Épilogue

Shizuka était perdue. Elle ne savait plus que croire, qui croire et que faire.

Elle remuait dans son lit, incapable de trouver le sommeil, regardant les ombres produites par la lumière des réverbères filtrant à travers les rideaux s’étirer au plafond.

Une chose était certaine : malgré son attitude, Elin n’avait pas que des mauvais côtés. Elle l’avait humiliée et effrayée, ce dont elle aurait pu se dispenser, mais elle avait également su faire preuve de clémence et d’attention. Shizuka ne pouvait pas simplement lui en vouloir, c’était plus confus que cela.

Globalement, elle avait changé d’avis concernant les filles de l’agence et avait fini par se dire que sa chef était sûrement la meilleure des trois et celle sur qui elle pouvait compter.

Pour Irina, elle se doutait qu’elle n’était pas vraiment une mauvaise fille, mais elle pouvait se révéler parfois indiscrète, voire perverse, et c’était évidemment un problème.

Mais finalement, comparée à Vivienne, même Irina n’était pas si dangereuse.

Impossible d’effacer de sa mémoire l’expression faciale sadique et le rire dément.

Même en connaissant son passé, il lui aurait été difficile de réellement l’accepter et de lui pardonner. Elle avait vraiment essayé de faire du mal à la jeune femme, contrairement à ce que disait Elin.

Certes, elle ne l’aurait pas tuée, mais si Shizuka ne s’était pas enfuie, qui sait ce qui serait advenu de sa pureté ?

La situation était devenue vraiment complexe entre elles, d’autant plus qu’elle ne pouvait se résoudre à la détester pleinement.

La radiance de ses glorieuses heures d’ignorance continuait de hanter la jeune femme. Elle revoyait en Vivienne la senpai modèle dont elle avait toujours rêvé.

Si seulement, il n’y avait pas cette sombre personnalité ! ne cessait-elle de répéter dans son esprit.

Outre les problèmes relationnels, sa déception du monde des mahou senjo n’avait jamais été plus profonde. Vivienne lui avait donné le coup de grâce.

Comme l’avait dit Elin, il y avait beaucoup de mensonges dans les lectures et les informations qu’elle avait eues jusque-là. Aucun mot ne pouvait rendre l’horreur de leurs ennemis et aucun journaliste n’avait vraiment présenté la réalité de ce monde qu’elle chérissait tant.

C’était compréhensible malgré tout.

Si le gouvernement n’incitait pas à un tel mensonge, nombre de jeunes femmes n’auraient pas rêvé à ce point de ce métier et il y aurait eu moins de recrues, et donc moins de personnes pour défendre le pays. Dans un sens, le gouvernement faisait donc ce qu’il fallait pour défendre son peuple ; et Shizuka faisait partie des victimes de la supercherie.

Ce monde qu’on lui avait vendu comme magnifique et brillant de mille feux n’était pas si beau. Il était dangereux et rempli de filles vraiment bizarres.

Que devait-elle faire au juste ? Quelle était sa place dans tout cela ? Devait-elle elle aussi devenir bizarre pour s’intégrer ?

Pour l’heure, une chose était certaine : elle ne pourrait jamais rejoindre les rangs de l’armée et se faire sa propre opinion sur ces filles-là. Elle ne pouvait donc que continuer à exercer dans les agences.

La réelle question était plutôt de savoir si elle allait quitter Tentakool pour en rejoindre une autre.

Au vu de sa dernière conversation avec Elin, elle avait confiance dans le fait que si telle était sa décision, on la laisserait partir. Mais le désirait-elle réellement ? Ne pouvait-elle pas simplement oublier et reprendre comme avant ?

Vivienne, car c’était là le problème majeur, était-elle au-delà de toute rédemption ?

Elin affirmait qu’elle ne voyait elle-même pas le problème de son attitude. Ce n’était pas très encourageant quant à un quelconque changement positif.

Comment Elin et Irina avaient-elles au juste pu l’accepter si facilement ?

La réponse lui parut assez claire :

Elin ne pense qu’au succès de leurs opérations et Irina ne réfléchit pas assez pour se dire qu’il y a un problème.

Et comme l’avait dit la chef de l’agence, Vivienne n’avait jamais réagi avec elles comme elle l’avait fait avec Shizuka.

Même en admettant que sa senpai l’aimât réellement, ce qu’elle avait tenté de faire n’avait rien d’excusable.

