Shizuka Halloween

— Bonjour, Mademoiselle ! Souhaiteriez-vous goûter notre nouveau soda de citrouille ? C’est une recette limitée qui ne sera plus proposée le reste de l’année.

Shizuka tourna la tête vers la femme qui venait de l’interpeller.

Elle se trouvait actuellement dans un supermarché et faisait ses courses pour le dîner.

Cela faisait à présent quelques mois seulement que sa vie avait changée : elle était devenue une mahou senjo, une de ces filles qu’elle admirait tant et avait même rejoint une agence.

La jeune femme à la belle et longue chevelure noire et aux yeux violets remit une mèche de cheveux derrière son oreille et serra contre elle le panier dans lequel se trouvaient ses courses : œufs, légumes, viandes et riz.

Autour de son cou, son écharpe était légèrement dénouée depuis qu’elle avait quitté la zone réfrigérée du rez-de-chaussée et qu’il faisait un peu plus chaud.

Elle était montée au premier principalement pour satisfaire la demande de son familier, un NEET profiteur, un renard aux poils rouges vif à plusieurs queues ; fainéants et sale, qui passait ses journées à jouer à des jeux en ligne et qui se faisait appeler Yog-kun.

Les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent lorsqu’elle reconnut dans le visage en face d’elle une personne de sa connaissance.

— Oh ! s’écria-t-elle d’une voix empreinte d’un étonnement naturel.

A cet instant, elle se rendit compte néanmoins que, même si elle reconnaissait le visage comme étant une fille de sa classe, — ou devrait-on plutôt dire une fille qui avait fait partie de sa classe, puisque Shizuka avait officiellement arrêter l’école pour embrasser une carrière de mahou senjo dans une agence privée —, elle ne se souvenait plus du tout de son prénom ou de son nom de famille.

Même si elle l’avait entendu des centaines de fois lors de l’appel quotidien, impossible de s’en remémorer. Il ne s’était écoulé que quelques semaines depuis son départ du lycée, c’était donc encore un peu tôt pour justifier un tel oubli. Mais la vérité était qu’elle n’avait jamais prêté attention à cette fille.

— Quelle honte ! pensa-t-elle en commençant un peu à paniquer. C’était quoi son nom déjà, bon sang ?!

La fille pour sa part, toute souriante derrière son présentoir, où étaient disposés des petits gobelets avec un liquide gazeux orange vif, afficha un expression de fausse surprise.

— Quelle surprise, Shizuka-chan ! Cela fait si longtemps !

Probablement l’avait-elle déjà repérée depuis quelques temps et lui avait adressé la parole délibérément.

Shizuka se dit intérieurement que quelques semaines seulement ne justifiait pas une telle phrase, mais elle comprenait que la bienséance voulait qu’on dise ce genre de phrases banales.

— Ah oui, ça fait vraiment longtemps ! répondit poliment Shizuka qui n’arrêtait pas de se demander quel pouvait être son nom de famille.

Elle s’estimait elle-même être une fille quelconque, elle n’avait jamais été populaire, n’avait jamais provoqué réellement de remous et les autres étudiants l’avaient toujours ignorée.

A une époque, au primaire, on l’avait un peu brimée, puis finalement cela s’était arrêté naturellement, de lui-même, et elle était devenue une fille presque invisible dans sa classe.

Même après avoir changé de ville, partant de Nagaoka pour se rendre à Tokyo, son aura de normalité ne l’avait pas quitté et elle n’avait pas réussi à trouver le moindre ami.

Les premiers temps, on lui avait accordé de l’attention parce qu’elle était « une nouveauté » et parce qu’elle avait été transférée en cours d’année, après les vacances d’été, mais rapidement les gens s’étaient désintéressés d’elle, ne lui avaient plus adressé la parole et ne l’avaient jamais invitée.

Habituée de toute manière à ne pas recevoir d’attention, elle ne s’en était pas offusquée et avait simplement organisé sa vie en solitaire.

De toute manière, elle avait une passion : les mahou senjo ! Elle n’avait pas le temps pour des clubs, pas de temps pour traîner au karaoké avec les filles de la classe. Tout son temps était consacré à son seul but.

Du moins, c’était le cas jusqu’à récent, jusqu’à ce qu’elle rencontre Yog-kun et devienne une mahou senjo, puis qu’elle intègre l’agence Tentakool.

A l’opposé d’elle, cette fille dont elle ignorait le nom était plutôt tape-à-l’œil. Impossible que Shizuka ne l’ait pas remarquée et impossible qu’elle l’oublie vite.

Dans la classe, elle était la seule à avoir retouché son uniforme pour qu’il soit plus « chic » et malgré quelques réprimandes des professeurs, elle avait toujours gardé un style bien à elle : très prononcé et très fashion.

Contrairement aux autres filles et au règlement intérieur du lycée, elle venait toujours maquillée et elle avait même décoloré ses cheveux. En peu de mots, cette fille était la Gal de la classe, donc tout l’opposé de Shizuka la fille banale et invisible.

Bien sûr, étant sur son lieu de travail, elle n’avait pas tout son attirail normal, elle portait simplement l’uniforme du supermarché mais dans un souci de coquetterie et de rébellion, elle avait malgré tout verni ses ongles d’un rouge vif sur lequel elle avait ajusté des paillettes brillantes.

La fille observa Shizuka tout en souriant et en la fixant, l’air d’attendre quelque chose, puis finalement elle déclara :

— Tu ne veux pas essayer un peu de notre soda de citrouille ? C’est une édition spéciale Halloween !

— Ah oui ? Pourquoi pas…

En réalité, elle n’avait pas réellement envie d’avoir le goût de citrouille en bouche, mais se sentant coupable de ne plus se souvenir de son nom, elle avait fini par accepter avant de s’en rendre compte.

C’était effectivement la période de l’année proche de la fête d’Halloween, cette fête venue de l’étranger et que le Japon de jadis avait adopté et que le Kibou actuel continuait de célébrer par intérêt commercial plus qu’idéologique.

— Tu verras, tu ne le regretteras pas. C’est bien plus sucré que son apparence ne le laisse penser.

La couleur du liquide était tellement vive qu’on avait plus l’impression d’un produit chimique hautement toxique qu’une boisson, aussi Shizuka hésita un peu avant de le porter à ses lèvres.

Mais lorsqu’elle vit la fille continuer de lui sourire, elle se sentit la pression encore plus forte et finit par l’avaler d’un trait.

Comme elle l’avait dit, c’était bien plus sucré que ce qu’on aurait pu penser, plus ou moins du même niveau que le melon soda. Shizuka, comme nombre de filles, aimait les choses sucrées, plus qu’il ne l’aurait fallu d’ailleurs.

Aussi, à peine avalé, elle fut en proie à une folle envie d’en boire plus en achetant le produit, mais une voix contraire en elle lui répétait :

— 450kcal ? Peut-être même plus… Pour avoir un goût pareil, c’est un tueur de régime de haut niveau, c’est sûr !!

La fille pencha gentiment la tête de côté en attendant de connaître son verdict. Shizuka, qui se souvenait d’elle qu’à l’école, était un peu étonnée de cette attitude complètement différente : si au sein de la classe elle jouait la fille rebelle à la mode, l’employée en baitô qui se tenait devant elle était une fille bien éduquée et polie, bien loin de son langage grossier habituel.

— Mmm ! C’est très bon !

— N’est-ce pas ?! Héhé ! Je savais que tu aimerais, tu es très féminine, c’était couru d’avance.

Shizuka s’étonna de image qu’on lui avait collé mais fut particulièrement heureuse de s’entendre dire ce genre de choses.

— Tu… le penses vraiment ?

— Bien sûr ! Sinon je ne l’aurais pas dit. Tu sais, je t’ai observée quelques fois au fond de la classe. Tu évitais les autres, c’est pourquoi je me suis toujours demandé le genre de fille que tu pouvais être.

En effet, Shizuka occupait la place au fond de la classe, elle était à deux rang à la droite de son interlocutrice, sûrement une des raisons pour laquelle elle se souvenait si bien d’elle.

Par contre, elle n’avait jamais remarqué que cette fille provocatrice, malgré tout assez populaire en classe et toujours entourée d’un groupe de filles qui la suivait comme son ombre, s’était un jour intéressée à elle.

— Vraiment ? Je… je ne sais pas quoi dire… Je ne pense pas avoir vraiment…

— Bah, c’est pas bien grave, l’école c’est du passé pour toi, non ?

Peu à peu, son naturel rebelle semblait reprendre le dessus, son langage devenait de plus en plus détendu.

— Ah oui, c’est vrai…, commenta Shizuka bien moins enthousiaste que ce qu’on aurait pu s’attendre.

En effet, son agence n’était pas réellement l’endroit dont elle avait rêvé, elle n’aimait pas s’y rendre. Ses collègues, à l’exception d’une, étaient bizarres et indignes de porter le nom de mahou senjo.

— Tu sembles pas si heureuse… un problème, Shizuka-chan ?

— Non, non, rien, je t’assure ! nia la concernée en secouant les mains devant elle. Oui, maintenant j’ai arrêté les cours…

— T’en as de la chance, je te jure.

— Ah oui, sûrement…

La fille plissa les yeux face à cette nouvelle réponse déprimante de Shizuka, puis approcha le visage pour mieux l’observer.

Remarquant un tel intérêt, cette dernière recula un peu et rougit en détournant le regard.

De retour à sa position normale, la gal sourit, puis déclara avec la suffisance de quelqu’un perçant un mystère :

— Je vois. En fait, tu ne t’es pas encore habituée et tu regrettes l’école, c’est ça ?

Shizuka n’avait pas de telles pensées à l’esprit. Elle n’avait jamais aimé aller en cours puisqu’elle avait des résultats assez moyens malgré ses efforts et n’y avait aucun ami.

Mais la soudaine interrogation qui lui était faite instilla des doutes dans son cœur.

A présent, elle se disait qu’elle aurait pu faire plus d’efforts pour aller vers les autres et profiter de sa vie de lycéenne plutôt que s’enfermer chez elle, dans sa chambre obscure, devant son PC à chercher des informations sur ses idoles.

Comme l’avait souligné cette fille au nom inconnu, elle s’était isolée elle-même. Elle n’avait jamais eu cette impression, rejetant toujours la faute sur les autres, mais confrontée à cette opinion inattendue elle finit par se demander si le réel problème n’avait pas été son caractère. Depuis le départ, peut-être avait-elle rejeté tout contact inconsciemment.

Attristée par ces pensées, elle ne répondit pas à la question, ce qui laissa penser à son interlocutrice qu’elle avait vu juste.

— Ah oui… tu fais un visage tout tristounet maintenant… Que dirais-tu de te remonter le moral avec notre super boisson ? Le sucre, ça guérit de tout ! Héhé !

Shizuka leva vers elle des yeux à moitié clos emplit d’un sentiment désabusé.

— C’était ton plan depuis le début ? Tu voulais juste me faire acheter ce soda ?

— Qui oserait faire ça au juste ? répondit la fille en détournant le regard et en se mettant à siffloter.

— Je vois. Tu fais bien ton travail, en effet… Je vais finir mes courses. A une prochaine.

— Attends, Shizuka-chan ! C’était une plaisanterie, c’est tout ! Haha ! lui dit-elle en tirant la langue et en reprenant une attitude douce et compatissante.

Shizuka qui avait commencé à se retourner s’arrêta. Elle n’était pas fâchée, juste un peu vexée qu’on joue avec ses sentiments de la sorte. Elle n’était plus aussi enthousiaste de parler avec cette fille de sa classe.

