Chapitre 9

C’était un dimanche comme un autre, à San Francisco, Jessica était alors âgée de neuf ans.

Elle était sortie avec sa famille, le soleil brillait en cette journée du moi de mai. Un dimanche ordinaire, comme elle en avait vécu tant d’autres et qui viendrait se mélanger dans sa mémoire au point de le rendre indissociable des autres.

C’était du moins ce qu’il aurait dû être…

L’Invasion n’avait pas encore eu lieu, elle ne débuterait que l’année suivante, en 2065, et viendrait changer à jamais l’histoire du monde, rendant ces monotones journées précieuses aux yeux des personnes ayant connu le « monde d’avant ».

Jessica était fille unique. Lorsqu’elle avait demandé avec son innocence d’enfant pour quelle raison elle n’avait pas de petite sœur, on ne lui avait répondu que vaguement comme les adultes avaient l’habitude de le faire lorsqu’ils s’adressaient aux enfants. Elle n’avait pas insisté et était passé à autre chose.

La cellule familiale n’était donc composée que d’elle et de ses parents, Lashay et Wynter ; ils avaient eu leur enfant bien avant la trentaine.

Après être allés manger dans un restaurant de luxe français, à la qualité incroyable tout comme le prix de ses plats —une qualité que le monde ne retrouverait sûrement plus jamais en raison des difficultés liées à l’exportation et à l’agriculture—, la petite famille faisait une promenade à bord d’un petit bateau de plaisance.

Jessica habillée comme une princesse restait sans cesse collées à sa mère bien-aimée. À cette époque, elle n’était qu’une enfant ordinaire, fragile et faible, elle était loin d’être la femme forte qu’elle était devenue par la suite.

Elle ignorait tout de la convoitise que pouvait provoquer sa riche naissance, de même qu’elle n’avait aucune conscience des deux personnes vêtues en noir derrière eux ; ils n’étaient pas de simples passants, mais leurs gardes du corps.

— Maman ! Il est très long ce pont ! Qu’est-ce qu’il est joli !

— Oui, Jessica, c’est le pont du Golden Gate, expliqua tendrement Wynter Whitestone en caressant la tête de sa fille. C’est un grand symbole de la ville qui existe depuis plus de cent ans.

— Cent ans ? s’étonna l’enfant. Les ponts peuvent vivre si longtemps ?

— Hahaha ! Bien sûr, le pont du Golden Gate est solide, c’est un chef d’œuvre de l’architecture américaine dont nous sommes tous très fiers. Il vivra bien plus longtemps que nous tous, tu sais ? Un jour, quand tu seras grande toi aussi tu comprendras ce qu’il représente pour nous autres habitants de San Francisco.

La petite famille passait justement sous le célèbre pont alors que la nuit commençait à tomber. Les éclairages s’allumaient les uns après les autres et emplissaient les rétines de la petite fille de stupeur et d’émerveillement.

Elle était passé nombre de fois sur le pont mais c’était la première fois qu’elle le voyait depuis sa base : elle était fascinée par sa grandeur à laquelle s’ajoutait à présent cette myriade de points scintillants.

Lashay observa sa femme, ils sourirent tous deux et ralentirent la vitesse du bateau pour permettre à leur petite Jessica d’observer pleinement le spectacle.

Pour Wynter qui était native de la ville, sans aucun doute ce pont était une vraie fierté, mais elle était loin de se douter qu’il n’était pas si solidement ancrée dans l’histoire humaine qu’elle le pensait et qu’il n’était pas aussi éternel qu’elle venait de l’expliquer à sa fille. Après l’Invasion relier la pointe nord de San Francisco à Sausalito perdrait de l’intérêt et il ne serait pas reconstruit.

Profitant de leur promenade, la famille s’arrêta visiter une galerie d’art. Jessica était bien trop petite pour pouvoir apprécier les œuvres exposées à leur juste valeur, mais elle se souviendrait à jamais des formes et des couleurs qui entrèrent dans ses rétines ce soir-là.

En rentrant dans leur grande voiture, assise à l’arrière, Jessica finit par s’endormir.

— Oh là là ! Ma pauvre petite Jessica ! déclara Wynter en cachant son sourire derrière sa main. Tu es complètement épuisée.

— Devrions-nous laisser tomber pour le restaurant ? demanda Lashay à sa femme.

— Non, non, gardons le projet initial, lui répondit-elle. Je vais la laisser se reposer jusqu’au restaurant, puis elle ira se coucher après manger.

Ils se turent tous les deux.

Lashay jetait des œillades à l’extérieur, il semblait inquiet. Il n’avait pas beaucoup parler de la journée, en vérité. Jessica était trop jeune pour avoir pu comprendre les inquiétudes qui avait agité l’homme, elle n’avait pensé qu’à s’amuser, la seule tâche qu’on confiait aux enfants de cet âge.

— Tu es inquiet ?

— Oui, je le suis. Tu penses que tout ira bien ?

— Ne t’inquiètes pas, ce ne sera pas définitif. Puis Jessica s’adaptera, tu verras : c’est une enfant pleine de ressources qui deviendra bien plus forte que ses parents.

Wynter prit un air confiant et fier.

— Puisses-tu dire vrai…

— Il faut plus faire confiance à maman, tu sais ? Nous avons un pouvoir spécial pour ce genre de choses !

Elle sourit sincèrement à l’intention de son mari, mais il n’était pas dupe : elle était également inquiète, elle faisait juste semblant pour leur bien-être à tous.

Un sourire amer se dessina sur son visage, puis comme s’il était lui aussi un enfant, il posa sa tête sur l’épaule de son épouse.

— Oh là là ! J’ai l’impression d’avoir deux enfants d’un seul coup ! Remarque, j’ai toujours voulu un petit garçon aussi, expliqua-t-elle d’un air un peu moqueur.

— Il n’y a pas de place pour un petit garçon, puisque tu en as déjà un grand…, rétorqua sans s’offenser Lashay tout en fermant les yeux pour se détendre, tandis que de ses mains il caressa les deux femmes de sa vie.

— Quel enfant gâté et jaloux ai-je donc élevé ? Hahaha !

Wynter se laissa caresser le visage tout en riant joyeusement. Elle n’avait pas besoin de toute leur richesse, tout ce dont elle avait réellement besoin c’était cet homme et cette petite fille, le reste n’avait qu’une moindre importance.

Malgré leur impressionnante richesse, le couple avait eu à cœur d’enseigner de vraies valeurs à leur enfant. Quand bien même le pouvaient-ils, ils ne cédaient pas à ses caprices ; ils voulaient qu’elle héritât avec sagesse et responsabilité.

C’était avec cette ambiance doucereuse que la voiture s’arrêta devant un restaurant italien : il s’agissait bien sûr d’un restaurant de luxe, mais pas outrancier, les prix étaient plus proches de la réelle valeur des plats que certains autres où le prix était fonction de la richesse de sa clientèle et de la renommée de son chef.

La famille Whitestone n’aimait pas s’afficher et n’aimait pas non plus le gaspillage. Comparés à d’autres membres de leur classe sociale, ils fréquentaient des locaux plutôt modestes.

La petite Jessica se frottait les yeux tout en tenant la main de sa mère qui venait de la réveiller, tandis que Lashay avait prêté son bras à sa femme de manière fort élégante.

Mais, au moment où ils descendirent de la voiture, Lashay s’immobilisa : son regard se tourna vers la droite et ses yeux s’écarquillèrent en fixant la rue. L’instant qui suivit, son expression devint douloureuse.

Wynter, accrochée au bras de son époux, tourna son regard dans la même direction, elle se mordit la lèvre alors que des gouttes de sueur apparurent sur son visage.

Finalement, au lieu de s’avancer vers l’entrée du restaurant, Lashay fit signe à ses gardes du corps et leur intima de les conduire à la maison.

***

Dans la salle de réunion du poste de sécurité principale de l’arcologie BioMagiTec se tenait Jessica et Sandy, ainsi que d’autres filles et membres du personnel.

Jessica était habillée de manière élégante, elle portait un tailleur qui ne manquait pas de mettre en valeur sa fière poitrine qu’elle avait récupéré quelques jours auparavant lors de l’intervention d’Hesperia.

Elle se tenait face à tous, prête à entamer un discours. Cinq filles se tenaient devant elle, crispées. Pour leur part, les membres du personnel étaient assis autour de tables disposées en U. Tous se tenaient prêts à écouter religieusement les paroles de cette femme que certains considéraient véritablement comme une sainte.

Gloria n’était présente dans la salle mais était assise par terre dans le couloir voisin. Elle avait insisté pour accompagner Jessica mais, dès qu’elle avait vu ce rassemblement de personnes, elle avait été abattue et s’était cachée sous la capuche de son sweat shirt. Jessica lui avait proposé de s’isoler dans le couloir où il n’y avait personne et depuis lequel elle pouvait écouter le discours.

Pour sa part, Sandy se tenait debout dans un coin de la pièce, adossée les bras croisées contre un mur. Sa tenue et son look dénotaient avec celui protocolaire des autres employés ; personne ne fit de remarque pour autant.

— Chers employés, si je vous ai réunis aujourd’hui, c’est pour vous présenter vos nouvelles collègues, celles qui travailleront à la sécurité de notre arcologie et la défendront aussi bien contre les créatures du Mythe que contre les autres menaces.

Le ton de voix de Jessica était protocolaire, mais ses traits bienveillants n’inspirait nullement la peur ou la méfiance de son auditoire. Elle n’avait jamais désiré un tel rapport avec ses employés, elle ne voulait pas être la méchante boss. Puis, ces discours interminables d’entreprise avaient le chic pour l’ennuyer, on y parlait beaucoup pour finalement dire peu de choses. En ce sens, elle était un peu comme Elin, une combattante de terrain habituée à agir plutôt qu’à déblatérer.

Sa présence écrasante et son statut suppléaient à sa loquacité, tous étaient pendus à ses lèvres et nul n’osait faire le moindre bruit.

De même, les cinq filles avaient des frissons et les larmes aux yeux, alors qu’il ne s’agissait là que d’une simple réunion d’introduction.

— Leurs compétences sont encore naissantes, poursuivit Jessica en ne comprenant pas ce silence, mais je sais qu’elles feront de leur mieux pour devenir de fière magical wargirls. Aussi, je vous demande de les aider à s’intégrer à notre entreprise… non, à notre grande famille. Faites-les profiter de votre expérience et de votre bonté.