D’ailleurs, elle n’avait même pas présenté ses excuses : c’était dire que la théorie d’Elin était sûrement fausse ! La vérité, c’était que Vivienne voulait juste un jouet pour satisfaire ses pulsions malsaines.

Prise dans le flot de toutes ces interrogations, Shizuka finit par s’endormir.

***

Le lendemain matin, elle se rendit à l’agence sans réelle motivation, gênée et angoissée à l’idée de devoir se confronter à Vivienne, mais déterminée à ne pas se laisser abattre.

Son rêve ne pouvait pas être abandonné aussi facilement. Elle ne se le permettrait pas. Si l’agence n’était pas comme elle le voulait, elle devait la changer : c’était sa nouvelle résolution.

De même que son humeur incertaine, le ciel au-dessus de sa tête était chargé de nuages qui l’obscurcissaient au point de lui donner une teinte entre le jour et la nuit. C’était le genre de journée où l’on ne savait pas s’il allait pleuvoir ou non.

Elle hésita avant d’ouvrir la porte coulissante de l’entrée et inspira profondément, avant de sentir une présence derrière elle.

— Bien le bonjour, Shizuka-san.

Elle se retourna dans un soubresaut.

C’était la fille qu’elle redoutait le plus. Elle se trouvait devant elle, soudain, sans que Shizuka ne l’ait entendue s’approcher.

Elle était aussi radieuse que d’habitude, aussi douce et élégante qu’elle l’avait toujours été. Son visage sérieux et son port altier firent même un instant douter Shizuka quant aux souvenirs de cette journée maudite au centre commercial.

— Votre écharpe vous va à ravir, est-ce du cachemire ?

— Euh…

Sans attendre de réponse, Vivienne approcha les mains du tissu rouge foncé, mais Shizuka recula de quelques pas et entra dans le vestibule.

Son visage ne cachait pas la peur que sa senpai lui inspirait et elles restèrent là quelques instants à se regarder dans l’entrée.

— Euh… bonjour, One… Vivienne-san, la salua respectueusement la jeune femme tout en cherchant à cacher sa panique.

Tout en se retournant pour s’approcher de la petite marche destinée à s’asseoir et à retirer ses chaussures, elle sentait derrière elle la présence de sa senpai qu’elle avait tant admirée ; cette dernière resta immobile.

Le cœur de Shizuka battait à vive allure et elle transpirait. Le visage dément n’avait pas encore quitté sa mémoire et elle ne pouvait résolument plus voir Vivienne avec les mêmes yeux innocents qu’auparavant.

De son côté, la noble jeune femme reprit sa progression, entra dans le vestibule et referma la porte derrière elle ; elle semblait agir comme si de rien n’était. Elle se déchaussa, se dévêtit de son manteau et attendit que Shizuka ait fini à son tour.

Elles se rendirent ensemble dans la salle de détente, qui était, en cette saison, la pièce la plus chaude du bâtiment grâce à son kotatsu.

À l’intérieur, tout était en désordre. Elin et Irina dormaient toutes les deux sous la couverture de la table chauffante et, en entendant la porte s’ouvrir, la chef de l’agence ouvrit légèrement les yeux et se redressa en position assise, dévoilant au passage aux deux arrivantes qu’elle avait dormi nue.

— Qu… que… c’est indécent !!! Eliiiiinnnnnn !!! s’écria Shizuka en se couvrant les yeux et en se retournant pour faire face à Vivienne ; laquelle lui sourit comme elle l’avait toujours fait, tout en haussant les épaules d’un air résigné.

— Yo ! C’était une rude nuit… L’event spé Noël, c’était quelque chose. Le Dark Santa du Chaos nous a fait wipe huit fois avant qu’on réussisse à down l’instance…

Elin bâilla tout en se grattant la tête ; ses couettes étaient en désordre et ses cheveux en épis mais elle se fichait de son état. Elle n’avait pas ce genre de pudeur.

— Bien le bonjour, chef. Votre tenue indispose notre récente recrue. Auriez-vous donc l’obligeance de revêtir quelque chose pour qu’elle puisse entrer dans la pièce et profiter du confort et de la chaleur du kotatsu ?

La chef de l’agence lui porta un regard qui exprimait son mécontentement, mais elle quitta malgré tout sa couche de mauvaise grâce et s’en alla prendre le pull qu’elle avait porté la veille.

— Voilà, c’est bon, je suis habillée, tu peux te tourner, Shi-chan.

Sur ces mots, Elin bâilla et chercha à côté du meuble parmi les paquets de biscuits vides s’il n’en restait pas un qui ne l’était pas.

