Chapitre 7

Il était presque dix-huit heures, le premier groupe composé d’Hakoto, Shizuka et Jessica s’approcha de l’entrée de l’arcologie ChangeLife.

Il y avait encore du public dans les locaux destinés à la vente, contrairement à BioMagiTec, une partie lui était accessible.

À peine arrivèrent-elles que deux hommes en costume noir vinrent à leur rencontre. Ils leur demandèrent leurs documents d’identités.

— C’est donc vous que la patronne attend ? Veuillez-nous suivre…

Sur ces mots, l’un des deux gardiens leur fit signe, tandis que l’autre hocha la tête en direction d’un secrétaire qui ne manqua pas de décrocher son combiné, sûrement pour prévenir Teresa.

Pendant qu’elles s’acheminaient vers la partie privée de l’arcologie, la partie plus intérieure de cet ensemble d’immenses immeubles, elles entendirent une annonce retransmise dans les haut-parleurs de tout le complexe :

« Chers clients, en raison d’un contrôle des dispositifs de sécurité, nous vous prions de quitter immédiatement les locaux. Nous nous excusons du désagrément et nous vous invitons à revenir ultérieurement. Un agent à la sortie vous remettra un coupon de réduction de 20 % pour nous excuser de ce gêne soudaine. »

Shizuka se rapprocha d’Hakoto, ses mains et ses jambes tremblotaient. D’une petite voix hésitante, elle chuchota :

— Tu penses que ça veut dire que… ?

— Sûrement. Tiens-toi sur tes gardes.

Jessica, à leurs côtés, leur jeta un regard en coin peu satisfait. Elle avait une attitude différente de son habitude, même sa démarche trahissait un changement. Sa fausse poitrine rebondissait d’une manière qu’un connaisseur aurait tout de suite remarqué comme exagéré et provoqué.

Hakoto croisa son regard alors qu’un coin de ses lèvres se releva avec amusement. Son comportement était également étrange. Que pouvaient-elles donc fomenter toutes les deux ?

Seule Shizuka, habituellement peureuse, était égale à elle-même.

Elle se demandait d’ailleurs si c’était une bonne chose de les accompagner. En cas de problème, elle serait sûrement plus une gêne qu’une aide, d’autant plus en plein territoire ennemi. Mais Jessica avait parue confiance, elle avait affirmé qu’elle se sous-estimait ; elle avait accepté à contrecœur. Le stress était tel qu’elle avait l’impression que ses intestins formaient un nœud.

Shizuka plongea la main dans son sac à main pour vérifier que sa baguette magique s’y trouvait, elle l’empoigna en s’emplissant d’un sentiment rassurant.

Le complexe de ChangeLife était plus vaste que l’arcologie de Jessica, elle était composée de plusieurs bâtiments donnant vers l’extérieur, sur la vile, et accessible en partie au public. Mais dans leur ombre se dressaient de plus modestes édifices et une immense cour intérieure, formant un lotissement. Le niveau de sécurité y était bien plus élevé.

En effet, loin d’être visibles depuis l’extérieur, il y avait plusieurs batteries de lanceurs de missile sol-air, mais également plusieurs pistes atterrissage d’hélicoptère où se trouvaient des hélicoptères de combat AH-64 Apache. Des M134 étaient montés sur les diverses parois des hauts immeubles qui délimitaient l’arcologie et couvraient tout l’espace intérieur.

— C’est… une base militaire ? se demanda à haute voix Shizuka.

— Ce niveau de sécurité est courant dans les arcologies. N’y prête pas attention, dit Hakoto.

— Difficile de ne pas se sentir menacée…

— Ces armes ne sont pas une menace pour nous autres.

En réalité, elles n’étaient pas aussi immunisées aux armes conventionnelles que ne l’étaient les Anciens. Selon la puissance de la mahou senjo, un missile ou un tir d’obus pouvait malgré tout la blesser. Mais en général, la barrière réactive suffisait à s’en protéger.

Tout en conversant, elles finirent par arriver au centre de la grande place centrale. Autour d’elles, la plupart des bâtiments étaient hauts de deux ou trois étages, mais quelques-uns arrivaient à cinq ou six.

La place, quant à elle, était bien dégagée. Elle mesurait quelques centaines de mètres de diamètre, quelques kiosques, quelques arbres, des fontaines et des bancs lui donnaient un air plutôt relaxant. En temps normal, les employés devaient y manger et y discuter, sûrement.

Hakoto et Jessica ne manquèrent pas de repérer les filles qui se tenaient sur les toits des bâtiments voisins : aucun doute, il s’agissait de mahou senjo.

Au centre de la place, sur une estrade improvisée, siégeait un trône avec une femme assise, les jambes croisées, et le regard hautain. C’était sûrement Teresa.

Sous la lumière déclinante du crépuscule apparut la silhouette d’une des instigatrices de toute cette affaire. Sa peau avait une teinte blanche-grise, si claire qu’elle était ne semblait pas humaine. Avec ses yeux rouges luisants, ses cheveux noirs et sa robe à froufrous avec un corset, ainsi que son petit chapeau et surtout son sourire carnassier condescendant, elle avait tout l’air d’une vampire.

À ses côtés, il y avait deux hommes en costume noir avec des lunettes de soleil et une oreillette, ainsi que l’otage : une petite silhouette encapuchonnée à genoux, les mains liés devant elle. À la gauche de Teresa, une table basse avec une tasse de thé fumant.

— Tsss !

Hakoto ne put s’empêcher de faire claquer sa langue en remarquant l’otage. Shizuka tremblait encore plus. Seule Jessica semblait imperturbable.

L’homme qui les accompagnait les arrêta à une dizaine de mètres de l’estrade. Teresa fit signe à tout le monde de partir, les hommes de main s’exécutèrent aussitôt. Il ne restait que les mahou senjo sur les toits des bâtiments voisins, elles étaient au nombre de six.

— Te voilà enfin, Jessica Whitestone ? Cela fait tellement longtemps que je voulais te revoir que j’ai cru mourir de vieillesse en t’attendant…, déclama Teresa dans un japonais empreint d’un accent étranger.

Même dans une langue étrangère, son ton était des plus hautains.

Jessica ne répondit pas, elle la fixa d’un regard calme et digne, sans aucune animosité.

— Ne t’ai-je pas dit de venir seule, Jessica ? Alors comme ça, on se croit supérieure à mes ordres ? C’est une bien mauvaise idée de me contrarier, tu sais ?

Jessica ne réagit toujours pas, elle se taisait et fixait son interlocutrice. C’est Hakoto qui finalement prit courageusement la parole avec arrogance.

— Depuis quand Jessica suit les ordres de quelqu’un qui ne se présente même pas ?

— Yamagata Hakoto, je ne crois pas t’avoir autorisée à prendre la parole.

— Désolée pour toi, mais je ne prends d’ordres de personnes ! Pas même de Jessica, s’ils me semblent stupides !

— Eh bien ! Que voilà une subalterne bien indisciplinée. Tu grossis tes rangs de chiens sauvages, Jessica ?

Teresa se mit à rire de manière en prenant Hakoto de haut, elle surjouait en posant sa main ouverte contre sa joue.

Cette fois, par contre, les lèvres de Jessica s’ouvrirent et d’une voix calme et hautaine, elle expliqua :

— Vous avez bien raison, très chère, Hakoto-san est un élément à problème de notre agence. Nous tâcherons de nous en séparer aussitôt que possible. Veuillez l’excuser quant à son manque d’éducation.

— Qu’est-ce que tu dis toi ?! Tu cherches la bagarre, c’est ça ?!

— Calmez-vous, les filles… C’est pas le moment…, s’interposa Shizuka avec un air gêné.

Quelqu’un qui connaissait bien Jessica aurait immédiatement trouvé son attitude étrange à cet instant, mais ce n’était pas le cas de Teresa. Elle parut agacée, puis n’appréciant pas qu’on l’ignorât de la sorte, elle frappa ses mains l’une contre l’autre et déclara :

— Vous croyez être en situation de vous comporter de la sorte ? Vous êtes en présence de l’éminente Teresa Elliot !

Sur ces mots, elle se leva, attrapa l’otage et le plaça devant elle d’une main avant de faire apparaître une boule de feu dans l’autre.

Shizuka s’écria immédiatement « non ! ». Ses yeux s’écarquillèrent de terreur, ses mains vinrent se placer devant sa bouche. Pour sa part, Hakoto afficha une expression des plus noires, on pouvait aisément y voir ses intentions meurtrières. Seule Jessica resta calme et fixa Teresa, impassible.

— Alors ? On joue moins les bouffons tout d’un coup ? Hahahaha !

Teresa se mit à rire avec sadisme et satisfaction, ses traits s’étirèrent pour dévoiler sa réelle laideur et son penchant maléfique. Aucune des trois filles en face d’elle n’osait réagir, les prises d’otages étaient toujours un sujet délicat. Si elles l’énervaient plus encore, elles risqueraient d’entraîner la mort de cette pauvre fille qui n’avait commis aucun crime autre qu’étudier dans l’école de l’arcologie de Jessica, une orpheline à qui on avait donné la chance d’avoir un avenir, mais qui ne l’aurait plus.

— J’aime ces regards ! J’aime te voir ramper à mes pieds, Jessica ! Pour tout le mal que tu m’as fait ! Pour tout ce que tu es et représente ! Je veux voir le désespoir et m’abreuver de tes supplications ! Le jour de la revanche a enfin sonné, je vais m’en délecter jusqu’à la moindre goutte !!

Teresa passa sa langue sur ses fines lèvres rougies du rouge-à-lèvres, elle laissa entrevoir des canines dignes d’un vampire de fiction.

Shizuka tremblait au point que ses dents s’entrechoquaient, ses muscles étaient faibles et elle avait l’impression qu’elle s’écroulerait à genou d’un instant à l’autre. Cette tension et ces menaces firent rejaillir en elle d’anciens traumatismes. Elle avait toujours perdu ses moyens dans ce genre de situations et c’était pourquoi elle n’avait pas compris la décision de l’inclure dans cette équipe.

— S’il… vous plaît…, implora la pitoyable Shizuka les larmes aux yeux.

— Si vous lui faites du mal, ce sera fini de vous ! Vous en êtes consciente, Teresa-san ?

— Des menaces ? Tu oublies ta situation, Hakoto ? À l’origine, vous n’étiez pas invitées toutes les deux et maintenant vous me menacez ? Je te rappelle, chien sauvage, que tu es au cœur du territoire ennemi et que les six filles qui se trouvent là n’attendent qu’un mot de ma part pour te faire regretter tes paroles. Tu veux essayer ?