Elle marqua une brève pause et s’adressa cette fois aux nouvelles recrues :

— À MagiBioTec, nous accordons plus de place à la confiance qu’à l’efficacité. Si vous ne vous sentez pas capables d’accomplir quelque chose, vous recevrez toute l’aide qu’il vous faudra, sans aucune pression. N’oubliez pas qu’une arcologie n’est pas constituée que de murs de bétons et de verre, mais de personnes qui mettent leurs savoir-faire et connaissances en commun. Toute vie est importante, n’en perdre qu’une seule est un drame. Les murs peuvent être reconstruits, mais chacun de vous est irremplaçable.

Parmi les employés assis à la table, nombre portèrent leurs mouchoirs aux yeux. Ils savaient que ce n’était pas des paroles en l’air, Jessica appliquait réellement cette philosophie d’entreprise. Tout comme ils l’auraient suivie en enfer si elle en avait fait la demande, elle aurait risqué sa vie pour chacun de ses employés.

— Vous n’y êtes pas obligées, mais j’aimerais que vous vous présentiez à vos collègues. N’ayez craintes, je vous garantie qu’ils sont tous gentils. Même Williamson avec sa barbe de vieux loup de mer.

Cette petite blague provoqua l’hilarité. Fred Williamson, un des informaticiens du service, avait en effet une longue barbe touffue qui lui avait valu nombre de sobriquet relatif au monde des pirates : « Barbe Noir », « Teach » ou « Mousaillon ».

Il ne s’en offusqua pas et se mit à rire en caressant sa longue barbe.

— J’ai déjà suffisamment parlé, ce n’est pas moi la vedette de la journée, mais nos cinq nouvelles magical wargirls. Je vous laisse la parole.

Sur ces mots, Jessica se mit à applaudir et l’assemblée la suivit. Les cinq filles s’avancèrent de quelques pas, intimidées, mais heureuse d’une certaine manière.

Lynn, Tifani, Katelynn, Alicia et Enya se jetèrent des œillades timides et finalement, c’est Alicia, une latino-américaine de vingt ans, à la longue chevelure frisée qui débuta les présentations.

Jessica prit place à l’extrémité de la table en U, à la place qui lui était décernée, juste à côté des deux mahou senjo de la corporation : Kiara et Evangeline sous leurs formes normales.

La première était une blonde à forte poitrine, à l’exception de sa tenue son apparence était identique à celle de sa forme de combat. Elle portait l’uniforme de la corporation, mais ne le portait pas de manière stricte, les boutons de sa chemise permettaient d’avoir une vue sur son décolleté (au grand plaisir de Jessica).

Quant à Evangeline, une fille-chat sous sa forme de combat, elle était en temps normal une femme à la chevelure brune, portant des lunettes et disposant également d’une poitrine imposante. À l’opposé, son uniforme était portée avec une rigueur qui dénotait son caractère sérieux.

— Je compte sur vous pour les ménager, chuchota Jessica tout en écoutant d’une oreille les présentations des filles, entrecoupées par les applaudissements.

— Ne t’inquiètes pas, chef, dit Kiara en souriant.

— Je jouerais le méchante et Kiara la gentille, dit Evangeline. De toute manière, tu ne saurais pas prendre un autre rôle.

— Ouais, j’aime pas jouer la méchante. Va pour la gentille. Hihihi !

— Ne te fais pas détester quand même, Evangeline.

— J’y ferais attention, Jessica.

Quelques jours plus tôt à Hesperia.

Suite à la victoire de Jessica et Gloria sur Cassidy, elles entrèrent dans la villa.

Même à l’intérieur, il y avait également du brouillard. Ce n’était pas une fumée suffocante, mais une légère brume discrète et peu dense.

Bien que diffuse, son efficacité n’était pas en reste : elles trouvèrent dans les diverses pièces des filles couchées, endormies, soit à même le sol, soit sur des brancards d’hôpitaux, voire des matelas.

Le premier réflexe des deux mahou senjo fut de vérifier leur état de santé et de confirmer qu’elles n’étaient qu’endormies, à l’instar des autres habitants de la ville. C’était l’effet de brume magique.

Même après avoir repris leurs formes normales, les corps des deux femmes n’étaient pas affectés par celle-ci, c’était un des bénéfices d’avoir un corps éveillé, de même que leur guérison naturelle anormale.

En passant à côté d’une salle de bain, Jessica proposa de panser les blessures de Gloria ; elle-même était dans un piteux état, le combat ne l’avait pas laissée indemne. N’était pas certaine que la menace fût parfaitement écartée, elles prirent quelques minutes pour appliquer les bandages et antiseptiques trouvés dans l’armoire d’infirmerie, puis elles reprirent leur exploration.

À l’étage supérieur, elles trouvèrent dans un ensemble de salles formant le cœur du projet de Cassidy, basé sur celui de la secte Hellios.

Dans la première, elles trouvaient une dizaine de brancards avec des filles allongées, elles étaient toutes sous perfusion, on leur injectait un liquide rougeâtre suspect. Elles étaient toutes jeunes entre treize et dix-huit ans.

Au rez-de-chaussée, l’âge des femmes était variable, il échelonnait d’enfants de quatre ans à des quinquagénaires. Cassidy avait manifestement l’intention d’éveillé toutes ces personnes, sans prendre en compte la dégénérescence des pouvoirs.

Mais comment comptait-elle s’y prendre ?

Même Jessica n’en avait aucune idée. Si rien d’autre que le bon sens n’interdisait l’éveil d’enfants, à partir de vingt-cinq ans, les pouvoirs diminuaient jusqu’à s’estomper. Elle était bien placée pour le savoir puisqu’elle luttait pour garder les bribes qui lui restaient. Elle n’avait jamais entendu parler de cas d’éveil au-delà de cet âge, en principe c’était tout bonnement impossible.

Par la suite, elle apprendrait que Cassidy comptait malgré tout essayer, elle n’avait pas de méthode particulière, elle voulait juste appliquer l’universalité de l’éveil enseigné par la secte Hellios. Elle aurait probablement échoué.

Lors de l’intervention de Jessica et de Gloria, Cassidy était encore dans la phase un de son plan : elle visait d’abord l’éveil des plus jeunes qui constitueraient son armée, puis elle serait passée aux plus âgées.

Dans une autre pièce, elles trouvèrent la machine d’Éveil qui avait été dérobée dans la corporation de Jessica. Une fille se trouvait à l’intérieur, elle était plongée dans un liquide légèrement vert et à travers un hublot on pouvait voir son visage endormi, couvert par un masque respiratoire.

Jessica et Gloria étaient également passées par là, elles connaissaient bien la procédure. D’abord, on leur faisait une piqûre. Après quelques heures, on leur injectait un liquide en intraveineuse, lentement, ce qui pouvait prendre une ou deux heures encore. Ensuite, elles étaient placées dans la machine d’Éveil pendant une durée variable allant d’une demi-heure à quelques heures. Les pouvoirs se manifestaient dans les heures suivantes, selon un rythme propre à chaque fille.

Généralement, elles étaient à moitié consciente lorsqu’elles se trouvaient enfermées dans la machine, les précédentes injections devaient y être pour quelque chose. Si les pouvoirs ne se manifestaient pas dans les vingt-quatre heures, on mettait les filles en quarantaine. Si rien ne se manifestait durant cette période, on considérait l’Éveil comme un échec et la fille était réformée ou mutée dans un autre département de l’armée. Il était interdit d’éveiller deux fois une même personne, les risques étaient trop élevés.

Dans une salle attenante à celle de la machine d’Éveil, elles trouvèrent trois filles en train de se réveiller. Elles avaient toutes les trois subi l’Éveil, leurs corps devenus magiques n’étaient plus soumis à la brume magique et elles ne tarderaient pas à manifester des pouvoirs. C’était trop tard pour elles.

Dans la pièce voisine, une vierge de fer exhalait la brume magique qui avait endormi la ville, des cadavres de cultistes étaient allongés tout autour. Cassidy les avait éliminé une fois leur tâche accomplie, tout comme elle l’avait fait avec ceux qui s’étaient occupés de la précédente vierge de fer. Elle n’avait fait que les utiliser, sans avoir jamais eu l’intention de respecter son engagement.

Lorsque Gloria proposa d’éteindre la machine d’Éveil, Jessica lui dit :

— Il est trop tard pour elle. Si tu coupes à présent, elle aura des problèmes bien plus graves par la suite. Il vaut mieux laisser le procéder se poursuivre.

— Quel genre de problèmes ?

— Son métabolisme restera dans un état entre deux, elle pourrait… mourir soudainement, tomber malade… ou muter…

— Muter ?

Jessica acquiesça douloureusement en se tenant un bras et en détournant le regard. Gloria préféra ne pas insister.

— Et les autres ?

— Elles aussi il vaut mieux ne pas toucher aux perfusions. Dans leur cas, la transformation n’a pas été activée, elles devront suivre un traitement qui durera quelques années, mais elles pourront reprendre une vie normale. Bien sûr, si elles le veulent, elles peuvent devenir des magical wargirls, elles ont déjà franchi la première étape.

Initialement, elles avaient prévu de simplement détruire la vierge de fer pour réveiller la ville, mais elles décidèrent de remettre cela à plus tard, lorsque les perfusions des filles seraient achevées.

Pendant que Jessica s’occupait d’expliquer aux quatre malheureuses victimes de Cassidy à présent parfaitement éveillées, des filles prises au hasard dans la ville et éveillée malgré elles, ce qui leur était arrivé et ce qui changerait dans leurs vies à présent qu’elles étaient devenues des magical wargirls, Gloria s’installa à un ordinateur en vue de tirer au clair les derniers éléments inconnus de l’affaire, notamment les possibles alliés de Cassidy.

Elle se perdit dans les dossiers de Cassidy où elle découvrit non seulement son plan d’action dans sa totalité, mais également la procédure détaillée de l’Éveil… des informations classées top secret par les lois du pays.

Du personnel de l’arcologie de BioMagiTec ne tarda pas à débarquer suite à l’appel de Jessica. Une partie vint s’occuper des blessés et des filles en phase d’Éveil, tandis qu’une autre se chargea d’emporter la machine d’Éveil par hélicoptère. La police ne tarda pas à boucler la zone et des ambulances à arriver.

