Chapitre 4

Jessica passa le portique de contrôle de la sortie de la ville en direction des ruines de Los Angeles.

Il s’agissait d’une route asphaltée, plus du tout entretenue, les lourds véhicules qui avaient déménagé des parties entières de l’ancienne cité jusqu’à la nouvelle avaient laissé des traces dans la route qui n’avaient jamais été réparées.

Pour beaucoup, il s’agissait de la route maudite, elle rappelait le passé. La plupart des habitants de la ville ne l’avaient jamais empruntée et nombre ignoraient jusqu’à son existence.

Jessica trouvait cette attitude stupide ; oublier le passé était le meilleur moyen de reproduire à nouveau les mêmes erreurs. Les habitants de la belle et somptueuse Los Angeles fermaient les yeux sur la situation du monde, mais le monde ne les oublierait. Le jour de l’Apocalypse, engrossés par la richesse et adoucis par la paix, ils n’offriraient aucune résistance face à l’ennemi.

Los Angeles ne se préoccupait que d’elle-même, la ville ne défendait pas la région, elle ne défendait que sa propre enceinte. Même en son sein, des conflits politiques entre quartiers étaient fréquents, c’était dire que son regard était incapable de sortir des dômes créant ce paradis artificiel.

À l’extérieur, il y avait nombre de petites villes proches profitant de sa richesse, habitées par des personnes n’ayant pas les moyens pour Los Angeles mais faisant fréquemment affaire avec elle. Tous la regardaient avec des yeux envieux.

Même ceux qui parvenaient à accumuler suffisamment pour espérer y vivre se voyaient souvent refusé ce droit. En effet, toute demande passait par le Bureau Démographique Urbain qui était le seul juge pour attribuer le droit d’immigration dans la cité.

Jessica connaissait bien son fonctionnement, avoir de l’argent ne suffisait pas forcément. Il y avait des pauvres également dans Los Angeles, mais ce que peu savaient c’est qu’ils étaient choisis pour l’être. En effet, ils avaient été sélectionnés pour représenter la misère de la Cité des Anges, réconfortant par leur existence celle des riches. Pour que l’environnement urbain de la cité soit convaincant dans l’esprit de ses habitants, il fallait des pauvres et des riches, cela avait toujours été ainsi.

Dans leur volonté de déni, il fallait que Los Angeles soit identique à celle d’autre fois, les éléments à problème étaient nécessaires. Même si ces derniers avaient été sélectionnés pour devenir la criminalité de la cité, il ne fallait en aucun cas qu’il en deviennent la résistance. Les gangs se faisaient certes la guerre entre eux, mais aucun n’osait pointer sa haine envers le système injuste de la ville de peur d’être exilé et de de devoir vivre dans un monde rempli de monstres.

— Foutus Reborniens avec votre politique de l’autruche ! pensa Jessica en continuant de rouler.

Elle arrivait en vue des ruines de l’ancienne Los Angeles.

L’ancienne cité était devenue un camp de réfugié pour les véritables miséreux, les délaissés de l’État rebornien, côtoyant au quotidien les sorciers, les pires criminels, les psychopathes, les pilleurs et parfois même les monstres.

Telle était la vérité dissimulée derrière le magnifique voile de la cité. Elle, qui était si enviée par le monde entier pour ses prouesses technologiques et économiques, était en réalité pourrie jusqu’à la moelle : c’était un endroit où on fermait les yeux sur la pauvreté et la guerre, un endroit hypocrite où on faisait semblant de vivre dans un monde idéal, allant jusqu’à sacrifier les plus indigents à l’autel de ce désir de déni. La force de ce système avait été de réussir à persuader tout le monde de sa nécessité : pour les habitants de Los Angeles, quelle que fût leur classe sociale, le monde hors de ses murs n’existait pas et, à l’instar de certains hikikomori de longue date, même les mécontents préféraient se cloîtrer dans cette bulle par terreur d’un monde extérieur inconnu et cruel.

Jessica voulut chasser ces tristes pensées, elle monta le volume de la musique métal qu’elle avait mise espérant par ces riffs rapides et puissants les chasser. Malgré sa richesse, elle ne pouvait sauver la cité de sa déchéance et de perte, elle s’en était rendue compte il y a fort longtemps. Tout ce qu’elle pouvait faire était de constituer sa petite arche de Noé par le biais de sa corporation et former les futurs survivants de demain.

— Ça ne va pas être simple de trouver quelqu’un ici, pensa-t-elle en stationnant sa voiture.

Elle avait choisir un bâtiment en ruine à quelques centaines de mètres de l’orée de la ville, elle savait qu’une voiture de luxe du genre n’aurait qu’une espérance de vie limitée à l’intérieur. Elle la cacha donc parmi les débris.

Même si l’armée ne faisait rien pour l’ancienne Los Angeles, Jessica y était de nombreuses fois intervenue pour éliminer des sorciers et des monstres qui terrifiaient et tuaient sans vergogne. D’ailleurs, une part des orphelins de sa corporation provenaient de cet endroit.

Avec sa richesse, elle aurait pu organiser une évacuation des citoyens ailleurs, mais personne ne le voulait. Les autres riches ne l’auraient pas accepté et laissée faire, et les habitants de ce taudis avaient leur propre fierté. De plus, si elle injectait de l’argent dans l’économie locale, il y avait le risque d’enrichir la pègre et les cultistes.

Au début, elle avait essayé de diriger les malheureux vers une des fondations humanitaires qu’elle finançait, mais elle s’était rendue compte que ces délaissés du système n’étaient pas éduqués pour saisir l’aide qu’on leur offrait ; très peu s’y étaient rendus. À présent, elle ne le proposait plus qu’à ceux qui paraissaient réellement vouloir quitter cet endroit insalubre.

Jessica était connue dans les ruines, nombre la surnommaient « l’Ange du Jugement Dernier » ou encore « l’Ange de miséricorde », mais, en contrepartie, elle avait également nombre d’ennemis au sein des cultistes.

Elle quitta son véhicule en espérant le retrouver intact à son retour, puis elle se mit à marcher en direction de l’entrée de la ville.

Les bâtiments partiellement écroulés s’alignaient autour d’elle. Elle se souvenait de ces rues à l’époque où elle avait été enfant, elle venait d’arriver dans l’ancien centre ville où se trouvaient les plus haut building ; en fait, c’était plus ou moins tout ce qui restait de l’ancienne Los Angeles, tout le reste avait été détruit par la guerre, emporté au sein de la campagne de récupération gouvernementale ou tout simplement pillé.

Elle se sentit rapidement observée, elle savait que des habitants craintifs se trouvaient derrière les vitres brisées et les murs en béton.

Soudain, elle s’arrêta en pleine rue et s’écria en jetant des regards autour d’elle :

— Je suis à la recherche de quelqu’un, je ne vous veux pas de mal. Si vous auriez la gentillesse de venir m’informer…

Elle avait l’intention d’offrir une récompense à quiconque viendrait l’aider, mais pas de lui la donner publiquement ; cela attirerait la convoitise et la jalousie des autres. Dans ce but, elle avait caché sur la route un sachet rempli de nourriture que son informateur pourrait aller récupérer à sa guise.

