Chapitre 5

Après son combat, Kiara avait veillé sur Jessica jusqu’à ce qu’elle reprenne un peu ses forces, puis elles étaient rentrées ensemble en voiture. À l’arcologie, Jessica avait reçu un examen médical et elle en avait profité pour donner des directives relatives à l’affaire en cours.

Elle demanda de réunir toutes les informations liées à Cassidy archivées au sein de sa corporation, mais elle ne découvrit rien qu’elle ne savait déjà : elle était orpheline suite à une attaque d’Anciens et n’avait aucun pouvoir déclaré. Rien qui n’aurait pu aiguiller quant à sa traîtrise.

Il restait la question du cadavre, elle était censée avoir été assassinée pendant le vol de la machine et pourtant c’était elle qui avait attaqué Jessica à l’usine. La possibilité d’une créature polymorphe n’était pas à exclure, mais pourquoi avoir pris l’apparence d’une personne morte sans lien avec le monde des mahou senjo ?

C’était cette question qui ne cessait de trotter dans la tête de Jessica, les pièces du puzzlz ne s’assemblaient pas. Elle avait cherché à joindre Elin, mais elle demeurait injoignable.

Aussi, à contrecœur, elle demanda à ce qu’on aille vérifier le contenu du cercueil de Cassidy à l’aide d’appareils de scan à rayons X. Bien sûr, elle préférait qu’on ne profane pas la tombe de la malheureuse.

Elle laissa également de nouvelles directives de sécurité à l’arcologie. L’occasion lui semblait trop bien indiquée pour une attaque de corporation rivale, aussi il était préférable de relever le niveau de défense.

Finalement, ce ne fut qu’au petit matin que Jessica revint au manoir. En colère, honteuse et défaite, quelques éraflures demeuraient encore sur son corps. Mais le pire des affronts restait d’avoir perdu sa fière poitrine.

Afin de ne pas choquer son entourage, elle était allée acheter d’urgence une soutien-gorge rembourré, mais elle ne comptait pas cacher cette horreur à ses filles, c’était juste une mesure pour ne pas les choquer de prime abord.

Après avoir réveiller tout le monde et les avoir réunies dans le salon, Jessica leur présenta un copieux petit-déjeuner.

Shizuka, Hakoto et Gloria étaient encore en pyjama, elles n’étaient ni maquillées ni coiffées. Gloria était encore plus endormie que les autres, elle serrait entre ses bras un coussin et paraissait prête à s’effondrer d’une seconde à l’autre.

Irina avait dormi sur le canapé du salon, elle n’était pas encore présente. Quant à Sandy et Vivienne, elles étaient déjà habillées et prêtes. En réalité, l’une comme l’autre avaient un rythme plutôt matinal, l’une pour son entraînement, l’autre par habitude.

Jessica se tenait en bout de table, une expression sérieuse, une tristesse dans le regard que seules celles la connaissant bien pouvaient lire. Elle croisait ses mains devant elle et attendait que toutes soient réunies pour prendre la parole.

Malgré l’absence d’Irina, elle finit par demander :

— Au fait, vous n’auriez pas vu demi-portion ? Euh… je veux dire Elin ?

Pour une étrange raison, elle ressentit le besoin de se corriger.

Shizuka se couvrit la bouche pour bâiller, elle claqua ses mains sur ses joues, puis regarda la montre accrochée dans la salle : il n’était que six heures du matin, après la soirée qu’elles avaient passé ensemble, elles avait espéré dormir un peu plus longtemps. Même avec son cerveau embrumé par la fatigue, elle se rendait compte que Jessica agissait de manière anormale : elle n’était de toute manière pas le genre de personne à les avoir tirer du lit pour rien.

— Jessica-san, quelque chose de grave est arrivé ? C’est lié à Elin ?

L’idée que cette magicienne surpuissante puisse avoir des problèmes aurait dû lui paraître improbable, mais lorsqu’il est question de quelqu’un avec qui on possède de forts liens, la logique laisse souvent sa place aux émotions et, parmi elles, la peur est souvent celle qui précède les autres.

— Veuillez-nous en excuser, Jessica-san, nous n’avons aucune nouvelle de notre chef. L’affaire qui vous a amenées à nous convoquer serait-elle liée à ses agissements ?

— Quel est le problème, Jessica ? demanda franchement Hakoto en se frottant les yeux.

— Laissez-la parler au lieu de la harceler, objecta Sandy en croisant les bras.

Le ton de voix autoritaire de Sandy s’imposa de lui-même, les filles se calmèrent et tournèrent leurs regards vers Jessica qui attendait de pouvoir s’exprimer.

— Calmez-vous et asseyez-vous, j’ai un truc réellement horrible à vous dire… En fait, cette nuit, j’ai affronté des… des chupacabras, dit-elle honteuse. Si vous l’ignorez, il s’agit de vampires aspirant la graisse de leurs victimes… Si on les laisse faire, ils tuent leurs victimes en les vidant de tous les lipides nécessaires au bon fonctionnement du corps, mais… mais… les premières zones qu’ils aspirent sont celles où il y en a le plus de concentration…

— C’est un peu comme une liposuccion, fit remarquer Hakoto. En soi, ce n’est pas si mal, retirer la cellulite en trop et tout ça… Attends une seconde !!

Elle réalisa ce que cela impliquait. Elle n’avait jamais été fière de sa poitrine, au contraire, elle était particulièrement timide à ce sujet, portant volontairement des vêtements qui donnait l’impression qu’elle en avait moins, mais elle savait qu’à l’opposé sa chef était une passionnée de seins, c’était même au-delà de la passion, c’était en un sens sa raison d’être.

Le visage d’Hakoto blêmit en pointant du doigt sa chef, sa réaction horrifiée contamina Shizuka à ses côtés fit de même, allant jusqu’à joindre ses mains sur son torse.

— Oui, j’ai…

Mais à cet instant, la porte s’ouvrit avec fracas.

— Hallooooo !! C’est comme ça qu’on dit à Reborn, non ? Les filles, j’veux m’prendre une douche, c’est où déjà ?

Irina complètement nue, comme si de rien n’était, entra dans la salle.

Les réactions furent très différentes d’une fille à l’autre : Shizuka et Hakoto rougirent et se prirent dans les bras l’une de l’autre ; Sandy observa avec attention le corps de la mahou senjo sans éprouver la moindre gêne ; Gloria se couvrit le visage avec son coussin ; Vivienne soupira puis ramena sa tasse de thé à ses lèvres, tandis que Jessica fondit en larmes.

— Ouinnnnnn !! Quelle belle poitrine !! Les dieux de l’Olympe t’ont bénie, mon enfant ! Mais… mais !!! C’est cruelllllll !!!!!!!!!

Sur ces mots, avec vigueur, Jessica arracha son soutien-gorge et sans avoir à ouvrir son chemisier, toutes comprirent la situation.

— Jessica !!!

— Jessica-san !!

— Jess ? T’es une plate en réalité ? s’étonna Irina.

— Je suis désolée, chef…, compatit Sandy.

— Oh my god ! What happened ?!

Gloria n’avait bien sûr pas compris le moindre mot de la discussion, aussi Sandy la prit un peu à part et lui traduisit ce qui venait d’être dit.

Pendant ce temps, Vivienne posa sa tasse sur la petite assiette prévue à cet effet et sans observer la larmoyante Jessica, elle déclara :

— Vous verrez, les seins c’est bien surfait. Vos capacités de combat ne seront que meilleure sans cette graisse inutile qui vous encombrait jusque lors. Il se pourrait même que vous gagniez un peu de vitesse de vol en optimisant vos positions, les grosses poitrines provoquent plus de frottement et sont bien moins aérodynamiques. Nous serons ravie de vous aider à renouveler votre garde-robe, si vous le désirez.

Shizuka, très compatissante, ne pouvait voir à travers les paroles rudes de sa senpai qu’une basse vengeance ; elle profitait pleinement de sa victoire, cela se ressentait. Pour sa part, Hakoto s’en alla réconforter Jessica qui semblait à deux doigts de se décomposer.

Irina, sans aucun tact, ne comprenant toujours rien à la situation, demanda à nouveau :

— En fait, t’as toujours été plate ? Pourtant dans le onsen, t’avais des nichons ou c’est moi qui me souviens plus ? Me dit pas que c’était des faux ? C’était super bien imité si c’était ça !

