Chapitre 8

La distance entre Los Angeles et Hesperia était approximativement de 130 kilomètres, il ne fallut pas longtemps au groupe de la véritable Jessica pour s’y rendre.

Moins d’une heure après la séparation avec les autres, en faisant fi des limites de vitesse, l’impressionnant véhicule de Jessica s’arrêta aux abords de la ville.

Le soleil déclinant avait presque entièrement disparu sous les silhouettes des bâtiments ; il commençait à faire sombre dans cet endroit moins éclairé que l’immense Los Angeles.

La ville d’Hesperia était un peu plus peuplée qu’avant l’Invasion, jadis elle avait compté quatre-vingt-dix mille habitants, mais elle dépassait à présent les cent vingt mille. Même si le territoire rebornien s’étendait au-delà de Salt Lake City et englobait les Rocheuses, plus on allait vers l’est moins les villes et villages étaient peuplées en raison de la proximité avec la ligne de front.

Hesperia avait profité des exodes provoquées par la guerre, ceux qui n’avaient pu s’abriter à Los Angeles s’étaient rabattus dans les villes voisines. Située à une centaine de kilomètres, elle avait fait partie des villes à expansion démographique post-Invasion.

Néanmoins, en raison de la guerre et des désastres sismiques causés par les Chtoniens, elle avaient été entièrement rasée vingt années auparavant. Elle avait été remise sur pied mais on y trouvait très peu d’anciens bâtiments.

Jessica avait arrêté la voiture dans une station essence à la sortie de la ville. Mis à part le panneau indiquant l’entrée de l’agglomération, il était difficile de réellement définir ses frontières. C’était une cité plutôt basse, il n’y avait pas de grattes-ciel et peu d’édifices dépassaient les deux étages.

Les rues étaient larges, les maisons distantes les unes des autres. En raison de sa localisation dans le désert du Mojave, seules les rues principales étaient asphaltées, nombre de rues moins fréquentées étaient faites de terre battue et de sable.

Du point de vue d’une Kibanaise comme Irina, la seule de l’actuel groupe, ce genre d’endroit était particulièrement atypique, il ne ressemblait en rien aux paysages kibanais, tant au niveau de l’architecture des maisons que de l’urbanisme général. Elle ne pouvait s’empêcher d’observer à droite à gauche avec de grands yeux émerveillés, tout en s’exclamant par des « ooh ! » ; personne n’aurait pu la considérer comme une mahou senjo en mission, une touriste tout au mieux.

Il se dégageait de cette petite ville une ambiance de quiétude… peut-être même trop calme, à vrai dire. Jessica plissa les yeux en retirant les clefs du tableau de bord, puis quitta le véhicule.

Sandy, Gloria et Irina l’imitèrent et se dégourdirent les jambes. Le parking de cette station d’essence paraissait tout aussi paisible que le reste de la cité. Il n’était même pas encore vingt-et-une heures, mais on aurait pu croire qu’il était minuit passé, tant l’activité était réduite.

À la station-service, il n’y avait aucune autre voiture que la leur. De la lumière se dégageait par les fenêtres de la seule boutique en préfabriqué et aux murs usés par les vents du désert.

— Whoooo !!! C’est quoi cet endroit ?! s’exclama Irina avec enthousiasme. On dirait un film !

— C’est si impressionnant ? demanda Sandy perplexe.

— Mets-toi dans la peau de quelqu’un qui n’a jamais connu que Tokyo…, expliqua Jessica. Mais nous ne sommes pas là pour faire du tourisme, j’ai un mauvaise pressentiment… vraiment très mauvais…

Tandis que Jessica et Sandy rivèrent leurs yeux sur la boutique silencieuse, Gloria posa son ordinateur portable sur le capot de la voiture et commença à pianoter.

— Ça schlingue la magie à plein nez, déclara Irina avec un enthousiasme qui ne correspondait pas à ses paroles.

— T’es sérieuse ? demanda Jessica. Tu peux en dire plus ?

— Je pige pas bien l’odeur de la magie, mais y a un gros truc en ville, ça j’peux te le dire pour sûr. Et quand j’dis gros, c’est un truc énorme ! Toute la ville est touchée !

— Comment tu peux dire des trucs comme ça en souriant ? marmonna Sandy avec une goutte de sueur sur la joue.

— Mmmm… si la naine fait confiance à ton odorat, je suppose que je devrais faire de même. Est-ce que tu sens la même chose ici, à cette station-service ?

— Nope. L’odeur n’arrive pas jusqu’ici… On se transforme de suite et on va défoncer des vilains, Jess ?

Irina trépignait d’impatience, mais on se demandait si elle était désireuse de faire son devoir ou simplement d’aller visiter.

Gloria, qui ne comprenant pas la discussion, prit la parole et pointa du doigt l’écran de son ordinateur :

— Jessica, il y a quelque chose d’étrange… Viens voir ça !

— Qu’est-ce que c’est ?

À l’écran était affiché une interface simpliste, avec des couleurs ternes, et surtout beaucoup de lignes de codes, du texte, des caractères hexadécimaux, rien qu’une personne non initiée comme Jessica put comprendre.

— C’est le trafic réseau de la ville. J’ai hacké le répartiteur qui se trouve à proximité et, comme je le pensais, il y a trop peu d’activité, c’est comme si personne n’était en ligne actuellement.

— Quand as-tu fait ça au juste ? s’inquiéta Jessica en se grattant la joue.

Une telle manœuvre de hacking devait être impossible en quelques secondes seulement, le temps qu’elles avaient pris en sortant de la voiture, ou alors les systèmes de sécurité informatique du pays laissaient réellement à désirer.

— J’ai fait ça en route, j’ai pensé que ça serait utile. J’attendais d’arriver pour en parler c’est tout. J’ai aussi hacké quelques caméras en ville : il n’y a personne dans les rues. Tu penses que c’est normal pour un village comme ça ?

— C’est pas vraiment un village, tu sais ? Eh non ! Ce n’est pas normal du tout !

Gloria lui jeta un regard calme qui contrastait avec l’attitude de plus en plus inquiète de sa patronne ; elle pencha la tête de côté tel un chiot et demanda :

— Chef, tu veux que je hacke plus de caméras pour en savoir plus ?

— Non, c’est bon ! Pas le temps ! Tu vas venir avec moi, OK ?

Gloria referma l’écran de son ordinateur portable sans hésitation, puis le jeta sur la banquette arrière et acquiesça.

— Bon, voici le plan : divisons-nous en deux groupes, déclara Jessica en rassemblant les filles autour d’elle. Gloria et moi, nous allons nous occuper de Cassidy. Quant à vous deux, vous allez aider les citoyens qui sont encore en vie. Grâce à l’odorat d’Irina, trouvez les cultistes, les monstres ou quoi que ce soit qui s’en prendrait à la ville. On reste en communication par transmetteur.

Elle tendit quatre oreillettes destinées à servir de communicateurs ; les filles de NyuuStore les utilisaient souvent en opération, ce n’était pas un moyen très fiable, considérant tout ce qui pouvait influencer les ondes, mais cette fois Jessica estima qu’elle n’avait pas besoin d’en créer de plus performants avec sa magie.

Sans plus attendre, Irina se transforma et levant son poing, enchâssé dans un lourd gantelet métallique, elle s’écria :

— À l’assaut ! J’vais en faire de la purée ! Hahahaha !!

Jessica soupira en constant qu’il manquait quelques gammes d’émotion à l’intérieur du corps de la subalterne d’Elin : peur, stress et bien d’autres encore.

Elle se transforma à son tour, se recouvrant d’une combinaison moulante futuriste. Les deux autres filles firent de même. Toutes logèrent les communicateurs dans leurs oreilles et c’est alors qu’Irina tendit la main vers les filles.

— Allez ! Posez vos mains dessus !

— Pourquoi faire ? demanda Jessica, intriguée.

Sandy, dont la personnalité était devenue plus insouciante, s’exécuta sans attendre ; elle posa sa main sur celle d’Irina tout en souriant joyeusement.

— Il faut un signe de ralliement et d’encouragement, Jess ! expliqua Sandy, comprenant les intentions d’Irina. Glory, you too ! Do it !

Le visage de Gloria était devenu impossible à discerner sous cette forme, mais sa main sablonneuse se posa sur celles des deux filles.

— Bon OK, j’ai compris… Vous êtes des gamines parfois… Pffff ! Qu’on soit claires : je veux 100 % de survivants dans cette mission ! Je ne tolérerais aucun sacrifice, c’est compris ?

— Oui, chef !! s’écria Sandy en faisant un salut militaire maladroit avec l’autre main.

— OkidokiiiiDe toute manière, j’ai pas envie d’crever ici, j’ai plein de jeux à finir encore !

Jessica soupira et posa sa main à son tour. Les quatre femmes s’observèrent un instant. Elles n’avaient pas besoin de s’exprimer, elles partageaient le même objectif : « Accomplissons notre devoir et retrouvons-nous ici, toutes les quatre, une fois de plus ! »

Même si elle avait été réfractaire, Jessica se rendait compte que pour des personnes affrontant aussi fréquemment la mort qu’elles, ce petit instant de ralliement n’était pas une mauvaise idée. Et c’était plus conviviale que simplement cracher des ordres sur un ton autoritaire. Elle y ferait peut-être appel à nouveau, dans le futur.

Irina, dont la main était la plus basse, la leva d’un seul coup, séparant et éparpillant toutes les autres.

— C’est parti !!! Yeaaaah !!

***

À peine entrées en ville, Irina et Sandy sentirent immédiatement un frisson parcourir leur échine. Un épais brouillard flottait à l’intérieur de la ville. Avec sa proximité au désert et à cette période de l’année, ce phénomène ne paraissait pas du tout naturel.

— Le brouillard pue grave la magie, dit Irina. Ch’sais pas ce qu’il est censé faire, mais y a des chances que ça marche pas sur nous.

— Ouais, Sandy a senti un truc picoter, mais rien de plus. Qu’est-ce qu’on fait ? On continue ?

— Bien sûr !

Les réverbères étaient allumés et produisaient des halos lumineux opaques orange ou jaune. On ne voyait devant soi qu’à quelques mètres à peine. En tendant l’oreille, il était possible d’entendre depuis la rue les télévisions à l’intérieur des différents domiciles.

Mais aucune voix humaine et aucun cri d’animaux. Un silence de mort, lugubre et funeste, annonciateur de solitude et de malheur.

Les deux mahou senjo semblaient néanmoins n’en avoir cure, elles continuaient de marcher en observant autour d’elle.

— Sandy se demande si ce brouillard est comme celui de Kamakura…

— Y a du brouillard à Kamakura ?

— Ouais, l’autre fois que nous y sommes allées. On a réglé leur compte à des cultistes là-bas. Y avait même Shizuka-chan cette fois-là.

— Ah bon ? J’savais pas… La chance ! Moi aussi j’aurais voulu aller à Kamakura avec vous !

