Chapitre 2

Dans cet hôpital en ruine, endroit des plus inquiétants aux yeux de Shizuka qui avait grand mal à marcher tant ses genoux tremblaient, — surtout depuis qu’elle avait failli être tuée aux côtés d’Elin sans crier gare—, les quatre filles étaient à la recherche de leur commanditaire qui leur avait faussé compagnie.

Toutefois, la nouvelle recrue commençait à prendre du retard ; ses jambes engourdies par la terreur étaient lourdes. Afin de l’aider, Vivienne, qui avait repris son apparence normale afin d’économiser ses forces, lui prit la main et lui chuchota à l’oreille :

— Ma tendre amie, n’ayez crainte, nous sommes avec vous. Nous vous l’avons déjà affirmé précédemment, mais nul monstre ne vous fera du mal tant que vous serez à nos côtés, nous vous en donnons notre parole d’honneur.

— Merci… mais… vous ne devriez pas faire de telles promesses, on ne sait jamais ce qui peut arriver.

— Si nous venions à faillir à celle-ci, nous en assumerions pleinement la responsabilité comme il se doit à une guerrière digne de notre nom.

Malgré les antécédents entre elles, Shizuka accepta cette main empreinte de la souffrance des monstres qu’elle avait torturé ; elle était chaude et douce comme dans ses souvenirs. Depuis l’épisode du centre commercial, elle n’avait plus senti cette douceur contre sa main, un sentiment de vague nostalgie s’immisça en elle.

Soudain, elle sentit près d’elle une autre présence : c’était Irina qui s’était rapprochée et souriait à pleines dents en se penchant en avant.

— Vous z’êtes redevenues potes ? Ch’suis rassurée ! Hihi !

— Veuillez cesser de dire des choses inconsidérées, brute sans délicatesse que vous êtes, se vexa la jeune noble.

— Nous… je…enfin…

Shizuka avait du mal à formuler sa phrase. Effectivement, elles étaient en froid, mais cela n’avait jamais été clairement dit. Puis, en public elle essayait de faire en sorte que la brisure dans leur relation ne se voit pas.

En parler aussi ouvertement était embarrassant pour bien des raisons, c’est pourquoi Shizuka se contenta de sourire un peu bêtement, le visage couvert de sueur.

— Mmm… j’vous pige pas toutes les deux. Enfin bon, si tu veux, tu peux monter sur mon dos, avec ton poids plume j’te sentirais même pas !

— Non ça ira, merci Irina-san.

— T’es sûre ?

— N’avez-vous point entendu sa réponse ? A moins que vous ne parveniez même plus à discerner le sens de paroles simples, à présent ?

Bien qu’agressive dans ses propos, le ton de voix et la délicatesse qu’elle avait pour prononcer ces mots les rendaient presque inoffensifs. En tout cas, Irina n’en eut que faire, elle se mit à rire et reprit :

— J’vois que Vivi est jalouse. OK, j’laisse tomber, mais si t’as besoin de moi hésite pas !

Sur ces mots, sans demander aucunement l’autorisation, elle fit une bise sur la joue de Shizuka et courut poing en arrière pour reprendre sa position en tête qu’occupait Elin.

Un peu à retardement, surprise par l’attitude de Vivienne, Shizuka rougit et oublia un instant la peur qui la paralysait depuis avant.

— Ça devrait être bon, Oneesama. Je… désolée d’être un boulet accroché à votre pied.

—  Il n’y a guère lieu de vous en excuser, votre attitude n’est pas en tort…

Shizuka crut l’entendre dire à basse voix : « … non pas comme celle d’une autre », mais le volume sonore était si bas qu’elle n’était pas sûr. Toutefois, ses lèvres affichèrent une moue contrariée qu’elle ne lui avait jamais vue. Était-elle énervée par le bisou d’Irina ?

Shizuka lâcha la main de sa voisine et avança en baissant le regard, prise dans un flot de pensées et de doutes, lorsque la voix de leur chef se fit entendre :

— Je suis pas contre l’entente entre membres d’agence, mais c’est pas le moment de perdre sa vigilance. Gardez vos histoires de gonzesse pour plus tard, OK ?

La jeune femme afficha un sourire forcé en pensant qu’elle était également une « gonzesse », mais préféra ne rien dire.

— Ch’sais que t’as pas de nichons, mais t’es une fille aussi, t’sais ? On dirait que tu parles parfois comme un vieil instructeur de l’armée. Haha !

— La ferme, vache à lait ! En plus, t’as jamais été dans l’armée, qu’est-ce que tu en sais ?

— J’ai vu ça dans les jeux, confessa Irina en marchant joyeusement à l’avant.

En observant le duo comique, Shizuka ne put s’empêcher de rire et de se décontracter. C’était ainsi que fonctionnait l’agence Tentakool au final.

Quelques minutes plus tard, sans nouvelle attaque des Veilleurs Temporels, elles arrivèrent dans une grande pièce où les brancards et les lits d’hôpitaux avaient été disposés proprement contre les murs. Sur ces derniers reposaient de multiples bougies noires, ainsi que nombre d’objets tels des cristaux, des statuettes qui n’étaient pas sans laisser penser à des outils liés aux pratiques occultes.

Au centre se trouvait un ensemble de cercles et d’inscriptions tracées par le biais d’encres rouges, sûrement un mélange à base de sang selon l’estimation de Shizuka, ainsi que la silhouette de Tsukahiko qui se tourna vers elles.

— Vous êtes arrivées plus rapidement que prévu… et aucune n’est morte, quelle surprise !

— Bah, ouais, on est balèze. Hihihi ! Commenta Irina les bras derrière la tête avec insouciance.

— C’était donc ton plan : nous amener ici pour que nous nous occupions des toutous qui te poursuivent ? C’était bien pensé, mais bon je m’y attendais…

— Ah bon ? Comment auriez-vous pu vous y attendre ? Demanda l’homme interloqué.

— Tu pues la magie, déclara franchement Irina. Pis, Elieli t’as trouvé louche depuis le début.

— Vous êtes impressionnantes ! J’espère sincèrement ne plus vous revoir sur ma route. Sur ce, il est temps pour moi de me retirer.