A la base, de toute manière, pourquoi une gal viendrait parler avec une fille qui ne représentait rien comme Shizuka ? Si elle n’était pas au travail, elle ne lui aurait jamais adressé la parole, c’était évident.

Toutefois, elle n’avait pas le courage et la force de s’opposer à quelqu’un, elle était trop faible pour ce faire. Elle se retourna et lui prêta à nouveau son oreille, laissant de côté ses doutes et cette plaisanterie de mauvais goût.

— Écoute, pardonne-moi, je voulais juste m’amuser. C’était rien de méchant. En fait, je t’aime vraiment plutôt bien, j’aimerais te connaître plus.

— Tu n’essayerais pas de me draguer par hasard ? demanda Shizuka en faisant la moue et en plissant les yeux.

Normalement, elle n’aurait jamais eu un humour caustique de la sorte, mais après cette plaisanterie, elle était irritée et les mots lui avaient échappés.

Heureusement, la fille ne le prit pas mal, elle écarquilla les yeux un bref instant, puis se mit à rire :

— Tu es une fille marrante en réalité ! Hahaha ! On aurait vraiment dû faire connaissance avant !

Le visage de la fille et ses paroles détendirent l’ambiance, Shizuka se calma et reprit son expression habituellement douce et fragile.

— Oui… ça aurait été pas mal…

Elle le pensait réellement.

Peut-être que sa scolarité aurait été plus amusante si elle avait intégré le groupe de cette fille. C’était un schéma qu’on voyait parfois dans les films, les séries et les anime, la fille populaire qui devient amie avec la fille que personne ne regarde.

— Ce sera difficile maintenant de se connaître mieux. Mais si tu es partante, avec les filles, nous allons à une soirée d’Halloween demain soir, si ça te dit… ?

Shizuka écarquilla les yeux surprise. Instinctivement, elle regarda autour d’elle cherchant à qui étaient adressés ces mots, mais ne remarquant personne d’autre, elle se pointa de l’index en adoptant une expression interrogatrice.

Son interlocutrice, tout sourire, acquiesça.

— Hein ? Tu es sûre ? Je… tu… moi… Tu m’invites vraiment ?

— Bah oui, tu vois quelqu’un d’autre que je pourrais inviter ?

Shizuka regarda derrière elle, un peu plus loin dans le rayon des friandises se trouvait un étranger aux longs cheveux noirs attachés qui étaient en train d’hésiter devant les produits à la recherche de ce qu’il allait acheter.

— Mais non, idiote ! Je vais pas l’inviter lui ! Je le connais même pas. En plus, il est pas un peu ringard, sérieux ?

Shizuka sourit sans répondre, elle le pensait aussi, mais elle n’aimait pas dire du mal des autres.

— Tu vas venir, n’est-ce pas ? C’est le hasard qui nous a fait nous rencontrer, je vais être triste si tu refuses.

En effet, c’était une rencontre complètement fortuite. Jamais elle n’aurait pensé tomber sur elle. Leur rencontre était simplement dû à une concours de circonstances.

Au lieu d’aller à son magasin habituelle, fâchée une fois de plus contre Yog-kun, elle avait décidé de prendre plus de temps pour faire ses courses et elle avait décidé d’aller deux quartiers plus loin dans une supermarché de la même chaîne que celui qu’elle fréquentait habituellement.

Elle ignorait bien sûr que cette fille de sa classe y travaillait, c’était une découverte inattendue.

— Euh… je…

— Qu’est-ce que t’as à hésiter, Shizuka-chan ? Tu sais bien que je suis pas comme les autres filles de la classe, je t’ai jamais cherché ou quoi que ce soit.

C’était la vérité, elle l’avait juste ignorée en général, mais n’avait jamais jeté de regard noir dans sa direction ou autre. Apparemment, sans que Shizuka s’en rende compte, elle l’avait même observée pensant faire d’elle son amie.

— D’ac… D’accord ! Je vais accepter ! finit par déclarer Shizuka en fermant les yeux et en sentant la chaleur monter dans son corps.

Une fête de lycéenne à Tokyo ! Juste en se répétant ces mots dans son esprit, elle sentait la peur, le stress et l’inconfort monter. Elle n’était pas une fille branchée, ce genre de choses n’étaient pas faites pour elle.

— Pour une fois… je dois essayer ! Trop de mauvaises choses sont entrées dans ma vie, il faut que je me change les idées ! se dit-elle pour se redonner confiance. Puis, si j’ai des amies hors du travail, c’est pas mal. Actuellement, j’ai l’air d’une vieille office lady qui ne connaît que les gens de son boulot…

La fille devant elle afficha une expression victorieuse, puis chercha dans sa poche une carte de visite.

— Voilà ! Là, je suis au travail, mais contacte-moi tout à l’heure, vers 20 heures plus ou moins. Je te dirais où on se rejoint et tout.

Shizuka prit la carte avec respect et l’observa l’air hagard.

— Je compte sur toi, Shizuka-chan, ne me fait pas faux bond, je le prendrais très mal ! Je veux vraiment passer du temps à te connaître, donc ne m’oublie pas et rappelle-moi !

Finalement, elles échangèrent quelques phrases encore et Shizuka la laissa travailler, estimant avoir déjà assez pris de son temps.

Puisqu’elle avait lu la carte de visite, elle avait découvert son identité oubliée : Hiragawa Kanami.

Finalement, avant de rentrer, elle céda à la folle ambiance de cet inhabituel Halloween et acheta le soda de citrouille en question.

Elle prit le chemin de retour la tête pleine de doutes, mais le cœur emplit d’une certaine joie.

🎃🎃🎃

Le lendemain…

Conformément aux instructions de la soirée, Shizuka s’était déguisée.

Sur sa tête se trouvait un large chapeau noir et son costume de même couleur évoquait les sorcières du folklore. Bien sûr, elle n’était pas allée jusqu’à ajouter sur son visage un nez crochu et des verrues, au contraire ce déguisement la rendait assez mignonne avec ses longs cheveux noirs ruisselants dans le dos et surtout les rougeurs sur ses joues qui indiquaient à quel point elle était embarrassée par cet accoutrement.

Elle se tenait devant un bâtiment à l’architecture moderne où se trouvait une enseigne indiquant « EAM – Esper Academy Musical ». Malgré le nom particulièrement étrange, il s’agissait d’une simple école de musique qui mettait également à disposition des salles d’enregistrement pour des professionnels.

L’école était située à Takadanobaba, un quartier que Shizuka aurait préféré éviter au cours de son seul jour de repos de la semaine. Difficile de séparer vie privée et travail lorsque ses sorties se faisaient à quelques centaines de mètres à peine de son agence.

— Le hasard est bien cruel, pensa-t-elle en soupirant et en tirant son chapeau vers le bas.

Malgré elle, ses pensées partirent en direction de l’agence Tentakool, elle se souvint de la veille lorsqu’on lui avait demandé si elle était libre le lendemain, elle avait paniqué comme si elle avait fait quelque chose de mal :

— Désolé, j’ai à faire ! Même moi, il m’arrive d’être occupée, vous savez ?

Cette réponse peu naturelle n’avait pu qu’être interprétée comme un « mêlez-vous de vos vies ! », mais ni Irina, ni Elin, ni même Vivienne n’avaient fait de remarque ou n’avaient posé de questions supplémentaires.

S’en fichaient-elles à ce point de leur nouvelle recrue ?

— Si demain pouvait ne pas arriver, ça m’arrangerait, pensa-t-elle en baissant la tête et en soupirant. J’en peux déjà plus des mahou senjo de cette agence… sauf Oneesama, elle est trop bien pour rester dans cette agence !

Elle se demanda soudain si elle n’aurait pas dû l’inviter d’ailleurs. Hiragawa allait amener des amies à elle, pourquoi Shizuka n’aurait-elle pas pu faire de même ?

En plus, cela détruirait l’image qu’on se faisait d’elle, celle de la solitaire sans amies.

Toutefois, en y pensant, elle se rendit rapidement compte qu’avoir sa collègue de travail avec elle aurait été particulièrement gênant. En plus, si elle ne s’entendait pas avec Hiragawa et les autres, cela aurait pu rapidement tourné au drame.

Elle soupira une nouvelle fois, puis regarda autour d’elle. Quelques autres personnes entraient dans le bâtiment, ils étaient costumés également : qui en vampire, qui en loup-garou, qui en zombie ou en infirmière…

Elle ne comprenait pas ce qu’une infirmière pouvait avoir comme lien avec Halloween, la fête des morts, mais personne ne se poserait la question considérant le physique avantageux de celle qui portait le costume. La fête semblait plutôt fréquentée, ce n’était pas qu’une simple réunion entre copains, mais bel et bien une petite fête à la rebornienne, avec des étudiants d’université, des lycéens, de la musique forte et de l’alcool.

Dehors, la musique ne s’entendait presque pas, mais à chaque fois qu’un invité ouvrait la porte d’entrée, les réverbérations des basses quittaient l’édifice et entraient dans les oreilles de la mahou senjo. D’ailleurs, Hirakawa lui avait dit que c’était la raison pour laquelle les organisateurs de la soirée, — des étudiants en littérature d’une prestigieuse université du quartier—, avait loué ce local.

Perdue dans ses réflexions, Shizuka sentit soudain quelque chose lui toucher les hanches, puis les fesses ; elle sursauta en poussant un petit cri très féminin :

— Kyaaaa !

En se retournant soudainement, elle vit apparaître dans son champ de vision une démone. Il s’agissait d’Hiragawa qui portait cette fois un bikini noir et des chaussettes rayées noires et rouges, ainsi que de petites ailes membraneuses dans son dos. Sa coiffure était différente de la veille au magasin, elle y avait inséré nombre de barrettes et d’accessoires. De même, elle était maquillé dans un style provoquant avec un rouge à lèvres d’un rouge vif qui attirait le regard et son haut mettant en valeur sa généreuse poitrine.

— Hiragawa ? l’interpella Shizuka en posant une main sur son cœur tentant par ce biais d’en ralentir les rapides battements.

— Hahahaha ! T’es vraiment une froussarde, Shizuka-chan !

La concernée se força à rire poliment, elle ne pouvait nier qu’elle était le genre de personne à rapidement paniquer.

Derrière Hiragawa se trouvaient deux filles qui semblaient toutes les deux plutôt matures, bien plus que Shizuka. L’une était déguisée en fée, portant une robe plutôt révélatrice et des ailes de papillons dans le dos, elle avait également des cheveux décolorés et son maquillage était assez prononcé. L’autre fille avait une peau bronzée même en cette saison, ce qui indiquait une fréquentation de centre d’esthétisme, et tout comme ses deux amies, elle avait une tenue plutôt sexy avec une cape noire doublée de rouge ; son dentier avec des canines pointues ajoutaient la dernière touche à son costume de vampire.

— Eh, les filles ! J’vous présente Shizuka-chan, une copine du bahut !

— Enchantée, déclara immédiatement la concernée en s’inclinant respectueusement. Je… je suis désolée de vous déranger en cette soirée.

— Hahaha ! Elle est marrante ta pote, dit la fille habillée en vampire. Pas b’soin d’être si polie, on est entre lycéennes du même âge ! Appelle-moi Saki, ça suffira.

— Pareil ! Je suis d’un autre bahut que ces deux pestes, expliqua la fée, mais pas la peine de se faire chier avec les formules de politesses ; appelle-moi Tomoe.

Les deux filles affichèrent un sourire agréable en direction de Shizuka.

Même si elles n’étaient pas le genre de filles qu’elle aurait normalement fréquenté, elle ne semblaient pas être de mauvaises filles. Aussi, Shizuka parvint à évacuer un peu de son stress et à sourire légèrement.