— Haha ! Une prochaine fois, on irait ensemble.

— Oui !!

Irina prit les mains de Sandy qui rougit aussitôt.

— Irina-chan… ?

Ses oreilles se baissèrent, elle détourna le regard tandis que sa queue de renard touffue s’agitait frénétiquement.

— Ouais, on va aller à la plage et s’éclater ! Mais avant, faut qu’on tabasse les vilains qui sont ici !

Sandy acquiesça, puis elles reprirent leur marche sans but défini ; elles cherchaient des personnes à sauver et des monstres à terrasser, mais ne savaient pas où les trouver.

— Bref, du coup, à Kamakura y avait aussi un brouillard magique qui endormait les gens, expliqua Sandy. Tu penses que c’est pareil ici ?

— Sûrement… Y a personne dehors, ils pioncent peut’et dans les maisons…

— On entre pour voir ?

— J’pense que c’est mieux se suivre la piste de cette puanteur… Enfin, j’sais pas t’expliquer, mais y a un truc qui pue plus que le reste.

— Tu arrives à le sentir malgré le brouillard magique ?

— Ouais, ça vient de là-bas…

— Des cadavres ?

— Possible. Mais j’ai plus l’impression que c’est des monstres… Sniff sniff… Peut-être des morts-vivants…

— Bouh ! Ça fait peur !

— T’inquiètes, j’te protège au pire.

— Oh ! Merci, Irina !

— Héhéhé ! Mais bon, ch’suis pas sûre que t’as vraiment besoin d’aide : t’es aussi balèze que moi.

Irina qui marchait en tête de quelques pas se retourna et demanda :

— En tout cas, c’est dingue comme tu changes quand tu te transformes ! Peut’et parce que ch’suis une idiote, mais moi j’change pas comme ça.

— Ah bon ? Tu trouves que Sandy change ? Sandy n’a pas l’impression…

— Ah ? T’es un peu comme Vivi, tu t’en rends pas compte. Bah, pas grave.

Quelques centaines de mètres plus loin, elles entendirent des bruits de pas, un groupe.

— Y a trois monstres plus loin, expliqua Irina en se basant sur leur odeur. On y va ?

— Oui !!

Sans hésiter outre-mesure, elles rejoignirent la source du bruit et arrivèrent devant une maison délimitée par une enceinte grillagée. Trois créatures transportaient ses habitants hors de ses murs en les posant sur leurs épaules.

C’était des monstres bipèdes mesurant entre un mètre soixante et quatre-vingt pour le plus grand des trois. Ils marchaient voûtés, non pas à cause de leur charge mais simplement parce que leurs colonnes vertébrales étaient arquées. Même si dans l’obscurité, avec tout ce brouillard, on aurait pu penser qu’il s’agissait d’humains, leurs traits n’avaient que peu en commun avec ces derniers.

En effet, les faciès étaient plutôt canins. Ils étaient glabres et n’avaient aucun poil sur tout le corps. Leurs lèvres retroussées permettaient de voir une dentition entièrement composée de crocs acérées, tandis que leurs petits yeux étaient noirs comme la nuit. Ils ne portaient pas de vêtements, leurs corps étaient si maigre qu’on pouvait voir la forme de leurs squelettes sous leur épiderme. Leurs peaux cadavériques étaient recouvertes par endroits de mousses et dégageaient une odeur pestilentielle de morts.

— Des goules ? s’interrogea à haute voix Sandy qui croyait reconnaître là une des créatures les plus fréquemment rencontrées dans les Contrées Oniriques.

— Ils puent comme des goules en tout cas. Allez, c’est parti !

Sans même laisser le temps à leurs adversaires de réaliser, Irina s’élança à toute allure sur le proche et lui asséna un violent coup de poing dans le torse. Elle attrapa juste à temps l’humain sur l’épaule de ce dernier avant que le corps de la goule fut projetée en arrière avec violence.

Avant que Sandy ou les goules ne pussent réagir, Irina saisit de son autre main l’homme chargé sur l’épaule de la goule voisine, puis porta un coup de pied circulaire rotatif dans la tête du monstre ; il rejoignit son compagnon quelques mètres plus loin dans la cour de la maison.

La troisième goule réagit : elle lança l’otage sur Irina afin de passer à l’offensive. Soudain, la course du projectile humain s’arrêta en plein vol, il ralentit et se mit à flotter dans les airs. Simultanément, le poing de Sandy s’abattit en plein dans le visage de la goule.

— Les otages sont safe, dit Irina.

— Tu… tu as déshabillé la fille ?

En effet, la goule qui la retenait prisonnière n’avait pas lâché sa robe qui s’était déchirée au moment où Irina l’avait expulsé.

Irina leva les épaules l’air de dire qu’elle ne savait pas, mais la robe était dans un tel état qu’elle glissait en laissant sa propriétaire en petite tenue.

Alors que Sandy s’apprêtait à faire une remarque, les goules, aux corps caoutchouteux, donc particulièrement résistants face aux dégâts contondants, se relevèrent prêts à en découdre.

— Leurs corps sont mous !

— Ouais, ch’sais !

Sur ces mots, sans se concerter, elles se ruèrent à nouveau sur les trois goules. Même si ces dernières étaient résistantes, c’était leur seul avantage : elles n’avaient ni la vitesse, ni la technicité des deux mahou senjo et, après quelques échanges de coups, elles s’écroulèrent sans être parvenues à les blesser.

— Bon, v’là une bonne chose de faite ! déclara Irina en se nettoyant les mains.

— Y en a sûrement d’autres…

— Ouais, il en reste tout plein. Allez ! On ramène les civils à la maison et on continue notre grand nettoyage. Héhé !

Irina tendit le poing vers Sandy qui cogna le sien contre en affichant le même sourire victorieux que sa collègue. Le corps des mahou senjo n’était pas la seule chose qui différait d’un humain, leur résilience psychique était également hors norme. Une telle situation aurait angoissé des militaires entraînés, mais l’horreur n’avait que peu de prise sur elles.

Après avoir mis à l’abri les humains dans leur domicile, elles repartirent en direction de l’origine de la puanteur que ressentait Irina.

***

À quelques rues de la villa de Cassidy (et où elle était censée se trouver), Gloria et Jessica, qui avançaient d’un pas décidé, tombèrent nez à nez avec un spectacle perturbants.

Alors que la brume se faisait moins épaisse à l’approche de leur objectif, à la lueur des réverbères elles purent voir étendues sur le sable de la rue une multitude de femmes inconscientes.

Il n’y avait certes pas de sang, pas de membres coupés et pas non plus d’organes prélevés de ces corps, mais cette vision emplit d’effroi Jessica au point de pâlir, de resserrer ses jambes et de se mettre à trembler.

— C’est eux ! se répétait-elle dans son esprit.

Ces créatures qu’elle abhorrait plus que tout ; les pires horreurs du Mythe ; des êtres aussi abjects qu’odieux qui l’avaient privé de son bonheur !

Celles étendues autour du manoir n’étaient pas des cadavres, ces quelques quarante femmes étaient endormies en raison de l’effet soporifique du brouillard magique, elles avaient toutes une petite blessure sur leur torse nue entre leurs seins, un petit trou de rien du tout que Jessica ne pouvait pas méconnaître.

Toutes avaient été privés de leur fière et jadis opulente poitrine (du moins l’était-elle plus qu’à présent). À ses yeux, cette vision était digne de l’Enfer de Dante. Ses yeux écarquillés s’emplirent de désarroi puis de colère et de larmes.

— Elles ont… servi de repas… aux Chupacabra… Snifff… Snifff…

Elle retenait ses larmes, mais pleurait intérieurement.

Gloria se tourna vers elle sans bien comprendre.

— Les mêmes qui t’ont pris tes seins ?

Jessica se couvrit la bouche et ne répondit pas. Gloria vint la prendre dans ses bras pour la consoler, le contact avec la poitrine massive de sa subalterne parvint quelque peu à lui faire reprendre ses esprits.

Pour une raison qu’elle ignorait encore, les Chupacabra n’avaient pas vidé les filles de toutes leurs graisses, ce qui leur aurait été fatal ; uniquement des superflues, notamment les seins mais aussi la cellulite.

Etait-ce de la provocation ?

Cela y ressemblait fortement, peut-être que Cassidy, leur supposée invocatrice, voulait laisser un message à Jessica. Mais il était également possible qu’elle ait désiré en faire des prisonnières. En supposant qu’elle souhaitait utiliser la machine à éveil sur elle, elle avait peu d’intérêt à les massacrer.

Une fois reprise complètement, elles poursuivirent et à peine quelques dizaines de mètres plus loin, cachés précédemment par le brouillard et l’angle d’une maison, une dizaine de ces petits êtres malingres, minces et voûtés, à la peau grise couverte d’une substance huileuse visqueuse et aux visages évoquant ceux des chauves-souris, étaient occupés à transporter des femmes jusqu’au manoir voisin.

— C’est pas vrai ! On dirait une usine à planche à pain… Quelle horreur !

Le traumatisme de ce spectacle la marquerait sûrement à vie.

Elle n’avait pas été discrète, les créatures cessèrent leur activité de transport et se retournèrent vers les deux femmes.

Immédiatement, Jessica fit apparaître entre ses mains son « Mutilator », un fusil d’assaut ressemblant à une version futuriste et plus imposante du très classique M-16.

Jessica mit en joue une première créature, mais alors que son doigt allait appuyer sur la gâchette et canaliser sa magie dans les munitions de son arme, mais elle trembla et hésita. Même si cela pouvait paraître ridicule, les Chupacabra étaient devenus une réelle phobie à ses yeux. Il lui était aussi difficile de les affronter qu’un arachnophobe de s’approcher d’une araignée.

Les créatures échangèrent dans une langue étranges évoquant des cris, puis décidèrent de profiter de l’inactivité des deux filles pour passer à l’offensive.

Avec leur impressionnante vitesse, elles bondirent sur les deux mahou senjo.

Jessica paniqua, recula et fit feu : la rafale de trois balles perfora le poitrail d’un des monstres ; elle était tellement entraînée aux armes à feu que son corps était capable de réagir de lui-même dans ce genre de situations. Le Chupacabra touché explosa de l’intérieur, mais trois autres l’encerclaient déjà. Elles projetaient leurs langues sur Jessica dont les yeux étaient emplis de larmes.

Un rideau de sable demi-sphérique apparut pour la protéger, les langues furent déviées tandis que Jessica tomba à genoux en retenant ses larmes.

— Jessica, je m’occupe d’eux. Va te mettre à l’abri, ordonna Gloria d’une voix bienveillante.

Même dans cette situation, Gloria n’avait que de l’admiration envers sa chef. Plus que nulle autre, elle comprenait fort bien les peurs qu’on ne peut surmonter seules.

Voyant Jessica hors d’atteinte derrière le mur de sable, les trois assaillants reportèrent leur attention sur Gloria qui était déjà aux prises avec six autres.