Tsukahiko fit une révérence respectueuse avant que le cercle autour de lui ne se mette à luire et qu’une colonne de lumière bleue n’en jaillisse et l’enveloppe. Le temps d’un clignement d’œil, il avait disparu.

— Tu maîtrises donc la téléportation, grommela Elin. Comme je m’en doutais, c’est pas un sorcier de bas étage…

— Chef, que faisons-nous à présent ? Demanda Vivienne.

— Nous rentrons à l’agence ? Demanda Shizuka avec l’espoir d’en finir avec cette histoire.

— Vivi transforme-toi vite ! Vos barrières !

A peine eut-elle fini de donner ces ordres que le cercle au centre de la pièce se remit à luire, qu’une onde de choc s’en dégagea et se répandit dans les couloirs de l’hôpital, provoquant des secousses qui firent s’écrouler certains murs intérieurs.

Grâce à la barrière d’Elin, puis celle de Vivienne qui apparut une fraction de seconde plus tard, les filles ne subirent pas de blessures. Mais ce n’était pas fini !

Une fois de plus, Shizuka fut prise de court, elle n’eut pas le temps de réagir. Elle écarquilla les yeux alors qu’elle sentit le sol trembler, l’onde de choc passer à ses côtés et qu’elle vit des volutes d’énergie se heurter contre les deux barrières magiques.

Cela ne dura que quelques secondes.

Puis un être gigantesque se dressa devant elles de toute sa hauteur et détruisit en partie le plafond de l’étage supérieur.

Il s’agissait d’un monstre-arbre, gris métallique disposant au lieu de ses branches de tentacules organiques couverts d’ergots et suintant d’un ichor immonde. Au centre du tronc se trouvait une bouche garnie de dents, de la bave s’en écoulait, ce n’était assurément pas la sève d’un arbre normal.

Sans connaître ce monstre, Shizuka n’avait pas très envie de se laisser attraper par l’un de ses tentacules, elle avait vu trop de scènes érotiques dans les jeux vidéos ou mangas pour savoir comment cela risquait de se finir. Aussi, elle déglutit.

Les autres filles semblaient calmes, elles l’observaient se manifester. Il ne passa pas de suite à l’attaque, sûrement était-il déstabilisé par son apparition.

— Que fait donc un Mhughon dans cet endroit ? Demanda Vivienne en dégainant sa rapière de son fourreau.

— C’est Tsu-kun qui l’a fait venir, hein hein, Eli-chan ?

— Vous en posez des questions toutes les deux ! Bon, on s’en occupe et on rentre. Shizuka, va nous attendre dehors, ça va être difficile de te protéger sinon…

— Hein ? Mais, je… je voudrais…

— Trop fort pour une noob, fais ce que je te dis.

Shizuka ne pensait vraiment pas recevoir un ordre de retraite de la part de sa chef, la situation était-elle donc aussi risquée que cela ? Elle eut soudain un bien mauvais pressentiment.

Une part d’elle voulait vraiment être utile à l’agence, mais elle se rendait compte que dans le pire des scénarios, elle risquait au contraire de les mettre en danger. Il valait mieux obéir aux ordres et piétiner sa fierté personnelle que se rendre coupable des blessures de ses alliées, voire pire.

Tout en retenant ses larmes, Shizuka se retourna et s’enfuit dans le couloir sans se retourner, elle ne vit pas un des tentacules la poursuivre et être arrêté par une série d’attaques de Vivienne. Malgré sa force et le nombre d’attaques, elle ne parvint pas le sectionner, mais le retint suffisamment longtemps pour que la nouvelle recrue puisse quitter la zone de combat.

— Il est vraiment résistant, fit remarquer Vivienne en se léchant les lèvres. Il va pouvoir souffrir longtemps… miam…

— Le sous-estime pas, Vivi. Les Mhughon sont dangereux.

— Bon, vu que Shi-chan est partie, on y va à fond ou pas ? Demanda Irina en frappant ses poings l’un contre l’autre de manière intimidante.

— Pfff ! Comme si tu te retenais jusqu’à maintenant, répliqua Elin en levant les épaules.

— J’ai toujours voulu envie de dire un truc comme ça, ça fait vachement manga d’action, non ?

— Toujours aussi simple d’esprit, ma chère Irina-san. Vous êtes digne de vous-même, persifla de manière dédaigneuse Vivienne.

— C’est gentil, je m’attendais pas à des compliments de ta part, Vivi. Héhé, on va bien s’amuser !

Le combat débuta.

Shizuka courait dans les couloirs vides et parfois éboulés. Elle avait une étrange sensation, un mal-être à l’intérieur de son cœur, mais elle avait du mal à en définir l’origine. De plus, son corps était bien épuisé, elle avait utilisé nombre de sortilèges dont un puissant, elle ressentait des courbatures dans ses muscles et ses jambes endolories ; elle ralentit malgré elle l’allure de sa course.

Quelques minutes plus tard, alors qu’elle entendait des bruits de combat dans l’immeuble, elle finit par atteindre la cour où elle reprit son souffle.

Elle n’avait pas croisé de chiens de Tindalos, pas plus que d’autres monstres ; en considérant le fait qu’ils chassaient uniquement celui qui avait rompu le tabou, soit Tsukahiko, c’était finalement assez normal qu’aucun n’en profite pour l’attaquer.

— J’espère que tout se passe bien pour elles, pensa Shizuka en s’asseyant sur les quelques marches de l’entrée.

A ce moment-là, ses yeux se levèrent et, apercevant le ciel, elle comprit quelle était cette étrange sensation en elle : il ressemblait à une vaste flaque d’huile sur de l’asphalte, multicolore et liquide.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?! S’écria-t-elle alors que ses yeux s’écarquillèrent.

<< C’est un kekkai, répondit calmement Yog-kun à travers la baguette magique. Je t’en ai déjà parlé non ? >>

— Oui. Certains monstres ou mahou senjo sont capables de créer des espaces dimensionnels isolées afin d’empêcher la destruction matérielle dans notre monde, c’est ça ?