Peut-être quelqu’un la reconnut-elle, peut-être était-ce simplement l’appât d’un potentiel gain, un homme d’âge mûr avec des vêtements simples ouvrit une porte faite de tôle récupérée et répondit à sa demande :

— J’pense pas qu’une dame soit ici au bon endroit, mais j’peux répondre, si tu veux.

— Oh ! C’est fort courtois, fit remarquer Jessica en s’approchant de lui.

— Entrez, dit l’homme en l’invitant de la main.

— Eh bien, merci. J’espère que vous allez pouvoir m’aider…

Mais, à peine entrée, elle remarqua que l’individu n’était pas seul, il y avait deux autres personnes qui pointaient sur elle des pistolets : une femme et un autre homme à l’allure tout aussi miséreuse que le premier homme.

— Vous faites une erreur, expliqua Jessica. Je suis…

— Tais-toi et raboule le fric ! ordonna le premier homme.

— Ouais ! Sale bourge ! Tu viens nous insulter, c’est ça ?! s’énerva l’autre homme.

— Faut être débile pour v’nir ici en tant que grosse dinde de la ville ! fit remarquer la femme.

Jessica leva les mains et soupira. Ce n’était pas une situation qui sortait de ses prévisions, si la ville avait une si mauvaise réputation ce n’était pas pour rien. Elle savait qu’à la base ces personnes n’étaient pas mauvaises, mais elles avaient cédé à la nécessité et la cupidité.

Discuter serait son doute inutile, aussi elle ferma les yeux et en moins d’une fraction de seconde elle se transforma.

À peine les trois la virent-elle sous sa forme de combat qu’ils se mirent à trembler et baissèrent leurs armes en reculant.

— Je vous l’ai dit, je ne suis pas là pour vous faire du mal, expliqua calmement Jessica. Au contraire, si vous m’aidez, vous ne le regretterez pas. Mais évitez de pointer vos armes sur moi, s’il vous plaît.

Elle n’avait vraiment pas lieu de s’en inquiéter, même sa barrière magique réactive elle était capable d’arrêter les tirs de trois semi-automatique 9mm, mais le fait de se faire braquer par des armes demeurait désagréable.

Plus par peur que confiance, les trois posèrent leurs pistolets au sol et levèrent leurs mains avec résignation.

— Je n’avais pas demandé de poser les armes, pensa-t-elle avec dépit. Ils sont tellement habitués à des situations sans espoir qu’ils abandonnent si rapidement… c’est malheureux…

Elle observa la salle dans laquelle elle se trouvait, c’était un endroit très simple avec que du matériel de récupération, insalubre, mal isolée et à l’odeur de béton persistante.

— Écoutez, je cherche une camionnette noire qui serait venue dans votre ville il y a quelques jours au plus tard. Elle était pas mal chargée, je pense qu’elle est restée sur les grands axes. Si vous me dites où elle est allée, je vous en serais reconnaissante.

— Euh… je ne sais pas…, répondit le premier homme.

— Moi non plus…, dit la femme.

Mais le dernier ne répondit pas de suite, il semblait perdu dans ses pensées ; il savait peut-être quelque chose.

— Les personnes qui ont fait entrer ce véhicule dans la ville pourraient être dangereuses. Comme vous le voyez, je suis une magical wargirl, si vous m’aidez, je vous défendrais de cette menace qui risquera de vous tomber dessus tôt ou tard. Vous connaissez les gens de L.A., non ? La plupart se fichent éperdument de vos vies et n’hésitent pas à lâcher des monstres dangereux ici.

C’était une autre horrible réalité de ces ruines : elles accueillaient des laboratoires clandestins où étaient menées soit des expériences sur des êtres humains soit des expériences dangereuses sur des créatures du Mythe.

Il lui était déjà arrivé d’en démanteler l’un ou l’autre, mais ils étaient bien mieux organisés que des cultistes et soudoyaient la loyauté de certains autochtones par le biais d’argent ou d’enlèvements. Elle n’avait jamais pu le prouver, mais Jessica pensait qu’il y avait des corporations derrière ces laboratoires clandestins, voire des officiers de l’armée.

La possibilité que sa machine d’Éveil ait été vendue à ce genre de groupe était élevée, c’était même la piste la plus logique pour le moment.

L’homme se mordit la lèvre et serra ses poings, puis finalement il finit par expliquer :

— Je l’ai vue… elle est entrée dans l’usine… L.A. Motorcycles…

— Vous avez vu par hasard les personnes qui étaient dans le véhicule ?

L’homme nia de la tête, il paraissait très inquiet et il était possible de lire sur son visage un certain regret d’avoir parlé.

— Vous n’avez pas à vous inquiétez, je ne dirais pas que l’information vient de vous. Le local… est-il occupé ? Enfin, je veux dire par « ce genre de personnes » ? Ou alors c’est les cultistes ?

Les trois comprirent l’allusion aux laboratoires qu’elle venait de faire et sursautèrent, c’était un secret tristement connu par les citadins. Au final, que ce fût les laboratoires ou les cultistes, les deux étaient des menaces pour les habitants de cette ville, des autorités à craindre et à éviter.

— Je… je ne sais pas… Possible…

Jessica attendit quelques secondes, puis se détransforma et posa quelque chose sur la table de fortune.

— Merci pour votre information, ça va m’aider. Si vous voulez quitter le quartier, allez à cette agence, c’est un peu loin, mais vous y serez accueillis et vous aurez une nouvelle vie. Quelqu’un de gentil vous prendra en charge, il faudra donc être gentil en retour et ne pas la pointer avec vos armes, OK ?

Sur ces mots, Jessica passa à côté du premier homme et se dirigea vers la porte de sortie de l’habitation. Il ne chercha pas à l’arrêter et l’observa avec surprise.

Avant d’ouvrir la porte, sans se retourner, elle indiqua :

— Au dos de la carte, j’ai dessiné un petit plan. À l’emplacement marqué d’un « X » vous trouverez une récompense pour votre aide. Je vous conseille de l’utiliser pour quitter la ville, mais faites comme bon vous semble.

Sur ces mots, elle quitta la maison sous les regards interdits des trois occupants.

— Tu penses que c’était…

— C’était sûrement elle…

— Aucun doute…

Ce n’était pas la première fois qu’ils entendait parler de cette étrange bienfaitrice, ils savaient qu’elle offrait ce genre de cartes à quelques personnes du quartier et parfois même de la nourriture. Par contre, les rares qui entreprenaient le « périple » ne revenaient jamais. Aussi, au lieu de penser au fait qu’ils pourraient se tirer des méandres de Los Angeles pour une vie meilleure, la rumeur voulait que les malheureux qui essayaient finissaient en tant que cobaye pour des expériences tordues.

— On devrait récupérer la bouffe quand même ? demanda le premier homme.