Hiragawa passa son bras sous celui de la jeune femme et, avec un sourire mystérieux, lui chuchota :

— Alors rassurée ? Au fait, si tu m’appelles encore Hiragawa, tu vas me le payer, tu sais ?

— Hein ? Je…Je…

— Tu paniques vraiment vite, t’es trop drôle ! Hahahaha !

Sur ces mots, laissant Shizuka bouche bée, quelques gouttes de sueur sur ses joues, Hiragawa l’entraîna vers l’entrée.

— C’est quelle salle au juste ? demanda Saki.

— Me semble que c’est au 2e étage, non ?

— Tsss ! Faites-moi confiance, j’connais. Les filles, le mot d’ordre de la soirée : on s’éclate jusqu’à n’en plus pouvoir, OK ?

— Ouais ! répondirent de suite Saki et Tomoe.

— Euh… oui…, ajouta timidement Shizuka.

Hiragawa s’arrêta devant la porte d’entrée, fit signe aux filles de s’approcher, puis une fois qu’elles furent toutes les quatre en cercle, leurs têtes proches les unes des autres, elle dit à voix basse :

— A l’intérieur, y a un tas de mecs de la fac : si une d’entre nous pécho quelqu’un, les autres abandonnent, OK ?

— Héééé ! T’es tellement osé, Kana-chan !

— Quelle chaudasse ! Ouaaaah !

— Comme si vous y avez pas pensé, bande de chiennes en chaleur !

Au lieu de s’offusquer et d’être choquées comme l’était Shizuka, les trois amies, des lycéennes de trois établissements différents de la Capitale, se mirent à rire avec complicité.

Puis, Saki la première tendit la main au centre du cercle, les deux autres filles posèrent les leurs dessus en soutien. Les regards se tournèrent ensuite vers Shizuka, elles attendaient qu’elle fasse de même. Timidement la jeune femme posa la sienne par-dessus la pile :

— Toutes pour une et une pour toutes !

Sur ces mots d’encouragement amicaux, elles se remirent en marche, ouvrirent la porte de l’édifice et y pénétrèrent.

Quelques panneaux indiquaient effectivement que la fête se déroulait au deuxième étage, mais les basses qu’on sentait réverbérer dans le sol étaient à même de l’indiquer sans avoir besoin de le lire.

— Décoince-toi, ma Shizuka-chan, chuchota Kanami à son oreille. Ce qui se passe la nuit d’Halloween est magique, seuls les morts en sont témoins. Bois autant que tu le veux, l’âge n’est pas important. Et envoie-toi en l’air ! Demain n’existe pas !

Shizuka ne put que sourire de manière crispée alors que des gouttes de sueur apparurent sur son visage.

— Dans quoi je me suis embarquée ? pensa-t-elle en les suivant avec de moins en moins de motivation.

🎃🎃🎃

Un poisson en train d’étouffer sur la plage, telle était l’image que renvoyait Shizuka.

Dans cette grande salle d’enregistrement qui avait été redécorée pour l’occasion aux couleurs d’Halloween se trouvaient une soixantaine de personnes, majoritairement des universitaires. La musique y était forte, les invités dansaient frénétiquement, l’air était chargée de fumée de cigarettes (ce qui devait être sûrement interdit, au passage) et nombre de verres d’alcool tintaient déjà au moment où les filles entrèrent.

— Ohhh ! Ça c’est ce que j’appelle une fête !

— On va s’ééééclater !

— Hyaaahhaaaaaaa !

Seule Shizuka ne s’était pas du tout enthousiasmée. A vrai dire, elle commençait à se demander de plus en plus ce qu’elle faisait là. Ce monde n’était pas le sien. Tous ces adultes qui buvaient et fumaient et faisaient la fête, c’était quelque chose de nouveau pour elle. Elle avait vu ce genre de soirée dans des drama reborniens, mais elle ne s’y sentait pas du tout à son aise.

Kanami, qui avait sûrement remarqué son attitude, l’entraîna vers le buffet où se trouvait surtout de l’alcool et quelques snacks.

— Tiens, bois ça ! Tu douteras bien moins par la suite, je t’assure ! Cria-t-elle en lui tendant un verre d’une boisson à la couleur vive et à l’odeur fruitée.

Il y avait tellement de bruit que Shizuka l’entendit à peine. Grâce aux parois spécialement étudiée pour ne pas faire sortir le bruit, les couloirs et les environs de l’école étaient plus ou moins silencieux, mais à l’intérieur c’était assourdissant.

Shizuka sourit maladroitement et agita ses mains devant elle :

— Pas d’alcool, désolée !

Kanami sourit amusée par cette réponse à laquelle elle s’attendait.

— T’inquiètes, y en a pas.

Shizuka saisit le verre et l’approcha de son nez pour en sentir l’odeur : mis à part les fruits, elle ne sentait rien d’autre. Elle le porta finalement à ses lèvres, elle ne sentit pas de goût étrange alcoolique, même si elle n’identifiait pas tout ce que contenait ce cocktail. De toute manière, il y avait tellement d’ingrédients mixés que c’était difficile de les reconnaître.

L’ensemble était plutôt agréable en tout cas.

— Alors ? T’es pas de meilleure humeur déjà ?

— Je ne sens pas de différence…

— Bah, t’es pas assez dans le mood, faut croire. Ça viendra. Viens, on va parler à ces senpai beaux gosses, là-bas.

— Hein ?! T’es sérieuse ?!

— Toujours !

Sur ces mots, elle reprit le bras de Shizuka et l’entraîna vers un groupe de trois universitaires avec qui elle voulait parler.

Shizuka rougit jusqu’aux oreilles, elle était heureuse d’avoir un chapeau de sorcière pour se cacher.

Au début, les trois hommes parlaient uniquement à Kanami, mais l’un d’eux, plus timide lui adressa la parole à elle qui était un peu en marge du groupe.

— Je m’appelle Hiro. Tu t’appelles Shizuka, c’est ça ?

Kanami l’avait présentée, auparavant.

La jeune femme hocha de la tête et sa cacha derrière son couvre-chef.

— Tu n’es pas habituée de ces fêtes, pas vrai ? Ne t’inquiète pas, c’est pareil pour moi, on m’a traîné de force.

— Je… je suis désolée…

— Non, non, vraiment, pas la peine de s’excuser ! dit-il assez fort pour être entendu tout en secouant les mains devant lui.

Après un court silence qui s’instaura entre eux, il pointa des chaises dans un coin de la pièce et demanda :

— Tu ne veux pas aller t’asseoir ? Là-bas, on sera tranquilles tous les deux.

Comme s’il venait soudainement de réaliser sa proposition, il rougit et agita à nouveau ses mains en paniquant :

— Ah non ! C’est pas ce que je voulais dire… Eh merde ! Non, en fait, je disais juste que… que si nous étions assis ensemble, les autres ne viendraient pas nous embêter. Après, je suis pas obligé de te parler, on peut rester en silence juste là-bas.

Shizuka leva la tête vers son interlocuteur pour l’observer. Il était plutôt beau garçon, mais c’était surtout son regard peu confiant et gentil qui parvint à la mettre en confiance.

Elle finit par acquiescer timidement et par le suivre jusqu’à ce coin de la pièce éloigné du dance floor et juste à côté de la table de banquet.

Pendant quelques minutes, Hiro ne parla pas, il se contenta d’observer autour de lui. Puis, il prit un verre sur la table et le but d’un trait. Ce n’est qu’après quelques minutes encore qu’il reprit la parole et commença à faire la conversation à la jeune femme.

C’était des questions anodines comme l’endroit d’où elle venait, ce qu’elle faisait dans la vie, ce qu’elle aimait, ce qu’elle avait regardé la veille. Elle répondit de manière évasive au début, « je viens de Nagaoka », « je travaille en agence », « j’aime les mahou senjo », elle répondait le strict nécessaire ; une attitude laconique qui aiguilla le jeune homme sur l’indifférence de son interlocutrice.

— Je m’excuse de te tenir la jambe. Je ne voulais pas être indiscret…

— Non, c’est bon, désolée…, rétorqua Shizuka qui se sentait coupable de rejeter quelqu’un de la sorte.

Elle avait longtemps subi le rejet dans sa vie, elle savait à quel point il faisait mal. Hiro était quelqu’un de gentil et de sensible à en juger par ses expressions faciales, il devait mal vivre cette froideur de Shizuka alors qu’il essayait juste de lui rendre la fête plus agréable.

— Je… Je viens de Nagaoka, j’en suis partie pour aller au lycée…

— Non, non, ce n’est pas la peine, l’interrompit le jeune homme en lui posant le doigt sur les lèvres. J’aimerais bien entendre ces réponses, mais pas uniquement par pitié envers moi. Je suis navré de t’avoir menti, je n’ai pas su garder le silence comme je te l’avais proposé. Je… je…

Il saisit les mains de Shizuka qui l’observait avec des rougeurs sur les joues. Elle fut relativement surprise, d’autant que la voix du jeune homme était devenue encore plus douce et hésitante, on aurait presque dit le préambule d’une déclaration amoureuse.

— Je suis intéressé par toi, voilà ! finit-il par déclamer en fermant les yeux. Tu me sembles une personne intéressante, je… je voudrais mieux te connaître.

C’était une forme de déclaration au final.

Elle sursauta, des larmes montèrent à ses yeux et la rougeur la couvrit jusque ses oreilles.

— Je… je…

— Inutile de me donner une réponse, ce n’est pas une déclaration, expliqua timidement le garçon. C’est juste une proposition. Si tu es comme je le pense, un jour, sûrement, je te ferais une déclaration en bonne et due formes… AAAAHHHH ! Qu’est-ce que je raconte, moi ?!

Sur ces mots, comme s’il réalisait l’ampleur des paroles qu’il venait de prononcer, il lâcha les mains de la jeune femme, se leva et s’appuya contre le mur voisin dans une attitude de profond regret.

Shizuka était relativement choquée et perplexe, elle observait le sol et ne savait que dire. Elle balbutiait, mais à cause du volume sonore, impossible de l’entendre.

Plusieurs minutes passèrent dans cette étrange ambiance, Hiro vida encore deux verres de cocktail, puis revint s’asseoir. Ses yeux brillaient légèrement.

Sans mot dire, il se rapprocha de l’oreille de Shizuka :

— Je n’ai pas menti, je te trouve incroyablement séduisante. Je veux vraiment te connaître.

— Euh…je… je ne suis pas très… à l’aise avec ce genre de choses.

C’était la vérité, Shizuka n’avait jamais été à l’aise avec les garçons et les romances de manière générale.

— Je m’excuse d’avance pour ce que je vais faire, mais Halloween est la nuit de la magie et des sorcières…

Sur ces mots, il saisit le menton de Shizuka, leva son chapeau et dirigea ses lèvres vers les siennes.

La jeune femme, les larmes aux yeux, ne savait que faire, elle était paralysée. Elle vit approcher ce visage du sien, le garçon adorable qu’elle avait accepté de suivre s’avérait bien trop entreprenant !

Puis…

* Poum *

Sans aucune raison, il relâcha Shizuka et s’écroula par terre en même temps que sa chaise. A cause du bruit ambiant, personne n’y prêta attention.

Ayant sûrement trop bu, il s’était penché de manière trop brusque sur le dossier de sa chaise et avait perdu l’équilibre, c’était la théorie la plus plausible.

Sortant de sa torpeur, la jeune femme se leva, s’inclina pour saluer Hiro et se dirigea vers la sortie de la salle.

En chemin, elle fut interceptée par Saki, une des amies de Kanami :

— Shizuka-chan ? Tu vas pas m’dire que tu te barres déjà, non ?