<< Ouais, ça sert aussi de prison et c’est justement le cas là. >>

Shizuka se calma un peu, savoir de quoi il s’agissait la rassurait un peu en quelques sortes. En revanche, l’idée d’être prise au piège la dérageait grandement.

— Je peux faire quoi pour sortir de la barrière ? Ou alors pour la détruire ?

<< Je vois pas pourquoi tu veux faire ça. Tant qu’il y a un kekkai, les monstres en peuvent pas sortir et aucun sorcier ne peut venir vous gêner. >>

— Tu as probablement raison, mais… mais… si les choses tournent mal… les officielles…

<< Je pense qu’Elin va t’en vouloir si tu appelles des officielles en renfort. >>

— Quand bien même ! Elle avait l’air de penser que c’était un monstre puissant, si elles tombent… ce serait horrible…

Shizuka prit sa tête dans ses mains en pensant à l’éventualité qu’elles puissent périr.

Elle ne s’inquiétait pas trop pour Elin, mais elle savait que ses collègues ne faisaient pas partie du top cinq mondial, elles étaient juste très fortes, mais pas immortelles. Il se pouvait qu’elles remportent le combat, mais que Vivienne ou Irina ne s’en sortent pas.

Cette seule idée de perdre des collègues la terrifia au point de la faire trembler tout entière et de lui donner envie de revenir sur ses pas pour les aider. Mais rapidement la pensée d’être une gêne lui fit se rappeler de son impuissance et une profonde déprime l’envahit. Elle ne pouvait pas les aider, elle n’en avait pas la capacité, elle ne pouvait qu’attendre et espérer que les choses se passent bien.

<< Pour détruire un kekkai, il faut soit tuer la personne qui l’a généré, soit disposer d’un pouvoir permettant d’ouvrir une brèche, expliqua Yog-kun après un court silence. Si c’est le Mhughon qui l’a généré, t’as aucune chance de le détruire, ces bêbêtes là sont super résistantes, t’es pas encore assez puissante. Quant à forcer une ouverture, ça fait pas partie de tes pouvoirs. >>

— En somme tout ce que je peux faire c’est attendre et espérer ?

<< Yep, cette fois faudra t’en contenter… >>

Shizuka ramena vers elle ses genoux qu’elle serra dans ses bras. Elle laissa tomber à côté d’elle sa baguette, puis se mit à pleurer malgré elle ; elle sanglotait et tentait de se retenir, mais elle n’y parvenait pas vraiment.

— Tu… tu vas me demander… quoi en échange des infos ? Demanda-t-elle à son familier, en entrecoupant sa phrase de sanglots.

<< Deux paquets de chips me suffiront. Tu devrais pas déprimer, t’as fait de ton mieux aujourd’hui, je suis sûr qu’elles sont toutes contentes de toi. >>

C’était très rare que Yog-kun essaye de lui remonter le moral, en général leur relation était plutôt conflictuelle : elle ne cessait de l’insulter et de le traiter de fainéant, de NEET et de parasite et, de son côté, il lui rendait la vie difficile par diverses choses, comme en vendant ses sous-vêtements sur internet pour pouvoir avoir de l’argent pour des contenus de jeux en ligne, ou encore lui voler des billets pour commander des pizzas et bien d’autres choses du genre.

Contrairement aux anciennes fictions, son familier à elle était plutôt inutile, il ne donnait que rarement de bon conseils, il ne venait pas sur le terrain, il ne l’aidait pas à trouver des stratégies pour vaincre des monstres, rien de tout cela. Il passait son temps devant l’ordinateur à jouer à des MMO et à manger des chips et boire du cola.

Aussi, ce comportement lui parut avant tout suspect.

— Comment… ça se fait que tu… dises… des choses… sympas ?

<< Bah, ça m’arrive aussi… Puis, je voudrais te demander de l’argent pour acheter des barrettes de RAM, ce PC rame à fond. >>

— Va mourir !

<< Ce que t’es méchante avec ton familier préféré. >>

— Crève !

Yog-kun, au lieu de le prendre mal, se mit à rire un instant, puis se tut.

Le silence dura quelques instants durant lesquels il était possible d’entendre les bruits de combat à l’intérieur et les sanglots de Shizuka à l’extérieur.

— Ils sont si forts que ça les Mhughon ? Finit-elle par demander alors qu’elle se calma un peu.

<< Yep, y‘sont plutôt pénibles. Ils sont super résistants, très forts et le poison de leurs tentacules est paralysant. Par contre, ils sont cons comme leurs pieds. Pour ça que c’est les serviteurs des Parasites de Vulka. Mais bon, pas de quoi faire peur à la petite Elin, non plus… >>

Shizuka déplia ses jambes et sécha ses larmes de ses manches. Elle voulait être prête à les attendre dignement lorsqu’elles ressortiraient, mais avant même qu’elle n’ait pu se relever, quelque chose démolit un des murs à l’étage et s’écrasa dans la cour.

La jeune femme dût fermer les yeux à cause du nuage de poussière, l’impact avait eu lieu à quelques mètres d’elle seulement.

Lorsqu’elle put les rouvrir, elle vit un long tentacule au sol ; il avait été comme arraché de manière sauvage, c’était sans aucun doute l’œuvre d’Irina.

— Est-ce qu’elle va bien ? se demanda-t-elle. N’était-elle pas paralysée après l’avoir touché ?

Mais son inquiétude se dissipa rapidement lorsqu’elle vit le tentacule sectionné se mouvoir au sol et se diriger vers elle.

— Quoi ?! Il…

Elle se leva rapidement et pointa sa baguette en direction de cette chose qui rampait et de toutes ses forces elle exprima à travers son incantation sa volonté de le détruire :

« Quartz Pickaxe ! »

Probablement parce que le membre n’était plus alimenté par la sève du monstre, il ne profitait pas de sa résistance aberrante et contre toute attente, le projectile de Shizuka perça un trou dans celui-ci.

— Hein ? Ça suffit ? Se demanda-t-elle étonnée de sa réussite.