Sur le visage d’Hakoto s’afficha une expression de mécontentement et de résignation : malheureusement, elle ne savait que trop bien le piège infâme où elles avaient été obligées de se jeter. Si les choses dégénéraient, outre le fait qu’il leur faudrait affronter des mahou senjo —des paires dans la lutte contre les Anciens—, il lui faudrait faire attention à Shizuka qui était la plus faible et vulnérable du groupe. Elle ne voulait pas combattre des consœurs, les combats entre mahou senjo n’avaient pas lieu d’être, elles avaient suffisamment d’ennemis pour ne pas s’entretuer.

Craignant pour Shizuka, elle se tût en se mordant la lèvre jusqu’au sang. Cette attitude de soumission était tout ce qu’attendait son interlocutrice, qui s’en délecta.

— Teresa-san, nous vous prions d’échanger les otages. Si vous nous rendez cette fille sans intérêt pour vous, nous nous engageons à vous livrer Hakoto-san ci-présente. Elle a bien plus de lipides, vous en conviendrez, et plus d’expérience dans tous les domaines : vous pourriez, bien au-delà de vous en servir comme otage, l’employer à toutes vos basses œuvres. Nous vous prions de considérer notre proposition comme fort avantageuse pour vous.

— Quoi ?! Je vais te tuer ! C’est quoi cette proposition ! On est dans le même camp, je te le rappelle !

Bien sûr, Hakoto s’énerva rapidement, cette proposition était scandaleuse. Jessica ne l’aurait jamais faite… Jamais !

— Vous vous fichez de moi toutes les deux ?! Je vais vous le faire regretter ! Je voulais me montrer un peu magnanime jusqu’à présent, mais fini les compromis ! Rampe et implore ma pitié, Jessica ! Déshabille-toi et à genoux devant ta souveraine ! Et tout de suite !

Sur ces mots, Teresa se montra plus agressive et rapprocha la boule de feu de l’otage, elle s’apprêtait à la tuer sous les regards contrariés des deux filles et celui terrifié de Shizuka.

— Nonnnnnnnnnn !!! S’il vous plaît ! Je… je vais le faire ! s’écria Shizuka à cet instant.

Dans un élan de courage désespéré, tout en pleurant, elle implora la clémence de Teresa. Sans tarder, elle commença à déboutonner son haut. C’était pour une noble cause, au diable l’humiliation.

Mais…

— Tu n’es pas Jessica, je me fiche de toi, sous-fifre ! Jessica, ne me fait pas répéter !

— Nous sommes au regret de devoir décliner votre proposition, refusa catégoriquement cette dernière en passant la main dans ses cheveux de manière hautaine. Non seulement, nous n’avons aucun intérêt à le faire, puisque quel que soit notre coopération vous avez l’intention de nous éliminer toutes, mais en plus nous avons pour principe de ne jamais courber l’échine devant qui que ce soit. Notre sang bleu nous interdit une telle chose.

Ses paroles ressemblaient de moins en moins à ce qu’aurait dit Jessica. Cette manière de parler ressemblait davantage à… Vivienne. Et c’était normal, puisqu’en réalité c’était elle dont il s’agissait. Depuis le début, la Jessica qui s’était rendu à l’arcologie n’avait été que Vivienne sous déguisement.

Et bien sûr, Vivienne ne mentait pas : s’incliner devant l’ennemi n’était pas dans ses principes nobiliaires. La mort était préférable au déshonneur, c’était un précepte de sa famille. Bien sûr, elle signait l’arrêt de mort de l’otage, mais elle était persuadée que depuis le début toutes ces négociations n’étaient qu’une funeste blague : Teresa n’avait jamais eu l’intention de la laisser en vie.

Hakoto prit son visage dans sa main, elle savait qu’à ce stade la négociation tomberait à l’eau : Teresa ne pourrait que s’énerver encore plus. Shizuka se mit à pleurer tandis que son haut était à moitié ouvert et laissait entrevoir son soutien-gorge.

Comme attendu, le visage de Teresa se déforma à nouveau sous l’effet d’une violente colère, elle retira soudain la capuche de l’otage et déclara :

— Jessica !! Regarde donc le visage de celle que tu vas envoyer dans l’autre monde et demande lui pardon pour ta misérable fierté de bourgeoise !!

Mais, à cet instant, loin de provoquer l’effet pathétique désiré, c’est un sentiment de surprise qui emplit tout le monde.

— Vous ?! Qu’est-ce que… ? s’étonna Hakoto en pointant l’otage du doigt.

— Quelle surprise ! Vous… vous êtes la dernière personne qu nous pensions voir ici, dit Vivienne rassurée.

— Hein ? Mais… mais… mais… qu’est-ce que tu fais là ? Chef !

Les réactions des trois femmes provoquèrent un instant d’hésitation sur le visage de Teresa, qui baissa le regard pour observer minutieusement l’otage. Il ne s’agissait pas de la fille qui avait été enlevée—en tant que superviseuse de l’opération elle ne l’avait bien sûr jamais rencontrée et ses subalternes n’avaient pas remarqué la supercherie—, mais d’Elin.

Même si ses cheveux étaient détachés mais il n’y avait aucun doute sur son identité ; son regard impassible et inexpressif était unique.

— Yo. C’est enfin le moment d’entrer en scène, on dirait.

Sur ces mots, Elin se transforma puis s’envola dans les airs à quelques mètres. Au lieu d’afficher sa satisfaction d’avoir tromper l’ennemi, elle bâilla à gorge déployée.

— Merci pour l’accueil, j’ai bien dormi. Mais, désolée, je ne suis pas l’otage que tu pensais : je suis Elin, directrice de l’agence Tentakool. Je te conseillerais bien de te rendre, mais je suppose que tu ne voudras pas…

Sur les toits, les six filles en faction se transformèrent à leur tour, sans qu’un ordre ne leur fut donné : elles comprenaient bien que la tournure des événements était inattendue.

Personne ne s’y était attendu, aucune des employés de Tentakool n’avait vu se profiler cette surprise. En fait, la seule qui avait deviné était Jessica. C’était pour cette raison qu’elle avait envoyé Vivienne sous déguisement à sa place.

— Quoi ?! Comment ?! Tu…

— Haha haha ! Je suis morte de rire ! Votre chef est vraiment géniale ! dit Hakoto en riant à en pleurer.

La situation l’avait tellement stressée que ses nerfs se relâchèrent soudain et la firent réagir d’une manière inhabituelle à son image digne et calme. Il était rare de voir Hakoto rire sans retenue.

Même Vivienne, cette poupée française impassible,sourit. Elle se défit de sa perruque et exposa aux vues de tous sa blonde chevelure dont elle était fière. Elle ne tarda pas à retira le rembourrage de son soutien-gorge et à révéler sa véritable identité.

— Veuillez-nous excuser. Afin de satisfaire votre haine envers la directrice de NyuuStore, nous avons accepté de jouer cette comédie. Notre réelle identité n’est guère Jessica Whitestone, mais Vivienne de la Grandière, noble descendante de l’aristocratie française et membre de l’agence Tentakool.

Sur ces mots, elle s’inclina en remontant les bords de sa jupe d’une manière particulièrement élégante. Elle poursuivit :

— Les présentations ayant eu lieu en bonnes et dues formes, nous allons de ce pas répondre à vos provocations et votre volonté d’en venir à la violence. Nous nous excusons d’avance de toute la douleur que nous serions à même de vous infliger.

Son corps se recouvrit d’une énergie magique, ses vêtements se décomposèrent en pétales de roses pour se reformer sous une nouvelle forme tandis que sa chevelure se noua en queue de cheval et changea de couleur ; c’était sa forme de combat.

Sans tarder, Hakoto fit de même, elle se recouvrit de sa tenue de miko et prit entre ses doigts des feuilles de papier.

Seule Shizuka, dont la surprise n’était pas encore passée, tomba à genoux et hurla :

— Mais qu’est-ce qui se passe iciiiiiiii ?!

***

Quelques heures auparavant…

Les filles étaient toutes réunies autour d’une table. Les yeux de Jessica fixaient son écran de téléphone où venait de s’afficher la photographie de l’otage.

C’était une jeune fille à la chevelure brune étonnamment longue, descendant jusqu’aux genoux. Ses yeux étaient impassibles et n’exprimaient aucune panique malgré son état. Elle était attachée à une chaise.

Jessica avait cligné des yeux quelques fois, tandis que son esprit, abasourdi, refusait de croire ce qu’elle voyait. Même si elle portait une robe mignonne et enfantine et que ses cheveux étaient détachés, n’était-ce pas Elin ?

Rapidement, les morceaux du puzzle s’assemblèrent dans sa tête, elle venait de comprendre : Elin partie à ChangeLife avait simplement décidé de prendre la place de l’otage qu’elle avait libéré. C’était une bien astucieuse stratégie, digne de la mahou senjo d’élite qu’elle avait toujours été.

D’un seul coup tous les problèmes qui pesaient sur ses épaules devinrent plus légers : si Elin se trouvait à ChangeLife, elle pouvait répartir les forces sur les deux fronts et affronter deux ennemis à la fois.

— Je crois que je n’ai jamais été aussi heureuse de te voir, pensa-t-elle.

Mais c’était un mensonge, Elin l’avait tirée d’affaire de si nombreuses fois qu’il était bien possible qu’auparavant elle ait pu ressentir quelque chose d’encore plus fort. Néanmoins, c’était la joie du moment et le manque de précision des souvenirs qui le lui laissait penser.

Quel était le lien entre Cassidy et Teresa ? Même Jessica l’ignorait à ce stade, mais il était évident qu’elles avaient travaillée ensemble depuis le début de l’affaire.

Nombre d’éléments, dont le message de prise d’otage et les pièges laissées par Cassidy convergeaient vers ce rapprochement.

— J’ai une idée surprenante…, dit-elle en rangeant son portable.

Elin lui avait un jour dit que pour « tromper l’ennemi il faut d’abord commencer par tromper ses amis ». À l’époque, elle s’était surtout indignée qu’en tant que sœurs d’armes, en tant que collègue d’unité, Elin lui avait menti, mais elle s’était défendue en affirmant que cette stratégie militaire était normale et utilisée depuis des millénaires.

Cette fois, c’était Jessica qui comprenait le sens de ces mots : il valait mieux que, dans l’intérêt de la mise en scène et du contre-piège qu’elle tendait à Teresa, que les filles ne fussent pas au courant de la vraie identité de l’otage.

— Et si l’une d’entre vous se déguisait en moi ? Je pense qu’actuellement le plus urgent est de sauver les innocents qui seront certainement pris pour cible à Hesperia. Même si cela a peu de chances de fonctionner, je ne connais pas cette Teresa, il y a de fortes chances qu’elle ne me connaisse pas si bien non plus.

