Los Angeles, c’était là que se rendaient les agences Tentakool et NyuuStore.
Cette ville sur le territoire des US Reborn avait été totalement détruite pendant la période de l’Invasion, lorsque le « Big One » avait eu lieu. Contrairement aux attentes, il ne s’était pas agi que d’un tremblement de terre — même si ce dernier avait bel et bien eu lieu — mais d’une invasion de créatures anciennes et puissantes : des Ethiondizt, autrement nommés Chtoniens, s’étaient extirpés de la faille de San Andreas et avaient poursuivi l’œuvre de destruction du séisme.
Pendant quelques années, la côte ouest avait été sous la coupe de ces créatures. Les frontières américaines avaient été repoussées jusqu’aux Rocheuses où le gouvernement et l’armée s’étaient cachés. Le pays avait manqué de disparaître, malgré sa puissance militaire jadis reconnue comme la plus importante au monde. Les USA avaient résisté bravement, mais ses ennemis étaient nombreux et redoutables.
Depuis la libération de la côte ouest, Los Angeles était devenue le symbole de la puissance et des valeurs des US Reborn.
Le pays ne s’était pas contenté de la reconstruire, il l’avait fait profiter des dernières avancées technologiques en en faisant la cité la plus moderne au monde. Elle était bâtie sous de nombreux dômes en verre et d’imposantes enceintes en protégeaient l’accès, ainsi que de nombreuses tours équipées de canons.
Mais sa défense la plus impressionnante demeurait ses Etherium, ces dispositifs magiques permettant de verrouiller les déplacements dimensionnels. Près de 60 % de la ville était couverte par cette mesure de protection qui empêchait les Anciens d’ouvrir des brèches pour attaquer les habitants.
À l’intérieur, la température était toujours maintenue autour des 25°C, l’air était garanti sans aucun agent chimique extra-dimensionnel. Le ciel était toujours bleu et quelques nuages y passaient, mais ce n’était qu’une décoration puisqu’il était généré par les écrans composant les dômes.
En fait, on ne les voyait que de l’extérieur de la cité, l’intérieur était très proche de ce que la ville avait été autrefois, on pouvait retrouver tous les lieux touristiques marquants, le même agencement de rues et même les franchises qui avaient été jadis le symbole des États-Unis.
Des Etherium de cette taille n’existaient nulle part ailleurs, même si les rumeurs affirmaient que l’Ukrytiye avait des projets de recherche similaires. Les US Reborn n’avaient jamais rendu publiques leurs découvertes.
En raison de son architecture high-tech, la ville régulait sa population, elle accueillait sur dossier seulement 2 millions d’élus ; sa population avait été réduite de moitié depuis l’Invasion.
Le siège du pouvoir se trouvait à présent au centre-ville dans des bâtiments qui avaient été construits à l’identique du Pentagone et de la Maison Blanche.
Non loin de Los Angeles se trouvaient d’autres villes d’envergure plus modeste et surtout moins riches, dont bon nombre portaient les noms des villes envahies de la côte est, en guise d’hommage.
Aux US Reborn, la mémoire de la gloire passée était particulièrement forte.
Les filles des deux agences venaient de quitter l’aéroport de Los Angeles.
Jessica était la commanditaire de l’actuelle mission. En effet, elle avait engagé l’agence Tentakool sur ses finances personnelles pour qu’elle lui serve de renfort.
Une imposante voiture, une limousine, les attendait : elle était digne du luxe dont on pouvait s’attendre de la part de sa riche propriétaire.
— Whaaaaaa ! T’es pleine aux as, dis donc ! s’écria Irina avant de se jeter sur la banquette arrière sans aucune retenue.
Irina était une fille insouciante, à la longue chevelure blanche détachée, aux yeux verts et aux traits métissés kibanais ; elle paraissait toujours s’amuser et ne s’encombrait pas des convenances.
— Je vous l’avais pas dit que Jess est une bourge ? rappela Elin en se grattant l’arrière de la tête et en se laissant tomber sur la place passager à l’avant.
Elin, la chef de l’agence Tentakool, était une femme d’un mètre quarante aux cheveux châtains noués en couette. Elle portait un large pull où était imprimé : « I’ll make sashimi with Chtulhu! ». Son regard était impassible, voire éteint, et ses mouvements lents et démotivés.
— Un peu de prestance, toutes les deux ! Vous allez me faire pleurer… Désolée, Jessica-san.
Shizuka s’inclina pour s’excuser auprès de leur employeuse. Elle était une femme de dix-huit ans à la longue et soyeuse chevelure noire et aux yeux violets. Contrairement aux deux autres, elle s’habillait à la mode et faisait attention aussi bien à son apparence qu’à ses manières.
Plus que la colère, son expression affichait de l’anxiété, un état qu’elle manifestait fréquemment.
— Merci, Shizuka-chan. Allez, c’est pas tout ça, en voiture !
Jessica, la chef de l’agence NyuuStore, était une femme mesurant plus d’un mètre soixante-dix à la longue chevelure rose coiffée en twin side up et aux yeux d’un bleu intense. Sa tenue mettait en avant son opulente poitrine dont elle était fière. Elle était certes élégante et séduisante, mais aussi particulièrement colérique, surtout lorsqu’il s’agissait d’Elin.
Elle entra dans la voiture assez grande pour huit personnes, un modèle rebornien qui n’était pas destiné à l’exportation et qui aurait été incapable de rouler dans les rues étroites de Kibou, puis s’installa au volant.
C’était la première fois que Shizuka voyageait à l’étranger, elle n’avait jamais quitté son pays. Son cas n’était pas rare, le tourisme n’existait plus depuis l’invasion des Anciens.
Observant le vaste ciel bleu, plus large que celui de Tokyo où il était toujours confiné entre les hauts bâtiments qui s’étendaient à perte de vue, elle sentit qu’on venait de lui prendre la main. Lorsqu’elle tourna la tête vers la droite, elle remarqua la silhouette élégante de son amie d’enfance, Hakoto.
Cette fille à la longue chevelure sombre, à la frange droite et aux yeux noirs était l’incarnation de la beauté kibanaise ; d’ailleurs, contrairement à son habitude, elle s’était vêtue pour l’occasion d’un kimono rose et orange plutôt que de vêtements à l’occidentale. Cette tenue collait parfaitement à son style.
— N’aie pas peur, je suis avec toi, Shizuka-chan, lui chuchota-t-elle à l’oreille.
— Merci, Hakocchi.
Soudain, elle sentit une autre main : celle de la noble Vivienne de la Grandière, une Amaryllienne d’origine aristocratique française. Cette femme à la beauté époustouflante avait une chevelure d’or et des yeux bleus. Elle dégageait un raffinement extrême, chacun de ses mouvements était mesuré et impérieux.
— Il va de soi que vous pouvez compter sur notre assistance, quelle que soit la tâche qui vous incombe ou le tracas qui vous accable, lui susurra-t-elle à l’autre oreille.
— Merci, Oneesama.
— Nous comprenons votre désarroi, cela fait bien longtemps que nous-même n’avons quitté le territoire kibanais et c’est la première fois également que nous venons aux US Reborn.
— Vraiment ? Ça me rassure un peu… de ne pas être la seule.
Même les mahou senjo ne circulaient pas d’un pays à l’autre, il fallait des autorisations officielles tel qu’un contrat avec l’armée mais ils étaient rares.
— Et toi, Irina, tu es déjà venue ici ? demanda Shizuka à cette dernière.
Voyant que les autres n’entraient pas, elle était ressortie. Elin avait fait de même, ses épaules basses lui donnaient l’air de pouvoir s’écrouler d’un instant à l’autre.
Shizuka se sentait complexée face à l’expérience et aux pouvoirs de ses collègues ; elle avait besoin de se conforter.
— Nope ! En fait, ch’suis jamais allée plus loin que… Saitama ? Enoshima?
— Nous sommes déjà allées en mission hors du Kantô, signala Vivienne.
— Ch’sais plus ! Mais on s’en fout, c’est pas important. Allez ! Traînez pas, j’veux aller à la plage !
— T’es pas censée être une vampire ? demanda Sandy à Irina.
C’était une fille intimidante aux cheveux blond foncé, à la frange qui couvrait un œil couvert lui-même par un cache-œil. Son t-shirt révélait ses tatouages. Contrairement aux autres, elle portait ostensiblement un holster avec un pistolet à la ceinture.
— Yep, ch’suis une vampire ! Mais ici, c’est pas un soleil naturel, j’peux pas brûler. C’est Elieli qui me l’a dit. Pour ça que j’veux aller à la plage ! J’peux pas faire ça à Tokyo !
— C’est juste que tu veux pas bouger hors du salon, dit Shizuka en détournant le regard.
— Ouais, ça doit être ça aussi. Haha haha !
Irina s’était mise à rire en se grattant l’arrière de la tête. Difficile d’être plus insouciante, pensa Shizuka en remarquant que son reproche ne l’avait pas touchée.
— Jessica, can we stop at a Mallmart? It’s been a long time, I wanna eat some Rebornian potatoe chips.
Gloria, la quatrième fille de NyuuStore, une latino-américaine à la longue queue de cheval et portant des lunettes, semblait encore plus mal à l’aise que Shizuka, elle esquivait constamment les regards et ne s’approchait guère que de Jessica. Pour une raison méconnue de toutes, elle essayait parfois de se rapprocher de Shizuka.
— Qu’est-ce qu’elle a dit, Jessica-san ? demanda cette dernière qui ne comprenait pas suffisamment l’anglais.
— Elle a dit qu’elle veut qu’on s’arrête acheter des chips, répondit Elin avec désinvolture.
