C’était un matin comme un autre à Los Angeles.
Grâce aux dômes qui entouraient la ville, la température était toujours douce et le ciel dégagé et ensoleillé, sans risques de brûlures aux UV ou autres ; bien sûr, ce ciel était artificiel, une simple projection inhérentes à des écrans, mais l’illusion était presque parfaite.
Irina avait insisté pour aller à la plage, aussi avait-on décidé d’y passer la matinée puis de visiter des lieux plus touristiques en après-midi.
Mais avant d’aller se baigner, il fallait d’abord passer par la case « boutique de maillots de bain ». Elles étaient venues de Kibou sans penser à en amener.
— Vous n’avez pas de maillots de bain dans la ville de Jessica ? s’étonna Shizuka.
Puisqu’elles y avaient des chambres privées, entretenues par des femmes de ménage, avec des affaires personnelles, elle s’étonnait qu’elles n’en aient pas.
— J’ai oublié le mien à Kibou, répondit Hakoto en se grattant la joue.
— C’est surtout que tu ne vas jamais à la plage, dit Sandy.
— C’est vrai, Hakocchi ? Pourtant quand tu étais petite tu voulais y aller tout le temps. Tu raffolais des piscines, même. En fait, c’était surtout moi qui ne voulais pas y aller…
Le visage de Shizuka parut soudain gêné, de la sueur y apparut. Elle baissa la tête tandis que ses lèvres prenaient la forme de vagues. Hakoto avait compris, elle connaissait la Shizuka de cette époque, et savait parfaitement la raison aussi.
— C’est un peu pareil pour moi maintenant, tu sais… ?
Elle marmonna suffisamment bas pour être entendue seulement de Shizuka.
Shizuka parut un peu étonnée, mais ne chercha pas à en savoir plus.
Sandy les observa un instant, puis…
— J’sais pas pourquoi tu aimais pas la mer, mais Hakoto complexe à cause de…
— Tais-toi ! S’il te plaît, tu en dis trop !!
Hakoto, complètement rouge, se précipita sur Sandy pour l’empêcher de poursuivre, mais elle en avait déjà trop dit.
— Je pense comprendre… Je serais mal placée pour te critiquer, Hakocchi. En tout cas, sache que je ne pense pas que tu devrais complexer pour ça. Cela te va bien.
Hakoto avait les larmes aux yeux, elle demanda d’un ton implorant :
— Je savais qu’on aurait dû aller ailleurs ! Tu… tu penses vraiment que ça me va bien, toi ?
— Bien sûr ! Ça se voit à peine chez toi !
Cette fois, c’est Sandy qui parut surprise.
— Ça se voit à peine ? Vous parlez de la même chose ou quoi ?
— Hein ? Mais… Les gens ne voient que ça pourtant…
— Meuh non, tu exagères, Hakocchi. Tu es si belle !
— Si belle ?
Hakoto se cacha le visage. Sandy était de plus en plus persuadée qu’aucune des deux n’avait écouté sa précédente remarque.
— Oui, sur ton corps, c’est vraiment séduisant.
— Kyaaa ! Je… je… tu vas me faire rougir !
— C’est déjà le cas, Hakoto. Bon, et si vous vous écoutiez, car là vous causez de deux trucs à la fois, intervint Sandy.
Mais une fois de plus, on l’ignora.
— Moi qui trouvait que ces horribles seins n’allaient pas sur une Kibanaise. Je… je ne savais pas que tu les aimais tellement, Shizuka-chan !! ♥♥
Shizuka parue étonnée un instant, elle allait dire quelque chose mais se ravisa.
— Tu parlais de ta poitrine… ?
— Tu ne parlais pas de ma poitrine ?
— Puisque je vous dis que vous ne vous écoutiez pas depuis avant…
Finalement, les deux rougirent et baissèrent la tête en arrêtant de parler. Sandy soupira, leva les épaules et s’en alla voir comment se débrouillaient les autres filles de leur côté.
Elle ne se sentait pas vraiment à l’aise dans ce genre de boutique fashion, on la regardait de travers. Elle n’était pas très motivée par aller à la plage, mais heureusement elles pourraient utiliser le carré VIP de Jessica, un morceau de plage privé où elles pourraient être isolé des regards des autres.
NyuuStore avait vécu tellement de temps à Los Angeles, mais aucune d’entre elles n’était allée avec entrain à la plage. Elles y avaient juste suivi Jessica. Gloria n’aimait pas les activités en extérieur, Hakoto complexait quant à sa poitrine et Sandy n’aimait pas se montrer dénudée. Ses tatouages passaient encore, mais elle avait des cicatrices.
Puis, son look gangsta agressif était un peu l’armure qu’elle dressait face aux autres, en maillot de bain, elle était moins impressionnante.
Elle soupira à nouveau et continua de chercher les autres filles dans les rayons…
Quelques minutes plus tard, les six filles se réunirent.
Il était de coutume de montrer les maillots de bain choisis pour avoir l’avis des autres. C’est pourquoi, elles se trouvaient devant les cabines d’essayages.
Le magasin était impressionnant, gigantesque selon les critères kibanais. Il était situé à Venice Beach, le quartier à proximité de la plage, un endroit toujours bondé.
Il y avait un nombre disproportionné de cabines réparties à plusieurs endroits du magasin. C’était une boutique haut de gamme, luxueuse, même si elle ne figurait pas parmi les plus côtés de la ville. Jessica n’aurait pas pardonné à Sandy de les amener dans une des boutiques bon marché qui se trouvaient dans les rues voisines.
Elles ressortirent des cabines plus ou moins toute en même temps :
— Whaaaaaa ! C’est quoi ce maillot de bain ?! s’éclama Shizuka en pointant du doigt Irina.
— C’est… indécent…, ajouta Hakoto en couvrant les yeux de Shizuka comme si elle avait été une petite fille.
— Oh ! This is insane ! How dare you, bitch ?
— Tu… tu vas vraiment porte ce machin ? demanda froidement Sandy.
— Ce n’est guère étonnant de votre part, Irina-san. Vous faites tout pour attirer l’attention, on dirait. Et le concept de pudeur n’est nullement inclus dans votre bien pauvre vocabulaire. Mpffff !