— Elin-san, tu es terrible ! s’exclama Shizuka en posant son sac par terre et en s’asseyant à la table basse. Qu’est-ce que tu aurais fait si c’était un client qui était rentré dans la pièce ?

— Bah, j’aurais fait pareil, je pense…, répondit nonchalamment l’intéressée en revenant s’asseoir un paquet à la main.

— Mais tu étais nue !! C’est pas comme ça qu’une fille doit se comporter… Euh, une femme, même si dans ton cas, on ne…

Le regard endormi d’Elin se tourna vers elle avant qu’elle ne puisse finir sa phrase. Il était un peu plus expressif que d’habitude et semblait vouloir dire : « Si tu continues, je te tue ! ».

Alors qu’une goutte de sueur perlait sur sa joue, Shizuka se tut complètement et s’étonna de sa familiarité soudaine avec sa chef. Était-ce une forme d’évasion de son esprit désireux de fuir Vivienne ?

— En ce qui nous concerne, nous approuvons le discours de notre chère Shizuka-san, la soutint cette dernière en poussant les divers objets présents sur la table. Votre hygiène nuit à notre image d’entreprise.

— On n’a pas d’image, on est une agence parmi d’autres, des ratées parmi les ratées…

— Nous ne pensons pas que nous qualifier nous-mêmes de la sorte soit une chose saine. Et, quand bien même vous auriez raison, ne serait-il pas plus avisé que nous devenions la seule lumière au sein de cette mer de naufragées ?

— Je suis pas sûre que tu sois la mieux placée pour dire ça, répliqua Elin, sans gêne, en tendant le paquet de biscuits aux deux filles pour leur en proposer.

La première déclina avec un regard de dégoût et la seconde se contenta de refuser poliment.

— Ça te gênerait pas du tout qu’un homme entre dans la pièce alors que tu es nue, endormie et décoiffée ? Vraiment ? demanda Shizuka avec une expression dépitée.

— Yep, je m’en fous. Il peut bien mater tant qu’il veut tant qu’il essaye pas de toucher.

— T’es un cas désespéré, conclut la jeune femme en soupirant.

Soudain, son pied toucha quelque chose et elle reconnut qu’il s’agissait-là du corps d’Irina. Un doute survint alors dans son esprit.

— Euh…. Elin-san ? Irina est aussi…

— Nan, elle est pas à poil. Je le lui interdis. J’ai pas envie de voir ses gros seins de vache à lait remuer à côté de moi.

— Ça me rassure… mais en même temps je trouve ça injuste pour elle, commenta Shizuka, à nouveau gênée.

— Pfff, me cherche pas trop, Shi-chan, sinon tu vas passer dans le camp des ennemies.

Elin fixa la modeste poitrine de Shizuka, qui, comparée à la parfaite platitude qui régnait sur le torse de sa chef, paraissait tout de suite bien plus imposante.

La jeune femme la cacha de ses mains, rougit, et protesta :

— Ils sont pas gros !!! Je n’y peux rien si t’as un physique de fillette !!

Vivienne s’apprêtait à faire une remarque. Sa bouche s’ouvrit mais se referma aussitôt. À la place, elle préféra disposer une petite nappe brodée sur la table.

Shizuka se recroquevilla malgré elle et prit une expression contrariée. Irina se redressa alors d’un coup.

Ses yeux étaient encore clos, ses cheveux décoiffés et sa chemise déboutonnée et en vrac.

— Vous en faites du bruit, les filles… Ch’suis fatiguée… Laissez-moi…

Avant même de finir sa phrase, elle s’écroula sur la table et, cette fois, toutes les filles autour purent voir deux masses de chair rondes s’écraser sur le kotatsu.

La vue était imprenable. La chemise, déboutonnée jusqu’au nombril, n’avait caché que l’essentiel et le laissait aisément deviner.

— Elle ne porte pas de…, fit remarquer Shizuka avec étonnement.

— Tssss ! Saleté de gamine surdéveloppée…, grommela Elin en grinçant des dents.

— La nature peut sembler bien injuste, mais rappelons-nous que d’autres parties de son organisme n’ont pas profité des mêmes largesses.

Derrière Irina, au sol, traînait un soutien-gorge noir assez quelconque. Comme elle avait dormi dessus, il était tout aplati. Shizuka put lire avec une certaine jalousie que sur l’étiquette figurait la lettre « D ».

***

Au milieu de l’après-midi de cette journée pour le moins calme, la neige commença à tomber.

— Ohh, il neige…, fit remarquer Shizuka. C’est rare !