<< Ouais, c’est qu’un bout arraché du monstre, je suppose qu’il est moins résistant. >>

— Dans ce cas ! Opal Rain !

Shizuka leva sa baguette qui se mit à luire, puis une pluie de cristaux colorés se mit à tomber sur son adversaire, détruisant chaque parcelle de sa chair gris métallique.

Lorsque le sortilège s’arrêta, il ne restait plus que des petits morceaux disséminés de-ci de-là, plus rien ne bougeait. Néanmoins, là où son sang avait giclé de la fumée noire s’élevait comme si le sang corrompu de cet être cherchait à faire moisir la terre elle-même.

— C’est réglé… cette fois…, dit-elle assez fière à elle-même en reprenant son souffle.

Puis, soudain, sa tête se mit à tourner, elle avait bien trop épuisé son corps. Elle tomba à genoux et se sentit si fatiguée qu’elle ne pouvait plus bouger. L’instant d’après, elle tomba face contre le terre et sombra dans l’inconscience.

***

Quelques minutes auparavant.

Le Mhughon qui avait l’initiative de l’attaque balaya de ses tentacules végétaux la zone, mais se heurta rapidement aux barrières magiques d’Elin et de Vivienne.

Après une série d’attaques, la barrière végétale de Vivienne céda sous la violence des attaques.

— Je vous ai dit qu’ils ont une force aberrante, expliqua Elin. Vous avez deux secondes pour passer à l’assaut. 1…2…

C’est avec un timing parfait que les filles passèrent à l’attaque alors que la barrière d’Elin céda à son tour.

« Alba Rosa ! »

Des roses blanches poussèrent sur la rapière végétale de Vivienne qu’elle transforma en fouet et aussitôt porta une attaque au Mhughon.

Cependant, Irina frappa de toutes ses forces un pan de mur à moitié détruit à côté d’elle et à la manière d’un ballon le projeta sur son adversaire.

Les deux attaques passèrent au travers du barrage de tentacules fouettant l’air devant le monstre et atteignirent son corps principal.

«  Thamiel ».

Une boule de flammes noires vint s’adjoindre à l’attaque, l’explosion engloba non seulement le corps principal mais également les tentacules proches.

Mais alors que la poussière retomba, elles virent la monstre parfaitement intact, ses tentacules s’agitaient encore autour de lui et sa gueule grande ouverte suintait de bave.

— Ch’crois qu’on l’a juste énervé, non, Elieli ?

— Pffff ! Il m’énerve ce monstre. La dernière fois que j’en ai abattu un, on a prit une demi-heure pour percer sa satanée armure.

— Une demi-heure ? Miam, que de délices en perspective. Je n’arrive presque plus à me contrôler !

— Eli-chan ? Qu’est-ce qu’on fait, la folle va partir en vrille dans quelques instants…

— Pffff ! Vous m’énervez autant que le monstre. Bon, Irina passe en mode défense, Vivi tu t’occupes de dévier ses attaques. Je vais concentrer mes plus puissants sorts.

— Pourquoi ne pas profiter de cette orgie de plaisir ? En finir rapidement, c’est… impropre… c’est obscène ! s’opposa Vivienne.

— Faites ce que je vous dis, bon sang.

Pour Elin qui était d’un type plutôt impassible, la voix qu’elle venait de prendre était sûrement la plus énervée qu’elle puisse avoir.

Elle avait un mauvais souvenir de ce type de monstres. Ce qu’elle venait de taire à l’instant, c’est que le combat qui avait duré une demi-heure avait tué un des membres impatient de l’unité et avait envoyé à l’hôpital deux autres filles ; elle avait donc dû finir le combat en solo.

De plus, il y avait une magie malsaine dans l’atmosphère autour d’elles qui l’inquiétait tout autant que le monstre.

Elle voulait s’en débarrasser au plus vite pour pouvoir enquêter dessus. Qui plus est, elle avait certes envoyé Shizuka à l’extérieur pour la protéger, mais elle n’avait aucune certitude qu’il n’y ait aucun autre monstre sur sa route ; ou simplement que Tsukahiko qui les avait trahies ne reviendra pas s’en prendre à elle.

Il fallait en finir vite, le plus vite possible, mais le Mhughon qui se trouvait devant elles figurait parmi les Anciens les plus résistants qui soit.

Irina frappa ses poings l’un contre l’autre et son corps se recouvrit d’une couche de métal, puis elle s’avança immédiatement sur sa cible. Les tentacules qui allaient s’abattre sur elle furent prit pour cible par la rapière-fouet de Vivienne.

Elle n’avait pas la force de les trancher ou même percer leur armure, mais elle parvint malgré tout à en dévier une partie.

Irina se conforma aux ordres de sa chef, elle la connaissait depuis quelques années et la savait à sa manière inquiète. Aussi, elle suivit le plan à la lettre, elle resta en défense et bloqua ou dévia les tentacules qui la prenaient pour cible.

Pendant ce temps, les flammes noires se réunissaient autour de la loli des flammes noires, elle allait utiliser une de ses plus puissantes attaques. Elle rouvrit les yeux et les porta sur le corps gris métallique du Mhughon.

« Harab Serapel. »

Elle se mit à courir autour du monstre, interposant sa barrière magique face aux quelques rares tentacules qui passaient la défense créée par les deux filles, et dessina au sol une traînée de flammes noires.

— Reculez toutes les deux !

Irina et Vivienne suivirent les indications, elles vinrent se placer aux côtés de leur chef.

*clac*

Elle fit claquer ses doigts.

C’est alors que les flammes s’élevèrent et formèrent un dôme autour du monstre, seule la partie la plus haute n’était pas pris dans celui-ci. Elles se mirent à tournoyer et à se concentrer avec une telle force que rapidement la sphère se mit à ressembler à un petit soleil noir ; même à l’extérieur les filles ressentaient des vagues de chaleur s’échapper, certes minimes comparées à la fournaise qui se produisait à l’intérieur.

Contrairement à ses autres attaques de flammes noires qui provoquaient des dégâts de désintégration, et non de chaleur, le sort Harab Serapel consistait à un crée une zone où la température atteignait quelques millions de Kelvin. De manière plus localisée, c’était un peu comme se trouver au cœur d’une réaction nucléaire à fusion.

