— Profitez-en pour faire du tourisme. Je compte sur vous les filles ! Faites leur découvrir les beautés de Los Angeles.
Jessica fit face à ses subalternes en affichant un sourire triomphant. Elle pensait réellement pouvoir les impressionner par les splendeurs de cette ville sous dômes devenue la capitale du nord Amérique.
Mais, Hakoto grimaça et levant les épaules :
— Euh, Jessica, t’es sûre qu’on parle du même endroit ?
— Ah ? Revoilà Hakoto Patriotique, dit Sandy en croisant les bras et en s’appuyant contre le mur voisin.
Elle se trouvaient dans l’une des grandes chambres de la villa de Jessica. Les filles de Tentakool étaient en train de se préparer de leur côté. Jessica et Sandy étaient déjà habillée, mais Gloria et Hakoto étaient encore en pyjama.
— Rien à voir avec du patriotisme, c’est juste que je ne vois pas de beauté dans cette ville. Je déteste Reborn Angeles, de toute manière.
— Hako, tu exagères…
Gloria remonta ses lunettes et en avala une poignée de chips ; il n’était que le matin.
— La ville est cool, c’est les gens qui sont nuls, continua-t-elle.
— Une ville est un tout, ce n’est pas qu’un ensemble de bâtiment, Glory. Que ce soit les bâtiments ou les gens, je n’aime pas cet endroit…
— Moi non plus, mais c’était un ordre. Il y a bien des problèmes ici, mais ce n’est pas en une journée qu’on les remarque. Amenez-les se promener. Amusez-les. C’est tout ce que je vous demande.
Jessica laissa tomber son air hautain, elle avait admis ses vrais sentiments à l’égard de Los Angeles, un endroit aussi brillant et splendide que remplit de vicissitudes et d’injustices. Puis, Jessica avait accumulé à son endroit nombre de mauvais souvenirs.
— Sandy, tu seras la chef du groupe, dit-elle en la pointant du doigt. Je te confie ma black card !
Sur ces mots, Jessica lui tendit une carte bancaire noire qu’elle tira de son soutien-gorge.
C’était ironique qu’une telle charge incombât à la délinquante du groupe, mais Jessica avait pleinement confiance en elle.
— Pourquoi pas moi ? Tu ne penses pas que je…
— J’ai confiance en chacune de vous, ne t’y trompe pas, Hakoto. Mais il faut bien choisir quelqu’un et, cette fois, ce sera Sandy. Puisqu’elle est la seule à ne pas avoir dit du mal de Los Angeles, on va dire que c’est sa récompense.
— Et pourtant tu as avoué la même chose que moi…, grommela Hakoto un peu vexée.
— De toute manière, je préfère pas l’avoir, dit Gloria en jetant un œil à son téléphone. Trop de responsabilité. Puis, ça oblige à parler avec des inconnus…
Elle grimaça simplement à l’idée de ce faire, ce qui fit sourire Sandy mais fit soupirer Jessica qui se préoccupait de plus en plus de cette misanthropie.
— Donc on va dire que c’était le bon choix. En plus, connaissant Hakoto elle en aurait profité pour faire n’importe quoi et impressionner Shizuka. Pas vrai ?
Elle jeta un regard en coin à la concernée tout en esquissant un sourire moqueur.
— C’est faux, je n’aurais jamais fait ça ! protesta Hakoto. Enfin… juste un peu…
Elle rougit et détourna le regard avec honte.
— Bah voilà, donc aucune contestations. Je compte sur vous. Et même si c’est avant tout pour elle, essayez d’en tirer profit aussi. Amusez-vous et revenez ce soir en me disant que Los Angeles est un endroit magnifique. Hihi !
Elle sourit à pleine dents. Gloria et Hakoto la dévisagèrent peu convaincues, les épaules basses (bien que pour des raisons différentes l’une de l’autre).
Pendant ce temps, Sandy fixait la carte de crédit, normalement réservée aux personnes les plus riches, une carte sans plafond qui ouvrait les portes d’un monde étranger et inaccessible. Elle n’était pas tant attirée par le pouvoir corrupteur de cette clef qu’elle n’était étonnée, en vrai.
Contrairement à d’autres, Sandy ne nourrissait aucune jalousie envers les riches ; c’était même plutôt l’inverse. Jessica lui avait fait changer d’avis et avait mis de l’eau dans son vin, mais à une époque elle crachait ouvertement sur tous les bourgeois et riches du monde.