— Elle est sûrement empoisonné, répondit avec crainte la femme.

— Pour sûr… j’dis qu’on devrait faire comme si rien ne s’était passé, va !

Cette fois encore les ténèbres étaient trop profondément ancrées : personne ne saisit la main chaleureux qu’avait tendu Jessica. La peur et la méfiance étaient plus fortes que l’espoir au sein de ces ruines.

***

Pendant ce temps, une fillette se présenta à l’entrée de l’arcologie ChangeLife, locaux d’une corporation dont la spécialité était à la base la domotique mais qui avait étendu son activité à bien d’autres domaines.

La disposition de l’arcologie était bien différente de celle de BioMagiTec, cette dernière était un pôle d’étude et de recherche, alors que ChangeLife disposait d’une devanture commerciale accessible au public.

Comme toutes les corporations, une machine d’éveil devait se trouver à quelque part dans la partie réservée au personnel.

Se mêlant à la foule, Elin, toujours vêtue de sa tenue de poupée, avait ajouté un élément à son déguisement : elle serrait à présent dans ses bras une peluche de lapin. On aurait réellement pu croire qu’il s’agissait d’une fillette de dix ans, voire moins.

— Si c’est ChangeLife qui est derrière tout ça, pensa-t-elle, la machine d’éveil ne doit pas être le vrai objectif. Étonnant d’ailleurs qu’ils n’aient pas volé les recherches plutôt, une corporation serait plus intéressée par ce genre d’éléments.

Elle n’avait pas questionné Jessica concernant les informations relatives à la protection des données de recherche, mais sûrement devaient-elles être stockées sur un serveur de données interne à l’arcologie. Jessica avait cela dit laissé entendre que la sécurité de ses employés passait avant celle des données, aussi il était fort probable que leur sécurité fût inférieure à d’autres corporations.

De manière surprenante, le plan d’infiltration d’Elin, pourtant très simple, se révéla plutôt efficace. Elle pénétra dans la zone réservée au personnel en passant par un des magasins de l’arcologie et, l’air de rien, souriant aux employés, elle commença à se promener. Personne ne lui demanda ce qu’elle faisait là.

— Avoir l’air d’être au bon endroit, ça suffit souvent, pensa-t-elle en jetant un coup d’œil à un plan d’évacuation d’urgence accroché dans un couloir.

Elle n’avait pas d’objectif précis, elle était simplement venue là pour chercher des informations et des indices prouvant leur implication dans l’affaire du vol.

Pendant qu’elle observait le plan, quelqu’un se rapprocha d’elle :

— Vous cherchez quelque chose, Mademoiselle ? demanda un employé qui devait mesurer plus d’un mètre quatre-vingt-dix d’origine afro-américaine.

L’homme, bien trop haut pour pouvoir bien distinguer le visage d’Elin, s’accroupit pour être à son niveau.

Elin ne savait pas bien joué la comédie, elle comptait uniquement sur son physique pour tromper la vigilance. En effet, qui se méfierait d’une petite fille ?

Confrontée à cette question, son visage et ses yeux impassibles pouvaient la trahir, elle devait trouver une manière de s’en sortir.

Aussi, elle leva sa peluche et la mit devant son visage, faisant semblant d’être intimidée et peureuse.

— Je… je… je viens voir papa…

— Oh ! Et comment s’appelle ton papa, ma jolie ?

L’homme commença à lui caresser la tête, même s’il ne pouvait voir son visage derrière la peluche.

— Les enfants sont vraiment les espions du monde, pensa Elin. J’ai rien à faire là, méfie-toi un peu, bon sang !

Mais sa bouche ne prononça évidemment pas ces paroles, elle continua à jouer le jeu :

— Federico Johnson…

Elle avait utilisé le nom de l’employé à qui appartenait la fourgonnette et qui avait signalé sa disparition une semaine avant l’incident.

Elle prenait certainement un risque en dévoilant le nom d’un suspect de cette manière, mais selon son jugement c’était plutôt le contraire : en effet, utiliser un faux nom aurait été bien plus risqué. Bien sûr, elle aurait pu inventer un nom des plus génériques, un nom qu’il était presque obligatoire de trouver dans une entreprise de cette taille, mais elle était plus crédible en citant un réel employé.

Néanmoins, il existait également une probabilité que ce nom n’éveillât les suspicions, mais cela impliquerait que son interlocuteur fasse partie des coupables or tomber par hasard sur une telle personne aurait été extrêmement malchanceux.

— Les probabilités des fictions et de la réalité sont très différentes, se dit intérieurement Elin. Les chances qu’il fasse partie du plan sont vraiment très basses, mais au pire je pourrais toujours en apprendre plus en fonction de sa réponse.

Un instant, elle crut que cette probabilité improbable allait se produire alors qu’elle aperçut le visage de l’homme afficher une expression de soudaine surprise, mais aussitôt il demanda :

— Tu es Marguerite, la fille de Johnson du 23ème ?

— Oui…

Elle venait d’apprendre deux informations intéressantes d’un seul coup. Elle aurait aimé l’interroger plus quant à la position de Johnson, mais elle venait de devenir sa fille, elle ne pouvait plus se le permettre.

— Oh ! Ça fait tellement longtemps que je voulais voir sa fille. Enchanté, Marguerite !

L’homme tendit son énorme main vers Elin qui baissa légèrement sa peluche pour l’observer. Continuant de jouer le jeu, elle se cacha aussitôt en ignorant la salutation qui lui était adressée.

Bien sûr, l’homme sourit, mais ne s’en offusqua point : c’était une fille timide, il n’y avait aucune raison que cela paraisse étrange.

— Je m’appelle Brad, je connais un peu ton papa. Nous avons travaillé ensemble l’an dernier sur le projet Denver Zero, mais je vais pas t’ennuyer avec ça. Viens, je t’amène à l’ascenseur, une fois en haut, tu demanderas de l’aide à la gentille dame de l’accueil, d’accord ?

Elin hocha de la tête et accepta de suivre le géant.

De son point de vue, c’était une excellente opportunité qui lui était offerte de se promener en toute impunité, elle espérait simplement que la relation entre les deux hommes n’était pas réellement si amicale au point que Brad ne contactât Johnson, sinon sa couverture risquerait de sauter.

Mais considérant le fait qu’il ne connaissait que le nom de Marguerite et qu’il n’avait jamais vu une photo d’elle, il était plus probable de les considérer comme de simples collègues de travail, soit des personnes qui ne se parlaient qu’à l’occasion en salle de réunion, devant un café en salle de repos ou encore aux repas d’entreprise.

Elle se laissa donc amener jusqu’à l’ascenseur où les autres employés la regardèrent avec tendresse, il n’était pas si fréquent de voir une fillette si calme et ressemblant à une poupée dans les locaux.

Brad la salua de la main, puis la porte de l’ascenseur se referma.