— C’est vrai que tu comprends bien l’anglais…
Elle savait que sa chef d’agence était polyglotte mais à présent qu’elle se trouvait dans un pays étranger, elle se rendait soudainement compte à quel point c’était incroyable.
— J’en connais d’autres, tu sais ?
— Te compare pas à Miss-Petit-Génie, Shizuka-chan, lui conseilla Jessica. Bon, vous venez ou quoi ? Come on! Come on!
— Il… il paraît que c’est normal pour les mahou senjo de ne pas être pas douées pour les études et les langues, fit remarquer Shizuka en grimaçant.
Elle réalisa à cet instant que la plupart des filles présentes parlaient au moins deux langues, certaines même plus encore.
Elle chercha le réconfort auprès d’Hakoto, mais cette dernière était bilingue. Quant à Vivienne… elle était trilingue.
Finalement, tout en pleurant, Shizuka se sépara des deux filles à ses côtés et se jeta dans les bras d’Irina.
— Au moins, toi aussi tu es une idiote ! Ouinnnnn !
— Héhéhé ! J’pige que dalle à l’anglais aussi ! Meilleures amies idiotes ! Yeah !!
Loin de s’en offusquer, Irina serra dans ses bras la jeune femme et sembla heureuse. C’est alors que, de manière inattendue, quelqu’un vint se joindre à l’accolade en enlaçant Shizuka par derrière.
— I don’t know the meaning of all of this, but I don’t care: wanna hug too!
— Désolée, Gloria-chan, je te comprends paaaaaaaass !!
Finalement, le trio s’en alla occuper la première banquette arrière et fit front commun contre les « traîtresses » qui étaient trop instruites pour être de vraies mahou senjo.
— J’y crois pas… Pas une pour rattraper l’autre, dit Sandy en haussant les épaules et en s’installant, les jambes croisées de manière virile.
— J’ai rien dit, moi ! Pou… pourquoi ça se finit comme ça ? se plaignit Hakoto qui avait vu la scène se dérouler devant ses yeux.
Elle soupira et s’installa à son tour dans la voiture aux côtés de Sandy. Il y avait deux places à l’avant et deux fois trois places à l’arrière. La voiture avait six portes.
— Nous sommes dans la même situation pour une fois, dit Vivienne. Nous n’avons rien fait pour attiser une telle aversion.
Elle prit place à côté de sa rivale dans une attitude féminine qui contrastait avec celle de Sandy.
— Puisque vous êtes toutes à bord, nous allons enfin pouvoir y aller, fit remarquer Jessica avec une pointe de reproche.
La voiture démarra et se dirigea vers la sortie de l’aéroport.
Ce dernier ne se trouvait pas à l’intérieur de la ville, il était situé dans une base militaire à quelques kilomètres au sud. Hormis les mahou senjo, les politiciens et l’armée, plus personne ne passait par voie aérienne ; c’était bien trop risqué.
Au poste de contrôle, les vigiles inspectèrent plusieurs fois les cartes d’identité des mahou senjo kibanaises. Puisque tout était en ordre, la limousine put quitter la base et se mettre à suivre la large route la reliant à Los Angeles.
— T’as déjà rempli toute la paperasse pour mon agence ? demanda Elin en observant le paysage autour d’elle.
— Ouais, tu me prends pour qui ? Si je t’engage, c’est à moi de m’en charger.
— Et t’as signalé que Shi-chan utilise un familier ?
— Évidemment ! D’ailleurs, pourquoi il n’est pas venu ? demanda Jessica en observant Shizuka dans le rétroviseur.
Cette dernière, coincée entre Gloria et Irina, se sentit gênée par ce regard insistant.
— Il… il a dit qu’il était occupé…, répondit-elle, ne voulant pas avouer la paresse de Yog-kun.
— Ah bon ? Un familier a de meilleures occupations que de suivre sa maîtresse ?
— Euh… ouais… ça paraît bizarre…
— Au fait, je ne crois pas l’avoir déjà vu avec toi, fit remarquer Hakoto.
— En fait… euh…
— Gun Pan III, l’interrompit Elin. Il ne vient pas parce qu’il ne veut pas rater la sortie de Gun Pan. Pourquoi tu as honte de ton familier, Shi-chan ?
— C’est vrai ça ! Il est super cool, Yog-kun ! J’aurais voulu un frangin comme lui ! Ah ! Moi aussi j’aurais bien aimé jouer à Gun Pan ! Mais bon, faut botter le cul des méchants, j’y jouerai en rentrant.
Shizuka prit son visage dans ses mains et se mit à pleurer.
Pourquoi avait-elle un familier aussi bizarre ? Et pourquoi ses collègues étaient-elles fières de son bon à rien de familier ?
— Au moins, il vous reste un peu de bon sens, remarqua Vivienne en s’adressant à Irina. Votre paresse ne vous a pas immobilisée à ce point.
Avait-elle essayé de détourner le sujet pour aider Shizuka ? Rien n’était moins sûr.
— Bah, dans la vie y a trois trucs que j’aime faire : jouer, combattre les vilains et bouffer. Les jeux seront encore là à mon retour, mais pas les vilains. C’est logique, non ?
Un raisonnement simple, tout comme celle qui l’avait proféré.
Un bref silence s’imposa, toutes observaient Irina. Toutes avaient envie de faire une remarque, mais personne n’estima finalement cela utile.
— En tout cas, je te plains, Shizuka-chan, dit Jessica. Avoir un familier fainéant… Ça me rappelle une certaine personne qui avait un familier dynamique et expressif. Vous saviez qu’à l’époque, une certaine mahou senjo à couettes était une fille joyeuse et amicale ? Non, non, je ne mens pas et j’exagère même pas ! Je ne l’ai pas rencontrée à cette époque, mais on m’en a beaucoup parlé.
— Tu penses vraiment que je vais criser parce que tu racontes mon passé, Jess ? dit Elin avant de bâiller.
— C’est vrai ! J’ai lu ça dans son dossier ! s’exclama soudain Shizuka.
— Nous étions au courant aussi, confessa Vivienne qui avait jadis mené ses petites recherches.
— Ah bon ? T’étais joyeuse à l’époque, Elieli ?
— Tu vois ? Tes filles n’en savaient rien. Je suis sûre que ça les intéresse en plus.
— Tout comme les tiennes seraient intéressées par une certaine histoire. Je peux la faire en anglais, si tu veux…
Jessica rougit de colère et de honte, puis se tut en regardant la route devant elle.
— Allez, raconte, Elieli !! insista Irina en passant sa tête par-dessus le siège de sa chef.
Mais Elin lui donna une pichenette sur le front :
— Une autre fois. Je suis pas d’humeur.
Shizuka voulait savoir aussi, elle était curieuse de ces anciennes histoires mais elle avait peur d’énerver sa chef en insistant.
Quelque temps plus tard, les murs immenses et les dômes de la ville-forteresse nommée Los Angeles se profilèrent à l’horizon.
***
Douze heures auparavant. Dans la cabine du Gulfstream personnalisé de Jessica.
Le jet privé permettait d’accueillir une dizaine de personnes dans des conditions de vol luxueuses. Il n’y avait pas d’hôtesses pour les servir, cependant. Ce métier était devenu particulièrement rare et risqué, et de fait fort bien rémunéré. Pour sa part, Jessica n’aimait pas risquer la vie de civils, elle n’avait déjà pas d’autre choix qu’impliquer celle des pilotes…
— Whaaaaaaaa ! Je ne savais pas que tu étais aussi riche, Jessica ! s’étonna Shizuka en observant l’intérieur de la cabine.
— Je le suis. Ton étonnement me fait plaisir, mais en réalité un jet privé est actuellement plutôt donné…
— Ah bon ?
— Avec la chute du secteur, il y a des tas d’avion pas très cher. Ton agence pourrait certainement s’en payer un si elle le voulait.
Shizuka se tourna vers Elin qui venait de poser ses pieds sur une table devant elle en bâillant. Elle prit dans une de ses manches une console de jeux portable.
Se sentant observée, elle tourna le regard et répondit :
— Pas moyen, ça coûte un bras à l’entretien. Puis ça nous sert à rien. Notre agence intervient en général dans les affaires de la métropole de Tokyo : il y a suffisamment de trains.
— Mais euh… ! C’est super classe, pourtant… Puis, ça fait vraiment pro, objecta Shizuka.
— T’es trop superficielle, Shi-chan. Mais bon, si t’es pas contente, tu peux toujours économiser pour une opération d’accroissement mammaire et postuler chez Jess, ça me dérange pas…
— Héhéhé ! Shi-chan avec des gros nibards ! C’serait drôle à voir n’empêche, ajouta Irina qui sautait comme une enfant sur son siège. Par contre, si tu fais ça reste avec nous : j’me sentirai moins seule au milieu des plates.
Les regards d’Elin et de Vivienne se fixèrent sur elle : elles semblaient impassibles et calmes, mais Shizuka sentait clairement des ondes négatives émaner d’elles.
— Te vante pas trop, sale gamine surdéveloppée…
Elin se contorsionna sur son siège pour allonger son pied et écraser la poitrine d’Irina. Évidemment, elle ne portait ni jupe ni pantalon, simplement son pull habituel, et offrait de fait une vue dégagée sur sa culotte rayée où était imprimée une version kawaii de Vrexuh.
Shizuka se demandait parfois où Elin achetait des vêtements de si mauvais goût. Outre l’attentat contre la mode, ce fabriquant n’avait aucun égard pour sa propre survie : nul doute que les Anciens devaient prendre mal le fait qu’on ternisse à ce point leur image.
— Tu devrais arrêter Elieli. Ça chatouille ! Haha haha !
Shizuka rougit face à la situation, baissa la tête et soupira. On aurait surtout pu voir dans cette scène une sorte d’étrange fétichisme.