— La neige tombe à propos, déclara Vivienne, qui était venue se placer à la fenêtre, aux côtés de la jeune femme. Auriez-vous oublié que nous sommes le jour de Noël ?

— Ah, oui, en effet…, répondit l’intéressée sans oser la regarder.

Depuis l’Invasion, le nombre de chrétiens à travers le monde avait considérablement chuté. Il devenait de plus en plus difficile pour les êtres humains de croire en l’existence d’un dieu bienveillant alors que des entités cauchemardesques tentaient d’envahir la Terre.

Qui plus est, un grand nombre de personnes avaient fait des rapprochements entre d’anciens écrits du début du XXème siècle et la situation actuelle et avaient remarqué que, loin de ne s’agir que de littérature, les récits relatifs aux Anciens étaient en partie vrais.

Aussi, le livre dont l’existence avait jadis été remise en doute, le dénommé « Necronomicon », était devenu pour nombre d’entre elles un nouveau texte sacré. Selon ce dernier, la majorité des dieux païens, des kamis, des bouddha et des divinités des religions monothéistes étaient en vérité des avatars projetés à travers les dimensions par les Anciens.

Le Necronomicon ne parlait pas de dieux bienveillants mais d’entités ancestrales qui avaient vécu sur leur monde des milliards d’années avant eux. Elles avaient été bannies de la Terre et leur invasion la visant à nouveau impliquait donc que ces textes n’étaient pas de simples fabulations mais des prophéties. Du moins en partie.

En vérité, personne ne savait réellement qui avait jadis banni les Anciens ni qui étaient ces étranges familiers qui s’étaient qualifiés eux-mêmes de « Dieux ».

Même avant l’Invasion, l’ancien Japon n’était pas un pays catholique, aussi Noël n’avait jamais été une fête très importante. Elle était donc tombée davantage en désuétude et, parmi les plus jeunes, beaucoup ne connaissaient même pas son nom.

Shizuka l’avait fêtée plusieurs fois étant enfant car ses parents voulaient lui donner de bons souvenirs, mais cela remontait à bien longtemps.

— Vivienne-san ? En tant qu’Amaryllienne de naissance, est-ce que vous accordez à cette journée une importance particulière ?

— Non, pas réellement… Si votre question était relative à nos croyances, nous croyons effectivement en un dieu supérieur mais pas aux religions des mortels. Aussi, cette fête n’est qu’un symbole à nos yeux.

— Ah, je vois…

Elles observèrent toutes les deux la neige tomber de l’autre côté de la fenêtre, toutes deux perdues dans leurs pensées respectives mais toutes deux emplies d’une sorte de mélancolie.

— Bon, les filles, j’ai une mission pour vous…, déclara soudain leur chef en les tirant de leur langueur.

— Ah bon ? demanda Shizuka en se retournant pour l’observer. Je n’ai pourtant pas entendu le téléphone sonner…

— Non, c’est une mission secrète que j’ai projetée depuis quelques temps déjà. Allons manger un yakiniku à volonté ce soir… c’est moi qui paie.

Ces paroles provoquèrent le réveil soudain d’Irina qui somnolait depuis le début de l’après-midi ; en fait, elle s’était réveillée un peu avant midi pour manger puis s’était rendormie tout de suite après.

— OUIIIIII !!! Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas fait un yakiniku ! J’dois me faire belle, Elieli ?

— Fais comme tu veux mais enfile ton putain de soutif sinon je te l’enfonce dans le crâne.

C’était un des rares sujets où Elin s’emportait autant.

— OK OK !! J’vais me faire péter le bide ce soir !! Hihihi !

Shizuka la regarda, dépitée, puis retourna s’installer à la table basse pour s’éloigner de Vivienne.

Elle ne pouvait s’empêcher de penser à elle et l’ambiance était devenue lourde.

Instinctivement, elle l’avait rejetée et avait érigé un mur entre elles deux, mais elle y pensait depuis quelques heures déjà :

Si je veux changer cette agence, je dois d’abord changer Vivienne-san et je n’y arriverai pas en faisant comme si elle n’existait pas.

Elle n’était pas psychologue et ne s’était jamais particulièrement intéressée à tout cela, mais elle était sûre d’une chose : un être humain rejeté ne pouvait pas devenir meilleur.

Elle en avait fait jadis l’expérience. Elle était même allée jusqu’à se méfier de la main qu’on lui avait chaleureusement tendue. Mais on avait fini par la sauver de ses propres ténèbres.

