Jessica et Elin arrivèrent à l’arcologie BioMagiTec Inco.
Cet ensemble de bâtiments encerclés par une haute enceinte formait ce qu’on nommait une arcologie. Ce terme créé par un architecte italien, près d’un siècle avant l’Invasion, avait été repris pour désigner ces ensembles autonomes disposant de droits particuliers sur le territoire des US Reborn.
Dans le droit rebornien, il existait quatre types de statuts relatifs aux mahou senjo : les magical wargirls d’État (également appelée « officielles », comme à Kibou), les agences, les mercenaires et les entreprises, également appelées corporation.
Les premières étaient celles au service du gouvernement, des soldates payées et logées dans les casernes gouvernementales. Aux US Reborn, contrairement à Kibou, elles ne formaient pas le plus gros des effectifs des forces magiques du pays, mais parmi elles se trouvaient les plus puissantes et les plus patriotiques. Par exemple, « Justice VIII » mais aussi la célèbre Invincible, Lyra.
Les secondes, celles qui se réunissaient en agences privées, acceptaient des contrats liés à leur activité magique de défense territoriale. Le fonctionnement était similaire aux agences kibanaises, mais les rémunérations bien plus élevées.
Une autre différence était la part de contrats découlant des particuliers. Une agence normale à Kibou effectuait plus ou moins quatre-vingt-dix pourcent de ses contrats pour le compte du gouvernement, mais les reborniennes étaient autour d’un cinquante pourcent. Les riches, les industriels et autres personnes capables de s’attribuer leurs services pouvaient facilement faire appel à elles pour diverses tâches. La légalité de certaines était cependant contestable.
Contrairement à Kibou où normalement le parcours d’une mahou senjo passait par l’armée comme voie royale, les agences n’étant dans l’esprit populaire que des regroupements d’échouées ou de retraitées, aux US Reborn les agences étaient plus attractives.
Plus la réputation d’une agence était bonne, plus ses contrats étaient chers. L’appât du gain était un argument majeur de leur formule de recrutement. Les disparités entre agences étaient de fait très importantes, les moins réputées devenant finalement des « larbins de l’armée », seul employeur acceptant de faire appel à elles.
La médiatisation des magical wargirls étant bien plus forte qu’à Kibou, la vie privée des filles des agences remplissait souvent les colonnes des magazines et occupaient les plateaux des émissions télévisées. Certaines jouaient beaucoup sur l’effet publicitaire pour gagner de la réputation. Bien sûr, les expertes dans ce domaine n’étaient autres que les super agences telles que les Ultimate Rainbow.
La troisième catégorie lié aux magical wargirls était constituée des mercenaires. Contrairement à Kibou où le gouvernement et les privés ne faisaient pas confiance à ces dernières, puisqu’il s’agissait de filles isolées n’offrant aucune garantie, aux US Reborn elles étaient bien plus nombreuses. Toutefois, le mercenariat n’était qu’une transition, un statut temporaire avant une intégration en agence ou dans une corporation.
Enfin, la dernière catégorie était celle des corporations, également nommées supercorporations. Il s’agissait d’entreprises suffisamment riches et influentes pour obtenir le droit d’extraterritorialité. Ce qui impliquait que la corporation disposait du droit de vie et de mort sur son espace privé, capable d’imposer ses propres lois, mais restait rattachée économiquement au pays. Bien sûr, l’application pratique de ce droit passait par nombres de concessions diplomatiques des deux côtés.
Entrer dans le territoire d’une corporation était comme entrer dans un autre pays, il fallait même parfois des passeports et des visa.
Les corporations, grâce à leur puissance, soit s’allouaient les services exclusifs d’agences privées de magical wargirls, soit engageaient des mercenaires, soit fondaient leurs propres forces de défense surnaturelle. Sous conditions et moyennant de fortes sommes d’argent, elles pouvaient acheter à l’état rebornien des machines d’éveil pour former ses propres magical wargirls. Parmi les conditions, le secret technologique des machines devait être protégé et des quotas étaient imposés ; de même, les filles devaient être des candidates volontaires sous contrat et elles avaient obligation d’être recensées auprès des US Reborn. Mais le jeu en valait largement la chandelle et leur permettait une autonomie en matière de défense. Sans parler de l’impact en terme de notoriété.
Les arcologies étaient ni plus ni moins que le terme définissant le territoire des corporations.
C’était devant l’entrée de l’une d’elle que la voiture de Jessica s’arrêta. L’enceinte, haute de près de dix mètres, disposait de tours d’observation qui donnait un air de prison à cet endroit situé pourtant au cœur de la ville. Des gardes armés de fusils d’assaut montaient la garde derrière le lourd portail à barreaux et des caméras de surveillance étaient parfaitement visibles un peu partout.
Quelques panneaux avant même d’atteindre l’entrée avaient signalé : « Vous entrez sur le territoire d’une corporation. Toute personne sans autorisation s’engage à des représailles pouvant aller jusqu’à la mort ».
Le message était clair.
L’agent à qui Jessica avait tendu sa carte d’identification sursauta :
— Veu… Veuillez m’excuser, Madame la Présidente ! Je ne savais pas que vous étiez de retour, je vais vous…
— Vous savez, Monsieur…
Jessica plissa les yeux pour lire le nom sur le badge que l’agent portait sur sa poitrine, mais ce dernier répondit avant qu’elle n’ait fini de lire :
— Miller ! Francis Miller, Madame !
Il était nerveux. Il avait froidement demandé à sa patronne de justifier son identité et s’était montré méfiant envers elle. C’était certes la procédure, mais elle restait la plus haute instance de la corporation.
— Monsieur Francis Miller, même si je suis votre supérieur, vous me ferez le plaisir de ne pas griller les procédures de sécurité. Faites votre travail comme il se doit !
Le garde fit un salut militaire nerveux. Même s’il avait été prêt à ouvrir le portail sans rien demander de plus, la procédure standard prévoyait l’inspection de l’identité de toutes les personnes qui entraient, ainsi que leur enregistrement dans les registres.
— Veuillez m’excuser, Madame ! Je… je vais m’en occuper de ce pas… Quant à votre… invitée… ?
— Ah ouais ! Tiens, mes papiers…
Elin, qui avait retiré les pieds du cadran de la voiture à l’approche de l’arcologie, tira d’une des manches de son pull son passeport kibanais.
— Merci beaucoup. Veuillez patienter, je vous prie !
En sueur, le garde s’éloigna avec la carte d’identification et le passeport. Il espérait que cet impair ne lui serait pas reproché dans son évaluation. Suivant les mesures normales, il entra dans la guérite pour procéder au checking informatique des documents, tout en ne manquant pas de garder les caméras et les mitrailleuses pointées vers la voiture.
Honnêtement, il se serait lui-même blâmé de menacer sa chef, mais la procédure prévoyait ce genre de mesures. En principe, les deux mitrailleuses étaient suffisamment efficaces pour détruire les véhicules blindés de transport et même des camions à pleine vitesse.
— Eh ben, t’es du genre chiante avec tes employés, toi…
— C’est toi qui me dit ça ? C’est juste du bon sens. Je suis certes leur boss, mais s’ils commencent à faire des traitements de faveur, c’est la porte ouverte aux abus et aux failles de sécurité. Tu ne penses pas ?
— Ouais, t’as sûrement raison. De toute manière, les malheurs arrivent sans qu’on les cherche, autant ne pas leur rendre la vie facile.
— Oui, il faut forcément qu’un jour ou l’autre quelque chose arrive… Tssss !
— Tu as souvent des soucis ici ? demanda Elin en bâillant.
Comme si elle s’ennuyait, elle ouvrit la boîte à gants et en commença à fouiller.
Jessica la fusilla du regard.
— Oh ?! Tu cherches quoi au juste ?
— Rien, je fouillais, c’est tout. Un souci ?
— C’est plutôt à moi de te demander ça ! Tu ne penses pas que tu abuses ?
— Non, je ne trouve pas… En plus, il n’y a rien de particulier là-dedans : un pistolet, un paquet de chewing-gum, des mouchoirs…
— Tu t’attendais à quoi ?!
— En fait, je cherchais un truc à manger. J’ai un peu faim…
— Tu peux pas attendre un peu ?! Une fois à l’intérieur, je t’offre le petit-déjeuner, espèce de goinfre…Tsss !
— Oh, c’est cool, Jess. J’espère que t’as engagée de bons cuisiniers.
— Toi, alors ! Je te jure…
Le garde revint accompagné d’un second, il tendit les documents à Jessica.
— Tout est en ordre, Madame ! Vous pouvez entrer. C’est un plaisir de vous avoir parmi nous, Madame la Présidente !
Les deux soldats la saluèrent poliment, elle leur rendit un salut de la tête et fit avancer la voiture.
À l’intérieur, c’était plutôt grand, l’équivalent à un campus universitaire : une dizaine de gros immeubles s’y trouvaient ainsi qu’un parc au centre.
Ce qui ne manqua pas d’attirer l’attention d’Elin en tant qu’experte militaire, était la tour centrale en béton, avec un dôme, d’une architecture plutôt belle qui lui donnait l’air d’un planétarium ou d’une petit musée, mais qui était en fait…
— Vous avez carrément une DCA ?
— Ouais, c’est nécessaire pour intimider.
— Les Reborniens sont fous…
— Pffff ! Difficile de te donner tort sur ce point… Pour répondre à ta question précédente, en général, il n’y a pas de problèmes. Mais tu n’es pas sans connaître les guerres de corporations qui se livrent dans l’ombre du pouvoir.