— Quand ai-je changée au point de recevoir de telles responsabilités ? se demandait-elle intérieurement.
En général, non pas par manque de confiance envers Sandy, Jessica confiait ce genre de tâches à Hakoto qui était plus sociale. Etait-ce une manière détournée de la part de Jessica pour l’encourager à s’ouvrir plus encore vers les autres ?
Sandy était consciente elle-même de ne plus être aussi dure et froide envers autrui. Comparé à jadis où elle avait été une tigresse enragée elle ressemblait à présent à un chat de gouttière rebelle.
Elle sourit d’un air mystérieux, puis durcit ses traits et se sépara du mur où elle s’adossait.
— Vous êtes pénibles toutes les deux. Vous avez pas fini vos jérémiades et grimaces ? Les ordres de Jessica sont absolus. Arrêtez de pinailler et bougez-vous le train où je vous botte le cul à coup de rangeots !
Elle mit la carte de crédit dans sa poche et mit ses mains sur ses hanches de manière agressive.
— Petit tyran !
— Neo-oppresseur 2.0 !
Malgré leurs protestations, Hakoto et Gloria soupirèrent et s’en allèrent se changer.
***
Dans une autre pièce, les filles de Tentakool s’étaient rejointes. Leur chef, cette fille à l’allure d’une collégienne, leur tenait un discours moins autoritaire que celui de Jessica :
— On en a parlé avec Jess et les filles vont vous amener vous amuser en ville. Soyez sympa et tout et tout…
— Et toi, tu vas faire quoi Elieli ? demanda Irina en pyjama.
Elle était complètement décoiffée. Contrairement aux autres, au lieu d’immédiatement se changer et se coiffer, elle était couchée sur un lit et jouait à la console portable.
— Un truc administratif pénible… je vous en parle ce soir, sûrement.
— Êtes-vous certaine de pouvoir vous débrouiller seule avec Whitestone-san ? Votre relation est pour le moins conflictuelle et nous supposons que devoir supporter une journée durant cette poi… cette personne ne sera pas de tout repos.
— Moi j’adore Jess ! dit Irina en éteignant sa console de jeu.
— Normal, tu joues dans la même cour…, marmonna Shizuka un peu plus loin.
Elle baissa le regard sur sa poitrine et soupira. Elle n’avait jamais été complexée à ce propos mais être entourée de filles qui en avaient tellement la remettait en question.
Vivienne ne tarda pas à lui prendre délicatement la main et lui sourire avec compassion. Elle ne comprenait que trop bien.
— Ouais si c’était juste une question de boobs, Jess serait rang Z. Merci de ton inquiétude, Vivi-chan, mais je suis habituée à Jess, j’ai bossé pas mal de temps en duo avec elle.
Même si elle comprenait la frustration, Shizuka se sentit peinée envers la personne qui les accueillait avec tellement de gentillesse :
— Vous exagérez toutes les deux, Jessica est vraiment une bonne personne. Très généreuse.
— Mais perverse, souligna Elin. Enfin bref… préparez-vous et faites bonne impression, OK ?
Les regards de Vivienne et de Shizuka s’arrêtèrent sur la tenue de leur chef qui venait ainsi de leur faire cette recommandation. Elles se turent mais n’en pensèrent pas moins.
— OK~ ! J’ai pas tout pigé mais en gros faut qu’on s’éclate, c’est ça ? Toujours au top pour s’amuser ! Yeahhhh !
Cette fois les regards se posèrent sur Irina dont la poitrine rebondissait sous l’effet de sa soudaine excitation. Les regards s’assombrirent des nuages de la jalousie.
— Je disais ça surtout pour toi, tu sais ? Faites gaffe, vous n’êtes pas à Kibou ici. Tant que nous séjournons sur ce territoire nous avons un statut diplomatique. Si vous voyez des trucs surnaturels dans la rue, laissez faire les autres. Ce serait mal vu que des étrangères s’en occupent et en cas de problème ça sera réellement pénible, je vous l’assure.
— Même si c’est grave ? demanda Shizuka avec étonnement.
Elle ne s’était jamais intéressée aux lois internationales, c’était la première fois qu’elle était confrontée à ce problème. Qui plus est, elles n’étaient pas des citoyennes normales, nombre de lois étaient différentes pour elles.
Elin s’assit en tailleur sur le même lit qu’Irina et se cura l’oreille de son petit doigt. Une attitude qui n’était pas sans rappeler un papy.