— Que… Que… Qu’est-ce que vous fichez ?! Interdiction de faire quoi que ce soit du genre dans mon avion !
Sur ces mots, Jessica, rouge de colère, attrapa le pied d’Elin et l’écarta de la poitrine d’Irina. Elle tourna sa colère vers Elin qui semblait n’en avoir que faire.
— Kyaaaa ! Jess est encore plus cochonne que toi, Elieli !
Jessica, surprise, tourna son regard vers Irina et découvrit qu’inconsciemment son autre main s’était posée d’elle-même sur la poitrine de la jeune femme. Elle rougit immédiatement alors que ses yeux s’écarquillaient et que sa bouche formait un cercle parfait.
— Oh my god! No bra?!
— Jess, je vais t’attaquer en justice pour harcèlement sur mon employée… et sur mon pied.
— Que, que, que… ?! Ra… raconte pas n’importe quoi !!! Je ne fais rien de mal !
— En attendant ta main continue de la tripoter. Et pareil pour mon pied, heureusement que je suis pas chatouilleuse…
Jessica retira ses mains et s’écarta brusquement en rougissant encore plus. Elle croisa les bras, la gêne laissant rapidement place à la colère.
— Tout est ta faute, demi-portion !!
— Perso, ça me dérangeait pas, Elieli. On aurait dit une sorte de massage.
— Je pense que c’était un peu plus que ça, Irina-senpai, commenta Shizuka avec une goutte de sueur sur la joue.
— Ton insouciance fait de toi une perverse, ajouta Elin.
— Quoi ?! J-Je suis pas une perverse d’abord ! répondit Jessica à la place d’Irina. Puis, arrêtez toutes les deux d’utiliser des termes comme « nibards » ou « nichons », c’est malpoli envers eux !
— Nous avons grand mal à penser que vous soyez réellement nos chefs.
Vivienne balaya une mèche de cheveux rebelle derrière son dos tout en prononçant ces paroles. Jessica la fusilla du regard, puis reporta sa haine sur Elin. Cette dernière n’en avait évidemment que faire, elle croisa les jambes et se mit à jouer.
— Tout est ta faute, espèce de demi-portion ! Je me fais insulter par ton employée et le pire c’est qu’elle n’a pas tort : on donne une mauvaise image !
— Détends-toi Jess, la veine de ton front va exploser.
— Quoi ?! J’ai pas de veine sur le front !! dit-elle en la cherchant malgré tout de la main.
— Tu vois pas que Vivi-chan dit ça juste par jalousie et pour attirer l’attention de Shi-chan ? Quant à Irina, lui inculque pas tes idées de nichons libres ou autres, je dois déjà supporter de les voir gigoter tous les jours.
— T’es si jalouse que ça, Elieli ? demanda Irina.
— Quoi ?! s’écria Jessica. Je viens de te dire qu’il ne faut pas utiliser ce mot-là ! Tu me cherches vraiment ?!
Elin posa sa console sur ses genoux et se boucha les oreilles. Aussitôt, Jessica se mit à lui crier dessus sans retenue. On n’entendait plus qu’elle dans l’avion.
Elin ne la regardait même plus, elle observait Irina droit dans les yeux comme pour communiquer par télépathie. Mais Irina se mit à rire et changea de place, abandonnant sa chef aux réprimandes de Jessica.
***
Pendant quelque temps, les cinq autres filles observèrent le spectacle avec des gouttes de sueur sur le visage. Lorsque Jessica et Elin étaient ensemble, elles ne pouvaient s’empêcher de se disputer. Leur attitude était indigne de chefs d’agence mais c’était pourtant ce qu’elles étaient.
Hakoto posa calmement du thé sur la table devant elle :
— J’ai infusé du sencha, si vous en voulez…
— Volontiers, Hakocchi, répondit immédiatement Shizuka, qui était fatiguée par les cris de Jessica.
Une fois de plus, elle était assise entre Vivienne et Hakoto.
Pour sa part, Gloria s’était installée à côté d’un hublot et avait posé un ordinateur sur ses genoux, puis elle avait commencé à pianoter à toute vitesse. Elle s’interrompit un instant pour observer Shizuka ; elle lui sourit avec gentillesse puis tira de son sac à main un paquet de chips qu’elle lui tendit :
— It’s awesome with tea. Please, take it.
— Désolée, j’ai pas tout compris, dit Shizuka avec gêne.
— Elle te propose des chips pour accompagner ton thé, traduisit Hakoto. Mais bon, des chips avec du thé traditionnel… Gloria a vraiment des goûts étranges.
— Pour une fois, nous sommes bien d’accord, dit Vivienne.
— Ce qu’il faut, c’est des pâtisseries japonaises. Je vous apporte ça, attendez un instant.
Hakoto se leva et se dirigea vers un compartiment où elle avait mis des affaires en montant.
Dans une telle situation, plus que jamais, Hakoto s’affichait en tant que yamato nadeshiko. Dans son cas, on ne pouvait même pas parler d’amour pour la culture kibanaise, mais plutôt japonaise, puisqu’elle se faisait défenseur de valeurs encore plus anciennes que l’actuel pays.
Shizuka observa Gloria qui lui tendait le paquet de chips sans réellement savoir comment refuser poliment. Gloria finit par l’ouvrir, pensant sûrement que Shizuka n’osait pas.
— Vous devriez prodiguer plus d’efforts dans l’apprentissage des langues, lui reprocha Vivienne en portant son thé à ses lèvres. Nous pouvons traduire si vous le désirez.
— J’aimerais bien, mais j’ai trop de difficultés avec l’anglais… Dites-lui que j’en prendrai après le thé, s’il vous plaît.
Pendant qu’Hakoto disposait les pâtisseries sur la table, Vivienne transmit la réponse de Shizuka. Cette dernière était pleine d’admiration envers son Oneesama qui semblait si douée.
Gloria resta muette un instant, puis prit son téléphone portable, écrivit quelque chose et le montra à Shizuka :
« Je suis désolée de ne pas parler ta langue. Pour les chips, n’hésite pas, j’en ai plusieurs paquets pour le voyage. Celles qu’on trouve aux US Reborn sont bien meilleures, mais j’aime bien les kibanaises aussi… sauf celles au wasabi o(>< )o »
Shizuka ne put s’empêcher de rire, elle couvrit sa bouche de son poing, puis leva le pouce pour faire comprendre à son interlocutrice son approbation.
Sandy, qui était restée silencieuse depuis le début et lisait un comics de super héros, leva son regard vers Shizuka qui ne put s’empêcher de frémir, intimidée.
Une fois les filles servies, Hakoto décida de faire de même avec les deux chefs.
— Jessica, tu devrais te calmer. Elin-san ne t’écoute même plus.
— Quoi ?! Ce serait un tel manque de respect !
— Comment tu veux que je t’entende avec les doigts dans les oreilles ?
— Et pourtant vous venez de répondre quand même, fit remarquer Hakoto en souriant.
— Toi ! Je vais te tuer un de ces jours !
Jessica attrapa Elin par le col et posa son pied sur le siège à côté d’elle. L’intéressée ne broncha pas, elle se laissa saisir sans rien dire.
— Vous êtes si love love toutes les deux. Haha ! déclara Irina en éclatant de rire.
Jessica tourna un regard noir sur elle.
— Calmez-vous toutes et prenez un peu de thé. Il y a également quelques senbei pour accompagner et je vais apporter aussi des daifuku.
— T’es vraiment un ange, ma Hako-chan.
— Pourriez-vous peut-être nous fournir quelques explications quant à la mission qui nous amènera jusqu’aux US Reborn ? demanda Vivienne en buvant son thé.
Avec une élégance difficile à imiter, elle tenait sa tasse et dégustait le précieux liquide. Les regards se dirigèrent vers elle puis tous se tournèrent vers les deux chefs. Personne ne connaissait l’enjeu de la mission, manifestement.
Jessica se calma, s’assit à côté d’Elin et prit une tasse de thé.
— En fait…
— Attends, Jess, je vais expliquer, ce sera plus rapide.
— Oh ? C’est bien sympa de ta part.
— Y a pas de quoi. En fait, Jessica a estimé que la seule force de son agence serait insuffisante pour gérer un problème sur le territoire rebornien et a fait appel à l’agence Tentakool.
— Quoi ? Mais pas du tout !!
Jessica avait rétorqué en dissimulant mal le fait qu’elle mentait. Les filles devaient-elles donc craindre un péril à ce point menaçant au cours de cette mission ?
En tout cas, Shizuka ne put s’empêcher de déglutir.
Elle s’était à peine remise du choc émotionnel du terrible combat contre Vrexuh, un mois auparavant. Elle se souvenait mal de la fin de la bataille, ses derniers souvenirs avant de se réveiller sur un lit d’hôpital ayant été Jessica à l’agonie, couverte de sang. Elle était convaincue d’avoir été à nouveau victime de cet étrange phénomène qui lui faisait parfois perdre le contrôle et dont Yog-kun, son familier, ne lui disait rien, à tort ou à raison.
Elle se rendit à l’évidence que la courte période de paix entrecoupée de missions « faciles » venait de prendre fin : c’était une opération d’envergure qui s’annonçait.
Un frisson lui traversa l’échine.
— Cette fois, les choses iront peut-être mal et l’une d’entre nous risque d’y passer. Je… je préfère ne pas y penser, se dit-elle un peu trop tard, puisque son esprit venait déjà de soulever cette éventualité.
La jeune femme commençait à peine à s’habituer à sa nouvelle vie, elle commençait à apprécier les filles des deux agences. Si une telle chose devait se produire, elle ne savait pas si elle s’en remettrait.