La lycéenne tenait dans une main un verre d’une boisson mousseuse et dans l’autre elle avait une cigarette allumée.

Shizuka était encore sous le choc, elle ne prêta pas attention à son interlocutrice, ni au fait qu’elle était encore trop jeune pour ces activités.

— Je… vais aux toilettes….

— Bonne idée, faut se préparer.

Elle ne releva pas le malentendu caché derrière ces paroles et quitta la pièce.

En arrivant dans le couloir, elle chercha l’indication de la localisation des toilettes et s’empressa de s’y rendre sans faire attention à personne. Elle voulait un endroit calme pour réfléchir et reprendre son calme, c’était ce qu’elle désirait le plus en cet instant. Elle ne pensait pas revenir dans la fête, mais avant de rentrer chez elle il lui fallait se calmer.

Elle entra dans la cabine et referma la porte derrière elle. Une fois assise, elle reprit sa respiration et marmonna :

— Pourquoi j’ai accepté ? C’est quoi cet endroit… ? Je… je n’ai pas envie de faire ça…

Surtout pas avec un inconnu, conclut-elle dans sa tête.

Ses pensées s’assombrirent. A l’origine, elle avait accepté pour se détendre et faire une pause avec le travail, mais finalement elle en venait à le regretter.

— Les filles de Tentakool… elles ne sont pas comme ça…

Elle n’était pas assez naïve, elle avait compris ce que désirait Hiro, il avait juste caché son jeu. Tout ce qui l’intéressait c’était la « fille paumée » qui avait été amenée par les habituées, la proie facile par définition. Elle avait déjà vu ce genre de choses dans les drama des dizaines de fois.

Personne n’aurait réellement été intéressé par une pauvre fille sans caractère comme elle, si on se rapprochait d’elle ce n’était même pas pour son physique, somme toute quelconque, c’était uniquement pour sa faiblesse et son incapacité à résister.

Elle se mit à pleurer malgré elle, elle était en colère contre elle-même et se sentait frustrée.

Soudain, elle entendit des voix qui discutaient :

— J’te dis que je l’ai vue entrer là, j’te jure…

— Tu sens pas son odeur ?

— La fumée m’a foutu en l’air le pif. Ch’sens plus rien… Comment qu’ils font ces gens au juste ?

— Me demande pas ça à moi, idiote !

Elle connaissait ces voix….

Ouvrant à la hâte la porte de sa cabine, Shizuka se retrouva face à face avec Elin et Irina.

🎃🎃🎃

Irina était déguisée en vampire, mais contrairement à Tomoe, ce n’était pas un simple prétexte pour se revêtir de vêtements provocateurs. Irina portait une lourde cape noire et un costume fantaisiste composé d’une chemise et d’une longue jupe dans un style lolita gothique. Malgré son expression peu sérieuse, ce style lui allait assez bien, d’autant qu’elle avait des traits de métisses, ses grands yeux verts et ses longs cheveux blancs, mais aussi son imposante poitrine, collaient fort bien avec le style romanesque européen de sa tenue.

Pour sa part, Elin, qui malgré son âge donnait l’impression d’être une collégienne, était vêtue d’un uniforme noir et blanc rappelant ceux des établissements scolaires, mais qui n’en était manifestement pas un considérant sa coupe et ses décorations. Comme toujours ses cheveux étaient attachés en deux couettes et avait rembourré son costume pour faire penser qu’elle avait une grosse poitrine.

Shizuka se demanda malgré tout ce que son déguisement avait à voir avec Halloween…

— Elin ? Irina ?

Les deux filles se tournèrent vers elle. Elin la dévisagea de son habituelle expression impassible et de ses yeux mornes, tandis qu’Irina affichait une expression bien plus emplie de joie.

— Yahooooooooo〜 ! Tu vas bien, Shi-chan ?

— Qu’est-ce que vous faites ici ?

— On passait t’voir ! répondit franchement Irina en se rapprochant d’elle. Sympa ton costume de sorcière ! J’vais te prendre en photo, c’est trop classe !

— Quoi ?! Mais… mais pourquoi ?

Irina ne l’écoutait plus vraiment, elle tira son smartphone de l’échancrure de son décolleté et commença à la prendre en photo. Quant à Elin, elle bâilla.

— Nous enquêtons. On savait pas que t’étais là…

— Irina vient de dire que vous me cherchiez ! Vous ne seriez pas en train de vous moquer de moi ?

Elin la fixa droit dans les yeux, puis d’une voix monocorde déclara :

— Ah oui… Bah, c’est un hasard. Notre chien de chasse finlandais a senti ton odeur en entrant.

— C’est pas possible ce genre de choses !! Vous me suiviez, c’est ça ?

Shizuka commençait à sentir la colère monter en elle. Elle ne pouvait donc même pas être tranquille un jour de repos sans que les filles de l’agence la suivent ? C’était une atteinte à sa liberté, c’était terriblement frustrant et déplaisant.

Elin ne répondit rien, elle se retourna et commença à se laver les mains. Puis, d’une voix sans émotions, elle expliqua :

— Il semblerait qu’il n’y ait rien de toute façon, nous allons rentrer. Si tu veux mon conseil, traîne pas trop, bientôt les gens auront trop bu et ça va devenir n’importe quoi.

— Je ne suis pas une gamine, je te signale ! s’énerva Shizuka. Je choisis ce que je veux faire, j’ai pas besoin de tes conseils, maman !

— Haha haha ! Elin t’es d’venue la mère de Shi-chan ! J’me marre trop !!

Irina arrêta sa séance de shooting et se tordit de rire en se tenant le ventre.

— Hein ? T’as dit quelque chose, gamine à la graisse surdéveloppée ?

— C’est encore plus drôle quand t’es habillé comme Stella ! Même ta poitrine est du fake ! Haha haha !

Irina n’arrêtait plus de rire, elle s’appuyait contre un mur tellement elle s’esclaffait.

Toutefois, le rire ne se communiqua pas à Shizuka, elle arborait une moue énervée alors que ses yeux étaient rivés sur sa chef d’agence.

Cette dernière soupira longuement, puis elle fixa à son tour son employée.

— Écoute, fais ce que tu veux. C’est un hasard si on est là, mais si tu veux me faire la gueule pour ça, à ta guise. J’en ai déjà marre de cette soirée, je rentre à l’agence. Iri-chan, tu me suis.

— Hein ?! Mais pourquoi ?

— Tu vas juste foutre le bordel, puis les mecs vont tenter de te peloter, j’ai pas envie que tu les envoies à l’hôpital.

— Mais euh !! Je veux m’amuser moi !

Elin prit Irina par l’oreille et commença à l’entraîner vers la sortie, elle salua de la main Shizuka et toutes les deux quittèrent les toilettes.

Shizuka n’avait pas pu continuer la dispute. L’attitude d’Elin lui avait coupé l’herbe sous le pied, mais elle n’en demeurait pas moins énervée.

— C’est donc comme ça que ce sera à chaque fois ? marmonna-t-elle. Vous allez me suivre à chacun de mes jours de repos ?

L’idée d’être surveillée et contrôlée la fit grincer des dents. Finalement, elle serra ses poings et quitta à son tour cet endroit.

🎃🎃🎃

En retournant dans la salle où se déroulait la fête, elle était décidée à saluer les filles et à partir, mais la colère et les paroles d’Elin lui firent changer d’avis.

— Si vous souhaitez dicter ma vie, je vais donc faire le contraire, pensa-t-elle.

Elle prit un verre du cocktail non alcoolisé que lui avait donné auparavant Kanami et le vida d’un trait en guise de protestation.

Puis, elle retourna voir Hiro pour lui parler.

Elle était résolue de ne pas le laisser faire, mais ne voulait pas non plus le rejeter.

Puis…

Puis……

Tout devint confus, elle eut l’impression soudaine que la musique était devenue plus forte et plus désordonnée et elle avait une folle envie de dormir.

Malgré sa lutte, elle observait Hiro lui parler de choses et d’autres incapable de lui répondre tant ses forces l’abandonnaient. En levant les yeux, elle aperçut subrepticement une silhouette tomber au sol.

C’est là qu’elle comprit :

— Du poison… ? pensa-t-elle ou s’interrogea-t-elle à haute voix avant de s’écrouler à son tour.

Lorsqu’elle se réveilla, qui sait combien de temps après, elle était dans une pièce sombre, elle ne voyait rien, mais entendait des choses s’agiter. Elle sentit même soudain un main lui toucher les fesses.

Elle poussa un gémissement et commença à s’agiter et s’éloigner, c’est alors qu’elle entendit une voix :

— Où j’suis ?

C’était celle de Tomoe, elle la reconnut.

— Tomoe ?

— Ouais… J’ai mal à la tête… T’es où ?

— C’est… mes fesses là…

Shizuka avait aussi mal à la tête, c’était un des effets du poison très probablement.

— Les filles ? Vous… On est où ? demanda la voix de Saki cette fois.

— J’sais pas !

— Nous avons été empoisonnée, expliqua Shizuka d’une voix grave. Je… je pense que c’est des cultistes…

Rapidement, cette évidence lui était devenue claire, elle se justifiait par la précédente rencontre avec Elin et Irina, venues enquêter sur leur présence justement. Si seulement elle ne s’était pas disputée avec elles et ne les avait pas chassées…

Soudain, quelqu’un tapota contre une porte, le son était distinct.

— Faites-moi sortir ! Pourquoi je suis là ?!

Suite à quoi, les lumières s’allumèrent et elles constatèrent être dans un autre studio d’enregistrement, probablement dans le même bâtiment considérant la décoration, plus petit que la salle où s’était tenue la fête.

Elles étaient toutes les trois allongées au sol et Kanami, pour sa part, à genoux tapait sur la porte métallique de sortie.

<< Bienvenue, mes chères amies ! Nous allons passé à la partie amusante de notre soirée, j’espère que vous prendrez plaisir à y participer. >>

La voix masculine venait d’un interphone, la personne qui les avait emprisonné se trouvait sûrement derrière la vitre-miroir qui composait l’une des parois de la salle.

<< Coucou Shizuka ! Merci à toi de m’avoir tenu compagnie, je veux te rendre la pareille. >>

Cette fois, c’était la voix d’Hiro.

Rapidement, Shizuka déduisit qu’il s’agissait sûrement des trois universitaires à qui Kanami était allé parler. Il s’agissait des organisateurs de la fête, elle l’avait appris au cours des discussions interminables d’Hiro.

— Vous êtes… des cultistes ? demanda abruptement la jeune femme avec des gouttes de sueur sur le visage.

Les trois autres filles s’interrompirent et tournèrent le regard dans la même direction qu’elle.

<< Quelle question bien directe, je ne m’attendais pas à ça de la faible et peureuse Shizuka qui s’est enfuie après que j’ai essayé de l’embrasser. Eh bien, oui ! On peut dire ça ! >>

Tandis que Shizuka blêmit, Saki et Tomoe se mirent à pleurer et crier. Seule Kanami ne parût pas réellement surprise.

D’ailleurs, après avoir grimacé, elle se dirigea vers la fenêtre réfléchissante et d’un air furieux dit :

— C’était pas notre accord ! En plus, depuis quand vous êtes des cultistes au juste ?!

— Hein ? C’est… quoi ce bordel, Kana-chan ? demanda Tomoe d’une voix surprise.

Kanami n’osait pas se retourner, elle posa ses poings sur la vitre et baissa le regard.