Malgré l’ampleur de l’affaire, l’incident n’avait fait que peu de victimes. Sandy et Irina avaient évité le pire, l’enlèvement de centaines de personnes emportées par les créatures des Contrées Oniriques. Seuls quelques malheureux avaient succombé à la cruauté des monstres.

Puisque l’affaire était liée à une corporation, n’étant même pas passée devant la justice, Jessica prit à sa charge le traitement des dix filles en cours d’Éveil, ainsi que les frais de réparation des endroits où elles avaient combattu et proposa de former et engager les quatre filles devenues des magical wargirls.

Lorsque Jessica expliqua aux dix femmes qui avaient reçu des injections leur situation :

— Il est à présent trop tard, vos corps ont été préparés pour l’Éveil. Vous laissez telles quelles serait le pire. À ce stade, vous pouvez soit finir ce qui a été commencé et choisir d’embrasser une vie de magical wargirl, soit revenir à votre précédente vie après avoir suivi un traitement qui durera selon vos dispositions physiques entre un et trois ans. Bien sûr, je m’engage à vous prendre en charge quel que soit votre choix.

C’était une décision difficile à prendre, ces dix filles n’avaient même pas atteint la majorité et on leur demandait d’effectuer un choix qui se répercuterait sur le reste de leur vie, c’est pourquoi elles consultèrent leurs tuteurs et parents, la décision n’avait pas besoin d’être hâtive. Finalement, une seule parmi elles décida de rejoindre les rangs de BioMagiTec et Jessica acheva donc son Éveil en bonnes et dues formes.

Le nombre des nouvelles recrues atteignit donc cinq.

Suite à leurs présentations, Jessica déclara que la réunion était finie et accorda le reste de la journée aux nouvelles recrues pour faire connaissance avec l’équipe du département sécurité, ce qu’elles s’appliquèrent à faire avec toute la timidité et la maladresse des premiers jours.

Cette affaire réglée, aux alentours de midi, Jessica, Sandy et Gloria franchirent le portail de l’arcologie, une petite silhouette vêtue d’un simple pull trop grand pour elle où était imprimé « Cthulhu sashimi are the best ! » les attendait.

— Gloria, Sandy, je vous laisse vous charger du reste ?

— Tu m’prends pour qui au juste, Jess ? dit Sandy une main sur la hanche.

Mais Gloria baissa le regard en balbutiant :

— Euh… je… Mmmmm…

Jessica lui posa la main sur la tête comme une mère rassurant son enfant :

— Elles ne sont pas méchantes, tu sais ? Elles ne te jugeront pas, elles sont pleines d’admiration pour toi, je t’assure.

— Mais je… je ne peux pas parler à des inconnues…

— J’aimerais vraiment qu’une magical wargirl aussi expérimentée que toi leur donne de bons conseils. Tu peux leur écrire sur ton téléphone, comme tu fais toujours.

Gloria fit la moue mais finit par acquiescer.

— Mais rien de violent, hein ? Je veux pas que tu leur apprennes à devoir trucider tout le monde non plus.

— Je ne promets rien…

Gloria n’était toujours pas réellement convaincue, mais elle accepta de rendre service à la personne qui lui était le plus cher.

— Cela dit, ne force pas non plus, Glory. Au pire, si tu n’y arrives pas, Sandy s’en chargera. Rentre simplement à la maison, OK ?

Jessica agissait réellement comme une mère poule envers Gloria, il n’y avait rien d’étonnant à ce que cette dernière la considérât comme telle. Gloria acquiesça un nouvelle fois.

Après avoir salué les deux, Jessica se dirigea vers Elin qui les observait sans émotions notables sur ses traits.

— T’es enfin là, Jess ?

— Tsss ! Fais pas genre comme si je t’avais fait attendre, fainéante !

— Bah, j’ai quand même attendu…

— Et alors ? Tu veux que je m’excuse peut-être ?

Elin l’observa sans rien répondre : ses yeux impassibles avaient le don pour énerver Jessica. D’ailleurs, cela ne manqua pas, elle serra ses poings et frappa ses talons sur le sol.

— Quoi encore ?! Tu m’énerves, tu… aïe aïe…

— Gigote pas trop, t’es encore blessée, Jess.

— Tu es toujours celle qui finit les combats sans aucune blessure. C’est n’importe quoi ce monde !

Tout en se plaignant, Jessica ouvrit la portière de sa voiture et invita Elin à y entrer.

Les filles des deux agences avaient mis en commun leurs récits et avaient recomposé le puzzle de toute cette affaire. Il ne restait que peu de choses à élucider mais Elin avait des théories assez fiables les concernant.

À l’exception d’Elin, elles avaient toutes eu un petit séjour de quelques jours dans l’infirmerie de l’arcologie, elles étaient de retour à la ville Whitestone depuis la veille. Seules les blessures de Jessica n’étaient pas encore parfaitement refermée, une conséquence de la décrépitude des pouvoirs à n’en point douter. Sous son tailleur, Jessica avait nombre de bandages.

— Sale monstre…

— Désolé.

Jessica regretta immédiatement ces paroles, plus que nulle autre, elle connaissait bien l’histoire d’Elin et savait que cette puissance était liée à un funeste passé. De plus, beaucoup trop de personnes la considéraient réellement comme un monstre, même si c’était sur le ton de la plaisanterie, ces paroles n’avaient sûrement pas dû la laisser indifférente.

Mais…

— Te poses pas tellement de questions, Jess. Je m’en fous, tu le sais bien. Puis, prendre cette expression inquiète risquera un jour de te laisser des rides.

— Quoi ?! Je t’en pose des questions, demi-portion !! Attache ta ceinture au lieu de dire n’importe quoi !!

De l’inquiétude, elle passa à la colère. Elle dénota néanmoins à quel point Elin lisait en elle comme dans un livre ouvert.

Elin mit sa ceinture de sécurité sans objecter puis retira ses chaussures et posa ses pieds sur le cadran devant elle.

Jessica s’abstint de faire une nouvelle remarque, à la place elle démarra la voiture et se mit en route.

Leur destination était le commissariat principal de l’OSAC, Occult Specialist Arrestation Cops, où se trouvait actuellement en détention Teresa Elliot.

***

La prison de l’OSAC avait été conçue pour enfermer des cultistes, nombre de mesures magiques avaient donc été mises en place pour bloquer leurs pouvoirs tels que des verrous magiques.

Des mahou senjo spécialisées dans la magie de type « sceau », qui permettait lorsqu’elle était bien maîtrisée d’empêcher les pouvoirs magiques de se manifester, venaient régulièrement effectuer la maintenance des effets anti-magiques. Ces derniers fonctionnaient de paire avec des dispositifs conçus pour les retenir le plus longtemps possible le mana, des matériaux et des techniques seulement connues des US Reborn pour l’heure.

Malgré tout, ce genre de cellules étaient coûteuses et demeuraient donc rares, destinées principalement à des personnalités importantes ou simplement le temps du jugement (généralement, à mort).

La trahison des magical wargirls n’était pas un sujet généralement abordé, ces cellules pouvaient en théorie également les maintenir prisonnières mais on ignorait leur réelle efficacité sur le long terme.

Quel que fût le pays, il était plus fréquent que les mahou senjo traîtresse périssent au cours de leur arrestation. De toute manière, elles n’avaient aucun espoir d’éviter la peine de mort, leur reddition était tout à fait inutile.

Même si elle était sous haute surveillance, puisqu’on ignorait réellement si les dispositifs étaient réellement à même de la contenir, Teresa était restée calme et s’était soumise à son jugement depuis plusieurs jours. Elle faisait figure de prisonnière exemplaire.

En principe, elle aurait dû être exécutée immédiatement considérant son rang et sa dangerosité, mais Elin et Jessica avaient fait la demande de l’interroger, ce qu’on leur avait accordé.

Toute cette sordide affaire relevait normalement du droit corporatiste, aux US Reborn ce qui se passait dans leurs domaines extraterritoriaux ne concernait pas le gouvernement, mais cette fois l’affaire avait débordé du cadre de leurs habituels conflits.

Ce n’était pas ce qu’avait prévu Teresa, elle avait cherché dès le début à régler l’affaire en interne, entre corporations, mais la trahison de Cassidy l’avait prise de court ; des civils avaient finis par être impliqués.

Néanmoins, si cette volonté était tout à l’honneur de la prisonnière, il n’en demeurait pas moins le fait qu’elle était corrompue et qu’elle abritait en elle un parasite Shoggoth.

Lors des premières séances d’interrogatoire, Teresa n’avait même pas pris la peine de résister ou de mentir, avec son ton arrogant et supérieur, elle avait avoué ses torts et toute l’affaire qu’elle avait fomentée.

Après être devenue actionnaire majoritaire, détenant 76 % des actions de la corporation ChangeLife, elle n’avait eu de cesse de tenter de mettre des bâtons dans les roues de Jessica et de son agence. Même si elle ne s’était pas expliquée sur les raisons, il apparaissait de manière manifeste qu’elle la détestait du fond du cœur.

Après avoir perdu ses pouvoirs à l’âge de 27 ans, elle profita des moyens de la corporation pour mener des expériences sur une fusion symbiotique entre mahou senjo et créature du Mythe. Le résultat n’était pas parfait mais elle avait réussi à fusionner avec un Shoggoth en s’implantant divers organes et en s’injectant du génome de la créature. Grâce à cela, elle avait pu retrouver ses pouvoirs d’antan et, de surcroît, elle était devenue capable d’utiliser la magie des Anciens.

En principe, les mahou senjo ne pouvaient pas l’utiliser peu importait leurs efforts pour ce faire. Des expériences avaient été menées à Ukrytie et Amaryllis pour s’approprier d’un atout de plus dans cette longue guerre qui les opposait aux Anciens, mais elles n’avaient pas abouties.

La magie des mahou senjo était l’expression de leurs pouvoirs intérieurs, le flux de magie émanait d’elle et se transformait en manifestant magique (ou physique) en traversant leurs corps. La magie des cultistes, quant à elle, correspondait plus à une sorte de prière dirigées vers les forces cosmiques. La magie n’émanait pas des sorciers, elle leur était envoyée par les Anciens à travers des rituels et des formules incantatoires qui permettaient aux utilisateurs de la structurer à leur guise.