— C’est rien d’aussi terrible que la dernière fois, indiqua Elin en comprenant la détresse de son employée. D’ailleurs, je laisse notre commanditaire vous fournir les détails.
— Si déjà tu commences, finis, espèce de sale fainéante !
— Pas envie…
— Je te jure…, dit Jessica en serrant le poing. Bon, en fait, le gouvernement rebornien a envoyé un appel d’offre pour une mission de grande envergure. Il cherche à reprendre un territoire au nord du Mexique. C’est une guerre qui dure depuis des mois et qui n’avance pas très bien, de fait l’État-Major a décidé d’investir plus de moyens.
— Cela m’a l’air plutôt risqué…, l’interrompit Shizuka, blême.
— J’allais dire la même chose, ajouta Hakoto.
— Mais non ! C’est un front tout ce qu’il y a de plus normal ! Il n’y a rien de spécial, tenta de les rassurer Jessica.
Le concept de front d’opération normal faisait partie d’un sens commun que ne partageaient pas les autres filles (sauf Elin).
— Les forces reborniennes sont à ce point affaiblies qu’elles lancent des offres pour un « simple front » ? demanda respectueusement mais ironiquement Vivienne.
Une certaine contrariété apparut sur le visage de Jessica.
— Bon, OK. Je ne voulais pas vous préoccuper mais si vous voulez vraiment les détails… Je reviens.
Pendant que Jessica cherchait quelque chose dans la cabine voisine, Sandy fit la traduction à Gloria.
Néanmoins, cette dernière ne parut ni surprise, ni paniquée, ni intéressée. Elle mit un casque sur ses oreilles et se mit à naviguer sur son ordinateur portable.
De son côté, Irina n’était pas plus préoccupée ; elle s’était couchée sur deux sièges et jouait avec sa console.
Jessica revint avec une carte du continent américain qu’elle posa sur une table. Elle prit un feutre et commença à délimiter plusieurs zones.
— Pour faire simple… Kibou a peut-être le plein contrôle de son territoire, mais l’Amérique est bien plus grande et est partagée entre plusieurs forces antagonistes qui ne cessent de s’affronter. Tout à l’ouest se trouvent les US Reborn, mais au nord, il y a le territoire des Puissants Anciens Ushoista et Khelkosh. À eux deux, ils contrôlent l’Alaska et le Canada. Ensuite, du Wyoming à la Caroline du Nord, c’est le territoire des Nyarlathotep et de leur roi. Un peu plus au sud, toute la partie Utah, Colorado, Kansas, Arkansas, Tennessee et l’ancien sud est aux mains de Tezh’vha et Yoz’aioxhoxr.
— Je n’ai pas tout compris… À Kibou, on n’enseigne pas les noms des anciens territoires américains, Jessica-san, dit Shizuka avec un air confus.
— Zut ! J’oubliais… Bah, regarde la carte et laisse-moi finir les explications. Même si tu ne connais pas les noms des anciens États, tu comprendras en l’observant.
Jessica marqua une brève pause et remarqua que toutes, à l’exception de Gloria et Irina, la regardaient avec attention : elle sourit, satisfaite.
— Bon, j’en étais où ? Ah oui, au sud… À partir de l’ancienne frontière du Mexique, c’est le territoire de Shub-Niggurath. Plus au sud encore, dans les souterrains, se trouvent les forces de Nyoghta. En gros, les US Reborn sont seuls contre sept Puissants Anciens. Le pays ne doit sa survie qu’à sa ténacité et aux conflits entre eux de tous ces belligérants.
Elle marqua une pause et s’hydrata la gorge à l’aide d’un peu de thé.
— Cette fois, la mission concerne un territoire disputé à Shub-Niggurath depuis cinq mois. Il s’agit de la zone directement au-delà de la frontière. Même moi je ne connais pas encore les détails, il faudra attendre le débriefing.
Les filles continuaient d’observer la carte où avait dessiné Jessica, chacune perdue dans ses pensées.
— Eh bien ! C’est un sacré guêpier, marmonna Shizuka qui se rendait compte à quel point ce pays était bien mal entouré.
— La situation est même bien pire qu’en Amaryllis, commenta Vivienne à voix basse, faisant suite à Shizuka.
— J’ai une question, Jessica, dit Hakoto. Pourquoi faire appel à Tentakool ? Si c’est une bataille de routine, il y a assez de mahou senjo sur le territoire, n’est-ce pas ? Et d’ailleurs, pourquoi nous ? Je pensais que nous allions nous concentrer sur nos activités à Kibou.
Même ses subalternes ne savaient donc pas. Jessica soupira un instant, puis haussa les épaules :
— La décision ne vient pas de moi mais des officiers de l’armée. Nous ne sommes pas les seules agences sur le coup. C’est bien payé, donc il y aura d’autres Kibanaises. Puis, comme vous le savez, les mahou senjo de Kibou ont bonne réputation. À mon avis, le véritable objectif est de ne pas dégarnir le front contre les Nyarlathotep, mais ce n’est qu’une supposition.
Dans les stéréotypes, les mahou senjo reborniennes étaient perçues comme moins puissantes que les Kibanaises. L’origine aurait été un magazine, Analytics & Witchcraft: the truth about the Myth, qui avait publié un article, chiffres à la clef, démontrant qu’il y avait plus de combattantes de haut rang parmi les mahou senjo de Kibou que celles des US Reborn.
Amaryllis était également mieux classé que les US Reborn. Aucune donnée fiable ne filtrant de l’Empire d’Ukrytie, les rumeurs voulaient que dans le pays se cachaient de nombreuses rangs S dont certaines du même niveau que les Cinq Invincibles. Certains les désignaient en tant que « Méconnues ».
— Du coup, dans mon infinie générosité, j’ai proposé à Elin de se joindre à la mission, conclut Jessica.
— Et de notre côté, pourquoi avoir accepté ? demanda Vivienne à sa chef.
— On n’avait rien à faire. C’est bien payé en plus, et Jess m’a suppliée donc bon…
— Comme si j’allais supplier une demi-portion ! Arrête de déformer les faits !!
— Quelles sont vos réelles intentions ? insista Vivienne.
— J’ai pas de raisons cachées. Je n’ai jamais eu l’intention de n’intervenir qu’à Kibou : la guerre est mondiale. Je trouve déjà aberrant le fait que nous dépendions d’un pays plutôt que d’agir toutes de concert, donc bon…
Aux yeux de Shizuka, ces paroles étaient dignes d’une vraie mahou senjo. C’était une des rares fois où Elin faisait honneur à son titre.
Mais aussitôt, elle bâilla et s’essuya le visage avec les bords de son pull, tout en dévoilant ses fines jambes, son ventre plat et sa culotte.
— Aucune bonne manière, décidément !! pensa Shizuka en pleurant intérieurement, les épaules tombantes.
Bien sûr, Jessica se remit à la réprimander mais elle fut ignorée jusqu’à ce qu’Elin demandât :
— Tu sais qui sera aux commandes de la mission, au fait ?
Changeant soudain d’attitude, oubliant ses griefs envers sa rivale et ancienne camarade d’unité, Jessica répondit :
— Rien n’a été communiqué mais j’ai lieu de penser qu’il s’agira de Justice Eight.
— Aby-chan ? Bah, ils ont mis du lourd pour le coup…
— Tu ne pourrais pas un peu respecter le protocole ? Il s’agit du général Justice Eight, mais si tu l’appelles déjà par son nom entier, c’est un progrès dans ton cas. Tu te rends compte de l’exemple que tu donnes aux filles ? Puis si elle t’entendait, elle t’engueulerait, c’est sûr !
Jessica avait mis les mains sur ses hanches tout en reprenant l’impertinente Elin, qui répondit mollement :
— Contrairement à toi, elle s’en fout et elle m’aime plutôt bien.
— Sûrement l’instinct maternel…, commenta Jessica avec un regard désabusé.
— Quand vous parlez de Justice Eight, vous parlez de LA Justice VIII ? demanda Shizuka, en pleine effervescence. La mahou senjo classée parmi les plus puissantes des US Reborn ? Celle qui se bat pour les faibles et les innocents et qui a vaincu des Anciens niveau Élite toute seule ?
— Yep, il s’agit bien d’Aby. Elle est un peu chiante, mais puissante et sympa.
— Kyaaaa ! Je vais rencontrer Justice Eight ! Quel honneur !!
Shizuka porta ses mains sur ses joues en se mettant à crier d’enthousiasme. Ce général était particulièrement connu : elle faisait partie des personnalités qui apparaissaient souvent dans les magazines.
À l’exception d’Irina, toutes les mahou senjo présentes avaient entendu parler d’elle.
— J’crois qu’il y a un truc qui s’est collé sur l’avion, dit Irina qui n’était pas bien captivée par la discussion.
— Hein ? Mais les systèmes de surveillance n’ont rien détecté ! T’es sûre ? l’interrogea Jessica.
— Yep, il est juste au-dessus.
Irina leva le doigt vers le plafond de l’avion. Toutes regardèrent dans la direction en question où on ne pouvait évidemment rien voir d’autre que l’intérieur de l’habitacle.
Jessica s’approcha d’un interphone permettant de communiquer avec la cabine de pilotage et déclara d’une voix autoritaire :
— Nous subissons actuellement une attaque. Veuillez garder le cap et nous laisser faire. Gardez votre calme, mais accrochez vos ceintures, au cas où.
À peine eut-elle fini de donner ces instructions que Gloria, qui se taisait depuis un moment, s’approcha d’elle et tourna un écran d’ordinateur portable dans sa direction.
Curieuses, toutes se rapprochèrent.
Une des caméras, placée à l’extérieur de l’appareil, filmait une chose semblable à une grosse sangsue monstrueuse avec divers bouches et tentacules frétillants. Elle était accrochée à la coque et tentait de mordre la structure métallique pour entrer dans l’avion.