Que devait-elle faire ? Se rendre au bureau de Johnson pour en savoir plus sur le plan ? Était-il réellement si impliqué dans l’affaire que les dirigeants lui laissaient avoir des dossiers compromettants dans son bureau ?

D’ailleurs, comment s’y prendrait-elle ?

Elle avait pu leurrer Brad, mais Frederico connaissait forcément le visage de Marguerite.

D’après les fichiers du commissariat, la camionnette était le véhicule personnel de Johnson, l’affaire n’avait peut-être pas de connexion avec ChangeLife. Il était d’ailleurs plus probable que si des preuves compromettantes existassent, elles étaient au domicile de l’homme.

Mais la théorie la plus probable restait celle de penser que ChangeLife lui avait demandé de déclarer le vol de son véhicule et de le mettre à disposition de l’entreprise sans rien lui expliquer. Voire, si les suspects étaient malins, ils ne l’auraient même pas mis dans la confidence et auraient simplement voler la camionette le laissant faire naturellement les démarches.

— En fait, à ce stade, c’est son niveau d’implication qui m’est inconnu. Il n’est qu’au 23ème ce qui signifie qu’il ne doit pas faire partie du cercle intérieur de l’entreprise… Enfin, si c’était moi, je mettrais des espions à différents étages pour justement rendre les choses plus complexes à démêler…, pensa Elin. Bon, il faut que je rentre dans son bureau… discrètement.

Une chance que Brad ne l’avait pas accompagnée, faute de quoi elle n’aurait pas pu fureter comme elle prévoyait de le faire.

Inutile d’aller voir la réceptionniste et Brad ne l’avait pas contactée de sa venue.

— Les adultes sont vraiment trop peu méfiants envers les enfants, pensa-t-elle à nouveau en sortant de l’ascenseur et en se mêlant aux quelques personnes qui descendaient à cet étage.

Au lieu de les suivre dans les bureaux et de passer devant la réception où elle risquait d’être repérée, elle bifurqua et se dirigea vers les toilettes.

Isolée dans une cabine, elle écouta quelques minutes les discussions des employées présentes. C’était très classique : relations amoureuses de leurs collègues, théories plus ou moins diffamatoires concernant celles de leurs supérieurs… La seule information qu’elle jugea intéressante était d’apprendre qu’il y avait au 45ème et dernier étage des magical wargirls de la corporation. D’après ces conversations, la présidente se nommait : Teresa Elliot.

Ce nom ne lui disait rien, elle ne devait pas être très connue, sinon Elin n’aurait aucun mal à l’identifier. Sans dire qu’elle connaissait toutes les magical wargirls, sa mémoire réellement supérieure à la normale : elle s’en serait souvenue.

À Kibou, même si elle ne faisait plus partie de l’armée, elle continuait de recevoir des informations sur les rangs, les noms et pouvoirs des filles les plus importantes. De même, elle connaissait une bonne partie des gradées des autres pays.

Elle aurait aimé effectuer des recherches sur cette personne, mais elle craignait qu’utiliser son téléphone ou simplement le réseau de l’entreprise puisse la trahir d’une manière ou d’une autre.

Après avoir attendu qu’il ne resta plus personne dans les toilettes, le genre d’accalmie qui ne devaient arriver que rarement dans une entreprise de cette taille, elle exécuta le plan qu’elle venait d’élaborer : elle se transforma, s’envola et s’approcha de la grille d’aération qu’elle ouvrit en forçant un peu.

Elle entra dans le conduit qui était étroit, mais suffisamment large pour une personne de sa petite taille, puis referma la grille derrière elle du mieux qu’elle put.

Malheureusement, elle ne savait pas quel bureau était celui du suspect, elle ne pouvait s’y rendre par l’aération, aussi elle ressortit dans un bureau vide dont la porte était entrouverte, — sûrement un employé parti chercher des dossiers dans un bureau voisin. Elle reprit sa forme normale et arpenta les bureaux en prenant l’air d’une fille perdue.

— Que tu es jolie ! Quel est ton nom ? demanda cette fois une femme blonde.

— Marg… Marguerite… Je… je cherche mon papa…

Elle n’était pas si douée pour jouer la timide, à vrai dire elle imitait certaines filles qu’elle avait rencontrées durant ses années de service. Est-ce que son jeu d’acteur minable passerait cette fois encore ?

— Que c’est mignon !! Tu te sentais seule et tu viens saluer ton papounet ?

Elin hocha de la tête en se disant : « encore une fois, ça marche ». La femme ne s’interrogea pas plus longuement sur les raisons de sa venue, elle lui donna un bonbon qu’elle alla prendre dans son bureau et lui indiqua les différents collègues qui se trouvaient dans le couloir, puis elle retourna au travail.

— Quel laxisme. Sérieux…

Elin chercha du regard les caméras de surveillance du couloir, mais elle n’en trouva aucune. De fait, elle estima qu’il n’y avait sûrement rien de très important à cet étage, mais étant arrivée si loin elle se rendit malgré tout devant le bureau de M. Johnson.

Elle écouta attentivement, il n’y avait aucun bruit derrière la porte. Était-il absent ou en pause ?

L’heure de la pause déjeuner n’était pas encore passée, il n’était sûrement pas encore revenu.

La porte était verrouillée, elle n’insista pas et revint dans les conduits d’aération. Elle connaissait à présent la localisation de son objectif, elle rampa jusqu’à atteindre la grille qui passait dans le bureau.

Personne. Tout avait l’air si normal. L’ordinateur était allumé, mais verrouillé. Sur un coin du meuble se trouvait une photographie de la famille de Federico.

— Brad, t’es vraiment pas malin, pensa-t-elle en l’observant. Je suis même pas hispanique…

En effet, la fillette de Federico semblait avoir 5-6 ans sur la photo et était de phénotype latino.

Sans le mot de passe, Elin ne pouvait pas entrer dans l’ordinateur pour fouiller les dossiers, elle se contenta donc de chercher parmi la pile de dossiers sur un coin du meuble. Rien n’attira son attention…

Puis, finalement, elle trouva un document avec le sigle de la LAPD dans un en-tête : il s’agissait d’une copie de la déclaration de vol, ainsi que d’autres documents relatifs à l’incident. Rien de particulier, des informations qu’elle connaissait déjà.

Finalement, sous le clavier, elle trouva un post-it avec un mot de passe et une date : il s’agissait de celui communiqué par le service de sécurité informatique. Sûrement qu’ils étaient changés régulièrement pour augmenter la sécurité, mais collés de la sorte sous le clavier, n’importe quel intrus pouvait le trouver.

— C’est souvent comme ça dans les grosses entreprises, pensa Elin en tapant le code. Les employés ont du mal à se souvenir d’un code aussi long et compliqué qui change plusieurs fois par mois…

Bien sûr, en tant que surdouée, elle n’avait pas ce genre de problèmes, elle mémorisa le mot de passe en à peine quelques secondes.