Finalement, c’est la première voix qui leur avait parlé qui répondit aux questions :

<< Nous avons passé un accord. Kanami-san devait nous livrer trois jeunes lycéennes bien mignonnes, et en échange, nous lui avons donné un bon paquet d’argent. >>

Immédiatement, Tomoe et Saki qui pleuraient furent indignées, elles lâchèrent un « quoi ? », puis en serrant leurs poings avec frustration, elle jetèrent un regard noir à celles qu’elles avait considéré comme leur amie.

Shizuka pour sa part avait surtout l’impression d’avaler un aliment amer, ses papilles gustatives étaient douloureuses, elle se rendait compte que cette fois encore le monde l’avait déçu. Celle qui avait prétendu vouloir devenir son amie n’avait fait que se servir d’elle, une proie facile, la jeune femme solitaire de la classe qui n’aurait pas refusé une telle invitation.

Elle s’en voulait de l’avoir crue, elle se trouvait stupide d’avoir pensé un instant qu’on s’intéressait à elle : que ce soit Kanami ou même Hiro.

Elle n’était rien, personne ne voulait d’elle, c’était aussi simple que cela. Une seule personne lui avait jadis tendu la main, mais elle avait fini par la blesser et elle s’en était allée à présent.

Shizuka grinça des dents et fixa le sol sans mot dire.

— Tu… es une sale traîtresse !

— Salope ! Dans quoi tu nous as jetées !! Nous allons être sacrifiées ! Je… JE VEUX PAS MOURIR !! hurla Saki avant de tomber à genoux en sanglots.

Les larmes s’écoulèrent également des yeux de Kanami qui tournait encore le dos à ses amis.

Finalement, Tomoe, plus forte que les deux autres, s’approcha de la traitresse furieuse et la saisit par le col.

— Je te méprise ! Dire que je pensais que tu étais mon amie ! Je te faisais confiance !!

Kanami détournait le regard, elle évitait les yeux de Tomoe.

Puis, * Pam *, un coup de poing dans le visage vint la faire tomber au sol.

— Tu… tu es la pire ! Je prie pour que tu meurs avant nous !!

Kanami grinça des dents et se mit à pleurer en se relevant. Tout en serrant ses poings, elle hurla :

— Je voulais pas, bon sang !! Je… voulais pas ! Mais… tu sais… je… nous…

Inutile de dire la suite, Saki et Tomoe étaient au courant.

Les yeux de Tomoe s’écarquillèrent, tandis qu’elle tomba à genoux et prit dans ses bras son amie.

Elles le savaient toutes les deux puisqu’elles la connaissaient de longue date : Kanami était en réalité très pauvre. Elle agissait toujours comme une petite bourgeoise, mais en réalité, sa mère abandonnée par son père n’avait presque pas d’argent et elle devait subvenir aux besoins de Kanami et de ses petits frères. Lorsqu’on lui avait proposé tout cet argent, elle avait bien sûr refusé au début, elle avait sa dignité, mais confrontée à la dure réalité d’une fin de mois difficile pour sa famille et un risque d’expulsion de leur domicile, elle avait cédé sans poser plus de questions.

<< C’est excellent ! Votre scène est digne d’un drama ! J’ado~re ! Mais, si vous voulez bien, il est temps de passer au clou du spectacle. Je vous prie mes demoiselles de donner le meilleur de vous-même dans votre interprétation de la souffrance frustrée. Criez de toute votre voix lorsque nos amis viendront vous éventrer. Haha haha haha haha ! >>

Deux autres rires déments s’ajoutèrent au premier, comme l’avait pensé Shizuka il s’agissait des trois organisateurs.

Elles retinrent toutes leur respiration, tandis que la porte se déverrouilla. Des pas s’en approchèrent, quelque chose d’un autre monde allait franchir cette entrée en vue de les tuer, toutes.

— Reculez…, déclara Shizuka en s’avançant de quelques pas, alors que ses jambes lourdes tremblaient.

Elle était seule sur le coup, il n’y avait aucune fille de l’agence pour rattraper ses erreurs ; les chances qu’elle meurt dans la situation présente étaient assez importantes.

Cela faisait un moment qu’elle n’avait plus fait d’intervention en solo, elle se souvenait de cette période en esquissant un sourire crispé : elle avait généralement fui en attendant les renforts, seule elle avait rarement réussi à vaincre un monstre. Ce n’était pas très encourageant.

Elle posa sa main sur sa cuisse et remonta sa jupe, révélant ses belles jambes enveloppée dans des chaussettes. Sa main s’arrêta sur une sorte de jarretière où était accrochée une baguette magique de magical girl.

Depuis qu’elle avait découvert l’horreur des affrontements réels avec les monstres du Mythe de Lovecraft, elle ne se sentait plus rassurée de sortir sans cet objet. A ses yeux, il était devenu aussi indispensable que son téléphone portable.

Puisque le style de la baguette ne convenait pas très bien à son costume, au lieu de la mettre dans son sac à main, — pour une raison inexpliquée, puisqu’en général elle avait tendance à la ranger dans ce dernier—, elle avait préféré cette jarretière.

— Shizuka… ? marmonna péniblement Kanami qui continuait de pleurer.

Les trois filles étaient à présent à genoux, l’une contre l’autre, tremblant et pleurant, elles observaient le dos de Shizuka.

— Je… je vais essayer de vous protéger…, expliqua-t-elle tout en pointant la baguette devant elle. Je…

Comme si un élément qu’elle avait oublié venait de pénétrer l’esprit de Kanami en cet instant, ses yeux s’écarquillèrent et elle poussa un long : « Mais ouiiiiiiii!! ». Les autres filles paniquée l’observèrent sans comprendre :

— C’est vrai que les rumeurs… à l’école…, expliqua-elle en séchant ses larmes de sa manche, les rumeurs disent que t’es devenue une mahou senjo, non ?

C’était donc passé à l’état de rumeur, ce n’était même pas un vrai fait établi, constata la concernée en grimaçant. Il était vrai qu’elle n’avait pas fait ses adieux officiels à la classe et, mis à part le corps enseignant, les élèves l’avaient juste vue partir sans vraiment comprendre.

— Tu plaisantes ? demanda Saki.

— Vrai… ment ?

— Ouais, c’est ce qu’on dit au bahut. C’est vrai, Shizuka-chan ? T’es une mahou senjo ?

Les trois paires d’yeux la fixèrent avec insistance et espoirs, Shizuka sentit un frisson la parcourir tandis que le stress engendré par cette pression commença à la faire suer.

— Je… oui…

Les trois filles passèrent du désespoir à la joie.

Oubliant tout ce qui venait de se dire et de se passer, elles sautèrent dans les bras l’une de l’autre et hurlèrent de joie.

<< Quoi ? Une mahou senjo ? T’es la plus nulle des recruteuses, Kanami ! >>

La voix du cultiste était indigné, son plan était compromis. S’il avait su toutefois que celle qui se tenait courageusement là, face à la porte qu’allaient franchir les monstres, était une parfaite débutante, aurait-il réagit de la même manière ?

Loin de le prendre comme un reproche, Kanami sourit fièrement.

— Oui, Shizuka-chan va toutes nous sauver et elle va venir vous botter les fesses, espèce de pervers !

— Oui ! Vous allez payer ! ajouta Tomoe tandis que Saki hocha simplement de la tête.

Mais, devant elles, Shizuka n’osait rien dire et n’osait pas montrer son visage, la pression était devenue telle que des larmes étaient apparues au coin de ses yeux tandis que son visage affichait des traits particulièrement crispés.

Finalement, elle inspira longuement et essaya de penser à son devoir.

— Je dois les protéger, elles ont raison… mais vais-je y arriver ?

Sa tentative de se redonner du courage se conclut par un auto-sabotage, son manque de confiance revint naturellement de lui-même. Si elle échouait, ce serait de sa faute si trois innocentes mourrait. Prise au piège de ses doutes, elle se pétrifia.

Mais soudain…

<< Eh, Shi-chan ? Tu peux me prendre du cola en rentrant, j’viens de tout finir ? >>

Une voix sortit de sa baguette : il s’agissait de Yog-kun ! Son familier ! Une sorte de renard à plusieurs queues et au pelage rouge vif.

— Yog-kun ?!

<< Yep. Tu rentres quand au fait ? Car là c’est la crise : j’peux tenir, une demi-heure encore je dirais… à tout casser. Du coup, ce serait cool que tu te ramènes fissa en vrai. >>

— Quoi ?! Donne-moi encore des ordres comme ça et je te coupe internet, espèce de sale NEET profiteur !! Hurla Shizuka.

Bien sûr, les filles derrière elle avaient entendu la discussion, elles s’observaient sans vraiment comprendre.

Avec qui parlait-elle ? Un homme ? Était-ce son petit ami ? Un NEET profiteur, avait-elle dit, cela impliquait-il qu’elle logeait son petit ami chez elle et que ce dernier profitait de son travail pour vivre à sa charge ?

Toutes ces questions passèrent rapidement dans l’esprit des trois filles qui semblaient les partager par une sorte d’intuition presque télépathique entre elles.

— Je ne pensais pas que tu étais si… adulte, Shizuka-chan… , déclara Kanami.

— Vivre avec son mec déjà à cet âge, pas mal ma p’tite ! Affirma Tomoe.

— Par contre, fais gaffe quand même, le laisse pas te mener en bateau. Girl power !! Déclara la dernière du trio en levant avec entrain sa bras.

Shizuka rougit de honte, ce n’était absolument pas son petit-ami et, ne voulant vraiment pas parler de son familier aux filles tant il était embarrassant, elle ne pouvait dissiper le malentendu.

<< Eh, s’lut les filles ! Ch’suis le petit copain de Shi-chan, on fait plein de trucs torrides la nuit, j’vous raconte pas. Héhéhé ! >>

— Raconte pas n’importe quoi !! Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhh !! Cria Shizuka de toutes ses forces en dirigeant un regard furieux et honteux vers la baguette. T’es juste mon sale familier profiteur ! Donne-moi mes pouvoirs et raconte pas n’importe quoi !!

Elle avait les larmes au coin des yeux, elle avait perdu tout crédibilité, sûrement que les trois filles se moqueraient d’elle éternellement, mais si elle voulait survivre à ce qui ne tarderait à passer la porte, elle devait se transformer.

Elle ne tremblait plus, elle était juste remplie de colère et d’indignation, elle ne pensait plus à avoir peur.

Après quelques secondes de silence, Yog-kun reprit la parole :

<< Tssss ! T’es vraiment pas une fille marrante, j’disais ça pour plaisanter. Désolé les filles, ch’suis pas très humain et la morphologie de ma Shi-chan m’intéresse pas vraiment. Allez, it’s show time ! Transformationnnn !! >>

Après s’être ainsi adressé aux trois filles, Yog-kun accorda ses pouvoirs à Shizuka.

Immédiatement son corps se mit à briller, ses vêtements devinrent des particules de lumière, qui se collèrent à elle et se réassemblèrent pour former sa tenue de combat : c’était une tenue très mignonne, évoquant celle des magical girl des anime. Physiquement, elle n’avait pas changé du tout, par contre.

— Oooooohhh !! S’exclamèrent en chœur les trois filles qui voyaient une transformation en direct pour la première fois.

— Je… je suis Nakasawa Shizuka de l’agence Tentakool ! Veuillez cesser toute action hostile et vous rendre ! déclara-t-elle d’une voix aussi déterminée que possible.

Mais, la réponse arriva sous la forme d’un monstre qui ouvrit la porte en grand.

Il s’agissait d’une créature bipède, de la taille d’un humain mais au dos voûté ; sa peau était grise et maladive. Sa bouche n’avait pas de lèvres, elle exposait ses dents pointues. Ses longs bras étaient achevés par des griffes acérées. Il s’agissait d’un Ghast, un créature que les invocateurs des Anciens appelaient assez fréquemment en renfort en raison de la simplicité de son invocation ; mais, de fait, les Ghast demeuraient parmi les plus faibles des Anciens.