Elle abaissa sa barrière et :

— Eh oh !! Mécréants extra-dimensionnels suceurs de seins ! Si vous en voulez, ils sont là !

Elle était généralement timide, mais lorsqu’il s’agissait de Jessica, Gloria était capable de montrer les crocs. Elle se mit à jouer avec sa poitrine de manière provocante plus que sexy.

Les Chupacabra n’étaient pas des êtres intelligents, ils étaient animés uniquement par leur désir de manger et de se reproduire, aussi ils ne pouvaient ne pas mordre à l’hameçon ; leurs regards avides se tournèrent tous vers Gloria, les neuf l’entourèrent en se léchant les babines : il étaient gros et appétissants, même si elle ne paraissait pas parfaitement humaine sous cette forme.

Toutefois…

— Bon, puisque vous êtes réunis… C’est parfait.

Une dizaine de tentacules de sables jaillirent du sol, chacun était terminé par un dard menaçant. Dans cette rue pleine du sable du désert, Gloria avait tout ce qu’il fallait pour se battre.

La moitié des Chupacabre ne parvint pas à esquiver à temps cette première offensive, ils se retrouvèrent empalés.

Tandis que les survivants projetèrent leurs langues sur Gloria, les autres furent transpercés de multiples fois par les tentacules de sable jusqu’à ce que leurs petites corps visqueux fussent réduits en morceaux ; aussitôt, en tant que créatures invoquées, ils commencèrent à disparaître et retourner dans leur plan d’origine.

Le sable protégea automatiquement Gloria, sa défense était rapide et indépendante de son attention, presque comme si elle conférait une intelligence à ce dernier.

Gloria soupira et contre-attaqua : de nouveaux tentacules jaillirent du sol et vinrent saisir ses ennemis, les enserrant fermement.

Ils se débattaient et cherchaient à glisser —leurs corps huileux avaient cette faculté de les rendre très difficiles à saisir normalement— mais cela ne fonctionnait pas.

— Le sable absorbe très bien les liquides, vous ne le saviez pas ? expliqua Gloria d’une voix indifférente. Pour ma Jessica adorée, maculez le sol de votre sang, vermines !

Sur ces mots, elle serra devant elle son poing et l’étreinte des tentacules devint plus forte : les Chupacabra furent broyés, le sang et les organes jaillirent de leurs corps. Une des têtes littéralement décapsulée roula aux pieds de Gloria qui l’écrasa de son pied.

Bien sûr, l’hémoglobine comme le reste se décomposa rapidement, sans laisser aucune trace.

— Aaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !!!

Un cri perça les ténèbres : l’origine était Jessica à quelques mètres de là.

Lorsque Gloria tourna son regard vers elle, elle la vit en pleurs, à genoux. Elle accourut et la prit dans ses bras.

Les larmes de Jessica devinrent rapidement des larmes de joie : son torse précédemment aussi plat que celui d’Elin était à présent revenu à la normale. Elle palpa de ses mains son « précieux trésor » et c’est avec tendresse qu’elle enlaça Gloria.

— Merci ! Sans toi… que serais-je devenue ?

Les larmes ne cessaient plus de couler, toute la tension qu’elle avait accumulée depuis le début de l’affaire se relâchait enfin.

— Pour toi, je… je serais toujours là, Jessica.

Quelques heures avant l’heure limite d’échéance, Jessica avait récupéré sa dignité de femme, comme elle le disait, en même temps que son esprit combatif.

***

Quelques combats plus loin, Sandy et Irina finirent par arriver dans un petit parc à l’allure particulièrement étrange : les arbres défeuillées et noirs comme du charbon suintaient de sang, produisant au sol une boue infecte, tandis qu’ils se tortillaient de douleur et affichaient sur leurs troncs des visages humains torturés.

La zone n’était pas plongée dans le brouillard, à l’opposé on pouvait voir un ciel parfaitement dégagé où siégeait une lune rouge sang.

— Ça pue à mort ici !!

— Sans avoir ton odorat, même Sandy s’en rend compte !!

Devant elles se trouvait cette fois, non pas un petit groupe de goules mais une centaine d’entre elles qui s’extirpaient d’une déchirure dimensionnelle aux couleurs vert et orange.

Les yeux agressifs des créatures se tournèrent vers les deux mahou senjo, leurs intentions étaient parfaitement claires : les démembrer et se repaître de leurs entrailles. Même face à toute cette violence à leur égard, les deux filles n’étaient toujours pas inquiètes : elles échangèrent un regard, puis Irina fit appel à sa magie pour transformer son corps en acier.

De son côté, Sandy fit apparaître une zone de forte gravité devant elle : le sol s’enfonça, les arbres commencèrent à ployer sous son effet et un groupe d’une dizaine de goules se retrouvèrent couchées dans la boue, incapables d’agir.

Avant que la seconde ligne de goules ne pût passer à l’action, Sandy approcha Irina et lui saisit le pied avant de la projeter dans les airs avec toutes ses forces. Irina s’élança tel un projectile dans les airs, au-dessus de la zone de combat, puis elle commença à retomber.

À cet instant, Sandy cria :

« Attaque combinée : Full Metal Dive !!! »

Elle tendit sa main vers son amie et augmenta drastiquement la gravité pour accélérer sa force de chute. Le frottement qu’elle provoqua enflamma la mahou senjo à la manière d’un météorite. L’impact qu’elle relâcha dans au point d’impact projeta une onde de choc si violent que les arbres du petit parc furent tous déracinés ou couchés.

Au fond du cratère de quelques mètres de profondeur se trouvait Irina, sonnée. Sandy s’empressa d’achever les goules survivantes, le menu fretin, qui n’avait pas été pulvérisé par la redoutable attaque combinée, une quinzaine de créatures tout au plus, puis descendit voir l’état de son amie dans le cratère.

— Tu vas bien, Irina ?

— J’ai la tête qui tourne… Ouille ouille ouille… C’était… quelque chose quand même cette attaque…

— Oui ! Avec ta force et la magie de Sandy, c’est redoutable !

— Par contre, j’vais pas faire ça tous les jours. Haha !

Sandy lui tendit la main pour l’aider à se relever, elles échangèrent à nouveau des sourires, puis ressortirent du cratère comme si rien n’était, comme si elles n’avaient pas été la cause de toute cette destruction qui les entourait.

Néanmoins, à ce moment-là, un groupe de trois goules sortirent de la brèche dimensionnelle et furent surpris de trouver leurs alliés terrasser et un comité d’accueil de deux filles ; ces dernières, de même, furent surprises et les observèrent un instant avant de comprendre. Mais aussitôt, les goules rebroussèrent chemin et repassèrent le portail.

— Je crois qu’ils ont eu peur de toi, Irina.

— Héhé ! Y ont bien raison ! Mais j’pense qu’ils ont plus eu peur de toi, en fait.

— C’est juste pas possible. Sandy est une mignonne fille-renard, personne n’aurait pas peur d’elle.

— Faux ! Les filles-chats devraient avoir peur de toi, les renards et les chats sont pas potes. Puis, les filles-souris aussi, non ?

— Irina, on devrait peut-être les poursuivre, non ?

— Ouais, pas faux.

Sur ces mots, Irina prit la main de Sandy et sans plus de considération quant au fait qu’il eût pu s’agir d’un piège ou qu’elles pussent se retrouver dans l’incapacité de revenir, elles le franchirent. Leurs silhouettes disparurent du parc dévasté et lorsqu’elle rouvrit les yeux, elles n’étaient plus Terre.

Le décor autour d’elles était rouge ; la lune immense affichait le visage d’une femme en pleurs ; le sol était spongieux et humide, recouvert de mousses ; les ruines très ancienne d’une ville se trouvait à proximité, entièrement noircie comme si elle avait été brûlée jusqu’à ne laisser rien d’autres que des pans de murs.

— C’est quoi cet endroit ? se demanda Irina avec étonnement.

— Euh… Sandy se demande si c’est pas le plans des rêves… ou des cauchemars, un truc comme ça ?

— Bah, j’connais vraiment pas. Mais au final, on s’en fiche, on demandera à Jess ou Elieli à not’retour.

Sandy acquiesça.

Cinq créatures plus grosses, plus dangereuses que les goules, s’approchèrent de deux filles : des araignées géantes à la couleur mauve, aux pattes velues et aux corps bouffis. Aucune des deux filles ne connaissait leurs noms, même si les Araignées de Leng étaient pourtant bien connues, elles étaient emblématiques des monstres qui peuplaient les Contrées Oniriques.

Intelligentes, cruelles et redoutables, elles étaient servies soit par les Hommes de Leng (dont la chair était moins bonne, selon leurs propos, que ceux des humains provenant du plan matériel), qui leur servaient tantôt de garde-manger, soit par les Goules.

Lorsque la brèche dimensionnelle avait été ouverte, un sortilège avait lancé un appel et elles y avaient répondu avidement. Elles avaient envoyé aussitôt leurs serviteurs récolter de la nourriture, aussi, de ce côté du portail, se trouvaient une centaines d’hommes endormis ou prisonniers de leurs toiles, arrachés à leur demeures, et destinées à être dévorés. Il n’y avait pas de femmes, puisque le sort qui les avait appelé stipulait que c’était une des conditions pour garder le portail ouvert.

En général, elles ne suivaient pas les ordres d’un sortilège, sauf s’il les obligeait, mais elles avaient trop à gagner pour ne pas l’écouter.

Les cinq araignées venaient d’arrêter leur activité de tissage et s’exprimèrent dans un langage inconnu en faisant face aux deux mahou senjo. Derrière elles, un autre centaine de goules arrêtèrent d’empiler les prisonniers sur les chariots et se préparèrent au combat.

— Y a beaucoup de monde, non ?

— Ouais, j’crois qu’on a un bel accueil. Bon, on s’occupe pas du trash mob, faut donner la priorité aux midboss.

— Sandy ne comprends pas !

— On se fait les gros ! répéta Irina.

Sandy acquiesça, tandis que les cinq araignées, plus grandes que des ours, arrivèrent à une vingtaine de mètres.

Sans plus attendre, elles projetèrent simultanément leurs toiles en vue de capturer leurs proies ; c’était leur mode d’attaque habituel, une fois immobilisées et à leur merci, il leur suffisait de leur inoculer leur poison mortel. Mais cette fois, elles rencontrèrent plus de résistance.

Les toiles recouvrirent toute la zone où se trouvaient les deux filles, c’était une offensive impossible à esquiver. Comme on pouvait s’y attendre, elles étaient incroyablement résistantes.

Les Araignées de Leng étaient craintes notamment en raison de cette capacité. En tant qu’espèce, elles auraient pu être bien plus redoutable si elles travaillaient en équipe —ce qui était le cas dans l’actuel combat. En général, elles agissaient chacun de son côté et allaient même jusqu’à se faire la guerre entre elles. Elles n’avaient jamais entrepris d’invasion commune et étaient donc des ennemis peu connus des mahou senjo qui ne s’aventuraient pas dans les Contrées Oniriques.