Jessica fut projetée en arrière par ces questions, c’était comme si on venait de lui asséner un uppercut. Les dégâts mentaux qu’elle venait de subir étaient de trop, elle était vaincue. Hakoto s’empressa de poser la tête de Jessica sur ses genoux et de redoubler d’efforts pour la rassurer :

— Reprends-toi, Jessica ! Irina-chan n’a rien compris à la situation, c’est tout.

Jessica n’en pouvait plus, elle avait envie de disparaître. Elle se mit à pleurer et sangloter :

— Ouinnnnnnn !!!! J’ai perdu ma raison de vivre !!!

Irina s’approcha intriguée par la réaction de Jessica, elle toucha du bout des doigts la poitrine de cette dernière.

— Ils sont encore plus petits que ceux d’El…

Elle n’eut pas le temps de finir que Jessica l’enlaça et plongea sa tête dans l’imposante poitrine d’Irina. Une autre aurait sûrement pu être gênée, mais Irina avait l’air de n’en avoir que faire ; elle caressait la tête de Jessica en lui répétant : « c’est rien, c’est rien ».

— Ouiiiii !!! Y a vraiment plus rien !!!!! cria Jessica entre deux sanglots.

— Jessica-san, reprenez-vous, s’il vous plaît…

Shizuka avait réellement de la peine pour elle, elle lui aurait bien donné sa poitrine en compensation, elle n’était pas si importante pour elle, au final. Malheureusement, elle ne pouvait rien faire pour l’aider.

— À partir de maintenant, je vais devenir amère et triste comme Vivienne-chan et demi-portion… Non, Elin-san… Faut que je m’habitue à lui témoigner du respect, nous sommes à présent dans la même catégorie. Ouinnnnnnnnnnnnnn !!!!!!

La hiérarchie et les rangs importaient moins pour Jessica que la taille du bonnet de soutien-gorge, c’était une manière très personnelle de catégoriser les femmes et qui lui avait valu une certaine réputation.

— Jessica-san, nous ne voyons guère à quoi font allusion vos propos. Nous avons essayé de vous réconforter, notre tentative aurait-elle était maladroite et couronnée d’insuccès ?

Shizuka tourna son regard vers Vivienne en plissant les yeux : elle remuait le couteau dans la plaie. Sa haine des gros seins était-elle au point de ne pas remarquer le mal qu’elle avait fait à Jessica ?

— Jessica, explique-nous ce qui s’est passé, s’il te plaît ? lui demanda Hakoto en essayant de reprendre les choses en main.

Mais, à cet instant, Gloria vint enlacer simultanément Irina et Jessica.

— Poor Jessica !!! I’ll avenge you, I promise !! Ouiiiiiiiiinnnnn !

Hakoto soupira longuement, le chaos avait gagné l’assemblée, sa voix n’atteignait personne. À ses côtés, avec une goutte de sueur s’écoulant sur la joue, Shizuka l’observait en comprenant parfaitement ses sentiments.

Finalement…

* BAM *

Un coup de feu retentit dans la salle à manger. Tous les regards se tournèrent vers Sandy, celle qui tenait le pistolet pointé au plafond.

— Jess, reprends ton calme, bordel ! On a besoin d’explications pour t’aider ! Irina, la salle de bain, c’est la troisième porte à gauche ! Et arrête de te balader à poil, bon sang ! Glory, sit down and shut up !

Sandy, énervée, rangea son arme dans son holster et s’assit l’air en soupirant par le nez. Sans même lever les yeux sur le trou qu’elle venait de faire au plafond de la salle, elle prit une tasse de café et l’avala d’un trait.

Irina leva la main et fit remarquer :

— J’veux bien y aller et suivre tes ordres, Sandy, mais… Jess, elle veut plus le lâcher. En plus, elle me tripote le cul… ça chatouille. Haha !

Par instinct et par désespoir, Jessica s’était accrochée aux deux choses qu’elle affectionnait le plus : seins et fesses.

— Ah euh… désolée, ma chère, ton corps est si parfait. Mais ça m’a fait le plus grand bien.

— Bah tant mieux, dit Irina en se relevant. En tout cas, t’es une flat bien plus sympa qu’Elieli : elle arrête pas d’me dire que j’ai un « gros cul » et tout ça.

— Irina, va à la douche, s’il te plaît !

Cette fois, c’était Shizuka qui éleva la voix.

— OK

Finalement, Irina prit congé et partit à la douche, mais ce n’était pas encore fini. En effet, Gloria prit les mains de Jessica et les posa sur son postérieur.

— I’m jelly. Touch mine too !

Hakoto et Shizuka prirent en même temps leur visage dans leur main et soupirèrent…

Une fois le calme de retour, Jessica, sans quitter son regard de chien battu, expliqua ce qui s’était passé sans omettre la moindre information.

— Je n’avais pas l’intention de vous cacher quoi que ce soit, mais je voulais juste que vous ayez un peu de temps pour vous amuser. Avec Elin seule, je pensais que ça irait, mais là…

— Tu aurais dû nous en parler avant, on aurait pu aider, dit Hakoto sur un ton de reproche.

— S’amuser, c’est bien, mais on aurait pu l’faire après, chef….

Sandy était du même avis que sa collègue ; en fait, toutes étaient de cet avis, même Vivienne qui avait sagement écouté sans rien dire.

— Je vous aime toutes ! déclara Jessica en s’essuyant les yeux humides. Bon, écoutez, je suis désolée d’avoir craqué, j’aurais dû ne pas oublier mon statut de directrice d’agence et d’hôte. Shizuka, Vivienne et Irina… qui est absente… Je ne vous oblige pas à nous aider. Votre chef n’est pas là, vous n’avez pas d’ordres à recevoir de moi, vous pou…

— Je vais vous aider, Jessica-san ! l’interrompit brusquement Shizuka en se levant. Enfin… si la présence d’une débutante ne vous sera pas plus gênante qu’autre chose…

Finalement, son élan de courage passé, elle reprit le sens des réalités : elle était inutile en combat ; son ton de voix était devenu implorant sur la fin de sa phrase.

— Shizuka-chan, c’est gentil, mais ne te rabaisse pas comme ça, voyons…

— Oh ? Désolée !

Instinctivement, elle s’inclina pour s’excuser, même s’il n’y avait pas vraiment lieu à des excuses. Jessica soupira mais se dispensa de lui le faire remarquer, tandis que les yeux d’Hakoto et de Vivienne observaient Shizuka avec tendresse.

— Puisque nous sommes techniquement toujours en quartier-libre, dit Vivienne, il n’y a guère de raisons de demander l’autorisation à notre chef. Nous agirons à titre personnel et non point en celui de notre agence. Si cela vous convient malgré tout, ce sera avec honneur que nous vous assisterons.

Comme d’habitude, Vivienne faisait tout avec élégance, sa réponse ressemblait à celle d’une diplomate.

— J’ai pas tout pigé, mais quoi que ce soit, ch’suis de la partie ! Yeah !!!

Irina revint tel un ouragan dans la pièce et, à présent habillée, elle accepta en levant les bras avec enthousiasme et en se ruant sur la nourriture.

Jessica sourit avec reconnaissance :

— J’ai jusqu’à cette nuit pour éliminer les coupables de ce crime atroce. Si j’y parviens, je récupérerai le trésor dont on m’a dépossédé. C’est sûrement un piège, mais je n’ai pas le choix. Parallélement, nous devons poursuivre l’enquête et retrouver la machine d’Éveil ; qui sait ce que Cassidy prévoit de faire avec elle.

Pour le moment, à défaut d’informations complémentaires, l’ennemi était Cassidy.

— Quant à demi-portion, je ne suis pas spécialement inquiète pour elle, mais ce serait pas mal de la retrouver également. Pour ce faire, je propose que nous formions trois groupes…

Sur ces mots, Jessica, reprenant un peu de forces, commença à expliquer le plan d’action auquel elle venait de penser.

***

Suivant la même route que la veille, le groupe numéro 1 composé de Vivienne, Irina et Sandy retourna en matinée dans l’ancienne ville pour continuer d’enquêter sur la camionnette.

La veille, Jessica n’avait fait que tomber sur un piège, elle n’avait pas du tout retrouvé sa trace.