Puis, au pire, si le déguisement tombait, Elin agirait de toute façon. Avoir Elin d’un côté, lui permettait de sécuriser l’autre objectif. Si en terme de puissance, ses subalternes étaient plus puissante qu’elle, lorsqu’il s’agissait de prendre des décisions… Puis, il était préférable qu’elles n’apprennent pas toute la vérité sur les machines à éveil magique. Au sein du groupe, seules Elin et elle-même étaient au courant, inutile que cela se sache davantage.

Les filles lui jetèrent des regards perplexes, mais Jessica continua de leur exposer son plan. Elle dut prendre en compte non seulement les aptitudes de chacune pour la répartition, mais également leurs désirs et leurs affinités. Séparer une nouvelle fois Vivienne de Shizuka était une mauvaise idée. Et Hakoto ne l’accepterait pas non plus. Ce trio était déjà déterminé.

De même, Gloria risquerait fort de devenir ingérable si Jessica n’était pas dans le coin. Et Sandy et Irina avaient prouvé lors des précédents combats savoir se faire confiance.

Fort de toutes ces considérations, Jessica répartit les groupes et Vivienne fut choisie pour jouer le rôle de Jessica uniquement parce que Hakoto avait des traits trop asiatiques pour se faire passer pour elle. Shizuka ne fut même pas considérée comme candidate à ce rôle, sa peur et timidité ne lui aurait pas permis d’être crédible.

C’est ainsi que le groupe de Vivienne en était arrivé à retrouver Elin et devoir affronter Teresa et ses mercenaires.

***

Elin observa Teresa depuis les airs, puis les six mahou senjo qui se tenaient à distance.

Elle se doutait que les chances qu’elles se rendissent sans combattre étaient fort minces et que le plus difficile dans cette situation serait de parvenir à les ménager pour ne pas les tuer. Puis, sans preuves quant à leurs agissements, mis à part le fait d’avoir enlever une fille et d’avoir voulu humilier Jessica, leurs actions n’étaient pas répréhensibles au point de mériter la mort.

Elin envisageait plusieurs problèmes à la situation actuelle : la faiblesse de Shizuka qui ne lui permettrait pas de s’opposer à une magical wargirl corporatiste, mais aussi le sadisme de Vivienne qui pourrait finir par déraper. À ce stade, elle faisait bien plus confiance aux capacités d’Hakoto qui ne faisait pourtant pas partie de son agence.

Hakoto était plutôt raisonnée et compétente, d’après ce qu’elle avait pu juger des précédents combats. Il était plutôt sensé de penser qu’un jour elle succéderait à Jessica à la tête de l’agence, elle avait ce qu’il fallait pour ce faire.

— Tentacule ? Quel nom d’agence stupide ! Hahaha ! Comment veux-tu intimidé qui que ce soit avec un tel nom, gamine ?

Apparemment, Teresa ne connaissait pas la réputation d’Elin. Tomber sur des personnes qui ne la connaissaient pas devenait de plus en plus rare ces derniers temps, c’était comme si, à son insu, elle avait été mise sur le devant de la scène, pensait parfois Elin. En effet, il fut un temps après l’avènement de la seconde et troisième génération de mahou senjo à l’éveil artificiel où tous l’ignoraient. Elle avait tout fait pour cela.

Mais récemment toutes semblaient la connaître, c’était parfois préoccupant. Rencontrer quelqu’un qui l’ignorait encore était rassurant, au contraire.

Il y avait cependant la possibilité qu’elle connût le nom de l’Athanor des flammes noires mais comme beaucoup son esprit refusait de croire qu’une « gamine » puisse être cette personne dont on parlait. Elin ne savait que trop bien ce que son apparence jouait contre elle, mais loin de s’en offusquer, elle préférait en tirer profit.

— Je suppose donc que tu ne veux pas te rendre…, dit Elin en soupirant. Shizuka, tu pourrais te reprendre et te transformer ? C’est un champ de bataille, je te signale.

Sans quitter des yeux Teresa —s’attendant à quelque coup en traître—, Elin réprimanda sa subalterne ; c’était pour son bien, c’était inconsidéré de ne pas s’être encore transformée, qui sait quand l’ennemi passerait à l’offensive.

Shizuka qui était tombée à genoux leva son visage crispé vers sa chef puis tira sa baguette de son sac. Elle était trop crispée et stressée, elle manqua de la faire glisser des mains. Devant elle, servant de bouclier, Vivienne et Hakoto.

Elin leva les épaules et soupira à nouveau :

— Yog-kun, si cette trouillarde ne se transforme pas dans la minute, tu m’enverras toutes les photos obscènes d’elle, OK ?

— Tu veux parler de mon dossier : Ultra Shi-chan Love Love ?

— Ouais, les photos où elle chante dans le bain…

— Hein ?

— Ou encore celle où elle ronfle, ou celle où…

— Je les achète toutes !! cria soudain Hakoto avec de la bave aux lèvres et les yeux pétillants.

Soudain, les regards se tournèrent vers elle plutôt que vers Shizuka, elle venait de dire quelque chose de particulièrement étrange.

— Euh… je les achète, comme ça, tu n’auras pas besoin de craindre qu’on les dévoile… Shizuka-chan…, expliqua-t-elle timidement le visage pourpre.

Mais le regard d’Elin et surtout de Vivienne ne parurent pas aussi convaincu que celui de Shizuka.

— Il n’y a que toi qui est gentille…, marmonna cette dernière. Et… Nonnnnnnnn !!! Si tu fais ça, je te jette dans les égouts, sale renard !!! Transforme-moi, tu attends quoi ?!

Sa volonté gonflée par ces menaces (qui n’avaient été qu’un bluff d’Elin, puisqu’elle ignorait si Yog-kun avait réellement de telles photographies), Shizuka se mit à luire et presque instantanément se transforma. Elle était forcée de croire que son familier la trahirait, il l’avait déjà fait plus d’une fois.

Tout semblait à présent rentré dans l’ordre, lorsque Shizuka crut entendre sortir des lèvres délicates de sa senpai :

— Des photographies humiliantes de ma chère et tendre… Il me faut à tout prix mettre la main dessus. Quitte à éliminer la totalité de la planète. Je ne saurais manquer un tel délice…

Sur ces mots, elle se lécha les lèvres et afficha un sourire malicieux. Shizuka ne put s’empêcher de reculer de quelques pas et de trembler alors qu’un « hiiiii ! » apeuré jaillit de sa bouche malgré elle.

Pendant ce temps, au lieu de s’amuser de cette comédie, Teresa, se rendant compte d’avoir été trompée, exprima sa colère : sa peau s’obscurcit et une sorte de liquide gélatineux visqueux suinta des pores de sa peau. Cela ne dura que quelques instants, elle inspira profondément et parvint à se calmer, reprenant aussitôt son apparence habituelle ; le liquide disparut.

Les trois filles ne s’en étaient pas rendu compte puisqu’elles étaient dans leur petit monde, mais cela n’échappa pas au regard vigilant d’Elin qui devina la situation.

— Les filles, vous vous occupez de Teresa. Je m’occupe de gérer les six autres, ordonna-t-elle.

— Hein ? Vraiment ? Elles sont six… tu es sûre… ? demanda Shizuka un peu inquiète.

— Trois contre une…, dit en grimaçant Hakoto.

Effectivement, cela ne semblait pas un combat très honorable.

— Ne la sous-estimez pas : elle est dangereuse, plus que vous ne pensez. Je ne vous fais pas un vrai cadeau, croyez-moi. Battez-vous sérieusement, mais essayez de la garder en vie. Ce serait bien d’en apprendre plus.

Elin fixa un instant Vivienne :

— Je parle surtout pour toi, Vivi-chan.

Vivienne leva les épaules et prit un air faussement surpris.

— Je ne vois guère à quoi vous faites allusion, chef. Nous ne commettrions point de crimes répréhensibles qui nous vaudraient des réprimandes, vous savez ?

— Dans un combat entre arcologie, tuer une mahou senjo n’est pas puni, fit remarquer Elin. C’était bien là tout l’enjeu du plan de Teresa : amener Jessica ici pour la tuer en toute impunité. Par contre, si la justice ne le punit pas, moi je le ferais. C’est entendu, Vivi-chan ?

— Vos désirs seront des ordres, Elin-san, dit-elle avec un sourire ironique. Cependant, vous n’avez guère mentionné le fait de la faire souffrir. Tuer n’a jamais été qu’une conséquence à notre déprédation, nous préférons les cris de douleurs, les suppliques, l’odeur du sang et le goût des larmes, vous savez ?

— Hiiiii !! Oneesama !!

Effrayée, Shizuka se cacha derrière Hakoto, ce qui amusa manifestement Vivienne.

Elin ne dit rien de plus, elle jeta un dernier regard aux trois filles, puis à Teresa qui leur faisait face et s’envola pour se rapprocher des filles sur les toits.

***

Teresa, calmée, fit face à ses trois adversaires : elle était confiante en ses capacités de mahou senjo et elle ne pensait nullement que les trois filles puissent être des vétéranes ; elles avaient vraiment l’air de débutantes à ses yeux, surtout Shizuka (dans son cas, c’était néanmoins vrai).

Même si cela faisait très longtemps qu’elle n’avait plus passé de test d’évaluation de pouvoirs, Teresa était autrefois une magical wargirl de rang B. Elle était bien plus puissante encore à présent et selon sa propre évaluation la plaçait au moins au rang A+, mais ce n’était rang S.

Elle lâcha un gloussement en voyant Elin s’éloigner, même si elle ne l’avait pas reconnue, elle avait compris qu’elle était plus expérimentée : elle avait réussi à évaluer la puissance de Teresa, au final.

Cette dernière fit savamment rebondir son opulente poitrine enserrée dans le corset de sa robe gothique de manière très « Jessica-esque », puis :

— Je vous préviens que je ne ferais pas de quartier. Si vous aviez l’intention de supplier pour votre survie, il est trop tard à présent. Vos plaisanteries ont réussi à m’énerver, vous savez ?

À ce moment-là, Teresa passa à l’offensive.

Alors que les filles s’attendaient à la voir se transformer, elle lança un sortilège.

Si elle n’avait pas eu besoin de se transformer, c’était pour la simple raison qu’elle était déjà sous sa forme de combat. À vrai dire, elle n’avait plus de forme normale, elle était toujours transformée.