Avant de se retrouver engluées, Sandy attrapa la main d’Irina et l’attira vers elle, puis elle activa son incroyable protection : Inertial Shield.

Même si les toiles étaient résistantes, leur poids était faible, elles furent facilement bloquées par le bouclier qui créa un trou dans le tapis de toiles.

Pendant quelques dizaines de secondes, tandis que leurs ennemis continuaient de projeter des toiles autour d’elles, les deux filles chuchotaient et tinrent un petit conseil de guerre improvisé.

Même si elles avaient évité d’être emprisonnées par les toiles, à cause de ces dernières, elles ne pouvaient se mouvoir librement dans la zone de combat, elles risquaient à tout moment de se retrouver collées au sol ou d’être retenu en suspension par les toiles plus hautes. À l’opposé, leurs ennemis pouvaient s’y déplacer à leur guise.

Aussi, à peine eurent-ils fini leur offensive que Sandy posa la main au sol et cria :

« Gravity down ! »

C’était une adaptation de son habituel « Gravity up ! » qui renforçait la gravité d’une zone ; à l’opposé, cette fois, elle venait de la réduire tout autour d’elle. Pour affecter une telle zone, elle avait besoin de beaucoup de concentration, l’empêchant de se battre normalement ; une telle technique n’était donc pas intéressante si elle était seule.

À peine les toiles et les araignées se mirent à flotter à plus de deux mètres du sol qu’Irina s’accroupit et se tint prête à passer à l’action.

— Go ! cria Sandy.

Comme si elle était un ressort qu’on détendait d’un seul coup, Irina s’élança à toute vitesse sous l’étrange plafond fait de toiles. Bien sûr, elle était aussi affecté par la zone de faible gravité, mais Sandy l’avait judicieusement réglée de sorte que l’apesanteur ne soit pas trop forte et qu’elle n’attira pas trop rapidement son amie dans les airs.

Irina parvint de justesse hors de la zone, un peu plus et elle se serait trouvée engluées. Immédiatement, la gravité repassa à la normale : les araignées et leur piège retombèrent au sol.

C’est alors qu’Irina passa à l’action : se propulsant au sol, elle bondit sur l’ennemi le plus proche qui essaya de l’intercepter à l’aide de ses deux pattes avant. En vain, elles ne touchèrent que le vide, Irina arriva au corps-à-corps.

* PAM *

Sous la violence du coup de poing qui heurta la créature en pleine tête, un son résonna dans le zone semblable à un gong. La chitine des Araignées de Leng était incroyablement résistante, même parmi les créatures du Mythe elle était réputée l’être. Irina sentit des vibrations lui traverser le corps tandis qu’elle fut repoussée en arrière par la force de retour.

— Whaaaa ! Elle est solide !! cria Irina en pleine retombée.

L’Araignée ne manqua pas cette opportunité, Irina ne pouvait esquiver dans son état : les deux pattes se dirigèrent vers elle. Mais c’était sans compter sur la force brute de la mahou senjo qui dévia les attaque en les cognant de ses poings et pieds.

Néanmoins, à peine au sol, un second ennemi l’approcha par derrière et l’attaqua. Sans mal, elle parvint à esquiver.

Irina s’engagea dans une série de manœuvres défensives tandis qu’en tenaille entre deux monstres elle subissait des attaques répétées.

Sandy considéra ce combat qui se déroulait sous ses yeux : la carapace des Araignées de Leng était le réel problème. Elles étaient toutes les deux suffisamment puissantes pour tenir le rythme au corps-à-corps, mais si l’attaque brutale d’Irina n’avait produit aucun effet, que devaient-elles faire ?

Tout en réfléchissant, Sandy quitta la zone des toiles en s’envolant par-dessus. Elle engagea le combat contre un des ennemi.

Esquiver les quatre pattes qui cherchèrent à l’empaler se révéla sans réel problème, mais elle hésita quant à sa contre-attaque. Finalement, elle arriva au cours de ses esquives à portée de l’abdomen du monstre ; elle fit un essai : elle enchaîna une série de jabs, des petits coups de poings rapides mais peu dévastateurs, en visant à chaque fois un point précis de la carapace, espérant y ouvrir une brèche. Mais elle constata avec horreur que le résultat était nul.

— Comment on fait, Irina ? cria-t-elle.

— Ch’sais pas ! Les coups ne leur font rien !

Même si Irina réussissait à ne pas se faire blesser, les attaques étaient suffisamment rapides pour l’empêcher d’approcher et contre-attaquer.

Du côté de Sandy, deux autres adversaires se rapprochèrent sans engager le combat. Ils se mirent à communiquer dans un langage inhumain composé de claquement de mandibules puis projetèrent leurs toiles. Cette nouvelle tentative se solda à nouveau par un échec puisque Sandy s’en protégea à l’aide de son Inertial Shield.

L’araignée qu’elle avait combattu à l’instant, profita de l’immobilisme provoqué par l’apparition de cette protection pour attaquer sa proie à l’aide de ses pattes. Ces dernières se terminaient en pointe et pouvaient percer sans difficulté le blindage des tank les plus modernes. Mais que pouvaient-elles faire contre la protection de Sandy ?

Contre toute-attente, l’une des pattes parvint à traverser les couches superposées de gravité et empala l’épaule gauche de Sandy.

— Aaaaahhh !!!

La mahou senjo se jeta en arrière pour retirer la pointe qui avait pénétré ses chairs mais se rendit compte que les poils qui s’y trouvaient dessus servaient en réalité à retenir ses victimes. Elle força jusqu’à arracher des morceaux de chairs puis s’envola en gardant active sa bulle de protection.

Normalement, les attaques ne passaient pas au travers ! Toute force se retrouvait réduite à néant par les couches superposées de gravité ! C’était ce qu’elle se disait en prenant de la distance.

Pourquoi n’avait-ce pas été le cas cette fois ?

Elle examina son opposant et découvrit rapidement la réponse : la patte était en bien piteux état, la chitine avait été fendues à divers endroits et un liquide semblable à du sang en coulait. L’Araignée de Leng avait simplement profiter de l’incroyable résistance de sa chitine et avait forcé malgré la douleur. Peu d’ennemis qu’avait affronté Sandy avaient fait preuve d’une telle volonté de vaincre.

— Tu vas bien, Sandy ? s’inquiéta Irina en déviant d’un coup de pied une attaque.

Elle saisit l’opportunité pour passer sous le ventre de la créature, seul endroit où elle ne pouvait pas efficacement attaque et la frappa de ses deux poings en même temps. L’araignée fut projetée en arrière par la violence de l’attaque, malgré son poids de quelques dizaines de tonnes. Bien sûr, sa carapace la mit à l’abri de tout dégâts.

— Ça vaaaaaaa !!! C’est rien de grave !

Néanmoins, la blessure saignait abondamment et n’était pas belle à voir.

— Tant mieux ! Laisse m’en trois et occupe-toi de deux aut’ si tu préfères.

— Non, ils vont utiliser leurs toiles sur toi ! Je m’en occupe, t’inquiète !

Pour s’entendre dans le chaos du combat et à cause de la distance, elles criaient.

Sur ces derniers mots, profitant de la hauteur, Sandy visa l’araignée qui l’avait blessée et :

« Super Dive !! »

Elle augmenta la gravité autour de son corps pour accroître sa vitesse de chute. Tel un météorite enflammé, elle s’abattit sur une des Araignées de Leng à une vitesse folle. Cette dernière esquiva le choc direct en bondissant en arrière au dernier moment. Mais l’onde de choc était si puissante et sa proximité au point d’impact si proche qu’elle fut malgré tout projetée à plusieurs mètres, percutant par la même ses deux alliés.

Bien sûr, même si elles furent sonnées et déstabilisées un bref instant, leurs épaisses carapaces les protégèrent d’éventuelles blessures.

Sandy fit claquer sa langue sous l’effet de la frustration. L’araignée avait malgré tout pris le soin d’esquiver, cela voulait sûrement dire que le « Super Dive » de Sandy avait une chance de briser sa carapace. Elle devait réessayer.

Elle s’élança à nouveau dans les airs et s’apprêtait à reproduire la même attaque lorsqu’elle remarqua que sa précédente attaque n’avait pas été vaine : la patte endommagée avait été détruite par l’onde de choc.

Un sourire inconscient apparut sur son visage. Elle était assurée que le « Super Dive » pouvait fonctionner.

Profitant de la désorganisation des trois adversaires, sonnés après avoir été percuté l’un contre l’autre, elle réitéra son attaque.

« Super Dive !! »

Elle y accorda encore plus de magie qu’auparavant, augmentant plus encore la gravité et descendant encore plus vite.

Elle visa l’adversaire blessé. Même s’il essaya à nouveau d’esquiver, avec une patte en moins, sa vitesse d’exécution fut un cheveu inférieure. Cela suffit à changer le résultat de l’offensive.

Une explosion retentit, le sol trembla à des lieues à la ronde, les Goules qui observaient le spectacle manquèrent de tomber, déséquilibrées. Soudain, la peur causée par les mahou senjo arriva au même niveau que celle envers leurs maîtresses araignées. Leur loyauté serait conditionnée par l’issue du combat entre les deux belligérants.

Au cœur d’un nuage de poussières et de particules, Sandy put voir les morceaux de sa victime retomber au sol et son sang visqueux et verdâtre tomber comme la pluie. Le cratère où elle se tenait était profond de quelques mètres. L’odeur de brûlé emplissait ses narines.

— J’ai compris ! s’écria Sandy. Leur chitine n’aime pas le feu. Irina ! Il faut attaquer avec du feu !

— Tu veux que j’le trouve où ? Mes pouvoirs sont liés au métal, pas au feu !!

En réalité, l’attaque de Sandy générait assez peu de dégâts de feu mais bien plus de dégâts cinétiques. Son raisonnement n’était pas juste, mais ce n’était pas Irina qui allait la contredire. L’attaque avait simplement été suffisamment puissante pour détruire la carapace, c’était tout.

— Zut !! Bon, reste en vie, je me fais les deux autres !

Il ne restait donc que le « Super Dive !! ».

Elle se prépara à remonter dans les airs mais elle s’arrêta net : elle sentit son corps terriblement fatiguée et elle fut prise de vertiges. Ce n’était pas la première fois qu’elle enchaînait cette technique, mais elle avait peut-être trop forcé sur le dernier, où son flux de magie était particulièrement abondant.

Pendant ce temps, la situation d’Irina n’avait pas beaucoup évolué : elle esquivait et se défendait. Les ennemis ne lui laissaient aucun répit, elle n’arrivait à les approcher.

Elle aurait pu se servir de sa magie de métal pour s’en recouvrir, mais cela la rendrait plus lourde et moins agile ; il lui valait mieux poursuivre de la sorte et attendre une erreur de ses adversaires.