Considérant que Frederico était parti en pause déjeuner, Elin n’estimait pas avoir le temps de procéder à une enquête complète du bureau, pas plus que de l’ordinateur, aussi elle se contenta d’ouvrir les dossiers recherchant du regard un nom de dossier qui aurait pu l’intriguer. Majoritairement, il s’agissait d’affaire normales, rien qui n’indiquât une relation avec le monde surnaturel.

— C’est un employé tout ce qu’il y a de plus banal, conclut-elle dans sa tête. Bah, il me reste plus qu’à regarder ses mails.

En utilisant le moteur de recherche interne à la messagerie qui était connectée constamment et qui ne lui avait donc pas demandé de mot de passe, elle trouva en quelques instants deux messages concernant son véhicule.

Dans le premier, la corporation lui proposait d’acheter son véhicule et lui demandait de la laisser dans le parking de l’entreprise. Dans le second, on lui expliquait qu’il y avait eu des problèmes et on lui demandait de déclarer le vol du véhicule à son domicile. Bien sûr, l’entreprise ne lui fournissait aucun détail, mais lui avait déjà fait un versement pour le rembourser.

En lisant les réponses de Johnson, ce dernier avait évidemment accepté la proposition sans poser aucune questions. Remettre en cause les ordres n’était sûrement pas quelque chose qu’il faisait naturellement. Puis, dans l’opération il ne perdait rien.

Elin verrouilla l’ordinateur et remit les affaires en place, elle ne trouverait rien de plus. La seule chose vraiment intéressante de ces messages était qu’il venaient de l’adjointe de la présidente, soit le bras droit de Teresa.

Elin retourna dans le conduit d’aération et se coucha dans le tuyau pour réfléchir : l’implication de la corporation était avérée à présent, mais qui avait récupéré le véhicule ?

En toute logique, comme c’était souvent le cas, la salle serveur et les postes de sécurité devaient se trouver dans les sous-sols, aussi décida-t-elle que sa prochaine action serait de descendre et de consulter la vidéo de surveillance du parking de l’arcologie, en supposant qu’il y en ait une.

Le choix de ce parking avait sûrement été motivée par une volonté de garder l’anonymat de celui qui récupérerait le véhicule, mais puisqu’il se trouvait dans l’arcologie cette initiative pourrait se retourner contre les conspirateurs.

— Bon, il est temps d’y aller. Il doit y avoir un parcours qui relie tout le bâtiment, c’est évident.

Sur ces mots, elle se transforma et commença à progresser dans le réseau d’aération à la recherche des tuyaux qui descendraient jusqu’aux sous-sol. Après quelques minutes, elle finit par en trouver un.

Une personne dénuée de pouvoirs ne pouvait pas emprunter un tel conduit : en plus de la hauteur de chute, des hélices et des grilles bloquaient l’accès, mais tout cela n’allait pas arrêter la mahou senjo numéro un de Kibou.

En activant son vol, elle slaloma autant que possible entre les obstacles et lorsqu’il lui était impossible de poursuivre, elle utilisa sa magie pour se créer un trou et poursuivre.

Finalement, après plus d’une heure à circuler dans les conduits d’aération, elle finit par trouver une sortie au tout dernier étage de l’immeuble, un étage auquel ne pouvaient pas accéder les membres normaux du personnel.

Avant de quitter les conduits, elle fit le tour de l’étage et localisa la salle des serveurs, où se trouvaient nombre de mesures de sécurité, ainsi qu’une salle de sécurité où étaient postés nombre de gardes, mais aussi la salle où était entreposée la machine d’éveil de la corporation. Mais c’était surtout un entrepôt qui l’intrigua.

Puisqu’il n’y avait pas de gardes et de sécurité particulière dans ce dernier, elle y descendit.

Que pouvait bien cacher cet endroit si peu surveillé ?

En se promenant dans cet immense hangar haut de cinq ou six mètres, elle lut les bordereaux sur les caisses qui étaient alignées en rangée. Quelques mots revenaient souvent : matériel défectueux ou matériel archéologique.

Elle ouvrit une des caisses de matériel archéologique qui était placée en hauteur, il faudrait sûrement plus de temps pour signaler l’effraction sur une caisse peu accessible—, à l’intérieur elle trouva des masques en bois primitifs.

— Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire avec ça ? se demanda-t-elle en s’approchant de la caisse voisine.

Après ouverture, elle trouva cette fois des pierres sciées et des fossiles. Elin commença à comprendre et, quelques caisses ouvertes plus tard, elle se rendit compte que les fossiles, les masques et autres morceaux de murs étaient liés aux Anciens d’une manière ou d’une autre.

En effet, même avant l’Invasion, ces derniers avaient eu des interactions avec la Terre à diverses reprises. Certains anciennes civilisations avaient eu des contacts avec eux.

De même, quelques écrivains ou occultistes tels que Lovecraft, Aleyster Crowley, John Dee ou même Abdul Alazhred, qui aurait écrit le Necronomicon, l’œuvre centrale du Mythe, auraient eu des preuves de la manifestations d’Anciens.

Néanmoins, pourquoi ChangeLife s’intéressait à ce genre de pièces archéologiques ?

De plus, il fallait des moyens colossaux pour les dénicher, sachant qu’elles se trouvaient actuellement en territoires conquis.

Si le but visé était d’en apprendre plus sur les Anciens, ce n’était certainement pas la manière la plus efficace, jugea Elin. Les registres militaires se basaient sur des rencontres avérées avec l’ennemi, ils étaient plus exacts que les élucubrations d’occultistes plus ou moins véreux.

Il devait y avoir un autre intérêt derrière tout cela…

C’est en ouvrant une caisse de matériel défectueux que de nouveaux éléments d’intrigue s’offrirent à Elin. À l’intérieur, elle trouva des bocaux avec des morceaux de chairs, des organes, inhumains.

Cet entrepôt était en réalité un débarras de tous les échecs d’expériences qui avaient été menés dans la corporation et de tout le matériel de recherche devenu inutile.

— Même s’ils n’ont pas commandité le vol de Jessica, ce qui m’étonnerait, il y a ici pas mal d’éléments louches…

Elle continua de circuler dans les allées à la recherche d’autres indices qui l’aiderait à rassembler les pièces du puzzle lorsque soudain elle entendit du bruit.

Elle monta dans les airs et tendit l’oreille. Il n’y avait que des éclairages minimum dans l’endroit, elle se plaça dans une zone d’ombre où on ne pourrait la remarquer.

Rapidement, elle se rendit compte que les bruits ne venaient pas des allées, mais d’une zone placée sous un escalier menant à des bureaux. Elle s’y rendit sans crainte, à ce stade de son enquête, même si elle était découverte, elle avait suffisamment d’éléments à rapporter pour se faire entendre ; puis, en y pensant plus judicieusement, c’était une arcologie, une zone extraterritoriale, même si elle se battait contre la sécurité l’état rebornien ne pourrait pas la condamner légalement.

Elle s’approcha donc d’une porte métallique. Elle était verrouillée, mais un trousseau de clef se trouvait à côté.