— C’est dégoûtant…, fit remarquer Shizuka.
— Les créatures du Mythe sont rarement mignonnes, dit Elin.
— Dis dis, Elieli ? J’peux sortir le tuer ?
— C’est quoi cette chose ? C’est dangereux ? s’interrogea Hakoto.
— Jess, on va faire quoi ? demanda à son tour Sandy.
— Vous : rien. Nous voyageons à une vitesse de 900 km/heure, aucune d’entre vous ne peut se déplacer à cette vitesse, je me trompe ?
— Vous le pouvez ? demanda Shizuka.
— Non, mais j’ai prévu des batteries de tir sur l’avion que je peux enchanter pour abattre cette chose. Restez sur vos gardes, on ne sait jamais.
— Je viens avec toi, déclara Elin.
Jessica tourna son visage vers cette dernière et afficha une moue contrariée.
— Tu crois que j’ai besoin d’une gamine pour m’aider ? En plus, tu ne sais pas enchanter d’armes, que je sache. Et ta visée avec un fusil est déplorable.
Elin continua de s’approcher jusqu’à se heurter à Jessica et plus précisément à sa poitrine. L’intéressée la repoussa légèrement en arrière.
Toutes deux se scrutèrent dans les yeux quelques instants. Les autres les observaient également.
— Au cas où tu l’aurais pas vu, c’est un Proto-Polype. Pendant qu’on parle, d’autres ont déjà dû s’accrocher à la coque. Qui dit Proto-Polype dit Polype Volant également. Si tu te rappelles des cours de Takao, tu sais qu’un des pouvoirs des Polypes Volants, outre leur vitesse, c’est la magie d’invisibilité. Tu as beau avoir des flingues, si tu ne sais pas où tirer…
— Tsssss ! Qui te dit que j’ai pas un système de ciblage magique, hein ?
— Si tu avais de tels moyens, tu aurais aussi des batteries de tirs automatisées et tu n’aurais pas besoin de te rendre dans une batterie de tir pour l’enchanter toi-même.
— Tssssss ! Pour ta gouverne, je ne fais pas confiance à ces systèmes-là, OK ?
Elin ne dit mot et se contenta de la fixer. Après quelques instants, Jessica se retourna et quitta la pièce en l’ignorant avec suffisance.
— Si j’étais vous, j’irais m’asseoir dans un siège. Les Polypes Volants utilisent des attaques de tornades, ça risque de pas mal remuer.
Elin suivit Jessica et referma la porte hermétique derrière elle. Soudain, on ne les entendit plus.
***
Le jet privé n’était pas un grand véhicule mais Jessica l’avait fait équiper d’une tourelle de canons mitrailleurs au-dessus et en dessous afin de couvrir à peu près tous les angles de tirs. Les deux vétéranes se dirigeaient vers la tourelle supérieure.
Dans ce genre de situation, comme l’avait dit Jessica, le principal problème des mahou senjo était leur manque de vitesse. Mis à part quelques spécialistes, rares étaient celles capables de se battre sur un avion en déplacement à neuf cent kilomètres heure. En quittant l’appareil, elles risquaient d’être rapidement laissées en arrière et de ne pouvoir rattraper ni leur véhicule ni leur ennemi. Et ralentir l’engin revenait à s’exposer plus encore aux attaques ainsi qu’à prendre le risque de décrocher.
C’est pour répondre à cette configuration de combat particulière et en combinaison avec ses propres capacités que Jessica avait pensé à ce système de défense, bien qu’il fût loin d’être parfait. Elle s’était simplement inspirée des bombardiers de la Seconde Guerre Mondiale et de leurs ball turrets.
Puisqu’elle-même savait infuser sa magie dans des armes, elle n’avait pas besoin d’enchantements durables : il lui suffisait de se mettre aux commandes de tir.
De toute manière, le secret de ces derniers était jalousement protégé. Il aurait fallu des autorisations que même Jessica n’était pas sûre d’obtenir.
Les armements de l’avion étaient deux tourelles en forme de dômes où étaient montés des canons doubles de 20mm Rh-202 Rheinmetall. C’était des autocanons qui équipaient certains véhicules de combat d’infanterie à une époque et qui étaient encore très utilisés.
De plus, l’avion disposait de quatre points d’emport pour équiper des missiles air-air ; actuellement, c’était des AIM-12X Sidewinder II qui y étaient accrochés. Même si à la base, c’était un avion de transport, Jessica l’avait transformé en petit avion de chasse.
Les deux mahou senjo se transformèrent et refermèrent l’écoutille de la tourelle derrière elles.
Jessica sauta dans le siège et prit entre ses mains les manches pour diriger le canon. Fermant les yeux, elle transféra sa magie à l’ensemble du système de tir jusqu’à atteindre les obus qu’elle chargea de magie ondulatoire.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, toutefois, un petit problème avait fait son apparition : Elin s’était glissée entre ses jambes pour partager le siège.
— Que… Qu’est-ce que tu fous, la planche à pain ?!
— Arrête les ultrasons, Jess, tu me casses les oreilles. Bah, tu vois un autre siège ici ?
— Tu… tu vas dégager de là, oui ?!
— Rhooo, c’est bon. Je suis pas assez grande pour gêner ton champ de tir. Tu vas pas me faire croire que je t’embarrasse quand même ? T’as déjà deux fétichismes : les seins et les pieds. J’ai pas de seins et je ferai attention à pas te mettre les pieds dans la figure.
— Je vais te tuer, la naine !! Tu, tu vas arrêter avec cette histoire de pieds !! C’est arrivé qu’une fois et c’était pas ce que tu crois !!
— Ah bon ? Tu n’étais pas en train de me lécher le pied ?
— Kyaaaaaaaaaaaaaa ! Je te dis d’arrêter !!!
— Écoute, on n’a pas de temps à perdre à se chamailler. J’arrête d’en parler si tu t’actives.
— Tu… ton comportement m’énerve ! Je vais te faire la peau !
Elin se tourna légèrement et lui jeta une rapide œillade en coin. Jessica était une fois de plus en colère. Pensant sûrement qu’elle ne pourrait pas ajouter plus d’huile sur le brasier, Elin s’allongea en arrière pour trouver une position confortable et finit par trouver des coussins molletonnés.
— Ah, c’est donc à ça que ça sert…
Jessica sentait la tête d’Elin sur sa poitrine. Elle serra les dents pour ne pas faire de remarques puis inspira profondément pour reprendre son calme.
***
Pendant ce temps, en cabine passager.
— Don’t worry, Shizuka, Jess’s the strongest. She’ll defend us.
Shizuka regarda Gloria avec de grands yeux ; elle n’avait compris que le mot « defend ». Aussi, elle tourna rapidement son regard vers sa droite, puis sa gauche, à la recherche d’aide. Hakoto réagit la première en lui faisant la traduction.
— Ah, c’est gentil, Gloria ! Je n’ai pas peur… enfin, un peu quand même, mais ça va aller… je pense…
— T’as peur de tout, Shi-chan, commenta Irina debout les bras derrière la tête. J’ai trop envie d’aller friter du monstre aussi. Ça me fait chier de rester ici…
— Tu ferais que les gêner, sois pas bête, lui reprocha Sandy.
— En effet, vous ne feriez que vous faire emporter par le vent et nous devrions venir à votre rescousse par la suite, ajouta Vivienne.
Irina fit quelques pas, puis soupira.
— J’m’ennuie ! J’veux me battre !!!
Hakoto ajusta sa chevelure et expliqua de manière calme :
— Il n’y a rien d’autre à faire mis à part attendre nos chefs. Pourquoi vous ne jouez pas à la console comme vous le faisiez jusqu’à maintenant, Irina-san ?
Irina soupira et se jeta sur son siège, déçue.
Mais celle qui la connaissait le mieux au sein de ce groupe et savait comment la manipuler n’était autre que Vivienne :
— Nous volons actuellement à dix kilomètres dans les airs, Irina-san. À cette altitude, les rayons du soleil sont mille fois plus puissants qu’au sol. Même un vampire plus puissant que vous périrait sans l’ombre d’un doute. Nous ne disons point cela par égard pour vous, ce n’est qu’une réflexion d’ordre général, vous savez ?
Irina tourna son visage vers Vivienne qui avait pris une attitude encore plus hautaine que d’habitude. La première se mit à réfléchir quelques instants, puis…
— T’as raison en plus. Merci de m’avoir sauvé les miches, Vivi-chan. Je t’en dois une !
Sur ces mots, elle prit sa console en main et, comme si elle avait complètement tourné la page, se mit à jouer. Shizuka ne put s’empêcher d’avoir une expression désabusée alors qu’une goutte de sueur se formait sur sa joue.
— Quelle mahou senjo bizarre…, pensa-t-elle.
À cet instant, les premiers coups de feu se firent entendre au-dessus de leurs têtes.
***
Viser un Proto-Polype accroché à la coque de l’avion était risqué pour le véhicule lui-même. Avec un double canon couplé de 20mm, cette tâche était délicate même pour Jessica.
Comme l’avait annoncé Elin, il n’y avait pas qu’une créature mais une bonne vingtaine.
Sur un avion normal, probablement que la première créature aurait suffi à percer la coque, mais cet appareil avait été renforcé suivant les ordres de sa propriétaire.
Puisque le moindre tir raté pouvait avoir des répercussions désastreuses, Jessica reprit son calme et inspira avant de presser brièvement la détente. Un seul projectile quitta le canon et pénétra le corps spongieux de la créature.