Et elle ne tarda pas à arriver.

Parvenant enfin à portée de ses coups, elle préféra changer de mode d’attaque cette fois : elle ouvrit ses mains et frappa en estoc, imitant la pointe d’une épée avec ses doigts. Cette méthode fonctionnait bien contre les protections molles qu’il fallait percer, telles celles des Rampants, mais cette fois ses doigts se heurtèrent à la solide carapace sans produire aucun autre effet que de sa propre douleur.

— Ça ne marche pas non plus ! Vous êtes relous les mecs, vous savez ?

Elle dût rapidement s’éloigner pour éviter les nouvelles attaques qui la prirent pour cible.

Soudain, une vive douleur. Dans la cuisse. Derrière elle, une des attaques lui l’avait plantée.

Finalement, c’était elle et non son ennemi qui avait commis une erreur.

Mais Irina n’était pas le genre à paniquer, par ignorance ou simplicité, elle était le genre de fille à avoir du sang-froid à revendre : sans même prendre le temps de crier, elle frappa de toutes ses forces la patte, puis para les autres attaques qui lui arrivaient dessus. Elle amortit suffisamment les coups pour ne pas subir de blessure mortelle, mais fut projetée quelques mètres plus loin.

Une profonde entaille était apparue sur son torse ainsi que diverses autres blessures sur ses jambes et bras.

Irina reprit sa respiration : ce n’était pas tant la douleur que la fatigue qui l’indisposait. Toutes ces blessures guériraient bien vite, elle le savait.

— Comment y faisaient les chevaliers contre les armures ? pensa-t-elle à cet instant.

Irina n’était certes pas intelligente au sens scolastique du terme, mais elle avait une forte adaptabilité et comprenait très bien son corps. La réponse lui apparut presque instinctivement : des pics de guerre !

Même si les films ne le représentaient pas toujours très bien, les chevaliers qui affrontaient des combattants à l’armure n’utilisaient pas tant leurs épées que des pics de guerre, des haches nobles ou des marteaux. Un tranchant ne servait à rien contre une plaque de métal.

Contre une armure portée par un humain, il demeurait cependant possible d’utiliser la pointe de l’épée ou une dague pour infiltrer les zones non protégées, mais dans le cas de ces araignées, s’agissant d’une armure naturelle, de telles faiblesses n’existaient tout bonnement pas… à l’exception, peut-être, de leurs yeux mais fallait-il parvenir à les approcher autant, avec la menace des mandibules empoisonnées.

Irina calma sa respiration puis fit face aux deux créatures : la situation était critique, elle ne pourrait pas se défendre convenablement et même si elle recouvrait son corps de son armure métallique, elle savait qu’ils étaient assez puissant pour la percer.

Tant qu’elle ne trouverait pas le moyen de les blesser, la balle serait dans leur camp. Elle venait de trouver la solution : il lui fallait un objet perforant et solide pour qu’elle pût utiliser tout sa force. Une rapière comme celle de Vivienne ne ferait pas l’affaire, même si elle était perforante. C’était réellement un pic de guerre qu’elle visualisait dan son esprit.

Mais où arriverait-elle à en trouver un ? Et aurait-il la résistance pour permettre à quelqu’un avec une force surhumaine comme Irina de l’utiliser ?

Malgré la fatigue et les vertiges, Sandy venait de réutiliser son « Super Dive !! ».

Pour éviter que son ennemi ne l’esquivât, cette fois, elle l’avait d’abord bloqué dans une zone de forte gravité. Certes, pour ses ressources physique, cette double utilisation de pouvoir n’était pas idéale, mais grâce à ce stratagème, elle était parvenue à tuer un nouvel adversaire.

— Han… Han…

Au centre du cratère, accroupie, une main sur son cœur et l’autre au sol elle respirait lourdement ; son visage dégoulinait de transpiration. Du sang tomba au sol : le sien, parfaitement rouge, il ne provenait pas de son épaule, comme on aurait pu le penser, mais de son crâne.

Lorsqu’elle porta la main à son front, elle constata que son arcade était ouverte. Ses bras et ses jambes portaient diverses blessures également. Sous l’effet de l’adrénaline — qui était encore plus abondante dans le corps des mahou senjo, selon les scientifiques qui avaient menés des études— elle n’avait pas remarqué son état.

Outre sa consommation magique, lorsqu’elle employait le « Super Dive », son corps était soumis à cette accélération insensée, ainsi qu’à de très violents chocs. Sans parler des brûlures provoquées par le frottement dans l’atmosphère. Ce n’était pas une technique à prendre à la légère.

Elle en avait trop fait. Avant d’être parvenu à l’idée qui avait eu raison de la seconde Araignée de Leng, elle avait utilisé près de six fois d’affilé la même technique. C’était donc la septième.

Elle était à bout, mais malheureusement il restait encore des ennemis. Elle devait venir au secours d’Irina, elle n’avait de capacité à s’enflammer, elle ne pouvait vaincre ces araignées monstrueuses.

Sandy fit appel à toute sa volonté pour se relever : elle ne sentait plus ses membres.

— Aaahhh ! Sandy… va se faire le dernier… Après… Sandy vient t’aider… Irina…

Le bon sens lui aurait dicté d’arrêter le combat : son corps ne tiendrait pas. Mais, elle ne pouvait pas se permettre de perdre à nouveau une amie.

Les images de son gang disparu lui traversèrent l’esprit : elle revoyait leurs blessures, leurs cadavres, entendait leurs cris.

Sandy se mordit la lèvre, plus de sang encore s’écoula de ce pauvre corps à bout. Elle sauverait Irina : coûte que coûte !

Elle avança de quelques pas et observa l’araignée qui se remettait du choc du septième « Super Dive ». L’onde de choc l’avait sonnée.

Sandy inspira et…

« Super Di… »

Mais, à cet instant, la voix d’Irina vint l’interrompre.

— Sandyyyy !!! Laisse tomber ! J’ai trouvé la solution !!

Irina accourut, malgré ses blessures, et se positionna devant le dernier adversaire de Sandy.

Quelques instants précédemment.

Irina avait jeté un coup d’œil du côté de son amie et avait assisté au funeste état dans lequel elle s’était mise. Malgré sa légèreté habituelle, elle avait ressenti une douleur au cœur. Son regard était devenu sérieux et inquiet. Elle avait plissé les yeux et avait fixé ses deux ennemis.

Elle devait s’en défaire rapidement, faute de quoi elles y passeraient toutes les deux, avait-elle pensé.

Elle avait beau avoir trouvé la solution, elle n’avait pas les moyens de l’appliquer.

Irina arqua ses bras de manière à imiter la forme d’un pic de guerre, mais elle était consciente qu’elle risquait surtout de se briser les coudes en frappant de la sorte. Le succès n’était vraiment pas garanti.

Lorsque les araignées passèrent à l’attaque, elle s’élança vers elles, esquivant malgré la blessure à sa cuisse, les attaque. Elle arriva sous le torse d’une d’elle, à portée de coups.

Sans réfléchir…

— Deviens une pique ! Aaaaaaaaaaaaahhhhhh !!!

Même si elle savait que c’était inutile, elle frappa de toute ses forces.

*Crac*

Un liquide visqueux vert-blanchâtre s’écoula sur son visage à cet instant. Ses yeux s’écarquillèrent, puis ses lèvres formèrent un sourire enfantin.

— Hihihi ! J’ai réussi !

Elle ne comprenait pas bien ce qui s’était passé, et elle n’en avait pas besoin en fait, mais son avant-bras s’était transformé en une énorme pointe de métal, bien plus imposant même que la pic de guerre qu’elle avait désiré.

Avec une certaine difficulté malgré tout, elle s’était enfoncée dans le torse de la créature.

Comme si la capacité lui était devenue naturelle à présent, elle transforma également son autre bras. Le métal de son gantelet se liquéfia et prit cette nouvelle apparence.

L’Araignée de Leng fut suffisamment surprise pour n’avoir pas le temps de réagir au moment où le second pic vient lui percer la poitrine encore plus profondément que le premier.

Si la carapace de ces monstres était incroyablement solide, l’intérieur l’était bien moins. Bien sûr, elles étaient bien plus résistante qu’un humain, mais comparativement à d’autres Anciens…

L’Araignée poussa un cri de douleur funeste, emplissant d’effroi les Goules non loin. Mais, elle n’était pas encore morte. C’est pourquoi Irina, utilisa ses bras-pics comme pivot pour se propulser dans les airs et planta cette fois la tête du monstre pour mettre définitivement fin à son existence.

Elle se dirigea aussitôt vers le second ; elle n’avait pas de temps à perdre, elle avait bien compris que Sandy s’apprêtait à attaquer et que son corps ne le supporterait pas. Elle se débarrassa rapidement des pattes avant qui cherchaient à l’empaler, puis bondit en direction de la tête, mais manqua de se faire mordre par les mandibules : elle bloqua en croisant ses bas et retomba au sol.

L’Araignée de Leng chercha à utiliser deux autres pattes, mais le résultat ne fut pas très différent : Irina était plus rapide et au moins aussi forte. Avec quatre pattes en moins, l’araignée perdit l’équilibre : Irina profita de cette occasion pour percer d’abord l’abdomen, puis le dos.

Elle ne prit pas le temps de confirmer le décès de son ennemi qu’elle courut rejoindre Sandy…

Suite aux paroles de son amie, Sandy s’arrêta net dans les airs et l’observa. Irina n’était pas en bon état non plus, mais il était difficile de bien le remarquer : elle était couverte de sang d’araignée géante. Sandy fut surprise par les bras-pics mais elles étaient des mahou senjo, découvrir un nouveau pouvoir en combat n’était pas si rare non plus.

Les cadavres des deux araignées plus loin confirmaient l’assertion d’Irina : elle avait trouvé une méthode.

— Irina ! Approche-toi ! Sandy a une bonne idée : nous allons en finir rapidement.

— OK, je m’en charge !

Sandy se posa au sol, Irina se plaça devant elle. Leur adversaire venait de reprendre ses esprits et était prêt à se battre.

— Faut que j’fasse quoi ?

— Juste des trous.

— C’est tout ?

— Ouais… Hihi !

Irina ne posa pas plus de questions, elle chargea sa cible. Sandy l’aida en augmentant la gravité temporairement sur l’araignée pour ralentir ses coups.

Avec difficulté, Irina parvint à enfoncer ses bras dans la poitrine de l’araignée avant de devoir se retirer pour esquiver les mandibules. Sans toucher la tête, c’était difficile de toucher un point vital avec la longueur de ses armes. C’est pourquoi…

— Si t’arrives pas à toucher leurs organes, la solution est qu’ils viennent à toi…

— Hein ?

Sur ces mots, Sandy leva sa main droite ensanglantée en l’air.

« Gravity up version spéciale ! »

La zone de gravité cloua immédiatement l’araignée au sol. Mais Sandy rapetissa la zone et augmenta sa puissance. Rapidement, par les trous causés par Irina commença à jaillir tel un torrent la chair et le sang du monstre.