— Ouais, comme à Sacramento il y a trois ans…
— T’es donc au courant ? s’étonna faussement Jessica.
Un bref silence s’ensuivit, elle repensa à ce tragique épisode tout en conduisant calmement jusqu’à un parking voisin à un bâtiment de forme ronde faisant penser à une cheminée géante.
— Oui, ce genre de choses…
Même si cet incident n’aurait normalement pas dû sortir du pays, il était arrivé malgré tout aux oreilles d’Elin.
Une corporation avait été entièrement détruite et un incendie avait ravagé les quartiers voisins. Aux yeux de tous, il s’agissait d’une attaque d’Anciens, mais quelques médias plus audacieux avaient soulevé l’hypothèse d’un conflit entre deux corporations.
— Comme s’il n’y avait pas assez d’ennemis pour faire la guerre… Avoue que ça n’arriverait pas si tout le monde était comme moi, hein ?
— Tu crois vraiment que je vais cautionner ton attitude de pouilleuse ? lui demanda Jessica en lui jetant un regard en coin. Mets tes chaussures, nous sommes arrivées.
— Ouais, ouais…
Une fois les chaussures aux pieds d’Elin, les deux femmes sortirent du véhicule.
— Tu te contenteras de beignets et de donuts?
Jessica indiqua du pouce un petit cabanon derrière elle, à l’orée du parc, qui vendait ces produits-là.
— Parfait. Une demi-douzaine de chaque, merci.
— Goinfre ! Sérieux, tu crois pas abuser ?
— Bah non…, répondit Elin en la scrutant impassible.
Elle pencha légèrement la tête de côté comme si elle se posait la question de savoir ce qu’on lui reprochait au juste.
— Laisse tomber… t’as pas changé… quoi qu’un peu…
— Je suis devenue plus grande ?
— Raconte pas n’importe quoi, la naine !
Sur ces mots, Jessica s’éloigna et s’approcha du vendeur pour commander. Ce dernier la reconnut immédiatement et ils se mirent à échanger quelques politesses et discours d’usage.
Pendant ce temps, Elin scrutait les alentours. Contrairement à d’autres arcologies, celle de Jessica n’était pas si sécurisée. Il y avait certes une haute enceinte, des guérites, des tours de surveillance et une batterie de canon anti-aériens, mais Elin avait déjà vu pire.
Jusqu’à ce matin-là, elle ne connaissait cet endroit que de nom. Elle savait depuis des années que Jessica en était propriétaire, mais c’était tout. Elle savait que Jessica avait en sa possession plusieurs entreprises et fondations, mais elle ignorait l’étendue de sa richesse. Le nom de BioMagiTec Inco était simplement apparu au cours d’une recherche qui n’avait rien à avoir.
En réalité, Elin trouvait aberrantes l’existence des corporations et des arcologies. En période de guerre, quel pays déléguerait son pouvoir de la sorte ? N’était-ce pas un signe que les US Reborn allaient mal ?
Elle avait accepté d’accompagner Jessica en sa qualité d’ex-collègue et d’amie mais elle ne comptait pas prendre part à des guerres de corporations.
Alors qu’elle réfléchissait de la sorte, une légère brise agita ses couettes. Les voix de cinq étudiantes entrèrent dans ses oreilles. En tournant son regard vers elles, elle s’aperçut qu’elles la fixaient.
— Whaaa ! Elle est trop mignonne !
— Oui, c’est vrai !
— Je me demande en quelle année elle est… ?
— Sûrement au collège. Par contre… elle devrait porter son uniforme quand même, si la Présidente voyait ça…
— Je veux toucher ses couettes !
Une des filles, une grande blonde plantureuses s’approcha d’Elin. Elle portait un uniforme composé d’une chemise blanche avec cravate, d’un pull-over bleu marine avec brodé dessus le blason de l’arcologie et une jupe qui lui arrivait jusqu’aux genoux.
— Tu t’appelles comment ma jolie ? Je peux toucher tes cheveux ? Je peux devenir te prendre dans mes bras ?
À mesure qu’elle s’exprimait, ses yeux devenaient de plus en plus brillants et ses lèvres s’arquaient pour exprimer une joie non dissimulée. Sans même attendre de réponse, elle enlaça Elin, ou plutôt lui enfonça la tête dans sa poitrine avant de lui caresser ses couettes.
— Kyaaa !! Elle est trop mignonne !! Ses cheveux !!!
— T’as vraiment un grain, Reby !
— Elle fait ça dès qu’elle voit une petite fille mignonne. Excuse là, s’il te plaît !
— Du coup… je veux aussi toucher…
Deux filles du groupe suivirent l’exemple et virent enlacer Elin et lui caresser la tête.
À ce moment-là, Jessica revint avec un petit sachet en papier kraft. Immédiatement, la veine sur son front gonfla, mais elle enfouie son expression colérique pour afficher un sourire de convenance.
— Bonjour, mes demoiselles ! Vous n’auriez pas vu une fillette de cette taille avec des couettes, par hasard ?
Bien sûr, Jessica savait où elle se trouvait. Les cinq filles tournèrent leurs têtes vers elle avant de blêmir en la reconnaissant.
— Pré… Prés… Présidente ?
— Euh… je… je…
— Y aurait-il un problème, mes chères élèves ?
— Euh… euh…
— Je… je suis ici…
Une voix étouffée parvint aux oreilles de Jessica, les trois filles réagirent immédiatement en s’écartant d’Elin.
— Toi alors je te jure…, dit-elle sur un ton faussement affable. Je la récupère, mesdemoiselles. J’ai besoin de ce modèle réduit de magical wargirl. Continuez à bien travailler et ne négligez pas votre bienséance, OK ?
Jessica leur fit un clin d’œil charmeur avant d’attraper la main d’Elin et de l’entraîner vers l’entrée d’un bâtiment voisin : leur destination.
— Qu… Qu’est-ce que tu fais à mes adorables élèves ? T’es pas satisfaite de m’obliger à t’acheter un repas de monstre affamé faut en plus que tu tripotes des lycéennes ? Je te rappelle que c’est moi qui fait la loi ici !
Elin ne répondit pas, elle se contenta de la fixer sans rien dire.
— Rhaaaaa ! Je te déteste !!! Reby a une poitrine formidable ! Pourquoi je ne mesure pas un mètre trente comme toi ?!
Jessica se mit à s’agiter comme sous l’effet d’un violent conflit interne. Elin continuait de la fixer, impassible.
— Ah, c’était donc ça… ? Les autres avaient aussi des boin boin, tu sais ?
— Je sais !! Sale traîtresse !! Pourquoi une planche à repasser aurait un tel succès d’abord ?! Tiens ! Prends ta pitance et arrête de me faire penser à Rebecca, Sarah et Chastity !
Elle lui tendit le sachet avec la nourriture avec agressivité, puis tourna sur ses talons et commença à se diriger vers la réception.
Elin inspecta le contenu du sachet —une odeur fort appétissante lui envahit les narines— puis sortit un donut au chocolat qu’elle commença à manger tout en suivant Jessica.
Après s’être présentée à l’accueil, les deux femmes arpentaient les couloirs blancs de l’édifice vers une destination connue de Jessica seule.
— Tu connais le nom de toutes tes élèves ?
— Non pas toutes…
— Seulement celles avec de gros seins, pas vrai ?
Jessica s’arrêta un bref instant, grimaça, elle allait répondre mais se ravisa. À la place, elle reprit la marche en ignorant la question.
— T’es vraiment une perverse de la tête aux pieds.
— Je ne suis pas une perverse !!! Puis, arrête de parler de pieds !
— Pourquoi, ça te fait de l’effet ?
— TOI !!!
Jessica la menaça de son poing, puis reprit son calme avant qu’on ne remarquât son attitude. Elle soupira et reprit la marche.
— Je… Je suis juste attentive à la beauté féminine, c’est tout !
— En plus, tu ne nies même pas connaître juste le nom de celles qui ont des boobs…
— Là n’est pas la question ! Suis-moi et tais-toi, la naine !!
Tout en grignotant tel un petit écureuil, Elin suivit une Jessica furieuse à l’intérieur de ce qui semblait être un laboratoire.
***
À peine entrées, une réceptionniste vint à leur rencontre.
Elle s’abstint de demander l’identité de Jessica qu’elle salua amicalement avant de passer son badge dans le portique de sécurité. Contrairement aux gardes à l’entrée, elle connaissait fort bien sa patronne et suivait donc scrupuleusement le protocole.
Après s’être informée de l’identité de celle qui l’accompagnait, elle demanda :
— Elin seulement ? Vous n’avez pas de nom de famille ? Ou alors… vous ne seriez pas… ?
— Oui, c’est elle. Je vous avais déjà dit qu’elle faisait partie de mes connaissances, n’est-ce pas ?
La réceptionniste pâlit. Elin n’avait pas la même réputation à l’étranger où elle était seulement connues en tant que rang S+. La concernée répondit par un signe de paix et continua de manger ses donuts.
— D’accord, je… vais finir de faire le badge invité VIP. Veuillez me laisser quelques instants, s’il vous plaît.
Tout en s’excusant, la réceptionniste s’en alla derrière son comptoir et commença à entrer les informations relatives à Elin sur son ordinateur. Quelques instants plus tard, elle revint avec un badge invité qu’elle lui tendit.
— Mer…chi…
— On ne parle pas la bouche pleine ! Personne ne te l’a appris ? s’énerva Jessica en passant le portique de sécurité.