Ces flammes étaient tous simplement absurdes, dégageant tantôt de la chaleur, tantôt rien du tout, diffusant tantôt une luminescence, tantôt de l’obscurité. Les scientifiques qui s’étaient jadis penchés sur leur analyse avaient conclu qu’il s’agissait d’une énergie proche de celle utilisée par certains Anciens, une sorte d’énergie inconnue de l’Humanité et dont la logique échappait aux lois de la physique usuelle.

En conclusion, c’était des paroles complexes pour simplement masquer l’échec de la science à les comprendre.

Elin savait qu’elle ne viendrait pas à bout du monstre avec cette attaque redoutable, mais elle espérait détruire les couches supérieures de son épiderme et rendre son armure plus fragile.

— Impressionnant ! S’écria Vivienne. Je ne savais point que notre chef avait un tel sortilège.

— Elle l’utilise pas souvent, expliqua Irina. La zone est fixe, suffit que le monstre bouge avant le début et c’est foiré. En plus, Elieli m’a expliqué que plus la zone est grosse, moins l’attaque est puissante. C’est pas évident. Pas vrai, Elieli ?

— Arrêtez vos blabla et reprenez votre souffle, le combat continue.

A peine la zone de flammes disparue, tout comme elle l’avait annoncé, le Mhughon était encore là, intact, comme s’il n’avait pas souffert du tout.

— Whaaa ! C’est du solide, y’a pas à dire !

— En fait, je commence à m’ennuyer. Il a beau être un sujet résistant, s’il ne pousse aucun cri, il n’y a aucun intérêt à l’éduquer. Quelle frustration… !

Le combat reprit aussitôt.

Le monstre se remit à frapper de ses tentacules les jeunes femmes, elles se dispersèrent afin de ne point lui permettre de profiter de la taille de ses membres pour les atteindre toutes en même temps.

En effet, considérant la longueur des tentacules, un seul était capable de les toucher toutes les trois d’un coup. Se disperser lui faisait perdre cet avantage.

Soudain, en plein assaut ennemi, Elin remarqua un détail qui la fit presque sourire.

— J’ai un plan qui va se jouer en deux temps. Suivez mes ordres les filles.

— Bien entendu, chef ! Débarrassez-nous de cette aberration au plus vite et retournons taquiner Shizuka-san.

Le monstre venait de passer de hors-d’œuvre à produit bon pour la poubelle dans l’esprit de la jeune noble ; incapable de souffrir, il avait perdu tout intérêt.

— Shi-chan crierait de toutes ses forces si elle t’entendait, Vivi. J’t’écoute Elieli, balance le plan !

Irina répondit en frappant de ses poings un tentacule qui venait sur elle. Sans mal elle parvint à le dévier, mais rien de plus.

— Bon, voilà l’idée…

Suite à quelques brèves et concises explications quant à la phase 1 du plan, Vivienne passa à l’attaque :

« Millium Rubus Rosa ! »

Des roses apparurent à ses pieds et projetèrent des lianes semblables à des tentacules devant elle. Elles saisirent non pas le corps principal du Mhughon, mais l’un tentacule spécifique. Les dizaines de lianes l’enchevêtrèrent jusqu’à complètement l’immobiliser, ce qui n’empêcha pas les autres de continuer leurs attaques.

« Gamchicoth. »

Elin tendit sa main et une langue de flamme noire intense en jaillit et serpenta dans une trajectoire complexe entre les attaques adverses. Grâce à ses flammes, elle saisit à son tour le même tentacule à un endroit précis.

Elin l’avait précédemment remarquée : une légère craquelure, sûrement résultat de leurs précédentes attaques. Avec ses flammes, elle pouvait encore fragiliser plus cette faille apparue dans l’armure ennemie.

Amplifiant sa langue de flamme noires, elle donna le signal à Irina.

— Maintenant.

Irina s’accroupit et tel un ressort elle détendit ses jambes, se projetant de toutes ses forces sur le tentacule en question.

Elle le frappa de son poing et, sans réellement comprendre, elle entendit un son sec puis le membre se détacha et fut projeté à travers une des fenêtres.

Les deux subalternes sourirent en voyant le plan de leur chef porter ses fruits, puis demandèrent presque en même temps :

— Et la phase 2 ?

— Quelles impatientes… Vivi, inocule-lui ton poison paralysant par la chaire à vif de la blessure. Il faut aller vite, il ne sera pas affecté longtemps.

Tout en évitant les attaques du monstre qui n’avaient de cesse, Vivienne fit claquer son fouet quelques dizaines de fois en une fraction de secondes et cibla le moignon du tentacule arraché.

Conformément au plan, elle ne cherchait pas à produire des dégâts importants mais simplement à faire passer le poison des roses blanches de son fouet à l’intérieur du corps du monstre.

Initialement, elle aurait pensé qu’un monstre-arbre y était immunisé mais si Elin lui disait d’agir ainsi, c’était sûrement une erreur de jugement.

Le poison produisit son effet.

Un poison normal n’aurait sûrement pas affecté cet Ancien, mais tout comme ses flammes n’avaient pas de logique physique classique, le pouvoir de Vivienne suivait également d’autres règles.

La cadence d’attaque du Mhughon ralentit pour finalement s’arrêter nette, son corps paralysé par le poison.

— Irina, attaque de toutes tes forces la bouche. Mais fait attention à ne pas y entrer.

— OK〜 !

Afin de gagner en puissance et en vitesse, Irina fit disparaître son armure de métal, puis sauta en direction du monstre et retomba sur la bouche au centre du tronc en portant un coup de ses deux pieds en même temps. Un tintement métallique terrible se répandit, c’était comme si deux morceaux de métal extrêmement solides venaient de se heurter. Cette analogie n’était cependant pas réellement fausse : les dents du monstre étaient effectivement composées d’une structure organique métallique non terrienne.

La mahou senjo parvint à détruire une première rangée de dents, mais elle dût s’acharner en portant des dizaines de coups de poing pour détruire les autres.

