comme une jeune femme normale : elle recula de quelques pas et posa ses mains sur son opulente poitrine pour la cacher à la vue.

— Je… je…

— Anna, pas la peine de répondre ! dit Ludmila. Tu es folle de demander ça ?!

C’était la première fois que les filles virent le vrai visage de Ludmila alors qu’elle s’emporta contre Nadezhda. Elles furent surprises, mais après celle provoquée par Nadezhda, elle fut moindre.

— Votre question… n’auriez-vous pas pu attendre ? marmonna Elisaveta.

— Bah, ça me semblait important. Regardez comme ils sont gros. Fufufu !

Anna se recroquevilla pour échapper à leurs regards, l’entretien avait pris une très mauvaise tournure et tout cela à cause de Nadezhda.

Pourtant, elle n’arrivait pas à penser qu’elle était victime d’une mauvaise fille. Malgré sa bizarrerie et son manque de bonnes manières, son regard n’était pas malveillant.

Cependant il n’y avait que deux places à pourvoir, aussi…

— Désolé, Nadezhda, mais je n’ai que deux places dans le tank. Vous comprenez ? s’excusa Anna en rejetant la candidature de la jeune femme.

— Je pense que c’est une erreur, cela dit. Un si gros véhicule est facile à toucher. Même si tu peux le réparer et Lisa peut voir le futur, il est plus lent et moins agile qu’une vedma offensive.

Nadezhda utilisait déjà les surnoms des autres filles alors qu’elle ne les connaissait pour ainsi dire pas du tout. Ses paroles étaient plutôt juste, par contre.

— Si je suis là, je peux faire apparaître un mur de défense pour bloquer les attaques. Surtout si Lisa peut m’assister avec ses divinations, ce sera facile.

— C’est vrai…, marmonna Anna en réfléchissant.

— Puis, si on se fait attaquer par un pouvoir magique, je peux le dissiper avec ma magie, c’est pratique, non ?

— En effet…

— Autre chose encore ?

— Euh… je suis marrante ! Toutes les familles ont besoin de quelqu’un de marrant pour détendre l’atmosphère, je pense. Fufufu !

— Une sorte de bouffon ? demanda sérieusement Elisaveta.

— Héhé ! Vous paraissez être des filles trop sérieuses, mais si je viens avec vous, je vous promets que vous allez rire. Fufufu !

Ce dernier argument de côté — bien qu’il ne manquait pas d’audace—, le tank avait effectivement besoin d’un blindage magique.

Le principal intérêt d’un tank dans une guerre était sa capacité d’attaque mobile combinée à son blindage. S’ils avaient été inventés, c’était uniquement pour échapper au massacre des tranchées de la Première Guerre Mondiale.

Oublier le blindage était impossible.

Dans le monde post-Invasion, toutefois, les attaques magiques avaient rendu les chars d’assaut inutiles. Même des Anciens de taille humaine pouvaient disposer de griffes suffisamment acérées pour trancher des couches de blindage réactif.

Puisque la magie avait changé le cours de la guerre, la solution était donc la magie pour y remédier.

Avec des barrières magiques, le tank pourrait supporter les assauts et tenir suffisamment longtemps pour faire feu.

Le T-90 avait besoin de Nadezhda.

— Vous m’avez fait changer d’avis. Je vous engage également Nadezhda. Je réfléchirai à un moyen de modifier le tank pour convenir à nos rôles à toutes les quatre. N’hésitez pas à me donner vos retours sur les moindres détails que vous voudriez constater. Je tâcherais d’améliorer notre T-90MS.

— OK〜 !

— Notre unité est donc complète ? demanda Elisaveta.

Anna observa les trois filles devant elle.

Chacune avait des capacités différentes.

Chacune avait une personnalité différente.

Chacune avait des attentes et des rêves différents.

Mais si elles pouvaient devenir une seule puissance, cimentée autour du T-90, elles pourraient devenir très efficaces. Ensemble, elles pourraient combler leurs lacunes.

Anna en était persuadée. Comme une famille, en s’aidant l’une l’autre, elles pouvaient aller de l’avant.

— Oui, nous sommes au complet. Bienvenue dans l’unité 54, déclara solanellement Anna avec un salut militaire.

***

— Que s’est-il passé ? pensa Anna. Combien de temps s’est-il écoulé ? Suis-je en vie ?

Les souvenirs d’un cruel et désespéré combat lui revinrent à l’esprit : elles avaient combattu l’avatar de Mharreg.