— Ouais, mais bon, j’ai faim… et ils défoncent ces donuts. Tu t’es fait plaisir pour l’embauche, je vois…
— Héhé ! Tu me prends pour qui ?
Jessica se tourna vers son interlocutrice tout en mettant fièrement ses poings sur ses hanches. Bien sûr, cela n’impressionna nullement Elin qui la fixa sans émotion tout en continuant de grignoter.
Elles reprirent leur marche à travers les couloirs blancs du laboratoire, inondés par l’odeur de formole. Elles croisèrent quelques chercheurs qui les saluèrent avec le plus grand respect.
— Les gens qui bossent ici, c’est des diplômés de ton école ? demanda Elin ralentissant son rythme de mastication.
— La plupart, oui. L’arcologie BioMagi Tec Inco, c’est la fondation que j’ai crée après avoir été virée de Kibou…
Elin l’observa sans rien dire. Jessica comprit qu’elle attendait plus d’explications.
En temps normal, elle n’aurait pas accéder à la demande, mais elle avait besoin d’Elin.
— En fait, pour être précise, j’avais eu l’idée de cette structure à peine devenue mahou senjo. Après la mort de mes parents, j’ai beaucoup souffert comme tu t’en doutes. Je ne t’apprendrai pas ce que ça fait de devenir orpheline. Même si j’étais assez âgée, ce ne fut pas facile pour autant…
Le visage de Jessica s’assombrit après avoir évoqué ces souvenirs, mais elle poursuivit en prenant sur elle.
— Après avoir hérité de toute cette richesse, je me suis rendue compte de l’hypocrisie des adultes et, pour diverses raisons, j’ai désiré devenir une mahou senjo, dit-elle en rougissant légèrement. Grâce à ça, j’ai pu échapper à nombre de complots familiaux autour de ma richesse et à tout le cercle corrompu des riches qui auraient essayé de m’avaler en une bouchée.
Elle marqua une brève pause tandis que son visage s’assombrit encore un peu plus. Sa voix devint plus froide et distante, un peu comme si elle parlait de la vie de quelqu’un d’autre et non de la sienne.
— Un jour ou l’autre, je savais que je ne pourrais y réchapper. Il existe des problèmes qu’on ne peut que remettre à plus tard et non les fuir. Mais cette stratégie m’a laissé le temps de mieux comprendre nombre de choses : les rapports humains, par exemple, mais aussi la face cachée de la guerre qu’on ne montre pas à une fillette de douze ans. Quand j’y repense ! À cette époque, j’étais presque aussi plate que toi ! Haha !
Son visage était pâle, on pouvait y lire un profond dégoût. Mais elle se forçait à paraître frivole et joyeuse.
Observant la poitrine d’Elin, elle afficha un sourire victorieux et reprit :
— Non, en fait, j’avais déjà plus de formes, mais bon passons…
Elin ne réagit nullement.
— Bref, je ne vais pas rentrer dans les détails économiques, mais puisque ma famille avait fondé sa richesse sur des entreprises à Kibou —entreprises qui fonctionnent encore actuellement— j’avais une partie de mes fonds entre deux pays. Seulement, ceux dont je disposais aux US Reborn étaient sous tutelle et j’ai dû jouer de mon statut dans l’armée pour pouvoir les récupérer. Afin d’éloigner les vautours de ma famille et pour faire quelque chose que je désirais accomplir depuis un moment, j’ai acheté du terrain et j’ai fait bâtir mon propre orphelinat.
— Bien joué.
— Merci. Après avoir été renvoyée de Kibou et être revenue ici, j’avais acquis une certaine expérience de la vie. J’ai fond pensé à étendre mes actions et j’ai fondé ma propre fondation basée sur des recherches magiques qui pourraient servir dans la lutte contre les Anciens. Grâce à cette extension, je pouvais également donner du travail aux orphelins que l’orphelinat recueillait.
— Une sorte de recyclage. Je ne te savais pas si eco.
— Eh oh ! Parle pas de mes précieuses pupilles de la sorte, tu veux ?
Mais Elin ne réagit pas. Jessica soupira longuement, elle savait qu’il n’y avait pas de méchanceté derrière ses propos, aussi elle reprit son explication sans plus tarder :
— Bref, ,c’était d’une pierre deux coups. C’est aussi à cette époque que j’ai fondé l’agence NyuuStore.
— T’es toujours aussi bien organisée et motivée, c’est un de tes points forts.
— Je n’ai pas besoin de tels compliments de la part d’une fainéante, tu sais ? En plus, fais attention, tu es en train de mettre des miettes partout ! Ne donne pas plus de travail au personnel !
Elin l’observa, un beignet à moitié en bouche, mais ne dit mot.
— Bon où en étais-je… Ah oui ! J’ai fondé mon agence. Puisqu’elle n’avait pas marché à Kibou, je l’ai transposée ici et cette fois j’ai eu plus de succès. Il faut dire que les US Reborn sont plus profitables aux agences. L’année suivant mon retour, l’arcologie fut achevée. J’ai réussi à obtenir du gouvernement, en tant que récompense pour service rendu, une GodGiving 3.175, ce qui a permis à BioMagi Tec d’avoir officiellement le statut de corporation. Considérant le nombre de vautours et d’espions qui me tournaient autour à l’époque, ce statut devenait une nécessité. Ne fut-ce que pour la sécurité de mes employés.
GodGiving 3.175 était le nom d’un des modèles de machine d’éveil utilisé aux US Reborn. Le modèle utilisé en 2086 était le GodGiving 4.2, aussi le gouvernement revendait les machines obsolètes mais fonctionnelles aux corporations.
Les améliorations des machines d’éveil ne rendaient pas les pouvoirs des filles éveillées plus importants, mais réduisaient la consommation d’énergie nécessaire, accélérait le processus et surtout augmentait les probabilités de réussite. Le processus d’éveil était loin d’être systématiquement une réussite, il fallait en général sélectionner des personnes compatibles.
Malgré les études officielles, cela n’empêchait pas nombre de mahou senjo —sûrement pour justifier leur propre faiblesse— et certaines revues spécialisées d’affirmer que les machines d’éveil avaient une influence sur la puissance et la longévité des pouvoirs.
D’ailleurs, les rumeurs voulaient que les machines d’éveil Genesis utilisées à Kibou avaient un meilleur rendement, puisque le rang moyen des mahou senjo kibanaises étaient plus élevé que celui des reborniennes.
Elin et Jessica, deux puissantes mahou senjo, éveillées à Kibou réfutaient en un sens la thèse quant au lien entre machine et qualité des pouvoirs. En effet, la première avait connu son second éveil grâce à une Genesis 0, le prototype qui donnerait naissance à la Genesis I qui avait éveillé la première génération de mahou senjo dont faisait partie Jessica. Pleine de défauts et un taux de mortalité élevé, la Genesis I ne fut guère utilisée que par cette génération de mahou senjo, laissant rapidement sa place à la Genesis II.
La troisième version, toujours en utilisation, arriva quelques années plus tard seulement. Les bruits de couloirs colportés par les médias spécialisés parlent bien sûr d’un quatrième modèle prévu dans les prochaines années mais aucune annonce officielle n’a été faite.
Dans une optique différente, les US Reborn apportaient constamment des modifications aux machines et enchaînaient les modèles.
— J’imagine. Je déteste la concurrence des agences kibanaises. Au lieu de se dépasser, tout ce que je vois c’est un paquet de débutantes qui croient jouer dans une cour d’école.
— Je suis rarement d’accord avec toi, Elin. C’est pour ça que je me suis toujours sentie plus à l’aise à Kibou où les filles sont animées par un esprit patriotique et bienveillant. Ici, il y a trop d’argent qui circule et rien qui ne tourne rond.
C’était des propos sûrement étonnant de la part d’une riche, mais ils ne surprirent aucunement son interlocutrice.
— Oui, c’est sûr. Et sinon, explique-moi ce que vous étudiez ici. À première vue, je dirais pas mal de médecine et pharmacologie.
— Rien ne t’échappe… En effet, nos domaines principaux sont la biochimie, la génétique, la cytologie et la biologie moléculaire. L’un de nos buts est de dévoiler le lien entre génome et pouvoirs, mais nous avons aussi un département métallurgie qui étudie les propriétés magico-conductrices. C’est la grosse cheminée à côté de laquelle nous sommes passées. Contrairement à d’autres corporations, les étudiants de MagiBio Tec ne sont pas tenus d’être engagés ici, à la fin de leurs études ils reçoivent un diplôme certifié qui est valable hors de l’arcologie, bien sûr.
Elin parut réfléchir quelques instants, puis finit par dire :
— En fait, même si ces recherches sont pour le bien général, tu es la première à en profiter, non ?
Jessica parut légèrement contrariée, elle grimaça, puis avoua :
— Tu m’énerves ! Tu sautes les étapes pour tirer des conclusions… Eh oui ! Je suis une méchante patronne qui fait travailler son arcologie sur la dégénérescence des pouvoirs et sur les matériaux conducteurs magique que j’utilise en combat. Tu m’as dévoilée, bravo !
— Je ne disais pas ça pour te blesser. Ce sont de bons domaines qui profiteront à tous. Si tu parviens à trouver le moyen de ralentir ou annuler la dégénérescence, le nombre de mahou senjo augmentera et nous aurons une chance de plus de notre côté. De même, si tu arrives à rendre les conducteurs plus fiables, d’autres armées que celles reborniennes pourront utiliser des armes canalisées et pourront servir d’appui aux mahou senjo.