En principe, les scientifiques affirmaient qu’il était mauvais pour le corps d’une mahou senjo de garder sa forme de combat trop longtemps —d’ailleurs même sans ces recommandations, la plupart des plus faibles s’épuisaient naturellement après quelques heures passées dans cette forme—, que cela entraînerait un affaiblissement de l’organisme et une mort prématurée. Mais, le cas de Teresa était quelque peu différent.

En effet, puisqu’elle avait largement dépassé les trente ans, elle n’aurait même pas dû avoir de pouvoirs. C’était par le biais d’une astuce, le produit des recherches de son entreprise qu’elle avait enfin pu trouver un remède à la dégénérescence des pouvoirs.C’était pour cette raison qu’elle ne pouvait plus reprendre sa forme normale, mais elle n’en avait que faire.

Imbue de sa personne et vindicative qu’elle était, elle ne vivait que pour démontrer à Jessica sa supériorité écrasante. Elle comptait triompher, tuer ou emprisonner les filles et leur apporter un désespoir aussi profond que sa souffrance. C’était de leur faute, elles s’étaient moquées d’elle, elles la prenaient de haut et elles allaient comprendre leurs erreurs.

Du corps de Teresa jaillit soudain un nuage de cendres épais. Shizuka, Hakoto et Vivienne ne purent l’esquiver, il recouvrit rapidement toute la place et les rues voisines. Leur respiration devint difficile, elles se mirent à toussoter.

— C’est… quoi… ? Kof kof ! se demanda Hakoto en toussotant.

La gêne respiratoire n’était pas suffisante pour les terrasser. Hakoto lança devant elle un ensemble de petites feuilles, des tanzaku, qui se transformèrent en une tornade de vents lacérants dans laquelle elles dansaient. Cette dernière se dirigea vers Teresa en la menaçant de la mettre en pièces.

Mais, au moment où la magie se manifesta, Hakoto ressentit comme une étrange brûlure dans sa poitrine qui la fit grimacer de douleur. Qu’était-ce donc ?

La bourrasque franchit les quelques mètres qui la séparait de sa cible mais, avant de l’atteindre, un mur de cendres s’éleva et la bloqua avec aisance. Bien distinguer ce qui venait d’avoir lieu s’avérait difficile : il y avait beaucoup trop de cendres en suspension, mais une chose était sûre, l’attaque d’Hakoto venait d’être vaincue plutôt facilement.

— Tssss !! Si c’est comme ça…, déclara Hakoto en lançant une boule de papier en l’air alors que les tanzaku, défaits, revinrent en elle.

Un dragon d’origami apparut, elle monta sur son dos en y attirant Shizuka qui toussait puis elles s’envolèrent dans les airs. Cette fois encore, Hakoto ressentit de la douleur.

— Hakocchi… *kof kof* C’est quoi ces cendres… ?

— Méfie-toi, ce ne sont pas des cendres normales. *kof kof*

— Je vais m’envoler… Silver Cloud !

Mais au moment où elle libéra la magie nécessaire à son sortilège, Shizuka poussa un petit gémissement de douleur. Tout comme Hakoto, elle venait de ressentir une sorte de brûlure à l’intérieur de son corps.

— Que… ?

Rapidement, Shizuka se rendit compte que le nuage de poussières cristallines qui était apparu sous ses pieds était moins dense qu’à son habitude, ses mouvements aériens étaient de surcroît maladroits et lents.

— Je crois que j’ai compris, déclara Hakoto.

Pendant ce temps, au sol, Vivienne fit apparaître sa rapière végétale ; tout comme ses collègues, elle éprouva une certaine douleur en elle.

— Vous affaiblissez la magie environnante ! s’écria Hakoto en se dirigeant vers leur ennemie.

Cette dernière, quelques dizaines de mètres plus bas, réapparut dans leurs champs de vue alors que le mur de cendres s’abaissa.

— Les cendres de Caïn, voici mon pouvoir, déclara-t-elle fièrement. Qu’est-ce que cela fait de voir sa magie adorée être dévorée par mes cendres ? Haha haha !

Les cendres étaient certes retombées en partie au sol, mais leur effet continuait d’opérer dans toute la zone, y compris dans les airs : toute magie qui quittait le corps d’une mahou senjo et qui n’appartenait pas à Teresa était immédiatement absorbée par elles. Si le sortilège lancé était trop faible, il pouvait même disparaître, être totalement annulé.

Les pouvoirs de Vivienne et Hakoto n’avaient été que réduits, mais l’affaiblissement était bien plus perceptible sur le Silver Cloud de Shizuka qui paraissait à deux doigts de se défaire.

— Vous semblez plus dangereuse que prévue, ce n’est guère pour me déplaire, dit Vivienne en passant sa langue sur ses lèvres. Quelle langueur peuvent porter vos gémissements de souffrance ?

— Eh ! La folle ! Commence pas à partir en solo ! Nous sommes là pour t’aider ! lui cria Hakoto.

— Je vous prie de mettre à l’abri notre chère bien-aimée. S’il lui arrivait quoi que ce fût, je serais au regret de reporter ma haine sur vous, vous savez ?

— On est dans le même camp je te signale ! Arrête de me menacer ! Puis, je ne laisserais personne faire du mal à ma Shizuka-chan !

Vivienne sourit sans tourner son visage vers sa rivale, puis porta une attaque circulaire en utilisant sa rapière en mode fouet. Malheureusement, sans même avoir besoin d’esquiver, la longueur du fouet végétal se vit incroyablement réduite, au moins qu’il manquait plus d’un mètre pour atteindre son ennemie. Teresa sourit avec malice.

— L’affaiblissement m’affecte donc à ce point… ? marmonna Vivienne en grimaçant de douleur.

Elle n’avait jamais eu à vivre ce genre de situation, son sang l’empêchait d’être empoisonnée donc voir ses capacités réduites était une situation inédite. Mais les Cendres de Caïn n’étaient pas du poison mais une magie de contrôle de zone : tout magie manifestée était affectée, y compris celle que Vivienne utilisait pour matérialiser et animer sa rapière. Même en quittant la zone, du moment que l’attaque y pénétrait, le résultat était le même.

Seules des mahou senjo de type physique comme Irina auraient pu contourner cette défense puisque le mana ne quittait pas leur corps mais le renforçait de l’intérieur. Vivienne grimaça doublement en se rendant compte que cette fois sa collègue « la sauvage » aurait été plus efficace qu’elle. Mais elles n’avaient pas dit son dernier mot pour autant.

Pendant ce temps, Shizuka s’était éloignée. Elle fixait Hakoto et, comme si elles communiquaient par la pensée, elles décidèrent silencieusement d’une stratégie offensive : détourner l’attention de Teresa pour permettre à Vivienne d’arriver au corps-à-corps. Si, comme elles l’estimaient, Teresa était de type « magicienne », sa faiblesse devait être le combat rapproché.

« Saphirik Hexabeam ! Aaaaahhh ! »

Hurlant de douleur, Shizuka déploya un effort de volonté et fit apparaître autour d’elle huit cristaux flottants qui se mirent à tirer des rayons d’énergie sur sa cible.

Simultanément, Hakoto abaissa son éventail de guerre et le dragon ouvrit grand sa gueule en tirant un puissant rayon électrique. Teresa tendit une main distraite dans la direction des deux attaques et dressa un mur de cendres où on pouvait apercevoir des visages hurlants qui le composaient. Les rayons s’écrasèrent dessus et furent absorber sans provoquer le moindre dommage à la barrière.

Vivienne saisit l’opportunité : elle s’élança vers son adversaire à toute allure mais, rapidement, une série de boule de feu déferlèrent sur elle. Elle en trancha une de sa lame, bloqua les deux autres à l’aide de son mur végétal, mais fut contrainte de reculer alors qu’une nouvelle boule de feu passa à travers sa défense déjà détruite.

D’une certaine manière, Teresa était son antagoniste : ses cendres et ses flammes étaient bien trop dangereuses pour ses plantes. Un coup. C’était tout ce qu’il lui fallait pourtant pour régler le combat. Si elle parvenait au contact, sa lame inoculerait l’un de ses poisons dans le corps de Teresa et le combat serait rapidement décidé.

— Elle ne se laissera pas faire. Le combat risque d’être intéressant…, pensa Vivienne avec quelque excitation illuminant son regard.

Shizuka, exténuée par son précédent sortilège, et sous les recommandations d’Hakoto, s’éloigna de la zone de combat. Elle atterrit sur un kiosque qui se trouvait hors de la zone de cendres à quelques centaines de mètres.

Pour sa part, Hakoto se mit à tourner autour de son adversaire, tout en tirant un nouveau rayon électrique. Sans surprise, le résultat demeura le même qu’auparavant : le mur de cendres se déplaça et neutralisa l’attaque. La défense de Teresa était particulièrement bonne, notamment contre les sources d’attaques basées sur la magie pure. Absorbant et réutilisant cette dernière pour se renforcer, il y avait peu de risques de le voir tomber à moins de l’attaquer avec une source de dégâts plus physique. Teresa appelait cette attaque le « Mur des Lamentations », en raison des visages souffrants qu’on pouvait voir dessus.

Coupant en deux de nouvelles boules de feu, Vivienne fit apparaître à ses pieds une rose géante qui projeta ses tentacules sur Teresa. Elle n’espérait pas qu’une telle attaque pût en venir à bout, mais elle souhaitait tester les limites des capacités adverses.

Alors que les tentacules allaient atteindre leur cible, un nouveau mur de cendres s’interposa.

— Elle est donc capable d’utiliser des protections multiples, se dit Vivienne en courant pour contourner le mur.

À cause de la gêne visuelle engendrée par les deux murs, Teresa ne put reprendre l’offensive de suite. Vivienne ne manqua pas de profiter de cet instant pour se rapprocher, mais…

« Souffle de la faim ! »

Au moment où Vivienne allait porter un coup d’estoc en rallongeant sa rapière —elle n’était plus qu’à quelques mètres—, de la bouche de Teresa jaillit un souffle de cendres qui s’embrasèrent.

— Oneesamaaaa !!! cria Shizuka qui, à distance, pouvait voir la scène dans sa plénitude.

Vivienne eut à peine le temps de bondir en arrière et de quitter la zone d’effet, elle avait érigé à la hâte un un mur végétal qui lui gagna à peine le temps d’esquiver. Comme elle l’avait deviné, ses défenses étaient nulles contre la magie de Teresa, les cendres amoindrissaient sa magie tandis que les flammes étaient l’ennemi naturel des plantes.

Mais le souffle n’avait pas que vocation à brûler, Vivienne se rendit rapidement compte que les cendres projetée par le souffle s’étaient en partie collées à sa peau et qui continuaient de la calciner.