Irina était ressortie avec un micro-bikini noir qui ne couvrait presque rien, juste le strict minimum. Baissant le regard pour s’observer, elle parut même étonnée par leur réaction excessive.
— C’est quoi le problème ? Vous êtes toutes à cran. C’est pas le but d’être sexy à la plage ? Pour une fois qu’Elieli est pas là pour me dire de cacher mes boobs…
— Tu as vu ce que tu portes ? C’est comme si tu étais nue…, expliqua Shizuka en contenant son envie de pleurer.
Il n’était pas possible d’avoir moins de bon sang qu’Irina, elle en était persuadée.
— Êtes-vous réellement si étonnée, ma chère ? Irina-san pourrait aller à la plage nue qu’elle ne comprendrait point l’embarras à ce faire. Vous me désespérez, très chère…
Les épaules de Shizuka tombèrent. Elle ne pouvait pas dire qu’elle ne s’y attendait pas, elle avait vu Irina courir nue à l’agence maintes fois, mais s’imaginer aller à la plage avec elle dans cette tenue…
— Bon, écoute, j’sais que l’US Reborn c’est le pays de la liberté, dit Sandy en croisant les bras. Mais là tu vas me faire le plaisir de choisir un truc plus normal, OK ?
— Hein ? Mais euh ! Traîtresse ! Moi qui te pensait cool ! En plus, t’as des nichons comme les miens !
— Justement ! Va me ranger ça ! Perverse !
— Couvrez ce sein que je ne saurais voir, dit Vivienne en français subitement.
Personne ne la comprit, mais le spectacle qu’offrait Irina était plus urgent.
— Comment vous est-il venu l’idée d’essayer une telle… horreur, Irina-san ? demanda Hakoto qui ne s’en remettait pas.
*clic clic*
Le son de l’appareil photo d’un smartphone se fit entendre, les filles se tournèrent vers l’origine du bruit et découvrirent Gloria qui l’air de rien venait de photographier Irina.
— What’s up, chica ? This is for Jess. Relax !
Même Irina et Shizuka qui ne parlaient pas anglais avaient deviné ce qu’elle venait de dire.
Sandy soupira et poussa Irina dans la cabine avant de tirer le rideau.
— J’vais te trouver un truc plus correct. Donne-moi ta taille et attends-moi ici.
— OK~ !
Pendant qu’Irina donnait les informations demandées à Sandy, les autres filles se regardèrent sans oser parler. Celle qui rompit le silence la première fut Vivienne.
— Dire qu’elle est dans notre agence. Nous en avons tellement honte. Veuillez nous pardonner.
Elle traduisit pour Gloria qui fit signe de la main de ne pas s’en inquiéter. Même si elle était timide, cette dernière n’était pas la plus facile à choquer. Elle avait vu tant de chose sur la Toile au final…
— Je comprends même pas qu’on vende ce genre d’articles, dit Hakoto.
— Il faut de tout pour faire un monde, commenta poliment Shizuka. Mais j’oserais pas non plus…
— Le pire étant qu’elle a choisi ce modèle sur recommandation d’une vendeuse, expliqua Vivienne.
— Sérieux ?
— Nous l’avons entendue. La vendeuse lui a proposé son aide, Irina-san, ne saisissant mot à simplement répété : « sexy bitch »…
Vivienne imitait Irina de manière plus que caricaturale, on sentait réellement la moquerie derrière. Toutefois, son imitation était si précise qu’on ne pouvait s’empêcher de se rendre compte à quel point elle l’avait longuement observée pour en arriver là.
— Cette pauvre vendeuse a dû aviser avec ces informations. En un sens, on ne peut lui faire de reproches, elle a parfaitement servi la clientèle en lui offrant l’objet de sa demande.
— Attends, deux minutes ! dit Hakoto. En fait, tu as été témoin de tout ça, tu te doutais de ce qui se passerait et au lieu de dissiper le quiproquo tu as juste regarder ? Tu n’aurais pas pu aider la vendeuse et Irina-san ?
Shizuka et Hakoto fixèrent Vivienne un instant, elle resta impassible et muette. Puis, avec une attitude tout ce qu’il y avait de plus naturel, elle détourna le regard et passa sa main dans sa chevelure soyeuse en guise de réponse.
Au même moment, on entendit la voix de Sandy dire à Irina :
— Je t’amène un truc. Tu restes là, si je t’capte dehors, on annule la plage, tu m’entends ?
— J’vais quand même pas me balader à poil dans le magasin, j’suis pas débile quand même. Tiens, amène-moi celui avec les chauves-souris dessus, ch’suis sûr qu’il est pour les vampires comme moi.
Sandy, qui avait passé la tête à l’intérieur de la cabine tandis qu’elle avait refermé le rideau, la fixa un instant :
— Si c’est pas le même genre, ça me va.
— Ouais, y a plus de tissu. T’assures, ma pote.
— Tssss !
Sandy fit claquer sa langue et s’éloigna.
Shizuka et Hakoto se jetèrent un coup d’œil entendu, elles savaient qu’elles ne tireraient rien de plus de Vivienne. La crise semblait en tout cas passée.
— Au fait, vous savez que les vendeuses parlent le kibanais ici ? expliquaHakoto. Je pensais que vous aviez vu les étiquettes sur la porte d’entrée qui indiquait les langues étrangères parlées : kibanais, français, ukrytien et espagnol.
Ce n’était pas très surprenant pour une boutique de luxe, mais effectivement aucune d’entre elles n’y avait fait attention. Vivienne fit semblant de n’avoir pas entendu, tandis que Shizuka se gratta l’arrière de la tête en souriant stupidement.
L’ouragan Irina passé, elles finirent enfin par faire attention aux maillots de bains qu’elles portaient l’une l’autre. À la base, elles auraient dû toutes ensemble les passer en revue pour s’aider mutuellement, mais Irina avait tout chamboulé.
Shizuka avait opté pour un simple bikini blanc strié de noir avec des lacets et des froufrous. Vivienne portait un maillot de bain « vintage », il s’agissait d’un modèle inspiré de ceux portés dans les années 1920. Avec les lunettes de soleil qu’elle avait mis sur la tête en guise d’accessoire, Shizuka avait l’impression de regarder une photo d’époque. Cela lui allait bien.