Jessica qui croisait les bras en détournant le regard tourna furtivement la tête du côté de son interlocutrice ; elle était sincère, elle le savait. Même si cela en avait l’air, Elin n’avait jamais formulé de reproches.
Jessica leva les épaules et soupira.
— T’inquiètes, je sais. Je voulais juste t’entendre te justifier, dit-elle en tirant la langue.
Elin l’observa sans réaction, mais Jessica afficha immédiatement un sourire victorieux. Cette fois, elle l’avait eu.
Mais le visage joyeux de Jessica ne tarderait pas à s’assombrir alors que son interlocutrice lui demanda :
— Tu as tellement peur de perdre tes pouvoirs ?
— Oui…
Elles s’arrêtèrent de marcher tandis que Jessica fixa le sol dallé. Elle était perdue dans ses pensées.
— Tes recherches actuelles ont donné quelque chose ? demanda Elin pour la tirer de sa langueur.
— Oui. Comme tu as pu le voir, les armes que j’utilise me permettent d’avoir qu’un taux de perdition de mana de 34,23 %, ce qui est de 12 % inférieur aux années précédentes. J’ai bon espoir que l’on passe sous la barre des 30 % cette année. Quant au département de biologie, il a réussi à développer quelques drogues expérimentales pour accroître l’activité synaptique magique. Ce n’est que temporaire, mais mieux que rien. Nous testons encore les effets secondaires, mais si tout se passe bien, cette année on devrait faire un pas en avant dans le projet.
— C’est impressionnant. Néanmoins, une drogue de combat ? Tu ne préconises pas plutôt un vrai traitement contre la dégénérescence.
— Bien sûr que c’est ce que nous visons ! Mais… c’est tout ce que nous avons pu trouver pour le moment. Disons que ça n’aidera pas contre la dégénérescence, mais ça pourrait aider les novices à survivre dans des combats désespérés.
Elles gardèrent le silence jusqu’à arriver dans un ascenseur. Lorsque les portes se refermèrent :
— Je te donnerai un échantillon de mon sang, ça pourra peut-être vous aider. L’armée n’a rien trouvé, mais si vous y arrivez, j’en serais la première heureuse.
— Oh ? C’est inattendu ! Tu cherches à m’aider ? Ou alors à me réconforter ?
— Peut-être un peu des deux. Puis, ce n’est pas comme si mon sang était un secret national. J’aime ceux qui se donnent du mal pour de nobles causes, c’est tout.
Jessica rougit instantanément et baissa la tête.
— Me… Merci beaucoup…, dit-elle d’une voix timide que personne dans l’arcologie ne lui avait sûrement jamais entendue.
Elin bâilla mais ne parut pas dénoté l’attitude de sa collègue. Cette dernière se mit à pianoter sur le cadran de l’ascenseur, sans se méfier du regard indiscret de sa voisine : elle venait de saisir le code secret menant à l’étage caché. L’ascenseur se mit à descendre.
— Jess, j’ai encore une question : tu as éveillé des filles ?
— Seulement celles qui en font la demande et que j’estime moralement prêtes. J’adopte un suivi psychologique d’un an avant acceptation. Il n’y a eu que trois éveils pour l’instant. Parmi elles, deux travaillent à la sécurité de l’arcologie et Sandy est la troisième.
— Tu n’as pas peur de l’espionnage ?
— C’est inévitable, malheureusement. Mais je préfère qu’on me vole des informations plutôt qu’on me mette des bâtons dans les roues pour ne pas me faire avancer. L’humanité doit profiter de ces recherches, qu’elles soient signée Whitestone ou non, c’est ce que je pense.
— Tu es vraiment une personne bien.
Jessica rougit à nouveau, puis, sans réelle raison, elle se mit aussitôt à crier sur Elin. C’était simplement trop de compliments pour elle :
— Qui te permet de me dire des choses pareilles au juste ?! Bien sûr que je suis une personne bien ! Tu te crois que tout permis parce que tu es une rang S+, c’est ça ?
Lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, l’employée qui les attendait sur le palier assista au spectacle fort rare de sa chef criant sur une petite fille.
***
L’employé d’accueil s’appelait Rebecca Thorn, une femme de la quarantaine avec un chignon qui lui donnait l’air strict, impression encore accrue par ses petites lunettes carrées et son tailleur parfaitement propre et repassé. Elle ne portait pas de blouse blanche, ce qui laissait rapidement penser qu’elle n’appartenait pas au département de recherche.
— Madame m’emploie au département sécurité, expliqua Rebecca en ouvrant une porte à l’aide d’une carte magnétique. Je n’ai pas eu l’honneur d’avoir été présentée à vous…
— C’est bon Rebecca, elle est de confiance.
— Vous m’envoyez navrée, Madame, je ne voulais pas insinuer que…
— Je suis Elin. Tu me trouveras dans les registres des mahou senjo sous le nom d’Athanor des flammes noires.
Après s’être présentée, Elin passa sous le bras de Rebecca et pénétra la première dans la pièce. Bien sûr, l’employée de sécurité fut surprise par une telle attitude, elle tourna son regard vers Jessica qui secoua simplement la tête pour lui signifier de laisser tomber.
Rebecca soupira et exécuta les ordres de sa directrice.
— Donc c’était ici que se trouvait la machine GodGiving ? demanda Elin en scrutant autour d’elle.
Outre la porte métallique à vérins, les murs étaient tous en bétons armés et il y avait quatre caméras qui filmaient l’ensemble de la pièce ; on se serait cru dans une chambre-forte de banque. Ce n’était pas un endroit où il était aisé d’entrer, d’autant plus qu’elle se situait au plus profond de l’arcologie.
Outre les nombreux ordinateurs, on trouvait également dans la salle des outils d’analyse et des tables remplies de produits chimiques et de papiers ; sur les murs, des tableaux remplis d’annotations. Apparemment, seul un cercle de restreints était amené à y étudier et le matériel était laissé sur place.
— Madame, je suis profondément désolée quant à ce qui s’est passé. En fait, je… je…
— Je vois pas comment vous avez pu vous faire voler une machine aussi grosse, déclara Elin sans prendre de pincettes.
Rebecca blêmit, une certaine jalousie s’instilla au plus profond de son regard.
— C’est pas de sa faute, demi-portion ! Bon, Rebecca, explique ce qui s’est passé. Donne-nous tous les détails.
La femme remit en place ses lunettes, éclaircit sa voix et expliqua :
— Il y a cinq jours, à deux heures approximativement… Heure déduite grâce aux enregistrements des caméras… La machine d’Éveil GodGiving a été volée. Comme vous me l’aviez ordonné, j’ai établi une déclaration de vol auprès des autorités compétences et, comme vous le pensiez, on nous attribue la responsabilité de l’incident. Pour le moment, aucune rançon, ni aucune revendication sur les réseaux publics n’a été faite.
— Il y a cinq jours ? l’interrompit Elin. Pourquoi ne pas avoir commencé l’enquête avant, Jess ?
— Je sais que c’est important, mais j’avais des missions urgentes à Kibou desquels des vies dépendaient. Puis, ne pense pas que j’ai pris ça à la légère, j’ai chargé deux équipes de mener l’enquête en interne.
— Et les résultats ?
— Malheureusement, nous n’avons pas encore trouvé qui est le coupable, pas plus de l’endroit où se trouve la machine actuellement. Mais nous avons réussi à récupérer nombre d’informations, les informa Rebecca en répondant à la place de sa chef.
Sur ces mots, elle tendit un dossier à Jessica. Pendant que cette dernière le consultait, Rebecca poursuivit :
— L’élément le plus surprenant est la manière dont les coupables s’y sont pris pour entrer dans cette pièce sans être vus. Kof… Il faut savoir que cette nuit-là, dimanche, l’activité était réduite : seules deux équipes y travaillaient en heures extraordinaires et personne ne se trouvait à cet étage.
— Qu’est-ce que vous y faites à cet étage ? l’interrompit Elin.
Rebecca observa timidement sa chef à la recherche de la permission de répondre, cette dernière acquiesça attisant une nouvelle fois les flammes de jalousie ; qui était cette Elin disposant de tels droits ?
— Nous menons principalement des expériences sur la machine d’Éveil. L’étage n’est pas très grand, il est divisé en deux laboratoires, dont un ici-même, qui demande le niveau maximum d’accréditation. Il y a également deux postes de sécurité et une salle de quarantaine pour les matériaux à risque.
Elin écoutait tout en froissant son sachet de donuts à présent vide ; elle le tendit à Jessica.
— Je suis pas ta poubelle, demi-portion !
— Ah OK. Ça marche…
Sur ces mots, Elin le laissa tomber par terre, puis commença à faire le tour du laboratoire.
— Je te jure celle-là ! commença à s’énerver Jessica en fermant le poing.
— Euh… c’est une bonne idée de l’avoir amenée… ? demanda timidement Rebecca.
— Oui ! Malheureusement…
La réponse de Jessica ne se fit pas attendre. S’il y avait une chose dont elle était sûre, c’était qu’Elin pouvait l’aider.
— Tu peux continuer, j’écoute, je suis juste en train de chercher…
Rebecca comprenait de plus en plus pourquoi sa patronne s’énervait contre cette fille… Elle ramassa le papier à terre et, après avoir soupirer, poursuivit :
— En fait, nous sommes parvenus à comprendre plus ou moins la manière dont tout cela s’est déroulé. Les coupables, au nombre de deux, certainement des mahou senjo, sont entrées dans l’arcologie par le biais d’une fourgonnette de livraison en après-midi. Elles ont pris la place d’un des livreurs habituels…
— Quel genre de livraison ? l’interrompit Elin.