Les Proto-Polypes avaient une longueur d’une dizaine de mètres pour un diamètre d’un mètre cinquante. Ils disposaient d’un grand nombre de tentacules, d’yeux rouges multiples, de bulbes rougeâtres et de diverses bouches. Ils avaient une teinte grise transparente et tenaient leur nom de leur forme allongée comme un vase qui les rendait similaires aux cnidaires au stade sessile et benthique.
On pensait souvent qu’il s’agissait d’enfants Polypes en raison de leur apparence très proche. D’ailleurs, ils vivaient généralement ensemble.
Le Proto-Polype touché explosa de l’intérieur, répandant une substance noire transparente sur l’engin.
Trois autres monstres pris de panique se décrochèrent de la coque à cet instant.
— Pas mal, Jess.
— Tu me prends pour qui, demi-portion ?
— Par contre, tu vas faire comment pour ceux dans les angles morts ?
— Tsss ! Au lieu de te réjouir, faut que tu viennes me gâcher mon plaisir, c’est ça ? Bah, je vais déjà en finir avec ceux-là et on verra après.
Jessica ouvrit à nouveau le feu et explosa un second monstre accroché sur l’avion. Deux autres se détachèrent en réaction.
— Te connaissant, je suis sûre que t’as pensé à un moyen d’électrifier la coque extérieure, pas vrai ?
— Pourquoi j’aurais fait ça ?
— Pour éviter les Proto-Polypes justement. Après, s’ils entrent, les filles s’en occuperont, mais avec un trou dans la coque on va pas aller loin.
— Tu me gonfles, Elin ! Espèce de Miss-je-sais-tout ! Tu crois que j’avais calculé qu’on allait tomber sur eux ? J’ai surtout pensé aux Shantak et aux Khan’Zorhiin !
Jessica se remit à tirer avec un acharnement renouvelé par sa colère. Des gerbes de sang et d’entrailles se répandirent autour de l’avion.
— Eux ? Mais ils sont trop lents pour être une menace pour ton avion, sauf si tu passes en plein milieu d’un essaim.
— C’est ce que toi tu dis ? J’ai déjà vu des Shantak aller aussi vite que des avions de chasse.
— Ouais, c’est vrai que certains développent des sorts pour accroître leur vitesse, mais ils sont vraiment très rares.
Peu de mahou senjo en connaissaient même l’existence. Certains rares Shantak étaient doués d’une intelligence supérieure aux membres de leur espèce, savaient utiliser des sorts et étaient plus forts et résistants. On ne les croisait que dans les airs et aucun sorcier que des mahou senjo avaient affronté à ce jour n’en avait invoqué. Ils ressemblaient vraiment à des irrégularités vivant uniquement dans les nuages.
— Et les sorciers Profonds, t’y as pensé ?
— Trop infime comme possibilité, ils vivent dans l’eau quand même et leurs sorts portent rarement aussi haut dans le ciel. Les Polypes, quant à eux, sont plutôt fréquents à cette altitude.
— Hein ? Qu’entends-je ? C’est possible quand même, c’est bien ce que tu as dit, hein ? Donc j’ai raison ! Maintenant tais-toi et laisse-moi travailler. Fainéante !
Pendant cet échange, Jessica avait continué de mener l’offensive.
Nul autre qu’elle n’aurait pu réussir une série de tirs avec une précision aussi élevée ; ce n’était humainement pas possible. Si sa visée était déjà remarquable sous sa forme normale, elle était aberrante une fois transformée.
Les Proto-Polypes avaient beau essayer des manœuvres d’esquive, rien n’y faisait, ils finissaient transformés en pulpe par les munitions de Jessica.
Elin ne dit plus rien pendant quelques instants, puis elle finit par rompre le silence :
— Ils arrivent. Ils sont trois, invisibles. Le premier est à 9 heures, le deuxième à 3 heures et le dernier à 6 heures.
— Ils nous ont encerclées ? Les enfoirés !
— Ouais… Tu ferais bien de t’en occuper asap, sinon ils vont nous prendre dans une tornade.
— Tsss ! Tu pouvais pas le dire avant ?!!
Relevant son canon, Jessica pointa l’une des trois directions qui lui avaient été indiquées par Elin.
Elle visait le vide, c’était très perturbant. Le pouvoir d’invisibilité des Polypes était si efficace qu’on ne pouvait même pas les repérer avec des sonars, et la thermographie et les nuages ne s’écartaient pas à leur passage ; en somme, ils étaient totalement indétectables.
Sauf pour celles qui étaient capables de voir les sources de magie comme Elin. Cette dernière plaça ses mains sur celles de Jessica qui ne manqua pas de sursauter sous l’effet de la surprise, puis ajusta la direction des canons.
Sans avoir besoin de parler, Jessica comprit qu’il était l’heure de presser la détente.
— Prends ça, sale enfoiré ! Espèce de… !!
Le bruit de la rafale courte qu’elle tira couvrit ses insultes. Les obus sifflèrent, puis explosèrent en plein vol, dans le vide, dévoilant un instant la présence d’une créature plus grande que leur avion.
Même s’ils étaient désignés par le terme de polypes, ces êtres n’avaient que peu à voir avec ces animaux. Leur forme générale était tout ce qui s’en rapprochait.
Les Polypes Volants étaient des créatures au corps spongieux et longiforme de couleur gris-bleu, munis de multiples yeux globuleux jaunes, et de nombreuses bouches aux formes et aux dentitions différentes les unes des autres. Sur tout le long de leur corps, des centaines de tentacules se rétractaient et s’étiraient en permanence. Leur taille avoisinait celle d’un avion de ligne, environ quatre-vingt mètres voire plus, ils étaient donc quatre fois plus imposants que le modeste jet privé de Jessica.
Le Polype blessé laissait s’écouler un liquide visqueux de son corps qui devait être du sang, mais également une fumée grisâtre toxique. De larges trous constellaient son corps gigantesque.
— T’occupe pas de celui-là, ordonna Elin. Le temps qu’il se reprenne, passe au suivant. Faut les faire apparaître pour les abattre aux missiles.
— Je sais ce que je dois faire ! Tu vas te taire à la fin ?!
Jessica ferma les poings et se mit à frotter les tempes d’Elin au lieu de tirer. Elle ne la supportait plus.
C’est à ce moment qu’un choc fit vibrer tout l’avion : une série de tentacules venaient de le heurter.
Nombre de messages d’alerte résonnèrent dans l’interphone, indiquant des pannes techniques. Sans tarder, Jessica tourna la tourelle vers la seconde créature indiquée par Elin et ouvrit le feu. Puis elle passa à la troisième avec la même vigueur.
— Nous sommes encerclées. Si t’avais pas perdu du temps à me décoiffer…
— LA FERME !!!
Sur ces mots, Jessica lâcha l’un des manches qui lui permettaient de tirer et commença à chercher quelque chose devant elle, entre ses jambes. Ce faisant, tout ce qu’elle trouva était le corps d’Elin qu’elle commença à palper malgré elle.
Elin restait placide, elle ne sourcilla même pas, contrairement à Jessica qui était rouge comme une tomate. Paniquée, embarrassée, cette dernière finit par atteindre les jambes d’Elin.
— Je peux savoir ce que tu cherches, perverse ?
— Je… je suis pas une perverse !! Puis qui serait intéressé par ce corps qu’est le tien, gamine ?!
— Tu veux qu’on reparle de…
— Aaaaaaaaaaahhhh ! Tais-toi !! Je cherche un levier entre tes jambes !
— Désolée de revenir sur tes cours de biologie, mais je suis une femme.
— La ferme !! C’est la commande des missiles ! Je suis sûre que tu dois la couvrir…
— J’ai pigé.
Elin prit la main de Jessica et la dirigea vers son entrejambe. À peine quelques centimètres avant d’attendre la zone critique, les doigts de la mahou senjo atteignirent un objet en plastique qui ne pouvait heureusement pas être le mini-short d’Elin.
Derrière elle, Jessica avait les larmes aux yeux. Elle avait rarement été aussi embarrassée.
— C’est toujours avec toi que ça m’arrive !! pensa-t-elle en grinçant des dents.
Agrippant le levier fermement, Jessica essaya de faire le vide dans son esprit :
— OK ! J’y vais !
— Une fois de plus, ça peut être mal interprété.
— La fermeeeee !!!
Au moment où elle activa la manivelle, elle cogna son menton sur la tête d’Elin et se mordit la langue.
— À cause de toi, je…
Le viseur dans la tourelle changea et une nouvelle manivelle de tir à l’allure étrange sortit de la paroi à leur droite.
La situation était dramatique : les trois Polypes s’étaient beaucoup trop rapprochés, leurs corps aberrants et surtout leur contrôle des vents leur permettaient de se mouvoir plus vite encore que le jet privé. Malgré leurs blessures, ils continuaient le combat et commençaient à créer une tornade.
Jessica, les larmes aux yeux et la langue douloureuse, canalisa sa magie à travers la manivelle. C’était un conduit à haut débit de mana qui exploitait les dernières découvertes dans le domaine, utilisant des matériaux conducteurs spéciaux. Puisque les enchantements qu’elle pouvait produire n’étaient que temporaires, c’était le seul moyen d’imprégner des missiles qu’elle ne pouvait toucher directement de ses mains.
— Mange ça !!
Un AIM-12X Sidewinder II, un missile air-air dernière génération au moment de l’Invasion, se détacha du lanceur et ne tarda pas à toucher de plein fouet sa cible. Il en résulta une explosion de flammes et d’ondulations si puissante qu’elle fit remuer l’avion tout entier.
Les passagers, mais également Elin, furent secoués en tous sens. La recommandation d’accrocher les ceintures s’était avérée juste.
Prise d’une sorte de frénésie meurtrière, Jessica chargea le second missile et, tout en riant aux éclats, le dirigea vers le second Polype.
— Alors, c’est qui la meilleure, hein ?