*Criii*

La porte s’ouvrit en grinçant et en dévoilant une longue pièce avec des cages en verre. L’odeur qui planait dans cet endroit n’était pas très agréable, on pouvait y sentir des produits chimiques volatiles.

Toutefois ce qui attira bien plus l’attention était une présence dans l’une des cages : une petite femme aux cheveux châtains, terrorisée, frappant ses poings contre la vitre blindée.

Lorsqu’elle croisa les yeux d’Elin, elle se figea un instant et recula craintive, pensant peut-être qu’il s’agissait d’une de ses geôlières.

Elin se rendit immédiatement compte que toute discussion était impossible : le verre était bien trop épais et ne laissait pas passer le son. Normalement, ce n’était pas des humains qu’on détenait dans cet endroit… Ses précédentes trouvailles dans le hangar étaient à même de lui le confirmer. Actuellement, cette femme était la seule occupante.

Grâce à un digicode contre le mur, Elin commanda l’ouverture de la cellule et s’approcha de la femme.

— Qui es-tu ? demanda-t-elle en anglais.

La jeune femme recula jusqu’à être acculée contre le mur, elle baissait le regard.

— Je ne suis pas ton ennemie, je vais sûrement te libérer. Par contre, veux-tu bien m’expliquer qui tu es et ce que tu fais ici ?

En effet, Elin n’avait pas de doutes sur cette personne, elle n’était pas une créature polymorphe qui se jouait d’elle, elle ne voyait aucune trace de magie émaner de son corps. Elle était totalement humaine à ses yeux.

Après avoir repris son calme, la jeune femme lui expliqua qu’elle était une collégienne orpheline de BioMagiTec Inco, qu’elle étudiait à l’arcologie et, la veille en après-midi, sortie en ville acheter un livre, elle avait été saisie par une femme qui l’avait entraînée dans une limousine. Avant qu’elle n’ait pu hurler, elle était tombée inconsciente, elle avait juste eu le temps de ressentir une douleur à la tête.

À son réveil, elle était dans cette cellule et face à une femme en robe de mariée, aux longs cheveux blonds et aux yeux vairons, l’un bleu et l’autre jaune, qui s’était présenté sous le nom de Kaylee.

— Elle… m’a dit que si je me montrais gentille… il ne m’arriverait rien de mal… que j’étais juste un otage et que dans quelques jours, tout serait réglé. Depuis, j’ai pas eu d’autres visites, mais… j’ai peur… très peur… Il y a comme quelque chose d’étrange ici… comme une présence. C’est pas juste… un enlèvement…, finit-elle par expliquer à Elin.

— Tu es bien perceptive on dirait. Il faudra que j’en touche quelques mots à Jess…

Ce n’était pas sûr, mais Elin se demandait si la présence qu’elle ressentait n’était pas les résidus magiques des créatures qui avaient été enfermés. Si tel était le cas, elle avait sûrement un potentiel à l’éveil magique.

Cet enlèvement prouvait bel et bien que ChangeLife visait la corporation de Jessica et le lien avec le vol était avéré par l’affaire de la voiture, il ne restait plus qu’à trouver la machine d’éveil dérobée et comprendre leurs intentions. Si les dirigeants de ChangeLife avaient pris un otage, c’était parce qu’ils comptaient demander quelque chose à Jessica. D’ailleurs, Elin s’étonna que la disparition de la femme n’avait pas encore été signalée.

— Vous… vous…

— Ouais, je vais te faire sortir, t’inquiète, la rassura Elin de sa voix peu expressive. Par contre, j’ai besoin de toi en échange, un tout petit service, tu veux bien ?

La jeune femme hocha de la tête. À ce stade, elle était prête à n’importe quoi pour ne plus être prisonnière de cet endroit maudit.

— En fait, j’aimerais que tu gardes le secret sur ton enlèvement. Cela fait, moins de 24 heures : en principe, puisqu’il n’y a pas eu de signalement, personne ne doit être au courant. Tu vas ressortir et dire que tu es malade, tu vas prendre quelques jours de repos.

— Mais… euh…

— T’inquiètes pas, j’expliquerai l’affaire à Jessica plus tard. Si la boss de BioMagiTec valide ton absence, il n’y aura pas de problèmes, n’est-ce pas ?

La fille écarquilla ses yeux avec surprise et demanda avec hésitation :

— Vous… connaissez la patronne ? Vraiment ?

— Ouais. Si tu acceptes de me rendre ce service, je te donnerai même des photos d’elle en maillot de bain ou en uniforme kibanais. Ça te va ?

Les yeux de la jeune femme se mirent à pétiller. Comme l’avait pensé Elin, même si Jessica essayait de se faire discrète dans sa propre corporation, elle était une vedette, un modèle à suivre parmi toutes ces jeunes femmes qui y étudiaient.

Elle acquiesça avec détermination.

— OK, c’est cool. Tu me rends vraiment service. Bon, dernières choses à régler… Tu t’appelles comment et accepterais-tu de me donner tes vêtements ?

— Hein ? s’étonna la jeune femme.

Elin l’observa sans rien ajouter, elle attendit la réponse. Même si elle était apeurée et ne comprenait pas les intentions de sa sauveuse, Erica Howard, suivi à la lettre les indications d’Elin ; d’une certaine manière, elle avait confiance en elle.

Elle se déshabilla, Elin se détransforma et retira à son tour ses vêtements et échangea avec Rebecca. Puis, elle lui tendit la peluche. L’échange finit, Elin lui dit :

— Accroche-toi à moi, on va passer par les conduits d’aération.

Pour une raison inconnue, Erica se sentait de plus en plus rassurée avec cette magical wargirl, elle dégageait quelque chose de mystérieux mais de fiable.

Moins d’une heure plus tard, après avoir volé et rampé à travers les conduits d’aération, Elin ramena la jeune femme jusqu’à une sortie hors du bâtiment. Évidement, ce n’était pas une sortie prévue à l’origine dans l’édifice, Elin l’avait crée à l’aide de sa magie de désintégration.

— À partir de là, la sortie est dans cette direction, expliqua Elin en la pointant. Si on te pose la question, tu es Marguerite Johnson, la fille de Frederico. Tu es venue voir ton papa qui t’avait appelée pour te donner de l’argent et tu rentres à la maison. D’accord ?

— Oui ! Et vous ?

— Je retourne en bas avant qu’ils ne découvrent ta disparition. Je t’enverrais les photos de Jessica sur l’adresse mail que tu m’as donnée et je lui expliquerais tout. Tiens promesse, je compte sur toi.

— Oui !

Amicalement, la collégienne prit dans ses bras Elin, puis partit en direction de la sortie de l’arcologie en serrant la peluche entre ses bras.

Elin la regarda s’éloigner, elle était sûre que tout irait bien pour elle, elle était une fille calme et posée. Il ne restait qu’à reprendre sa place.

— L’enquête continue. Jess, dans quel pétrin tu t’es encore fourrée ?

Elle repartit dans les conduits en direction de la prison aux sous-sols.