Hakoto, Gloria et Sandy avaient toutes les trois choisi le même genre de modèle : un maillot une pièce noir, le plus basique possible. En les observant, Shizuka eut un instant l’impression d’être revenue à l’école tant ils étaient assez semblables.
— Il est magnifique votre maillot, Oneesama !
— Nous vous en remercions. Le vôtre vous sied à ravir également, très adorable. Cependant, celui là…
Vivienne scruta de bas en haut Hakoto avec un attitude hautaine provocante.
— Pfff ! Moi, il me convient très bien, celui-là. Je n’ai rien à te prouver. Mpfff !
Profondément agacée, elle croisa les bras ce qui fit inévitablement remonter sa poitrine. Les yeux de Vivienne ne manquèrent pas de la fixer avec une jalousie dissimulée.
— En effet, vous n’avez rien à nous prouver. Essayez juste de ne point faire honte à Shizuka-san, c’est tout.
— Attends une minute ! Pourquoi je lui ferais honte ? Tu crois que le tien est mieux, peut-être ?
— Ce n’est point là nos paroles, mais il faut reconnaître que le vôtre manque d’originalité. Cependant, nous comprenons votre choix, à votre place nous n’aurions guère envie d’exposer ces choses superflues.
— Tu… Tu… Grrrrr !!!
Hakoto cacha sa poitrine de ses mains en rougissant, les larmes au coin des yeux.
— Grrr ? Seriez-vous redevenue primitive vous aussi ? Veuillez-vous entretenir avec Irina-san, elle saurait… Non, nous vous prions d’oublier cette proposition, avoir une exhibitionniste nous suffit déjà.
— Va… va mourir ! Je te déteste !
— Calmez-vous les filles ! s’interposa Shizuka. Moi je l’aime bien le maillot d’Hakoto… C’est vrai que j’aurais pris quelque chose de plus… plus… mais bon, je comprends Hakocchi et il lui va très bien aussi !
Hakoto fixa Shizuka avec un air de chien battu.
— Même toi tu…
— Moi, je ?
— J’ai… j’ai compris… Puisque tu aimes me voir m’exhiber… je…
Sur ces mots, Hakoto prit un bikini dans un rayon voisin et entra dans la cabine d’essayage sans rien dire et sans prêter d’attention aux autres.
Vivienne, victorieuse, entra dans sa cabine également. Il ne restait que Gloria et Shizuka.
— Dès fois je ne comprends pas ce qui leur passe par la tête…
— Shizuka ?
— Oui ! Euh… enfin, yes !
Gloria s’approcha d’elle en souriant et en remontant ses lunettes. Elle écarta les bras et demanda :
— Niao ?
Shizuka pencha la tête de côté en clignant des yeux. Essayait-elle d’imiter un chat ?
— Nyan ?
— Niao ? répéta Gloria.
Shizuka se sentait gênée de ne pas la comprendre. C’était peut-être du japonais, mais elle ne comprenait rien. Aussi, paniquée, elle répondit en souriant :
— Nya-oh ! Nya-oh !
— Happy ! Thank you !
Shizuka était en sueur, elle ignorait ce qu’elle venait de lui répondre, mais Gloria était contente. Elle se demanda à une moment donné si elle ne posait pas la question de savoir comment lui allait son maillot de bain, « niao » aurait pu se rapprocher de « niau » en japonais, mais difficile d’être sûre de quoi que ce fût.
— La barrière de la langue est horrible…, pensa Shizuka.
Gloria affichait un sourire innocent, presque enfantin, et la fixait, ce qui rendait les choses encore plus gênantes. Se rendait-elle compte que Shizuka avait répondu sans comprendre ?
— School mizugi ? Is it like school mizugi ?
Cette fois, c’était plus clair. Elle voulait savoir si son maillot ressemblait à un maillot scolaire kibanais.
Elle leva le pouce et répondit :
— Yes ! School mizugi nice ! Suki ! Like !
En réalité, elle ne les aimait pas pour diverses raisons liés à ses traumatismes d’école, mais elle se voyait mal entrer dans de tels détails avec Gloria dans leur étrange baragouin.
Gloria ferma ses poings et les leva en signe de victoire. Sa poitrine encore plus lourde que celle des deux autres rebondit comme si elle allait déchirer le maillot.
— Thank you, Shizuka !
Sur ces mots, elle entra dans sa cabine à son tour laissant seule Shizuka.
— Whaaa ! Elle… est immense en vrai ! Je la voyais pas si grosse sous ses vêtements !
Défaite, Shizuka jeta un coup d’œil aux alentours. Elle déglutit.
— C’est… une réalité… les reborniennes…
Toutes les filles qu’elle voyait, elles avaient toutes des poitrines énormes. Elle ignorait si cet échantillon était représentatif de la population des US Reborn, mais elle se sentait d’un seul coup si ridicule avec ses deux petites poires.
— Melons… C’est au moins des melons… Gloups !
Elle rentra dans sa cabine en ignorant que la boutique où les avait amené Sandy, motivées inconsciemment par le fait que c’était toujours là que les avait amenées Jessica, était spécialisée dans les « gros bonnets »…
***
Le groupe se sépara en deux : Hakoto, Vivienne et Shizuka voulaient découvrir un peu le quartier de Venice Beach, aussi elles décidèrent de se rendre à pied depuis la boutique jusqu’à la plage privée. Les trois autres filles s’y rendraient en voiture.
Venice Beach était comme dans les films qu’avait vu Shizuka : très animé et très fantasque. On pouvait y voir des maisons avec des tags artistiques, des musiciens, des jongleurs et autres amuseurs de rues, mais aussi un petit marché d’artistes vendant leurs propres productions.
Même après l’Invasion, cet endroit avait gardé la même ambiance.
Pendant quelques temps, les puissants États-Unis avaient cessé d’exister, la Californie était tombée aux mains de l’ennemi. Lors de sa reconquête, le désir du pays avait été de retrouver sa gloire d’antan. Peu importait le coût, il fallait que n’importe quel citoyen de Los Angeles puisse retrouver les décors mythiques qui avaient été filmés dans les anciens films.
Tous les quartiers n’avaient malheureusement pas bénéficié de ces largesses mais Venice Beach figurait parmi les plus emblématiques de la cité. De nombreux quartiers d’habitation plus « quelconques » avaient pour leur part disparus de l’actuelle cité.