L’explosion, très proche de l’avion une fois de plus, vint le secouer une seconde fois. Continuer ainsi pouvait s’avérer dangereux.
— Jess, vas-y mollo.
— C’est de ta faute ! Tu n’arrêtes pas de me provoquer ! Puis tu… tu n’arrêtes pas de me toucher ! Et c’est moi la perverse, hein ?
— …
Elin ne répondit pas, elle ne voyait même pas ce dont voulait parler Jessica.
— Il est temps d’en finir ! Je vais vous apprendre à nous attaquer !
Jessica tourna la tourelle vers la localisation que lui avait donnée Elin (le Polype était redevenu invisible entre temps) et repassa sur les commandes du canon. Enchantant une série d’obus, elle tira une longue rafale.
Le dernier Polype ressemblait désormais à une passoire, nombre de ses tentacules avaient été sectionnés par les obus. Rapidement son cadavre flottant sortit du champ visuel des deux mahou senjo.
Jessica se laissa tomber lourdement dans le siège et poussa un long soupir de soulagement. Même si elle ne l’admettrait pas, elle était à court de mana. Enchanter des missiles ou des obus était plus exigeant que de simples balles. Continuer davantage l’aurait sûrement mise à risque.
Le regard las mais triomphant, elle observa un instant le ciel bleu à perte de vue, puis elle baissa les yeux pour observer la tête rouge qui se reposait sans gêne contre son corps.
— Une fois de plus, tout est ta faute… han han…, dit-elle en haletant.
— C’était plutôt crevant comme combat au final.
— Comme si tu avais fait quelque chose, Miss-Radar ! Han… han… Tout le mérite me revient.
— Si tu veux, Jess. Mais supporter tes cris est plus fatigant que tu ne le penses.
— Quoi ?! Tu me cherches encore, c’est ça ? Et tu crois que supporter ta voix de robot et tes remarques désobligeantes est une partie de plaisir, peut-être ?
La dispute reprit de plus belle. Les filles ne les entendaient pas car plusieurs écoutilles les séparaient de leurs chefs.
Heureusement, le reste du voyage se déroula sans autre mauvaise rencontre.
***
De retour au présent.
Après avoir franchi les postes de contrôle à l’entrée de Los Angeles, les mahou senjo entrèrent enfin dans la cité high-tech des US Reborn.
Contrairement à l’extérieur, la température était douce. L’air était propre et les rues suffisamment larges pour permettre à des voitures comme celle de Jessica de circuler.
— Whaaaaa ! Tout est énorme ici ! ne put s’empêcher de s’exclamer Shizuka dans un moment de spontanéité involontaire.
— Bienvenue aux US Reborn, ma jolie ! répondit Jessica le sourire aux lèvres, un bras accoudé à la portière. Vous voulez faire quoi, les filles ? On y va tranquilles le temps de se reprendre du jetlag ?
— C’est vrai que je suis plutôt fatiguée, affirma Hakoto en bâillant délicatement et en se cachant derrière un éventail.
— Moi j’pète la forme ! dit Irina en sautillant sur son siège.
— Calme-toi, idiote, dit Elin. On aura le temps de faire du tourisme après la mission, c’est promis.
— Promis ? Vraiment ?
— Ouais, tu sais bien que je ne mens pas.
— OK ! Si Elieli le dit, j’vais attendre alors.
Shizuka était impressionnée aussi bien par la confiance qu’accordait Irina à sa chef que par la capacité de domptage de cette dernière ; Elin parvenait parfaitement bien à la contenir.
Une pensée en entraînant une autre, elle réalisa que Vivienne transformée était plutôt docile face aux ordres d’Elin, quand bien même elle était une furie envers ses ennemis (et alliés, parfois).
— C’est une sorte de dresseuse de filles bizarres ou quoi ?
Pendant qu’elle scrutait sa chef, Jessica et Gloria parlaient entre elles en anglais.
— J’ai compris, je nous arrête à un hypermarché, tu vas pouvoir acheter tes précieuses chips.
— Trop cool. Je t’aime, Jess !
À cet instant, Shizuka trouva le sourire de Gloria vraiment radieux. Dommage qu’elle ne s’affichât que rarement de la sorte.
— Home sweet home, pensa Shizuka. Je suppose que l’air de la maison doit la détendre un peu.
Jessica s’arrêta sur un parking qui avait la taille d’un stade de foot, et dit :
— Bon, c’est décidé : allons faire la fête à la maison ! Prenez ce que vous voulez !
— Nous vous remercions de votre accueil chaleureux, Jessica-san. La valeur de votre hospitalité n’est point à remettre en doute, croyez-nous, dit Vivienne.
— Moi j’voulais aller à la plage, mais on fera ça après la mission, pas vrai ?
— Ne vous inquiétez pas, Irina-san, expliqua Hakoto. Dans la résidence de Jessica, il y a une grande piscine : vous pourrez vous y amuser.
— Ooooooh ?! Vraiment ?! C’est une bourge cette Jess !
— Tu l’as déjà dit en plus…, dit Shizuka dont les épaules tombèrent de dépit. Tu croyais que l’avion, c’était celui de qui ?
— Ch’sais pas… du gouvernement des US Reborn ? répondit franchement Irina.
Une goutte de sueur apparut sur le front de Shizuka alors qu’elle soupirait.
— Non, non, ma chère Irina-chan, c’était bien mon avion à moi. En fait, j’ai une résidence à Denver, une autre à Los Angeles, et j’ai également une entreprise et une corporation en ville. Sinon, j’ai deux agences de mahou senjo, une à Denver et l’autre à Tokyo. Voilà, tu sais tout, ma chérie.
— Eh ben ! T’es foutrement pétée de thunes !
— Ouais, encore une fois, Jess est super riche, dit Elin sans motivation. Bon, bah, on te suit. On est sur ton territoire au final. Mais pas de trucs pervers sur mes employées, OK ?
— Tu me tapes vraiment sur le système, tu sais ? Tu crois que c’est mon genre ou quoi ?
Elin se dispensa de répondre. Elle ouvrit la portière et elles descendirent toutes de la limousine.
***
Leurs courses achevées, elles remontèrent en voiture en direction de la résidence de Jessica. Fatiguées par le voyage, plusieurs avaient fini par s’endormir.
Vivienne dormait sur l’une des banquettes arrière, la tête sur le côté. Shizuka ne put s’empêcher de remarquer que c’était la première fois qu’elle la voyait assoupie. Elle avait l’air d’un ange avec ses longs cheveux blonds et sa peau d’albâtre.
À cet instant, Hakoto posa sa tête sur l’épaule de Shizuka avec un naturel surprenant.
— Chut ! Ne les réveillons pas, dit-elle à voix basse.
Shizuka tourna son regard dans sa direction, essayant de croiser ses yeux. Elle constata l’expression sereine de son amie d’enfance.
— Qu’est-ce qu’il y a, Hakocchi ? chuchota Shizuka.
— Je suis heureuse d’être là avec toi, c’est tout. Je ne pensais pas qu’un tel jour arriverait.
— Je ne pensais pas non plus un jour visiter Los Angeles. Ça me fait vraiment plaisir.
— Cela te fait plaisir à quel point ? Sur une échelle de un à dix…
Shizuka fit semblant de réfléchir à la question. Ce n’était pas la première fois qu’Hakoto la lui posait. Adolescente, elle aimait souvent utiliser des échelles de valeur de la sorte.
Imitant cette époque, Shizuka afficha un sourire espiègle et répondit :
— Je pense que c’est un un…
— Quoi, vraiment ?!
— Haha ! Non, c’est une blague ! Honnêtement, je pense plutôt à onze.
— Shizuka-chan ?
— Tout est allé si vite. Je ne pensais pas te revoir un jour, puis nous avons combattu ensemble et maintenant nous sommes à Los Angeles. Tout me paraît tellement fou au final.
— Oui, tu as raison…
Le cœur d’Hakoto venait d’accélérer alors qu’elle se sentait emmitouflée par une candide douceur. Il n’y avait aucun doute, elle aimait Shizuka, plus que tout ! Plus que sa vie ! Plus que le monde entier !
Ce sourire, ces yeux, cette voix, ces manières, tout était parfait !
Elle aurait voulu que ce moment de bonheur durât une éternité. Elle se tut et profita du reste du voyage la tête sur l’épaule de son amie.
À l’avant, Jessica et Elin avaient cessé de se disputer. Cette dernière observait mollement le décor, ses pieds nus sur le tableau de bord.
Jessica se retenait de lui faire des commentaires. Elle jetait des œillades agacées et faisait claquer sa langue par intermittence, mais elle ne dit mot le reste du trajet.
***
Après avoir quitté le centre-ville, la voiture continua sa route en grimpant une colline, ce qui la mena dans le célèbre quartier de Beverly Hills.
Il était un peu différent de l’époque ayant précédé l’Invasion, mais demeurait l’un des plus riches de la cité. Pour des raisons de sécurité, il était délimité par des murailles et disposait d’un dôme et d’un Etherium qui lui étaient spécifiquement consacrés.
Sans surprise, les loyers y étaient parmi les plus chers de Los Angeles. Il allait sans dire que ses habitants attisaient la jalousie des plus démunis. Nombre des riches du quartier payaient leur propre milice de sécurité, engageant même des magical wargirls pour les protéger aussi bien des Anciens que des criminels.
Puisque Beverly Hills avait fait partie des premiers quartiers protégés par un Etherium, il y avait eu par le passé des émeutes populaires ; les tensions demeuraient fortes à son encontre.
Même si Jessica n’aimait pas spécialement étaler sa richesse, elle aimait vivre dans le confort. Elle évitait juste d’en faire trop, mais ne se privait de rien. Auprès des riches, elle était déjà passée quelques fois pour une avare en raison de sa mentalité plus modérée que les leurs.