Sandy conduisait, ce n’était pas la première fois qu’elle venait là dans ce coin. Un peu comme Jessica, elle venait parfois aider les habitants du coin en s’occupant de cultistes ou simplement des criminels.

Contrairement à sa chef, elle n’était pas du genre à s’afficher : peu de personnes avaient fait le rapprochement entre les questions qu’elle posait et les soudaines disparitions de gangs ou de cellules de cultistes. D’ailleurs, nombre attribuaient ces bonnes actions à Jessica, tout simplement.

Ne pas récolter la gloire ne gênait nullement la jeune femme, elle préférait ce rôle de justicière dans l’ombre qui lui permettait d’avoir un champ d’action complémentaire à celui de Jessica.

— Eh ben ! Los Angels c’est vraiment l’éclate ! En plus d’avoir une grosse ville, y a même des ruines pour aller s’amuser ?

— Tu as bien compris ce qu’on va y faire ? demanda Sandy.

Son expression exprimait sa douleur face à l’incompréhension d’Irina. Lorsqu’elle n’était pas transformée, elle avait plutôt du mal avec elle : trop enjouée, trop chaotique…

— On va casser la gueule des méchants qui ont volé les nichons de Jess, non ?

— Ouais, enfin, en résumé simple mais c’est pas loin d’être ça…

— Ne vous tracassez guère à lui expliquer quoi que ce soit, dit Vivienne avec condescendance. Avec Irina-san et son manque de capacités cognitives, vous ne feriez que perdre votre temps.

— T’as vraiment rien pigé, Irina ?

— J’ai rien capté ! Mais j’m’en fous : faut pas faire pleurer Jess, sinon j’deviens violente ! Ça j’ai pigé ! Qui que ce soit, j’vais lui botter le train jusqu’à ce qu’il devienne tout bleu !

Sandy soupira, mais ne put s’empêcher d’afficher un sourire en coin. Dans son ancien gang, ce genre de profils particulièrement loyaux à leurs confrères étaient plutôt bien aimés.

— Vous n’avez point peur toutes les deux ? Vous pourriez subir le même sort que notre chère Jessica-san ?

Vivienne posa cette question en regardant avec désinvolture le paysage défiler hors de la voiture.

— Bah, s’ils s’approchent j’leur arrache la tête ! C’est pas comme si en tant que vampire, les nibards c’est super important, mais bon, ça fait plaisir à Jess, donc j’vais les garder.

— D’un autre côté, Irina-san, vous seriez moins sujette à la sévérité d’Elin-san si vous les perdiez. Ne me dites pas que votre cerveau inconstant et peu efficace n’y avait point pensé ?

— Ah ouais, c’est vrai en plus… Si je deviens plate, Elieli va me préférer et va me laisser me balader à poil dans l’agence. T’es maligne, Vivi-chan. Mais bon, ch’suis déjà super pote avec Elieli j’ai pas besoin de farmer la réput’. Alors que Jess ne m’aimera plus si je les perds. Dans les jeux, il faut parfois optimiser. Haha !

— Ce n’est guère un jeu…, dit Vivienne avant de soupirer.

— Tout est un jeu, Vivi-chan. Héhé !

La concernée s’abstint de répondre, d’une certaine manière elle avait l’impression d’avoir perdu cette manche.

Sandy s’esclaffa un instant, puis dit :

— Jessica serait plutôt contente d’entendre dire ça. J’crois qu’elle t’aime bien en plus. Et pour répondre à ta question, Miss la Bourge, c’est pas moi qui a choisi mon corps. En soi, je m’en fous pas mal, mais bon comme Irina si j’vois des monstres, j’vais les massacrer de toute manière. Disons qu’au pire, ça servira d’appât pour retrouver ceux de la boss…

— Merci beaucoup pour votre réponse. Comme vous le dites toutes les deux, ce n’est guère quelque chose de primordial. Jessica-san exagère quelque peu.

— Jessica est comme ça et c’est pour ça qu’on l’aime. Sans elle, qui sait ce que nous serions devenues. Je ne vais pas la juger. Et à vrai dire, je lui donnerais les miens pour ne plus la voir pleurer comme ça.

— C’était un spectacle pour le moins affligeant, fit remarquer Vivienne.

— J’suis désolée, c’était la première fois pour moi aussi. Je l’avais jamais vue comme ça…

— Vivi, t’es une vilaine fille ! Jess est super cool ! Je l’adore vraiment ! La pauv’, elle souffre à cause de ça. Moi, j’comprends, si on me sépare de mes passions, j’me mettrai à pleurer aussi. Peu importe ce que ça coûte, j’vais lui les retrouver et elle sera contente après ! Yeaaaah !!! Ramenez-vous les vilains !!

Irina était à présent remontée à bloc : en tant qu’otaku, elle comprenait bien ce qu’était la passion envers quelque chose. Si elle transposait le fétichisme de Jessica à sa passion pour les jeux vidéo, les anime ou les mangas, elle se sentait furieuse envers les « chuchu-machin » comme elle les appelait.

En plus, ce n’était pas comme si elle ne connaissait pas d’autres personnes comme Jessica : sur les forums et réseaux sociaux qu’elle fréquentait, il y avait nombre d’otaku fans de gros seins. À ses yeux, il n’y avait rien d’anormal dans les goûts de Jessica.

Quelques minutes plus tard, elles stationnèrent la voiture au même emplacement que Jessica la veille et se mirent en route à pied jusqu’à l’usine désaffectée.

Tous remarquèrent leur présence, un petit gang local, motivé par une raison inconnue, se hasarda même à croiser leur route.

Ils étaient décidé à leur extorquer de l’argent, voire à les emprisonner pour rançon ou au pire les revendre au marché noir, mais, à leur grande surprise, deux des filles offrirent une telle résistance qu’elles parvinrent en quelques instants à se défaire d’une quinzaine d’adversaires. Irina gagna une réputation dans le quartier ce jour-là, on la surnomma « la diablesse argentée aux grosses loches ».

Pour Irina qui avait un physique surhumain même sans se transformer, cette attaque était un échauffement. Sandy n’était pas à prendre à la légère non plus, elle avait toujours vécu dans ce milieu violent.

L’un des ganger avait essayé de s’en prendre à Vivienne qui semblait la plus douce du groupe, une sorte de princesse, mais à sa grande surprise, elle esquiva le coup de matraque qu’il lui asséna et lui brisa un bras en retour.

Après cette courte altercation, elles se remirent en route.

Chemin faisant, Vivienne fit remarquer à Irina :

— Vous n’avez point emporté d’ombrelle ? Les vampires ne craignent-ils donc plus la lumière du soleil ?

— Ah ouais, c’est dingue que ça me fasse que dalle aujourd’hui… Ch’sais pas trop pourquoi mais c’est sûrement l’eau de la douche de chez Jess… ou alors c’est elle qui m’a refilé un pouvoir en me tripotant ?

— Si une telle chose était possible, pourquoi ne demanderiez-vous point aux passants d’en faire de même. Vous pourriez en plein jour arpenter les rues sans nulle crainte…

— Ah ouais, c’est pas con… Bah, faudra que j’teste… Allez, dépêchons-nous, j’ai hâte d’écrabouiller les chuchu-machin !

Irina accéléra le pas tandis que Vivienne prit une attitude encore plus hautaine que d’habitude.

Sandy soupira puis marmonna :

— Cette fois, c’est un point pour Vivienne, j’crois bien…

Une fois arrivées à l’usine désaffectée, Vivienne proposa de se transformer, préventivement. Mais Irina n’était pas de son avis :

— Mauvaise idée ! Vaut mieux se transformer s’y a un danger.

Elle n’était pas stupide au point de vouloir fréquenter la Vivienne transformée. S’il n’y avait rien à l’intérieur, elle préférait autant s’en passer. L’opinion d’Irina fut approuvée par Sandy, qui voyait un intérêt à garder sa personnalité plus sérieuse actuelle.

C’est donc sous leurs formes normales qu’elles entrèrent et commencèrent à enquêter. Malheureusement, après avoir passé la zone au peigne fin pendant une heure, selon le jargon des investigateurs, elles ne trouvèrent aucun indice.

C’est avec peu d’espoir qu’elles élargirent leur zone de recherche aux alentours immédiats de l’usine.