Les Anciens ne répondaient tout simplement pas aux demandes de leurs ennemies, à moins qu’en devenant des mahou senjo elles ne perdissent la capacité à être entendues.

Les humains ordinaires, bien qu’inconscient de la nature du mana et de son omniprésence dans le monde qui les entourait, avaient tous la capacité de sombrer, de se tourner vers les forces obscures que représentaient les Anciens.

Certains courants hérétiques allaient même jusqu’à penser que cette magie n’avaient rien de mal en soi, ce qui rendait leurs utilisateurs violents et dangereux étaient simplement l’incapacité de la psyché humaine à assimiler des principes métaphysiques primordiaux qui les dépassaient. Incapable de les comprendre complètement, ne faisant qu’effleurer les vérités essentielles de l’univers, leurs esprits se brisaient et devenaient fous. Les Anciens qui servaient de relais n’avaient pas de telles faiblesses, leurs corps et capacités cognitives étaient d’un tout autre niveau.

Inutile de dire que ce genre de philosophie ne rencontrait pas l’approbation des gouvernements mondiaux qui condamnaient les diffuseurs.

Dans le cas de Teresa, sûrement grâce à la part d’Anciens avec laquelle elle avait fusionné, elle parvenait à employer sans mal les deux. Le Shoggoth en elle lui servait non seulement de réservoir à mana —selon des théories récentes, la dégénérescence des pouvoirs des mahou senjo proviendrait de leur incapacité à produire du mana et non pas de la disparition de leurs connaissances et maîtrise liées aux pouvoirs— mais en plus lui servait à faire appel aux forces cosmiques des Anciens sans avoir à conclure de pacte avec des derniers ou leur envoyer des prières.

Il y avait néanmoins des inconvénients majeurs à cette proclamée symbiose : le Shoggoth n’était pas aussi docile que voulu, Teresa devait constamment s’opposer à ses pulsions qui se manifestaient généralement sous forme de crises de colère. De plus, à cause de l’afflux constant de mana, elle ne pouvait plus reprendre sa forme normale, elle était constamment transformée, ce qui aurait à terme des effets dramatiques pour son propre corps.

Lors de l’interrogatoire, dont seules Elin et Jessica furent témoins derrière une vitre-miroir, à l’insu de l’accusée —d’une certaine manière Jessica semblait vouloir tenir leurs subordonnées à l’écart de la conclusion de cette affaire—, Teresa avait expliqué le plan qu’elle avait élaboré avec Cassidy.

Cette dernière devait voler la machine d’Éveil de BioMagiTec afin d’attirer Jessica dans un piège au sein de ChangeLife où il avait été prévu de la ridiculiser et de l’éliminer. C’était un plan simple, mais qui devait permettre à Teresa de mener à bien sa vengeance.

Il avait été prévu d’engager Cassidy si l’affaire était menée à bien, mais l’ancienne victime de la secte Helios avait d’autres plans. Teresa ignorait malheureusement le passé de sa complice qui lui l’avait caché même à elle. C’est pourquoi, elle n’avait pas vu venir sa trahison ; cette dernière avait profité de la confusion pour enlever une orpheline appartenant à BioMagiTec, celle qu’Elin avait libérée et remplacée. Cet enlèvement n’avait pas été décidé par Teresa, mais confrontée à une décision déjà prise, elle avait essayé d’en tirer profit.

Les différents éléments d’enquête dévoilés par Jessica et Gloria avaient mis en lumière que le projet d’Éveil de masse avait été fomenté uniquement par Cassidy, ne relevant en rien de la culpabilité de ChangeLife. De fait, le gouvernement ne sanctionnerait pas la corporation. À l’opposé, bien que victimes dans l’affaire, MagiBioTec se verrait condamnée à verser des dédommagements à la ville d’Hesperia, puisque la corporation était responsable de sa machine d’Éveil magique.

Malgré tout, ChangeLife se verrait condamnée à de lourdes amendes en raison de ses expériences portant atteinte à la dignité humaine, pour avoir gardé en détention des créatures dangereuses dans l’enceinte d’une zone urbaine et pour accointance avec les forces ennemis.

À terme, la réputation de la corporation serait à tel point entachée par cette sanction et les manigances de sa directrice qu’elle finirait par fermer dans les années qui suivraient.

Pour leur part, les six magical wargirls qui avaient travaillé à ChangeLife aux côtés de Teresa se retrouveraient acquittées puisqu’elle ne portait pas de traces de corruptions. Les seules charges retenues à leur encontre étaient celle de complicité dans des agissements immoraux, mais furent atténués par le fait qu’elles ne faisaient que suivre des ordres. Une peine de quelques mois en sursis et une amende fut tout ce qu’elles subirent.

Teresa, quant à elle, fut condamnée à mort. Sa sentence aurait dû être séance tenante mais, comme indiqué précédemment, Jessica et Elin avaient demandé un report afin de l’interroger.

C’était à ce propos qu’elle venaient d’entrer dans la salle d’interrogatoire où elles faisaient face à la coupable.

— Ah ? J’ai donc enfin l’honneur de parler avec la célèbre chef de l’agence NyuuStore et directrice de la corporation MagiBioTec ? Quelle honneur ! déclara Teresa avec un ton hautain qui ne pouvait être pris que comme de l’ironie.

Même si elle portait des menottes jusqu’à leur entrée, elle se leva, brisa ses entraves comme si de rien n’était, puis leva sa jupe pour les saluer. Les deux agents de l’OSAC qui accompagnaient les deux mahou senjo mirent leurs mains sur leurs armes, mais Jessica leur signala que tout était sous contrôle.

— Pourriez-vous nous laisser ? alla même jusqu’à demander Jessica.

À contrecœur, les deux agents quittèrent la salle d’interrogatoire avec méfiance.

— C’est bien mieux comme cela, sans toutes ces mouches qui nous rôdent autour, n’est-il point, mes chères consœurs ? se moqua Teresa en s’asseyant.

— Consœurs ? Désolée, mais je n’accepterais pas cette appellation de la part de quelqu’un comme toi, rétorqua immédiatement Jessica.

— Moi, je m’en fous, dit pour sa part Elin en allant s’asseoir non pas sur une chaise, mais sur la table. Fais pas attention à moi, je suis là uniquement au cas où tu voudrais faire quelque chose de stupide, ce que je te déconseille : ton interlocutrice est Jessica.

Elin bâilla et tira de sa manche une console de jeu portable.

— Que c’est regrettable une telle attitude de la part d’une des Cinq Invincibles, ne manqua pas de signaler Teresa. Mes pauvres employées n’avaient aucune chance dès le départ.. Si seulement nous avions su qu’une célébrité nous rejoindrait dans le combat…

— Ton réseau d’information laisse à désirer, dit Elin sans même lever les yeux. Mon partenariat avec Jessica est de longue date, nombreux sont au courant. Non seulement, nous avons fait partie de la même unité, mais nous sommes arrivées à bord de sur son jet privé il y a quelques jours.

— Partenariat ? Va pas raconter des absurdités, demi-portion ! Je ne collabore avec toi qu’occasionnellement et uniquement parce que j’ai pitié de ton incapacité à trouver seule de bons contrats !

Jessica ne pouvait pas être honnête lorsqu’il s’agissait d’Elin.

— Je vois, une erreur de ma part. Mes informations m’affirmaient une forte rivalité entre vous, puis une longue séparation, je n’avais pas eu vent que Jessica avait renoué avec vous et vous avait à sa botte, déclara Teresa sur un ton provocateur.

Elin ne réagit même pas, provoquer était une de ses spécialités, elle n’allait pas se faire prendre à son propre jeu.

Par contre…

— Eh oh ! Si j’ai amené Elin c’est pour la bataille au Mexique, pas pour régler mes affaires, qu’on soit bien claires, OK ?! C’est juste un hasard si elle m’a aidée et si elle a infiltré ChangeLife !

Le visage rouge de Jessica affirmait pourtant l’inverse de ses paroles. Elle aurait été bien gênée de reconnaître que sans l’aide d’Elin et de ses filles, toute cette affaire ne se serait pas aussi bien terminée. L’image de ses employées mortes cruellement et de son propre cadavre, « aussi plate qu’une planche à pain », lui traversa l’esprit et la fit frémir d’effroi.

Un silence suivit cette protestation, Jessica finit par s’asseoir.

Même si elle était en position de supériorité face à Teresa, Jessica n’avait pas le moral et était particulièrement stressée, elle ne paraissait pas du tout à l’aise, se demandant même pourquoi elle avait décidé de s’occuper de l’interrogatoire. On pouvait entendre le talon de ses chaussures tapoter à intervalles réguliers sur le carrelage.

— Alors, que vouliez-vous me dire, Teresa Elliot ? demanda Jessica en croisant ses mains sur la table.

— Moi ? Je n’ai pas souvenir avoir formulé une telle demande. Je suis simplement une prisonnière du couloir de la mort en attente de sa fin. Hohoho !

Elle ne semblait guère inquiète quant à son exécution prochaine.

— Tssss ! Je sais pas pourquoi, mais elle m’énerve, marmonna Jessica à l’intention d’Elin.

Bien sûr, à cette distance, Teresa avait pu parfaitement l’entendre. D’ailleurs, la réaction agacée de Jessica ne manqua pas de faire apparaître un sourire victorieux sur son visage, elle se délectait de tout le mal qu’elle pouvait infliger à Jessica, aussi insignifiant fût-t-il.

— OK, OK… Je me suis mal exprimée : c’est effectivement moi qui ai demandé à vous parler, se reprit honnêtement Jessica. La raison est très simple : je veux savoir pourquoi ? Pourquoi me détestez-vous à ce point alors que je ne vous connais même pas ? Pourquoi aller jusqu’à corrompre votre corps pour vous venger de moi ? Pourquoi utiliser mes employés ? Quel tort vous ai-je fait au juste ?

C’était la seule raison qui lui avait valu de retarder la sentence, Teresa avait tout avoué depuis le départ, comme si elle avait prévu la réaction de Jessica. Elle avait donné aux enquêteurs toutes les clefs pour résoudre l’affaire, mais la seule chose qu’elle n’avait voulu éclaircir était ses motivations. Elle avait simplement déclaré : « je ne le dirais qu’à l’intéressée, ou au pire je l’emporterai dans ma tombe ».