Irina grimaça, c’était un spectacle immonde, mais il ne fallut pas longtemps avant qu’il ne s’arrêta.

— Yeah !! On a gagné !!

Les deux filles topèrent cinq et sautèrent de joie, tandis que les Goules horrifiées s’enfuirent à toutes jambes.

Néanmoins, elles étaient loin de se douter que les deux mahou senjo étaient à bout : elles tombèrent au sol, dos à dos, et reprirent leurs forces.

— C’était crade.

— Ouais… Sandy n’est pas très fière.

Elles se mirent à rire ensemble et attendirent que leurs forces revinrent à elles.

Quelques minutes plus tard, elles avaient au moins suffisamment de forces pour se diriger vers les chariots où se trouvaient les corps endormis des victimes d’Hesperia. Elles les tirèrent sans difficultés vers la brèche dimensionnelle et la franchirent.

Une fois de l’autre côté…

— Et maintenant, on fait quoi ? demanda Irina.

— Faudrait fermer la brèche, non ? Mais tu sais comme ça marche ?

— Pas la moindre idée.

Elles se fixèrent puis levèrent toutes les deux leurs épaules en même temps : la théorie magique n’était pas leur fort.

— J’sais pas ce que c’est, mais y a un machin là-bas qui sent la magie…

Elles découvrirent derrière le portail, quelques mètres plus loin, un étrange engin métallique : une vierge de fer. Tout autour, des cercles magiques complexes mais également des cadavres de cultistes, morts depuis quelques heures.

Levant une nouvelle fois leurs épaules, elles armèrent leurs poings en les ramenant en arrière et les abattirent en même temps sur la vierge de fer.

Cette dernière ne pouvait supporter la force surhumaine des deux guerrières, elle se brisa en mille morceaux et libéra le cadavre humain qui se trouvait à l’intérieur.

Immédiatement, la brèche se referma.

À bout de force, les deux filles se couchèrent au sol et reprirent leurs formes normales tout en riant aux éclats.

***

La main de Jessica se posa sur la poignée de la porte de cette immense villa, dernier bastion des forces ennemies. Cassidy, celle qui avait tout manigancé, qui avait tiré dans l’ombre toutes les ficelles de l’affaire, était censée s’y trouver.

Son objectif : faire renaître la secte Hellios et remplit le monde de mahou senjo capables de s’opposer aux Anciens, en éveillant sans distinction toutes les filles capables de le devenir.

Au moment où ses doigts gantés allaient ouvrir, une soudaine douleur vint frapper Jessica dans le flanc ; autour de Gloria apparut un voile de sable.

Jessica ignora la douleur et se retourna aussitôt, son Executor apparut dans sa main ; une silhouette qu’elle connaissait fort bien : Kiara Whitestone. Elle était une des orphelines éveillées qui travaillait dans la corporation MagiBioTec, elle avait reçu le nom de famille de Jessica pour qu’elle devînt une réelle fille de la corporation, gagnant la protection sociale et les avantages de celle-ci. Seules les orphelines éveillées gagnaient le privilège de devenir « les filles de la patronne », comme on disait.

Elle était sous sa forme de combat, mais au lieu de brandir son habituel arc, elle empoignée une dague dégoulinant du sang de Jessica ; un sourire partant d’une oreille à l’autre ornait son visage ; elle pointait un pistolet semi-automatique en direction de sa tête.

* Bam Bam Bam*

Sans hésiter, elle fit feu à bout portant, mais la barrière réactive de Jessica bloqua l’attaque. Les balles enchantées s’écrasèrent dessus ou ricochèrent sans effet, elles n’avaient pas assez de puissance pour la briser.

* Bam Bam Bam*

Immédiatement, Jessica riposta en tirant une rafale de trois balles sur Kiara. Cette dernière se jeta en arrière et se protégea à son tour à l’aide d’une barrière défensive.

— C’est comme ça qu’on accueille ses employées ? Hihihi !

Ce rire, cette expression faciale, Jessica n’avait jamais été plus sûre qu’à cet instant qu’il s’agissait d’une vulgaire copie.

— Tssss ! Arrête tes blagues stupides, Cassidy !!! hurla-t-elle avec colère.

Jessica fit apparaître dans son autre main une arme plus puissante : un Predatoris, un revolver.

À peine le pied de la fausse Kiara toucha le sol qu’elle bondit en tirant. Jessica répliqua de même avec ses deux armes, elle fit attention à ne pas toucher par inadvertance Gloria, son bouclier automatique ne fonctionnait qu’à quelques dizaines de mètres autour d’elle. Il était parfait contre les assassins au corps-à-corps, mais au-delà Gloria devait se concentrer comme n’importe quelle autre mahou senjo.

Pendant que Jessica poursuivait son duel de pistolero, un ballet de la mort, Gloria faisait face à son adversaire. La tentative d’assassinat à son encontre avait certes échouée, mais l’hostilité ennemie n’avait pas disparue pour autant.

La mahou senjo qui venait de l’attaquer bondit à son tour en arrière et tira avec son pistolet avec aussi peu de succès qu’auparavant.

Gloria fit apparaître quatre tentacules autour d’elle et contre-attaqua. La silhouette, difficile à identifier dans l’obscurité, se défendit en tranchant l’un d’eux, bloquant de son bouclier magique un autre et esquivant les deux derniers. Elle était agile et rapide, en un instant elle prit de la distance avec Gloria.

Cette dernière réalisait rapidement que le but de cette assassin était autant de la tuer que de la séparer de Jessica. D’autres personnes étaient cachées dans les environs, elle ne pouvait les voir avec ses yeux, mais, dans cette ville proche du désert constamment balayée par le sable, Gloria parvenait à ressentir leurs présences dans les environs.

Sur un tel terrain de prédilection, Gloria ne pensait pas pouvoir perdre : ses pouvoirs étaient bien plus puissants que la normale, son bouclier de sable agissait automatiquement non pas sur une distance d’une dizaine de mètres mais sur une distance de près de cent mètres. Ses perceptions étaient bien plus vastes également et elle pouvait contrôler plus de tentacules en même temps.

Lorsque l’assaillante passa sous la lumière d’un réverbère, Gloria reconnut de qui il s’agissait : Evangeline Luna, la seconde mahou senjo de la corporation de Jessica. Contrairement à Kiara, elle n’était pas orpheline de naissance, c’est pourquoi elle avait un nom de famille propre.

Sous sa forme de combat, c’était une fille aux oreilles de chat dépassant de ses cheveux noirs coupées au carré. Ses yeux verts n’étaient pas sans rappeler les félins également. Elle portait un léger rouge à lèvres rose qui apportait un côté glamour à son apparence. Quant à ses vêtements, elle revêtait une tenue noire plutôt légère et sexy, dévoilant ses jambes et son fessier rebondi où une queue de chat s’agitait.

Gloria la connaissait, non pas parce qu’elle avait échangé avec elle, mais simplement parce qu’elle avait fait des recherches à son propos. Tous ceux qui gravitaient autour de Jessica avaient eu droit à son attention, de toute façon. À l’occasion, elle avait déjà travaillé avec Evangeline et elle savait fort bien que ce style de combat n’était pas le sien. La véritable Evangeline était spécialisée dans les décharges de plasma.

Gloria poursuivit l’assassin, sachant pertinemment qu’elle se jetait dans le piège qui lui avait été préparé et sachant qu’elle s’éloigner de Jessica. Mais elle avait une foi absolue en cette dernière, même sans Gloria elle triompherait. Au contraire, sa présence la gênait sûrement dans ses tirs.

À peine furent-elles suffisamment éloignées que trois autres filles à l’apparence d’Evangeline sortirent des ombres et tentèrent à leur tour de s’en prendre à Gloria en la plantant avec leurs dagues.

Une fois de plus, la protection de Gloria s’érigea d’elle-même, repoussant les attaques.

— Un piège ridicule…, marmonna Gloria avant d’attaquer.

Cette fois, elle fit apparaître seize tentacules qu’elle partagea entre ses assaillantes.

Une d’entre elle, malgré ses tentatives de résistance, fut saisie par deux tentacules qui immobilisèrent ses bras et jambes. Les deux autres, au prix de quelques entailles et contusions parvinrent à prendre de la distance avec leur ennemie.

La première Evangeline, pour sa part, restait à distance, jugeant le corps-à-corps probablement risqué. C’est pourquoi, elle tira de sa poche un second pistolet avec lequel elle tira sur Gloria, en vain. Elle s’arrêta un instant et fit face au monstre au corps sablonneux.

— Tu es une adversaire bien coriace, déclara-t-elle avec une expression contrariée.

L’Evangeline prisonnière tentait de se débattre mais n’arrivait pas à se défaire de cette constriction.

— Tu es vraiment pathétique, Cassidy, dit Gloria d’une voix aussi froide qu’accusatrice.

— C’est ce que tu penses ? D’après mes recherches tu l’es tout autant, sinon plus encore… Hoho !

Gloria ne répondit pas, son expression était impossible à être discernée sous cette forme.

— Toutefois, j’admets que j’aurais dû mieux me renseigner sur tes pouvoirs : tu es plus forte que ce que les dossiers t’attribuent.

— Je me fiche de tes compliments. Tu as blessé Jessica et pour cette raison je n’aurais aucune pitié envers toi. Je ne m’arrêterais pas avant de t’avoir mise en pièce.

— Oh lààà ! Quelle magical wargirl effrayante ! Hahahaha !

Evangeline (Cassidy) se mit à rire de manière moqueuse, tandis que les autres copies restaient prêtes à agir.

— Mais, tu sais, tu as beau te la jouer comme ça, je connais bien ta faiblesse… Fufufu !

Sur ces mots, les copies tournèrent leurs pistolets sur Jessica qui se battait à distance.

Pendant ce temps, Kiara avait également tiré un second pistolet semi-automatique et continuait d’échanger des tirs avec Jessica. L’intention de la séparer de Gloria, Jessica l’avait bien comprise. Même si c’était un stratagème de l’ennemi, elle avait le champ libre pour agir.

Une balle d’Executor, propulsée par un explosion sonique accélérant sa vitesse, parvint à mettre en détruire la barrière réactive de son ennemie.

— Maintenant ! pensa-t-elle en faisant feu avec son Predatoris.

Au lieu de charger la munition de sa magie ondulatoire, elle l’utilisa pour accroître son accélération à la sortie de la gueule de l’arme. Kiara ne parvint pas à l’esquiver, elle fut bien trop rapide ; la munition perfora son épaule et la projeta au sol où elle roula sur quelques mètres.

Le sang avait giclé un peu partout, Kiara avait lâché ses armes.

— Rends-toi ! Et arrête de prendre cette apparence insultante ! Je sais très bien qui tu es : Cassidy !