— J’ai trouvé que dalle… À part des traces de pneus, mais j’vois pas trop quoi en faire. Vaut mieux questionner les gens du coin s’y ont vu un truc…

— C’est inutile, Sandy-san, affirma Vivienne en balayant du dos de sa main une de ses mèches de cheveux. Vous n’êtes sans doute point au courant des facultés olfactives canines de notre alliée ci-présente, il suffit de la suivre et elle nous mènera à notre objectif.

— Hein ? Tu parles de quoi, La Bourge ?

— Vivienne, nous vous en prions.

Sandy grommela et croisa les bras, Vivienne laissa tomber. À la place, elle s’approcha d’Irina et lui chuchota quelque chose à l’oreille : on aurait dit des explications puisqu’il était possible de voir lrina hocher de la tête à plusieurs moments.

Puis, elles se séparèrent. Irina se tourna vers Sandy et leva le pouce :

— Je m’en occupe ! Fallait pas se gêner, ça me dérange pas !

Irina se mit à luire soudain, elle se transforma. Puis, elle s’approcha des traces de pneus au sol qu’elle commença à renifler à quatre pattes.

— C’est pas par ici ! V’nez ! Traînez pas ! On va bousiller du vilain !

Tel un véritable chien, elle commença à suivre la trace en marchant tantôt à quatre pattes, tantôt en s’inclinant simplement pour approcher son nez du sol.

Vivienne avec un petit sourire satisfait se mit à la suivre, tandis que Sandy les observa toutes les deux avec des yeux emplis de surprise.

— Vous ne nous suivez point, très chère ?

— Euh… Y se passe quoi ?

— Comme nous vous l’expliquions, Irina-san dispose d’un sens olfactive qui est comparable à la race canine. Elle a trouvé une piste qui pourrait nous mener jusqu’à notre…

— Non, c’est pas ça dont je parlais ! Comment c’est possible d’avoir un tel sens de l’odorat ? Tu lui as dit quoi, bon sang ?

Vivienne se caressa un moment la joue à la recherche d’une réponse adéquate, puis finit par dire avec une douceur et une tendresse qui semblait cacher quelque chose :

— Nous sommes des mahou senjo, tout est possible, n’est-il point ? Nous lui avons simplement suggérer de vous impressionner, rien de plus.

— Te fous pas de moi ! ‘Fin bon… tant qu’on avance dans l’enquête, je me fous pas mal de ce que tu lui as raconté. En tout cas, tu caches bien ton jeu, tu la prends vraiment pour une idiote, pas vrai ?

Vivienne feignit la surprise, puis se retourna pour suivre Irina :

— Nous ne cachons rien, nous ne cessons de lui le déclarer. Elle est même très souvent d’accord avec nous, vous savez ? Mais, nous reconnaissons ses mérites en tant que pisteur, elle est bien meilleure qu’un chien, elle sait même parler.

Sandy se gratta la tête. Elle avait résolument du mal à encadrer Vivienne, probablement que l’alchimie ne passerait jamais entre elles. La relation entre les deux lui parut venimeuse et elle avait pitié d’Irina. Mais pour l’heure, ce n’était pas le moment d’en débattre.

Les mains dans les poches, elle se mit à les suivre.

— T’es toujours comme ça ou c’est juste parce que Jessica n’a pas voulu te laisser avec Shizuka ?

C’était une question qui était légitime provenant de quelqu’un qui n’avait pas travaillé avec Vivienne.

— Nous ignorons de quoi vous voulez bien parler. Nous ne faisons que suivre le plan de votre chef, loin de nous l’idée de le mettre en doute.

Même si sa voix était douce et son allure élégante, Sandy ressentit à cet instant un certain malaise face à ce sourire duquel transparaissait de la colère.

***

Le second groupe était composé de Shizuka et d’Hakoto. Lorsque Jessica avait proposé cette séparation en groupe, Vivienne avait bien sûr objecté et avait bien sûr exprimer son désir d’en faire partie. Mais, pour diverses raisons liées à la nature de la mission, Jessica avait justifié la nécessité de cette répartition.

Jessica avait laissé entendre qu’il était possible que Vivienne se joignit à elles ultérieurement.

Mis à part Shizuka, tout le monde s’était rendu compte à quel point l’ambiance était devenue tendue à ce moment, la rivalité Hakoto/Vivienne était forte.

Mais, là où il y a un perdant, il y a généralement un gagnant, aussi en cette matinée, Hakoto vêtue à nouveau d’un kimono se promenait aux côtés de son amie d’enfance bras dessous bras dessus.

— Euh… Hakocchi, c’est un peu gênant, les gens nous regardent…

— Quels gens ? demanda la jeune femme souriante. Ils nous regardent parce que nous sommes mignonnes, c’est tout. Ne te soucie pas des détails du genre…

— Mais… je…

Shizuka cessa de contester, elle n’était pas dans son pays, elle ne connaissait pas les us et coutumes.

Elles arrivèrent face à un bâtiment en pierres taillées de couleur rose, une construction d’architecture neo-classique du dix-neuvième siècle avec des colonnes et des arcs brisées rappelant le style gothique : il s’agissait de l’Université Privée de Miskatonic de Californie.

Tout comme à Kibou, il existait des bibliothèques gouvernementales réservées aux mahou senjo, il existait des équivalents aux US Reborn.

Le gouvernement rebornien avait bien sûr ses propres archives, mais elles n’étaient pas accessibles aux agences, aux corporations ou aux mercenaires, toutes magical wargirls qu’elles fussent. Aussi, quelques riches milliardaires dont l’énigmatique Wilbur Whateley, un pseudonyme faisant référence à la nouvelle « L’abomination de Dunwich » écrite par Howard Philipps Lovecraft, avaient fondé des bibliothèques privées à l’usage des magical wargirls.

Après l’Invasion, nombreuses personnes avaient tenues les œuvres de Lovecraft comme des textes prophétiques et des penseurs et des scientifiques s’étaient mis à y rechercher le moindre indice utile contre les horreurs qui avaient envahi le monde. Le courant de penser Lovecraftien était très fort aux US Reborn, bien plus qu’à Kibou, et rassemblait une grande quantité d’adhérents.

Mais ce renouveau de fascination pour l’occulte n’était pas sans risques. Parmi les nombreux textes étudiés, certains étaient réellement dangereux. Il n’était pas rare que des chercheurs sombrassent dans la folie ou rejoignissent les rangs des sorciers.

La recherche occulte dans le domaine privé était contrôlée à Kibou et à Amaryllis, interdite à Ukrytiye et permise aux US Reborn, le pays de la liberté. Certaines magical wargirls travaillaient d’ailleurs dans le secteur, protégeant les chercheurs.

La plus connue des académies de recherche occulte du pays était l’Université Privée de Miskatonic de Californie qui avait été nommée en référence à la célèbre bibliothèque d’Arkham des œuvres de Lovecraft.

Située en plein cœur d’un dôme couvert par l’Etherium, cette université n’intégrait aucun laboratoire de recherche, elle était composée d’une dizaine de bâtiments à l’architecture neo-classique dont un qui servait de bibliothèque, tandis que les autres étaient des salles de classe.

Tout comme à Kibou, cette université accueillait un cursus pour former des magical wargirls, surtout suivi par des filles riches. Il y avait également des cours dispensés aux personnes sans pouvoirs, de futurs chercheurs ou simplement des curieux fortunés.

C’est dans le cadre de recherches en bibliothèque que Jessica avait envoyé les deux filles dans cette université.

Elles avaient pu facilement entrer dans le campus après avoir montrer leurs badges à l’entrée, même Shizuka en tant que ressortissante étrangère avait été acceptée ; seuls celles provenant d’Ukrytiye étaient interdite dans l’enceinte par peur d’espionnage.

Ce n’était pas la première fois qu’Hakoto venait dans cet endroit, elle connaissait un peu les lieux.

— Euh… Hakocchi, tu pourrais… me lâcher, c’est vraiment gênant…

— Oh ! Pardon, ma Shizuka-chan je n’y pensais même plus, ton contact m’est tellement naturel. Hohohoho !

Hakoto se sépara de son amie et cacha son rire fort peu naturel derrière son éventail. Inutile de dire qu’elles étaient les cibles de nombre de regards, ne fut-ce qu’en raison de la tenue inhabituelle d’Hakoto.

Shizuka l’observa avec une expression suspicieuse, une goutte de sueur apparut sur sa joue, mais laissa tomber l’idée de la questionner sur son attitude ; elle la connaissait de longue date, mais il y avait des moment où elle ne la comprenait pas.