Elin avait rapporté ces paroles à Jessica qui n’avait pu assister à l’interrogatoire, mais elle n’avait jamais douté qu’avant même de les entendre, Jessica avait déjà décidé de l’interroger en personne ; elle n’était pas le genre à s’enfuir face à l’adversité, c’était une des qualités qu’Elin appréciait chez elle.

— C’est donc la question qui vous importe tant ? Pour une brave fille comme vous, une magical wargirl exemplaire, aimée de tous, avoir une ennemie doit être détestable, pas vrai ? Puisqu’on est riche et jolie, on pense que tout le monde nous aime, que personne ne peut nous haïr, pas vrai ? Ridicule !

Jessica ne l’interrompit pas, elle avait compris qu’elle ne ferait que la satisfaire en ce faisant. De plus, contrairement à ce que pensais Teresa, elle était loin de n’avoir aucun ennemi : des magical wargirls dans les officiels la détestaient ou la jalousaient, des officières l’avaient injustement punies, des hommes d’affaires en avaient contre ses méthodes. La liste était en réalité longue, même si contrairement à Elin la liste des personnes qui l’appréciait l’était tout autant. Elle pensait avoir un certain équilibre au final, c’était pourquoi ces paroles mensongères ne la touchaient pas.

— Jessica Whitestone, souhaites-tu connaître mon vrai patronyme ?

— Elliot n’est pas le vrai ?

— Pauvre enfant naïve ! Non, c’est le nom de famille de ma mère qui m’a élevée seule. Peux-tu deviner à ce stade qui était mon père ?

Elle avait beau réfléchir, aucune réponse ne lui venait à l’esprit. Sur le ton de la plaisanterie, elle manqua de répondre « Kennedy », mais s’abstint.

Mais Elin donna la bonne réponse à sa place :

— Whitestone. Ton vrai patronyme est Whitestone, tu es la demi-sœur de Jessica.

La manière dont Elin évoqua ces faits tenait de l’affirmation, ce n’était pas qu’une théorie. Avait-elle eu accès à des informations méconnues de Jessica-même ?

Même Teresa parut surprise. Parvenant à la lire sur ses traits, Elin expliqua :

— C’est évident si on se base sur ta manière de formuler la question. Mais je vais me taire, je n’interviendrais plus.

Même si elle était intervenue, ses yeux n’avaient jamais quitté l’écran de sa console.

De son côté, la nouvelle, qui ne fut même pas remise en doute, boulversa Jessica ; son cœur cessa de battre quelques fractions de seconde ; ses yeux fixèrent Teresa attendant confirmation.

Cette dernière afficha une expression contrariée, puis poursuivit :

— Petite peste démunie autant de poitrine que de bon sens et d’effet dramaturgique… Eh oui ! En effet, mon vrai nom aurait dû être Whitestone, si notre père, ce cher Lashay ne nous avait pas abandonné ma mère et moi. Alors qu’est-ce que ça fait d’apprendre ça, ma chère sœur ?

Le regard de Teresa devient plus mauvais qu’auparavant, on pouvait y lire toute sa haine envers Jessica. Cette dernière blêmit alors que de la sueur apparut sur son front, le doute l’envahissait ; elle ne savait que penser.

Remarquant le fort état d’agitation de sa demi-sœur, Teresa poursuivit :

— Ton très gentil père avait eu une relation avec ma mère, Abby Elliot, ils sont restés ensemble quatre ans, puis il nous a abandonnées toutes les deux, lorsque je n’avais que trois ans. C’est ensuite qu’il s’est mis en couple avec ta traînée de mère, elle qui savait tout mais qui n’hésita pas une seconde à se vendre à lui pour son impressionnante fortune.

Son ton de voix n’était même plus provoquant, il était juste haineux.

— Il est parti du jour au lendemain, abandonnant ma mère comme une vulgaire fille de joie rencontrée au détour de quelque pub ! Voilà la face cachée de l’homme qui était aimé de tout ! Celui qui avait si une bonne renommée et qui donnait des millions aux œuvres de bienfaisance, mais qui laissait moisir dans la misère son ancienne amante et sa fille !!

Sur ces mots, Teresa énervée se redressa, frappa des mains la table, alors qu’un liquide visqueux se mit à suinter de son corps. Le Shoggoth commençait à prendre le dessus.

Sans prévenir gare, en guise d’avertissement, Elin se transforma et ses yeux fixèrent Teresa avec une froideur glaciale. De son côté, Jessica encore sous le choc fixait la table et ne réagit pas au danger. Elle n’osait pas porter son regard sur sa demi-sœur, une part d’elle n’arrivait pas à croire ce qu’elle venait d’entendre mais une autre se sentait coupable d’un crime qu’elle n’avait pourtant pas commis.

Teresa reprit sa respiration normale, elle se calma et se rassit en croisant les jambes et les bras, affichant une expression encore plus méprisante qu’auparavant.

— Pourquoi je t’en veux ? C’est simple : tu as profité de toute la richesse de notre père, tu as vécu dans l’opulence à n’en savoir que faire, tu as eu des valets qui venaient nettoyer tes fesses, tandis que de notre côté nous vivions dans un bidonville, dans une maison de rien du tout, pleine de cafards, subissant les violences de notre entourage et les maladies. Mère avait beau avoir eu un coquet héritage avant sa rencontre avec Lashay, elle perdit tout lors de l’Invasion contrairement aux bien-chanceux Whitestone. Elle a dû constamment se sacrifier pour nous faire survivre toutes les deux.

Elle poursuivit en jetant un regard homicide à Jessica :

— Père avait cru bon de s’accoquiner avec mère pour faire étalage de sa bonté, du fait qu’il n’était pas incommodé par les différences sociales, mais à peine son but atteint il l’a jetée dans la misère et moi y compris. Jusqu’à son dernier souffle, mère a tout fait pour moi. Elle s’est abandonnée aux pires bassesses et finalement le monde ne l’a récompensée que par une horrible maladie qui la fit souffrir des années durant avant de finalement l’emporter dans sa tombe. Elle aurait pu être soignée, mais nous n’avions pas les moyens. Où était père à ce moment-là ? Pourquoi n’a-t-il pas donné le moindre argent pour l’aider ? Pourquoi n’est-il pas venu voir sa première fille, hein ?

Même si elle se retenait, la colère fait transpirer le Shoggoth hors d’elle, mais Elin était prête à intervenir. Jessica réalisa ce qui se passait, le risque qu’elle encourait, mais d’une certaine manière elle confia sa vie entre les mains d’Elin et ne parvint pas à réagir.

— Tout était pour vous deux ! Toi et ta traînée de mère ! Je n’ai jamais été que le déchet qui te collait dans l’ombre ! Je te méprise plus que tout ! Jusqu’à la fin, je n’aurais de cesse de te traquer pour te tuer !!

Des larmes de cette substance visqueuse et noirâtre lui coulaient à présent des yeux.

Soudain, reprenant ses esprits, Jessica se leva et frappa des mains la table. Elle déclara en évitant de croiser le regard de sa demi-sœur :

— J’ai bien entendu tes plaintes et je te remercie de m’en avoir fait part… J’ai… J’ai parfaitement compris tes aspirations et ta haine pour mon père, ma mère et moi-même. Je pourrais tenter de les défendre mais je ne suis pas au courant de leurs agissements passés, de leurs secrets et de leur part d’ombre qu’ils ont emportés dans leur tombe.

Jessica inspira pour reprendre courage, puis :

— Cependant, ta haine envers moi me semble injuste ! Je n’étais même pas au courant de ton existence, je n’ai jamais eu l’intention de te blesser et de t’évincer ! Si tu t’étais déclarée, j’aurais pu tout partager !

Elle aurait été plus qu’heureuse d’apprendre son existence. Elle s’était toujours sentie seule de n’avoir ni frère et sœur, si Teresa était venue toquer à sa porte, sans aucune hésitation aurait-elle partager tout sa richesse.

— Mais tu ne l’as jamais fait… Je suppose qu’à présent que tu es pleine de haine envers moi, tout ce que je pourrais te dire ne serait jamais à tes yeux qu’un tissu de mensonge, que les paroles d’une bourgeoise gâtée et ne sauraient te convaincre. Malheureusement, il est trop tard, ton sort est décidé, tu es allée trop loin… Je… je suis vraiment désolée.

— Garde ta pitié, je n’en veux pas, enflure. J’aurais ma vengeance.

Jessica se demanda un bref instant « comment ? », considérant sa situation la vengeance paraissait tout simplement impossible. Si elle tentait quoi que ce fût, Teresa se retrouverait à combattre Elin et Jessica en même temps, autant dire que ses chances de survie seraient nulles. Puis, elle se trouvait dans les locaux de l’OSAC, elle ne quitterait jamais ce lieu que dans un cercueil.

Mais son esprit réalisa soudain ce qu’elle voulait dire, même si elles ne s’étaient jamais fréquentées, Teresa semblait bien comprendre le mode de penser de sa demi-sœur.

Les traits de Jessica exprimèrent une certaine amertume, puis une forte résolution :

— Sachant que tu disparaîtras peu importe l’issue, accepterais-tu de me combattre dans un duel officiel, Teresa ?

La proposition ne surprit pas Teresa, au contraire, elle l’attendait. En réalité, elle comptait en faire la demande, elle était convaincue que Jessica l’accepterait : c’était une bourgeoise qui aimait se donner de grands airs et de nobles idéaux. Elin parut afficher un bref instant une certaine stupeur, c’était probablement la première fois que Jessica lui voyait une telle expression.

Les étranges larmes disparurent des yeux de Teresa, aspirés par ses globes oculaires, tandis que ses lèvres s’arquèrent avec mépris et suffisance. Elle éclata d’un rire sadique :

— Haha haha haha haha haha !! Tu peux compter sur moi, Jessica Whitestone ! C’est une belle opportunité que tu m’offres là.

— Je sais. Jusqu’au moment de notre duel, contente-toi de te tenir à carreau comme tu l’as fait jusqu’à présent. Je vais arranger tout ça, je t’en donne ma parole. Que tu gagnes ou perdes, ta sentence demeurera la même, mais au moins je te prouverai que je n’ai jamais cherché à fuir mes responsabilités.