Un rythme semblable à un gong, mais plus aigu et cristallin, se répéta encore et encore.

Finalement, Irina bondit en arrière et s’écria :

— Il recommence à bouger. A toi de jouer, Elieli !

— Je t’ai pas attendue, idiote.

Pendant l’assaut d’Irina, Elin avait concentré sa magie dans l’intention de lancer un de ses plus puissants sortilèges.

Elle comptait en finir au plus vite, elle était vraiment inquiète pour Shizuka.

« Samaël. »

Les flammes noires jaillirent telle une tornade autour de la magicienne, elles se concentrèrent comme si elles étaient désireuses de l’embraser.

Soudain, transformée en une sorte de boule de feu géante, Elin s’envola en direction du monstre.

Elle visait un point spécifique : la gueule du monstre.

La boule de flamme noires désintégrantes entra par la bouche grande ouverte grâce à la brutalité d’Irina et ressortit à l’étage supérieur par le haut du corps du monstre, laissant derrière elle un simple sillon vide de toute matière.

Les trois filles en posture de combat observèrent leur ennemi quelques secondes encore, s’attendant à le voir reprendre le combat, cependant ses tentacules tombèrent mollement au sol, marquant la défaite du monstre.

— Trop forte, Elieli ! Yeah ! T’es la meilleure des chefs ! S’écria Irina en bondissant sur place et en levant son poing de manière enthousiaste.

— J’estime que la durée du combat a été bien inférieure à une demi-heure, chef. Devons penser que notre trio est plus efficace que celui avec lequel vous avez précédemment combattu ?

— Soyez pas prétentieuses, jeune filles, dit Elin en faisant claquer sa langue et en s’approchant d’un trou dans le plafond. Il vous reste pas mal de progrès à faire, je vous assure.

— Elin est toujours comme ça, elle fait jamais de compliments. Héhéhé !

— Tu crois que tu les mérites ? Demanda-t-elle en sautant dans le trou et en rejoignant son unité à l’étage inférieur. Vous jacassez trop toutes les deux, allons rejoindre Shi-chan.

— Oh oui ! Rejoignons ma douce et chère bien-aimée.

— J’sens qu’elle va encore devoir s’enfuir. Hihi!

Tout en affichant un sourire moqueur, Irina, les bras derrière la tête, salie par la bave et l’ichor du Mhughon, se mit en marche dans le couloir. Mais soudain, elle s’écroula au sol et arrêta sa transformation.

Ses deux alliées la regardèrent avec surprise.

— Stupide Irina… Quand je te disais que tu mérites pas des félicitations. T’as réussi à t’empoisonner sur le monstre, pas vrai ?

— Eli-chan〜 ! Ça brûle dans les jambes !

— Pas de temps à perdre, Vivienne, toi qui est immunisée au poison, aspire le.

— Noooooooonnnnn, pas Vivi-chan !!!

— Que votre volonté soit faite, chef.

Sur ces mots, le regard de Vivienne devint lubrique et sadique, elle se lécha les lèvres et alors qu’Irina se mit à ramper pour s’éloigner d’elle.

« Millium Rubus Rosa ! »

Des lianes jaillirent de roses apparues à ses pieds et s’en allèrent l’enchevêtrer dans une position plutôt tendancieuse, les bras tendus au-dessus de sa tête, les jambes écartées. Même si elle était forte sans devoir se transformer, empoisonnée de surcroît, Irina ne pouvait lutter.

— Encore vos lubies inutiles… Bref, réglez ça au plus vite, dit Elin en regardant de manière blasé ce spectacle.

— Ouais, mais Vivi est folle ! Elle va me faire des trucs trop pervers !! Noooooooon, sauve-moi Elin ! Ch’suis une vampire, c’est à moi d’aspirer le sang, pas l’inverse !!!

— Bon appétit〜 ! Conclut Vivienne avant se rapprocher d’elle, de retirer de ses cuisses des morceaux de dents du Mhughon et de commencer à lécher la blessure de manière érotique.

— Ça chatouillllllle !!! Arrêeeeeete !!! Hahahaha !

Malgré les protestations, Vivienne ne s’arrêta pas. Elin se détourna de ce spectacle qui devenait de plus en plus licencieux et jeta un œil par une des fenêtres non loin.

Dans la cour, elle vit le corps allongé de Shizuka, les restes du tentacule qu’elles avaient sectionnés précédemment, mais également la barrière magique en train de disparaître autour de l’hôpital. Comme elle s’en doutait, leur prison était liée à l’existence du Mhughon.

— Je rejoins Shi-chan dans la cour. Rejoignez-nous quand vous aurez fini vos cochonneries.

Sur ces mots, elle salua de la main les deux filles derrière elle et bondit par la fenêtre brisée.

Les fleurs de lys se mirent à fleurir autour d’Irina tel un lit de fleur où elle reposait. Elle riait aux éclats tant le contact de Vivienne la chatouillait…

***

Shizuka attendait dans une rue sombre. Elle n’était pas à Tokyo, mais à Nagaoka, sa ville natale.

Elle reconnut rapidement la période de l’année : c’était l’été, la période des festivals. D’ailleurs, elle portait un yukata de couleur rouge avec divers motifs floraux.

— C’est un de mes souvenirs ?

Sa voix se superposa à l’image qui défilait devant ses yeux, elle était dans une sorte de rêve. Elle ne distinguait pas réellement son corps, il était flou, seul son yukata était parfaitement détaillé. De manière étrange, elle reconnaissait toutefois la personne se trouvant sous ses yeux comme elle-même.

Elle attendait sous un arbre à l’abondant feuillage.

— C’était en quelle année déjà ? Je me souviens de ce yukata que j’avais loué, mais c’était il y a combien de temps ?

Alors que Shizuka s’interrogeait de la sorte, une fille s’approcha d’elle. Elle la connaissait parfaitement, c’était son amie d’enfance : Hakoto.

A l’instar de Shizuka, puisqu’il s’agissait d’un rêve, ses traits étaient flous, mais on distinguait aisément qu’elle portait ses cheveux attachés dans une coupe complexe et traditionnelle et qu’elle portait un yukata vert.