Shizuka grimaça alors que les petits yeux noirs sans sclérite du monstre la fixèrent, elle vit rapidement d’autres formes derrière celui qui se tenait dans l’encadrement de porte.

Tout en déglutissant, les larmes aux yeux, elle fit briller l’extrémité de sa baguette et scanda le nom de son sort :

« Quartz Pickaxe ! »

Un projectile cristallin transparent jaillit de la baguette et se dirigea à vive allure vers sa cible. Il fendit l’air en émettant un léger sifflement, puis pénétra les chairs du Ghast.

Ce dernier poussa un cri de douleur, tandis que Shizuka rouvrit les yeux avec surprise.

— Ça a marché ?

Était-ce le fruit de ses premières expériences avec les filles de l’agence ?

D’habitude son projectile de cristal éclatait en touchant sa cible et ne produisait pas de blessure, c’était un étonnant progrès de son point de vue.

<< Reste concentrée, Shi-chan ! Ça n’a pas suffit ! >> la mit en garde son familier.

La jeune femme saisit le conseil et, reculant d’un bond, elle fit briller à nouveau l’extrémité de sa baguette. Son regard était déterminé, elle visa cette fois la tête et cria :

« Quartz Pickaxe ! »

Un nouveau projectile jaillit de son arme, mais cette fois le monstre l’intercepta en portant un coup de griffes, puis s’avança dans la pièce laissant le passage aux autres Ghast.

La mahou senjo déglutit une nouvelle fois tandis que derrière elle, les filles étaient pétrifiées sous l’effet de la peur. La confrontation avec les Anciens pour des humains révélait d’un vrai conflit psychologique ; leurs apparences seules suffisaient à remettre en doute les psychés humaines et les confrontaient à leurs peurs les plus primordiales. Chacun réagissait à sa manière, conformément à son caractère. Assez rarement, certains humains très téméraires, sous l’effet de la folie engendrée par cette vue, prit d’un élan de rage, chargeaient les Anciens, mais ils survivaient rarement plus que ceux pétrifiés par la peur.

En tant que mahou senjo, Shizuka n’y était bien sûr pas confrontée, pour elle ils n’étaient que de vils monstres dont elle avait malgré tout très peur, sachant que le moindre faux pas pouvait lui être fatal. Leurs griffes n’auraient aucun mal à la dépecer tant elles étaient acérées et tant la force de ces monstres était absurde.

Shizuka observait ses ennemis avec concentration, pointant chacun d’eux à tour de rôle avec sa baguette : aucun des trois Ghast n’osait l’attaquer, craignant sûrement qu’un des projectiles ne les blesse.

On pouvait d’ailleurs encore voir dans l’épaule du Ghast blessé le projectile de cristal, son sang vert foncé visqueux ruisselait de la blessure.

Finalement, la voix dans l’interphone s’exprima à nouveau :

<< J’ai un peu paniqué, mais tu ne sembles pas si forte. Au contraire, ça nous rend service, on va pouvoir se faire plein d’argent avec les enregistrements de ta mort. Donc, veille à mourir de manière douloureuse et sale tandis que les Ghast abuseront de toi ! Hahahaha! >>

Shizuka tourna sa tête vers la vitre-miroir et plissa les yeux, puis avec un certain détachement, elle expliqua :

— Les Ghast n’ont pas d’organe sexuel pour le faire avec des humains, c’est une confusion avec les Profonds… Idiot !

Les rires s’arrêtèrent soudain, ils ne s’attendaient pas à ce genre de réponse.

En effet, toutes ces années à lire des livres sur les Anciens n’avaient pas été vains, elle avait au moins appris cela.

Cela dit, le problème restait entier, il était composé de trois ennemis qui pouvaient aisément la tuer.

— Si seulement Irina et Elin étaient là…, pensa-t-elle en cet instant. Non ! Il faut que je me débrouille. Oui, je peux le faire !

Elle essaya de se redonner confiance, elle jeta même un rapide coup d’œil aux filles derrière elles pour se rappeler sa motivation de se battre et pourquoi l’échec n’était pas permis. Mais lorsqu’elle reporta son regard sur les monstres, elle ne put s’empêcher de trembloter et de douter.

Finalement, lorsque l’un des trois commença à s’avancer vers elle, elle décida de passer à l’action :

« Opal Rain !! »

C’était un autre de ses sorts, une attaque à effet de zone.

Une pluie de cristaux multicolores s’abattit simultanément sur les trois monstres qui furent surpris au point de ne pas bien s’en défendre. L’un d’eux interposa ses mains sur la tête, les deux autres frappèrent devant eux pensant au même projectile qu’auparavant, mais furent à la place victime de cette attaque qui déferlait par le haut.

Le Ghast blessé n’eut pas de chance, alors qu’il leva la tête, un des projectiles perfora son œil et s’enfonça dans son crâne, il s’écroula mort. Les deux autres avaient des blessures superficielles, quelques petits cristaux s’étaient enfoncés de-ci de-là dans leurs chairs.

— Groaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!

Ils poussèrent des cris féroces avant de charger la mahou senjo. Cette fois, ils ne prirent pas le temps de réfléchir à une quelconque stratégie, ils voulaient juste l’éliminer le plus rapidement possible.

« Opal Rain ! »

Shizuka réitéra l’attaque, mais à cause de leur déplacement, de la présence des filles derrière elle et de l’affaiblissement de son corps suite à l’utilisation successive de sa magie, elle plaça malheureusement la zone d’effet derrière les deux monstres qui l’évitèrent sans avoir à produire le moindre effort.

— Zut !

Shizuka n’eut que le temps de s’esclaffer de la sorte avant que les griffes de ses deux adversaires s’abattirent sur elle.

Sa barrière réactive s’interposa et la défendit un instant, mais lorsqu’ils frappèrent à nouveau, elle se brisa et Shizuka parvint de justesse à esquiver les griffes.

— Aie !!

Trois entailles avaient malgré tout eu le temps de se dessiner sur son bras.

Immédiatement, elle leva sa baguette et cria :

« Quartz Pickaxe ! »

Les deux bras encore en avant, le Ghast n’eut pas le temps de se protéger efficacement, le projectile s’enfonça dans sa poitrine, il poussa un cri douloureux et posa genou à terre.

— Plus qu’un ! se dit la mahou senjo.

Mais à ce moment-là, ses yeux aperçurent le plafond de la pièce et ses petites lumières qui y brillaient telle une voûte artificielle, blanche.

Quelque chose avait touché son pied et elle avait été déséquilibrée en cherchant à reculer. Son corps tout entier tomba en arrière, elle atterrit sur son postérieur.

— Que… ?

Sans s’en rendre compte, elle avait reculé jusqu’à arriver au niveau des trois filles pétrifiées, l’une dans les bras de l’autre. La jambe de Kanami l’avait fait trébucher.

Les deux monstres portèrent leurs yeux sur les trois humaines, puis sur Shizuka, ils esquissèrent un sourire sadique.

— Non ! Arrêtez, c’est moi votre…

Elle n’eut pas le temps de finir la phrase que le Ghast blessé, qui semblait à l’agonie, abattit ses griffes sur elles.

* Dong *

Mais elles heurtèrent un mur de diamant.

« Diamond shield… han… han… »

La voix de Shizuka était faible, elle reprenait son souffle. Elle avait utilisé sa magie si rapidement qu’elle avait sûrement dilapidé inutilement du mana. Sa maîtrise de la magie n’était pas encore optimale et manifester un sort à la hâte était difficile, mais au moins elle avait réussi à les protéger, c’était l’essentiel.

— Levez-vous ! Fuyez, je les retiens ! cria-t-elle aux filles tout en pointant sa baguette vers le mur qu’elle avait érigé.

Mais les trois filles étaient saisies par l’horreur, elles ne parvenaient plus à bouger. Même si Kanami avait essayé, ayant levé la tête et ayant acquiescé, elle ne parvient pas à se décoller du sol.

Shizuka se rendit compte qu’elle en demandait sûrement trop. Aussi, elle ferma les yeux et ressembla ses dernières forces et raffermit sa volonté.

Il n’y avait personne d’autre sur qui compter.

La sirène ne sonnait pas, pour des raisons inexpliquées, ce qui voulait dire que les officielles n’étaient pas au courant de l’attaque. Elin et Irina, vexée par la jeune femme, étaient déjà rentrées.

Elle était l’ultime rempart pour protéger ces innocentes.

Elle se releva tant bien que mal et au moment où le Ghast valide passa la tête et le bras, contournant le mur magique, elle projeta un nouveau projectile de cristal.

Cette fois, il était plus rapide que les précédents, son adversaire n’eut pas le temps de réagir, sa main fut entièrement perforée et une partie de sa joue fut arrachée. Le tir termina sa course contre le mur-vitré qu’on entendit se briser.

— Groaaaaaaaaaaaaa !!

De nouveaux hurlements bestiaux et effroyables. Les Ghast étaient dans leurs derniers retranchements, tout comme l’était Shizuka.

Sa respiration était saccadée, elle allait tomber d’une seconde à l’autre, elle sentait sa tête tourner horriblement.

Le mur de protection disparut, elle n’avait plus la force de le maintenir.

Aussitôt, sans crier le nom de son incantation, elle tira sur celui qui était blessé et qui menaçait à nouveau les filles.

Le projectile s’enfonça à nouveau dans sa poitrine, évitant l’attaque de griffe qui avait essayé de le dévier.

Le Ghast s’effondra en continuant de crier à l’agonie et en agitant ses membres.

Mais le réel danger était le dernier survivant qui profita de cette ouverture pour foncer sur la mahou senjo, la saisir au cou de sa main valide et la plaquer contre un mur avec violence.

Sa barrière réactive, précédemment détruite, n’avait pas encore eu le temps de se recomposer.

— Kof ! Lâ… Han han…

Shizuka arrivait à peine à respirer, elle n’arrivait plus à formuler des paroles distinctes. Elle agitait dans le vide ses jambes de manière désorganisée.

Le monstre enragé par la souffrance ouvrit grand la bouche et la mordit à la hanche. Le sang gicla, les yeux de la victime s’écarquillèrent, mais un simple et faible « aahhh » put à peine quitter sa gorge étranglée.

Puis…

Une giclée de sang vert vint teinter ses joues.

Elle s’effondra au sol.

A ses côtés, son agresseur.

Le crâne perforé par un projectile de cristal entré par sa mâchoire, la vie venait de quitter le corps du Ghast.

Shizuka haletait, elle leva son visage rouge et fut rassurée de voir les trois filles en parfaite santé : sa mission était une réussite, pour une fois.

Mais alors qu’elle allait se laisser aller, la voix de Yog-kun l’empêcha de ce faire :

<< Eh oh ! C’est pas l’heure de pioncer, fainéante ! Ils arrivent ! >>

Elle avait surtout envie de rétorquer qu’il était mal placé pour lui dire une telle chose, mais l’urgence la fit se taire et lui fit tourner le regard vers la vitre brisée.

Les trois cultistes l’enjambèrent et pénétrèrent dans la salle où se trouvaient leurs victimes. Ces trois universitaires affichaient des expressions contrariées ; leur plan initial, leur show avait été mis à mal par la présence d’une mahou senjo débutante.

— Sale peste… Tu vas souffrir pour ce que tu as fait…, dit férocement l’un des trois tout en s’avançant.

Ils se mirent à réciter des paroles dans le langage des Anciens, suite à quoi de l’énergie apparut entre leurs doigts. L’un fit apparaître une sphère de glace, l’autre une sphère de ténèbres et le dernier une boule de feu.