— Promis, je t’attendrais sagement. Qu’importe de mourir, tant que je peux t’emporter avec moi dans les abysses infernales avec notre imbécile de père !

Sur ces mots, Jessica nauséeuse se leva et tourna sur ses talons. Tout en fermant vigoureusement ses poings, elle quitta la pièce en laissant échapper de chaudes larmes de ses yeux.

***

Le duel ne se fit pas attendre.

Le chef du département de l’OSAC accepta immédiatement la proposition de Jessica mais en imposant quelques conditions.

La première, comme l’avait déjà anticipé Jessica, était que quelle que fût l’issue de leur duel, Teresa serait soumise à sa peine. La seconde était de s’en occuper le plus rapidement possible afin de ne pas prendre le risque de garder une telle détenue dans ses cellules. Et la dernière était qu’Elin se prêtât garante de mettre fin aux jours de l’accusée au cas où elle chercherait à s’en prendre aux témoins du duel ou si elle essayait de se soustraire à sa sentence.

De fait, il fut convenu pour le soir-même. Jessica n’était pas entièrement guérie, mais elle accepta malgré tout.

Plus encore que son état physique, c’était son moral qui était au plus bas. En rentrant à la villa, elle avait laissé Elin le soin d’expliquer aux filles ce qui s’était passé. À la base, elle aurait voulu les tenir à l’écart, mais elle avait estimé que ce serait injuste envers celles qui l’avaient fidèlement soutenue dans l’affaire. Puis, ses propres employées ne lui pardonneraient pas ce silence, même s’il partait d’une intention de les préserver d’une sale affaire.

Vivienne et Hakoto étaient encore à l’hôpital, puisqu’elles ne pourraient de toute manière pas assister au duel, on décida de les prévenir après coup pour leur éviter de la frustration.

— Je ne vais pas vous empêcher de venir, le duel est ouvert à certaines personnes et les mahou senjo peuvent en faire la demande, mais… je pense que ce serait mieux que vous ne veniez pas.

Malheureusement, Sandy, Gloria et Shizuka annoncèrent leur volonté d’y assister pour la soutenir moralement, seule Irina prétexta étrangement avoir encore mal et de ne pouvoir venir ; elle paraissait pourtant en pleine forme quelques minutes auparavant.

Shizuka voulut l’interroger à ce sujet, mais Elin posa sa petite main sur son épaule et secoua la tête pour lui signifier de ne pas le faire.

Le soir arriva.

Le système légal rebornien ne consentant normalement pas de duel judiciaire, c’était une arène de fortunre qui avait été bâtie dans la grande cour d’une usine désaffectée.

Dans le ciel, le soleil crépusculaire dardait une teinte rouge sang semblable à celui qui allait être versé.

Le public se composait d’une dizaine de magical wargirls, dont trois spécialisées en magie de type « sceau ». C’était elles qui dressèrent autour de la zone de combat une barrière magique pour protéger le public. Les trois magiciennes se tenaient chacune à un extrémité de la zone, formant un triangle parfait. Même aux yeux des personnes normales, un dôme d’énergie jaune était apparu pour délimiter la zone de combat.

Le reste du public se composait d’Elin, de Sandy, Gloria et Shizuka, ainsi qu’une vingtaine de membre de l’OSAC et deux officières de l’armée. Tout ce beau monde était installé sur des chaises dans les gradins en bois installés en après-midi.

Conformément à l’exigence d’intervention, Elin était transformée. Même si elle n’aimait pas la hiérarchie et les ordres, elle avait accepté la condition et elle était une personne d’honneur.

Teresa fut libérée de ses liens, elle souriait avec une joie sadique en observant ce ciel aussi rouge que ses yeux. Son sourire carnassier n’avait rien de rassurant, les agents de l’OSAC qui vinrent lui retirer ses menottes dissimulaient les tremblements de leurs corps.

Avant que Jessica n’entrât dans l’arène, elle passa aux côtés d’Elin :

— Tu es sûre que tu veux le faire ? demanda cette dernière de sa voix monotone.

— Je n’ai plus vraiment le choix, grommela Jessica au regard inquiet. Non, je dois le faire ! Il faut que je surmonte tout ça et il faut que cette affaire s’achève de mes mains !

— N’en fais pas trop quand même. Je te connais bien, tu es du genre à te laisser submerger par tes sentiments.

— Je ne promets rien.

Tandis qu’Elin soupira, Jessica entra dans l’arène. Shizuka, assise à côté d’Elin, n’avait qu’à moitié entendu leur brève discussion, mais elle n’avait pas besoin d’en comprendre le contenu pour être inquiète.

— Ça… ça ira pour Jessica-san ? demanda-t-elle timidement.

— Ouais, t’inquiète. Elle est balèze, tu sais ? Autrefois, elle a failli passer rang S+ quand-même.

— Ah bon ?

Elle n’était pas au courant et d’ailleurs très peu de personnes l’étaient. L’armée n’avait jamais fait d’annonce officielle, cela tenait plus de l’appréciation d’Elin et de quelques officières plus qu’autre chose.

— Au fait, je me pose une question depuis un moment…, dit Shizuka. Est-ce… euh… est-ce qu’il existe des rangs S+ autres que les Cinq Invincibles ?

Si Elin avait été plus expressive, elle aurait sûrement esquisser un sourire en coin à cet instant. C’était une rare question, beaucoup acceptaient simplement de faire l’équivalence entre Invincibles et rang S+ et ne se posaient jamais la question.

— En théorie, oui, il y en a. Dans les faits, les rangs S+ sont très rares et s’il y en avait une sixième, le gouvernement du pays ferait tout pour la mettre sur le devant de la scène. Du coup, celle qui sont arrivées jusqu’à ce rang doivent sûrement le cacher pour se tenir loin des jeux de pouvoirs. Dans le cas de Jessica, c’est la perte de ses pouvoirs qui l’a fait échoué à son obtention. Si elle avait eu une bonne année de maturation en plus, nul doute qu’elle y serait arrivée aussi.

— Elle est portant si forte maintenant encore… J’ai du mal à imaginer celle qu’elle était au mieux de sa forme…

Elin garda le silence, elle faisait partie des rares à garder le souvenir de la réelle Calamity Jess.

— En tout cas, j’ai beaucoup de peine pour elle. Cette histoire… elle est horrible…, dit Shizuka les yeux en larmes. Je ne sais pas… ce que je ferais… à sa place…

Elle baissait le visage tandis qu’à ses côtés Sandy et Gloria tenaient une discussion animée en anglais. Derrière elle, d’autres discussions dans cette même langues se tenaient entre les officières.

— Jessica est fière, c’est elle qui a proposé ce duel. Mais je la comprends malgré tout : elle ne le fait pas par gaieté de cœur, mais elle a l’impression que c’est la seule chose qu’elle puisse faire pour se défaire de sa culpabilité.

— Mais… elle n’est coupable de rien ! Ce n’est pas sa faute ce qui s’est passé ! Et… et elle ne mérite pas cette haine, c’est une personne qui a bon cœur !

Les larmes de Shizuka s’amplifièrent. Elin déplorait le fait que ni Hakoto ni Vivienne n’étaient là pour la consoler, elle n’excellait malheureusement pas dans ce genre de rôle.

Elle soupira.

— Je pense comme toi, elle n’est coupable de rien. Elle prend pour elle les actions de ses parents, c’est stupide. Mais les affaires d’honneur sont rarement autre chose que de l’entêtement stupide, tu sais ?

Elin était une personne certes pragmatique, mais elle demeurait une être humain, il lui arrivait également d’agir selon son code d’honneur. Si elle ne détestait pas les personnes honorables, au contraire, il lui était difficile de voir leurs actions comme autre chose que de l’orgueil irrationnel.

— Puis, la seule chose qu’elle puisse faire à ce stade, c’est apaisé la douleur de Teresa qui est allée jusqu’à braver les interdits.

— Tu ne penses… quand même pas que… ?

— Non, rassure-toi, elle ne va pas se laisser tuer. Il y a trop de personnes qui tiennent à elle, elle le sait. Je parlais de Teresa : si ce n’est pas Jessica qui l’enverra dans l’au-delà, ce sera sûrement moi ou des membres de l’OSAC.

— C’est horrible… entre sœurs…

Shizuka sanglotait, la tête baissée en direction de ses cuisses. Si Gloria assise à ses côtés n’avait pas ses propres inquiétudes et n’était pas énervée par la situation au point d’avoir proposé d’aller tuer Teresa elle-même, ce que Sandy l’avait dissuadée de faire, elle aurait pu essayer de la consoler.

Finalement, Elin posa sa main sur la tête de la pauvre Shizuka. C’était un spectacle amusant, cette attitude ne correspondait pas à celle qui paraissait la plus jeune des deux.

— Tu n’aurais pas dû venir. Tu es mentalement trop fragile, Shi-chan. Toi aussi, tu ne porterais pas une croix dont tu voudrais t’alléger ?

Les yeux de Shizuka s’écarquillèrent alors que ses sanglots s’interrompirent temporairement. Elle se tourna vers Elin comme si elle avait face à une sorte de monstre surgit de nulle part. Rapidement la surprise laissa place à la douleur sur ses traits, elle cacha son visage dans ses mains.

En effet, outre la pitié envers Jessica, si elle avait tenu à assister au combat de celle qui l’avait si chaleureusement accueillie, c’était parce qu’elle se sentait encore coupable de l’affaire liée à la mort de Megumi dans l’affaire de la tour de Saitama.

Même si ce n’était pas ses mains qui avaient porté le coup fatal, elle n’était pas moins responsable. Megumi apparaissait souvent dans ses cauchemars. Une part d’elle se répétait sans cesse, de manière naïve, que si elle avait été plus forte, elle aurait pu la sauver. De son côté, Hakoto avait réussi à sauver Nanami au cours de la même affaire, cette fille avait été également parasitée par un Parasite de Vulka.