Malheureusement, elle ne pouvait pas vivre dans un quartier plus modeste. Sa richesse étant connue, ses voisins l’auraient vue avec colère, jalousie ou au contraire obséquiosité. Au final, elle n’était réellement intégrée ni parmi les riches ni parmi les pauvres.
L’édifice où la voiture s’arrêta était une belle villa à plusieurs étages, délimitée par une grille en fer forgé. Elle était plutôt simple comparée au voisinage mais restait luxueuse malgré tout.
Bien sûr, aux yeux de filles normales comme Shizuka ou Irina qui n’avaient jamais connu l’opulence, c’était un château.
— Whaaaaaaa ! C’est gigantesque !
— J’suis d’accord ! C’est un château de vampire, j’veux le même Elieli !
— Voilà un manoir plutôt coquet, dit Vivienne en prenant un air hautain.
Elin, pour sa part, n’en avait que faire. Elle n’était jamais venue en ce lieu, mais n’était pas le genre de personne impressionnée par la richesse et les choses superficielles.
En bâillant et en tirant une sucette d’une de ses manches, elle dit à Irina :
— En même temps, t’en ferais quoi d’un château ? Tu occuperais une seule chambre et le reste prendrait la poussière, je te connais.
— T’as pas tort, Elieli. Bah, finalement, l’agence c’est plutôt cool. Haha !
— Comment c’est possible d’avoir si peu d’ambition ? Vous êtes incroyables toutes les deux…, dit Shizuka, dépitée.
— Désolée, c’est peut-être un peu poussiéreux, s’excusa Jessica en portant deux sachets de courses. Je paie une femme de ménage pour qu’elle nettoie toutes les semaines, mais puisque personne n’y vit, on ne peut pas empêcher la poussière de s’accumuler.
— Ne vous inquiétez pas, Jessica-san, cet endroit est fantastique ! dit Shizuka avec enthousiasme.
— Tu es si mignonne quand tu es contente comme ça, ne put s’empêcher d’exprimer Hakoto en se cachant derrière son éventail.
— Cela nous rappelle notre ancienne demeure. Quelle nostalgie…
— Vous viviez dans un endroit de ce genre, Oneesama ?
— Notre demeure familiale était de cet acabit, en effet. Néanmoins, il s’agissait d’un bâtiment bien plus ancien, hérité de génération en génération. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec vous quant aux difficultés d’entretien, Jessica-san.
Jessica ouvrit les portes et les invita à entrer. Les filles furent encore plus émerveillées par l’intérieur. Shizuka n’arrêtait pas de lâcher des « oh ! » à chaque nouvelle pièce où elle entrait ou chaque décoration qu’elle apercevait.
Les mains dans les poches, Sandy s’éloigna :
— Faites-moi signe quand la fête commence.
Elle entra dans un couloir et referma la porte derrière elle.
Les filles de l’agence NyuuStore avaient toutes un appartement à Ginza, mais aussi à Denver et également une chambre dans cette villa à Los Angeles. Elles connaissaient donc fort bien les lieux.
Gloria surgit derrière Shizuka et lui attrapa la main :
— Shizuka! Do you want to come with me? I want to show you my room. OK?
Mais aussitôt, elle se rendit compte du contact physique qu’elle venait de provoquer et, paniquée, s’écarta de quelques pas avant de rougir.
Shizuka lui sourit bêtement et répéta : « OK… OK… ».
Pourquoi n’arrivait-elle pas à apprendre l’anglais ? se demanda-t-elle une fois de plus.
Hakoto et Vivienne remarquèrent l’embarras de la jeune femme et échangèrent avec Gloria, excluant d’un seul coup la pauvre Shizuka. Sans qu’elle n’eût son mot à dire, on organisa une visite de la demeure avant la fête de bienvenue.
— J’peux aller à la piscine en attendant ? demanda Irina.
— Vous ne perdez pas le nord, dit Vivienne en lui jetant un regard dédaigneux.
— En plus, tu n’as pas encore de maillot de bain, fit remarquer Shizuka.
— J’m’en fous, j’veux nager !
Shizuka et Vivienne affichèrent le même genre d’expression qui semblait dire : « Elle ne sait pas se tenir, cette fille ».
— Jess doit avoir un maillot de bain à te prêter, je pense, dit Elin en bâillant.
Jessica ne répondit pas de suite, elle semblait perdue dans son monde. Puis, d’un coup, revenue à elle, elle leva le pouce.
— No problem! Tout ce que tu voudras, ma chérie !
— YEAH ! Piscine ! Piscine !
— Tu me casses les oreilles, Iri-chan. Baisse d’un ton. Amusez-vous bien et pas de cochonnerie. Haaan ! Je vais squatter le salon, je suis crevée…
Alors qu’Elin s’éloignait d’un pas lourd et traînant, Jessica ne put s’empêcher de soupirer de désespoir face à ce spectacle, puis elle se tourna vers Irina. Les deux partirent de leur côté tandis que les autres filles firent le tour du domaine.
Shizuka n’en croyait pas ses yeux, c’était un vieux rêve de petite fille : un château de princesse. Elle se rendait compte que même en vivant dans le même monde, sous le même ciel, les riches évoluaient dans une toute autre réalité que les gens normaux.
Après cette visite, les filles s’en allèrent retrouver en cuisine Jessica qui était rouge et songeuse.
Elles commencèrent à cuisiner des apéritifs, des amuse-gueules et des plats plus consistants.
Sentant le vent tourner en sa défaveur, Gloria s’en alla sans rien dire. De son côté, Vivienne, au lieu d’aider, préféra superviser les opérations pour en améliorer l’efficacité et le rendu, selon ses propres termes. Cela ne manqua pas de faire sourire Hakoto qui venait de trouver une faille dans la soi-disant perfection de sa rivale ; elle mit encore plus de cœur à l’ouvrage pour étaler ses propres talents de cuisinière.
Une fois les préparatifs achevés, Jessica, Hakoto et Shizuka amenèrent toutes les trois les plats au salon (Vivienne ne daigna pas les aider). Elin et Irina y jouaient à la console sur une gigantesque télévision occupant presque toute la paroi. Irina avait encore les cheveux humides et était enveloppée d’une serviette de bain.
— Tu t’es fait griller ! T’es nulle à ce jeu, Elieli !
— La ferme. J’étais pas concentrée. C’est à cause de toi, si t’arrêtais pas de me gêner aussi…
— Bouh ! Elieli, t’es une mauvaise perdante !
Sur la table à côté d’elles, des snacks étaient ouverts et déjà bien entamés.
Jessica se rapprocha, un tablier noué à sa taille, le visage en colère.
— Espèce de bonne à rien ! Pourquoi tu as ramené ça ?! Moi, je me casse le cul à cuisiner avec Shizuka et Hakoto et vous vous coupez l’appétit en mangeant ces cochonneries ?
— Du calme Jessica, ta veine va exploser. C’est bon, t’inquiète, on va manger quand même.
— Bah, ouais ! J’ai deux estomacs : j’peux manger ce que j’veux !
— En même temps, c’est la base en voyage d’apporter de quoi jouer et de quoi grignoter, expliqua Elin qui était la principale cible des accusations, malgré tout.
— La base ? C’est la première fois que j’entends ça…, contesta Shizuka. Je parie que vous n’avez même pas amené de vêtements de rechange.
Irina et Elin se jetèrent un regard, puis elles se tournèrent vers Shizuka :
— J’crois que j’ai pris un ou deux trucs quand même… des culottes. Ouais, des culottes !
— Perso, je m’en fous des vêtements. Au pire, je peux en acheter.
Jessica serrait fort ses poings, faisant preuve d’un self control incroyable pour une fois. Shizuka se demandait vraiment quand elle allait exploser.
— Bah, reprenons la partie. Faut profiter de la télé de Jess. Avec elle, tout est aussi gros que ses nichons.
— Ouais, trop vrai ! C’est pour ça qu’on a une petite télé à l’agence ? Parce qu’elle est comme les tiens ?
— C’est vulgaire, mais bien vu.
— J’en peux plus… Elle m’exaspère, dit Jessica en se massant les tempes.
Ce fut le moment où elle se mit en colère : elle commença à crier sur Elin, une fois de plus, lui reprochant mille choses. À distance, Hakoto, Shizuka et Vivienne n’étaient même plus inquiètes et préparaient la table en les ignorant complètement.
Plus les cris duraient, plus les reproches devenaient anciens. Jessica finissait par la blâmer quant à des erreurs au cours de missions qui avaient eu lieu près de dix ans auparavant.
Elin soupira et fit signe du doigt à Irina de s’approcher.
Cette dernière obéit sans contester.
— Arme secrète anti-Jessica : technique 346.
Sur ces mots, Elin tira la serviette nouée autour du torse d’Irina, la défaisant d’un mouvement sec.
Bien sûr, Irina venant directement de la piscine, elle ne portait rien en dessous. Le choc fut tel pour Jessica qu’elle fut projetée en arrière et tomba sur le canapé.
— Oh my Gosh! dit-elle en se pinçant le nez.
— Rhooo ! Tu fais quoi Elieli ?
— Arme anti-Jessica, je l’ai dit.
Hakoto et Shizuka rougirent jusqu’aux oreilles en se cachant (plus ou moins) les yeux.
— Tu me le paieras, espèce de naine sournoise !!!
Jessica se releva et s’enfuit, vaincue.
Elin fit un signe de victoire de la main, tandis que Shizuka décida d’intervenir et de remettre un peu d’ordre dans toute cette situation.
Il fallut attendre encore un peu de temps avant que le petit repas d’accueil ne pût avoir lieu.