Elle aurait besoin de force, mais c’était la seule solution. Elle devait délier les ronces de mépris qui avaient envahi le cœur de sa senpai.

Elle jeta un regard en coin à cette dernière. Vivienne semblait triste. Shizuka ne lui avait jamais vu un tel air. Vivienne étant toujours très mesurée dans l’expression de ses sentiments, on ne la voyait guère éclater de rire ou se morfondre. Mais cette fois, à n’en point douter, ses yeux étaient emplis de mélancolie.

— Vivienne-san ? Un problème ?

La jeune noble prit quelques secondes avant de répondre. Elle semblait absente.

— Aucunement. Un tel projet nous semble intéressant. Nous vous remercions d’avance, Elin-san, dit-elle en retrouvant son habituelle contenance.

Elin bâilla et fit signe de la main de ne pas s’en préoccuper. Pendant ce temps, dans un coin, Irina se déshabilla sans pudeur, puis courut vers la sortie du salon.

— J’vais me doucher, vous partez pas sans moi !!!

Shizuka tomba à genoux. Elle était désespérée par ses collègues et avait envie de pleurer.

— Pas une pour rattraper l’autre…, pensa-t-elle.

Toutefois, elle remarqua qu’à côté d’elle, l’ambiance était bien plus sérieuse. Elin et Vivienne se fixaient dans les yeux. Finalement, après quelques secondes, la première annonça :

— T’inquiète, je le fais pas pour toi, Vivi. Te prends pas pour le centre du monde. Disons que ça fait deux choses à fêter ce soir.

— Deux choses ? demanda Shizuka, particulièrement surprise.

— Ton retour en est une.

— Et la seconde ?

— Ça, c’est un secret entre nous.

— Heiiin ? Pourquoi avoir dit qu’il y en avait deux alors ? Je suis curieuse, maintenant !

Le visage de Shizuka afficha une expression frustrée alors qu’elle réprimandait sa chef, qui bâilla une fois de plus et la regarda, impassible.

— N’ayez crainte, il ne s’agit point de quelque chose d’important contrairement à la première raison. Nous… Nous sommes sincèrement contente de vous revoir parmi nous et nous nous excusons si, d’une manière ou d’une autre, nous avons pu blesser vos sentiments.

— Onee… Vivienne-san…

Les larmes montèrent aux yeux de Shizuka. Toute la journée durant, elle avait voulu parler à sa senpai sans réellement savoir quoi dire. Au fond, elle avait un désir naïf d’entendre Vivienne lui affirmer que tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve ou une mauvaise blague. Elle voulait revenir à l’époque d’avant.

Ces excuses marquaient un fait : ce qui s’était passé au centre commercial n’était pas une illusion, mais la réalité.

Elle devrait continuer à avancer en foulant du pied ses anciens rêves, ou la situation ne changerait jamais.

Vivienne ne lui laissa pas le loisir de prononcer quoi que ce soit de plus et poursuivit :

— Nous ne connaissons pas vos sentiments à notre égard, mais vous voir ici en cette journée spéciale nous emplit d’une joie sans limite, soyez-en assurée. Nous espérons toutefois avoir gardé dans votre cœur quelque signe de l’affection que vous saviez si bien nous témoigner.

Shizuka se mit à pleurer à grosses gouttes. Elle avait peur de sa senpai mais une part d’elle l’affectionnait toujours autant. Ce n’était pas un sentiment qu’elle pouvait effacer aussi facilement.

Dans une telle circonstance, elle baissa la tête et pleura, tout simplement.

— Rhooo ! T’es vraiment une sale pleurnicheuse, Shi-chan. Bon, dépêche-toi de sécher ces larmes de crocodile et prépare-toi à partir, déclara Elin en soupirant.

À cet instant, Irina revint complètement nue et trempée dans la pièce. Elle semblait y avoir oublié quelque chose.

— Ah ! J’ai failli zapper : joyeux anniversaire, Vivi-chan !

Puis elle quitta de nouveau la salle de repos en courant vers la salle de bain.

Les trois filles restèrent quelques secondes bouche bée suite aux ravages de la « tempête Irina », puis Shizuka se remit à pleurer, mais pas pour les mêmes raisons que précédemment.

Vivienne, à ses côtés, lui tendit un mouchoir en tissu brodé particulièrement raffiné.

La jeune femme se calma un peu puis le prit en souriant maladroitement.

Rassemblant ses forces et son courage, elle tourna la tête vers Vivienne et lui dit simplement :

— Joyeux anniversaire, Oneesama.

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