Shizuka était en trop mauvais état, elle luttait simplement pour garder les yeux ouverts. C’était la fin ! Jamais elle ne pourrait arrêter les trois cultistes, cette fois c’était le terme de son aventure.

Des larmes apparurent dans ses yeux, elle repensa aux bons moments de sa vie tandis que les projectiles magiques quittèrent les mains des sorciers dans sa direction.

Frustrée, elle poussa un ultime hurlement :

— Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !

Lorsque sa voix se dissipa dans la pièce, elle sentit la douleur. Son corps tout entier était endolori et fatigué. Elle ressentait également l’humidité de son sang dans lequel était plongé sa main. D’une manière ou d’une autre, elle était en vie, elle ignorait comment.

En levant les yeux, elle vit une silhouette se tenir devant elle : elle était floue.

Elle sombra dans l’inconscience sans parvenir à l’identifier.

🎃🎃🎃

A son réveil, Shizuka était allongée sur un canapé qu’elle commençait à fort bien connaître.

C’était le bureau d’Elin, c’est là qu’elle avait été engagée et c’est là qu’elle se trouvait à nouveau.

Elle soupira longuement, puis comme si c’était un rite devenu une habitude, elle vérifia si elle était habillée ou nue ; elle était en sous-vêtements.

Elle se blottit sous la couverture, puis chercha dans la pièce si elle était seule ou non. Elin n’était pas là cette fois.

La douleur était toujours présente dans son corps, surtout au niveau de sa hanche ou les crocs du monstre s’étaient enfoncés, mais la fatigue était amoindrie par rapport à avant.

— Je suis nulle, je finis toujours dans cette situation, c’est pénible…, se plaignit-elle d’une petite voix en se couvrant le visage de sa couverture.

Elle ne savait pas combien de temps elle avait dormi, ni ce qui s’était passé après qu’elle soit tombée.

Si elle était toujours en vie, cela signifiait indubitablement que les trois cultistes étaient morts. Mais qui lui était venue en aide ?

Elle se souvenait d’une lueur dorée devant ses yeux, mais difficile d’avoir une image précise.

— Bah, de toute façon j’aurais qu’à demander à Yog-kun, lui il doit savoir, dit-elle toujours cachée sous sa couverture.

Elle la baissa pour sortir sa tête, elle commençait à avoir du mal à respirer.

A cet instant…

— Savoir quoi ? demanda une voix féminine fort douce.

Devant ses yeux se trouvait Vivienne, une des membres de son agence, une étrangère. D’origine française, Vivienne avait une longue chevelure blonde, ses manières était délicates et mesurées, son port altier et ses yeux profonds.

Elle était la délicatesse et l’élégance incarnée, le modèle de Shizuka qui éprouvait une profonde admiration à son égard ; elle était son seul réconfort dans l’agence, la seule à avoir les qualités d’une mahou senjo comme elle les imaginait.

Contrairement à son habitude, elle était déguisée.

— Onee…sama… ?

Les yeux de Shizuka s’écarquillèrent avec stupeur tandis que ses joues s’empourprèrent.

Vivienne était déguisée en fille-chat, plus précisément en neko maid. Portant un uniforme de soubrette du même genre que les maid d’Akihabara, elle avait une paire d’oreille de chat sur la tête, des nekomimi, et une queue de chat également accrochée à son costume.

Lorsqu’on connaissait la jeune femme au quotidien, c’était un choc, mais l’ensemble lui allait parfaitement bien.

Vivienne avait un physique svelte et de belles jambes qui étaient mises en valeur par ses collants noirs.

La neko maid pencha la tête de côté comme pour marquer un questionnement interne, puis fit un mouvement de la main pour imiter la patte d’un chat, tout en laissant sortir de ses lèvres un innocent :

— Nyaa !

Le cœur de Shizuka explosa sous l’impact de tant de mignonnerie ! Sa rougeur s’intensifia et monta jusqu’aux oreilles. Elle se mit à balbutier de manière inintelligible et recula dans le canapé.

— Que… que… que… ?

— C’est Irina-san qui a choisi notre costume. Elle nous a assuré qu’il vous plairait et qu’il nous irait. N’en êtes-vous point convaincue, Shizuka-san ?

Reprenant son habituel sérieux, elle rajusta sa position et reprit son port aristocratique. Même sans le vouloir, son incroyable charisme était écrasant.

Shizuka, qui avait laissé tomber la couverture sous l’effet du choc, continuait d’observer la jeune femme avec stupeur. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle puisse assister à une telle métamorphose.

Probablement se sentant gênée, sans le dévoiler, Vivienne expliqua en venant s’asseoir sur le canapé aux pieds de son interlocutrice :

— Nous sommes la nuit d’Halloween, nous avons été informée qu’à Kibou la tradition inspirée de l’US Reborn était encore en vigueur et ainsi donc nous avons décidé de ne pas abroger à cette convenance. Lorsque notre chef nous a demandé de venir à l’agence, nous avons objecté n’avoir aucun costume fantasque à revêtir. Ce à quoi, elle nous a immédiatement réconfortée en nous assurant avoir de quoi nous satisfaire. Il s’est avéré que le costume que vous avez devant vos yeux provient des affaires personnelles d’Irina-san, qui nous a expliqué, nous vous la citons : « Moi il me va pas de t’te façon, j’ai trop de boobs. Mais, toi, ch’suis sûre que ça t’ira comme un gant ! Tu vas faire tomber tout le monde avec ça ! ».

La voir imiter Irina était parfaitement drôle, elles qui avaient des comportements si opposés… Vivienne avait mis beaucoup de cœur dans cette imitation, on sentait sa connaissance profonde du sujet.

— De fait, nous avons donc hérité les rejets de notre comparse à forte poitrine qui dépense sans réfléchir ses finances pour des costumes qu’elle ne porterait jamais et qui ne sont guère à sa taille. Nous apprécions plus que de raison la mode et les vêtements, mais pensez-vous réellement qu’octroyer de l’attention à un tel assemblage est chose raisonnable ? D’autant plus venant d’elle qui ne porte que des vêtements délabrés et horribles. Cette fille est une énigme, vous en conviendrez, n’est-il point ?

Vivienne appuya ces mots en levant les épaules, en dirigeant ses paumes vers le haut et en secouant la tête.

La relation entre les deux filles était pour le moins étrange, on ne pouvait pas dire qu’elles s’entendaient bien, mais l’animosité semblait malgré tout unilatérale. Irina adorait pour une raison ou une autre Vivienne.

— Je comprends, Oneesama. En tout cas, c’est vrai qu’il vous va vraiment à ravir, déclara Shizuka avec doux sourire.

Vivienne pencha de nouveau la tête sur le côté et observa son interlocutrice, lui faisant remarquer :

— Merci infiniment. Nous aimerions vous retourner le compliment, en vous disant que votre costume vous va à ravir, mais, même si c’est bien le cas, nous nous en dispenserons faute de vous donner une mauvaise image de nous. Nous sommes impatiente de vous voir dans le costume de sorcière qu’Irina-san et Elin-san n’ont eu de cesse de nous vanter.

Sur ces mots, Vivienne se leva et se dirigea vers une chaise voisine au bureau où se trouvaient des vêtements noirs que Shizuka reconnut être son costume de sorcière.

D’un seul coup, son regard se baissa sur son propre corps tandis que des gouttes de sueur apparurent sur son visage. Dans un moment de distraction provoqué par le choc, elle s’était montrée dans une tenue indécente.

Se blottissant soudain sous les couvertures, des larmes apparurent au coin de ses yeux tandis qu’elle grimaça.

— Quelle idiote !! Pensa-t-elle.

Elle entendit Vivienne se rapprocher d’elle et lui dire :

— N’ayez crainte, nous ne vous avons guère observée. Cela étant dit, votre silhouette est fort agréable, il n’y a réellement point lieu d’en éprouver une quelconque honte.

Shizuka se sentit à la fois complimentée mais d’autant plus embarrassée. Comment pouvait-elle donner un tel jugement si elle ne « l’avait guère observée », comme elle venait de le dire ?

— Considérant votre réaction, nous pensons que votre blessure commence déjà à guérir, aussi nous allons vous attendre dans la salle de repos avec nos chères collègues. A moins que vous ne désiriez notre assistance pour revêtir votre tenue…

— Je… je vais m’habiller tout seule… Oneesama…

— A votre guise, mais ne soyez pas timide quand à accepter notre proposition et n’y voyez aucun mal, nous vous en prions.

Elle était sûre que les intentions de son aînée n’étaient pas mauvaises, mais c’était malgré tout trop pour elle. Elle devait déjà essayé d’oublier ce qui venait de se passer.

— C’est bon, je vais le faire seule, réitéra Shizuka d’une voix plus décidée.

— Entendu. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous attendre dans le couloir afin de vous aider à marcher.

Pouvait-elle encore une fois refuser une de ses demandes ?

Shizuka préféra accepter cette fois, ce n’était pas une proposition insensée.

— Parfait. Nous vous attendrons jusqu’à la fin des temps s’il le faudra, notre précieuse sorcière, Shizuka-nyan !

Même sans pouvoir la voir, son cœur bondit une nouvelle fois.

Cette façon de parler était une arme de destruction massive que lui avait offert Irina !

Shizuka se demandait si elle allait survivre à cette soirée d’Halloween.

Lorsqu’elle sortit à nouveau la tête de la couverture, elle était à nouveau seule, sa tenue de sorcière soigneusement posée au bord du canapé.

Repensant à ce qu’elle avait vécu cette nuit, elle se trouvait tout d’un coup prise d’une sombre tristesse : une fois de plus, elle était tombée dans un piège d’un cultiste, une fois de plus elle avait été l’idiote qui s’était fait avoir et, une fois de plus, elle n’avait pas tenu jusqu’à la fin du combat.

— Si cette mystérieuse personne n’était pas venue me sauver, je serais morte cette fois encore…, marmonna-t-elle. Je suis une incapable, vraiment… Je me demande bien pourquoi Yog-kun m’a transformée en mahou senjo… ?

Mais, à ce moment-là, ses yeux furent attirés par un objet blanc posé sur son chapeau de sorcière, il s’agissait d’un morceau de papier plié en deux : un message.

« Shizuka-chan, tu es géniale ! Sans toi, nous ne serions plus là à l’heure actuelle ! Désolée ! Vraiment mille fois, non un million de fois désolée de t’avoir menti et t’avoir trahi, mais tu as sauvé Saki et Tomoe, je ne pourrais jamais assez te remercier. Je te souhaite bonne chance pour la suite, mais je ne m’inquiète pas pour toi, tu es une fille plus forte que ce que je pensais.

Bisous tout plein, ta Kanami. »

Les larmes s’écoulèrent immédiatement de ses yeux, ces paroles tombaient à propos. Elles venaient de percer un cœur déjà empreint de doutes et affaiblit par la tristesse.

Si on considérait les événements sous un autre angle : c’est parce qu’elle avait été assez bête pour se laisser avoir qu’elle avait fini par sauver les trois filles d’une mort tragique. Sans elle, les événements auraient eu lieu quand même, mais la conclusion aurait été différente.

Elle ne pouvait pas réellement se sentir fière, mais une certaine forme d’acceptation de sa situation se fraya un chemin en elle.

— Je suis une idiote naïve et faible, mais si ma vie peut en sauver d’autres, je ne vais pas regretter d’avoir été une nulle cette fois encore, se dit-elle à haute voix. Je vais faire de mon mieux pour que la prochaine fois je puisse voir la fin du combat.

Sur ces mots, elle sécha ses larmes avec les bords de la couverture et commença à se rhabiller.