L’expression de Jessica témoignait toute sa colère. Elle s’était retenue jusque-là, mais elle s’était sentie insultée par ce subterfuge maladroit. Elle voulait des réponses, elle avait besoin d’interroger Cassidy, celle qui l’avait trahie.

Si elle avait voulu la tuer, charger la balle de sa magie ondulatoire aurait réglé le problème : un trou béant aurait détruit la majeure partie de son torse.

Jessica s’avança et pointa ses deux armes sur Cassidy, ses yeux étaient durs et ne reflétaient que la déception et la colère. Mais, contre toute-attente, le corps de Kiara se liquéfia jusqu’à devenir une flaque noire semblable à du goudron.

— C’est quoi ça ? ne put-elle s’empêcher de grommeler.

Autour d’elle s’extirpèrent des ombres trois filles ; elles l’attaquèrent aussitôt.

Elles partageaient toutes les trois la même apparence : celle de la véritable Cassidy sous une forme que Jessica ne lui connaissait pas, son mode de combat. Ses cheveux bouclés châtains étaient devenus noirs et étaient attachés en une queue de cheval. Sa combinaison moulante, ses gants et ses cuissardes en latex lui donnant un style de dominatrice SM. Par contre, son visage avait la même forme que d’habitude et ses yeux étaient les mêmes. Il n’y avait pas de doutes, c’était bien Cassidy.

Les pistolets étaient braqués sur Jessica. Une aura menaçante exulta de Gloria qui trouvait cette prise d’otage de fort mauvais goût. Sa chef n’avait sûrement pas conscience d’être utilisée dans cette tentative d’intimidation.

Au lieu de donner crédit à Cassidy et ses menaces, Gloria fit apparaître une trentaine de tentacules devant ses ennemies, créant une sorte de mur les empêchant de faire feu.

Cinq tentacules attrapèrent la première Evangeline. Rapidement la situation devint chaotique. Son manque d’hésitation et de coopération avait en quelque sorte couper l’herbe sous le pied de l’ennemi ; d’autant qu’il ne s’attendait pas à ce qu’elle parvînt à contrôler autant de tentacules en même temps.

Malgré leur résistance, les deux autres Evangeline furent capturées ; il y avait trop de tentacules, se protéger contre tous s’avéra trop ardu. Gloria n’en contrôlait normalement que seize, mais dans ces conditions exceptionnellement favorables elle pouvait aisément arriver à cinquante sur une distance de quelques kilomètres. Il n’était pas exagéré de la voir comme un « esprit du désert », tant ce terrain l’avantageait.

Au moment où elle pensait avoir capturer tous ses ennemies, une présence surgit derrière elle. Elle réagit à peine, elle se retourna et découvrit une femme à la chevelure noire et aux vêtements de dominatrice SM.

Le sang s’écoula dans le sable. Plusieurs coups de feu. Gloria venait de se faire blesser : son sable ne l’avait pas protégée ?

Elle ne comprenait pas, mais fit aussitôt apparaître deux tentacules pour attaquer l’inconnue qui esquiva avec une agilité encore supérieure de ses précédentes adversaires.

— Foutu monstre…, grommela Cassidy en faisant apparaître une dague dans sa main vide.

En effet, elle avait abandonné son arme au moment où elle avait réussi à la planter dans le corps de Gloria. Un seul de ses tirs avaient causé des dégâts, la barrière de sable s’était interposée pour arrêter les autres.

Gloria avait une dague dans le dos et une blessure par balle au ventre. En soi, c’était déjà extraordinaire d’avoir réussi à la blesser dans ces circonstances, mais Cassidy n’était pas satisfaite pour autant.

Gloria ne comprenait pas vraiment ce qui s’était passé. D’une certaine manière, son bouclier de sable n’avait pas détecté la présence de Cassidy. C’était la première fois que cela lui arrivait.

Même si sa protection était efficace, elle n’était pas absolue, bien sûr. Ainsi, des attaques particulièrement puissantes comme les obus du Desintegrator de Jessica, pouvaient le transpercer malgré tout. Néanmoins, c’était la première fois qu’elle ne s’activait pas à l’approche d’une attaque.

Gloria porta sa main à son ventre, la blessure était grave, son foie ou ses reins, elle ne savait pas trop, avait été endommagé. L’adversaire n’avait visé de toute manière que des points critiques. Elle avait évité de justesse de se faire percer le cœur par la dague.

Une personne normale se serait écroulée, mais Gloria sera les dents et fit entrer du sable dans ses plaies pour les « colmater », évitant ainsi l’hémorragie. Évidemment, ce genre de soin de fortune ne pouvait fonctionner que sur elle.

— Comment as-tu fait, chienne ? demanda-t-elle en colère.

— Ça t’intrigue, pas vrai ? Mais ne me crois pas stupide au point de te révéler mon secret.

— Tu es l’originale, je suppose.

— Qui sait ? répondit Cassidy avec provocation.

Les deux combattantes se firent face l’une l’autre un bref instant, essayant de se jauger. Les fausses Evangeline n’arrivaient pas à se tirer de l’étreinte des tentacules et continuaient de s’agiter.

— Tu sais quelle est la plus grande de vos faiblesses à vous autres magical wargirls ? Vous pensez que toutes celles qui ont des pouvoirs sont vos alliées et vous ne vous méfiez pas d’elles. C’était tellement facile de tromper cette pauvre Jessica. Elle m’a accordé une confiance totale en si peu de temps. Travailler avec des orphelines lui a ramolli ses capacités de déductions.

— N’in… N’insulte pas Jessica, salope !!

— Sinon quoi ? Pauvre enfant rejetée… Tu vas me tuer parce que j’ai trahi ta petite maman ? Oh là là, j’ai si peur ! Hahaha !

Non seulement Cassidy mais les prisonnières aussi se mirent à rire.

Gloria connaissait bien ces rires moqueurs disgracieux, pleins de malignité ; ils lui donnaient envie de vomir. Ils ravivaient des souvenirs anciens en elle, toutes les fois où elle avait observé les tréfonds du cœur humain, cet être imparfait, égoïste, prompt à rejeter ce qu’il ne comprend pas.

Les pires étaient ceux qui endossaient le masque de la beauté et de la vertu, en général ce qui se trouvait derrière était un nid à cloportes, une charogne en putréfaction.

Gloria détestait plus que tout cette hypocrisie. Les humains étaient en réalité laids, ignobles et sournois, des créatures mille fois inférieurs à des insectes. Et comme ces derniers, elle n’éprouvait aucune compassion envers eux, aucun remords à les écraser.

Les seules exceptions étaient Jessica et ses collègues qu’elle considérait comme des sœurs d’âme. Voire même Shizuka qu’elle affectionnait sans réelles raisons.

— L’humanité peut bien crever la gueule ouverte, je m’en fiche éperdument… Et les sales pouffiasses de ton genre méritent mille fois la mort…, pensa-t-elle en observant Cassidy se gausser.

Tandis que les rires perçaient ses tympans, sa haine refit surface. Elle oublia un instant les sentiments mitigés qu’avait semé Jessica et dit :

— Typiquement humain… Se moquer en affichant une expression de primate si laide qu’elle donne envie de vomir jusqu’à sa bile. Même si Jessica te pardonnerait, je ne le ferais pas. Je te vais te trucider comme la truie que tu es et je danserais sur ton cadavre avant de le jeter en pâture aux vautours.

Cassidy cessa de rire. Avait-elle été intimidée ?

En tout cas, elle sentait bien que cette fille avait quelque chose de réellement différent des autres, elle ne pouvait juger ses sentiments sur son visage mais le ton de sa voix ne laissait pas de place au doute.

— Elle est folle cette fille…, se dit-elle à cet instant.

Gloria se montrait rarement aussi loquace, c’était une colère profondément enfouie qui agitait ses lèvres.

— Crèveeeeeeeeeee !!!! hurla-t-elle de toutes ses forces, avec tout sa rancœur.

Les tentacules qui emprisonnaient les quatre Evangeline cessèrent de simplement les retenir, ils serrèrent au point de les broyer comme des fétus de pailles. Une pluie de sang se mit à tomber que les cadavres s’écroulèrent.

Rétractant ses tentacules, elle les fit jaillirent tout autour de Cassidy… tous les cinquante.

Des sueurs froides parcoururent l’échine de cette dernière : Gloria était sérieuse et ce n’était pas le genre d’affrontement dans lequel Cassidy excellait. Normalement, c’était elle qui affrontait l’ennemie en surnombre grâce à sa magie lui permettant de créer des clones…

Jessica tira sans hésitation cette fois : elle avait compris que ces filles qui surgissaient des ombres n’étaient que des clones. Elle ne connaissait pas tous les pouvoirs existants même Elin ne pouvait le prétendre, mais la flaque de goudron qu’elle avait disparaître sous ses yeux lui permit de deviner la nature du pouvoir de Cassidy : les ombres.

Si on tenait ce postulat pour vrai, tout devenait plus clair. L’ombre était réputé être un pouvoir de discrétion. Grâce à lui, il était sûrement possible de tromper les détections, même magique, et de se faire passer pour humaine.

De même, si elle était capable de créer des clones d’ombres, elle avait facilement pu simuler sa mort. C’était un pouvoir redoutable, orienté sur l’assassinat, il était en réalité bien plus efficace sur les mahou senjo que pour Anciens. On parlait peu au grand public de ce genre de pouvoirs, mais certaines mahou senjo semblaient n’être pas faites pour la guerre, mais pour éliminer leurs propres rangs.

Jessica fit disparaître son Executor et le remplace par Dominator, un pistolet-mitrailleur de calibre 5.56 avec lequel elle arrosa une des filles. De son autre main, armée d’un Predatoris, elle fit feu sur une autre.

Elle avait prévu que la troisième l’attaquât dans le dos, elle ne pouvait malheureusement pas tenir à distance les trois en même temps, elle bloqua de fait la dague à l’aide de sa barrière réactive, puis essaya de contre-attaquer son adversaire. Mais avant de pouvoir presser la détente de ses armes, pointées sur le troisième clone, un coup de pied percuta sa blessure ouverte et l’envoya rouler au sol.

Jessica se rattrapa immédiatement, elle lâcha son Dominator et, accroupie, elle tira sur celle qui venait de l’attaquer. Cette fois, elle ne se retint pas, elle accéléra la vitesse de propulsion de sa munition qu’elle chargea simultanément de sa magie ondulatoire.

La puissante munition de revolver perfora la barrière adverse, atteignit le clone en plein torse et la fit exploser de l’intérieur dans une gerbe de sang qui donna la nausée à Jessica.

— Pourquoi elles ont l’air si réelles, bordel ? grommela-t-elle avec une expression de dégoût.

Les deux clones attaquèrent sans lui accorder de répit. Jessica décida de les esquiver en s’envolant dans les airs ; manifestement, elles ne volaient pas, ce qui lui donnait l’avantage.