Shizuka ne réalisait pas à ce moment-là que la puissance ne suffisait pas toujours à réaliser ses désirs, même quelqu’un comme Elin avait échoué à sauver des innocents. Si Shizuka était venue voir ce duel, c’était inconsciemment dans l’espoir ingénu d’empêcher la mort de Jessica et de Teresa, l’une comme l’autre. Deux sœurs ne devaient pas s’entretuer, elles avaient la chance d’être deux, Shizuka était fille unique de son côté…

C’était une part irrationnelle et inconsciente de son esprit, la réalisation de ses vrais sentiments et de ses attentes ne se produisit qu’en réaction aux paroles d’Elin.

— Je… je commence à comprendre ce que Jessica-san ressent pour toi…, marmonna-t-elle si bas que c’en était à peine audible. Tu es incroyable…

Elin ne répondit pas, peut-être même n’avait-elle même pas été capable de l’entendre.

Mais à ce moment-là, de toute façon…

— Ça va commencer. N’essaye pas d’intervenir, quoi qu’il arrive, OK ? Et aie confiance en Jess. J’ai juste peur que cette idiote en fasse trop…

Le cœur de Shizuka se resserra douloureusement suite à ces paroles, mais elle fixa malgré tout son regard sur les deux combattantes.

Jessica passa en forme de combat, sa combinaison intégrale apparut autour d’elle. Son regard s’endurcit, on ne pouvait plus y lire aucune once de gentillesse.

De son côté, Teresa n’eut pas besoin de se transformer, son corps était de manière permanente en mode de combat. De plus, elle disposait d’un pouvoir de métamorphose qui lui permettait de prendre la forme de son choix. Le corps qu’elle employait depuis des années était une forme qu’elle avait choisie inconsciemment, autrefois elle ne ressemblait pas à une vampire.

— Prête à mourir ? demanda Teresa de manière hautaine. Tu as bien salué tes filles et ta corporation ? Tu as profité d’une bouteille de champagne et mangé du caviar jusqu’à t’en exploser la panse ?

— Tu te fais une mauvaise image de moi, Teresa. Mais, nous ne sommes pas là pour discuter ou je me trompe ? Tes tentatives de déstabilisation ne marcheront pas sur moi.

— Tu penses ? Moi, je trouve que ça marche déjà plutôt bien. Il suffit de regarder ton visage pour le comprendre. Hoho !

Jessica toucha son visage, elle ne sentit rien de particulier. Elle se doutait que la colère ne la mettait sûrement pas sous son meilleur jour.

— Ne t’inquiètes pas, tu vas rapidement pouvoir discuter de tout ça au calme, avec papa… en Enfer. Vous aurez le temps de souffrir et vous repentir tous les trois, je te l’assure.

Jessica baissa le regard et se mordit sa lèvre tandis qu’elle serra ses poings avec vigueur. Teresa avait raison : ses paroles perçaient son cœur tel des poignards, elle n’était pas aussi insensible qu’elle l’aurait désiré.

Toutefois, ce n’était pas la peur de mourir qui l’agitait, mais la douleur de voir l’honneur de ses chers parents bafoués de la sorte, sans pouvoir les défendre réellement. Elle avait toujours eu une image si idéale d’eux et lorsque quelqu’un l’attaquait, elle n’avait pas les preuves suffisantes pour les réduire en morceaux.

Ils étaient morts. Une partie de leurs secrets avaient disparus avec eux. Jessica avait foi en eux, mais était consciente qu’ils lui avaient sûrement caché des choses. Puis, Teresa était convaincue, des paroles basées uniquement sur les bons sentiments n’auraient servi à rien, aucune parole ne pouvait la convaincre.

C’était pourquoi…

« Mutilator ! »

Elle fit apparaître dans ses mains un fusil d’assaut qu’elle pointa vers Teresa.

— Je suis désolée que ta vie se soit passé de la sorte. Je le pense vraiment… Ce sont des paroles en l’air que tu ne croiras jamais… Comment pourrais-tu croire la fille de ton ennemi ? Une bourgeoise n’ayant connu que l’opulence, celle qui t’a tout volé… ? Mais c’est ce que j’éprouve réellement.

— Ooooohhh ! Arrête, tu vas me faire pleurer, ma petite sœur pleine aux as ! Qu’il est facile d’éprouver de la pitié lorsqu’on vit dans une belle tour de cristal et que l’on peut voir les pauvres cendrillons manger les quignons qu’on jette par la fenêtre !

Jessica grimaça, elle était sûre que Teresa interpréterait ses paroles de la sorte.

Elle inspira, puis pressa la détente de son arme. Elle n’enchanta pas la première rafale de balles, c’était simplement un avertissement ; elles ricochèrent sur la barrière magique réactive de Teresa qui fixait Jessica haineusement.

Le combat venait de commencer.

Jessica s’envola à l’aide de ses propulseurs et tira de longues rafales de munitions enchantées cette fois, mais un mur de cendres aux visages grimaçants et hurlants les bloqua.

Les propriétés de « cendres » qu’employait Teresa étaient idéales contre les pouvoirs magiques, toutefois les balles enchantées de Jessica étaient en partie physique, quelques munitions le percèrent et allaient atteindre leur cible lorsque cette dernière interposa in extremis sa barrière réactive.

Teresa répondit à l’offensive en tirant des boules de feu d’une main et des sphères de cendres brûlantes de l’autre. Jessica les esquiva habilement ou tira avec son arme pour les détruire en plein vol. Le ciel s’illumina d’explosions de flammes et de cendres, lui donnant un peu l’air d’une nuit de feu d’artifice.

Profitant de la couverture visuelle, Jessica chargea vers le sol, puis se dirigea à pleine vitesse sur son adversaire. Elle fit apparaître son « Annihilator », un lourd fusil à pompe semi-automatique, et tira à bout portant.

Mais, Teresa n’était pas débutante au point de se faire avoir par une stratégie aussi simple, elle interposa un second mur de cendres qui encaissa difficilement les lourdes munitions du fusil de Jessica. Jessica prit le fusil d’une main et fit apparaître son fusil d’assaut dans l’autre ; c’était des armes qu’il fallait normalement utiliser à deux mains pour stabiliser le recul, mais elle était une mahou senjo, sa force était inhumaine.

— Aaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !!!

Son cri s’ajouta au florilège de détonation de ses armes. Puisque ses armes n’étaient créées par magie, elle finit par les planter dans le mur de cendres de sorte que leur canon puisse passer au travers.

C’était une stratégie des plus agressives qui surprit Teresa. Lorsque les flammes vomirent des gueules des deux armes, cette dernière bondit en arrière, mais c’était trop tard.

Les munitions du fusil d’assaut enchantées pour accroître leur vitesse vinrent briser sa protection réactive, tandis qu’un faisceau de billes issues des munitions chevrotines enchantées du fusil s’enfoncèrent dans son corps provoquant d’impressionnants trous dans le torse et arrachant même l’un de ses bras.

Un sang noir jaillit, mais Teresa était loin d’en avoir eu pour son compte. Elle ouvrit la bouche et souffla un cône de flammes et de cendres devant elle.

Jessica réagit avec un peu de retard, le souffle traversa le mur de cendres lorsqu’elle bondit de côté en dressant sa barrière réactive. Teresa continua de souffler en redirigeant le cône, Jessica s’enfuit en poussant ses réacteurs dorsaux à plein régime. C’est avec quelques brûlures qu’elle parvint à s’extraire de l’attaque.

En raison de la capacité d’absorption de magie des cendres, la barrière réactive de Jessica avait rapidement été dissipée, c’est pourquoi elle avait malgré tout subi de dégâts.

— Ce n’est pas un pouvoir à prendre à la légère…, pensa-t-elle en reprenant son souffle un bref instant.

Le combat reprit, il était particulièrement rapide, la plupart des spectateurs n’arrivaient pas à le suivre pleinement. Shizuka et les autres mahou senjo durent se transformer pour en avoir une bonne perception, les sens humains ordinaires ne suffisaient pas.

Malgré les blessures, le corps de Teresa se recomposa ou plutôt le parasite Shoggoth combla les trous.

La colère de Teresa n’avait cessé de croire à mesure qu’elle voyait le combat tourner en sa défaveur, Jessica n’était pas aussi faible qu’elle l’avait présumé. Dire qu’elle la pensait une bonne bourgeoise fainéante sur son déclin…

— Teresa a plus de réserves de mana, commenta Elin, et ses pouvoirs sont vraiment vicieux, mais on sent qu’elle n’a pas l’expérience du champ de bataille. Elle a beau croire que Jess est une fille à papa, elle a passé la majeure partie de sa vie à combattre. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’elle soit une princesse.

— Jessica va gagner ?

— Sans aucun doute. Mais à quel prix…

Une fois de plus, Shizuka était inquiète. Elin savait quelque chose qu’elle ne disait pas. Elle voulait lui demander plus d’explications, mais finalement reporta son regard sur le combat en cours.

Le corps de Teresa, sous l’effet de la colère et des blessures, ressemblait davantage à un monstre qu’à une femme. Un épais nuage de cendres se dégageait d’elle à présent, Shizuka connaissait bien ce pouvoir pour l’avoir subi.

Pendant quelques secondes, plus personne ne pouvait voir à l’intérieur de la zone obstruée de particules puis elles commencèrent à retomber tel de la neige à l’intérieur d’une boule à neige.

— Haha haha haha ! Que vas-tu faire à présent ? demanda la voix emplie de haine de Teresa, mélangée à une seconde voix inhumaine qui lui faisait écho. Si tu utilises tes pouvoirs, tu vas finir à sec et je te réduire en poussière en te faisant hurler telle une truie !!

Mais Jessica resta calme, elle posa ses pieds au sol et fit disparaître ses armes. Elle n’avait que quelques petites brûlures, rien de grave, le véritable problème était cette zone anti-magique. Elin lui en avait parlé, c’était un pouvoir assurément difficile à contrer pour une mahou senjo.

D’autant que la réserve de mana de Jessica était précieuse, avec le déclin de sa magie elle n’en disposait plus tellement. Ce pouvoir semblait particulièrement indiqué contre elle, elle ne pouvait pas y entrer pour se battre au corps-à-corps sans se risquer à essayer des tirs et elle ne pouvait pas non plus utiliser efficacement des pouvoirs depuis l’extérieur. La magie que contenait ses balles enchantées serait épuisée avant d’arriver à leur but.

Comme l’avait dit Elin, le seul avantage de Jessica dans ce duel demeurait dans son expérience du combat.