Les yeux de Shizuka pétillaient de mille feux. C’était un vieux rêve d’enfant de découvrir ce quartier balnéaire qu’elle avait vu dans des films de magical wargirls reborniens. Elle acheta plusieurs dessins et accessoires faits main. Elle accepta même qu’on tire leur portrait à toutes les trois. Depuis qu’elle travaillait à Tentakool, elle avait accumulé un certain pécule, mais Hakoto ne lui laissa pas le loisir de payer. Elle fit jouer son rôle d’hôte.
— Tssss ! Ça aussi, c’est ce qu’on appelle de « l’omotenashi kibanais ». Mais je n’ai cure d’expliquer un tel concept à une étrangère.
— Nous pensions que vous n’aviez point de relation avec un tel endroit. Ne prétendiez-vous point plus tôt être uniquement Kibanaise ? se moqua Vivienne en toute politesse.
Les deux se fixèrent un instant sous les yeux perplexes de Shizuka qui ne comprenait pas leur étrange rivalité.
C’est finalement avec une heure de retard que le groupe de Shizuka arriva à la plage privée.
Ce n’était pas un grand espace, mais il était suffisant pour les six filles. Il y avait un cabanon juste assez grand pour s’y changer, ainsi que des parasols et des transats de plage. L’espace était grillagé et les voisins de gauche étaient d’autres riches, tandis que ceux de droite étaient ceux de la plage publique.
Une fois toutes réunies et changées vint la question fatidique de savoir qui mettrait de la crème solaire à Shizuka.
— Vous devriez vous occuper de Gloria plutôt, déclara Vivienne à l’intention d’Hakoto. Voire de vous-même. Avec votre nouveau maillot de bain plus ouvert, vous risquez de teindre votre belle beau claire.
En effet, les Kibanaises avaient l’habitude d’éviter le bronzage par tradition. Néanmoins, Hakoto ne put s’empêcher de plisser les yeux en fixant Vivienne dont la peau était aussi blanche que la craie.
— Je pense que la remarque s’applique à vous aussi, très chère. Avec votre peau presque translucide, ne voudriez-vous pas à l’instar du bas peuple prendre une teinte plus foncé par mégarde ? Hohohoho !
Les Kibanaises n’étaient pas les seules à fuir le soleil, l’ancienne noblesse européenne avait également cette habitude. Afin de ne pas ressembler aux paysans qui travaillaient sous un soleil de plomb, leur peau devait rester parfaitement claire.
Vivienne se passa la main dans les cheveux d’une manière particulièrement hautaine.
— Certes. Vous êtes plutôt bien informée quant à notre culture. Vous nous en voyez surprise, nous vous pensions plus ignorante.
Hakoto grimaça et répondit en prenant à son tour un air hautain.
— En effet, j’aurais pu ne pas connaître. Au fond, il s’agit d’une culture à présent disparue. Le peuple Amaryllien français apprécie depuis plus d’un siècle le bronzage, n’est-ce pas ?
— Que voulez-vous ? La Révolution est passée par là, chère amie. Les valeurs se sont massivement perdues. Mpfff !
— Vous êtes pourtant née des siècles après cette époque. La noblesse a été retiré de votre structure sociale il y a fort longtemps.
— À peu près aussi longtemps que dans votre ancien pays, n’est-il point ?
— Elle a persisté bien plus longtemps. Même pendant l’ère Meiji, il en existait encore.
— Mais votre pays a finalement disparu en même temps que son nom. Or, le mien l’a conservé même après l’Invasion.
Les deux filles, ignorant les autres, continuèrent à se renvoyer la balle de la sorte pendant un bon moment, chacune essayant de démontrer que son pays était le meilleur et que sa noblesse était plus légitime. Même si cela ne lui importait pas réellement, la famille d’Hakoto était aussi de renom.
Shizuka les observa un peu, puis, jugeant la discussion stérile et inintéressante, se détourna d’elles.
— J’vais m’en occuper, proposa Irina. J’veux aller jouer avec toi dans l’eau donc on se grouille, OK ?
Sans attendre de réponses, elle coucha Shizuka et étala la crème sur son dos.
— Attends, Irina-chan… tu… tu es trop brutale !
— Tu veux plutôt que j’le fasse comme dans les anime ?
— J’ignore ce que tu veux dire par là, mais je préfère répondre par la né…
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’Irina tira sa langue et glissa ses mains dans le maillot de bain de Shizuka. Ses yeux s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise.
— Kyaaaaaaaa ! Non pas là !!
— Excellent, tu as super bien imité les perso d’anime. T’es trop forte, Shi-chan !
— Ce n’est pas une imitation !!! Je… je vais le faire moi-même, c’est bon !!
— T’es sûre ?
— Ouiiii !! Lâche-moi, senpai perverse !!!
Irina, en riant aux éclats, s’éloigna de Shizuka dont les yeux étaient humides. Les deux rivales n’avaient même pas fait attention aux cris de détresse de la pauvre Shizuka, elles étaient trop occupées à s’affronter.
Irina courut sur la plage, sans aucune crème, et s’en alla plonger dans l’eau. Puis, tout en agitant les bras :
— Allez ! V’nez les filles !!
À genoux, Shizuka dit d’une voix implorante :
— Je peux plus me marier ! Ouin…
Sandy qui avait assisté à la scène sans intervenir s’approcha d’elle et la rassura en lui posant une main sur l’épaule.
— J’en connais au moins deux qui s’en foutront. T’inquiètes, tu pourras te marier.
— Je sais pas si ça me rassure…
Même en maillot de bain, Sandy gardait son cache-oeil, ce qui lui donnait un style très particulier. Shizuka qui ignorait son histoire et sa blessure acceptait le « chuuni » qu’elle lui supposait, mais en revanche…
— Le pistolet et le couteau à la plage… ?
Elle ne finit pas sa phrase et grimaça en regardant le holster où étaient accrochés ses armes à ses hanches. Sandy, à présent debout, baissa son regard intimidant et croisa les bras.
— Un blème avec ça, ma sœur ?
— Non aucun…
De la sueur froide coula dans son dos alors qu’elle préféra taire sa remarque.