Hakoto posa la main sur la poignée de la lourde porte de la bibliothèque au moment où quelqu’un de l’autre côté l’ouvrit. Shizuka s’étonna de trouver une porte manuelle —la plupart des commerces ou bâtiments publics les avaient remplacés par des portes automatiques depuis fort longtemps— mais elle correspondait bien au style et à l’ambiance antique du campus.

Afin de ne pas gêner la sortie, Shizuka et Hakoto s’écartèrent et virent sortir un groupe de trois femmes : celle en tête était grande, dépassant le mètre quatre-vingt-dix, elle avait des aux cheveux courts et portait une tenue de sport ; elle était particulièrement impressionnante. Derrière elle se trouvaient deux jumelles afro-américaines aux longs dreadlocks et aux tenues de motards.

Contrairement aux étudiants qu’elles avaient croisés, qui portaient des vêtements plus sérieux ou chics, les trois avaient des tenues plus communes, plus usuelles, ce qui laissa de suite penser à Shizuka qu’il s’agissait de trois mahou senjo. Elle ne put empêcher une certaine réticence de la prendre aux tripes, considérant les précédents événements qu’elle avait vécu. Malgré tout, elle les salua respectueusement en s’inclinant.

Les trois filles parurent surprises par tant de déférence, mais remarquant le kimono d’Hakoto, elles sourirent et les deux jumelles imitèrent Shizuka.

Hakoto échangea quelques phrases avec elle, Shizuka ignorait totalement de quoi il était question, elles allaient trop vite et leur accent ne ressemblait pas à ce qu’elle avait appris en cours. Les deux groupes se saluèrent de la main avant de se quitter.

— Qu’est-ce qu’elles ont dit ? Elles se sont moquées de moi ? demanda Shizuka, un peu inquiète.

— Tu es bien négative, dis-donc… Non, elles m’ont demandé d’où tu venais, puis elles ont dit que tu étais mignonne et elles nous ont souhaité une bonne journée : rien de plus.

— Ah ? C’était donc des gentilles…

— Je comprends ta méfiance, Shizuka-chan, mais toutes les mahou senjo reborniennes ne sont pas méchantes, tu sais ?

— Oui, tu as raison, Hakocchi… C’était stupide de ma part. Désolée d’être aussi…

— Ne t’inquiète pas, c’est ce qui fait tout ton charme, l’interrompit Hakoto en lui lançant un sourire radieux.

Honteuse, Shizuka baissa la tête et croisa les mains devant elle, mais rapidement elle fut fascinée par le hall d’entrée absolument somptueux : tout était en pierre, marbre et granit, avec nombre de colonnades, de statues, des tentures et des escaliers qui donnaient à cet endroit un faste majestueux.

— Whaaaaa ! ne put s’empêcher de s’écrier Shizuka.

— N’est-ce pas ? J’aime beaucoup cet endroit, un de mes préférés du pays. Héhé !

Hakoto afficha une expression joyeuse et douce, elle était satisfaite par la réaction de son amie.

Après avoir montré à nouveau leurs papiers d’identité, avoir été inspectées par deux magical wargirls qui assuraient la surveillance et quelques couloirs plus loin, elle atteignirent la zone « artefacts occultes » de la bibliothèque. Chaque pas était un émerveillement pour Shizuka habituée à l’architecture moderne de Kibou. Tous ces rayonnages remplis de livres anciens, ces tables où les étudiants travaillaient des textes cryptiques étaient tant de choses nouvelles qui la fascinaient.

— Whoo ! Il y a tellement de monde déjà le matin ?

— Chut ! Moins fort, Shizuka-chan…

Shizuka se couvrit la bouche de ses mains, elle n’avait pas parlé si fort, mais l’endroit était particulièrement silencieux comme n’importe quelle bibliothèque aurait dû l’être.

— Ce sont tous des passionnés, chuchota Hakoto en marchant en tête. Certains ne rentrent même pas chez eux tellement ils sont absorbés par leurs études.

— Pour des raisons différentes, ils font comme les salarymen des black company kibanaises…

— Oui, c’est un black d’une autre nature. Haha !

Shizuka désignait en fait les fameuses entreprises kibanaises qui ne respectaient pas le code du travail et qui forçaient, d’une manière ou d’une autre, les employés à travailler plus qu’ils ne l’auraient dû. Même en kibanais, on utilisait fréquemment le terme anglais de « black » plutôt que l’adjectif kibanais équivalent. Hakoto avait simplement rebondi sur la nature obscure des sujets d’études de cette université.

Hakoto paraissait de fort bonne humeur, elle plaisantait rarement de la sorte. Shizuka ne put que sourire en réponse, ce n’était pas une blague à rire à gorge déployée, mais le trait d’esprit était tout de même amusant.

Elles attendirent quelques minutes avant de pouvoir accéder à la borne informatique recensant l’intégralité des collections et leur localisation précises.

Avec le silence qui régnait, il n’était possible que d’entendre les crayons et stylos griffonner les feuilles, mais aussi le bruit des touches des claviers. Shizuka n’avait jamais vu un tel niveau de concentration de la part des étudiants, comme l’avait souligné Hakoto ils étaient passionnés.

Elle constata après quelques minutes que l’endroit était majoritairement occupé par des hommes, les classes de magical wargirls ne paraissaient pas affectionner ces livres, ou bien étaient-elles en cours à cette heure matinale.

Quoi qu’il en fût, Shizuka ne put empêcher ses lèvres de se arquer alors qu’elle découvrit quelques-uns endormis sur leurs chaises ; c’était un champ de bataille d’un genre différent de ceux des mahou senjo.

Les titres des livres n’apparaissaient pas toujours sur les tranches de ces vieux ouvrages et souvent ils étaient en langues étrangères.

— Je comprends rien, Hakocchi… Désolée de devoir te laisser faire tout le travail.

— Euh… en fait, moi non plus, je ne comprends pas tout. Par exemple, c’est quoi comme langue ?

Elle prit un livre, l’ouvrit et révéla des caractères d’écriture qui n’étaient ni des sinogrammes ni de l’alphabet latin.

— Pourquoi Jessica nous a envoyé mener ces recherches, nous ne sommes pas si studieuses, si ?

— Je commence à me poser la même question…

Mais en cet instant, une tierce voix se rajouta à la conversation, c’était une voix féminine s’exprimant en kibanais :

— Il s’agit d’alphabet grec. C’est un livre traitant des opercules arcaniques de Zephyros mis en relation avec le mythe de la boîte de Pandore. C’est un bon ouvrage, je peux vous l’expliquer si vous le souhaitez ?

Les deux mahou senjo se tournèrent pour observer celle qui se proposait ainsi de les aider. C’était une kibanaise aux cheveux attachés en chignon, portant même en intérieur une grosse écharpe de laine qui tournait plusieurs fois autour de son cou.

— Oh… euh… Enchantée, je m’appelle Nakasawa Shizuka.

Prise par surprise, Shizuka balbutia, puis s’inclina. À ses côtés, Hakoto évalua leur interlocutrice sans rien dire. Elle était évidemment agacée qu’on s’immisce dans leur moment à toutes les deux.

Imitant Shizuka, la femme s’inclina et se présenta à son tour :

— Yamaguchi Miyu. Étudiante en 2ème année dans la section Occulte. Je viens à la base de Kibou également, je m’excuse d’avoir fait irruption dans votre conversation, vous sembliez avoir quelques problèmes de compréhension.

— Non, non, pas la peine de vous excuser. Hakocchi et moi, on se disait justement que c’était pas facile de faire une recherche dans ces livres…

— Oui, une bonne partie sont écrits dans des langues étrangères, ce n’est pas facile de s’en sortir.

Hakoto continuait de l’observer avec méfiance, Shizuka n’en comprenait pas réellement la raison.

— Désolée, je n’ai pas l’intention de vous déranger plus longtemps…

— Au contraire, Yamaguchi-san, vous… vous nous seriez d’une grande aide…, l’interrompit Shizuka en agitant ses mains paniquée avec quelques gouttes de sueur sur son visage.

— Nous serions ravies de bénéficier de votre aide, Yamaguchi-sama, appuya poliment Hakoto.