— Résolument, vous êtes un adversaire redoutable…, avoue Vivienne en serrant les dents.

— Hoho hoho ! À qui crois-tu parler au juste ?

Teresa ne manqua pas de prendre un air condescendant constatant sa supériorité.

Au même moment, Hakoto projeta au sol une carte qui prit l’apparence d’un tigre en origami ; si les pouvoirs magiques étaient absorbés, qu’en était-il des attaques physiques ? se dit-elle. Le tigre était son invocation physique, elle n’avait pas de pouvoirs magiques.

Mais elle savait que cela ne suffirait pas et il fallait s’assurer qu’il parvint au contact. D’autant que tout autant que Vivienne, les pouvoirs de Teresa étaient son antagonisme : le papier brûlait facilement.

Aussi, elle assura sa couverture en tirant un nouveau un rayon sur son ennemie. Cette douleur causée par les cendres qui aspiraient la magie la mettait à rude épreuve, sûrement plus encore que Vivienne qui était de type « mixte ».

Comme attendu, le mur ne tarda pas à bloquer le rayon. Teresa, tournée vers Vivienne, ne semblait pas en état de voir le tigre bondir sur elle, toutes griffes dehors, et pourtant… elle tendit in extremis la main et une boule de cendres enflammée vint intercepter l’invocation avant qu’elle n’arrive au contact.

— Comment c’est possible ?! s’’étonna Hakoto en observant son incantation disparaître.

Comment avait-elle fait pour la voir ? Elle avait bien fait attention à ce qu’elle se déplaçât dans l’angle mort de son champ de vision. Puis, même en considérant qu’il s’agissait d’une attaque basée sur le feu, il avait été détruit bien trop facilement…

Teresa enchaîna, elle tira le même genre de boule de feu sur Vivienne, affaiblie. Cette dernière lui opposa sa lame, espérant la détruire en plein vol. Mais, à sa grande surprise, sa lame végétale ne parvint pas à tenir le choc alors qu’elle y était précédemment parvenue ; contrairement aux premières, cette fois il ne s’agissait pas simplement de boules de feu, mais cendres enflammées, ces dernières affaiblissaient les effets magiques en plus de la combustion. Peu de défense auraient pu s’en protéger efficacement.

Vivienne esquiva de justesse, non sans que de nouvelles brûlures n’affectèrent son corps. L’explosion qui se produisit dans son dos la projeta quelques mètres en avant ; elle en amortit les dommages à l’aide de sa barrière réactive.

La situation tournait réellement au désavantage de Shizuka et de ses amies.

Teresa ne rompit pas le rythme : elle prit pour cible Hakoto tandis que Vivienne se remettait de l’attaque. Projetant une boules de feu par chaque main, elle obligea Hakoto à se défendre en utilisant un mur de papier : il résista aux flammes, mais il empêcha la mahou senjo de voir arriver une troisième sphère magique, des cendres enflammées.

Cette dernière n’eut aucun mal à détruire la barrière d’Hakoto, déjà affaiblie, et à répandre une explosion sur l’invocatrice et son dragon. Hakoto fut projetée quelques mètres plus loin, tandis que son invocation disparut. Comme Vivienne, elle était couverte de cendres enflammées qui continuaient de brûler sa chair.

À distance, Shizuka assistait à cet horrible combat, elle n’aurait jamais pensé que ses deux senpai, pourtant si puissante, pourraient être mise en échec de la sorte. Elle transpirait et tremblait tandis que son souffle commença à saccader.

— Il… il… il faut que je les aide…, dit-elle péniblement.

— Il serait temps, Shi-chan, dit la voix de Yog-kun à travers la baguette. Je ne t’ai pas choisie pour que tu te tournes les pouces.

— Tu peux… parler… *kof kof*… sale NEET parasite…

Contrairement à ses collègues bien plus puissantes, les cendres qu’elle avait respirées continuaient à gêner sa respiration et l’angoisse n’était pas pour rendre les choses plus faciles.

Shizuka leva sa baguette lorsqu’elle vit Teresa reprendre l’assaut en alternant les boules de feu et de cendres sur Vivienne qui courait pour esquiver.

Après une profonde inspiration par laquelle elle chercha à se calmer, elle articula les mots suivants :

« Diamond Sun Beam ! »

Douze diamants apparurent, ils avaient la taille de petits ballons. Aussitôt, ils s’alignèrent de sorte à former un cercle au-dessus de la magicienne et une ligne devant elle qui lui permit d’avoir un zoom sur sa cible.

Elin l’avait bien sensibilisée au fait que cette capacité de tir à longue portée était une de ses caractéristiques uniques qu’aucune autre ne disposait dans l’agence. Elle était sortie de la zone pour ne pas étouffer et ne pas tomber du nuage magique, se sentant profondément inutile dans la configuration de combat, mais finalement ce hasard pourrait lui être avantageux.

Vivienne croulait sous le nombre d’attaques : boules de feu, sphères de cendres, mais aussi d’étranges sphères noires qui rappelaient certains sorts des cultistes. Elle ne pouvait pas toutes les esquiver aussi elle utilisait sa rapière et les tentacules végétaux qui composaient à présent sa chevelure pour les bloquer. Elle ne faisait pas beaucoup appel à sa barrière réactive, cherchant sûrement à l’économiser pour une situation plus urgente encore.

Peu à peu, elle perdait du terrain, ses mouvements étaient plus lents et de plus en plus de cendres brûlaient sa belle robe et sa peau.

Hakoto, assommée, n’était pas intervenu jusque là, mais soudain un escadron de grues en papier déferlèrent du ciel sur Teresa. Parmi les six projectiles, trois furent interceptés par le mur de cendre de Teresa, tandis que deux autres furent interceptées par une boule de feu ; un seul parvint à entailler le torse de sa cible.

Le sang s’écoula soudain sur le parterre de cendres, Teresa afficha une expression endolorie alors qu’elle interrompit temporairement ses tirs. C’était l’ouverture qu’attendait Vivienne : elle fit fleurir les roses blanches sur sa rapière et franchit en un clin d’œil la distance la séparant de sa cible.

Avant que la pointe de la rapière ne put pénétrer le torse de Teresa, une main saisit le poignet de Vivienne, tandis qu’une autre lui saisit la gorge.

— Tu croyais que je ne pourrais pas me défendre contre ça ?

La peau de Teresa devint un instant noire et visqueuse. Elle était étonnamment forte, même Vivienne qui était de type mixte n’arrivait pas à se défaire de son étreinte, mais le plus inhabituel était l’énergie verdâtre qui émanait de ses mains. Vivienne sentit ses forces la quitter comme si elle étaient absorbées par ce contact douloureux.

La blessure qu Teresa venait de subir et qui était profonde était en train de se refermer sous l’influence de cette énergie verte qui circulait des mains à la blessure.

— Du…vampirique ? Combien as-tu de…pouvoirs au juste ?

Si Vivienne ne mourrait pas à cause du sort, elle finirait sûrement étrangler. Elle se débattait mais n’avait déjà plus la force de résister.

C’est à cet instant, alors que tout espoir semblait perdu qu’un rayon de lumière frappa Teresa en plein dans le torse. Le tir aurait en principe dû être plus puissant et même provoquer un effet de zone, mais en raison des cendres Shizuka n’avait pu faire mieux.

Cependant, l’attaque-surprise obligea Teresa à lâcher Vivienne malgré elle et la projeta telle une poupée en chiffon loin d’elle.

— Qui a osé ?! cria Teresa furieuse alors que son corps suintait d’une substance noire gélatineuse. Espèce de garce !! Je vais te réduire en charpie !!

Son regard était tourné vers la forme qui se tenait à distance à qui elle n’avait prêté aucune attention en raison de sa faiblesse apparente. Mais, avant de pouvoir appliquer ses menaces, la pointe d’une rapière s’enfonça dans son ventre.

— C’est fini…

Blessée, couverte de brûlures et d’autres blessures, sa robe en lambeaux, Vivienne fixa Teresa droit dans les yeux avec une détermination à tout épreuve et une noblesse d’âme hors du commun. Elle luttait pour rester consciente, Vivienne savait que si elle tombait son poison magique cesserait aussitôt.

Teresa s’immobilisa. Elle ne ressemblait presque plus à un humain lorsque soudain Shizuka fit à nouveau feu. Elle aussi était décidée à donner tout ce qu’elle avait dans ce combat.

Encore plus faible qu’auparavant, le rayon projeta de nouveau Teresa en arrière. En temps normal, Shizuka n’aurait jamais tiré sur une humaine, mais lorsqu’elle avait compris que ses pouvoirs étaient insuffisants pour la tuer, elle avait été rassurée. Puis, la situation était critique, elle ne pouvait compter que sur ses aînées.

Le coup de grâce fut dispensé par Hakoto qui venait de faire apparaître à nouveau son dragon. Elle aussi était bien trop affaiblie pour tuer Teresa, le courant électrique du rayon traversa sa cible et la mit K.O. Les cendres disparurent au sol, prouvant l’inconscience de leur adversaire.

Hakoto tout en se tenant le flanc, son kimono brûlé à divers endroits, leva le pouce en direction de Shizuka, qui à l’instar de Vivienne était tombée inconsciente et avait reprit sa forme normale.

— Les Tentakool sont fragiles…, dit-elle en se moquant. Bah, reposez-vous toutes les deux.

Elle s’approcha de Teresa et grimaça.

— C’était quoi ce liquide noire ? Et certains de ses pouvoirs… ils étaient étranges.

***

Elin traversa en quelque instants la place et arriva à sa périphérie où elle se plaça face à une fille qui venait de se transformer. Cette dernière se tenait debout sur le toit et l’attendait avec un regard de défiance.

Allison Benjamin était une fille de petite taille aux longs cheveux argentés. Des cornes de dragons sortaient de sa frange, tandis que ses yeux bleus reptiliens fixaient Elin. Une queue de dragon et de petites ailes membraneuses s’agitaient dans son dos.

Vêtue d’une tenue légère, plutôt fantaisiste et de cuissardes semblables à des pièces d’armure médiévale, elle brandissait une lourde épée à deux mains bien plus large que sa porteuse.

— Alors ce sera toi la première ? Je te conseille de laisser tomber, cela dit…, dit Elin en anglais.

Elle observait les alentours et prenait note des positions précises de ses autres adversaires.

Elles étaient au nombre de six, elles ne se cachaient pas et se trouvaient sur différents toits. À la base, elles devaient servir d’outil d’intimidation et n’intervenir que si les choses tournaient mal.

Trois d’entre elles se rapprochaient pour encercler Elin. L’une avait fait apparaître un navire à voiles volant.