— Au fait, pourquoi vous foutez de la crème ? demanda Sandy. On est sous un dôme : le soleil est artificiel. Y a pas vraiment besoin de ça…
Le regard de Shizuka s’éteignit quelques instants. Une dispute avait éclaté à cause de ça et elle avait subi cette humiliation pour rien ?
Elle resta sans paroles.
La voix d’Irina les appela à nouveau à cet instant :
— Allez, v’nez ! Shi-chan~ ! J’ai même pas encore trouvé de poulpe pervers. C’est bon, c’est sûr !!
— Pou… Pourquoi devrait-il y avoir un poulpe pervers ?! s’écria Shizuka courroucée.
Dépitée, Shizuka laissa son amie d’enfance et sa senpai en pleine dispute et se dirigea vers l’eau, les épaules basses.
Elle passa à côté de Gloria qui se trouvait sous le parasol avec une serviette sur la tête, elle pianotait sur son smartphone.
— Tu veux venir ? Come with me ?
— No, sorry. I don’t like salty water.
Shizuka n’avait pas compris la raison, mais elle avait saisi qu’il s’agissait d’un refus. Elle se demandait pourquoi Gloria avait acheté un maillot de bain, mais elle préféra aller noyer son chagrin dans l’eau.
— Après on pourra faire un château de sable ! dit Irina trempée qui était venue à sa rencontre.
— Pas envie…
— Faut te motiver ! Eh oh ! Vivi-chan ! Hakoto-chan ! J’ai enlevé votre Shi-chan !! Si vous v’nez pas, je vais…
— Hein ? M’enlever ?
— Joue le jeu !
Irina lui fit un clin d’oeil, l’attrapa et la porte dans ses bras comme une princesse.
— Eeehhhh !!
— Si elles viennent pas, j’me demande ce que j’vais faire d’une Shi-chan ! Hihihi !
Irina emporta Shizuka dans l’eau tout en riant aux éclats. Rapidement, Vivienne et Hakoto se rendirent compte d’avoir été doublées et cessèrent les hostilités.
— Encore cette sauvage… Nous devrions définitivement l’éloigner de notre très chère, son influence pourrait se révéler néfaste.
— Eh oh ! Tu vas où avec Shizuka-chan ! Sois moins brutale ! Tu risques de lui dégrafer le…
Hakoto ne put finir sa recommandation qu’elle rougit et sourit bêtement.
Finalement, toutes les deux, oubliant la question de la crème suivirent Irina et Shizuka dans l’eau.
Sandy, plus calme, vint s’asseoir dans un transat à côté de Gloria et lui dit :
— Tu devrais aller t’éclater avec elles. Si déjà t’as mis ce beau maillot.
— J’ai besoin de reprendre des forces avant. Ca m’a épuisée de venir dans ce lieu remplit de déchets. Il faut que je me reconnecte avec ma réalité. Désolée, Sandy.
Sandy jeta un regard autour d’elle. La partie publique était remplie de monde, comme toujours. C’était ce que Gloria appelait les « déchets ».
Elle grimaça et soupira, mais n’essaya pas d’argumenter plus. Elle connaissait Gloria. Elle se contenta de mettre des lunettes de soleil sur son nez et se reposer en écoutant les cris des quatre filles dans l’eau.
***
Un peu avant midi, pendant que Vivienne et Hakoto se prélassaient au soleil, Shizuka et Gloria désireuses de manger une glace décidèrent de se rendre à la petite boutique visible dans la plage publique.
Malgré ses réticences, Gloria s’était proposée de la suivre. En tout innocence, elle prit la main de Shizuka et se laissa guider. Sandy ne s’y opposa pas, pour une fois que Gloria prenait l’initiative d’une interaction sociale avec une personne autre que les filles de l’agence…
Les deux rivales n’avaient pas jugé bon les accompagner, sûrement n’avaient-elles pas si peur de la timide Gloria, ou alors étaient-elles fatiguées de leurs compétitions dans l’eau toute la matinée durant.
Bien qu’avertie, Shizuka ne put s’empêcher de s’étonner de ce soleil qui ne brûlait pas du tout la peau, mais ce qui attira bien plus encore son attention était toutes ces formes autour d’elle.
— Une fois de plus, le calibre est très élevé ici ! C’est donc une réalité que les reborniennes ont des gros seins !!
Une fois de plus, elle ne pouvait pas savoir que Jessica avait acheté cet emplacement en bordure de la plage publique justement en connaissance de cause : les filles qui venaient là avaient souvent de gros seins. Une association contre la discrimination envers les filles à fortes poitrines avaient défini depuis des années cet endroit comme leur lieu de rendez-vous. Grâce à cela, celles qui d’habitude sentaient les regards des hommes et des femmes posés sur elles avaient des alliés.
— J’ai l’impression qu’en tout point, l’US Reborn est la version XL du monde, continua de penser Shizuka alors qu’une femme blonde à la poitrine aussi impressionnante que celle de Jessica passa devant elle.
Involontairement, elle s’arrêta pour la fixer. Comparativement sa propre poitrine n’était même pas du L, S tout au plus…
— La nature est si injuste…
Quelques larmes lui montèrent aux yeux lorsqu’elle aperçut soudain le visage de Gloria. Il était très proche.
— Do you cry ? Why ?
— It’s OK ! OK ! répondit Shizuka en paniquant et rougissant.
Gloria inclina sa tête de côté :
— Do you hate people too ? Just like me ?
Cette fois, Shizuka n’était vraiment pas sûre de comprendre. Elle sourit avec gentillesse. Gloria lui caressa la tête, puis s’éloigna pour continuer la marche vers la petite boutique, cette cabane en bois. Shizuka ne put s’empêcher de soupirer en remarquant que sa collègue avait aussi de sacrées formes.
Une fois arrivées, Shizuka laissa Gloria commander. Cette dernière paraissait à la fois énervée et agacée, elle se contenta de désigner du doigt les parfums qu’elles voulaient, sans mot dire.
— J’aurais pu faire pareil…, pensa Shizuka avec une goutte de sueur sur la joue.
En bon commerçant, le vendeur ne parut même pas surpris de cette façon de commander, ou alors était-il simplement habitué aux personnes ne parlant pas la langue ? Shizuka s’en étonna un peu, puisqu’il n’y avait pas réellement de tourisme mais tout lui paraissait bizarre de toute manière.