— Quelle folie ! En même temps… nous n’avions pas le choix…

Elles avaient essayé de fuir, mais tout à coup, elles avaient été rattrapées par la vampire qui avait détruit le char. Que s’était-il passé ensuite ?

Étaient-elles mortes, toutes les quatre ?

Peut-être que l’une d’entre elles avait survécu à l’explosion de leur véhicule, ce n’était pas impossible pour des vedma. D’ailleurs était-ce bien logique qu’elles meurent ainsi ?

Anna ne sentait plus son corps, elle était forcément morte.

Elle n’avait pas eu le temps d’utiliser sa barrière réactive.

— Faible comme je suis, elle n’aurait servie à rien je suppose.

Nadezhda avait sûrement dû survivre, elle était spécialisée en défense. Elisaveta aussi, elle était plus physique que les autres.

Néanmoins…

— Même si elles sont sorties du tank, Mharreg les aurait quand même tuées. J’espère que non, mais les probabilités étaient contre nous dès le début… Et tout ça pourquoi ?

Elle ne comprenait même pas pourquoi elle était morte. Elles avaient découvert des machines à éveil et des prisonnières, mais les manigances de l’Ancienne étaient encore couvertes de mystères.

— Nadya a sûrement compris, elle est perspicace.

Même morte ses pensées étaient tournées vers ses amies… non, ses sœurs.

Elle avait finalement accompli son rêve d’obtenir une famille. C’était triste que cela s’achève de cette manière, mais elle ne se sentait pas le cœur à se plaindre.

— Je suis morte heureuse, au moins.

De la chaleur au sein de ces ténèbres sans fin ? Qu’était-ce donc ?

Elle tourna son attention à défaut de son regard vers la source et remarqua à cet instant qu’il y en avait une seconde de l’autre côté et enfin une troisième un peu plus loin.

— C’est vous ? Finalement, personne ne s’en est tiré… ? Quelle tristesse…

C’était ses sœurs : Ludmila, Elisaveta et Nadezhda.

Elle en était sûre, elle reconnaissait la chaleur de leurs âmes.

— Nous avons eu des différents, mais au final le plus important était d’être ensemble. Je remercie ma patrie de m’avoir permis de vous rencontrer. Bien sûr, je la remercie également de m’avoir élevée, même s’ils n’ont pas toujours été corrects et bons à mon égard. Mais, grâce à ça, vous êtes avec moi.

Elle était triste, mais également contente. Tant qu’elles étaient à ses côtés, peu importait l’endroit où elles se rendraient, elle serait heureuse.

Soudain, une grande prairie apparut. Les fleurs s’étendaient à perte de vue de toutes les couleurs.

Au loin, des montagnes et au-dessus d’elle un ciel bleu comme jamais.

Le paysage était beau, mais ce qu’elle chercha avant tout, c’était les personnes qui se tenaient à ses côtés. À sa droite, Elisaveta, sa grande sœur. À sa gauche, Ludmila et Nadezhda, ses petites sœurs.

Elles souriaient et lui tenaient la main.

Elles ne portaient pas leurs uniformes militaires mais de simples habits, normaux, de jeunes filles. Elles n’avaient pas leurs armes non plus.

— C’est donc ça le Paradis ? se demanda-t-elle à haute voix.

Nadezhda sourit et pointa l’horizon, puis elle entraîna les autres dans sa marche en avant.

Le sol était tendre, doux, Anna avait l’impression de marcher sur une tapis moelleux.

Elle ne souffrait plus.

Vivre signifiait endurer un ensemble de douleurs quotidiennes, sans compter les tracas spirituels engendrés par le stress, la peur et bien d’autres.

Mais alors qu’elle s’avançait avec ses soeurs, elle était sereine.

Elles ne faisaient qu’un.

Leur confiance et leurs consciences s’étaient unis à travers leur amour l’une pour l’autre.

Le soleil passa timidement sous le niveau des montagnes. La lumière qui s’éteignait formait un tunnel vers les montagnes.

C’était le bout du chemin.

L’unité 54 poursuivait sa route vers son prochain champ de bataille.

***

— Si seulement nous les avions trouvés un peu avant…

— Le Destin a ses caprices et les humains doivent l’endurer. Néanmoins, je ne suis pas d’accord avec ce principe détestable, c’est pourquoi j’ai intégré le projet Re:Born. Le destin, les dieux, les Anciens… ils ne sont rien face au réel pouvoir de l’humanité.

— Vous pensez pouvoir faire quelque chose, Professeure Sasha ?

— Si je ne le peux pas, seules les dieux le pourraient.

MAGICAL TANKGIRLS – FIN

Merci d’avoir lu jusqu’à la fin !