— Désolée, je me rendrais pas, j’ai été payée pour me battre. D’ailleurs, qui sera donc mon adversaire ?

— Vous êtes vraiment quelque chose dans ce pays…, dit Elin avant de soupirer. S’informer sur l’identité de ses adversaires c’est la base, tu sais ?

La fille-dragonne fut surprise par ce reproche, d’autant plus qu’il provenait de celle qui allait se retrouver sous peu en infériorité numérique.

— Tu cherches à m’énerver ? demanda-t-elle franchement.

— Plutôt à te faire repenser aux bases. Tout d’abord, si tu veux connaître le nom d’un interlocuteur, il faut d’abord avoir la politesse de se présenter soi-même, non ?

— Tssss ! Tu me sembles chiante comme fille, grommela Allison en brandissant son épée devant elle. Je suis Allison. Je vais te découper en deux, demi-portion !

— Merci de me prévenir, Allison. Je suis Elin. Combattons, si c’est ce que vous voulez : j’ai deux trois leçons à vous donner à toutes les six.

L’expérience d’Elin ne la trompait pas, elle savait qu’en face d’elle ce n’était pas une vétérane. Elle pensait même qu’Allison n’avait jamais combattu en situation réelle et sûrement pas face à des monstres. Aucune vétérane du front n’aurait pris le temps de connaître le nom de son adversaire, c’était une question inutile face à des Anciens.

Une fois de plus, Elin n’avait pas agi sur un caprice : si elle avait laissé Teresa, qui était sûrement plus dangereuses, aux filles c’était pour protéger ces six novices du fouet de Vivienne. Shizuka aurait été incapable de les combattre, pour sûr. Seule Hakoto aurait pu les ménager.

Même si Vivienne leur aurait laissé la vie, le traumatisme aurait été important : il n’était pas question de quitter le pays en laissant six magical wargirls psychotiques.

Néanmoins, s’il y avait une chose qu’Elin détestait autant que les Anciens, c’était les affrontements entre mahou senjo. Elle était détestée par nombre de ses consœurs, mais elle n’avait tiré avantage de sa puissance pour les maltraiter et elle avait nombre de fois sauvé même celles qui la détestaient.

Aux yeux d’Elin, toutes les mahou senjo, peu importait la nationalité ou l’origine, étaient des sœurs à protéger. Malheureusement, la réalité n’était pas clémente, ce n’était pas toujours possible.

La première arriva d’un des canons du navire volant derrière Elin ; elle fut suivie par le roulement sourd d’une bordée de 32 pièces de 18 livres.

Avec trente trois boulet qui déferlèrent, cette offensive n’était pas ciblée, mais une attaque de zone. Les bâtiments furent toucher et même Allison fut obligée à esquiver en s’envolant.

Avant même que le nuage de fumée ne fût dissipée, Elin en ressortit et projeta quatre boules de flammes noires en direction du navire. À une vitesse impossible pour un réel navire à voiles qui devait consacrer quelques minutes à la recharge de chaque canon, ce dernier contre-attaque avec une nouvelle bordée.

Lorsque les boulets heurtèrent les sphères magiques d’Elin, ces dernières explosèrent et créèrent un rideau de flammes.

— Virginiaaaa !! T’es conne ou quoi ?! T’as failli me toucher ! s’écria Allison en hurlant à l’intention de sa collègue.

— C’est ici que ça se passe, déclara Elin en se rapprochant au point de presque poser sa main sur le ventre d’Allison.

Déconcentrée, cette dernière ne parvint pas à esquiver à temps l’attaque : une explosion de flammes l’enveloppa.

Allison, blessée, recula et fit apparaître autour d’elle une tornade de vents lacérants, qui était censé lui servir de protection magique contre les futures attaques d’Elin.

— Tu ne m’auras pas comme ça !

Même si elle jouait la fière, l’attaque d’Elin lui avait fait incroyablement mal : les flammes noires étaient redoutables, son corps lui indiquait de cesser le combat pour sa propre survie mais sa détermination la poussa à passer outre ces recommandations.

Elle fonça sur Elin et la frappa de sa lourde épée.

Mais, une barrière réactive, protection la plus basique d’une mahou senjo, s’interposa. Normalement, elle n’aurait pas dû être aussi solide, mais même après plusieurs coups d’épée elle ne s’ébrécha même pas.

Elin ne bougeait pas, elle observait les alentours en bloquant coup sur coup.

— Comment… ?! grogna Allison en arborant une expression insatisfaite et colérique.

— Il ne faut jamais sous-estimer les bases, je te l’ai dit. Surtout lorsqu’on est une combattante de première ligne comme toi. Virginia compte encore nous attaquer ?

À peine eut-elle fini sa phrase qu’une nouvelle bordée tonna. Cette fois, Allison fut touchée, elle était bien trop proche d’Elin pour espérer esquiver totalement.

Allison sortit la première du nuage de fumée, elle se tenait l’épaule, son arcade saignait et la contraignait à fermer un œil ; son arme pendouillait à côté de son corps, elle ne pouvait plus la brandir à deux mains.

— Désolée, mais pour ta sécurité, il vaut mieux que ma leçon s’arrête là, dit une voix derrière elle.

Lorsqu’elle se retourna, une boule de flamme entra dans sa tornade de vent et explosa. Normalement, l’attaque aurait dû être bloquée par le vent mais cette fois ce fut insuffisant : Allison fut projetée sur un toit à distance où elle s’effondra, inconsciente, en reprenant sa forme normale.

Immédiatement, Elin changea de cible, elle se dirigea vers l’énorme navire volant.

Pendant ce temps, deux des filles qui étaient en approche s’en allèrent inspecter l’état d’Allison : elle était hors combat, mais n’avait pas de blessure suffisamment grave pour menacer ses jours. Il lui faudrait au pire quelques jours pour s’en remettre complètement.

Évidemment, Elin avait retenu ses sorts, faute de quoi Allison serait sûrement morte.

Une nouvelle bordée tenta d’arrêter en vain la progression d’Elin qui se contenta d’interposer sa barrière réactive en guise de défense. Elle arriva au-dessus de dunette arrière, le château à la poupe où se trouvait le timon et où se tenait en général le capitaine. Elle observa avec impassibilité la magical wargirl qui occupait ce poste.

Elle était vêtue d’un simple bikini noir avec des décorations de tête de mort, avec par-dessus un long manteau semblable à ceux de l’âge d’or des pirates. Ses bottes, son tricorne, mais aussi le coutelas et le pistolet accrochés à son baudrier finissaient de lui conférer cette allure d’un autre temps.

Sa peau était hâlée et ses cheveux mi-longs dépassaient de son chapeau. Son regard condescendant et colérique fixait Elin.

— Toi ! Qu’est-ce que tu as fait à Allison ?!

— Techniquement, c’est surtout toi qui l’a blessée. Le travail d’équipe, ça te dit quelque chose, Virginia ?

— Je n’ai pas de leçon à recevoir de toi, petite insolente !

Sur ces mots, elle tira son sabre d’une main et de l’autre elle empoigna son pistolet à poudre noire. Elin soupira longuement.

— C’est ce que j’aime pas chez vous autres reborniennes : vous êtes tellement occupées à vous battre entre vous que vous déconsidérez le reste. Vas-y, montre-moi ce que tu sais faire. Je n’esquiverai même pas.

Cette fois, c’est Elin qui la provoqua, elle moucha le cœur de cette magical wargirl orgueilleuse et individualiste.

La magie de Virginia Espina avait pour nom les « Bordées du Hollandais Volant », c’était une magie d’invocation d’armes et plus précisément de canons. Puisque Elin ne venait pas au corps-à-corps, Virginia n’avait aucune raison de le faire non plus : sa spécialité était le combat à longue distance. Elle pointa la gueule de son pistolet vers Elin, tandis que, sournoisement derrière cette dernière apparurent six canons. Les sept armes firent feu simultanément.

Mais, malgré le bruit assourdissant, aucun des tirs ne rencontra le succès escompté : ils s’écrasèrent sur la barrière d’Elin qui paraissait indestructible.

Virginia ne se laissa pas abattre, elle n’avait dit son dernier mot ! Ô non ! Foi de capitaine !

Elle bondit en arrière d’un saut souple et léger, atterrit sur le pont inférieur à côté du grand mât et fit apparaître cette fois une vingtaine de canon d’un plus gros calibre : des pièces de 36 livres.

— Tu es foutue ! Je vais donner tout ce que j’ai ! Aaaaaaaaaaahhhhh !!!!

Les canons tirèrent tous en même temps. Comme l’avait annoncé Elin, elle n’esquiva pas et bâilla en se réfugiant derrière sa barrière.

Bien que plus puissants que que les précédents, les boulets ne rencontrèrent pas plus de succès : ils s’écrasèrent ou rebondirent dessus.

— Tu as fini ? demanda Elin. Je commence à m’ennuyer, tu sais ?

— Toi… Esp… Espèce de monstre ! cria Virginia qui commençait soudain à perdre patience.

Personne n’avait jamais encaissé ses attaques de la sorte. Personne ne pouvait rire de ses bordées redoutables ! Elle avait confiance, plus que nul autre en ses capacités, elle savait faire partie d’une élite de combattantes et même parmi elles elle était puissante !

C’était ce qu’elle avait toujours pensé mais, à cet instant, Elin venait de réduire en miettes cette confiance en soi inébranlable et la piétinait de ses petits pieds.

Les larmes montèrent aux yeux de Virginia, elle respirait lourdement en proie à la fatigue et au désespoir : sa dernière attaque avait épuisé son corps, de surcroît. Mais ce qui était plus blessé encore c’était son orgueil.

Était-elle faible ? S’était-elle trompée jusque là ? Cette ennemie, existait-elle réellement d’ailleurs ? N’était-elle pas en train de cauchemarder ?

— Bon, puisque tu as fini, c’est mon tour d’attaquer. S’il y a une chose que je déteste ce sont les idiotes de ton genre qui ne se soucient pas de la sécurité de ses alliées. Adieu, Virginia.

Elin tenta d’afficher une expression de colère pour intimider son adversaire mais son visage était figé dans son éternelle expression de vacuité. Même si ses traits ne le témoignaient pas, elle était réellement irritée : même si la vie d’Allison n’était pas en péril, elle n’avait jamais supporté les tirs alliés.

Jamais elle n’aurait engagé une fille comme Virginia dans son agence, elle préférait mille fois des filles hésitantes comme Shizuka que des têtes brûlées qui ne se souciaient pas de leurs collègues.

Bien sûr, elle bluffait : elle n’allait pas la tuer, mais lui donner une leçon. Lorsqu’elle abaissa sa main, une colonne de flammes noires d’une dizaine de mètres de rayon se dressa et prit pour cible la capitaine.