— Euh… Des matières premières pour la cuisine.
— De la bouffe en gros ?
— Oui, on peut dire ça…
Rebecca observait attentivement les moindres faits et gestes d’Elin, elle n’était vraiment pas persuadée qu’une telle enquêtrice serait utile à la situation. Elle connaissait la gentillesse de sa patronne et commençait à réellement craindre qu’elle se soit laissée avoir par cette Elin.
Néanmoins, par professionnalisme, Rebecca n’en dit mot et poursuivit les explications :
— Le poste de sécurité à l’entrée de l’Arcologie a enregistré l’arrivée du fournisseur à 16h34, tous les documents étaient en ordre. Sur les enregistrements, on peut même voir que le livreur, Monsieur Joseph Hermann était bien au volant, pourtant il demeure introuvable depuis l’incident.
— Sûrement un pouvoir de changement d’apparence, commenta Elin.
— Je pense aussi… La suite, s’il te plaît, ordonna Jessica.
— Euh oui… La fourgonnette n’est ressortie qu’à 2h08 le lendemain. Sur les enregistrements des caméras devant le laboratoire il est possible de voir deux personnes transporter un gros colis couvert d’une bâche et le déposer à l’arrière du véhicule. Cette enregistrement est daté de 1h52.
Rebecca marqua une courte pause pour reprendre le fil de ses pensées, puis dit :
— Le principal problème est que malgré les nombreuses caméras ’il n’y a aucun enregistrement qui permette de voir le déplacement des coupables de cette pièce jusqu’à la fourgonnette. D’autre part, l’associé de Monsieur Hermann déclare qu’il n’y avait aucune livraison de prévue à cette date dans leurs registres, or cette dernière figurait bel et bien dans notre planning…
— C’est pourquoi les gardes ont laissé entrer la fourgonnette, l’interrompit Jessica.
Rebecca acquiesça.
— Quant à la question de savoir comment elles ont pu descendre jusqu’ici, la réponse est malheureusement simple : elles ont utilisé Mademoiselle Cassandra Hall, une des deux victimes. Madame, je sais que vous l’affectionniez particulièrement, mes condoléances les plus sincères.
Jessica grimaça un instant, on pouvait lire la douleur dans son visage. Elle n’était pas indifférente à ses employées, loin de là ; elle désirait réellement leur bonheur.
— Mademoiselle Hall ? demanda Elin en revenant vers ses deux interlocutrices.
— C’était la personne en charge de cet endroit, répondit Jessica en croisant les bras avec une expression mécontente. Elle décidait quelles équipes avaient le droit de travailler ici et était présente tout au long des expériences qui étaient menées. C’est notre règle : les scientifiques qui travaillent sur la machine sont surveillés en permanence. Mais tu dois connaître les raisons, pas vrai ?
Les regards de Jessica et d’Elin se croisèrent, elles connaissaient toutes les deux nombre la vérité derrière ces machines miraculeuses qui permettaient de produire « les espoirs de l’Humanité ».
— C’était une magical wargirl ?
— Non, elle ne l’était pas.
— Et l’autre mort ?
Jessica se tourna vers Rebecca et lui laissa répondre à la question.
— Il s’agit de Jonathan Levinstone, un de deux employés de la sécurité. En temps normal, la nuit, on ne laisse que deux personnes dans le poste de sécurité de cet étage, qui est de toute manière verrouillé. L’autre employé qui était avec lui est actuellement à l’hôpital, nous avons espéré qu’il aurait pu nous fournir une piste de recherche, mais il n’a rien vu, il est tombé avant de comprendre.
Rebecca marquant une pause, Elin soupira et exposa ses suppositions :
— À ce stade, il est certain que les coupables étaient des magical. Reb a dit qu’elles étaient deux, je parie qu’on ne voit pas leurs visages sur les vidéos, pas vrai ? Mais si on analyse de plus près, c’est des corpulences de femmes et pourtant elles ont sorti à deux un engin qui doit peser au bas mot 500 kg.
— 773kg pour être précis, la corrigea Jessica. Le modèle 4.2 a été réduit à 521kg.
— Ouais, voilà. Mis à part l’utilisation d’exosquelettes dont on trouverait les traces sur les données des caméras à rayon X de la camionnette à son entrée dans l’arcologie, il ne reste que les augmentiques et la magie. Si on ne peut exclure les augmentations, c’est peu probable.
— En effet. Et les caméras biométriques de l’arcologie les auraient sûrement détectés.
— Partons du principe que le vol a été mené par des magical. Soit les deux, soit une seule des deux, doit disposer de pouvoirs basés sur la discrétion : invisibilité, modification d’apparence, déplacement par les ombres, voire peut-être déplacement par les courants électriques. Même si dans ce dernier cas prendre en otage Hall n’aurait pas été nécessaire.
— C’est un fait…, commenta Jessica en se tenant le menton.
— Pour des magical, surprendre et éliminer les deux gardes au poste de sécurité n’est pas un souci. Tuer l’otage était sûrement juste une sécurité, je doute que Hall savait vraiment quelque chose. Quoi qu’on peut supposer qu’elle aurait pu avoir des informations sur une des deux, si on suppose qu’une seule avait des pouvoirs de discrétion…
Ses deux interlocutrices gardèrent le silence, l’évocation de Cassandra Hall ne manquât pas d’assombrir leurs visages.
— Sinon, où a été retrouvé le corps de Cassandra au juste ? Comment ont été tué les deux victimes d’ailleurs ?
Rebecca regarda douloureusement Jessica, puis répondit :
— Dans le couloir, devant la porte. Une arme blanche a perforé son dos jusqu’au cœur. Pareil pour Jonathan et Brad. Dans le cas de ce dernier, l’exécution a sûrement été trop hâtive : la lame n’a fait que frôler le cœur, c’est pourquoi il a réussi à survivre. Les enregistrements nocturnes du bâtiment ont été coupés, mais les coupables ont pris soin de ne pas activer l’alarme automatique. De la même manière, elles ont réussi à s’occuper des enregistrements des autres postes de sécurité sans qu’aucune alarme ne s’enclenche.
Elin jeta un regard interrogateur à Jessica qui lui expliqua qu’il s’agissait d’une mesure de sécurité. Si les appareils tombaient en panne ou étaient brisés, voire l’enregistrement arrêté sans les codes d’accréditation (que même les gardes n’avaient pas), une alerte était envoyée au poste de sécurité de l’étage ainsi qu’au poste de sécurité central de l’arcologie.
En effet, Jessica expliqua qu’il y avait deux salles de sécurité à l’étage où se trouvait la machine d’Éveil : une contrôlait uniquement les enregistrements du laboratoire et donc de la machine, tandis que l’autre les enregistrements de tout le reste du bâtiment. Et enfin, un poste central récupérer les données des différents bâtiments du complexe.
Cette nuit-là, seules les employés de la première salle travaillaient.
— On ne trouvera rien de plus dans cette pièce, annonça Elin. Je peux voir les enregistrements ?
— T’as une idée ?
— Beaucoup trop, mais rien de concret. Allons-y.
Suivant la demande d’Elin, les trois femmes s’en allèrent au poste de sécurité général : c’était l’endroit où il était possible d’obtenir le plus d’informations et c’était également là où se trouvaient les deux mahou senjo de la sécurité.
Ces dernières s’excusèrent maintes et maintes fois de leur échec, elles n’avaient réellement rien remarqué et avait été incapables d’arrêter le vol. Jessica les rassura et s’accabla à son tour de la faute de ne pas avoir été présente le jour de l’incident.
Passant à côté des formalités et des excuses répétées des employés qui vinrent se rajouter à la conversation, Elin insista pour que Rebecca lui montrât les enregistrements.
Sur l’un de ces derniers, filmé par un ensemble de caméras extérieures au laboratoire, on pouvait voir deux personnes encagoulées, en train de charger un objet volumineux à l’arrière de la fourgonnette. Même si caché sous une bâche, la taille de l’objet correspondait parfaitement à la machine d’Éveil.
Suite à quoi, la camionnette se dirigea sans perdre de temps jusqu’à la sortie, où un contrôle d’identité sommaire fut mené, puis quitta l’arcologie sans heurts.
— Vous n’inspectez pas les véhicules qui sortent ? demanda Elin.
— Non, cela nous avait semblé inutile jusqu’à présent.
— Ouais, ça se comprend, vous faites confiance à votre système de sécurité et vous vous inquiétez plus de la sécurité que de l’espionnage… Dis, le livreur c’est Joseph Hermann, c’est ça ?
— Oui, c’est bien lui qu’on peut voir dans la camionnette à l’arrivée et à la sortie.
Rebecca lui montra les vidéos où on pouvait voir un homme barbu au volant ; il était accompagné d’une femme blonde un peu masculine.
— Il n’a changé de véhicule par hasard ? C’est une faille dans votre sécurité : le numéro d’immatriculation du véhicule utilisé par le livreur ne figure pas dans les informations de vérification. Vous contrôlez la personne et non le véhicule. Pour améliorer la sécurité, demandez à ce que le livreur signale avant livraison le véhicule, voire demandez à ce qu’il utilise toujours le même. C’est ce que je ferai, perso.
— Maintenant que vous le dites… Je vais prendre en compte votre remarque pour améliorer nos système et aller de ce pas demander aux gardes de l’entrée s’ils ont des informations à me donner sur le véhicule. Veuillez m’attendre, je vous prie.
Rebecca quitta la pièce en laissant seule Elin. Elle réfléchissait alors que Jessica vint la rejoindre.