Si Cassidy et ses clones ne pouvaient voler, elles purent malgré tout faire feu avec leurs pistolets. Jessica esquiva et bloqua les tirs autant que possible, elle fut légèrement touchée au moment où sa barrière se brisa.

En raison de la réduction de sa réserve magique, provoquée par la décrépitude des pouvoirs, la blessure dans le flanc de Jessica continuait de saigner ; elle ne guérirait sûrement pas aussi vite qu’autrefois et elle devenait gênante en plein combat. D’autant que Jessica était contrainte d’utiliser beaucoup de mana pour l’attaque…

Elle devait régler l’issue du combat avant de s’effondrer d’hémmoragie.

— Si seulement je n’avais pas ce corps vieillissant !

Elle fit disparaître son Predatoris et décida d’en finir pour de bon.

Au sol, sous ses pieds, elle vit d’autres clones apparaître et dégainer des pistolets pour rajouter des tirs à ceux en cours. Cassidy voulait jouer la carte du surnombre.

« Hellfaust ! »

Dans les mains de Jessica apparut son atout contre le surnombre : un mini-gun massif.

Lorsqu’elle ouvrit le feu, on entendit plus que le vrombissement du moteur de son arme et l’impact des munitions. C’était une pluie de balles qui s’abattit sur les clones, toutes accélérées par la magie ondulatoire de Jessica.

Quelques dizaines de secondes suffirent pour réduire le nombre de clones à zéro. Jessica attendit un peu, mais plus personne n’apparut.

Cassidy était-elle épuisée ? Y avait-il un nombre limité de clones qu’elle pouvait créer ?

Il y avait forcément des limites, mais Jessica ne les déterminait pas encore. Peut-être qu’un petit génie comme Elin aurait réussi, mais ses pensées étaient trop pleine d’émotions pour y parvenir.

Jessica fit disparaître son arme et s’équipa d’un Annihilator, un fusil à pompe. Elle atterrit en observant la zone de combat.

À distance, un nuage d’une fumée noire comme la poix venait d’apparaître : c’était là où combattait Gloria.

Elle grinça des dents.

— J’espère que tout va bien pour elle…

Quelques secondes auparavant.

Cassidy entourée de cinquante tentacules lâcha son pistolet et le remplace par une seconde dague. Elle défendit chèrement sa peau, elle trancha, para et esquiva coup sur coup, utilisant parfois sa barrière réactive lorsqu’elle était dépassée.

Pendant quelques minutes, elle se défendait du mieux qu’elle pouvait. Mais Gloria remplaçait les tentacules tombées. À ce rythme, elle s’épuiserait et perdrait.

En réalité, Gloria ne combattait pas la vraie Cassidy, il s’agissait de son ombre. Grâce aux pouvoirs d’Inversombre, nom qu’elle avait donné à ses pouvoirs, Cassidy pouvait échanger sa place avec son ombre, dont la capacité offensive au corps-à-corps était bien supérieure à la sienne.

De plus, en raison de sa nature, cette dernière ne dégageait aucune aura de menace, elle existait sans réellement exister. C’est par cet habile subterfuge qu’elle avait trompé le bouclier de sable de Gloria. Elle ne manifestait également aucune présence surnaturelle, ce qui avait permis de tromper les examens médicaux.

Gloria avait vu juste, la cicatrice au ventre qu’elle s’était elle-même infligée cette funeste nuit où elle avait faillie être parasitée par une créature du Mythe, ne se trouvait pas non plus sur son ombre. Ce seul détail aurait pu la trahir, mais Jessica n’avait jamais fouillé aussi précisément dans son passé.

Cassidy pouvait intervertir sa place avec son ombre aussi longtemps qu’elle le voulait, elles partageaient leurs pensées et leurs sens. Son ombre était elle et elle était son ombre, une fusion totale et parfaite.

Avec ses capacités normale, Gloria l’aurait déjà écrasée. Elle était une assassin et non une guerrière, pour triompher elle devait surprendre ses adversaires.

Elle n’avait pas joué toutes ses cartes cependant : si elle parvenait à atteindre une zone d’ombre capable d’entièrement l’accueillir, elle pourrait aisément se téléporter dans le dos de Gloria et lui planter ses deux dagues dans la gorge à présent qu’elle avait confirmé le moyen de tromper sa gênante protection.

Le problème actuel était qu’elle ne parvenait pas à se déplacer au sein de cette myriade d’attaques incessantes. À peine s’éloignait-elle un peu qu’elle se heurtait à un tentacule. En pleine nuit, il y avait des ombres partout, mais le combat se tenait près du manoir dans un espace éclairé par les réverbères.

Finalement, elle changea de stratégie : si elle ne pouvait atteindre les ombres, elle devrait les attirer à elle. De son corps se dégagea une épaisse fumée noire large de quelques dizaines de mètres.

Si elle ne tromperait pas la perception de Gloria, elle pourrait au moins se téléporter.

Elle s’enfonça dans les ombres du sol et réapparut derrière Gloria. Cette fois, une dague s’enfonça dans la gorge de cette dernière, tandis que la seconde dans son torse. La barrière de sable ne s’était pas activée.

— Tu m’as bien combattue, mais c’est la fin ! Hahaha !

Cassidy s’esclaffa d’un rire sadique tout en retirant ses dagues et en les plantant encore et encore dans le cadavre de celle qui avait menacé son existence. Elle était en transe, prise d’une joie sans nom.

Les tentacules se désagrégèrent.

La mort de Gloria avait été brève, elle n’avait sûrement pas eu le temps de souffrir.

Reprenant ses esprits, Cassidy dit :

— Voyons, voyons… Jessica est à bout, il me semble. Le poids de l’âge que voulez-vous ? Abrégeons ses souffrances, vieille carne. Kukuku ! Il est temps de mettre un terme à la légende de Calamity Jess. Hihihi !

Sur ces mots, Cassidy entra à nouveau dans le sol et réapparut derrière Jessica, un large sourire sur son visage, silencieuse telle l’ombre qu’elle était. Les deux dagues reflétèrent la lumière environnante et
se dirigèrent vers le torse de la vétérane prise par surprise.

Mais, avant de l’atteindre…

À quelques centimètres à peine, les mains de Cassidy s’arrêtèrent. Deux mains venaient de la saisir aux poignets : c’était Gloria.

— Mais je t’ai tuée ! Foutu monstre !!

— Pour une assassin, ne pas remarquer que le corps n’avait pas de sang… Pitoyable truie…

Pendant l’attaque des tentacules, Gloria avait transformé son corps en sable. Elle avait deviné les intentions de son ennemie. Tout le reste n’avait été qu’une mise en scène.

Cassidy grimaça tandis que Jessica se retourna et, pensant qu’il s’agissait encore d’un clone, posa son fusil à pompe sous le menton de son ennemi en disant :

— C’est fini pour toi !

Elle pressa la détente et fit littéralement exploser la tête de l’ombre de Cassidy, recouvrant d’un sang noir comme de l’encre Gloria.

Les autres clones saignaient avant de disparaître, c’était la première qui avait ce sang noir, se rendit compte Jessica. Elle n’eut pas le temps d’analyser plus la situation que la véritable Cassidy fut expulsée d’une ombre voisine.

Elle était sous sa forme de combat, blessée, épuisée et surtout à bout de nerf. Elle avait donné tout ce qu’elle avait mais ses deux ennemies se tenaient encore devant elle.

— J’a… J’abandonne, déclara-t-elle en les observant avec horreur. Pitié, laissez-moi en vie.

Cassidy jeta ses armes et capitula. Les deux mahou senjo l’observèrent un instant, puis Jessica soupira et posa le canon de son fusil à pompe sur sa propre épaule.

— Ça tombe bien que tu te rendes, j’ai un tas de questions à te poser. Mais avant ça, allons retrouver la machine d’Éveil. Je ne sais pas ce qui t’es passé par la tête, mais tu devais savoir plus que quiconque à quel point c’est dangereux.

Jessica s’approcha de Cassidy en faisant disparaître son fusil à pompe et lui tendit la main.

Cassidy, honteuse d’avoir perdu et d’être traitée si gentiment par son ennemie, se souvenant de cette gentillesse avec laquelle Jessica l’avait accueillie pendant des années, détourna le regard et se mordit la lèvre pour dissimuler son sourire.

Elle ne pourrait sûrement jamais être pardonnée, mais elle accepta la main qui lui était tendue. C’était le premier pas vers le pardon.

Cependant, à cet instant, trois projectiles de sable lui transpercèrent la poitrine et aspergèrent de sang Jessica aux yeux écarquillés d’horreur. Cette dernière se précipita sur le corps de son ancienne employée dans l’espoir de la sauver, mais il n’y avait plus rien à faire, son cœur avait été pulvérisé.

C’est en essayant de la sauver qu’elle découvrit dans la main gauche de Cassidy un pistolet prêt à tirer, elle l’avait dissimulé dans l’ombre du sol tandis qu’elle avait tendu la main à Jessica. Jusqu’à la fin, elle avait été animée par la haine et la vengeance, elle n’avait jamais eu l’intention de demander pardon.

Le corps de Cassidy reprit sa forme normale, elle était morte pour de bon cette fois.

Jessica se releva et se tourna vers Gloria. Elle aurait voulu lui crier dessus pour manifester sa colère et son désaccord, mais… elle savait qu’elle avait été sauvée. Elle leva la main pour gifler Gloria qui se préparait à recevoir sa punition, mais à la place elle lui caressa la joue.

Immédiatement, elle l’enlaça fermement et posa sa tête sur l’épaule de Gloria, cachant le tumulte qui agitait son expression. Toute traîtresse qu’elle avait été, Cassidy avait également été son amie.

— Désolée, Gloria. Tu as une chef idiote et créduleÀ cause de moi, tu t’es encore salie les mains.

Ce n’était pas la première fois que Gloria devait tuer une sœur mahou senjo à sa place, Jessica était toujours hésitante à la faire, voire n’y arrivait pas : elle n’avait autre désir que de protéger ses sœurs d’armes et ses amies, pas de les tuer. Tous ces conflits entre elles étaient absurdes au plus haut point.

— Je t’aime comme tu es, Jessica. Si c’est pour toi, je peux bien me salir les mains autant de fois qu’il le faudra.

Elle l’avait également fait pour sauver Shizuka dans la tour à Saitama, elle avait tué Megumi. Gloria n’avait jamais eu de remords à ce propos, elle avait fait ce qu’il fallait, c’était tout.

Toutes deux reprirent leur forme normale et, le plus silencieusement possible, Jessica se mit à pleurer sur l’épaule de sa subalterne. En général, c’était elle qui caressait la tête de Gloria, mais cette fois ce fut l’inverse…

— Désolée, Gloria…, répétait-elle en étouffant ses sanglots.

Mais ces excuses ne lui étaient pas seulement dédiées : Jessica s’excusait envers celle qui ne pourrait plus les recevoir. Si seulement elle avait pu comprendre la situation avant…

Lire la suite – Chapitre 9