Miyu rougit un peu en se grattant l’arrière de la tête, puis dit avec gêne :

— Est-ce qu’on ne pourrait pas se dispenser des suffixes honorifiques ? Sûrement à force de vivre ici, je… Appelez-moi simplement Miyu, ça ne sera pas un problème.

— Désolée de ne pas l’avoir compris, s’excusa Shizuka. Votre aide est une bénédiction, Miyu-san.

— Veuillez m’excuser également, je n’avais pas compris, Miyu-san.

Hakoto avait un comportement un peu étrange, même Shizuka finit par s’en rendre compte, mais elle ne se doutait pas des réelles raisons.

Hakoto aurait voulu briller aux yeux de Shizuka en lui montrant tout son savoir, mais les livres n’étaient même pas en anglais… Pour le bien de la mission, elle accepta Miyu, mais elle était à présent frustrée par la tournure qu’avaient pris les événements.

— Cela faisait longtemps que je n’avais pas rencontré d’autres citoyennes kibanaises, même dans l’université elles ne sont pas si fréquentes…

Elle baissa son regard devenu un peu mélancolique, puis elle demanda :

— Quel est l’objet de votre recherche ?

— Nous cherchons des informations sur les vierges de fer.

— Nous parlons bien de l’objet utilisé par les cultistes ?

Shizuka hocha la tête.

— Je vois… Puis-je vous demander pourquoi ?

— Ah euh… c’est vrai que ça doit être bizarre sorti de nulle part…

— Nous sommes des mahou senjo en service, c’est pour une affaire en cours, l’interrompit sèchement Hakoto.

Elle tira sa carte d’agence et la présenta à Miyu qui parut surprise.

— Je vois… Désolée d’avoir poser la question…

— Non, non, c’est normal. Au contraire, c’est même plutôt rassurant, dit Shizuka. Euh… vous n’êtes pas… ?

— Hein ? Non, non… Je ne suis qu’étudiante en occultisme, je n’appartiens pas à la section des futurs magical wargirls. Désolée…

— Il n’y a pas lieu de s’excuser, voyons…

Les deux femmes étaient aussi crispée et intimidée l’une que l’autre, Miyu ne paraissait pas si différente de Shizuka. Hakoto plissa les yeux et croisa les bras en ressentant une pointe de jalousie en elle.

— Euh… Pour revenir au sujet… J’ai déjà lu quelque chose, je peux vous en parler… Par contre, ce serait peut-être mieux de sortir d’ici, nous sommes en train de déranger le silence…

Même si elles chuchotaient, il était vrai qu’à force plusieurs des étudiants s’étaient tournés dans leur direction. Hakoto et Shizuka approuvèrent et elles sortirent toutes les trois de la bibliothèque.

Miyu les amena jusqu’à un banc qui se trouvait dans le couloir attenant et les invita à s’asseoir.

— Nous serons mieux ici…

— Je vous remercie vraiment de nous accorder de votre temps, Miyu-san, dit Shizuka.

— Je… je vous en prie. Au contraire, je peux parler un peu…

Une fois de plus, Miyu sourit avec une pointe de tristesse. Shizuka eut pitié d’elle, elle lui paraissait une gentille fille…

— Les vierges de fer… Dans leur acceptation magique, ce sont des machines de torture consacrées selon des rites impies pour permettant de convertir la souffrance et le sang en magie qui permet d’activer des sorts différés. Jusque-là, ce sont les informations connues de la plupart des occultistes. Mais, à l’origine, cet objet avait une toute autre utilité : il était destiné à expurger les cultistes de leurs péchés et s’offrir littéralement à leurs dieux impies.

— C’est horrible, ne put s’empêcher de dire Shizuka en grimaçant.

— Je ne vous le fais pas dire… Les cultes du début de la période post-Invasion l’utilisaient principalement dans cette optique. L’armée a réquisitionné la majeure partie des vierges en circulation à cette époque. D’après les interrogatoires des cultistes capturés, la fabrication de ces outils est si complexe que très peu de cultes en disposent.

— Heureusement…, dit Hakoto.

Shizuka et Miyu approuvèrent d’un hochement de tête. Après avoir avalé sa salive, cette dernière reprit la parole :

— Après l’affaire des Vierges de Madrid, un cas d’arcano-terrorisme assez connu, on pensait les vierges disparues, puisque les principaux fabricants avaient été arrêtés et exécutes, mais elles réapparurent en Ukrytiye quelques années plus tard. On avait constaté leurs vols dans les entrepôts militaires…

— Pourquoi ne pas les avoir détruites ? l’interrompit Shizuka.

— Je suppose que c’était pour les étudier, mais comme toutes les informations relatives à l’armée impériale d’Ukrytiye, on ignora beaucoup de choses. En tout cas, actuellement, on suppose qu’un culte caché de ce pays vendrait les vierges aux diverses cellules du reste du monde.

— C’est… c’est… flippant tout ça…, dit Shizuka en déglutissant.

— Oui, en effet. Qui sait le nombre de ces bombes à retardement qui se cachent dans nos villes prêtes à exploser et causer des morts… ? Je suppose que le but de votre enquête est de trouver qui pourrait en avoir une en ville, n’est-ce pas ?

Hakoto plissa les yeux comme si elle trouvait cette perspicacité un peu trop à-propos, mais elle acquiesça malgré tout.

— Évidemment, vous ne trouverez pas ce genre d’informations dans les livres, mais il y a quelques cultes qui seraient susceptibles d’en avoir en ville, je pense. Les rumeurs parlent de cultistes de Nyogtha qui feraient venir des objets à travers des trains souterrains passant sous l’Atlantique. J’ignore si c’est vrai où si c’est faux, mais les ennemis de Los Angeles sont nombreux. Vous êtes au courant des tensions à l’intérieur du pays ?

Shizuka l’observa avec de grands yeux, tout ce qu’elle entendait l’effrayait terriblement, elle était devenue un pâle et sa gorge sèche.

— Oui, j’ai habité quelques années ici, répondit Hakoto. Les rumeurs infondées disent que les villes voisines ont une telle jalousie envers Los Angeles qu’elles fomenteraient pour la faire tomber.

— Effectivement, je faisais allusion à ce genre de rumeurs. Disons que, considérant le niveau de contrôle de la ville, il serait étonnant de voir circuler des vierges de fer, mais pourtant chaque année les autorités en séquestrent deux en moyenne. Il est normal que les rumeurs y voient une intervention extérieure apportée au cultiste.

Shizuka se mit à légèrement trembler, elle posa une main sur l’autre et fixa ses pieds.

— C’est… pourquoi faire ça ? Nous sommes tous des humains… nous ne sommes pas ennemis.

— Shizuka-chan, tu es bien placée pour savoir que les êtres humains ne sont pas moins ignobles envers leurs pairs.

Les paroles d’Hakoto firent jaillir des souvenirs douloureux dans l’esprit de Shizuka qui grimaça avant de se ressaisir ; elle acquiesça et se calma.

— Miyu-san, pourriez-vous nous en dire plus sur les deux dernières saisies de l’année ?

— Bien sûr… Les deux groupes étaient des cellules de cultes de Shub-Niggurath : l’une d’elle la priait sous sa forme d’Exu issue du quimbanda.

— Exu ? Quimbanda ? s’interrogea Shizuka.

— Ce sont des esprits priés par les pratiquants du macumba, une forme de magie noire apparues parmi les esclaves noirs à l’époque. Actuellement diverses de leurs pratiques sont passées dans divers cultes des Anciens.

— Intéressant…, dit Hakoto en réflechissant.

— Au passage, j’ignore si ça peut aider… Mais les deux cellules étaient composées de ressortissants mexicains, des clandestins. On ignore comment ils sont arrivés en ville… d’ailleurs…

— Pour votre sécurité, je pense que vous vous intéresser à des choses bien dangereuses, Miyu-san. Vos informations nous seront sûrement utiles, mais vous devriez arrêter d’aller aussi loin, surtout lorsqu’il s’agit de cultes. Ils n’aiment pas trop les curieux. Merci à vous pour ces précieuses informations.

Miyu afficha une expression triste et contrariée, mais ne rétorqua rien aux propos d’Hakoto. Cette dernière se leva et tendit la main à Shizuka pour l’inviter à la suivre.

— Nous tenons une piste, il faut enquêter du côté des ressortissants mexicains, je sais déjà par où commencer.