Malgré son état, son instinct de survie lui fit dresser une protection : « la Grande Voile ». Une barrière faite de voiles l’entoura pour se prémunir des flammes, mais elle fut soufflée comme un fétus de paille par le « Golachab » qui désintégra une partie du navire.

Les blessures de Virginia furent telles qu’elle sombra dans l’inconscience. Elin la déposa sur un le toit d’un bâtiment voisin. Puis…

— Tu n’en as pas profité ? s’interrogea-t-elle à haute voix en se tournant vers la position d’une ennemie restante. Drôle de sniper qui ne profite pas de la distraction de son adversaire… Quant à vous, j’espère que vous utiliserez les quelques secondes de répit pour vous regrouper et me faire face dignement.

Probablement qu’en raison de la distance, nulle autre qu’elle-même ne pouvait entendre sa voix. Elle s’envola et se dirigea vers la sniper qu’elle avait repérée depuis le début. Puisqu’elle était capable de voir les auras magiques, une telle attaque-surprise était vouée à l’échec.

Pendant le déplacement d’Elin, un flash lumineux et magique : un projectile supersonique la prit pour cible. Une fois encore, l’attaque s’écrasa sur sa barrière magique.

Elle arrêta sa progression en fixant l’attaque qui était encore en cours : le projectile adverse était lui-même entouré d’une barrière qui tentait de pénétrer celle d’Elin.

— Pas mal… c’est efficace.

Cette fois, il y avait une possibilité que le tir parvienne à se frayer un chemin à travers sa défense, mais Elin en avait vu d’autres. Elle fit disparaître sa barrière et intercepta la munition à l’aide d’une boule de flammes noires. Il fut désintégré immédiatement.

Un autre coup de feu retentit. Elin prit de l’altitude et l’esquiva.

Un troisième. Elin l’intercepta en vol avec ses flammes noires tandis que ses couettes s’agitaient sous l’effet des vents de cette altitude.

N’attendant pas une nouvelle offensive, elle piqua sur la sniper tout en préparant l’apparition d’une langue de flammes noires dans sa main.

Un quatrième tir essaya maladroitement de la cueillir en pleine charge, mais elle esquiva sans mal.

La sniper entra distinctement dans le champ de vision d’Elin : c’était une fille en tenue de latex noire, très moulante. Sa bouche était caché par un masque noir et ses cheveux blancs étaient noués en une longue queue de cheval. Entre ses mains, elle tenait un fusil sniper démesuré, massif, un peu comme le genre d’armes qu’utiliserait Jessica.

— Une capacité fort intéressante mais insuffisante à elle seule, fit remarquer Elin en projetant sa langue de flammes sur son ennemi.

Zara Lawrence plissa ses yeux de métisse asiatique-caucasien et fit apparaître d’un mouvement de main une bulle d’énergie à double couches autour d’elle. Son pouvoir était dénommé le « Coffre de Pandore » et était une magie mixte basée sur le concept de « verrou ».

En raison de ses capacités à la fois guerrière et magicienne, elle pouvait canaliser sa magie à travers ses balles, mais elle pouvait également dresser de puissantes protections magiques. En général, celles disposant de pouvoirs tel que le « renfort » ou le « verrou » avaient une excellente défense.

Comme l’avait compris Elin, Zara pouvait faire apparaître autour de ses munitions des petites barrières défensives qui leur permettaient de facilement détruire celles de ses adverses. Au sein de l’équipe, c’était en principe son rôle.

Mais, malgré sa haute capacité défensive, la langue de flammes noires s’enroula autour de la bulle de protection et la détruisit en un battement de cils.

Zara bondit pour esquiver le fouet enflammé, mais en vain puisque ce dernier la poursuivit dans les airs et s’enfonça dans son épaule. Elle hurla de douleur.

— Ce n’est pas très grave, mais tu devrais quand même aller te faire soigner, dit Elin en ramenant son fouet. Toi au moins, tu comprends la différence entre nos capacités, n’est-ce pas ?

— Je…je ne vois pas de quoi tu parles…, répondit Zara qui était retombée au sol, à genoux et qui se tenait la blessure. Je… OK… je vais abandonner… laisse-moi quelques secondes… ça fait un mal de chien ! Aaahhh !

En fait, elle cherchait à piéger Elin : la magie de verrou n’était pas la meilleure pour la défense puisque sa principale fonction était en réalité d’emprisonner. Les seuls mahou senjo qui pouvaient emprisonner d’autres mahou senjo ou des Anciens étaient celles spécialisées dans les verrous. Certaines parvenaient même à créer de puissantes zones où elles interdisaient des pouvoirs spécifiques de se manifester. Ce n’était pas le cas de Zara, néanmoins.

Mais, elle pouvait créer des prisons et isoler la personne à l’intérieur de toutes formes d’attaques. Elle était fière de ce pouvoir qui s’était avéré utile un certain nombre de fois.

En tant que sniper, elle avait préparé en avance son poste de tir : un de ces pièges se trouvait juste devant elle, il ne manquait plus qu’à y attirer cette petite fille incroyablement puissante.

Une fois prisonnière, Zara ne pourrait plus la blesser, mais cela permettrait à ses alliées de venir en soutien. Elle espérait simplement qu’Elin ne fût pas capable de se déplacer à travers les dimensions, sa prison n’était pas capable de les verrouiller, malheureusement.

Elin soupira, posa le pied sur le toit du bâtiment et s’avança vers elle en disant :

— Vous êtes finalement toutes des débutantes. Accepter un contrat contre un ennemi dont on ignore tout, c’est d’une stupidité…

La prison magique se dressa à peine entra-t-elle dans la zone délimité par cinq douilles au sol ; un pentacle se forma et une sphère l’emprisonna.

On ne pouvait voir le sourire de Zara sous son masque, mais ses yeux pétillaient de victoire. Elin s’était volontairement jetée dans le piège qu’elle avait parfaitement démasqué grâce à sa vision de la magie.

— Prenez conscience que nous avons toutes une guerre en commun. Se chamailler pour des futilités comme l’argent, c’est juste laisser l’ennemi réel remporter la victoire. Sais-tu pourquoi nous vivons encore, nous autres humains ?

Elin posa la main sur la barrière en continuant de s’exprimer. En face d’elle Zara l’écoutait d’une oreille discrète, la victoire était à elle.

— C’est très simple. Alors qu’ils nous avaient mis à genoux et que la civilisation humaine allait disparaître, ils ont préféré se battre entre eux et nous sous-estimer. Ils auraient eu qu’à nous achever et entrer en conflit ensuite, mais ils ne l’ont pas fait. Et c’est là que les dieux sont venus nous aider. Divide et impera, c’était ce que les anciens penseurs latins disaient. « Diviser pour mieux régner », c’est une stratégie de base pour vaincre l’ennemi. Évitons d’en faire autant avec nous-mêmes.

Sans plus attendre, elle fit exploser la prison par le biais de ses flammes noires.

— Ton style est intéressant, mais tu manques cruellement de puissance. Tes techniques sont celles d’une amatrice. En réalité, même Shizuka est déjà plus puissante que toi. Si tu crois vraiment pouvoir survivre aux horreurs du champ de bataille avec ce niveau…

La langue de flamme vint s’enfoncer dans l’autre épaule malgré la barrière à double couche qui essaya d’arrêter sa progression. Zara hurla à nouveau de douleur. Elle était à deux doigts de s’évanouir lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur le tatouage dans le dos d’Elin ; cette dernière lui faisait déjà dos, comme si le combat était fini. Cette forme noire mouvant était un démon asiatique, un oni : Zara n’avait pas combattu une magical wargirl, non, c’était un démon, une pure incarnation du mal surpuissante, un être n’ayant pas sa place sur ce monde. C’est pleine de désespoir et de terreur que ses yeux se fermèrent et que son visage reposa sur le béton du toit où elle se trouvait.

Elin s’envola aussitôt vers sa prochaine cible. Ses adversaires s’étaient enfin regroupées pour agir ensemble. C’était le moindre bon sens, estimait-elle.

Aucune d’entre elles ne semblait capable de voler, Elin s’arrêta à quelques mètres au-dessus d’elles.

La fille qui se trouvait en tête, fort mignonne, elle avait des cheveux roses dont les pointes touchaient à peine ses épaules. Ses yeux étaient de même couleur. Sa tenue était classique d’une magical girl : très colorée avec nombres de volants et de décorations. Elle était armée d’un wakizashi à la garde fort ouvragée.

Derrière elle se tenaient une fille à la chevelure blonde attachée en queue de cheval et portant des vêtements digne d’une œuvre heroic fantasy : une longue tunique blanche avec des motifs de fleurs et une jupe. À l’instar d’un personnage de RPG, elle tenait entre ses mains un long bâton de magicien.

Enfin, la dernière fille était un peu plus grande que les autres. Ses cheveux était blonds et ruisselaient en partie dans son dos, jusqu’à ses fesses, l’autre en revanche étaient attachées en deux petites couettes tenues par des rubans. Ses yeux étaient vairons : l’un bleu et l’autre jaune. Elle portait une robe de mariée et aucune arme.

— Vous avez finalement décidé de vous regrouper pour me faire face, c’est déjà pas mal, dit Elin en les observant.

— Vous ne devriez pas parler sur un ton méprisant, mademoiselle, fit remarquer la magical wargirl en tenue fantasy. En réalité, vous êtes une personne gentille, n’est-ce pas ?

— Parce que tu pensais vraiment tenir le rôle de la gentille de l’histoire ? Vous n’avez pas remarqué que Teresa est habitée par un monstre ?

Les trois filles s’arrêtèrent un instant, elles semblaient avoir été perturbée par cette révélation. Elin poursuivit :

— Vous ne saviez donc pas… ? Vous n’avez jamais fait de recherches sur votre employeuse ?

— Qu’est-ce que t’en sais, toi ?! s’énerva la fille avec le wakizashi, tandis que sa collègue posa sa main sur son épaule pour la calmer.

À cet instant, alors qu’Elin allait répondre, elle sentit un picotement dans sa tête, elle ferma les yeux puis se tourna vers la fille en robe de mariée qui se tenait silencieuse à l’arrière du groupe. Les résidus magiques dans l’air étaient caractéristiques, Elin connaissait le genre de magie qui venait de la prendre pour cible.

— Une utilisatrice de magie psychique… C’était une tentative astucieuse, mais désolée, j’ai subi des intrusion mentale plus efficaces que la tienne. Vous autres mentalistes comptez trop sur votre magie pour déterminer le cœur de vos interlocuteurs, mais cette fois il va falloir t’en passer pour savoir si je mens ou non.