Une fois leurs glaces en main…
— Thank you ! remercia Shizuka en s’inclinant légèrement à la kibanaise.
Sans remercier pour sa part, Gloria paya pour les deux et elles repartirent aussitôt. Shizuka avait prix fraise-vanille tandis que Gloria menthe-chocolat.
— J’ai toujours trouvé que ça avait un peu le goût de dentifrice, se dit-elle en observant la glace de Gloria. Chacun ses goûts…
Gloria se tourna vers Shizuka et lui demanda :
— Oishii ?
C’était du kibanais, une des rares paroles qu’elle avait apprises. Elle lui demandait si c’était bon, tout simplement.
— Oui, oishii !
Gloria sourit avec joie et innocence, elle paraissait contente que la glace plaise à Shizuka.
Mais soudain, deux silhouettes se dressèrent face à elles, apparues à l’improviste. Deux grands hommes légèrement musclés. L’un était blond, l’autre châtain.
Ils commencèrent à débiter des paroles en anglais, bien sûr Shizuka ne comprenait rien du tout. Tout allait trop vite. Elle se demandait simplement s’il y avait un problème ou s’ils essayaient de les draguer.
Puisque Gloria ne disait rien, ne les regardait même pas, Shizuka se sentit mal à l’aise et dit timidement :
— I don’t speak english… Parlez-vous kibanais par hasard ?
Immédiatement, elle sentit la main de Gloria serrer la sienne avec plus de vigueur. Elle remarqua que son expression avait changée, elle n’était plus ni souriante, ni sereine, ses yeux étaient devenus noirs et agressifs. De plus, il lui semblait qu’elle tremblait légèrement.
Les deux garçons se regardèrent un instant, sans prendre conscience de l’aura meurtrière qui exultait de Gloria. Ils sourirent et recommencèrent à parler en rebornien.
— Excuse me…
Sentant que son amie allait de plus en plus mal, Shizuka essaya de les contourner en entraînant Gloria. Elles marchaient sur un petit sentier de sable qui passait derrière les usagers. Mais les deux hommes s’interposèrent pour les empêcher de passer. Au contraire, ils s’approchèrent encore plus.
— Qu’est-ce qu’ils veulent bon sang ? Si seulement je comprenais l’anglais…
Les lèvres de Gloria s’ouvrirent, elle semblait prête à articuler quelque chose lorsque qu’une voix les interpella. Ils se retournèrent.
Trois filles énervées se tenaient là. Deux d’entre se mirent à parler avec les garçons, une discussion plutôt agitée au terme de laquelle les deux prirent la fuite.
Shizuka soupira de soulagement.
— Désolée que ces deux gros lourds vous aient embêté. Vous allez bien ? dit l’une d’elle en kibanais.
Les yeux de Shizuka s’écarquillèrent de surprise face à cette agréable surprise. Elle observa la fille qui lui faisait face puis lui répondit :
— Oui, nous allons bien. Vous parlez drôlement bien kibanais ! Merci encore à vous !
La fille avait un accent assez proche de celui de Sandy mais son articulation était tout à fait correcte.
— Haha ! Merci ! Nous avons travaillé à Kibou pas mal de fois, j’ai appris la langue un peu.
La fille ravie de ces compliments, passa ses bras derrière la tête et leur fit des sourires.
— Je me nomme Emilee. Voici Ishtar et Flora. Nous sommes toutes les trois des mahou senjo de l’agence privée Nocturnia Eternia. Enchantée de rencontrer des consœurs.
Emilee, la fille qui parlait depuis le début, était plutôt grande et élancée. Elle avait une longue chevelure blond cendré attachée en une queue de cheval. Ses yeux étaient bleus saphirs. Elle ne portait qu’un bikini rouge, assez simple.
Celle qui se trouvait derrière elle et qui saluait de la main était Ishtar. Elle aussi avait une taille avoisinant le mètre soixante-dix, bien que plus petite qu’Emilee. Sa longue chevelure rousse ondulées ruisselait sur son corps muni d’un simple bikini noir. Ses yeux étaient verts. Une paire de lunettes de soleil siégeait sur son front et un sac à main pendait à ses côtés.
La dernière observait le sable à ses pieds. Ses jambes tremblotaient, elle semblait prête à s’enfuir d’un instant à l’autre. Plus petite que les deux autres, ses cheveux châtains mi-long lui arrivait aux épaules. Une barrette décorative y était fixée. Ses yeux que Shizuka croisa à peine quelques instants étaient d’une couleur claire, une sorte de gris pâle. Sa tenue, tout comme son attitude, était plutôt discrète, elle portait un sweat à capuche sur son maillot de bain.
— Veuillez excuser mon impolitesse, je suis Nakasawa Shizuka de l’agence Tentakool. Mon amie s’appelle Gloria vient de l’agence NyuuStore.
Shizuka ignorait comment avaient-elles fait pour deviner qu’elles étaient des mahou senjo, mais puisqu’elles étaient franches, autant répondre de même.
— NyuuStore ? Ah oui, c’est une agence du coin, non ? demanda Emilee en regardant Gloria.
Cette dernière ne comprenait évidemment pas la conversation qui se faisait en kibanais. Elle se cacha plus encore dans le dos de Shizuka.
Avec une grimace d’embarras, cette dernière répondit à sa place :
— Désolée, elle n’est pas à l’aise avec les inconnus… Oui, NyuuStore est une agence tenue par Jessica Whitestone, elle a longtemps travaillé dans cette ville. L’agence dans laquelle je travaille est située à Tokyo. En tout cas, c’est un sacré hasard de rencontrer des consœurs ici.
— À qui le dis-tu ? Hahaha !
Emilee se mit à rire bruyamment, quelques personnes tournèrent leurs regards agacés vers elle, mais elle n’en tenait pas compte.
— Bah, t’inquiètes, on a aussi un modèle de timide, dit Emilee en pointant du pouce Flora. Pas moyen de lui faire enlever son sweat.
— C’est pas bien grave… elles sont très bien comme ça. Ishar-san, Flora-san, vous parlez aussi kibanais ? demanda Shizuka en se tournant vers elles.