— Contrairement, à Kibou, ici les mahou senjo —les magical wargirls— sont considérées comme des gens normaux sur pas mal de points. Elles répondent de leurs actes comme les autres, ce qui peut-être problématique lorsqu’il est affaire de pouvoirs magiques.
En effet, même pour Shizuka qui n’était pas versé dans le droit, la difficulté de devoir gérer les pouvoirs magiques dans l’esprit des lois était évident.
— En principe, en tant que diplomates, nous ne sommes pas tenues d’agir hors des contrats qu’on nous donne. Si nous voyons un phénomène magique mais nous avons quand même la liberté d’agir ou non, disons qu’il y a une tolérance qui arrange bien les autorités.
À Kibou, les mahou senjo avaient le devoir d’intervenir, soit en signalant un problème de nature surnaturelle aux autorités compétentes, soit en agissant elle-même. Ne rien faire était passible de non-assistance dans les lois kibanaises.
— Mais le souci, c’est que si vous vous plantez et vous retrouvez mêlées à une affaire qui n’est pas de nature occulte, bah… ce sera un réel souci. Même les magical wargirls rebornienne n’ont pas plus de droits lorsqu’il s’agit d’affaires du genre. Donc abstenez-vous au maximum, simple principe de prudence en somme.
Kibou était plus laxiste envers les mahou senjo, même si elles intervenaient dans des affaires civiles normales on les tolérait. Dans les faits, les mahou senjo étaient toujours considérées comme des membres des forces de l’ordre, qu’elles soient des officielles ou des agences. Seules les mercenaires avaient un statut à part.
— C’est compliqué, Elieli !
— Oui, je préfère m’abstenir, en effet…, dit Shizuka en se grattant la joue.
— Après si c’est vraiment un truc grave qui met vos vies et celles des NyuuStore en danger, vous privez pas quand même. Téléphonez-moi, on s’arrangera avec Jess. Elle a quand même le bras long ici.
— C’est vrai que Jessica-san est riche…, réalisa Shizuka, même si c’était évident.
Irina sauta du lit et donna une tape à Elin.
— Toutes ces histoires compliquées m’ont donné la dalle. Amuse-toi bien, Elieli ! Haha !
— Je pars pas m’amuser, idiote.
— Bah, t’amuse pas alors !
— Tsss ! C’est peine perdu avec toi. Tentez de pas rôtir au soleil, c’est pas le même climat qu’à Kibou.
Irina mit ses mains sur ses hanches et dit fièrement :
— Yep ! J’vais me foutre la crème crème que j’ai amené et j’irais m’acheter un parapluie.
— Ombrelle, corrigea Vivienne. Le terme correct est ombrelle, Irina-san. Néanmoins, vous n’avez pas l’élégance et le prestige pour un tel accessoire, vous savez ?
— Ah oui ! C’est le mot qu’utilisent les vampires. J’avais zappé !
— Depuis quand c’est un mot vampirique ? s’étonna Shizuka.
— Tu connais pas assez la société des vampires, Shi-chan, c’est pour ça. Hahaha !
— Vous non plus, manifestement, pour ne point connaître ce mot.
— Vous êtes bruyantes, vous commencez à me casser les oreilles, dit Elin. Je m’en vais. À ce soir…
Elin les salua de la main tout en bâillant au point d’en avoir les larmes aux yeux.
— Nous devrions nous préparez également, Shizuka-san. Irina-san, il va sans dire qu’il ne lui faudra que quelques minutes pour ajuster son style sauvage barbare habituel, mais nous autres, filles de bonnes mœurs…
Shizuka afficha un sourire poli tandis que des gouttes de sueurs apparurent sur ses joues.
— Même de bon matin, Oneesama est cassante avec Irina… Comment ont-elles fait pour se supporter si longtemps ?
Le sourire innocent et insouciant d’Irina était à même de donner une piste de réponse.
***
Elin se jeta mollement dans la voiture de sport décapotable qui se trouvait devant la villa : celle de Jessica.
Il était facile de voir sur le visage de cette dernière la colère monter. L’attitude mollassonne, irrespectueuse et démotivée de sa collègue lui tapait déjà sur les nerfs.
Jessica ne put s’empêcher de serrer fermement le poing, alors que, contrairement à Elin, elle salua de son autre main son équipe réunie à l’entrée.
— Bonne chance et soyez prudentes. En cas de problème, vous avez mon numéro de téléphone. Pour la voiture, tu peux prendre celle que vous voulez, Sandy.
— À ce soir, Jessica, salua poliment Hakoto. Bonne chance à toi aussi, à bien des égards.