— Hakocchi. Merci d’être venue. J’y croyais plus vraiment, avoua la Shizuka onirique d’une voix timide en baissant le regard.

— Je n’aurais pas fait l’affront d’une absence à ma meilleure amie, rétorqua son interlocutrice d’un ton presque outré. Allez ! Ne perdons pas de temps ! J’ai envie de m’amuser avec toi.

Ensemble, elles se mirent en route vers la zone où se déroulait le festival, elles s’étaient donnée rendez-vous dans une rue peu fréquentée à distance. En s’en rapprochant, les bruits de la foule mais aussi les rythmes traditionnels des tambours se firent entendre.

Sans prévenir, Hakoto prit la main de Shizuka et chuchota à son oreille pour être plus facilement entendue.

— Ainsi nous ne nous perdrons pas.

Malgré la rougeur sur le visage de Shizuka, elle acquiesça de la tête et se laissa emporter par la charmante jeune femme.

— C’est à ce festival que…

A peine repensa-t-elle à cet événement que ses souvenirs défilèrent devant ses yeux.

En effet, il y avait eu un moment extrêmement embarrassant lors de ce festival : l’obi de Shizuka s’était soudain défait.

Elle ne sut jamais réellement si cela avait été la faute d’un tiers ou alors un simple accident ?

Alors qu’elle marchait, la ceinture était tombée à terre et son yukata s’était ouvert en grand, dévoilant ses sous-vêtements devant des inconnus.

Shizuka s’était mise à pleurer puis s’était enfuie à travers la foule sans prêter attention à son amie.

Ce n’est que bien plus tard que Hakoto l’avait retrouvée dans un coin isolé et obscur, assise sur des marches, en train de pleurer les genoux ramenés vers elle.

— C’est vrai, quelle honte cet incident ! Heureusement que je portais quand même des sous-vêtements sous mon yukata… Même des années plus tard, je pourrais en mourir rien que d’y repenser.

Pendant qu’elle commentait de la sorte, la scène continuait de se reproduire dans son rêve. A présent, Hakoto s’approchait de Shizuka et lui caressait tendrement la tête.

— Si tu te lèves, je te remets ton obi correctement.

— Mais !! Ils ont… vu… ils m’ont vu !

— On n’y peut rien, ce qui est arrivé est arrivé. Puis, tu n’as de quoi rougir, tu es très mignonne ! Au lieu de pleurer parce qu’ils t’ont vu, tu devrais vouloir les écraser sous tes pieds pour avoir voler le privilège de t’avoir vue, non ?

Mais Shizuka ne fut pas du tout réconfortée par ce genre de paroles. Elle se jeta dans les bras de son amie pour y pleurer.

Après quelques minutes, elle finit par se calmer un peu et Hakoto commença à nouer l’obi de son amie.

Pendant ce temps, Shizuka tout en continuant de pleurer et de se plaindre :

— Déjà… qu’on me déteste en classe…

— Justement ! Si on te déteste qu’est-ce que ça change ?

— Oui mais… mais…

— Tu fais trop attention à ce que pensent les autres, tu sais ?

— C’est pas juste les autres… Une mahou senjo… elle… ne montre pas…

— Une mahou senjo peut montrer ses sous-vêtements si c’est pour sauver le monde, j’en suis persuadée. D’ailleurs, dans la saison 5 de StarLight Magical, elle finit bien à moitié nue en affrontant le grand méchant, non ?

Hakoto était aussi une fan de mahou senjo, elle l’était devenue en fréquentant Shizuka.

— Ouais mais… mais…

Shizuka ne savait plus trop quoi dire, elle avait juste envie de pleurer sur son malheur. En silence, Hakoto finit d’arranger la ceinture du yukata.

— Tu… tu ne devrais pas traîner avec moi…, expliqua Shizuka en sanglotant. Si tu restes avec moi, tu n’auras pas d’autres amis… tout le monde me déteste…

— Et après ? Que veux-tu que j’en ai à faire de l’amitié des autres puisque je t’ai toi ?

— Vraiment ?

— Si je te suis depuis tellement d’années, c’est parce que je te trouve bien plus intéressante qu’eux. En fait, je devrais te remercier, tu m’évites de devoir leur parler et écouter leurs inepties.

Shizuka ne dit mot, elle était à la fois contente et à la fois triste, elle aurait voulu pour sa part être aimée des autres étudiants et elle aurait aimé qu’on ne se moque pas d’elle. Elle ne comprenait pas bien pourquoi une fille aussi belle et aussi gentille qu’Hakoto préférait sa compagnie à celle des élèves populaires.

— Tu es sûre ?

— De te préférer ? Certaine même ! A mes yeux, il n’y a pas de personnes de plus importante que toi, Shizuka-chan.

Sur ces mots, leurs regards se croisèrent. Le cœur de Shizuka accéléra à un rythme inquiétant, c’était la première fois qu’elle sentait cette chaleur monter en elle, la première fois qu’elle ressentait ce genre d’attirance pour une fille de son âge.

C’est à cet instant que les feux d’artifice résonnèrent. Surprises, les deux filles tournèrent leurs visages en direction du ciel embrasé aux multiples couleurs.

Hakoto prit la main de son amie et posa la tête sur son épaule tendrement. Toutes deux admirèrent silencieusement ce spectacle qui allait durer un long moment, Nagaoka étant, malgré l’Invasion, la capitale kibanaise du feu d’artifice.

L’actuelle Shizuka revoyait ce souvenir enfoui dans sa mémoire. Son ressenti était complexe, à la fois douloureux, embarrassant et agréable.

— Je me demande si j’étais amoureuse d’Hakoto ? Se demanda-t-elle en y assistant.

Quelques temps après ce festival, son amie d’enfance déménagea sans la prévenir et à l’école Shizuka fut à nouveau la cible des moqueries, elle était devenue « la nudiste du festival ».

— Quelle adolescence difficile… Je crois que je préfère encore ma situation actuelle.

Sa pensée s’étiola alors qu’elle reprit lentement conscience.