Ishar l’observa un instant, puis elle répondit :
— Je pas parler très bien. Enchantée, Shizuka-san.
— Flora parle bien, mais elle risque pas de te dire grand-chose. Allez, un petit effet, elle est toute mimi cette Shizuka-chan, non ?
Emilee s’approcha de Flora pour l’encourager mais cette dernière se contenta de baisser sa capuche et de l’ignorer.
— Ce n’est pas grave, Emilee-san, je ne lui en veux pas. Au fait, qu’est-ce qu’ils voulaient les deux garçons ?
— Vous draguez…
— C’est tout ?
— Bah ouais, vous êtes mignonnes, ils tentaient.
Ils avaient fait plus que tenter, cela dit. Ils leur avaient bloquer la route.
— Méchant dragueur…, ajouta Ishtar qui n’avait pas tout compris.
— Oui, j’aurais préféré ne pas les rencontrer. Je vous remercie encore toutes les trois, j’espère…
Mais au moment où elle comptait prendre congé, Gloria la bouscula et elle ressentit une sensation froide sur son épaule.
— Qu’est-ce que… ?
Au moment où elle allait s’enquérir de la situation, Emilee s’approcha d’elles et les retint pour les empêcher de tomber.
— Oh ! Excusez-moi, Emilee-san !
— Ce n’est pas ta faute, mais la sienne…
Lorsque Shizuka leva les yeux sur le visage de la mahou senjo rebornienne, elle vit que son expression faciale s’était endurcie. Son regard pointait derrière Shizuka.
— Gloria ne l’a sûrement pas fait exprès…
Lorsqu’elle sentit le poids de cette dernière diminuer sur son dos, elle se redressa à son tour et se retourna.
Derrière elle se tenait une fille, grande, géante même aux yeux de Shizuka, elle atteignait le mètre quatre-vingt. Ses cheveux courts et sa silhouette athlétique lui donnaient un air masculin, mais elle avait une poitrine malgré tout assez conséquente.
Elle prononça quelques paroles en rebornien que Shizuka ne comprenait pas. Mais, de toute manière, elle s’inquiétait plus de Gloria à cet instant : elle était tombée à genoux et cherchait ses lunettes. Shizuka lui les ramassa et les mit entre ses doigts. Au sol, à ses pieds se trouvaient les deux glaces qu’elles avaient achetées.
Une fois ses lunettes sur le nez, Gloria prit conscience de la nouvelle venue, des glaces tombées par terre et de Shizuka. Elle fut soudain prise d’angoisse et se finit à se ronger l’ongle du pouce.
Pendant ce temps, la discussion entre Emilee et la géante semblait faire rage. Se connaissaient-elles ?
D’autres filles au nombre de six vinrent rejoindre la géante, elles portaient toutes des maillots de bain élégants, étaient bien maquillées et avaient des bijoux même à la plage.
Shizuka n’eut aucun mal à reconnaître quelques-unes de ces filles : il s’agissait de la célèbre agence Radiant Smile. C’était une super agence opérant uniquement en US Reborn avec une notoriété presque aussi importante que les Ultimate Rainbow de Kibou.
Parmi les filles plus connus, il y avait Jelly, Alysia, Cristal et Destiny.
Malgré elle, elle ne put s’empêcher de déglutir. Avoir devant elle, à quelques mètres seulement, des célébrités pareilles ! Elle commençait à paniquer et ne savoir quoi faire…
— Euh… Radiant Smile… Vraiment ? finit-elle par dire à haute voix en bégayant.
Gloria grommela quelques paroles à peine audibles. Le ton de sa voix et son expression noire inquiétait quelques peu Shizuka. Elle ne pouvait penser que Gloria se mettant dans cet état à cause d’une banale affaire de bousculade.
Ishtar s’approcha aussi du groupe et la discussion commença à s’envenimer encore plus. Sans comprendre ce qui se disait, le ton était trop agressif pour être une discussion cordiale.
Flora se tenait à distance et se cachait, Shizuka remarqua même qu’elle pleurait.
Puis, comme une explosion…
— SHUT UP !!
La voix de Gloria explosa littéralement alors qu’un nuage de sable se mit à tourner autour d’elle. Elle venait d’adopter sa forme de combat.
Elle fit face aux Radiant Smile en se relevant.
Ces dernières parurent d’un seul coup hésitantes et perdirent un peu de la suffisance qu’elles affichaient depuis le début.
— Get out of my way, piece of shit ! Or I’ll crush you all ! dit Gloria pleine de colère.
Bien sûr, Shizuka ne put que ressentir la rage à travers ces mots, elle se mit involontairement à trembler et des larmes s’écoulèrent sur ses joues sans qu’elle ne s’en rendit compte.
Les filles de Radiant Smile semblaient tout aussi terrorisées, elles reculèrent et sans chercher leur reste s’enfuirent.
Mais la colère de Gloria ne paraissait pas apaisée. Elle tendit la main dans leur direction.
Quelque chose de terrible allait se passer !
Les images du spectacle d’horreur qu’elle avait vécu dans la tour de Saitama lui traversèrent l’esprit.
Des affrontements entre mahou senjo… un acte sordide et blasphématoire à ses yeux. Malgré la peur, elle sauta dans les bras de Gloria en sanglotant.
— Arrête, s’il te plaît ! S’il te plaît !
Il n’y avait pas besoin de comprendre le japonais. L’agressivité de Gloria s’estompa alors qu’elle reprit sa forme normale. Toutes les deux tombèrent à genoux sous les regards effrayés et embarrassés des filles de l’agence Nocturnia Eternia.
En tant que mahou senjo, elles étaient toutes habituées à la violence. Mais, malgré leurs pouvoirs, leurs psychés étaient humaines. C’était une chose normale pour un être humain de séparer les instants paisibles de repos de ceux terribles d’affrontement.
Gloria avait fait surgir une violence inattendue au cours d’une de ces périodes de repos. Puis, son aura meurtrière avait été sincère et pesante, même pour une mahou senjo. Sans l’intervention de Shizuka, les choses ne s’en seraient pas arrêtées là…
Après quelques instants, reprenant son calme, Emilee s’approcha d’elles et les prit toutes les deux dans ses bras. Les sanglots de Shizuka ne s’arrêtaient plus, elle était encore sous le choc.