Bien sûr, elle pouvait sûrement compter sur ses armes les plus puissantes, le Hellfaust ou le Desintegrator, mais si la défense de Teresa, qui semblait plutôt bonne, était suffisante pour les bloquer, Jessica épuiserait son mana inutilement.

Toutefois, il restait une solution, elle y avait pensé au moment même où Elin lui avait parlé de la Tempête de Cendres de Teresa…

— Désolée, Elin… je ne vais pas pouvoir suivre tes recommandations, murmura-t-elle en serrant ses poings puis en inspirant profondément.

À cette distance, Elin n’entendait rien mais elle devait forcément avoir deviner, sinon elle n’aurait jamais donné cette mise en garde.

— J’ai envie de la tuer… Tu as mille façons de gagner, Jess, protège tes pouvoirs au lieu de laisser parler ton coeur… idiote…

Dans les tribunes, Elin pesta. À son niveau d’expression émotive, on pouvait comprendre qu’elle était en colère. En effet, c’était le moment qu’elle redoutait depuis le début, elle était persuadée que Jessica allait commettre cette « bêtise sans nom ».

Shizuka à ses côtés ne comprenait pas, Gloria et Sandy ne le devait pas vraiment plus.

Elin ne donna pas d’explications, elle leva la main et fit signe à l’équipe médicale de se tenir prêts. Elle était la seule dans l’assemblée à connaître la botte secrète de Jessica et elle savait qu’elle aurait besoin d’assistance une fois qu’elle l’aurait utilisée.

— Tenez-vous prêts. Quand je vous le dirai, entrez dans la zone et évacuez Jess au plus vite, dit-elle en anglais.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda timidement Shizuka en joignant les mains sur sa poitrine.

— Je t’ai dit avant qu’elle avait failli passé rang S+, non ?

— Oui…

— Tu vas voir par quelle technique elle comptait le devenir. Il s’agit de sa plus puissante technique, elle ne l’a utilisée que deux fois et n’a jamais réussi à la maîtriser pleinement. Tu ne le verras sûrement pas plus d’une fois dans ta vie, ouvre grand les yeux.

Si elle avait pu, Elin aurait préféré l’arrêter à cet instant, mais on parlait de Jessica ; elle était bien incapable de lui faire entendre raison dans ce genre de contexte, elle avait décidé depuis le début qu’elle devait elle-même clore ce chapitre du passé et libérer les fantômes qui étaient liés à cette ancienne tragédie.

Shizuka blêmit. Elle se demanda un instant si les murs de protection allaient suffire, Elin en parlait comme un pouvoir vraiment sensationnel.

— Il est plus puissant que ton Nehemoth ? demanda-t-elle après un bref silence.

Elin ne l’avait jamais utilisé en sa présence, mais ce pouvoir était connu par les spécialistes et surtout Shizuka avait consulté le dossier de sa chef dans la bibliothèque Tama.

— Tu es au courant ? La nature des deux pouvoirs est différente, c’est difficile de l’estimer, d’autant que Jessica n’a jamais réellement achevé cette technique. On va dire qu’ils sont équivalents.

— Gloups !

— Malheureusement, ce n’est pas dans son état actuel qu’elle arrivera à le compléter… Idiote…

Sans réellement comprendre pourquoi, Shizuka se mit à pleurer. Des frissons parcoururent son échine dorsale, elle aurait voulu s’élancer sur le champ de bataille pour l’arrêter. Elle était certes curieuse de voir cette botte secrète, mais elle comprenait parfaitement ce qui inquiétait Elin.

Ses jambes refusaient de bouger, son souffle était saccadé, elle avait l’impression qu’un drame allait se produire et cherchait à s’y préparait.

— Finissons-en avec cette histoire, déclara Jessica d’une voix calme.

À cet instant, des particules de lumière apparurent autour de ses bras et prirent la forme de deux énormes canons semblables à ceux d’un char d’assaut. Bien que plus courts, il avaient le même genre de gabarit : deux canons à âme lisse de 160mm se greffèrent autour de ses bras.

Malgré la dépense accrue qu’engendrait la zone de cendres, elle prit de l’altitude.

— Hohoho ! Un pouvoir que je ne connais pas ? déclara Teresa sur un ton méprisant. Mais cela ne te sauvera pas la vie : je vais te tuer et souiller ton cadavre ! Tu ne mérites rien de mieux !!

Sur ces mots, elle fit apparaître dans une main une sphère de cendres enflammées et dans l’autre une sphère noire de magie de décrépitude.

— Si seulement…, commença à dire Jessica en fermant les yeux. Si seulement tu étais venue me voir, idiote de grande sœur…

Ces paroles firent brièvement sourciller Teresa dont l’expression devint encore plus haineuse. Jessica poursuivit sa confession qui avait l’air d’un requiem :

— Je n’avais que faire de cette richesse que tu convoitais. Ce que moi je voulais c’était une famille ! dit-elle alors que les larmes s’écoulèrent enfin de ses yeux. Si tu étais venue, nous aurions pu être heureuses toutes les deux !! Qu’importait de partager avec toi ! Je ne savais même pas que tu existais ! Pourquoi ? Pourquoi ?Pourquoi dois-je perdre ma grande sœur le jour-même où j’en découvre l’existence ? Pourquoi ne peut-on pas être heureux tous ensemble dans ce monde ?

Jessica hurlait, ses émotions débordaient. Elle ressentait une telle peine et une telle solitude en elle. Elle avait déjà été privée de ses parents qu’elle avait tant aimés. Elle avait désiré tellement de fois être morte avec eux. Ses grands-parents l’avaient connues dans un état peu envieux après la disparition de sa famille, elle avait mis des années à s’en remettre… non, elle ne s’en était toujours pas remise réellement, au fond Jessica demeurait une orpheline en sanglot.

Lorsqu’elle considérait le fait que tout aurait pu changer si Teresa avait eu le cran de se dévoiler, qu’elles auraient pu habiter ensemble, rire ensemble, aller en soirée ensemble, se coiffer, s’habiller comme des sœurs normales, elle avait l’impression de devenir folle.

Et lorsqu’elle pensait au fait qu’elle allait à jamais perdre à jamais ce bonheur qui n’était pourtant qu’un simple divagation de son esprit, elle pensait devenir folle. La vie était donc cruelle à ce point ?

Son visage était un torrent de larmes, c’était depuis enfant la première fois qu’elle pleurait de la sorte. Même Elin qui était la personne qui la connaissait le mieux ne lui avait jamais vu exprimer tant de souffrances.

Tout à coup, les traits de Jessica changèrent du tout au tout, ils devinrent froid comme la glace. C’est d’une voix distante et éteinte qu’elle dit :

— Adieu, Teresa. Notre rencontre ne fut que bien trop brève. Nous nous reverrons peut-être dans l’au-delà.

Sur ces mots, un cri sortit de la gorge de Shizuka qui avait tout entendu et qui ne pouvait plus contenir la douleur dans son propre cœur. Elle se redressa et chercha à entrer dans l’arène mais la main d’Elin l’arrêta.

Les deux sphères de magie quittèrent les mains de Teresa, à présent plus un monstre qu’une humaine.

En réponse, les deux canons de Jessica vrombirent, ils produisirent une détonation difficile à supporter à cette distance tellement elle était puissante. L’onde de choc des tirs fit vibrer l’air à des dizaines de mètres allant jusqu’à faire trembler les tripes des spectateurs.

— Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhhhhhh !!!

Tout en hurlant sa douleur et sa frustration, Jessica tira encore et encore. Ce furent des dizaines d’obus qui se succédèrent à une cadence de tirs qu’aucun canon normal n’aurait pu soutenir.

Contrairement à ses autres armes, elles créait cette fois bel et bien ses munitions, elles n’étaient pas stockée dans un espace dimensionnel. Ses obus APFSDS, des obus perforants en uranium apauvri, étaient propulsés à plus de dix fois la vitesse habituelle d’un canon de MBT dernière génération grâce à sa magie ondulatoire qui les propulsait hors de la chambre de tir.

Sa cadence de tir, pour sa part, n’avait rien à envier aux 4200 tirs par minute d’un GAU-8/A Avenger, la gatling gun d’un Fairchild A-10 Thunderbolt II, un avion d’attaque au sol réputé pour sa puissance destructive.

Le Juggernaut permettait à Jessica de choisir entre une version de tirs concentrés ou une version à effet de zone. La première utilisait des obus perforants anti-char permettant de limiter la puissance de feu sur une seule cible, voire un petite zone. La seconde faisait appel à des obus explosifs de magie ondulatoire. En théorie, si elle l’utilisait en effet de zone, elle était capable en quelques minutes de raser complètement une ville de taille modérée et avec en une dizaine de minutes une grande ville (mais encore fallait-il pouvoir soutenir un régime de tir pendant une telle période). Elin n’exagérait pas, c’était une attaque au pouvoir de destruction aussi impressionnant que son Nehemoth, une attaque parfaitement absurde.

Les tirs ne durent même pas une minute, mais c’était suffisant. Malgré la barrière, les officières et le corps médical qui n’étaient pas des mahou senjo transformée sentirent l’intérieur de leurs corps chamboulés, soumis aux vibrations des ondes de chocs. Ils eurent envie de vomir à mesure que les intestins tremblaient sous l’effet de la puissance des détonations.

Une des mahou senjo responsable de la barrière tomba à genoux et finit par s’évanouir. Les détonations cessèrent tout de suite après.

Elin se leva et entra dans la zone de combat en volant. La barrière magique dissipée, le nuage de fumée se mit à sortir de l’arène.

Elin extirpa le corps inconscient de Jessica qu’elle remit immédiatement à l’équipe médicale. Gloria et Sandy, malgré leur stupeur extrême face à ce spectacle d’horreur, suivirent l’ambulance ; elles étaient paniquées.

Après la dissipation de la fumée, le public put découvrir un cratère de plusieurs dizaines de mètres de profondeurs parsemées de pieux métalliques par milliers. Ils étaient en train de lentement disparaître.

Il ne restait plus rien de Teresa, pas plus que du monstre qui l’avait habité, tous deux avaient été littéralement pulvérisés.

Shizuka tomba à genoux et hurla de toutes ses forces sans trop comprendre le remous qui agitait ses sentiments. Pour sa part, Elin leva les yeux au ciel et observa le passage du rouge crépusculaire au noir de la nuit.

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