— Ce sont de braves filles… Ça me désole tellement qu’elles se sentent si coupables envers moi…
— C’est plutôt rassurant, au contraire. Au moins, il y a peu de chance qu’elles soient les coupables.
— Bien sûr que ce ne sont pas elles !
— Désolée, je n’exclus personne. Mais je doute sincèrement qu’elles soient dans le coup. Pour faire simple, à ce stade, je suis presque sûre qu’il y a un traître dans tes rangs. Les personnes qui t’ont volé savaient précisément où se trouvaient les caméras, connaissaient les codes pour retirer les enregistrements et toutes les procédures de sécurité en détail. Impossible pour quelqu’un de l’extérieur. Quant à la raison du vol, il me paraît clair que cette personne travaille pour un de tes rivaux : un espion, en gros.
Les conclusions d’Elin étaient logiques, Jessica aurait préféré ne pas les entendre, elle aimait tous ses employés, ses chercheurs et ses élèves. La présence d’un traître était détestable au plus haut point.
Finalement, Rebecca débarqua à la hâte dans la salle. Essoufflée, elle annonça :
— La camionnette n’était pas la même selon l’un des gardiens !
— Nous tenons une piste, déclara Elin. Jess, allons-y. Reb, bon travail, t’es une bonne fille.
Les yeux de Rebecca s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise et de l’agacement : elle se sentit embarrassée de recevoir ces compliments puérils, d’autant plus qu’elle n’aimait pas Elin. À ses yeux, c’était une personne détestable et peu fiable qui avait réussi d’une manière ou d’une autre à s’octroyer les faveurs de sa patronne.
Jessica félicita Rebecca à son tour et, après avoir salué tout le monde, rapidement, les deux mahou senjo vétéranes quittèrent l’arcologie.
***
Après avoir présenté leurs badges certifiant leur statut de magical wargirls, Elin et Jessica purent avoir une entrevue dans le bureau du chef de police en chef : Arthur D. Clayne.
Il s’agissait d’un homme d’âge mur, à la mine sévère et aux petits yeux inquisiteurs. L’actuel chef de la police municipale de Los Angeles était une personne réputée intègre, exigeante et intransigeante face à l’injustice et à la corruption. Même s’il n’était pas unanimement apprécié au sein du corps de police, les citoyens aimaient la sécurité qu’il apportait à la ville.
Même si quelques opposants rétorquaient qu’il favorisait les quartiers riches, les chiffres montraient au contraire que l’actuelle LAPD intervenait bien plus fréquemment qu’autrefois dans les quartiers les plus pauvres.
Le corps de police avait été restructuré suite à sa disparition au cours de l’Invasion, mais la nouvelle LAPD reprenait plus ou moins le même fonctionnement que l’ancienne. Aux US Reborn, la LAPD était devenue la police la plus importante et riche puisqu’elle couvrait la sécurité de la ville la plus influente du pays.
Même dans les actuelles US Reborn, l’organisation de la police était particulièrement complexe : il existait un grand nombre d’organisations s’occupant de la défense territoriale avec des attributions différentes. On aurait pu penser que, puisque la taille du territoire et les effectifs démographiques du pays avaient été considérablement réduits par rapport à l’époque, la nécessité d’une telle structure n’existait plus, mais la politique des US Reborn, favorisant « le retour au monde tel qu’il était », avait au contraire tenu à la restaurer en l’état. Le résultat était qu’il y avait nombreuses postes et attributions qui ne servaient plus réellement.
Même si les mahou senjo était un corps militaire et non policier, elles travaillaient fréquemment avec les forces de l’ordre, aussi des organismes de gestion spécifiques à leurs interventions avaient été crées. Parmi eux, le très célèbre OSAC, Occult Specialist Arrestation Cops, département de traque occulte, qui était sans conteste celui qui avait le plus de relations avec les mahou senjo puisque certaines travaillaient dans leurs rangs.
De récents sondages avaient mis en lumière que la population se sentait bien plus rassurée par un corps de défense mixte, faisant travailler de concert les magical girls et les policiers, et c’était pourquoi certains candidats politiques promouvaient à présent la création de plus de départements de police mixte dans leurs programmes.
Contrairement à Kibou où les mahou senjo disposaient d’un rang supérieur à la police et pouvaient même dans le cadre d’opérations en prendre un commandement limité, aux US Reborn les deux institutions étaient séparées et les magical wargirls ne disposaient pas de droits particuliers.
Aussi, malgré les faits d’armes de Jessica et son ancien rang, elle ne pouvait exiger des informations, elle était obligée de demander cette faveur au chef de police en chef. Quant à Elin, en tant que mahou senjo de Kibou, elle était considérée comme une diplomate et n’avait officiellement pas le droit d’intervenir avait d’avoir obtenu un contrat d’embauche.
Lorsque Jessica avait appris d’Elin ses intentions d’avoir accès aux registres de la LAPD dans le cadre de l’enquête, elle avait tout de suite blêmi et avait fait montre de découragement et démotivation.
— Quoi ?! Tu veux qu’on aille voir l’autre ogre ? Il va jamais accepter, tu sais ?
— Pourquoi il ne le ferait pas ?
— Déjà parce qu’il n’est pas obligé. Puis, parce qu’il n’aime pas les magical des corpo…
— Décidément, je sais pas comment ce pays tient la route. Même pour des prérogatives de sécurité, il te lâcherait pas les infos ?
— Tu n’as jamais rencontré Arthur, ça se voit… Pfffff ! Ma journée devient de pire en pire…
Jessica, qui à cet instant n’avait pas encore allumé le moteur de la voiture, avait soupiré profondément tout en laissant tomber ses épaules, tandis qu’Elin l’avait observée avec son regard impassible habituel.
— Bon écoute, demi-portion, on a peut-être une carte à jouer, mais faudra être subtiles. Tu me laisses affronter seule l’ogre, tu restes à mes côtés et tu te tais ! S’il accepte, tu pourras m’aider pour l’enquête, mais la diplomatie il y a aucune chance que tu puisses y arriver. D’ailleurs…
Elle avait scruté Elin de bas en haut, puis de haut en bas, puis avait affiché un petit sourire sadique :
— Si tu veux m’accompagner, va falloir t’habiller mieux que ça. Il est vieux jeu, il va me refuser direct s’il me voit avec une gamine comme toi.
Elin l’avait observée un moment sans rien dire, puis avait déclaré :
— Je sens l’excuse moisie… Ça te fait tellement plaisir de me faire porter des trucs qui ne me représentent pas ?
— Ouais, carrément !
— Et tu oses même l’avouer ?
— Je ne vois pas le problème. C’est toi qui devrait te sentir honteuse de donner une telle image de toi alors que tu es la mahou senjo numéro une de Kibou. Personnellement, j’évite de le dire aux gens d’ici, imagine l’impression que tu vas laisser de ton pays…
Bien sûr, Jessica avait exagéré un peu, mais elle n’avait jamais supporté le style vestimentaire d’Elin.
— Les gens sont chiants… Je suis une mahou senjo, pas une top model, bon sang. Bon, OK, mais juste le temps du commissariat, après je reprends mes vêtements normaux.
Les yeux de Jessica s’étaient écarquillés sous l’effet de la surprise : une si faible résistance était suspecte.
— Quoi ? Un problème ?
— Je… je… tu n’es pas la vraie Elin, confesse ! Monstre !
Sur ces mots, Jessica avait lâché le volant et avait commencé à tirer les joues d’Elin comme pour lui retirer son masque de chair. Mais, cette dernière avait fini par lui donner un coup sur la tête.
— Ça fait mal… Tssss ! C’est moi, OK. Arrête tes délires, Jess.
— J’hallucine ! Elin qui accepte de porter autre chose qu’un sac à patates ! Whoooo ! Je crois que c’est le plus beau jour de ma vie… malgré les circonstances tragiques !
Elin n’avait dit mot, mais son regard avait paru encore plus vide que d’habitude. À ses côtés, Jessica avait joint les mains et avait remercié le ciel.
Suite à cela, sans perdre de temps et enfreignant les limites de vitesse à plusieurs reprises, comme si elle avait eu peur que sa collègue n’eut changé d’avis, elles s’étaient rendues dans un magasin de vêtements où Jessica avait choisi nombre de tenues.
— Bon écoute Jess, je regrette déjà d’avoir accepté. Je faisais ça pour que l’enquête avant, mais je suis pas ta poupée, OK ?
— Oui, oui, bien sûr ! Tu n’es pas une poupée…
Mais les yeux brillants de Jessica n’avaient pas du tout indiqué que le message était passé. Elin avait grimacé et observé les robes : pour elle, ce n’était là que du tissu, elle n’en avait eu que faire de la mode et des apparences.
— Donne-moi celui qui sera le mieux pour voir le chef de la police, on va pas tenir un salon ici. On est pressée, je te rappelle.
— Évidemment, tu me prends pour qui ? Si tu n’étais pas si petite, je t’aurais juste conseillé un tailleur, mais non seulement ça ferait carrément louche sur toi, mais en plus aucune chance d’en avoir un our une fillette d’un mètre quarante. Que dis-tu de cette robe ?
— Je m’en fous, Jess. J’en prends qu’une, choisis à ma place…
Finalement, avec un tel pouvoir de décision, Jessica avait souri à nouveau et, quelques dizaines de minutes plus tard, Elin avait été totalement transformée. Même si elle lui avait dit de ne pas jouer à la poupée avec elle, Jessica n’avait pu s’en empêcher.