***

Afin de se prémunir de toute nouvelle tentative d’agression, Jessica rejoignit la zone où se trouvait l’usine en volant. À pied, de toute manière, cela aurait été bien trop loin pour y arriver dans l’après-midi, d’autant plus en marchant dans tous ces décombres.

Quelques minutes plus tard, elle se posa sur un tas de débris et observa le bâtiment. Une partie avait été ensevelie sous les morceaux d’une tour voisine, mais le reste était encore en bon état.

Même si elle ne remarqua aucune menace dans les alentours, elle fit apparaître dans sa main un Executor et se dirigea vers l’une des entrées fermées par un rideau déroulant en métal.

Rapidement, elle constata que ce dernier avait été utilisé et entretenu ; sans difficulté, d’une seule main, elle le leva et entra dans l’usine désaffectée. L’endroit n’était éclairé que par la lumière qui passait par la porte ouverte et quelques vasistas brisés qui se révélaient insuffisants.

Les machines les plus encombrantes étaient toujours présentes, les pilleurs n’avaient pas pu les emporter ou n’y avaient pas trouvé d’intérêt. Au sol, des fragments de verre et des débris de béton rendaient le terrain irrégulier. Des bruits d’animaux qui se cachaient semblaient revendiquer la propriété du lieu.

Ce n’était assurément pas une ambiance rassurante, mais Jessica n’avait pas l’impression qu’une créature du Mythe s’y trouvait.

— C’est réellement désert… ? pensa-t-elle en s’avançant et en faisant craquer sous ses bottes des morceaux de verre.

Elle savait toutefois qu’il y avait potentiellement deux ennemis présents, aussi, elle ne relâcha pas sa garde pour autant et fit même apparaître dans son autre main un Dominator, un pistolet-mitrailleur.

Après quelques minutes de fouille dans ce désordre, elle finit par trouver une zone un peu plus dégagée où se trouvaient divers outillages parmi lesquels un appareil, dissimulé sous une grande bâche, ayant la taille et la forme d’une machine d’Éveil.

L’endroit était un peu plus sombre, il n’y avait qu’un vasistas brisé à travers lequelle entrait la lumière, les autres avaient été obstrués par les débris.

Après avoir passé quelques minutes à inspecter la pièce, pensant que quelque chose pouvait s’y cacher, Jessica finit par faire disparaître son Dominator et s’avança en vue de vérifier ce qui se cachait sous le tissu synthétique.

Elle tira d’un coup avec violence, elle dévoila non pas une machine d’Éveil, mais un bien étrange appareil : un sarcophage de métal de taille humaine, placé verticalement ; sa forme évoquait celle d’un être humain debout aux bras croisés et portant un masque en guise de visage ; autrement dit, il s’agissait d’une vierge de fer, un outil de torture qui était rempli de pointes afin de percer le corps de ses victimes.

À travers une fente qui se trouvait au niveau des yeux du masque, elle vit un visage de chair : quelqu’un se trouvait à l’intérieur. Alors que ses yeux se baissèrent, elle remarqua les litres de sang qui s’écoulaient par les pieds de cette horrible machine : tout autour de la vierge de fer était dessiné un cercle magique, ses lignes venaient de s’éclairer d’une lueur rouge funeste.

— Zut !! s’écria-t-elle en bondissant en arrière.

Mais, à ce moment-là, elle ressentit une présence derrière elle. Grâce à sa longue expérience du combat, elle parvint à interposer son arme à feu contre la lame qui se dirigeait vers sa gorge, mais avant qu’elle n’ait pu riposter, un violent coup de pied vint la frapper dans le flanc et la projeta contre une machine.

Elle sentit ses os heurter le lourde engin fait de métal, mais elle serra les dents et, sans prendre le temps de voir qui l’attaquait, elle fit feu. Les tirs retentirent dans cette grande salle et la réverbération de l’écho put s’entendre pendant quelques secondes encore après l’action.

Jessica savait ce qu’il se passait : c’était un piège qui lui avait été tendu.

La vierge de fer, contrairement à ce que nombre de personnes pensaient encore à son époque, n’était pas un outil de torture issu du Moyen-Age —sa réalité historique, avant même l’Invasion, n’avait pas été avérée— mais d’un dispositif utilisé par les cultistes des temps modernes afin de déclencher des effets magiques à retardement.

C’était idéal pour placer des pièges, puisqu’il était possible de déclencher sa magie sous certaines conditions. Ce n’était pas la première fois que Jessica y avait faire, mais ils demeuraient plutôt rares.

Elle savait une chose : si son ennemi était sorti de l’ombre pour l’attaquer précisément à cet instant, c’était pour donner le temps à la vierge de s’activer. Il n’y avait donc qu’une chose à faire : tout détruire.

Jessica fit apparaître dans son main libre un lourd revolver et visa de ses deux mains la vierge de fer.

Mais, à cet instant, elle ressentit une douleur à l’intérieur de sa gorge. Elle n’était pas très forte au début, mais rapidement s’intensifia. Son corps réagissait, même si elle ignorait encore à quoi.

Elle se retourna pour faire face à son agresseur, c’est alors que ses yeux s’écarquillèrent.

— Comment… ?

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’un nouvel assaut l’obligea à se retourner : son premier agresseur avait profité de la divers pour bondir sur elle en portant un coup de pied. Elle para en croisant les deux bras, mais fut projetée en arrière et percuta un mur plus loin.

Jessica se releva avec difficulté, elle respirait lourdement et se tenait les hanches ; ses pistolets étaient disparues.

— Qu’est-ce que ça veut dire, Cassidy ?!

Devant elle, se tenaient deux silhouettes : l’une était celle de la responsable de la machine d’Eveil, Cassidy Hall, la femme qui avait péri en la défendant lors de l’intrusion.

Il s’agissait d’une femme d’un mètre soixante-cinq, à la longue chevelure châtain bouclée et au teint de peau hâlée. Elle ne portait pas son habituel tailleur, elle avait des vêtements de ville quelconques.

Jessica était certes choquée par son agresseur, mais son esprit habitué aux pouvoirs surnaturels, réalisa rapidement qu’il pouvait s’agir d’une simple illusion ou d’une créature polymorphe. Parmi les ennemis des US Reborn, les Nyarlathotep étaient très fréquents. Ce qui inquiétait tout autant Jessica était le liquide qui lui avait été injecté.

Cassidy l’observa et laissa tomber à ses pieds un pistolet à injection. La seconde femme était encapuchonnée, elle demeurait stoïque et continuait de brandir une dague faite d’une substance noire dégoulinante qu’on aurait pu associer à des ténèbres solides.

— Si tu survis à ce piège, tu en sauras plus, ex-patronne.

Sur ces mots, Cassidy serra dans ses bras la seconde fille et avant que Jessica ne put dire quoi que ce soit, elles s’enfoncèrent dans les ombres au sol.