Gloria la prit dans ses bras chaleureusement. Ses seins s’écrasèrent sur deux de Jessica tandis que l’odeur de parfum de sa chevelure entra dans ses narines.
Jessica resta hébétée quelques instants, cette sensation, cette odeur, cette chaleur… c’était ce qu’elle préférait, c’était le switch qui altérait sa personnalité.
Alors que ses mains allaient se diriger vers les fesses de Gloria, après qu’un sourire béat apparut sur son visage, Jessica sentit un regard perçant braqué sur son dos. Elle le reconnut de suite, c’était celui d’Elin.
Elle savait qu’elle essuierait des reproches si elle allait plus loin. Elin ne jugeait pas, elle se moquait. Et les moqueries d’Elin était de celles que Jessica détestait le plus.
Avec son air de robot impassible, sa voix monocorde et son air de Miss-je-sais-tout, elle était la personne qui vexait le plus Jessica.
Elle se ravisa et se sépara de Gloria.
— Je… ne peux pas venir avec toi ? demanda Gloria.
— Pas cette fois. Apprends à sociabiliser avec les Tentakool. Tu aimes bien Shizuka, non ?
Gloria acquiesça.
— Profites-en. Ici, c’est elle qui ne connaît pas la langue.
Jessica lui fit un clin d’œil entendu et Gloria, résignée, retourna auprès de ses collègues.
Sandy la salua d’un mouvement de tête silencieux, elle était les mains dans les poches sur la plus haute marche du perron d’entrée.
À peine Jessica prit place au volant que…
— Tu vas attacher ta ceinture, oui ?! Tu te crois où ? cria-t-elle à sa collègue.
— Ah ouais… C’est vrai que toi t’aimes bien pour faire ressortir tes boobs, pas vrai ?
— Tu l’avais remarqué ? Héhé !
— Au moins en cas d’accident, tu as un double airbag en plus. Impossible que tu crèves dans un accident de voiture.
— Eh oui ! Ce n’est pas comme toi qui finirait encastrée tête la première dans la voiture d’en face… Et attends ! Tu serais pas en train de me tourner en bourrique pour pas mettre ta ceinture ? C’est pas de vulgaire airbag, saleté de demi-portion !!
Elin détourna le regard et se mit à siffloter tandis que Jessica comprenait enfin sa stratégie. Mais les reproches étaient loin de s’en tenir là :
— En plus, si tu mets tes pieds crasseux sur le cadran tu vas le salir ! Sans parler des gens qui vont voir ta culotte de gamine et qui vont se mettre à vomir ! La police va nous arrêter pour exhibitionnisme à cause de tes sales manières ! Et le pire ! Le pire ! C’est qu’on va croire que je suis ta mère indigne !
Elin bâilla sans répondre, effectivement on pouvait voir ses jambes et sa culotte dans sa position.
— Tu m’écoutes quand je te parle au moins ?!
C’était l’éternel refrain.
Toute leur relation était basé sur ces cris, elles étaient réellement semblable à chien et chat. Il n’y avait vraiment que sur le champ de bataille où elles pouvaient s’entendre, et encore.
Sous les regards de leurs subalternes, la voiture s’éloigna et quitta la propriété.
Shizuka et Hakoto affichaient une expression confuse alors que quelques gouttes de sueur apparurent sur leurs joues :
— Je me demande vraiment si ça va aller pour elles ?
— Je me le demande aussi…
— Peut-être est-ce plus légitime que nous nous inquiétions pour elles que l’inverse, exprima Vivienne en se plaçant aux côtés de Shizuka.
— Elles sont marrantes toutes les deux. J’adore les voir se disputer, on sent qu’elles sont super potes. Haha haha !
Irina se mit à rire en passant ses bras derrière la tête. Les regards des autres filles braqués sur elle n’étaient pas réellement du même avis.
— Au final, elle l’a pas mise quand même la ceinture, dit Sandy. Jess se fait toujours avoir on dirait…
Shizuka eut honte de sa chef. Faire une telle histoire pour une ceinture de sécurité… Le regard compatissant de Vivienne lui affirma qu’elle n’était pas la seule à éprouver ce sentiment.
— I don’t get it. Hakoto, please, translate !
Sandy soupira.
Le problème n’était pas que les deux chefs, il y avait de sacrée personnalité au sein des subalternes aussi. En avoir la charge ne serait sûrement pas une partie de plaisir.
Lire la suite – Chapitre 1