C’est donc une Elin en robe blanche de style lolita, avec des rubans et des dentelles en forme de roses qui arriva au commissariat principal de la LAPD. Elle n’était clairement pas l’aise dans cet attirail, mais puisqu’elle avait un naturel impassible, personne ne pouvait s’en rendre compte.
Même si le choix de cette tenue tenait de la lubie de Jessica, elle lui allait vraiment bien. Elin fit une bonne impression sur l’ensemble des policiers qui la croisaient. Puisqu’il était impossible de donner une allure stricte à Elin, Jessica avait pensé que jouer sur le côté mignon était la meilleure stratégie. Son pari semblait gagné.
Même si les deux magical wargirls ne pouvaient rien prétendre de la police, l’entrevue avec leur chef ne pouvait pas leur être refusé. Arthur D. Clayne fut immédiatement prévenu et sans les faire patienter on les accompagna jusqu’à son bureau.
Les réputations de Jessica et d’Elin étaient bien sûr la raison majeure de cette vitesse, le chef de la police n’était pas sans connaître de telles personnalités du monde occulte.
— Que puis-je faire pour vous, Miss Whitestone ?
Conformément aux plans, Elin ne dit mot, elle avait simplement salué de la tête. Elle s’assit sur la chaise et fixa le lointain.
— Monsieur Clayne, c’est un plaisir de vous revoir. Je suis venue solliciter un service à votre département.
— Quel est-il ?
— Nous aurions besoin d’informations concernant un véhicule qui est entré dans mon arcologie et qui est suspecté de transporter de la marchandise volée.
— Voyez-vous ça ! Désolé, Miss Whitestone, mais les affaires qui se déroulent à l’intérieur des arcologies ne sont pas du ressort de la LAPD, annonça Arthur avec une voix sèche tout en croisant les mains devant lui. Vous fallait-il autre chose ?
— Les agissements des voleurs à l’intérieur de l’arcologie ne sont certes pas vos affaires, mais la circulation de véhicule volé dans les rues de Los Angeles est votre attribution, n’est-ce pas ? De même, l’usurpation d’identité d’honnête citoyen l’est également, si je ne m’abuse.
Le chef de la police observa sans mot dire Jessica : il s’attendait à ce qu’elle joue la maligne, les magical wargirls abandonnaient rarement aussi facilement.
— Écoutez, je n’ai que peu de temps. Expliquez votre demande jusqu’au bout.
Même s’il affirmait le contraire, il était malgré tout intéressé. En tant que dirigeant de la police de la ville, s’il pouvait d’une manière ou d’une autre démontrer l’efficacité de son service et démontrer l’incompétence des corporations par la même, il ne pouvait qu’examiner la situation.
— En fait, la société Angel Society, un de mes fournisseurs, a vu son identité usurpée dans le cadre d’une intrusion dans mon espace privé. Madame Hermann a déposé plainte tout à l’heure à ce propos.
En effet, sur la route, Jessica avait contacté Madame Hermann et lui avait demandé de ce faire. Cette dernière avait déjà signalé la disparition de son mari quelques jours plus tôt.
— Les personnes à l’origine du vol dans mon arcologie sont également coupables d’avoir voler un véhicule, d’avoir usurper l’identité de Monsieur Joseph Hermann et d’être responsables de sa disparition. Ce sont trois délits qui tombent sous votre juridiction et que je pourrais élucider avec l’aide de ma collègue ci-présente si vous nous laisser l’accès à ces quelques informations. Bien sûr, nous ne comptons pas nous octroyer le mérite, c’est bel et bien la LAPD qui aura mis la main sur ces dangereux criminels.
C’était l’étape une de son plan pour le convaincre : lui laisser le mérite de l’affaire. Ce n’était certes pas une grosse affaire criminelle, mais Arthur D. Clayne était le genre de personne méticuleuse qui pensait que même les petites victoires apportaient leur profit ; Jessica le connaissait plutôt bien.
Pour sa part, elle n’en avait que faire de la gloire, tout ce qui lui importait c’était de reprendre la machine d’éveil sans qu’aucun autre incident ne se produisît. Elle ignorait ce que les deux voleuses comptaient faire de cette machine, mais c’était-là un objet bien trop dangereux.
Puis, elle le devait à la mémoire des deux personnes qui avaient essayé de la protéger, des employés précieux et des vies inestimables.
Le chef de police réfléchit un instant, puis adoucissant légèrement ses traits, il déclara :
— Entendu, j’accepte votre marché. Toutefois, sachez que vous n’aurez accès qu’à peu de choses, le devoir de la LAPD est de défendre la vie privée de ses citoyens, vous n’accéderez qu’aux données publiques.
— Fort bien, je n’en demande pas plus. Merci à vous, Monsieur Clayne. Nous allons donc vous laisser, nous ne voudrions pas voler plus de votre temps.
Jessica se leva et salua de la tête, Elin fit de même. Elles se dirigèrent vers la sortie lorsque le chef de police exprima d’une voix distante :
— Au fait, la semaine prochaine aura lieu la journée des bienfaiteurs de la justice, j’espère vous y voir, Madame Whitestone.
— Certainement, Monsieur Clayne, je n’y manquerai pas.
Elles quittèrent le bureau. Immédiatement, Jessica soupira lourdement, elle semblait exténuée.
— J’aurais préféré affronté Chtulhu, sérieux ! J’ai du mal avec ce genre de personnes…
— Je trouve que tu t’en es bien tirée, dit Elin.
— Ah euh… merci…
Jessica rougit et en détourna timidement le regard.
— En fait, Jess…
— Oui ?
— Cette histoire de lui laisser le mérite et tout ça, c’est qu’un prétexte, pas vrai ?
— Que veux-tu dire ? demanda Jessica avec un faux air d’innocence.
— La journée des bienfaiteurs de la justice… Je suppose que c’est un événement portes ouvertes où les riches de la ville viennent donner des pots-de-vins à la police en échange d’une bonne protection de leurs quartiers, non ?
— Tu sais qu’on est encore au commissariat, non ? Tourne ta langue dans ta bouche avant de dire des trucs pareils…, s’énerva Jessica.
Elin ne dit mot et pendant quelques instants elles se turent toutes les deux. Finalement, avec un air détaché, Jessica dit :
— J’y enverrais Rebecca. J’espère être repartie à Kibou d’ici la semaine prochaine…
Il n’y avait pas besoin d’en dire plus, le message était clair : même la police avait sa part de corruption et Clayne, malgré sa réputation, n’y faisait pas exception.
— Décidément, je pense vraiment que les reborniens ont oublié la survie à force de se prétendre en paix…
— Tssss ! Je t’ai dit de te taire, demi-portion. Garde ce genre d’avis pour toi !
Bien sûr, Jessica pensait de même. C’était une des nombreuses raisons pour laquelle elle se sentait mieux à Kibou qu’aux US Reborn, où elle était pourtant née.
Mais ce n’était ni le lieu ni le moment…
***
Quelques minutes plus tard, dans l’un des bureaux du commissariat, deux policières s’occupaient de la demande de Jessica.
— Oh ! Qu’elle est mignonne ! s’écria une des deux, une femme blonde portant ses cheveux attachés. Elle parle l’anglais ?
— Oui, même très bien, répondit Jessica à la place d’Elin.
Elle était d’un seul coup plus détendue : les deux policières étaient moins sévères et protocolaires que leur chef et surtout… elles avaient de grosses poitrines que les chemises bleues de leurs uniformes mettaient en valeur. Jessica n’y était pas insensible.
La seconde policière, une brune à lunette, se rapprocha d’Elin et lui tendit la main pour la saluer. Sa collègue fit rapidement de même.
Elin jeta un coup d’œil à Jessica, qui lui rendit un sourire moqueur, puis joua le jeu et accepta de leur serrer la main.
— Whaaaa ! Quelle peau douce !
— Les kibanaises ressemblent vraiment à des poupées !
— Oui ! Je voudrais la même à la maison !!
L’ambiance était décidément bien plus détendues, elles n’étaient que toutes les quatre dans la pièce, personne d’autre ne pouvait assister à ce spectacle, heureusement pour les deux policières.
Pendant quelques minutes, Elin fut au centre de leur intérêt, Jessica ne tarissait d’éloges et de commentaires pour piquer plus encore leur intérêt. Elle se targua bien de leur dire qu’il s’agissait de la redoutable Athanor des Flammes Noires, une des Cinq Invincible. Elle se contenta de déclarer qu’il s’agissait d’une amie qui profitait d’une mission pour faire du tourisme.
Finalement, la policière à lunette s’installa face à un ordinateur et invita Jessica et Elin à faire de même ; sa collègue s’occupait de rapporter des cafés.
C’est là qu’Elin prit la relève, elle expliqua sa demande à la policière : elle avait besoin d’information sur une fourgonnette d’un ancien modèle et suivant un numéro d’immatriculation spécifique.
En effet, sans être une experte en mécanique et voitures, Elin s’était rendue compte qu’il s’agissait d’un modèle d’avant l’Invasion, elle se souvenait en avoir vu à la télévision. Il s’agissait d’une conception typiquement américaine qu’on ne voyait plus du tout dans l’actuel Kibou (les voitures n’était pas ce qui s’exportait le plus dans le monde post-Invasion).
La policière confirma ses soupçons :
— Ah oui ! En effet, ce modèle de Ford est devenu très rare… Actuellement, la plupart sont des moteurs hybrides et la forme a bien changé aussi.
— Tu avais remarqué ça, Elin ? demanda Jessica surprise.