***

A son réveil, Elin se tenait là, devant son regard. Elle n’avait pas encore reprit son apparence normale, elle avait toujours ses cheveux et yeux rouges inexpressifs.

— Tiens, t’es revenue à toi ?

— Elin-san ? Où sommes-nous ?

Elle n’avait pas l’impression d’être dans son lit, pas plus que sur le canapé du bureau de sa chef où elle s’était si souvent réveillée après avoir sombré dans l’inconscience.

Elle jeta un regard à droite et à gauche, elle constata être sur l’escalier froid de l’hôpital où elle était tombée. Mais sa tête reposait à présent sur les cuisses de sa chef.

— Qu’est-ce que… ?!! s’exclama-t-elle en se rendant compte de sa situation.

— Te fais pas d’idées saugrenues, il n’y avait pas de bancs ou autres pour te poser. Puis j’ai eu la flemme de chercher…, confessa-t-elle l’air de rien. Mais si tu vas mieux, tu pourrais dégager du coup.

— Quelle délicatesse avec une blessée…

Shizuka se redressa, son corps était fatigué à un stade où elle pensait ne même pas pouvoir marcher, — bien sûr elle n’était plus transformée.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? Demanda-t-elle à sa chef.

— On a battu le Mhughon, Iri-chan a été empoisonnée et est en train de se faire sucer le poison par Vivi-chan. Je t’ai vue par la fenêtre et je suis venue. T’as affronté le tentacule qu’on a sectionné ?

— Ah oui ! Je m’en souviens ! J’ai réussi toute seule cette fois !

Elle fit le signe de la victoire en direction de sa chef. Soudain, elle réalisa quelque chose et s’écria :

— Elles font quoi toutes les deux ?!

— Des choses obscènes qu’il vaut mieux pas connaître, si tu veux mon avis. Si tu veux les rejoindre, elles seront sûrement contentes, elles sont au troisième étage.

— Gloups ! Non, sans façon…

Rien que de penser à ce dont était capable Vivienne une fois transformée, elle était prise d’une folle envie de fuir.

— C’est donc réglé ?

— Yep, pour le moment.

A cet instant précis, des bruits de pas en approche se firent entendre, elles se tournèrent pour voir arriver leurs deux collègues. Elles avaient toutes les deux reprit leurs apparences normales, Vivienne portait sur son épaule Irina qui traînait le pas.

Lorsqu’elles arrivèrent non loin, Irina dans un effort de volonté s’éloigna de sa collègue et se jeta dans les bras de Shizuka :

— Je peux plus me marier Shi-chaaaan〜 ! Il me reste plus que toi à présent, marrions-nous !

— HEIN ?! Qu’est-ce que tu racontes ? Depuis quand je suis devenu le plan de secours ?!

— Mais !! Je t’aime Shi-chan !!

— Veuillez-vous éloigner d’elle, nous vous en serions reconnaissantes. Vos bras souillés pourraient entacher la pureté de notre nouvelle recrue. Veuillez-vous tenir à une distance raisonnable de dix mètres voire plus, annonça durement Vivienne en s’asseyant entre les deux filles.

— Dix mètres, t’es vache toi ! La faute à qui si je suis souillée d’abord ?

— Nous n’entendons guère vos propos. La souillure se trouvait déjà en vous depuis fort longtemps, veuillez ne point nous rendre coupable de crimes que nous n’avons point commis.

— Bon, vous avez fini vos blabla ? leur reprocha Elin d’un ton sérieux. On s’en va d’ici, y a plus rien à y faire.

Shizuka se leva la première avec entrain et se prépara à partir : elle en avait assez de cet endroit. A dire vrai, elle détestait toutes les maisons hantées et encore plus les hôpitaux abandonnés. Même si elle ne pensait plus avoir d’énergie, la perspective de quitter ce lieu d’horreur lui fit pousser des ailes.

— Prête-moi ton épaule, Shi-chan.

— Ce monstre était tellement puissant que même toi t’es dans cet état ?

— Nan, il avait juste un poison, j’sens plus mes jambes inférieures.

— Parce que tu as des jambes supérieures ? Lui demanda Shizuka pour relever sa faute.

— Vous devriez être plus vigilante plutôt que de vous jetez droit dans la gueule des monstres, lui reprocha Vivienne. Nous allons vous prêtez notre épaule également, Shizuka-san est affaiblie également.

Malgré la peur que lui inspirait Vivienne transformée, elle était contente de la délicate attention qu’on lui portait.

— Non pas toi, t’es trop folle ! Elieli, porte-moi !

Lorsque les filles se tournèrent vers Elin, elle reprit sa forme normale, bâilla et les regarda sans motivation du haut de son mètre quarante. Considérant la différence de taille, Elin n’était pas la plus indiquée pour cette tâche.

Mais, alors que les filles se jetaient des regards entendus, une voix inconnue entra dans leurs oreilles :

— Tiens, mais ne serait-ce pas cette fainéante de planche à pain ?

Les regards des quatre filles se tournèrent vers un trou dans l’enceinte de l’hôpital où, elles aperçurent quatre nouvelles filles, plus précisément des mahou senjo.

Elin se tourna vers une femme en armure high-tech moulante, aux cheveux rouges attachés en une queue de cheval attachées de côté, puis bâilla à nouveau.

L’instant d’après, elle dessina un V de victoire en direction de l’inconnue :

— C’est bon, la menace est vaincue. T’es venue pour rien, Jess. Au fait, ça fait une plombe, non ?

— Tsssss ! Je reconnais bien ton attitude de bonne à rien, Elin.

Jessica Whitestone croisa les bras et prit un air agacé en la scrutant.

En même temps, une des filles portant une tenue de miko, une prêtresse shintoïste, s’écria :

— Aaaaaaahhhhh ! Shizuka-chan ?!

Shizuka l’observa attentivement : même si elle avait changé, il n’y avait aucun doute sur l’identité de cette personne.

— C’est toi Hakocchi ?

— Que je suis ravie de te rencontrer à nouveau, Shizuka-chan !

Hakoto avait les larmes aux yeux tant sa joie était sincère et profonde.

Lire la suite – Chapitre 3