De l’autre côté de la porte, Vivienne baissa la tête et posa une main sur sa poitrine, elle était triste d’entendre Shizuka se rabaisser ainsi, mais si elle pouvait puiser sa force dans cette remise en question, il aurait été injuste et dangereux qu’elle s’en mêle.

Lorsque les deux filles se rejoignirent enfin dans le couloir, Vivienne lui passa le bras autour de la hanche en lui disant :

— Votre maid va vous aider à marcher, Shizuka-nyan. Informez-nous si nous nous montrons trop brutale et entraînons quelque douleur.

Shizuka ne dit rien, mais la principale source de douleur en cet instant était probablement l’émoi que son interlocutrice provoquait dans son cœur fragile. Cette proximité, cette main douce qui semblait plus la caresser que la soutenir, la flagrance enivrante de ce shampooing émanant de ces magnifiques et soyeux cheveux blonds, la chaleur agréable de ce corps svelte contre le sien et ces « nyan » si irréels qu’elle se croyait dans un rêve, c’était trop pour elle !

Le trajet jusqu’à la salle de repos, pourtant située un étage plus bas uniquement, lui parut interminable.

A peine fit-elle glisser la porte coulissante que…

* Bam Bam *

— Trip or Trip !!

— C’est Trick or Treat, idiote.

Irina et Elin, toujours vêtues dans les mêmes déguisements que précédemment, venaient de lui tirer dessus des confettis.

Elles n’étaient pas les seules à avoir subi un relooking, toute la pièce était décorée à la mode Halloween : des citrouilles, des bougies, des décorations de chauve-souris, des toiles d’araignées, et tout ce qui constituait le folklore de cette fête se trouvait là.

Sur la table basse, des grosses citrouilles étaient remplies de friandises.

L’ambiance était plutôt convaincante. L’habituel désordre se mélangeait aux décorations pour donner un aspect de maison hantée par un poltergeist.

— Senpai ? Elin-san ? Qu’est-ce que… ?

— Héhé ! En tant que vampire j’kiffe grave cette fête ! J’voulais t’inviter cette année, mais t’avais des trucs à faire, t’as dit, expliqua Irina particulièrement excitée. Ch’savais pas ce que c’était, ‘pis on est tombé sur toi par hasard.

— Par hasard ?

— Oui, j’avais eu des informations qui parlaient de cette fête, expliqua Elin en prenant le relais. Tous les ans il se passe quelque chose à Halloween dans le quartier, je dirais même que cette année c’est plutôt calme. En consultant les dossiers des trois organisateurs, j’ai eu un doute et il s’est avéré que j’ai eu raison.

Shizuka se mordit légèrement la lèvre inférieur, c’était particulièrement frustrant pour elle qui était tombée dans le piège d’entendre sa chef lui dévoiler qu’elle avait tout compris depuis le début.

— C’est donc vous qui m’avait sauvée… ? demanda Shizuka honteuse en baissant la tête.

— C’était sûrement moi ! déclara Irina en bombant le torse et en se pointant du pouce. Quand ch’suis venue tu broutais le pavé, du coup j’me suis permise de défoncer les cultistes. Y sont en prison maintenant, j’crois.

Ce n’était pas réellement un secret, mais à Kibou la peine d’emprisonnement pour des cultistes précédait leur mise à mort quelques jours suivant un rapide procès. Shizuka ne serait plus amenée à les revoir.

— Mer… merci beaucoup.

— Héhé ! Pas d’quoi ! Bon c’est pas tout ça, mais j’ai pas eu de bonbecs. Du coup, comme le dit la phrase : « Trip-machin », si tu m’donnes pas de friandises, j’vais devoir te faire des farces.

— Hein ? Mais t’as des bonbons partout dans la pièce ? Puis j’en ai pas sur moi !

— Comme si c’était une excuse. Farce du coup. Je te laisse faire Iri-chan, j’ai la flemme. Je vais aller me reposer un peu, déclara Elin en bâillant et en allant se laisser tomber sur le canapé tel une vulgaire bûche de bois.

Face à Shizuka, Irina agitait ses doigts et se léchait les lèvres à la manière d’un vieux pervers ignoble, sa victime blêmit.

— Heinnn ! Sauvez-moi, Oneesama !

— Nous sommes navrée, mais comme nous vous l’avons dit nous ne saurions abrogé les coutumes ancestrales d’un pays. Nous nous sommes acquittée de notre droit d’entrée en arrivant, expliqua-t-elle en pointant du regard les deux grosses citrouilles remplies de friandises sur la table, mais puisque ce n’est pas votre cas, vous devez vous plier à la règle.

— Hein ? Vous me trahissez, Oneesamaaaaaa ?!

— Irina-san, nous vous prions de ne guère faire brutaliser notre nouvelle recrue, elle est encore blessée, vous savez ? Veuillez maîtriser au mieux votre force absurde, nous vous en serions grée.

Sur ces mots, Vivienne se sépara de Shizuka.

Elle s’inclina une fois pour s’excuser auprès de la pauvre victime et une autre fois pour appuyer sa demande de clémence auprès de son bourreau.

— Oneeesamaaaaaaaaaaaaaaaaa !!

— Hihihi !! Éclatons-nous, Shi-chan !!

Shizuka eut beau essayer de fuir, face à la redoutable Irina, c’était peine perdue. Son châtiment fut atroce, elle servit de poupée à la malveillante otaku qui, contrairement à ce qu’avait compris Vivienne, n’achetait pas des costumes en vue de les porter elle-même, mais pour les faire porter aux autres. Elle avait descendu de sa chambre un gros sac avec des tas de tenues et d’accessoires de cosplay : infirmière, maid, kemonomimi, un tas d’éléments provenant du monde otaku étaient regroupés-là.

— Vivi ! Rends-toi utile, prends l’appareil photo là-bas et fais de bon clichés de not’Shi-chan !

— Nooooooooonnnn ! protesta la concernée qui était en train de se faire retirer ses vêtements. Oneesama, pitié !!!

— C’est en pensant à votre bien que nous allons le faire. Si vous vous débattez outre-mesure, notre brute locale risquera réellement de vous faire du mal, vous savez ? Nous vous serions grée de vous prêter docilement à votre jugement.

— Vous me trahissez encore, Oneesamaaaaa !!

— Allez, Shi-chan, laisse-toi faire ! Ça f’ra pas mal, j’te promets !

— Non ! Aidez-moi, Elin-san !!

— Désolée, j’ai la flemme…

Couchée sur le ventre, comme si même ajusté sa position était trop pour elle, elle fixait l’écran de télévision éteint avec des yeux de poisson mort.

— C’est injuste ! Trick or Treat, c’est un truc que font les enfants, t’es trop grande pour être une enfant, Irina-san !! protesta une nouvelle fois Shizuka.

— Ah bon ? J’ai vu des adultes le faire aussi, t’sais ? ‘Pis, c’est pas grave, ch’suis une vampire, les règles des humains comptent pas pour moi. Hihi !

— C’est quoi cette logique ?! Si encore, ça avait été Elin-san, j’aurais pu comprendre, mais toi !

Les sourcils d’Elin se froncèrent un instant, puis lentement elle se redressa et demanda :

— Tu veux dire quoi par là, Shi-chan ?

— Hoho ! T’as fâché le fauve, on dirait…

— Hein ? Non, je disais pas ça pour être vexante. Juste…. Malgré votre âge, votre apparence vous aurait permis de justifier la demande de bonbons, c’est tout…

Cette fois, même Vivienne baissa la tête et fit le signe de croix, une habitude qu’aucune kibanaise native n’aurait eu, les religions ayant quasiment toutes disparues dans le pays qui était déjà majoritairement athée avant l’Invasion.

— Ah bon ? Je suis donc une vielle gamine, c’est ça que tu veux dire ? Je vois…

La voix d’Elin était toujours aussi monocorde, mais son attitude semblait plus hostile que d’habitude.

— Voyons voir, qu’est-ce qu’on a là comme costume embarrassant ?

Tirant du sac une tenue du genre bikini de guerre, inspiré sûrement d’un anime ou manga heroic fantasy, elle fixa Shizuka qui blêmit immédiatement.

— Désolée, chef !!! cria-t-elle.

— Je ne suis pas vexée, pas du tout même, déclara Elin sans aucune hostilité audible dans sa voix. C’est simplement pour ne pas enfreindre les lois d’Halloween, tu sais bien.

Shizuka déglutit et se mit à suer à grosses gouttes, puis résignée à devoir être honteuse, elle cria :

— Laissez-moi au moins me changer toute seule !!!!

Ce fut le premier Halloween que la jeune femme passa à l’agence Tentakool.

🎃🎃🎃

Fatiguée de son précédente combat et blessée, Shizuka finit par s’endormir sur le canapé de la salle de repos. Les trains avaient cessé de circuler depuis un moment, elle ne pouvait pas rentrer chez elle.

De son côté, Vivienne qui habitait plus près, à Shinjuku, soit à moins d’une heure à pied de l’agence, décida de rentrer chez elle en profitant de la nuit.

Tandis qu’elle mettait ses chaussures dans le vestibule d’entrée, la petite silhouette de sa chef déguisée en lycéenne d’anime vint se présenter derrière elle.

— Je ne te demanderais pas comme tu as su, mais tu avais bien raison pour la soirée. Tu es sûre de ne pas vouloir lui le dire ?

Vivienne ne se retourna pas, elle finit de nouer les lacets à ses chaussures et se redressa.

— C’est mieux ainsi. Nous vous sommes sincèrement reconnaissante d’avoir cru en notre parole et d’être allées enquêter.

— Ouais enfin, t’étais là aussi. C’est pas Iri-chan qui aurait pu la sauver, on était occupées avec leurs autres sacrifices.

En effet, ce qu’elles s’étaient abstenues de dire à Shizuka, c’était qu’elles n’avaient pas été que les seules quatre victimes. Dans les autres salles de l’école, d’autres cultistes complices avaient tenté de faire la même chose.

Au total, c’était pas loin de vingt cultistes qui avaient fait leur office en cette nuit de fête. Ils utilisaient tous des fausses identités d’universitaires. Les officielles enquêteraient dans les prochains jours sur leurs relations afin de débusquer d’autres adorateurs des Anciens infiltrés.

Pendant le combat de Shizuka, Elin et Irina avaient mené un combat plus redoutable encore contre les dix-sept autres cultistes et leurs invocations.

Elles avaient réussi à éviter le drame, il n’y avait eu que des blessés, aucun mort civil n’était à déplorer grâce à leur rapide intervention.

— Nous préférerions pour diverses raisons que vous ne lui dévoiliez pas la réelle teneur de cette affaire. Elle est attristée de ne pouvoir mener seule ce genre d’affaires, mais éprouve une certaine joie d’avoir malgré tout sauver ses trois camarades de classe. La vérité la dépasserait et n’aiderait pas son moral.

Elin fixa le dos de Vivienne un long moment, puis elle se mit à bâiller et se tourna vers l’escalier menant à l’étage.

— Fais gaffe en rentrant.

— N’ayez crainte, nous sommes plutôt forte, vous le savez bien.

Elin secoua la main et remonta à l’étage, laissant seule sa subalterne.

Vivienne referma la porte d’entrée de l’agence et se dirigea vers la Waseda Dori, l’un des axes les plus important du quartier.

— Désolée, chef, mais vous ne pourriez nous comprendre, marmonna-t-elle comme pour s’excuser auprès de sa supérieure absente. Le cœur a ses raisons que la raison ignore.

Elle afficha un sourire bienveillant et délicat, et poursuivit sa promenade nocturne jusqu’à chez elle.

FIN

Merci d’avoir lu !