En effet, Elin lui avait indiqué qu’elle voulait faire des recherches sur la camionnette, mais n’avait jamais mentionné la question du modèle.
— Ouais… Disons que je ne suis pas experte, donc je n’étais pas sûre, mais ça m’a interloqué.
— Eh ben…
Même Jessica était impressionnée, Elin n’avait même pas de permis de conduire (à l’armée, on avait tenté de lui le faire passer, avant de se rendre compte qu’elle était trop petite et qu’elle ne pourrait pas conduire les véhicules militaires) et n’était pas une passionnée par les moteurs, remarquer un tel détail ne faisait que mettre en lumière une fois de plus son incroyable conscience des détails de son environnement.
— Vous avez l’œil en tout cas, dit en souriant la policière. Alors voyons voir… pour le numéro de plaque, voilà ce que ça dit…
La fourgonnette avait été volé la semaine précédente et une déclaration avait été déposée, la LAPD avait commencé à monter un dossier. L’enquête était d’ailleurs en cours. Le véhicule appartenait à un particulier, un certain Federico Johnson, un employé d’une corporation, ce qui signifiait que nombre d’informations à son égard ne leur étaient pas disponibles (voire étaient même inconnues des services de police).
— Pour quel corporation travaille-t-il ? demanda Jessica en fixant l’écran.
À ce moment-là, l’autre policière revint en portant un plateau avec les cafés.
— J’ai apporté du sucre et du lait pour vous, ma petite dame !
Elle avait pensé faire plaisir à Elin en lui apportant de quoi rendre son café noir moins amer. Généralement, les filles comme Elin avaient tendance à s’offusquer qu’on les prenne pour des enfants, mais elle n’en avait cure ; sans scrupules, elle ajouta du lait et du sucre à son café tout en remerciant la policière qui paraissait satisfaite.
Jessica, pour sa part, le but tel quel, elle darda une œillade condescendante à Elin qui semblait lui dire : « sale gamine ! ». Leur relation avait toujours été ainsi.
— Attendez, ça je peux vous le dire… ChangeLife. Ah oui ! C’est une corporation assez connue.
Jessica ne dit mot, mais Elin ne manqua pas de remarquer que le nom de cette organisation avait produit une certaine réaction.
— D’accord. Pourrait-on suivre le véhicule sur les caméras de surveillance publique ? demanda Elin sans prêter plus attention à Jessica.
— Tant que c’est sur les caméras publiques, aucun problème. Par contre, vous avez un…
— … nous avons leur point de départ, l’interrompit Jessica. La camionnette est partie de mon arcologie, BioMagiTec Inco à 2h08, qu’avez-vous comme caméra à proximité ?
L’opération prit pas mal de temps, il leur fallut plus d’une heure pour retracer plus ou moins les déplacements du véhicule sur les caméras. L’opération aurait été encore plus complexe et sûrement impossible si le modèle de la camionnette n’avait pas été si remarquable. D’après la policière qui avait de bonnes connaissances en la matière, il devait y avoir moins d’une cinquantaine engins du genre en ville et une bonne partie faisaient partie de collections privées.
Au final, le jeu de piste les mena jusqu’à la sortie de ville sur une route surnommée « Old Boulevard », un tronçon qui n’était plus très utilisé et qui reliait à l’ancienne Los Angeles. Cette large rue avait été très utile lors des travaux, mais puisqu’elle menait aux ruines de l’ancienne cité, elle avait perdu tout son intérêt. Elle avait été conservé simplement par souci d’économie, sa destruction coûtait mais ne rapporterait.
Les ruines de l’ancienne ville de Los Angeles étaient à l’instar de cette route, abandonnées. La majeure partie s’était effondréeen raison du temps et du manque de maintenance. De plus, les rumeurs parlaient de monstres horribles qui s’y cachaient, aussi rares étaient ceux qui s’y risquaient.
— Ah ? Votre type partait vers la « cité des récupérateurs » ? Je ne sais pas ce qu’on vous a fait, mais le coupable voulait vraiment noyer la piste. Il n’y a de plus en plus de gens louches récemment qui se lancent dans des récupérations…, expliqua la policière à lunettes.
Tout de suite après le déménagement de Los Angeles à son emplacement actuel, la municipalité avait rémunéré ceux qui prenaient le risque d’explorer ces ruines et d’en ramener les biens publics pour qu’ils fussent restaurés. Mais cela faisait longtemps que cette campagne s’était achevée. Il n’y avait plus que des pilleurs et des sans-abris qui s’y aventuraient. Les plus sombres rumeurs parlaient également de cultes impies qui s’y cacheraient, mais l’OSAC démentait fréquemment ces déclarations.
— Nous tenons une piste, Elin ! Allons-y !
— Attends… Euh… Vous pouvez lâcher mes cheveux ? demanda Elin en se tournant vers la policière blonde qui n’avait eu de cesse de caresser ses couettes.
— Ah désolée ! s’excusa cette dernière en riant innocemment.
— Vous avez des contrôles pour les sorties de la ville ? demanda Elin.
— En fait, il suffit de biper sa carte de citoyen au portique… Ah ! Mais oui ! Suis-je bête !
La policière se mit à pianoter sur son clavier pour lister les sorties par ce poste de garde à l’heure et à la journée indiqué, puis afficha les détails en cliquant sur le numéro d’immatriculation correspondant au véhicule recherché.
— L’enregistrement est au nom de Monsieur Joseph Hermann. Ça vous dit quelque chose ?
— Nos suspectes lui ont volé ses papiers… Comment se fait-il que vous n’ayez pas cherché de ce côté-là depuis sa disparition ? demanda honnêtement Elin.
— Ah euh… ce n’est pas moi qui m’occupe du dossier, mais je suppose que mes collègues sont sûrement partis du principe qu’il devait avait été séquestré en ville. Les disparitions ne sortent que rarement de l’enceinte de Los Angeles…
Bien sûr, elle avait l’air un peu gênée, mais elle ne mentait pas. Elle n’avait pas accès au dossier sur l’affaire Hermann et, comme elle l’avait dit, la plupart des cas de disparitions étaient intra-muros.
— Rarement… ? dénota Elin.
— Nous n’avons pas le temps. Merci à vous, vous avez fait de l’excellent travail ! On y va, Elin : tout de suite !
Cette dernière se leva, salua de la main les deux policières, ce qui les fit littéralement tomber d’amour, puis suivit Jessica dans la voiture.
Une fois assise à la place passagère, elle tourna sa tête vers la conductrice, sans rien dire, attendant la réponse à la question implicite de pourquoi cette soudaine hâte.
— Bon écoute, ce n’est pas connu du public…, commença à expliquer Jessica en prenant une profonde inspiration. En fait, il y a quelques cas chaque année de disparitions irrésolues, sûrement des gens qui sont enlevés par les cultistes.
— Je m’en doutais.
— Bien sûr, la police minimise le problème, mais en vrai c’est plutôt préoccupant. Il y a au moins une bonne centaine de personnes qui disparaissent ainsi chaque année. Personnellement, j’ai travaillé déjà sur une affaire du genre et ce qui m’a surprise c’est qu’il n’y ait pas encore de contrôle systématique à la sortie de la ville. Disons que même s’il y a des portiques, au final, il suffit de passer un badge pour sortir alors qu’à l’opposé les contrôles d’entrées sont drastiques.
— Cela correspondrait à la volonté de quelqu’un au pouvoir ?
— J’en ai bien peur… Je suspecte l’un ou plusieurs d’appartenir à un culte influent, mais je n’avais trouvé aucune preuve. Certaines rumeurs parlent d’un réseau de cannibales dans les hautes sphères et d’un culte des goules à l’intérieur de la cité, je suppose qu’ils sont responsables d’un certain nombre de disparitions intra-muros, mais il n’est pas à exclure qu’ils sont en lien avec les cultes des ruines. Bref, ce n’est probablement pas lié à notre affaire.
Elin ne prononça mot, elle semblait pensive. Évidemment, ce genre de choses étaient préoccupantes et même si cela ne se passait pas sur le territoire qu’elle défendait, elle ne pouvait les ignorer.
— J’espère que quelqu’un de bien finira par prendre la tête de ce pays, conclut Elin avant de bâiller. Bon, et sinon, raconte-moi pour ChangeLife.
— Tu sais que t’as le chic pour m’énerver ? Pourquoi en saurais-je plus à leur sujet ?
— Ton sourcil gauche s’est mis à cligner lorsqu’elle a prononcé ce nom. Je me trompe ?
Jessica toucha son sourcil, puis afficha un sourire à la fois amusé et agacé ; évidemment, il s’agissait d’Elin.
— En fait, cette corporation m’en veut depuis des années, mais je ne sais pas trop pourquoi… Je ne me souviens pas leur avoir fait du tort. Bien sûr, nous avons été en concurrence quelques fois sur des contrats, mais rien d’agressif non plus. J’avoue que ça me dépasse.
— Dans le doute, ce serait pas mal d’aller enquêter chez eux pour découvrir leur implication dans l’affaire. Même si la corpo a déclaré le vol du véhicule d’Hermann, ça n’exclut pas qu’ils soient dans le coup. Au contraire, tout ça tombe trop bien…
— Tu proposes quoi concrètement ?
— Tu vas être contente, je vais garder cette robe encore un moment. Tu vas suivre la trace de la camionnette dans les ruines, et de mon côté je vais m’infiltrer dans la corpo.
— Hein ?
Elin ne cligna pas du regard, elle fixa Jessica pour lui signifier qu’elle était sérieuse.