Shizuka se leva et s’inclina pour remercier leur informatrice qui sembla d’un seul coup très perturbée.

— Merci pour tout, Miyu-san. Vous… tu nous as été très utile. Tiens, voici ma carte. Je… je vais repartir dans quelques jours, mais si tu veux parler… je… ce n’est pas obligé.

— C’est très gentil ! Je… je n’ai pas de carte sur moi, mais je te recontacterai sans faute.

Miyu prit les mains de Shizuka entre les siennes. Elle n’avait pas d’amis, même les autres étudiants la trouvaient morose ; c’était ironique pour les personnes passant leurs journées dans des livres obscurs.

Les deux filles échangèrent un sourire qui agaça au plus haut point Hakoto. Cette dernière cacha ses émotions et invita Shizuka à partir.

Alors qu’elles n’étaient qu’à quelques mètres en train de s’éloigner, Miyu, qui les fixait, reprit la parole :

— Euh… en fait… J’ai entendu parler de quelqu’un qui pourrait vous en apprendre plus sur les cultistes mexicains de la ville… Ce n’est pas une personne recommandable, je… je ne l’ai jamais rencontrée… Mais si vous le souhaitez…

Les regards des deux mahou senjo se tournèrent sur elle. Elles ignoraient que Miyu repensait à cet instant à la triste et douloureuse fin de sa famille, sacrifiée par des cultistes. Elle n’avait réussi à tourner la page et faire le deuil, l’occultisme était devenu une obsession pour elle. C’était pour cette raison qu’elle s’était inscrite dans cette université.

L’amitié sincère de Shizuka était un des chaleurs à être entrée dans le cœur de Miyu. Normalement, elle n’aurait pas dévoilé une telle information qui la mettait clairement à la frontière de ce qu’elle était censée ne pas connaître, mais…

— Qui est-ce donc… ? demanda calmement Hakoto, non sans plisser les yeux.

— Elle s’appelle…

***

Pendant ce temps, le dernier groupe composé uniquement de Jessica et de Gloria s’arrêta devant un bâtiment militaire.

Avant de descendre de la voiture, Jessica se regarda dans le miroir du rétroviseur, puis demanda à Gloria :

— Ça le fait pour des faux seins ?

L’interrogée les observa fixement, puis les toucha et finalement leva le pouce :

— Je pense que ça devrait aller. Jessica ? Je… je suis obligée de venir ?

— Tu devrais. Je ne vais pas t’obliger, mais il faudrait que tu affrontes tes peurs et ton passé. Puis, je vais avoir besoin d’un soutien moral en ces temps difficiles, tu sais ? Ta présence me réconforterait.

Gloria observa Jessica fixement, puis soudain elle lui attrapa les joues :

— Ne t’inquiètes pas, nous allons les retrouver. Sinon… je te donne les miens, tu es plus importante encore.

Les yeux de Jessica devinrent humides, elle était reconnaissante à sa subalterne pour cette attention, mais elle n’irait jamais jusqu’à voler ce bien si précieux à un des êtres qui lui était le plus cher.

— Je vais bien, Glory. Je ne deviendrais jamais une vieille plate aigrie comme Madame la Fainéante, tu le sais bien…

— Oui, tu es forte, Jessica ! Tu es la plus forte !

Jessica sourit avec bienveillance. Malheureusement, ces mots provoquèrent en elle autant de mal que de bien : elle avait envie d’en être fière mais, comme elle l’avait confessé à Elin, elle se rendait bien compte qu’elle n’était plus aussi performante qu’autrefois.

La Jessica de l’époque n’aurait jamais laissé échapper le moindre Chupacabra et elle aurait réagi si rapidement que la fausse Cassidy n’aurait jamais pu lui inoculer son poison.

À cause de ce dernier, elle sentait que sa magie n’était pas totalement revenue, des heures s’étaient écoulées depuis l’incident pourtant. Peut-être plus encore que sa poitrine, l’affaissement de sa magie l’inquiétait : et si elle ne reviendrait pas ?

En principe, sur une mahou senjo jeune et en pleine possession de ses moyens, un tel poison n’était que temporaire, mais serait-ce le cas de la Jessica vieillissante et qui n’était plus censée avoir de pouvoir déjà ?

— Ne serait-ce pas l’ironie du sort, pensa-t-elle. Perdre mes pouvoirs et mes seins dans la même affaire, comme pour clore à jamais une ère de ma vie…

Ces pensées la rongeaient de l’intérieur et, pour couronner le tout, dans une telle situation critique, la personne qui aurait pu le plus l’aider n’était même pas présente…

— Qu’est-ce qu’elle peut bien faire, celle-là ?

Elle calma les battements rapides de son cœur en s’assurant qu’une partie de ses pouvoirs étaient revenus depuis la veille, le poison n’aurait sûrement pas raison d’elle comme ça. Et elle avait encore du temps pour récupérer sa poitrine.

— Merci Gloria. Sincèrement, je suis contente de t’avoir acceptée parmi nous.

— Et moi que tu m’aies forcée à te suivre.

Pendant quelques instants, elles échangèrent des regards doux et compatissants, puis elles finirent par se rendre vers l’entrée de l’édifice.

Même si elle n’en avait pas envie, Gloria décida de l’accompagner. Jessica était pour elle la personne la plus importante, elle devait faire efforts pour elle.

Après avoir présenter leurs documents d’identité à l’entrée, les deux magical wargirls furent immédiatement accueillies par une secrétaire qui leur demanda l’objet de leur visite.

— Nous venons chercher des informations concernant une personne du nom de Cassidy Hall. Elle est potentiellement impliquée dans une affaire criminelle surnaturelle.

— Veuillez patienter je demande l’autorisation à mes supérieurs, Miss Whitestone.

— Faites donc, je vous en prie. Nous allons nous asseoir sur le banc.

Jessica connaissait très bien l’endroit et le protocole, elle avait fréquenté l’armée tellement d’années qu’elle aurait pu facilement occuper le poste de secrétaire. Elle connaissait même le service et l’officier que la femme allait contacter.

En fait, sa visite à cette base était entièrement calculée : elle savait qu’à cette heure matinale, le capitaine Grayson serait présent et qu’il lui serait favorable. La demande ne terminerait pas sur un bureau à attendre des jours et des jours une validation.

— Jessica… s’ils refusent…, chuchota Gloria à l’oreille de sa chef.

— Ils ne refuseront pas, je t’assure. Puis je préférerais que tu n’utilises pas de telles compétences, tu le sais bien.

— Oui, Jessica…

Gloria prit une expression de petit animal honteux, elle était adorable lorsqu’elle était ainsi. Nul n’aurait pu deviner en la voyant la haine profonde qu’elle cachait en elle.

L’appel ne dura pas très longtemps, la secrétaire raccrocha et vint les prévenir qu’elles pouvaient utiliser les ordinateurs des archives avec un niveau d’accréditation de niveau 3. D’ailleurs, elle leur donna le badge temporaires leur permettant de circuler dans la base.

— Merci beaucoup. Vous transmettrez mes amitiés au capitaine Grayson.

La secrétaire resta interdite quelques instants, puis dit :

— Je n’y manquerai pas…

Sur ces mots, elles s’éloignèrent et se dirigèrent vers les archives.

C’était la première fois que Gloria accédait physiquement à cet endroit, en général elle passait par des cyberattaques.

Le bâtiment était solide et massif, composé de lourds murs en bétons et de portes coupe-feu en métal qui n’étaient pas sans rappeler un bunker. Après quelques nouveaux contrôles, les deux femmes arrivèrent enfin à l’endroit désiré, elle purent s’installer devant un ordinateur.

— À toi de jouer, ma chérie.

Gloria fit craquer ses doigts et commença à pianoter à une vitesse incroyable.

Il ne lui fallut que quelques minutes pour trouver toutes les informations relatives au dossier de Cassidy Hall ; ce n’était pourtant pas une mince affaire, les bases de données n’étaient pas centralisées, il fallait retrouver les pistes dans différents services.

Avec ce niveau d’accréditation, elles purent avoir presque toutes les informations la concernant, Gloria ne pensait même pas qu’il y ait eu des informations classées sécurité maximale à son sujet.

Tout d’abord, conformément aux tests médicaux qu’elle avait passé dans l’arcologie BioMagiTec, elle n’était pas recensée en tant que magical wargirls : elle n’avait été, selon les informations, ni éveillée à l’armée, ni dans une corporation ou au marché noir.