— Everything will be OK ! Tout va bien, Shizuka-chan ! Tout va bien…
Quelques instants plus tard, Irina, Sandy, Vivienne et Hakoto vinrent voir ce qu’il se passait. Elles avaient été attirées par l’agitation sur la plage publique.
Lorsqu’Ishtar leur fit un rapide résumé, Sandy et Hakoto soupirèrent sans réellement paraître surprises.
— On attire trop l’attention ici, v’nez, on va aller manger un bout toutes ensemble. J’régale, bien sûr.
Dans un restaurant, quelques rues plus loin, les filles de Nocturna Eternia expliquèrent ce qui s’était passé en détail cette fois. Elles occupaient deux tables qu’on avait jointes pour elles.
— Bah, c’est pas bien grave, c’est des chieuses de toute façon…
— Hein ?! s’exclama Shizuka.
— Ouais, elles nous détestent depuis longtemps. Jessica a même déjà eu un duel avec leur boss.
— C’est vrai. Elles étaient vertes après sa défaite, d’ailleurs. Quelle stupidité de penser que Jessica était devenue faible à cause de son âge…, ajouta Hakoto en levant les épaules et en soupirant. Bien sûr, elles ont menti auprès des journaux pour justifier leur défaite. Jessica a préféré les laisser parler.
— Ouais, te bille pas trop, Shizuka-chan, dit Emilee. Elles sont insupportables. C’est… C’est bien fait pour elles !
Shizuka ne pouvait s’empêcher de remarquer que, même si Emilee pensait ses propos, elle n’était pas réellement sincère. Shizuka avait vu les expressions apeurées des Nocturnia précédemment.
— Si Gloria-san n’avait point agi, probablement aurions-nous laver votre honneur dans le sang également, expliqua calmement Vivienne.
Elle mit délicatement un morceau de viande saignante en bouche. Shizuka frissonna en entendant ses mâchoires se refermer sur cet nourriture.
— Mais… mais…
— Effectivement, insultez ma Shizuka-chan, même moi j’aurais été capable de les affronter en duel, prit la relève Hakoto. Franchement, les prends pas en pitié.
Hakoto posa sa main sur celle de Shizuka, elle connaissait suffisamment son amie d’enfance pour connaître sa grande sensibilité.
— J’pige que dalle à vos histoires. En bref : y a des meufs qui sont venues et qui ont dit que Shi-chan était un singe, une salope et pleins d’aut’trucs du genre, c’est ça ?
— Votre manière de vous exprimer manque cruellement de délicatesse, dit Vivienne en soupirant. Non, veuillez-nous excuser, votre verbiage de primate exprime correctement votre insensibilité.
Jusqu’au rapport détaillé de la situation, Shizuka avait réellement cru que tout n’avait été qu’un accident. Mais Emilee avait bien rapporté les insultes proférée par les Radiant Smile ; la bousculade avait été préméditée, c’était évident.
— Bah quoi ?! C’est ce que vous z’avez dit, non ? On s’en fout en vrai, elles peuvent dire ce qu’elles veulent…
— Haha haha ! Cet état d’esprit ! J’aime bien le genre de filles comme toi, dit Emilee à l’intention d’Irina.
— Merci ! C’est quoi déjà ton nom, j’ai zappé… ?
— Ça ne se demande pas comme ça ! s’indigna Shizuka. Tu me fais mal, Irina-senpai…
Shizuka baissa la tête en soupirant. C’était de la comédie. Elle cherchait à les rassurer.
En réalité, elle était encore terrifiée, non pas des Radiant Smile, mais par Gloria. Malgré ses airs de filles timide et craintive, elle cachait des ténèbres profondes. Elle n’avait jamais ressenti une telle volonté de meurtre, même Vivienne n’était pas à ce point.
Plus précisément, ce que dégageait cette dernière était différent. Vivienne avait l’impression de s’amuser en se battant, elle ne cherchait pas à tuer mais faire souffrir. Ce qu’elle avait ressenti se dégageait de Gloria était une volonté de destruction pure ; elle voulait tout éradiquer à cet instant.
D’autre part, Shizuka s’inquiétait du fait que les collègues de Gloria avait l’air de prendre cette affaire à la légère. À les entendre, on aurait dit une simple dispute.
— Est-ce que c’est moi qui ait trop interprété ? Au fond, si Gloria-chan avait été si meurtrière à cet instant, ne m’aurait-elle pas attaquée quand je lui ai sauté dessus ?
Elle commençait à être perdue…
Après une bonne heure ensemble, les filles de Nocturnia Eternia prirent congé.
— C’est notre carte de visite, dit Emilee. Je suis désolée de ce qui s’est passé aujourd’hui, Shizuka-san. Ces filles ne donnent vraiment pas une bonne image des mahou senjo de Los Angeles…
— Ce n’est guère à vous de vous excuser, déclara Vivienne en buvant un thé. Nous reconnaissons votre mérite et votre droiture d’esprit, soyez-en assurée.
— Au contraire, je vous remercie, dit Shizuka en s’inclinant. J’espère que nous nous reverrons.
Emilee se gratta l’arrière de la tête avec embarras.
— Je pense qu’elles en avaient après nous en vérité. Nous sommes plus ou moins en rivalité depuis un bon moment… Puis, je pense qu’elles n’avaient pas reconnu Gloria de dos… Enfin bref, tâchons d’oublier tout ça ! Amusez-vous bien et j’espère que nous nous reverrons une prochaine fois. Faut se serrer les coudes entres filles du privé.
Emilee fit un clin d’œil tout en mettant une veste en jean sur ses épaules. Ishtar les salua en gesticulant les mains.
— À bientôt !
— Attendez ! les interrompit brusquement Shizuka. J’allais oublier… Voici notre carte ! Si vous passez à Kibou…
— Merci. Nous n’y manquerons pas. Bye bye !
Sur ces mots, elles saluèrent une dernière fois et quittèrent le local. Flora qui n’avait pas osé leur parler les salua en baissant timidement la tête avant de sortir.
Après peu, les filles de Tentakool et de NyuuStore quittèrent à leur tour le local.
Même si le mot d’ordre était de s’amuser, l’humeur de Gloria s’était bien détériorée.