Considérant la nature sournoise des pouvoirs d’ombre, Jessica se demanda s’il s’agissait réellement de Cassidy…

Mais elle n’eut pas longtemps le temps de s’interroger bien longtemps puisque soudain la vierge de fer s’ouvrit, le corps s’effondra à l’intérieur du cercle qui brillait vivement et un portail magique apparut aussitôt. Un groupe de quatre créatures ne tarda pas à le traverser.

Jessica n’avait pas réussi à arrêter l’invocation, elle grimaça en observant ses ennemis.

Des gouttes de sueur apparurent sur son visage. Elle se mit à rire nerveusement.

— Cette situation… elle craint vraiment… mais genre vraiment… Haha haha !

C’était le rire de quelqu’un qui savait qu’il allait mourir, de quelqu’un qui allait au devant de sa fin l’esprit résigné et incapable de surmonter l’événement.

En effet, elle savait qu’elle ne les emporterait pas dans sa tombe toutes les quatre. Elle sentait le poison faire effet. Elle ignorait précisément de quoi il s’agissait, mais elle sentait son corps particulièrement affaibli et surtout sa magie était plus bas que jamais.

Ce qu’elle craignait depuis des années venait de se réaliser : dans son état, c’était comme si elle venait d’expérimenter la fin de sa carrière de mahou senjo. Dans le classement, elle venait de passer derrière Shizuka, la plus novice des deux agences, c’était dire.

Son état était probablement temporaire, mais elle ne survivrait pas assez longtemps pour en attester.

Mais mourir à cet instant lui paraissait un destin bien clément considérant les créatures qui lui faisaient face. En effet, elle les avait fuies tout au long de sa carrière. Des horreurs parmi les horreurs, des êtres capables d’ôter aux mahou senjo jusqu’à la dernière once de dignité, de les faire sombrer dans un désespoir menant au suicide…

— Quelle poisse !! Pourquoi des chupacabraaaaaaaas ?!!!

Ces petites créatures avaient plus ou moins autant d’Elin. Elles étaient minces, leurs corps fins, bipèdes, étaient voûtés. Leurs peaux grisâtres étaient couverte d’une substance huileuse visqueuse. Leurs têtes n’étaient pas sans rappeler les chauve-souris tandis ; leurs yeux étaient énormes et globuleux. En guise de bouche ils avaient un trou duquel sortait une longue langue terminée par un dard. Dans leur dos se trouvaient une paire d’ailes membraneuses et leurs mains étaient armées de griffes.

Sans tarder, ils attaquèrent la pauvre Jessica qui avait des larmes aux yeux.

Avec la magie à sa disposition, elle s’équipa de son Exacutor et de son Dominator ; elle ne pouvait faire mieux en l’état, sa tête s’était mise à tourner à leur apparition, lui attestant que c’était bel et bien sa limite.

Elle se mit à tirer comme une furie : elle voulait à tout prix éviter qu’ils n’approchassent.

Une partie des munitions ne les atteignit pas en raison de leur vitesse d’esquive. Celles qui firent mouche, glissèrent en partie sur leur peau huileuse. Deux créatures furent blessées malgré tout, uniquement parce que les balles perforantes de l’Executor était hautement perforantes.

Individuellement, ces créatures n’étaient pas si puissantes, elles étaient certes rapides et résistaient bien à une bonne partie des attaques qui n’avaient pas assez de perforation mais elles ne disposaient pas de puissants pouvoirs de destruction, n’étaient pas très intelligentes et on pouvait les blesser avec des armes conventionnelles.

Le seul véritable problème…

Deux des ennemis parvinrent au corps-à-corps. Jessica commença à paniquer et vida le chargeur de ses armes en vain. Deux langues la prirent pour cible : l’une s’enroula autour de sa main droite avant d’enfoncer son dard dans l’épaule, tandis que l’autre s’enfonça directement dans son torse.

Jessica poussa un cri de douleur effroyable tandis que ses yeux s’écarquillèrent et que des larmes en coulèrent ; elle se débattait de toutes ses forces, mais il était trop tard. Il y avait peu de choses capables de mettre Jessica dans cet état.

Soudain, en provenance du toit, une explosion retentit, des débris volèrent un peu partout. Quelqu’un atterrit entre les deux monstres et les frappa d’un coup de pied chacun, les projetant à distance.

C’était une fille blonde avec une longue queue de cheval, un peu plus petite que Jessica. Sa forte poitrine en faisait une cible de Jessica. Elle était vêtue d’une tenue de magical girl très glamour. Elle brandissait un arc tout aussi fantaisiste que sa tenue.

Il s’agissait de Kiara, une des employés éveillée de Jessica.

Elle ne laissa pas le temps aux créatures de contre-attaquer, elle banda son arc et tira plusieurs flèches qui provoquèrent des explosions à chaque impact.

— Kiara ? appela faiblement Jessica qui était tombée à genoux.

— Ne vous inquiétez pas, chef, je m’occupe du reste !

Le pouvoir de Kiara était « Technical Nihilism Tragedy ». Grâce à lui, elle pouvait soit créer de puissantes explosions autour d’elle, soit canaliser de petites explosions sur ses flèches. Elle était encore en apprentissage, son rang n’était qu’au niveau B, mais Jessica avait de suite été intéressée par ses capacités et son style. Sa maladresse était adorable, tous les connaissaient pour déclencher des catastrophées dont elle était seule rescapée.

Les deux Chupacabra qui avaient attaqués Jessica se relevèrent, ils observèrent la nouvelle arrivante, puis gavés par leur repas, ils s’envolèrent et s’enfuirent en passant par le trou dans le plafond.

— Je ne vous laisserez pas vous échapper !

Mais à ce moment-là, le troisième adversaire, à qui il manquait un bras, sauta sur Kiara et la fit tomber en arrière. Il lui bloquait les bras à l’aide du sien, Kiara essaya vainement de se dégager ou de le repousser, mais la peau du Chupacabra était glissant, elle n’arrivait à rien.

La langue du monstre s’enfonça entre les seins de Kiara, provoquant un petit trou indolore, un peu comme un moustique géant . Elle s’agita alors qu’elle sentit une réaction à l’intérieur de son corps.

* BAM *

Une balle à bout portant vint brûler la cervelle du Chupacabra occupé par son repas. La balle faiblement chargée de magie ondulatoire fit exploser la tête entière en un instant, recouvrant Kiara d’une substance visqueuse (qui ne tarderait pas à disparaître).

— Merci, patronne ! T’es la meilleure !

Kiara se redressa et leva le pouce en direction de Jessica, avant de remarquer :

— Euh… Patronne ? Qu’est-ce que tu as fait à tes seins ?

— Je vous haïs, maudit Chupacabraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Jessica cria comme jamais.

En effet, sa fière et opulente poitrine n’était plus, les deux vampires suceurs de graisse avaient eu le temps de lui la voler. À l’endroit où se trouvait normalement ses deux « pastèques » se trouvait à présent deux « petits raisins » dignes de sa rivale.

À bout de force après ce cri, Jessica se détransforma et tomba de fatigue physique et mentale.

Lire la suite – Chapitre 5