Les parents de Cassidy étaient des personnes fortunés, mais mortes prématurément dans une sombre histoire impliquant des cultistes de Nyarlathotep. Un tuteur d’état lui fut attribué suite à cette affaire, n’ayant pas de famille proche. Elle finir par faire la demande d’émancipation et l’obtint à l’âge de 16 ans. Elle continua d’occuper la demeure familiale à San Francisco.

Suite aux décès de ses parents, elle arrêta subitement les études à l’école, mais son tuteur utilisa sa fortune pour engager un professeur particulier qui lui dispensa des cours à domicile.

Parmi les événements les plus marquants du passé de Cassidy figurait une séquestration dont elle fut victime. À l’âge de 12 ans, quelqu’un s’était introduit chez elle pour l’enlever. Elle réapparut quelques temps plus tard après son signalement en affirmant n’avoir aucun souvenir de sa détention ou de ce qu’elle avait pu faire au cours de cette période. Sans les traces de sa résistance sur les lieux d’enlèvement, on aurait pu penser à une fugue sous l’effet de la folie.

D’ailleurs, après cette affaire, elle fut suivie par un psychiatre durant des années, jusqu’à son émancipation en fait.

Les conclusions des suivis psychologiques révélaient un état de santé mental stable, mais une profonde paranoïa née par le décès de ses parents, ainsi qu’un renfermement sur elle-même. La responsabilité de son tuteur fut remise en cause, mais l’enquête n’alla pas plus loin pour diverses raisons non expliquées.

Même si aucune preuve ne permettrait de lier les deux affaires, la secte d’Hellios était la principale suspecte dans l’affaire de l’enlèvement de Cassidy. En effet, la mère de Cassidy était connue pour avoir fait partie d’une secte vénérant des extraterrestres et dont une partie des membres, après dissolution, avaient rejoins celle d’Hellios.

Lors du démantèlement de la secte d’Hellios par les officielles, Cassidy ne se trouvait pas dans leurs locaux parmi les victimes, on laissa de fait tomber cette piste.

Un autre incident avait frappé Cassidy. En 2081, lors de l’affaire de Nob Hill, elle fut attaquée par un des envahisseurs qui la blessa gravement au ventre ; elle échappa à la mort de justesse.

Suite à sa convalescence, elle décida de changer de ville et s’installa à Los Angeles où l’immigration l’accepta. La suite était connue de Jessica puisque Cassidy avait rejoint son arcologie trois ans auparavant (en 2083).

Pourquoi une personne fortunée avait-elle eu le désir de travailler dans une arcologie ? Et pourquoi avoir cacher toutes ces informations à Jessica qui entretenait avec elle une bonne relation ?

En effet, les informations qu’elle lisait aux côté de Gloria différaient de celles que Cassidy lui avait mises à disposition lors de son entretien ou au cours des nombreuses conversations qu’elles avaient eu.

Jessica venait de comprendre… Elle serra les poings avec colère. Elle avait vraiment l’impression qu’on avait trahi sa confiance.

— Je dois faire des recherches sur la secte Hellios ? lui demanda gentiment Gloria.

— Non, c’est bon, je les connais déjà…

Gloria pencha la tête de côté pour l’observer. Jessica lui expliqua :

— J’ai fait partie du démantèlement de cette secte de fous furieux. Tssss ! Tellement d’éléments y sont liés que ça me donne envie de vomir !

Le regard d’incompréhension de sa subalterne la rappeler à elle, elle reprit son calme et continua :

— En fait, j’ai fait partie de l’opération de démantèlement. Il s’agissait d’une secte priant le soleil ou je ne sais plus quelle absurdité du genre. Quoi qu’il en soit, ils pensaient que l’évolution humaine passait par la magie, ils ont réussi d’une manière ou d’une autre à avoir une machine d’éveil GodGiving 2.9 et ils s’en sont servis pour éveiller en masse des fillettes. La plupart furent des échecs, ils ont juste créé des aberrations, des mahou senjo dont les pouvoirs étaient incontrôlables ou à moitié mutantes. L’affaire a pas mal fait parler d’elle à l’époque. Suite à l’affaire, j’ai fait la demande pour récupérer la machine d’Éveil, elle me fut accordée.

Si Cassidy avait ciblé spécifiquement la machine d’Éveil de BioMagiTec, n’était-ce pas parce qu’il s’agissait de celle liée à la secte Hellios, secte dont avait sûrement fait partie sa mère ?

Il manquait encore de nombreux éléments à élucider, mais Jessica était sûre à présent que Cassidy était dans le coup : elle n’était pas morte et avait trompé Jessica depuis le début pour gagner sa confiance et avoir un poste proche de la machine d’Éveil qu’elle convoitait depuis le début.

— Tu penses qu’elle a été séquestrée par la secte Hellios et qu’elle veut faire pareil qu’eux maintenant ?

— C’est une forte possibilité… En tout cas, ça ne me dit rien qui vaille… Et on ignore comment elle a pu déjouer les contrôles médicaux. Je suis formelle : à son embauche, elle n’avait pas de pouvoirs.

— Jessica ? Tu as encore son dossier médical ?

— Bien sûr.

— Je peux le voir ?

— Évidemment. Tu as une idée derrière la tête ?

— Oui. Je me demande… si c’était bien la même personne. Elle avait un complice, tu as dit, non ? Admettons que sa complice avait un pouvoir pour voler les pouvoirs ou quelque chose comme ça, elle aurait pu lui les voler avant l’examen médical.

Jessica réfléchit à cette théorie, elle paraissait peu possible : même si elle n’avait pas eu de pouvoirs au moment de l’examen parce qu’un autre pouvoir l’en aurait privée, son ADN aurait malgré tout porté les marques de son éveil. Mais Gloria ignorait encore quelques détails concernant l’éveil, son raisonnement ne pouvait pas les inclure à sa théorie.

— Il y a de l’idée. Ce serait une erreur de se concentrer uniquement sur Cassidy, il faut enquêter plus sur sa complice. J’ai bien fait de t’amener.

— Merci, Jessica.

— Avant que nous partions, j’aimerais que tu me trouves son adresse à Los Angeles. Et j’aimerais aussi des informations sur deux magical wargirls…

Gloria trouva facilement les informations demandées.

Les yeux de Jessica s’écarquillèrent à leur lecture, puis elle parut encore plus furieuse qu’auparavant.

— Bande de vieux cons ! Vous attendiez quoi pour me le dire ?

— Des connaissances, Jessica ? demanda calmement Gloria.

— Oui, c’était les deux filles qui étaient sur l’affaire Hellios avec moi ! Bon sang, pourquoi on ne m’a pas prévenue ? Tout paraît plus clair à présent, bien bien plus clair… Partons d’ici, Glory !

Les deux magical wargirls dont parlait Jessica étaient mortes récemment, l’enquête n’avait toujours pas aboutie. Leurs décès avaient eu lieu à des dates et des lieux différents, mais aucune des deux n’avait eu le temps de réagir : elles avaient été tuée par surprise. On présumait une magical wargirl ou un Nyarlathotep d’être le coupable, les blessures causées et la vitesse d’action étaient inhumaines.

En revenant à la voiture, Jessica contacta son arcologie et obtint les informations d’enquête qu’elle avait lancé quelques heures auparavant : la tombe de Cassidy Hall était vide, l’équipe avait même pris l’initiative de l’ouvrir suite aux analyse des rayons X.

Profitant de cet appel, Jessica demanda l’envoi de la vidéo du contrôle médical de Cassidy à Gloria. Cette dernière la visionna plusieurs fois avant de la mettre en pause et de signaler à Jessica :

— Il y a un problème… Elle n’a pas de cicatrice au ventre. Dans le dossier militaire, ils disaient qu’elle avait été gravement blessée lors de l’affaire de Nob Hill et qu’elle en avait une. Si ça se trouve, celle que tu as engagée n’était pas Cassidy…

Jessica grogna puis frappa furieusement le volant de la voiture.

Attachant sa ceinture de sécurité, elle démarra en trombe vers l’appartement de la suspecte. Les tentatives de Gloria pour la calmer trouvèrent peu de succès.

Jessica détestait ce genre d’affaire pleines de mensonges. Elle les détestait vraiment…

Suite au tome 6