Sienna Harvey —la fille au wakizashi— avait atteint les limites de sa patience, elle projeta de ses mains des boules de feu, tout ce qu’il y avait de plus classiques. Elles heurtèrent la barrière réactive d’Elin qui détermina rapidement une différence de niveau par rapport à ses précédentes adversaires. Sa barrière avait s’était légèrement fracturée.

— C’est donc toi le gros morceau ? OK, je vais me poser. Je ne voudrais pas que vous vous réfugiez derrière ce prétexte pour justifier votre défaite.

Sur ces mots, Elin atterrit un peu plus loin sur le toit et invita ses adversaires à venir se battre d’un geste de la main.

Elle n’eut aucun mal à voir les effluves normalement invisibles des sorts psychiques destinées à l’assommer : ils provenaient de la fille en robe, Kaylee Combs, dont le pouvoir se nommait « Vagues psychondes ». Malheureusement, face à une des combattantes du top 5 mondial, c’était peine perdue. Elin n’esquiva pas, ne chercha même pas à s’en défendre, elle encaissa les chocs psychiques à la seule force de sa volonté.

Les avantages de cette magie reposait sur sa discrétion, d’une part ; en effet, mis à part des cas particuliers comme Elin qui percevaient les fluctuations magiques, elle n’avait pas de représentation visuel perceptibles ; et d’autre part sur sa capacité à passer outre les défenses habituelles.

Les barrières physiques, dont la réactive, ne bloquaient pas les ondes psychiques. Nombre de mahou senjo étaient victimes de cette erreur. Par contre, pour s’opposer à elles, tout était question de volonté.

Les mentalistes, également nommée psychistes ou psychokinésistes, se plaignaient souvent de leur inefficacité contre les Anciens dont la psyché était plus résistante et souvent très différente de celle humaine.

Sienna, la pyromancienne était de type mixte. Aussi elle tira son wakizashi de son fourreau et forma une croix en croisant sa lame avec son avant-bras, puis elle invoqua « les flammes du ciel et des enfers », c’était une des capacités qui avait défini son style de combat.

Les flammes recouvrirent sa main gauche et sa lame ; elle chargea son adversaire qui fit apparaître sa barrière réactive. Elin savait que cette fois, elle était face à un adversaire dont la force offensive était supérieure à la régénération de sa barrière, tôt ou tard elle parviendrait à la détruire.

Elle ne la craignait pas pour autant : leur différence de puissance restait trop importante mais elle la reconnut rapidement comme la plus puissante du groupe. Et d’autant plus grande était la nécessité de lui faire comprendre ses erreurs en réduisant à néant son orgueil déplacé.

Sienna frappa de son arme et son poing la barrière plusieurs fois : Elin la laissa faire, puis après une vingtaine d’attaques, lorsque sa défense vola en éclats :

« Sathariel ».

Elle projeta de sa main un cône de flammes noires que Sienna ne put esquiver. En faisant appel à sa propre barrière réactive, elle évita de tomber en poussière mais elle sortit de la zone d’attaque en se roulant au sol, tandis que des flammèches noires « dévoraient » ses chairs.

— Sienna ! Je vais t’aider !

La gentille Lexie Johnson accourut et posa sa main sur l’épaule de son alliée ; des liens de lumières jaillirent de sa baguette, lui traversèrent le corps, puis s’instillèrent dans celui de Sienna. La magie de Lexie tirait son pouvoir du concept de « vie », autrement dit elle était une soigneuse.

Les blessures provoquées par le souffle de flammes se refermèrent mais Elin, sans pitié, lui projeta une boule de flammes noires.

Sienna invoqua en toute urgence un mur de flammes défensif devant elles mais c’est avec une malheureuse surprise qu’elle remarqua que ce dernier ne présentait pas la moindre résistance face à la magie du Qliphoth des flammes noires.

En dernier recours, Sienna porta un coup d’épée sur la sphère et s’interposa entre elle et Lexie.

*Boom*

L’explosion de flammes retentit : Lexie fut projetée en arrière, roulant sur les tuiles du toit tandis que devant elle se tenait à grande peine Sienna qui avait subi la majeure partie des dégâts.

— Sienna !! s’écria-t-elle.

Lexie était de loin la fille la plus gentille du groupe lorsqu’elle était sous sa forme de combat. Elle était l’opposé de Vivienne dont la personnalité se dégradait après transformation. Lexie s’adoucissait, elle tenait vraiment à ses alliées, même si certaines d’entre elles ne l’aimaient pas, mais, parmi toutes, c’était avec Sienna qu’elle avait le plus de liens.

Sans s’approcher cette fois, prenant sur elle, Lexie pointa sa baguette sur Sienna qui vit ses blessures restaurées.

— Tssss ! Lâche !! Affronte-moi et laisse Lexie tranquille ! cria Sienna furieuse.

Sienna était en temps normal effacée et silencieuse, mais en combat elle avait tendance à avoir des excès de colère, c’était pour cette raison qu’elle n’était pas la chef du groupe.

— Quand tu affronteras Cthulhu ou Shubb-Niggurath, leur reprocheras-tu la même chose ? Voyons, faire venir une soigneuse en première ligne face à un adversaire qui vient de démontrer être capable d’utiliser des attaques de zone…

Sienna se mordit la lèvre inférieure jusqu’à faire sortir du sang.

À cet instant, Elin remarqua que Kaylee avait cessé ses attaques psychiques et dirigeait sa magie vers ses collègues. Sans aucun doute, utilisait-elle un lien télépathique pour discuter en privé ; Elin connaissait bien ce genre de pouvoir.

Pendant quelques secondes, les filles ne disaient rien, elles avaient leurs regards perdus dans le vide.

— Bon, écoutez, aucune de vous n’est de taille, annonça impitoyablement Elin. Comme vous l’avez vu, je n’ai pas envie de vous tuer, sinon ce serait déjà fait. Mais si vous avez besoin d’une preuve pour accepter votre défaite et revoir votre façon d’être, j’accepte de vous donnez une dernière leçon. Lexie, soigne-toi et venez avec ce que vous avez de mieux.

Ses interlocutrices restèrent abasourdies. Après tout ce qui s’était passé, elles ne pouvaient plus croire à lav victoire.

— Perso, j’abandonne…, déclara Kaylee en gesticulant de ses mains. J’ai essayé des dizaines de fois de l’assommer, mais rien n’y fait. Je reconnais ma défaite.

— Quoi ? Kaylee ?! lui reprocha Lexie en se tournant vers elle.

— C’est pas grave, Lexie : elle ne servira à rien de toute manière. Soigne-nous, j’y retourne !

Sur ces mots, Kaylee quitta sa forme de combat et s’en alla s’asseoir un peu plus loin. Elin la laissa faire, bien sûr.

— Idiote, si ça n’avait pas été moi, tu serais morte à cet instant…, grommela Elin en se grattant la tête.

Puis, d’une voix plus forte audible par toutes :

— Je suis consternée par votre manque d’éducation martiale. Règle numéro 1, la fuite est une décision de groupe : soit toute l’unité bat en retraite, soit toute l’unité y passe. Les US Reborn sont trop laxiste, décidément.

Ces remarques provoquèrent la colère de Sienna (qui était déjà à fleur de peau), un peu d’agacement chez Lexie, mais aucune réaction auprès de Kaylee qui observait silencieuse.

— Mais qui es-tu à la fin pour te la péter comme ça et donner des leçons ?! vociféra Sienna.

— Gagne et je te le dirais.

— Si je gagne, tu ne pourras plus parler.

— Très juste. Alors je revois ma proposition : survis et je te le dirais.

Sans autre forme de procès, Elin tendit la main :

« Gamchicoth ».

Sur ces mots, une langue de flammes semblable à un fouet s’en extirpa et se dirigea vers son adversaire. Elle suivit une trajectoire en ligne droite, elle n’était pas destinée à une attaque surprise ou inattendue, Elin devait tester Sienna selon ses règles et lui prouvait qu’elles faisaient fausse route ; il fallait que ce soit une attaque frontale.

Sienna passa sa main sur sa lame et invoqua le « katana de sang vermeil », sa plus puissante attaque. Elle insuffla des flammes si chaudes que la lame rougit à en émettre de la vapeur. Sous l’effet de cette canalisation, elle brisait ses armes en quelques coups tant la chaleur était élevée.

D’un coup vertical elle intercepta le Gamchicoth et, l’espace de quelques secondes, les flammes de deux couleurs et natures différentes se heurtèrent. Mais rapidement le wakizashi se brisa et Sienna vit les flammes l’envelopper. Elle devait admettre sa défaite, elle ne pouvait rien faire contre cet adversaire. Elle ferma les yeux et accepta sa mort.

La langue de flammes lécha Sienna, puis vint s’arrêter à quelques centimètres à peine du visage de Lexie avant de se retirer. Sienna tomba inconsciente au sol, couverte de brûlures.

— Avec ça votre défaite est complète. Quel est ton nom ? demanda Elin en faisant craquer les os de ses épaules.

— Lexie… Johnson…, répondit-elle en tombant à genoux et en portant son regard sur le corps fumant de Sienna qui avait reprit son apparence normale.

— Les combats entre magical wargirls sont une bien piètre pratique, sache-le. Vous avez eu de la chance que ce soit moi aujourd’hui, mais arrêtez de jouer à cette ridicule mascarade. Vous avez des pouvoirs intéressants, mais votre stratégie et votre travail d’équipe est déplorable. Ouvrez une agence, acceptez des contrats qui aideront votre prochain et renforcez-vous. Il y a du potentiel en vous. Par contre, si je vous recroise dans une guerre de corporation, vous connaîtrez la réelle étendue de mes pouvoirs.

Sur ces mots, Elin s’avança vers le bord du toit et observa le champ de bataille, la cour intérieur de l’arcologie où se battaient ses filles.

Teresa leur avait donné du fil à retordre, bien plus qu’elle ne l’aurait pensé : Shizuka et Vivienne étaient au tapis et Hakoto était à deux doigts de reprendre sa forme normale. Elle savait que Teresa avait un étrange pouvoir mais pas qu’il fût à ce point dangereux.

— Au fait… qui… ? demanda timidement Lexie intimidée.

— Ah oui, j’avais promis… Je suis Elin, mais je crois être plus connue sous le nom d’Athanor des flammes noires. Bonne chance à toi, Lexie.

Sur ces mots, elle se jeta dans le vide et s’envola pour rejoindre Hakoto. Lexie et Kaylee avaient déjà entendu ce nom à quelque part…

Lire la suite  – Chapitre 8